Chrysostome sur 1Co 2800

HOMÉLIE XXVIII. (11,28-34) QUE L'HOMME DONC S'ÉPROUVE SOI-MÊME, AVANT DE MANGER DE CE PAIN ET DE BOIRE DE CE CALICE.

2800
(
1Co 11,28-34)

ANALYSE.

1. De la nécessité de s'éprouver soi-même avant de manger le pain de vie et de boire le calice du Seigneur.
2. Pourquoi les pécheurs ne sont pas tous présentement punis. — Les fidèles, assemblés pour manger, doivent s'attendre les uns les autres.
3-5. Contre l'excès de la douleur dans le deuil. — Développement curieux, à l'adresse des femmes. — En opposition, la sublime résignation de Job au sein des plus cruelles douleurs.

2801 1. Que signifient ces paroles, quand le sujet proposé est tout autre? C'est l'habitude de Paul, je l'ai déjà dit, non-seulement de traiter le sujet qu'il s'est proposé, mais, s'il se présente incidemment quelqu'autre pensée, de la suivre avec une grande ardeur, surtout quand il s'agit de choses tout à fait nécessaires, urgentes. En effet, quand il s'agissait des personnes mariées, et qu'il se trouva à parler des serviteurs, il traita cette question incidente avec une grande force et beaucoup de développements. Et, quand il s'étendait sur cette vérité, que l'on ne doit pas disputer en justice, l'occasion se présentant d'adresser à l'avarice des exhortations, il développa ses pensées sur ce point. C'est ce qu'il fait encore en ce moment. Une fois qu'il s'est vu engagé à parler des mystères, il a jugé qu'il était nécessaire de traiter à fond cette question à cause de son importance, et, de là, ces exhortations, faites pour inspirer la terreur, et ce discours qui prouve que le premier des biens c'est de s'approcher de la table sainte avec une conscience pure. Il ne lui suffit plus de ce qu'il avait dit auparavant, il ajoute: « Que l'homme donc s'éprouve soi-même »; c'est ce qu'il dit aussi, dans la seconde épître : « Sondez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes ». Ce n'est pas ce que nous faisons aujourd'hui, où ce qui nous détermine, c'est plutôt la circonstance de temps, que l'ardeur de notre volonté. En effet, nous ne nous appliquons pas à nous préparer, à nous purifier, à nous pénétrer de componction, avant de nous approcher, mais nous venons parce que c'est un jour de fête, et parte que tous en font autant.

Mais ce n'est pas là ce que conseillait Paul; il ne reconnaît qu'un temps où il convienne de s'approcher, de communier; c'est lorsque notre conscience est pure. Si jamais nous ne prenons notre part des tables de ce monde, lorsque nous avons la fièvre ou que nous sommes travaillés par nos humeurs; si nous nous abstenons par raison de santé, à bien plus forte raison, devons-nous nous abstenir de cette table auguste, quand nous sommes travaillés par nos mauvais désirs, plus funestes que toutes les fièvres. J'entends par mauvais désirs, les passions du corps, les désirs d'argent, les colères, les rancunes, en un mot toutes les passions dépravées et désordonnées. Il faut dépouiller tout cela, quand on s'approche des mystères, quand on veut participer à ce sacrifice si pur; il ne suffit pas d'une volonté indolente, de dispositions misérables, de cette considération que c'est un jour de fête, et de venir forcément; il ne faut pas, non plus, que la componction d'une âme bien préparée s'abstienne parce que l'on n'est pas dans un jour de fête. Ce qui constitue la fête, c'est l'abondance des bonnes oeuvres; c'est la piété, c'est l'application à tous ses devoirs; réunissez ces conditions, vous pourrez célébrer une fête perpétuelle, et vous approcher toujours; de (481) là, ce que dit l'apôtre : « Que chacun s'éprouve soi-même, avant d'approcher ». Et le précepte qu'il donne, ce n'est pas que l'un éprouve l'autre, mais que chacun s'éprouve soi-même. Il s'agit d'un jugement non public; d'un examen sans témoin. « Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit le jugement du Seigneur (29) ».

Que dites-vous, je vous en prie? Cette table, cause de tant de biens, et qui nous verse la vie, devient elle-même notre jugement? Ce n'est pas, dit l'apôtre, en vertu de sa nature propre, mais de la volonté de celui qui s'en'approche. En effet, de même que la présence de cette table, qui nous procure de grands et ineffables biens, ne fait que condamner davantage ceux qui ne les reçoivent pas, ainsi ces mystères ne servent qu'à assurer un plus terrible supplice à ceux qui y participent indignement. Mais pourquoi mange-t-il son jugement? « Ne faisant point le discernement du corps du Seigneur »; c'est-à-dire, n'examinant pas, ne considérant pas, comme il faudrait le faire, la grandeur des biens qui nous sont proposés, et l'excellence du don. Si vous appliquez tous vos soins à comprendre quel est celui qui se livre, et à qui il se livre; vous n'aurez pas besoin d'une autre raison. Cette réflexion vous suffira pour vous tenir en éveil, à moins que vous ne soyez tombés dans une léthargie bien profonde. « C'est pour cette raison qu'il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort (30) ». Ici, l'apôtre n'emprunte plus des exemples étrangers, comme il l'a fait au sujet des viandes consacrées aux idoles. On l'a entendu alors raconter les vieilles histoires, les plaies infligées dans la solitude. Il prend ses exemples chez les Corinthiens eux-mêmes ; ce qui donnait plus de force à son discours. Après avoir dit : « Mange son jugement et se rend coupable », ne voulant pas paraître produire uniquement des paroles, il y joint des faits; il prend les Corinthiens eux-mêmes à témoin, et, argument plus vif et plus pénétrant que les menaces, il montre que les menaces sont devenues des réalités. Et il ne se borne pas à ce spectacle, il parle aussitôt de l'enfer, et il le prouve, et il inspire une double terreur, et il résout une question dont on s'occupait partout. Le peuple se demande, en effet, d'où viennent les morts prématurées, d'où viennent les maladies interminables; l'apôtre répond que tant de coups imprévus ont pour cause le péché.

2802 2. Quoi donc, me direz-vous, ceux qui se portent toujours bien, et qui parviennent à une vieillesse vigoureuse, ne sont-ils pas, eux aussi, des pécheurs? Qui soutiendrait le contraire? Eh bien donc, me direz-vous, pourquoi ne sont-ils pas punis? parce qu'ils le seront plus tard, d'une manière plus terrible. Quant à nous, si nous le voulons, ni sur cette terre, ni ailleurs, nous ne serons punis. « En effet, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu (31) ». L'apôtre ne dit pas, si nous nous corrigions nous-mêmes, si nous nous imposions un châtiment, il se borne à dire : Si nous voulions reconnaître nos péchés, si nous voulions nous-mêmes réprouver nos mauvaises actions, nous serions affranchis et du supplice présent et du supplice à venir. Car celui qui se condamne lui-même, apaise Dieu à double titre : et parce qu'il reconnaît ses péchés, et parce que dans la suite il est moins prompt à en commettre d'autres. Eh bien, quoique nous rie nous soumettions pas même à cette légère obligation, le Seigneur, même malgré notre négligence, ne veut pas nous envelopper dans le châtiment universel ; il nous fait grâce en nous punissant, ici-bas, sur cette terre, où le supplice est momentané, et renferme une grande consolation. Car c'est, à la fois, l'affranchissement du péché, et le doux espoir du bonheur à venir, si bien fait pour adoucir les épreuves du temps présent. Voilà ce que dit l'apôtre pour consoler les infirmes, et pour ranimer, en même temps, le zèle des autres. De là, ses paroles : « Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous reprend (32) ». L'apôtre ne dit pas : Qui nous châtie ; il ne dit pas : Qui nous livre au supplice, mais : « Qui nous reprend », ce qui ressemble bien plus à un avertissement qu'à une condamnation; à un remède qu'à un supplice ; à une correction qu'à un châtiment.

Et l'apôtre ne se contente pas de ces paroles; mais, en montrant la peine plus terrible dont nous sommes menacés, il nous rend plus légère, encore la peine présente : « Afin que nous ne soyons. pas condamnés avec le monde ». Voyez-vous comme il nous fait voir (482) et la géhenne, et ce tribunal horrible, et la nécessité de l'enquête, de la punition à venir; car si les fidèles, si ceux dont le Seigneur prend soin ne doivent pas obtenir l'impunité de leurs fautes, comme le prouvent les douleurs présentes, à bien plus forte raison les infidèles et ceux qui commettent de grands crimes et dont la conscience est incurable. « C'est pourquoi, mes frères, quand vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres (33) ». Il profite de la crainte encore vive de l'enfer, du tremblement qu'elle leur cause, pour les avertir une seconde fois de ce qu'ils doivent aux pauvres. Voilà pourquoi il a fait tout ce discours, il a voulu leur montrer que le mépris pour les pauvres, les rend indignes de la communion; que si le refus de répandre largement l'aumône suffit pour écarter de cette table, à bien plus forte raison le vol et le rapt. Et l'apôtre ne dit pas C'est pourquoi lorsque vous vous rassemblez, donnez aux indigents; mais, ce qui était plus délicat: « Attendez-vous les uns les autres ». Ce conseil en effet préparait, renfermait l'autre, rendait l'avertissement plus convenable. L'apôtre se remet ensuite à les confondre : « Si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui (34) ». Cette permission était plus éloquente pour retenir qu'une défense formelle ; cette manière d'exclure de l'Eglise, de renvoyer le coupable chez lui; est un moyen adroit pour lui infliger une vigoureuse réprimande, et de le ridiculiser comme un esclave de son ventre, qui ne saurait attendre pour manger. L'apôtre ne dit pas : Si quelqu'un méprise les pauvres, mais : Si quelqu'un est pressé de manger. Il a l'air de s'adresser à des enfants qui ne savent pas endurer la faim, à des brutes esclaves de leur ventre; c'eût été chose absolument ridicule que le pressant désir de manger les eût retenus chez eux.

L'apôtre y joint encore une réflexion terrible : « Afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation ». Afin que vous ne vous exposiez pas au châtiment, au supplice, en insultant l'Eglise, en faisant rougir votre frère. Si vous vous rassemblez, dit-il, c'est pour vous prouver une affection mutuelle, pour recevoir et vous prêter assistance. Si le contraire doit arriver, mieux vaudrait manger chez vous. Ce qu'il ne disait que pour mieux les attirer. Voilà pourquoi il montre le grand tort qu'ils se font et la gravité de leur faute; par tous les moyens il les effraye, par les mystères, par les maladies, par les morts, par tout ce qui a été dit précédemment. Ensuite, il les effraye encore d'une autre manière. Il leur dit : « Je règlerai les autres choses lorsque je serai venu ». Saint Paul parle ici ou de ce qu'il vient de marquer, ou de quelque autre chose. Il est vraisemblable qu'ils lui avaient soumis d'autres questions, et que l'apôtre n'avait pas pu faire entrer toutes les décisions dans sa lettre. Observez en attendant, dit-il, les avis que je vous ai donnés; maintenant si vous avez quelqu'autre chose à me dire, réservez-le pour mon arrivée. Il entend par là, comme je l'ai dit, ou la question présente ou quelques autres qui ne pressaient pas autant. Or, ce qu'il fait ici, c'est pour les rendre plus appliqués, attendu que l'inquiétude où ils seraient de son arrivée les porterait à s'amender. En effet, ce n'était pas un petit événement que l'arrivée de Paul, ce qu'il indiquait en ces mots : « Je vous irai voir et je reconnaîtrai quels sont les effets de ceux qui sont « enflés de vanité » ; et encore : « Comme si je ne devais pas aller vous trouver, il y en a parmi vous qui s'enflent de présomption», (
1Co 4,18) Et dans un autre passage encore: « Comme vous avez toujours été obéissants, ayez soin, non-seulement lorsque je « suis présent, mais encore plus en mon ab« sente, d'opérer votre salut avec crainte et a tremblement ». (Ph 2,12) Il ne promet donc pas de les aller voir uniquement pour affermir leur foi et prévenir leur relâchement, mais il leur marque même une raison pour laquelle il doit nécessairement les aller voir «Je règlerai les autres choses lorsque je serai venu ». Il montre que la nécessité de corriger d'autres désordres, quoique moins pressante; suffira pour l'attirer auprès d'eux.

2803 3. Puis donc qu'il nous est donné d'entendre toutes ces paroles, prenons grand soin des pauvres, réprimons notre ventre, affranchissons-nous de l'ivresse, appliquons-nous à nous rendre dignes de la participation aux mystères. Tout ce que nous avons à souffrir supportons-le avec résignation et en nous mêmes et dans les autres : ainsi les morts prématurées, ainsi les maladies interminables. Car c'est ce qui nous affranchit du supplice, c'est ce qui nous corrige, c'est ce qui nous donne le meilleur des avertissements. Qui tient ce langage? celui qui portait le Christ (483) parlant dans son coeur. Et pourtant même après ces paroles, nombre de femmes ont été assez dépourvues de sens pour surpasser par l'excès de leur deuil même les infidèles. Les unes s'ensevelissent dans leur douleur comme dans des ténèbres; les autres s'y abandonnent par ostentation pour éviter les accusations du monde; je dis que celles-ci n'ont pour elles aucune excuse. Afin qu'un tel ne m'accuse pas, disent ces femmes, eh bien que Dieu m'accuse; afin que des hommes plus insensés que des brutes ne nous condamnent pas, foulons aux pieds la loi du roi de l'univers. Quelle foudre n'attirerait pas un tel délire? Si après ton deuil on t'appelle à un repas, nul n'y trouvera à redire parce que la loi humaine trouve cette conduite dans l'ordre; et quand Dieu commande de ne pas pleurer, tous contredisent la loi.

Ne penses-tu pas à Job, ô femme, oublies-tu les paroles qu'il fit entendre, au jour désastreux où il perdit ses fils, paroles admirables qui ont décoré sa tête sacrée (le milliers de couronnes, qui ont publié sa gloire avec plus de retentissement que mille trompettes; ne penses-tu pas à la grandeur d'une telle infortune, à ce naufrage inouï, à cette tragédie étrange, étonnante. Tu n'as perdu, toi, qu'un fils ou un second ou un troisième, mais lui tant de fils à la fois et tant de filles; et celui qui avait tant d'enfants, le voilà tout à coup sans enfants, et ces entrailles ne furent pas peu à peu déchirées, mais tout à coup tout le fruit de ses entrailles en était arraché ; et cela non pas par la commune loi de la nature, non pas parce qu'ils étaient parvenus à la vieillesse, mais par une mort prématurée, violente, frappant tous ses enfants à la fois; et cela non pas en sa présence, près de lui, de telle sorte qu'en recueillant leur dernière parole, il pût avoir au moins quelque consolation de leur mort si cruelle. Ils meurent contre toute attente, dans la complète ignorance pour lui de ce qui arrive; et tous à la fois sont engloutis, et cette maison fut en même temps leur tombe et leur piège: mort non-seulement prématurée, mais escortée de mille sujets de douleur : tous dans la fleur de la jeunesse, tous doués de vertu, tous aimables, tous à la même heure, et de l'un ou de l'autre sexe, pas un survivant; et ils ne mouraient pas par une nécessité commune à tous les hommes; et ils lui étaient enlevés après la perte de tous ses biens, et c'était sans qu'il se sentit coupable d'aucun crime, ni lui, ni ses enfants, qu'il souffrait tous ces maux.

Un seul de ces coups suffisait à bouleverser l'âme; quand ils fondent tous ensemble sur une tête, mesurez, calculez la violence des flots, la fureur de la tempête. Et, douleur plus amère, cause de deuil plus cruelle que le deuil même, pourquoi était-il frappé, Job ne pouvait le comprendre. Aussi, dans son impuissance d'expliquer ce désastre, il s'en réfère à la volonté de Dieu : « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, il n'est arrivé que ce qui a plu au Seigneur; que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles des siècles». (
Jb 1,21) Et quand il prononçait ces paroles, il se voyait dans la dernière des misères, lui qui avait pratiqué toutes les vertus, et des scélérats, des imposteurs, il les voyait heureux, vivant dans les délices, comblés de toutes les prospérités. Et il ne fit entendre aucun de ces discours que débitent certains hommes sans énergie est-ce donc pour cela que j'ai nourri mes enfants, que je les ai entourés de tant de soins? est-ce donc pour cela que j'ai ouvert ma maison aux voyageurs ? après tant de courses pour les indigents, pour ceux qui étaient nus, pour les orphelins, voilà donc mon salaire! Au lieu de ces paroles, il prononça ce qui a plus de prix que tout sacrifice : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je m'en retournerai nu ». Que s'il a déchiré ses vêtements, rasé sa chevelure, ne vous en étonnez pas; c'était un père, un père qui aimait ses enfants, et il était bon que l'on pût voir sa tendresse naturelle et en même temps la sagesse qui le gouvernait. S'il n'eût rien fait pour exprimer sa douleur, on aurait pu attribuer sa sagesse à l'insensibilité, voilà pourquoi il montre et ce qu'il a d'entrailles et la sincérité de sa piété; il souffre, mais il n'est pas renversé. La lutte se poursuit et il acquiert encore d'autres couronnes pour sa réponse à son épouse : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n'en recevrons-nous pas aussi les maux? » (Jb 2,10) Il ne lui restait plus que sa femme ; tout s'était évanoui pour lui, ses enfants, ses trésors, jusqu'à son corps; et sa femme ne lui était laissée que pour le tenter, pour lui tendre des piéges. Voilà pourquoi le démon ne la lui enleva pas avec ses enfants; voilà pourquoi il ne demanda pas sa mort, sa mort violente ; il attendait de cette (484) femme de grands secours dans ses attaques contre ce saint personnage. Aussi le démon se la réserva comme l'arme la plus puissante à employer contre lui. Le démon se dit : Si j'ai par le moyen de la femme chassé l'homme du paradis, à bien plus forte raison pourrai-je avec son secours accabler l'homme sur son fumier.

2804 4. Et voyez l'habileté du démon; ce n'est pas après la perte des boeufs qu'il emploie cette machine, ni après celle des ânes ou des chameaux, ni quand la maison a été renversée, ni après que les enfants ont été ensevelis sous ses ruines : il laisse quelque temps l'athlète respirer; mais quand les vers pullulent, quand la peau tombe de toutes parts en putréfaction, quand les chairs consumées répandent l'infection, lorsqu'un feu plus ardent que tous les grils, que toutes les fournaises; lorsque la main même du démon torturait le patient, quand cette bête plus féroce que les plus féroces le déchirait et le dévorait, après tout le temps dépensé à composer cet horrible malheur; c'est alors qu'il amène cette femme auprès de l'infortuné desséché, épuisé. En effet, s'il se fût servi d'elle au commencement du désastre, elle ne l'aurait pas trouvé affaibli comme il l'était, elle n'aurait pu par ses discours exagérer, amplifier le malheur; mais c'est quand elle le voit après un si long temps altéré de délivrance, appelant à grands cris la fin de ses maux, c'est alors qu'elle s'approche vivement de lui. Il était accablé, brisé; il ne pouvait plus respirer; il désirait mourir. Ecoutez ses paroles : [Si je pouvais me donner la mort ou la demander à un autre, je le ferais (1).]

Voyez maintenant la malignité de la femme. Remarquez ses premières paroles, la pensée qui les lui inspire, c'est la longueur de la souffrance ; elle dit : « Jusques à quand sup« porterez-vous? » (
Jb 3,9) Réfléchissez; souvent même, dans des épreuves sans importance, de simples paroles amollissent les courages. Considérez ce que dut éprouver ce malheureux, que torturaient et ce discours et des souffrances trop réelles. Et ce qu'il y avait de plus affreux, c'est que ces paroles venaient

1. Ces paroles de Job, qui témoignent de son désespoir, ne se rencontrent pas dans les exemplaires que nous possédons actuellement. Elles sont néanmoins susceptibles d'une interprétation adoucie et conforme au vrai et au bien. Si je pouvais peut s'entendre dans le sens de s'il m'était permis, si je pouvais sans pécher.

de son épouse, d'une épouse qui était tombée avec lui et qui désespérait, et qui voulait pour cette raison le précipiter lui-même dans le désespoir. Voulons-nous d'ailleurs bien voir cette machine du démon approcher contre ce mur de diamant, écoutons les paroles mêmes. Quelles sont-elles? « Jusques à quand supporterez-vous en disant : encore un peu de temps, j'espère être sauvé? » Vos paroles, lui dit-elle, sont réfutées par le temps, qui s'allonge et ne montre aucune délivrance. Or ce que disait cette femme, ce n'était pas seulement pour le jeter, lui, dans le désespoir, c'était un reproche et une raillerie; car pendant qu'elle le troublait, il la consolait, il corrigeait ses paroles, il lui disait : attendez encore un peu de temps et bientôt viendra la fin de ces épreuves. Elle lui fait donc des reproches en lui disant: persisterez-vous encore maintenant à faire entendre les mêmes paroles ? Voilà déjà bien du temps de passé et nous ne voyons nullement la fin de ces maux. Et considérez la méchanceté : elle ne lui parle pas de ses boeufs, de ses brebis, de ses chameaux, elle savait bien que ce n'était pas là ce qui le tourmentait le plus; mais elle s'attaque tout de suite à sa tendresse naturelle en lui parlant de ses enfants. Elle l'avait vu au moment de cette perte déchirer ses vêtements, raser sa chevelure, et elle ne lui dit pas : vos enfants sont morts, mais de manière à émouvoir profondément la pitié : « Votre souvenir est détruit sur la terre », parce que c'est là ce qui donne tant de prix aux enfants.

En effet, si même de nos jours, malgré la foi en la résurrection à venir, ce qui donne du prix aux enfants, c'est qu'ils conservent le souvenir de ceux qui ne sont plus, c'était encore bien plus vrai alors. Voilà ce qui rend la malédiction plus amère ; dans l'imprécation on ne dit pas : que ses fils soient exterminés, mais : « Que sa mémoire périsse de dessus la terre » (Jb 18,17); ce qui veut dire: les fils et les filles. En effet, après avoir parlé de mémoire, elle distingue avec soin les deux sexes : Si ces choses ne vous touchent pas, regardez-moi au moins, pensez et « aux douleurs de mes entrailles, douleurs souffertes inutilement »; ce qui revient à dire: C'est moi qui ai souffert la plus grande douteur; j'ai été humiliée à cause de vous, j'ai subi les souffrances et j'en ai perdu tous les fruits. Et voyez, elle ne parle pas des pertes d'argent, (485) elle ne garde pas non plus le silence, elle ne l'effleure pas en courant, mais elle y touche d'une manière émouvante, elle l'indique par ces mots : « Et moi vagabonde, esclave, de lieu en lieu, de maison en maison, courant partout ». C'est ainsi qu'elle indique la perte et d'une manière tout à fait lamentable, car ces paroles mêmes grossissent le malheur : Je vais, dit-elle, aux portes des autres ; et non-seulement je mendie, mais encore je suis errante, je subis une servitude inattendue, nouvelle, allant de côté et d'autres partout, promenant partout les signes de mon malheur, montrant à tous les maux qui m'ont frappée; et ce qu'il y a de plus lamentable, c'est le perpétuel changement de demeure. Et ces lamentations ne s'arrêtent pas là, elle ajoute : « Attendant le coucher du soleil, je me reposerai des travaux et des douleurs qui m'entourent et me retiennent captive ». Ce qui est un charme pour les autres, l'aspect de la lumière, est un fardeau pour moi; je désire la nuit et les ténèbres; elles me donnent le repos après mes sueurs; elles sont dans mes malheurs ma seule consolation. « Mais maudissez le Seigneur et mourez ».

2805 5. Remarquez-vous ici encore la malignité elle n'introduit pas tout de suite dans le conseil qu'elle lui donne cette funeste exhortation; elle commence par un récit lamentable de toutes ses douleurs, elle développe la tragédie, quelques paroles lui suffisent pour l'exhortation. Et elle ne s'exprime pas clairement; elle l'insinue, elle lui propose ce qu'il y a de plus désirable, la délivrance, elle lui parle de la mort qui était le plus cher de ses voeux. Et concluez encore de là la perfide habileté du démon; il connaissait l'amour de lob pour Dieu ; il ne laisse pas la femme accuser Dieu de peur que Job ne l'écarte tout de suite loin de lui comme une ennemie. Aussi n'en parle-t-elle nulle part, mais elle présente le tableau confus de tout ce qui est arrivé. Quant à vous maintenant, outre tout ce qui a été dit, ajoutez que l'auteur de ce conseil, c'était une femme, orateur entraînant, pour séduire ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Nombre de gens, certes, sans même être frappés par les malheurs, sont tombés par le seul conseil des femmes. Que fait donc ce bienheureux Job, plus fort que le diamant? Il lui suffit de jeter sur elle un regard sévère et à première vue, avant de faire entendre sa

voix, il a renversé les machines de Satan. Cette femme s'attendait à voir jaillir des sources de larmes, mais Job, plus fougueux qu'un lion, se montra plein de colère et d'indignation non à cause de ses souffrances, mais à cause des conseils, inspirés du démon, que sa femme lui transmettait. Il lui suffit de sa manière de la regarder pour montrer son indignation, et il la réprimande avec mesure. En effet, même au sein du malheur il gardait la modération. Que lui dit-il ? « Vous avez parlé comme une femme qui n'a point de sens ». (
Jb 2,10)

Ce n'est pas là, dit-il, ce que je vous ai enseigné, ce n'est pas là ce que je vous ai appris; je ne vous reconnais pas pour ma compagne ; ces discours dénotent une femme insensée, ce conseil tient du délire. Comprenez-vous cette manière de trancher dans le mal avec mesure, cette cure suffisante pour la guérison? Après la réprimande, il apporte le conseil qui peut la consoler, et il prononce ces paroles si raisonnables : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n'en recevrons-nous pas aussi les maux? » Ressouvenez-vous, lui dit-il, de ces premiers biens, méditez en vous-même sur celui qui vous les a faits, et vous supporterez avec courage l'épreuve présente. Avez-vous compris cette modération? Ce n'est pas à son courage que Job attribue sa patience; il la montre comme une conséquence de la nature des choses. En effet, pour quelle rémunération de notre part Dieu nous a-t-il donné ces biens? En récompense de quoi? En récompense de rien, par un effet de sa seule bonté. C'était un don et non une rétribution; c'était une faveur et non une rémunération. Supportons donc avec force nos malheurs ; gravons cette parole dans nos coeurs, hommes et femmes gravons ces pensées dans notre âme, et, avec ces pensées, les pensées qui précèdent. Fixons l'histoire de ces malheurs, comme un tableau dans notre imagination ; je dis : perte d'argent, fils frappés de mort, plaies du corps, opprobres, dérisions, artifices d'une femme, piéges du démon, en un mot, toutes les douleurs de ce juste. Que ce soit pour nous comme un port préparé où nous chercherons un refuge, qui nous enseigne à tout supporter avec courage, en rendant à Dieu des actions de grâces, afin de passer la vie présente affranchie de toute tristesse; afin de mériter la récompense réservée à qui bénit Dieu, par la grâce et la bonté de (486) Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE XXIX. (12,1-2) - POUR CE QUI EST DES DONS SPIRITUELS, MES FRÈRES, JE NE VEUX PAS QUE VOUS IGNORIEZ CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR.

2900
VOUS VOUS SOUVENEZ BIEN QU'ÉTANT PAÏENS, VOUS VOUS LAISSIEZ ENTRAÎNER SELON QU'ON VOUS MENAIT VERS LES IDOLES MUETTES. (
1Co 12,1-2)

ANALYSE.

1. Sur la diversité des dons du Saint-Esprit. — Rivalité entre les chrétiens, à ce sujet. — Contre l'orgueil, d'une part, l'envie, de l'autre. — Différence entre les prophètes inspirés de Dieu et les devoirs du paganisme ; manière de les reconnaître.
2. Quelle que soit la diversité des dons, ils viennent tous d'un seul et même esprit.
3. Explication de chacun de ces dons différents.
4 et 5. De l'Esprit, égal au Père et au Fils, agissant de lui-même, sans être mis en mouvement par une cause étrangère à lui. — Il ne faut pas critiquer la distribution que Dieu fait de tous les biens.
6. Vanité des richesses. — Exhortation à les mépriser.


2901 1. Tout ce passage est fort obscur; l'obscurité tient à l'ignorance où nous sommes des prodiges qu'on voyait alors, et qui n'arrivent plus aujourd'hui. Et pourquoi n'arrivent-ils plus aujourd'hui ? Voici que le besoin d'expliquer l'obscurité nous suggère une question nouvelle. Pourquoi ce qui arrivait alors, ne se présente-t-il plus aujourd'hui ? Remettons à un autre jour la dernière partie de la question. En attendant, disons ce qui se passait autrefois. Donc, autrefois qu'arrivait-il? Après le baptême, tout de suite, on parlait différentes langues, et il y avait plus que le don des langues; un grand nombre de personnes prophétisaient; quelques-unes manifestaient encore d'autres facultés puissantes. En effet, on venait de quitter les idoles, les nouveaux venus n'avaient aucune idée claire; ils n'avaient pas appris ce qui se trouve dans les anciens livres; alors, au moment du baptême, ils recevaient l'Esprit. L'Esprit, ils ne le voyaient pas, puisqu'il est invisible, mais la grâce donnait une preuve sensible de la merveilleuse opération. L'un parlait la langue des Perses; un autre, celle de Rome; un autre, celle des Indes; un autre encore, une autre langue, et tout de suite ; et c'était, pour les hommes du dehors, la preuve que l'Esprit-Saint était dans celui qui parlait.

Voilà pourquoi l'apôtre, exprimant ce fait, dit : « La manifestation de l'Esprit a été donnée à chacun pour l'utilité »
1Co 12,7. Il donne ce nom de manifestation de l'Esprit aux dons et aux grâces spirituelles. Les apôtres, ayant reçu ce premier signe de la présence de l'Esprit, les fidèles aussi reçurent le don des langues; et non-seulement ce don, mais d'autres encore, en très-grand nombre. Car beaucoup de personnes ressuscitaient les morts, et chassaient les démons, et opéraient encore beaucoup de miracles du même genre. Ils avaient donc tous leur part de ces dons ; les uns plus, les autres moins. Mais le don des langues était toujours le plus ordinaire.

Et ce fut ce don qui fut une cause de schisme à Corinthe, non par sa nature propre, (487) mais par l'ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l'égard de ceux qui l'étaient moins bien; ces derniers, à leur tour, s'affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C'est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s'éteignait; l'apôtre s'applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand; aussi, dans l'épître aux Romains, l'apôtre touche ce point, mais d'une manière enveloppée, et sans y insister; il dit : « Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n'ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne sommes néanmoins qu'un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C'est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l'analogie et la règle de la foi; que celui qui est appelé au ministère s'attache à son ministère; que celui qui a reçu le don d'enseigner s'applique à enseigner ». (Rm 12,4-7) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l'orgueil, c'est ce que l'apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : « Or, je vous exhorte tous, selon le ministère qui m'a été donné par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes; mais de vous tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous». (Rm 12,3)

Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l'orgueil n'avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l'apôtre s'applique ardemment à la correction; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n'était pas, chez eux, la seule cause de trouble; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre; ce qui n'est pas étonnant dans une ville infectée des moeurs grecques et païennes; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l'apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S'ils ont reçu le don de discernement des esprits, c'est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l'Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l'esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ; car ce n'est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité; il n'était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l'imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d'impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d'annoncer l'avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n'avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu'à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l'erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l'apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l'événement, le vrai prophète de l'imposteur. C'est de là qu'il prend occasion de parler des faveurs de l'Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées.

C'est par les devins qu'il entre en matière, et il commence ainsi : « Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir » 1Co 12,1. Il appelle ces signes « spirituels », parce que c'est le Saint-Esprit seul qui les opère, l'homme n'étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d'engager la discussion, il commence, ainsi que je l'ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : « Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes » 1Co 12,2; voici la pensée de l'apôtre : Lorsque quelqu'un autrefois auprès des idoles était saisi de l'esprit impur, et parlait en devin de l'avenir, l'esprit impur se saisissait de lui, s'en rendait maître, le poussait et l'entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu'il disait. Car c'est là le propre du devin; il est hors de lui; c'est une violence qu'il subit ; on le pousse, on le traîne; il est comme un furieux dont on s'empare; pour le prophète, il n'en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles. (488) Vous pouvez donc, à ces marques, sans attendre l'événement, faire la distinction du devin et du prophète. Et voyez comment l'apôtre rend son discours non suspect; il appelle en témoignage ceux-mêmes que l'expérience a pu instruire; je ne mens pas, dit-il, je n'accuse pas au hasard les païens; je ne suis pas un ennemi qui forge des histoires ; soyez vous-mêmes mes témoins; car vous savez bien vous-mêmes qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner. Si on soupçonne leur témoignage parce que ce sont des fidèles, eh bien ! l'emprunterai aux hommes qui sont hors de l'Église, un témoignage qui sera une preuve éclatante. Écoutez donc Platon qui dit formellement que les devins, et ceux qui rendent des oracles, disent souvent de fort belles choses, mais sans avoir conscience des paroles qu'ils prononcent. Écoutez aussi un autre poète faisant la même observation : Il s'agit d'un homme, qu'après certaines initiations et pratiques superstitieuses, on avait livré au démon; cet homme faisait entendre des prédictions, mais, dans tout le cours de ses prédictions, il était violemment renversé, déchiré, incapable de supporter la violence du démon; brisé, rompu, il allait rendre l'âme, il s'écrie, en s'adressant à ceux qui présidaient à cette magie :

Assez, car un mortel ne soutient pas un Dieu.


Et encore :
Assez, au lieu de fleurs épanchez l'onde pure

Sur mes pieds ; baignez-moi, rendez-moi ma nature.


Ces paroles et d'autres semblables (il en est un grand nombre que l'on pourrait citer) nous montrent deux choses à là fois : la nécessité, qui contraint les démons à la servitude ; la violence subie par ceux qui se sont une fois livrés au démon, et qui sont sortis de l'état naturel de leur âme. Quant à la Pythie (je suis bien forcé d'étaler encore une autre honte des païens, il vaudrait mieux n'en pas parler; il est peu convenable, pour nous, de nous occuper de pareilles aberrations; il est pourtant nécessaire de mettre au jour ces infamies, afin de vous faire comprendre le délire de cette conduite, le ridicule de ceux qui ont recours aux devins) ; donc on rapporte que cette femme, la Pythie, s'asseyait sur le trépied d'Apollon, les jambes écartées; ensuite l'esprit pervers, s'échappant de l'enfer, per genitales ejus partes subiens, la remplissait de son délire, et alors la malheureuse, les cheveux épars, comme une bacchante, écumait, et c'est dans cet état qu'elle faisait entendre les paroles de son ivresse furieuse; je sais bien que vous avez honte, que vous rougissez à de tels récits, mais voilà la haute sagesse de ces païens, cherchez-la dans ce honteux délire.

2902 2. C'est donc pour corriger ces habitudes et toutes celles du même genre, que Paul disait: « Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes ». Et, comme il s'adressait à des auditeurs parfaitement instruits, il n'insiste pas sur tous les détails, il ne veut pas les fatiguer; il se contente de leur rappeler les faits en général, et aussitôt il termine et reprend ce qu'il s'est proposé. Maintenant que signifie : « Vers les idoles muettes? » 1Co 12,2 Ces devins étaient traînés vers ces idoles, mais si elles étaient muettes, comment pouvaient-ils s'en servir? Pourquoi le démon entraînait-il auprès de ces statues ces malheureux, captifs et enchaînés? Le démon voulait, par là, donner à l'imposture une certaine vraisemblance. Il ne fallait pas que la pierre parût muette; il s'efforçait donc d'y attacher des hommes pour qu'on pût attribuer aux idoles les discours que ces hommes faisaient entendre. Mais il n'en est pas de même chez nous ; nous ne devons rien au démon, je veux dire que nous ne lui devons pas les paroles de nos prophètes. En effet, dans leurs discours, tout exprimait ce qu'ils voyaient clairement; dans leurs discours, la prophétie, pleine de décence, avait conscience d'elle-même et s'exprimait en toute liberté. Aussi était-il en leur pouvoir, et de parler et de ne pas parler, nulle nécessité ne les contraignait; ils avaient en partage, et la puissance, et l'honneur de cette puissance. Voilà pourquoi Jonas prend la fuite; pourquoi Ezéchiel diffère; pourquoi Jérémie refuse. Dieu n'exerce pas sur eux de contrainte, il agit par conseils, par exhortations, par des menaces; il ne répand pas de ténèbres dans leur esprit. C'est le propre du démon d'exciter le tumulte, le délire, de répandre dans les âmes l'obscurité; Dieu au contraire illumine; il enseigne en faisant comprendre à l'esprit ce qu'il faut. Voilà donc la première différence entre le devin et le prophète.

Maintenant, il en est une seconde, que l'apôtre indique par ces paroles: « Je vous déclare donc que nul homme, parlant par l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus» ; ensuite, une autre différence encore : « Et que nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit (1Co 12,3) ». Quand vous voyez, dit l'apôtre, un homme qui, loin de proclamer le nom de Jésus, lui dit : Anathème, c'est un devin; au contraire, quand vous voyez un homme qui ne parle qu'au nom de Jésus, vous devez croire que cet homme est animé par l'Esprit. Que penserons-nous donc, me dira-t-on, des catéchumènes, car si nul ne peut prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus, que par la grâce de l'Esprit-Saint, que dirons-nous de ceux qui prononcent bien ce nom, mais sans avoir encore reçu l'Esprit? Ce n'est pas d'eux que l'apôtre s'occupe en ce moment, il n'y en avait point alors; il ne parle que des fidèles et des infidèles. Eh quoi, n'y a-t-il aucun démon qui nomme Dieu? Est-ce que les démoniaques ne disaient pas : « Nous savons que vous êtes le Fils de Dieu ? » (Mc 1,24) Est-ce qu'ils ne disaient pas à Paul : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ? » (Ac 16,17) Mais ils parlaient ainsi sous les coups de fouet; mais ils étaient forcés; au contraire, livrés à eux-mêmes et ne subissant pas les coups de fouet, jamais ils ne rendaient ce témoignage. Ici, il peut être à propos de rechercher pourquoi le démon tenait ce langage, et d'où vient que Paul le réprimanda. C'est que Paul imitait son maître; le Christ aussi réprimanda les démons; le Christ ne voulait pas de leur témoignage. Pourquoi ? parce que le démon n'agissait ainsi que pour tout confondre, pour arracher aux apôtres leur autorité ; pour persuade à la foule de se fier à lui. Si ce malheur fût arrivé, il n'aurait pas été difficile aux démons d'inspirer de la confiance, et ils auraient introduit, parmi les hommes, leur perversité. C'est pour prévenir ce désastre, pour exterminer, dès le commencement, l'imposture, qu'alors même que les imposteurs disent vrai, le Christ leur ferme la bouche, afin que, quand ils diront leurs mensonges, personne ne soit prêt à les croire, afin que tous leurs discours trouvent les oreilles fermées.

Après la distinction entre les devins et les prophètes, après avoir marqué le premier et le second signe qui les distinguent, l'apôtre s'occupe enfin des miracles. Et ce n'est pas sans raison qu'il passe à ce sujet ; il veut faire cesser la discorde qu'a causée la diversité des prérogatives ; il veut persuader, à ceux qui en ont moins, de ne pas s'affliger; à ceux qui en ont plus, de ne pas s'enorgueillir. Voilà pourquoi il commence ainsi : « Or il y a diversité de dons spirituels, mais il n'y a qu'un même Esprit (1Co 12,4) ». Il s'occupe d'abord de celui qui a un don moins considérable, et qui, pour cette raison, s'afflige. Pourquoi, lui dit-il, vous tourmentez-vous? Parce que vous n'avez pas reçu autant qu'un autre? Mais pensez donc que ceci est un don qu'on vous fait, non une dette qu'on vous paie, et cette pensée vous consolera. Voilà pourquoi l'apôtre s'empresse de dire : « Il y a diversité de dons spirituels ». Il ne dit pas, de signes ni de miracles, mais : « De dons spirituels ». Ce mot « dons » est pour persuader non-seulement qu'on ne doit pas s'affliger, mais qu'on doit rendre à Dieu des actions de grâces. Et en outre, dit-il, réfléchissez encore à ceci qu'alors même que votre don est moindre, vous avez cependant été jugé digne de puiser à la même source que celui qui reçoit plus; vous avez un honneur égal, car vous ne pouvez pas dire qu'il a reçu de l'Esprit, lui, et que vous n'avez reçu que d'un ange; aussi bien pour vous que pour lui, c'est l'Esprit qui a été donné. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « Mais il n'y a qu'un même Esprit ».

2903 3. C'est pourquoi, s'il y a différence dans le don, il n'y en a pas dans celui qui l'a fait; car c'est à la même source que vous avez puisé, vous et l'autre. « Il y a diversité de ministère, mais il n'y a qu'un même Seigneur ». Pour donner une autorité, à la fois plus considérable et plus douce à la consolation, il ajoute : « Et le Fils et le Père (1Co 12,5) ». Et voici qu'il appelle ces dons d'un autre nom, afin de retirer, du changement même de nom, un surcroît de consolation. Voilà pourquoi il dit : « Il y a diversité de ministère, mais il n'y a qu'un même Seigneur ». En effet, celui qui n'entend parler que de don, et qui reçoit moins, peut avoir sujet de se plaindre; mais quand il s'agit de ministère, il n'en est pas de même; car un ministère suppose du travail et des sueurs. Qu'avez-vous donc à vous plaindre, dit l'apôtre, si le Seigneur a commandé à un autre un plus grand travail, et vous a (490) ménagé? « Et il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité (1Co 12,6-7) ». Et que signifie « opérations? » que signifie « dons? » Va-t-on me demander que signifie « ministère? » Les noms seuls sont différents; les choses sont les mêmes. Le don n'est pas autre chose que le ministère, et c'est encore la même chose que l'opération, car l'apôtre dit : « Remplissez votre ministère » (2Tm 4,5) ; et : « Je glorifie mon ministère » (Rm 11,13) ; et il écrit à Timothée : « C'est pourquoi je vous avertis de rallumer ce don de Dieu qui est en vous » (2Tm 1,6); et il écrit encore aux Galates : « Car celui qui a opéré dans Pierre pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi opéré en moi, pour me rendre l'apôtre des gentils ». (Ga 2,8) Voyez-vous comme il ne fait aucune différence entre les dons du Père et du Saint-Esprit? Ce n'est pas qu'il confonde les personnes; loin de nous cette pensée, mais il montre l'égalité d'honneur; car ce qu'accorde la libéralité de l'Esprit, c'est Dieu qui l'opère, et c'est le Fils qui le dispense et le fournit, selon l'apôtre. Si une des personnes était moindre que l'autre, la troisième moindre que la seconde, assurément l'apôtre n'aurait pas disposé ainsi sa consolation; il ne se serait pas avisé de ce moyen pour consoler celui qui s'afflige.

Et maintenant l'apôtre a encore une autre manière de consoler; c'est que la mesure même du don est précisément dans l'intérêt de celui qui l'a reçu, quelle qu'en soit l'infériorité. En effet, après avoir dit : « Le même Esprit, le même Seigneur, le même Dieu » ; après avoir ainsi réconforté celui qui se plaint, il ajoute une autre consolation: « Or, les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité » 1Co 12,7. En effet, on aurait pu dire : que m'importe, que ce soit le même Seigneur, le même Esprit, le même Dieu, si moi j'ai moins reçu ? L'apôtre dit que la mesure même a son utilité. Il entend par ces dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, les signes miraculeux, et c'est avec raison. En effet, pour moi fidèle, ce qui me prouve qu'un tel possède l'Esprit, c'est qu'un tel a été baptisé; au contraire, pour l'infidèle, il n'y a aucune preuve que les signes. C'est pourquoi la consolation qui en résulte, n’est pas à dédaigner. Les dons ont beau être divers, la manifestation n'en est pas moins la même. Que vous ayez reçu beaucoup, reçu peu, vous le manifestez également. C'est pourquoi, si vous tenez à montrer que vous possédez l'Esprit, vous possédez suffisamment la preuve qui le manifeste. Puis donc que c'est un seul et même auteur qui accorde les dons, puisque chaque don est gratuit, puisque la manifestation qui le révèle, en découle, puisque la mesure est dans votre plus grand intérêt, gardez-vous de vous plaindre, comme si vous étiez méprisés. Dieu ne veut pas vous faire honte; ce n'est pas pour vous mettre en état d'infériorité, qu'il agit ainsi envers vous; c'est parce qu'il vous ménage, c'est parce qu'il considère votre intérêt. Recevoir un fardeau que l'on ne peut porter, c'est là ce qui est inutile, nuisible, et fait pour causer du chagrin. « L'un reçoit du Saint-Esprit, le don de parler dans une haute sagesse; un autre reçoit du même Esprit, le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit, la grâce de guérir les maladies (1Co 12,8-9) ». Voyez-vous partout cette réflexion : « Du même Esprit, par le même Esprit? » L'apôtre sait bien qu'il en résulte une grande consolation. « Un autre, le don de faire des miracles; un autre, le don de prophétie; un autre, le nom du discernement des esprits; un autre, le don de parler diverses langues; un autre, le don de l’interprétation des langues (1Co 12,10) ». Ce qui constituait la plus haute sagesse, c'est ce que l'apôtre a exprimé en dernier lieu, et il ajoute : « Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (1Co 12,11) ». Le baume consolateur universel, c'est que tous cueillent les fruits de la même racine, prennent au même trésor, s'abreuvent au même courant. Voilà pourquoi il reprend sans cesse la même observation; pour effacer l'inégalité apparente, pour consoler. Plus haut, il montre le Saint-Esprit; le Fils, le Père communiquant leurs dons; ici, au contraire, il lui suffit de montrer l'Esprit, afin de vous apprendre, par cela même, l'égalité de dignité.b

Maintenant, que signifie « le don de parler dans une haute sagesse? » C'est le don de Paul, le don de Jean, le fils du tonnerre. Qu'est-ce que le don de parler avec science? c'est le don (491) d'un grand nombre de fidèles, possédant la science, mais incapables d'enseigner, incapables de communiquer aux autres ce qu'ils savaient. « Un autre reçoit le don de la foi » 1Co 12,9 ; il ne s'agit pas de la foi qui regarde les dogmes, mais de la foi des miracles, de laquelle le Christ dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait ». (Mt 17,19) C'est la foi que demandaient les apôtres: « Augmentez en nous la foi » (Lc 17,5) ; c'est là la mère des miracles. Le pouvoir des opérations miraculeuses, et la grâce de guérir les maladies, ce n'est pas la même chose : celui qui avait la grâce de guérir les maladies, ne faisait que soigner les malades; quant à celui qui opérait des miracles, il avait aussi le pouvoir de châtier; car le pouvoir ne consiste pas seulement à guérir, mais à punir aussi ; c'est ainsi que Paul a frappé de cécité, que Pierre a puni de mort. « Un autre, le don de prophétie; un autre, le don du discernement des esprits». Qu'est-ce que cela veut dire, du discernement des esprits? » C'est deviner quel homme est animé par l'Esprit ; quel homme n'est pas animé par l'Esprit; quel homme est prophète, quel homme est un imposteur. C'est ce qu'il disait aux Thessaloniciens : « Ne méprisez pas les prophéties; éprouvez tout, et approuvez ce qui est bon ». Il y avait alors une infection de faux prophètes, le démon faisant tous ses efforts pour substituer le mensonge à la vérité. « Un autre, le don des langues; un autre; le don de l'interprétation des langues ». Le premier savait bien ce qu'il disait, mais sans pouvoir l'expliquer à un autre; celui qui savait interpréter, possédait les deux dons, ou l'un des deux.

2904 4. Or, ce don paraissait considérable, car c'était le premier qu'avaient reçu les apôtres; et, parmi les Corinthiens, un grand nombre jouissaient de ce privilège; le don de l'enseignement était moins considéré : voilà pourquoi l'apôtre met celui-ci au premier rang, et le don des langues au dernier. C'est, en effet, pour l'enseignement que le don des langues existe aussi bien que celui de la prophétie et des miracles.

Rien n'égale le don de l'enseignement, et voilà pourquoi l'apôtre disait : « Que les prêtres qui gouvernent bien, soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l'instruction des peuples ». (
1Tm 5,17) Et il écrit à Timothée : « En attendant que je vienne, appliquez-vous à la lecture, à l'exhortation et à l'instruction; ne négligez pas la grâce qui est en vous ». (1Tm 4,13-14) Voyez-vous comme il donne, à ce talent, le nom de grâce. Ensuite, la consolation qu'il a déjà proposée, en disant : « Le même Esprit », il la répète ici : « C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît».

Or, ici, l'apôtre fait plus que consoler; il ferme encore la bouche aux contradicteurs, lorsqu'il dit : « Distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît ». C'est qu'il faut savoir user de sévérité, il ne faut pas seulement se borner à guérir ; c'est ainsi que, dans l'épître aux Romains, il dit : « Qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? » (Rm 9,20) Il fait de même ici : « Distribuant à chacun selon qu'il lui plaît », et il montre que ce qui appartient au Père, appartient en même temps à l'Esprit, car, de même qu'en parlant de Dieu, Paul dit : « Il n'y a qu'un même Dieu, qui opère tout en tous » 1Co 12,6 ; de même, en parlant de l'Esprit : « Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses » 1Co 12,11. Mais, dira-t-on, c'est un Esprit mis en mouvement par Dieu; l'apôtre n'en dit rien nulle part; c'est vous qui forgez cette idée. En effet, lorsque l'apôtre dit : « Qui opère tout en tous », c'est des hommes qu'il parle, et certes il ne va pas compter l'Esprit parmi les hommes; vous aurez beau entasser mille extravagances, mille inepties. En effet, si l'apôtre dit : « Par l'Esprit », 1Co 12,8 afin de prévenir l'erreur qui prendrait ce « par » pour une diminution de l'énergie de l'Esprit, qui s'imaginerait que l'Esprit est mis en mouvement, l'apôtre a bien soin d'ajouter: « Que l'Esprit opère » 1Co 12,11, non pas qu'il est mis en mouvement de manière à opérer; « que l'Esprit opère, selon qu'il lui plaît » 1Co 12,11, non pas selon l'ordre qu'il reçoit. En effet, de même que le Fils dit, en parlant du Père : « Il réveille et vivifie les morts », et semblablement de « lui-même : « Il vivifie ceux qu'il lui plaît » (Jn 5,21); de même, en parlant de l'Esprit, il dit ailleurs, qu'il fait tout avec une souveraine puissance, que rien ne résiste à (492) sa volonté (car cette expression : « L'Esprit souffle où il veut » (Jn 3,8), quoique appliquée au vent, prouve néanmoins ce que nous disons) Et maintenant ici l'apôtre dit : « Il opère toutes choses, selon qu'il veut » 1Co 12,11. Ecoutez ce qui prouve encore que l'Esprit n'est pas de ceux que met en mouvement une opération étrangère, mais que l'Esprit opère par lui-même : « Car », dit l'apôtre, « qui connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu que l'Esprit de Dieu ». (1Co 2,11) Que l'esprit de l'homme, c'est-à-dire son âme, n'ait pas besoin d'une opération du dehors pour connaître ce qui la concerne, c'est ce que tout le monde sait. Et, de même, l'Esprit-Saint se suffit à lui-même pour connaître ce qui concerne Dieu. C'est ainsi que l'Ecriture dit : l'Esprit-Saint connaît les secrets de Dieu, comme l'âme humaine connaît les secrets de l'homme. Si notre âme n'est pas excitée à cette connaissance par une opération qui lui soit étrangère, à bien plus forte raison est-ce vrai de celui qui connaît la profondeur de Dieu. Et il n'y a pas une opération quelconque, étrangère à lui, qui le porte à donner ses grâces aux apôtres.

Maintenant, j'ajouterai ici une autre réflexion que j'ai déjà faite. Quelle est-elle ? Si l'Esprit était inférieur, et d'une autre substance, la consolation présentée par l'apôtre aurait été nulle; à quoi aurait-il servi d'apprendre que c'est le même Esprit? Quand on reçoit les présents d'un roi, la plus grande des jouissances, c'est que le roi vous a fait lui-même le présent; au contraire, on s'afflige de recevoir d'un esclave, d'être forcé de lui savoir gré du don que l'on a reçu. Ainsi, voilà encore une preuve que l'Esprit n'est pas d'une substance servile, mais royale. Voilà pourquoi, de même que l'apôtre a consolé les fidèles par ces paroles : « Il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur; il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu » 1Co 12,5-6; de même qu'après avoir dit plus haut : « Il y a diversité de dons spirituels, mais il n'y a qu'un même Esprit » 1Co 12,4 ; après toutes ces observations, il ajoute encore : « C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plait » 1Co 12,11. Donc, ne nous tourmentons pas, dit l'apôtre, ne nous affligeons pas en disant : Pourquoi ai-je reçu ceci, pourquoi n'ai-je pas reçu cela? N'exigeons pas de comptes de l'Esprit-Saint. Comprenez que le don qu'il vous a fait, il vous l'a fait dans votre intérêt, qu'il l'a mesuré dans votre intérêt; aimez-le donc, et réjouissez-vous de ce que vous avez reçu; ne vous affligez pas de n'avoir pas reçu d'autres dons; au contraire, rendez grâces à Dieu de n'avoir pas reçu plus que vous ne pouviez supporter.

2905 5. Et maintenant, si en ce qui concerne les dons spirituels, il faut fuir une curiosité inquiète, à bien plus forte raison faut-il y renoncer, en ce qui concerne les biens de la terre; il faut se tenir en repos, et ne pas s'enquérir curieusement pourquoi un tel est-il riche, pourquoi un tel est-il pauvre? Assurément, chaque homme n'a pas reçu de Dieu la richesse; il en est beaucoup qui doivent leur fortune à l'injustice, à la rapine, à l'avarice. Celui qui nous a ordonné de fuir la richesse, comment nous aurait-il donné ce qu'il nous défend de recevoir? Mais je veux réfuter plus énergiquement encore ceux qui nous contredisent ici. Eh bien ! faisons remonter notre discours jusqu'au temps où Dieu a départi les richesses, et, répondez-moi, pourquoi Abraham était-il riche, et Jacob manquant de pain? N'étaient-ils pas également justes l'un et l'autre? Dieu n'a-t-il pas dit également des trois : « Je suis le Dieu d'Abraham, et d'Isaac, et de Jacob? » (Ex 3,6) Pourquoi donc l'un était-il riche, tandis que l'autre se louait comme un mercenaire? ou plutôt : Pourquoi l'injuste et fratricide Esaü était-il riche, et Jacob si longtemps dans la servitude? Pourquoi encore Isaac vécut-il si longtemps dans la tranquillité ; Jacob, au contraire, dans les fatigues et dans les douleurs? Aussi disait-il: « Mes jours ont été peu nombreux et malheureux ». (Gn 47,19) Pourquoi David, qui fut un prophète et un roi, a-t-il passé tout le temps de sa vie dans les tourments? Pourquoi Salomon, son fils, durant quarante années, a-t-il joui plus que personne de la sécurité, de la profonde paix, a-t-il été comblé de gloire, d'honneurs, a-t-il eu tous les plaisirs? Pourquoi, parmi les prophètes, l'un était-il plus affligé, l'autre moins ? C'est qu'il était de l'intérêt de chacun d'eux qu'il en fût ainsi.

Aussi faut-il dire, pour chacun d'eux : « Vos jugements sont un abîme très-profond ». (Ps 35,7) Si Dieu n'exerçait pas ces (493) grands personnages, ces hommes admirables, en les soumettant aux mêmes traitements ; s'il éprouvait, celui-ci par la pauvreté, cet autre, par les richesses; celui-ci, en lui accordant la vie tranquille; cet autre, en le soumettant aux afflictions; à bien plus forte raison, devons-nous méditer cette conduite appliquée à nous-mêmes. Et, en outre, une pensée que nous devons méditer, c'est que, des nombreux malheurs qui nous arrivent, la cause n'est pas dans la volonté de Dieu, mais dans notre perversité. Ne dites donc pas : pourquoi celui-ci est-il riche, quoique pervers ; celui-là pauvre, quoique juste? car la réponse est facile; le juste ne reçoit aucune atteinte de la pauvreté; au contraire, elle rehausse sa gloire; le méchant ne trouve, dans les richesses, qu'une voie qui le conduit au châtiment, s'il ne se convertit; et, de plus, même avant le châtiment, les richesses lui ont causé des maux innombrables, et l'ont précipité dans mille gouffres : ce que Dieu permet, tout ensemble pour montrer la liberté de l'homme, et, en même temps, pour nous apprendre à ne pas courir aux richesses, avec une fureur insensée. Quoi donc, objectera-t-on, le méchant qui est riche ne souffre-t-il aucun mal ? Si l'homme de bien est riche, nous disons que c'est justice; si, au contraire, c'est un méchant, que dirons-nous? qu'il est, par cela même, misérable. En effet, les richesses s'ajoutant à la perversité, ne font qu'aggraver le mal; mais voici un homme de bien, et cependant il est pauvre? Eh bien, il ne reçoit aucune atteinte; mais c'est un méchant, et il est pauvre; donc c'est justice et c'est avec raison, et cette pauvreté est dans son intérêt.

Cependant, objectera-t-on, il a reçu des richesses de ses ancêtres, et il les gaspille entre des courtisanes et des parasites, et il ne souffre aucun mal. Que dites-vous? Il se livre à la fornication et il ne souffre aucun mal ? Il s'enivre, et vous trouvez sa vie délicieuse ? Il dépense sa fortune honteusement, et vous le trouvez digne d'envie? Et quelle plus grande dégradation que d'assurer la mort de son âme ? Mais vous-mêmes, à la vue d'un malheureux aux membres contournés, mutilés, vous croiriez devoir l'inonder de vos larmes; et quand vous voyez son âme toute mutilée, vous croyez que cet homme est heureux? Mais il ne sent rien, direz-vous; voilà justement pourquoi il faut le plaindre, comme on fait des insensés.

Celui qui a conscience de sa maladie, appelle tout de suite le médecin, il endure les remèdes; au contraire, pour celui qui ne sent pas son mal, il n'y a pas de délivrance possible ; et est-ce là, je vous le demande, celui dont vous vantez le bonheur? Mais gardons-nous de nous trop étonner; il est grand le nombre de ceux qui sont étrangers à la sagesse. Aussi supportons-nous les derniers châtiments, sommes-nous punis, sans espérance de nous voir délivrés du supplice. De là les colères, les découragements; les perturbations continuelles ; Dieu nous montre une vie exempte de douleurs, la vie consacrée à la vertu, et nous, abandonnant ce chemin, nous en prenons un autre, le chemin de la fortune et des richesses, rempli d'innombrables maux, et nous agissons comme celui qui ne saurait pas distinguer la beauté des corps, qui ne regarderait que le vêtement, que les ornements extérieurs, qui verrait une belle femme, douée d'une naturelle beauté, et passerait son chemin, pour aller vers une laide, une femme difforme et mutilée, mais recouverte d'une belle toilette, et qui la prendrait pour épouse. C'est l'image de ce qui arrive à bien des gens, en ce qui concerne la vertu et la méchanceté. Ils choisissent la laideur à cause des ornements qui l'affublent au dehors ; mais la beauté, ils la répudient à cause de cette nudité même, qui aurait dû fixer leur préférence.

2906 6. Aussi j'ai honte de voir, chez ces païens insensés, une sagesse sinon de conduite, mais au moins de doctrine, qui ne se méprend pas sur la condition mobile et passagère des choses présentes. Il en est, chez nous, qui ne reconnaissent pas cette vanité ; leur jugement même est corrompu, malgré tant d'avertissements de l'Ecriture, qui ne cessent de nous crier « Le méchant paraît à ses yeux comme un néant, mais le Seigneur glorifie ceux qui le craignent (Ps 14,4). La crainte du Seigneur a tout surpassé (Qo 25,14). Crains Dieu, et garde ses commandements, car c'est là tout l'homme (Qo 12,13). Ne portez pas envie aux méchants ; ne craignez point, en voyant un homme devenu riche (Ps 48,17). Toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs ». (Is 40,6) Malgré tant de paroles du même genre, que nous entendons chaque jour, nous sommes encore rivés à la terre. Les enfants ignorants, à qui on apprend (494) leurs lettres tous les jours, se trompent souvent, quand on les leur demande sans suite, et disent une lettre pour une autre, provoquant ainsi mille éclats de rire; vous faites de même, quand nous vous exposons la suite de ces vérités; vous les apprenez tant bien que mal; mais lorsqu'il nous arrive de vous interroger au dehors, sans suivre l'ordre; quand nous vous demandons quel est le premier des biens, quel est le second, que faut-il mettre après tout le reste ? Votre ignorance se révèle, d'une manière ridicule. N'est-ce pas, je vous le demande, le comble du ridicule, pour nous qui attendons l'immortalité, les biens que 1'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, qui ne sont pas entrés dans le coeur de l'homme, de faire effort, pour nous assurer des choses d'ici-bas, et de les regarder comme dignes de notre envie? Si vous avez encore besoin d'apprendre que les richesses ne sont rien, que les choses présentes ne sont qu'une ombre et un songe, qu'elles se dissipent comme la fumée, qu'elles s'envolent, restez à la porte; tenez-vous dans les vestibules, vous n'êtes pas encore dignes d'entrer dans le palais du souverain. Si vous ne savez pas encore distinguer ce qu'il y a d'instable, ce qu'il y a là dedans de perpétuel va-et-vient, quand donc arriverez-vous au mépris des richesses? Si vous prétendez posséder cette science, cessez alors de vous informer avec une curiosité inquiète, de demander pourquoi celui-ci est-il riche, pourquoi cet autre est-il pauvre ?

Vous ressemblez, par vos questions, à celui qui se promènerait en demandant : pourquoi celui-ci est-il blanc, pourquoi cet autre est-il noir; pourquoi ce nez aquilin, pourquoi ce nez camard ? De même que cela ne nous intéresse en rien, de même que nous importe que tel soit pauvre ou soit riche? Bien plus, cela nous intéresse bien moins que ce que nous venons de dire ; tout doit se rapporter à l'usage que l'on en fait; quoique pauvre, vous pouvez montrer une âme belle et sage; quoique riche, vous êtes le plus malheureux de tous si vous fuyez la vertu; car ce que nous devons rechercher, c'est ce qui porte à la vertu. Si nous avons ces ressources, les autres ne nous servent de rien. Aussi, ces questions perpétuelles, qui prouvent que tant de gens s'intéressent à ce qui est indifférent, et ne tiennent aucun compte de ce qui les regarde, sont-elles des questions insensées ; ce qui nous regarde, c'est la vertu et la sagesse. Un long intervalle vous en sépare; de là, la perturbation dans les pensées; de là, les flots des passions; de là, les tempêtes. Déchu de la gloire suprême, de l'amour du ciel, ne désirant plus que la gloire présente, on est esclave et prisonnier. D'où vient, dira-t-on, notre amour pour la gloire de ce monde? de notre indifférence pour la gloire du ciel? Et cette indifférence même d'où vient-elle ? de notre négligence. Et notre négligence? de notre mépris. Et notre mépris? de la déraison, qui fait que nous nous attachons au présent, que nous ne nous appliquons pas à examiner la nature des choses. Cette déraison même, d'où vient-elle? de ce que nous ne nous attachons pas à la lecture des livres saints; de ce que nous ne conversons pas avec les saints; de ce que nous fréquentons les réunions des méchants. Mettons un terme à ce désordre : ne souffrons pas que les flots, poussant les flots, nous emportent dans une mer de malheurs, nous étouffent, nous arrachent toute vie; il en est temps encore, réveillons-nous, et, debout sur le roc, je dis le roc de la doctrine et de la parole de Dieu, abaissons nos regards sur la tempête de la vie présente. C'est ainsi que nous l'éviterons nous-mêmes, et que nous sauverons les autres du naufrage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur 1Co 2800