Chrysostome sur 1Co 1300

HOMÉLIE XIII. NOUS SOMMES, NOUS, INSENSÉS A CAUSE DU CHRIST (IL EST NÉCESSAIRE DE REPRENDRE ICI NOTRE DISCOURS), (4,10-16)

1300
MAIS VOUS, VOUS ÊTES SAGES DANS LE CHRIST; NOUS SOMMES FAIBLES, ET VOUS ÊTES FORTS; VOUS ÉTÉS HONORÉS, MAIS NOUS SOMMES MÉPRISÉS. (
1Co 4,10-16)

ANALYSE.

1. Saint Paul fait voir aux Corinthiens combien leur présomption est déplacée.
2. Saint Paul achève de toucher les Corinthiens en leur montrant une charité d'apôtre, et une tendresse de père.
3.-5. Que nous pouvons imiter le Christ. — Applaudissement de l'auditoire. — Portrait de saint Paul et de sa vertu.— Qu'il n’est pas besoin qu'il y ait des persécutions pour être vraiment chrétien. — De la guerre continuelle que nous avons à soutenir contre le démon. — Les richesses ne sont pas un mal lorsqu'on en fait un bon usage.

1301 1. Après avoir parlé avec la plus grande gravité (ce qui blessait plus que toutes les accusations possibles), il reprend la parole avec la dignité qui lui convient. Il a dit plus haut : (376) « Vous régnez sans nous » et : « Dieu nous a traités, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à « mort » ; il fait voir ensuite comment ils étaient destinés à la mort, en disant : « Nous sommes insensés, faibles, méprisés; nous souffrons la faim et la soif, nous sommes nus, déchirés à coups de poing, nous n'avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons; travaillant de nos mains» : Autant de signes qui indiquaient des docteurs et de véritables apôtres. Les Corinthiens au contraire se glorifiaient de choses tout opposées de la sagesse, de la gloire, de la richesse, des honneurs. Voulant donc guérit leur enflure, et leur montrer qu'il faut s'humilier de tout cela, bien loin de s'enorgueillir, il les raille d'abord en disant: « Vous régnez sans nous ». C'est-à-dire : Moi j'affirme que ce n'est pas le moment de jouir de l'honneur et de la gloire, comme vous le faites, mais d'être injuriés et persécutés: comme nous le sommes. S'il n'en est pas ainsi, et que nous soyons à l'heure des récompenses, comme je le vois (il parle ironiquement), vous, les disciples, vous régnez déjà ; et nous les maîtres? et les apôtres qui devrions les premiers être récompensés, non-seulement nous sommes les derniers d'entre vous, mais nous sommes comme destinés à la mort, c'est-à-dire condamnés, Nous vivons continuellement dans l’ignominie, dans les périls, en proie à la faim, injuriés et chassés comme des fous, et souffrant des maux intolérables. Son but est de leur faire comprendre qu'ils doivent envier le sort des apôtres, c'est-à-dire, les périls et les injures, et non les honneurs et la gloire car c'est ainsi que l'exige la prédication. Il ne dit cependant point cela directement, pour ne pas leur paraître importun,; mais il exprime ce reproche d'une manière convenable. Si en effet il eût voulu aller droit au but, il aurait dit : Vous vous égarez, vous vous trompez, vous êtes à une grande distance de l'enseignement apostolique; il faut qu'un apôtre, qu'un ministre du Christ, passe pour insensé, qu'il vive comme nous dans la tribulation et le mépris; et vous faites précisément le contraire.

Mais ce langage les eût irrités davantage, parce qu'ils y auraient vu l'éloge des apôtres et leur audace s'en fût accrue, à raison des reproches de lâcheté, de vaine gloire et d'amour du plaisir. Aussi n'est-ce pas là son procédé; mais celui qu'il emploie frappe davantage, en blessant moins. C'est pour cela qu'il fait usage de l'ironie, en disant : « Vous, vous êtes forts et honorés ». En parlant sans ironie, il aurait dit : Il ne peut se faire que l'un passe pour fou, l'autre pour sage; l'un pour fort, l'autre pour faible, la prédication ne comportant pas les deux. S'il en était autrement, ce que vous dites aurait quelque raison ; mais à cette heure il n'est pas permis de passer pour sage, d'être honoré, de vivre sans périls. Sinon, il faut que Dieu vous ait préférés à nous, vous les disciples à nous les maîtres qui souffrons en mille manières. Si personne n'ose le dire, il ne vous reste qu'à marcher sur nos pas. Et n'allez pas croire, ajoute-t-il, que je ne parle ici que du passé : « Jusqu'à cette heure nous souffrons la faim et la soif, et nous sommes nus ». Voyez-vous que telle doit être la vie du chrétien, non pas un jour ou deux, mais toujours ? L'athlète qui a été couronné: dans un combat, ne l'est plus dans le second s'il vient à succomber. « Et nous souffrons la faim », en face de ceux qui vivent dans les, délices ; « et nous sommes déchirés à coups de poing », en face da ceux qui sont, bouffis d'orgueil; « nous n'avons pas de demeure stable », en face de ceux qui tombent; « et nous sommes nus », en face de ceux qui sont riches; « et nous nous fatiguons », en face des faux apôtres qui ne supportent ni le travail ni le danger, et cependant recueillent le profit. Il n'en est pas ainsi de nous, dit-il; mais au milieu des dangers du dehors nous nous livrons à un travail continuel. Et ce qui est plus encore : personne ne peut dire que nous en soyons affligés ni que nous accusions ceux qui nous persécutent : nous leur rendons au contraire le bien pour le mal. Et c'est en cela que consiste la grandeur, et non à souffrir injustement (ce qui est commun à tous les hommes), mais à supporter le mal, sans peine. et sans aigreur.

1302 2. Et non-seulement nous ne nous affligeons pas, mais nous nous réjouissons. Et la preuve c'est que nous rendons le bien pour le mal: Pour vous convaincre que c'était là la conduite des apôtres; écoutez ce qui suit : « On nous maudit, et nous bénissons; on nous, persécute, et nous le supportons; on nous blasphème, et nous prions; nous sommes devenus jusqu'à présent comme les ordures du monde » ; c'est-à-dire insensés pour le (377) Christ. Car celui qui souffre injustement, sans se venger et sans se plaindre, passe aux yeux de ceux du dehors pour un insensé, pour un homme déshonoré et faible. Mais pour ne pas être trop dur en imputant ces souffrances à la ville de Corinthe, que dit-il ? « Nous sommes devenus les ordures », non de votre ville, mais « du monde » ; et encore : « Les balayures rejetées de tous », non pas seulement de vous, mais de tous. Et comme quand il parle de la bonté providentielle du Christ, il laisse de côté la terre, le ciel, toute la création, pour ne mentionner que la croix ; ainsi voulant attirer à lui les Corinthiens, il passe ses miracles sous silence pour ne parler que de ce qu'il a souffert pour eux. Ainsi d'ordinaire quand nous avons éprouvé des injures ou du mépris de la part de quelqu'un, nous ne rappelons pas autre chose que ce que nous avons souffert pour lui. « Les balayures rejetées de tous, jusqu'à cette heure ». Il frappé un coup violent à la fin. « De tous », non-seulement de nos persécuteurs, mais encore de ceux pour qui nous souffrons persécution : ce qui veut dire : Je leur en suis très-reconnaissant. C'est un signe de vive indignation ; non qu'il se plaigne, mais il veut les frapper. Car il les caresse, malgré les mille sujets de plaintes qu'il pourrait produire. C'est pour cela que le Christ nous ordonne de supporter patiemment les injures, afin de rester sages nous-mêmes et de mieux confondre nos ennemis : ce qu'on obtient plutôt parle silence qu'en rendant injure pour injure.

Ensuite voyant que le coup serait insupportable, il apporte le remède, en disant: «Je n'écris point ceci pour vous donner de la confusion, mais je vous avertis comme mes fils bien-aimés ». Je ne parle pas ici pour vous couvrir de honte. Il dit n'avoir pas fait ce qu'il a réellement fait en paroles; ou plutôt il dit qu’il l'a fait, mais sans mauvaise intention et sans haine. Car c'est là le meilleur remède : s'excuser d'avoir prononcé une parole, par l'intention que l'on a eue en la prononçant. Il ne lui était pas permis de ne pas parler, parce qu'ils ne se seraient pas corrigés ; mais laisser la plaie sans remède, c'eût été chose pénible : aussi s'excuse-t-il sérieusement. Par là non-seulement la blessure ne disparaît pas, mais elle pénètre plus. avant, quand on console de la douleur qu'elle Cause. Celui qui la reçoit est plus disposé à se corriger, quand il s'aperçoit quelle lui est infligée par charité et non par haine. Ici le langage est très-grave et propre à donner de la confusion. En effet; il ne parle pas comme docteur, comme apôtre, comme un maître ayant des disciples (ce qui eût senti l'autorité), mais il dit: « Je vous avertis comme mes fils bien-aimés » ; non-seulement comme des fils, mais comme des fils très-chers. C'est leur dire : pardonnez-moi ; s'il y a ici quelque chose de pénible, c'est l'amour qui me l'a dicté. Il ne dit pas : Je vous blâme, mais « Je vous avertis ». Or, qui ne supporterait un père affligé et donnant de sages conseils? Aussi lie s'exprime-t-il de la sorte qu'après avoir frappé le coup.

Quoi donc ! direz-vous, les autres maîtres nous ménagent-ils? Je ne dis pas cela; mais ils ne vous traitent pas de cette façon. L'apôtre ne parle pas ici obscurément; mais il désigne les fonctions, les noms : il parle de maître et de père. « Car eussiez-vous dix mille maîtres a dans le Christ, vous n'avez cependant pas plusieurs pères ». Ici ce n'est plus sa dignité, mais son immense charité qu'il fait voir; il ne les blesse plus en ajoutant: « Dans le Christ»; mais il les console, en appelant maîtres, et non flatteurs, ceux qui supportaient les soucis et les peines, et il leur témoigne sa sollicitude. Aussi ne dit-il pas : Vous n'avez pas plusieurs maîtres mais : « Plusieurs pères ». Il ne voulait donc pas leur rappeler sa dignité, ni les biens sans nombre qu'ils avaient reçu de lui; mais tout en accordant que leurs maîtres avaient pris beaucoup de peine leur occasion (ce qui est le propre d'un maître), il ne se réserve que l'excès de l'amour. Or ceci est le propre d'un père. Il ne dit pas seulement: Personne ne nous aime ainsi (ce qu'il avait droit de dire) ; mais il en produit la preuve ne fait. Quel fait? « C'est moi qui, par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus ». Dans le Christ Jésus : ce n'est donc pas à moi que je l’attribue. De nouveau il frappe sur ceux qui s'attribuaient la gloire de l'enseignement. « Car », leur dit-il, « vous êtes le sceau de mon apostolat » (
1Co 9,2) ; et encore : « Je vous ai plantés », et ici : « Je vous ai engendrés ». Il ne dit pas: J'ai annoncé la parole; mais : « J'ai engendré », en employant les expressions de la nature. Il n'a qu'un soin leur montrer l'amour qu'il leur a porté. Ceux-là vous ont attirés d'après mes instructions ; mais si vous êtes fidèles, c'est à moi que vous (378) le devez. Et de peur que cette expression « Comme mes fils », ne vous semble une flatterie, il en vient au fait même. « Je vous en conjure donc: Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». O ciel ! Quelle confiance de maître ! Quel modèle accompli, puisqu'il le propose à l'imitation des autres ! Du reste il ne parle pas ainsi par orgueil, mais pour montrer que la vertu est facile.

1303 3. Ne me dites pas : Je ne peux pas vous imiter; vous êtes un maître et un homme distingué. Car il y a moins de distance de vous à moi que de moi au Christ; et pourtant j'imite le Christ. Quand il écrit aux Ephésiens, il ne se propose pas lui-même pour modèle, mais il les mène d'abord droit ail but, en disant : « Soyez les imitateurs de Dieu » (Ep 5,1); ici, comme il parle à des faibles, il s'interpose lui-même. D'autre part il leur fait voir qu'il. est possible d'imiter le Christ. En effet, Celui qui imite parfaitement le sceau, reproduit le modèle. Voyons donc comment il a imité le Christ. Cette imitation ne demande ni temps ni art, mais seulement de la bonne volonté. Si nous entrons dans l'atelier d'un peintre, nous ne pouvons imiter un tableau quand même nous le regarderions des milliers de fois; mais le peintre l'imitera rien qu'à en entendre parler. Voulez-vous que nous vous mettions le tableau sous les yeux et vous tracions la vie de Paul ? Qu'il paraisse donc, ce tableau, beaucoup plus éclatant que les images des rois. Car ce qui est sous mes regards n'est pas un assemblage de pièces de bois ni des toiles étalées, mais l’oeuvre de Dieu : une âme et un corps. L'âme est l'ouvrage de Dieu, et non des hommes, et les corps également. Vous avez applaudi? Ce n'est pas encore le moment; ce sera dans la suite qu'il faudra applaudir en imiter. Jusqu'ici, ce dont il s'agit est commun à tous les hommes. Une âme, en effet, en tant qu'âme, ne diffère pas d'une autre ; «la volonté seule fait la différence. De même que le corps, en tant que corps, ne diffère pas d'un autre, en sorte que celui de Paul ressemble à celui de tout le monde, et que les épreuves seules l'ont rendu plus glorieux : ainsi en est-il de l'âme.

Mettons donc sous vos yeux un tableau, l'âme de Paul. Le tableau était d'abord chargé de poussière et de toile d'araignées (1); car il n'y a rien de pire que le blasphème. Mais quand vint Celui qui change tout, il vit que ce n'était, point là l'effet de la lâcheté ni de la mollesse, mais de l'ignorance et du défaut des couleurs de la piété, qu'il y avait du zèle mais pas de couleurs (car Paul n'avait pas le zèle selon la science) : alors il lui donne la couleur de la vérité, c'est-à-dire la grâce, et en fait immédiatement,un tableau royal. Ayant en effet reçu la couleur et appris ce qu'il ignorait, il n'a pas besoin du temps; sur-le-champ il devient un artiste parfait. D'abord il montre une tête royale, en prêchant le Christ; ensuite le corps entier, par une règle de vie sévère. Les peintres s'enferment, et travaillent en repos et avec une grande assiduité, sans ouvrir à personne; ainsi Paul plaçant son tableau au milieu du monde, ne s'inquiète pas des contradicteurs, ni du tumulte, ni du trouble qui règne autour de lui, et travaille sans obstacle au royal portrait. Aussi disait-il : Nous sommes donnés en spectacle au monde, au moment où il peignait, son tableau au milieu de la terre et de la mer, en présence du ciel et du globe entier, du monde sensible et spirituel.

1. Allusion à l'état de saint Paul avant sa conversion.

Voulez-vous voir le reste, à partir de la tête? ou voulez-vous remonter de bas en haut? Voyez cette statue d'or, bien plus précieuse que l'or, telle qu'elle existe sans doute dans le ciel, non-enchaînée par le poids d'un plomb vil, non fixée en un seul lieu; mais courant de Jérusalem jusqu'en Illyrie, puis partant pour l'Espagne, et portée comme sur des ailes à travers le monde entier. Quoi de plus beau que ces pieds qui ont parcouru toutes les contrées, éclairées par le soleil ? Le prophète avait prédit cette beauté, quand il disait : « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » (Is 52,7) Voyez-vous comme ces pieds sont beaux? Voulez-vous aussi voir sa poitrine ? Venez, je vous la montrerai, et vous vous convaincrez qu'elle est beaucoup plus belle que ces pieds déjà si beaux, et plus belle encore que celle de l'ancien Législateur. Moïse, Il est vrai, porta les tables de pierre; mais celui-ci possédait le Christ en lui-même, et portait l'image du roi et du propitiatoire; il était donc plus honorable que les chérubins. La voix qui sortait du propitiatoire n'était point comparable à celle-ci ; elle ne parlait guère que des choses sensibles; celle de Paul exprime des chose plus élevées que les cieux; l'une ne (379) s'adressait qu'aux Juifs, l'autre s'adresse au monde entier ; la première sortait d'objets inanimés, la seconde d'une âme douée de vertu.

1304 4. Le propitiatoire était plus splendide que le ciel; ce n'étaient point des astres divers ni des rayons du soleil qui faisaient son éclat, mais il possédait le soleil lui-même qui de là envoyait ses rayons. Quelquefois des nues en passant attristent notre ciel; cette poitrine n'a point subi de tels orages; ou plutôt elle en a souvent subi, mais son éclat n'en, a point été obscurci;.au milieu des épreuves et des périls elle gardait sa splendeur. Aussi, chargé de fers, s'écriait-il : « La parole de Dieu n'est pas enchaînée ». (2Tm 2,9) Ainsi, par sa langue, il envoyait toujours des rayons; jamais la crainte, jamais le danger n'ont assombri sa poitrine. Peut-être cette poitrine semble-t-elle laisser les pieds loin derrière elle; mais ces pieds sont beaux en tant que pieds, et, comme poitrine, cette poitrine est belle. Voulez-vous voir la beauté de son estomac? Ecoutez ce qu'il dit de lui-même : « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». (1Co 5,13) Il est bon de ne pas manger de chair, de ne pas boire de vin ou quoi que ce soit qui puisse offenser scandaliser ou affaiblir votre frère. « Les aliments sont pour l'estomac, et l'estomac pour les aliments ». (1Co 6,13) Quoi de plus beau que cet estomac ainsi exercé au calme, à toute espèce de tempérance, à souffrir l'abstinence, la faim et la soif? Comme un cheval bien dressé et portant une bride d'or, ainsi cet estomac allait en mesure après avoir dompté les besoins de la nature : car le Christ. marchait en lui. Il est évident que par cette tempérance tous les autres vices étaient détruits. Maintenant voulez-vous voir ses mains, tes mains d'aujourd'hui ? Ou voulez-vous d'abord voir celles d'autrefois ? Naguères entrant dans les maisons, il traînait hommes et femmes, non avec des mains d'homme, mais avec celles de quelque bête fauve. Mais dès qu'il eut reçu les couleurs de la vérité et la science spirituelle, ses mains ne furent plus celles d'un homme, elles furent toutes spirituelles, enchaînées tous les jours; frappées elles-mêmes mille fois, elles ne frappèrent plus personne. Une vipère les respecta un jour, car ce n’étaient plus des mains d'homme, aussi, n'osa-t-elle les toucher. Voulez-vous aussi connaître ce dos, si semblable aux autres membres ? Ecoutez ce qu'il en dit : « Cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet, moins un; j'ai été trois fois battu de verges, j'ai été lapidé une fois, trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai été un jour et une nuit dans les profondeurs de la mer ». (2Co 11,24-25)

Mais pour ne pas nous jeter dans un abîme saris fond et être ballottés en tout sens, en prenant chacun de ses membres en particulier, quittons son, corps et contemplons une autre beauté, à savoir, celle de ses vêtements que les démons mêmes respectaient au point de s'enfuir, et qui guérissaient les maladies. Partout où Paul apparaissait, tout cédait, tout disparaissait, comme en présence du conquérant de la terre. Et comme ceux qui ont reçu beaucoup de blessures dans le combat, frémissent au seul aspect des armes de leur vainqueur; ainsi les démons prenaient la fuite, à la seule vue de sa ceinture. Et maintenant où sent les riches, ceux qui s'enorgueillissent de leur fortune? Où sont ceux qui étalent leurs dignités et leurs somptueux vêtements? En les comparant à ceux-là, ils verront que tout ce qu'ils possèdent est de l'argile et de la boue. Et que parlé-je de vêtements et de richesses? On me donnerait l'empire du monde entier, que je croirais l'ongle de Paul plus fort que ma puissance; sa pauvreté au-dessus de tout plaisir, ses humiliations au-dessus de toute gloire, sa nudité au-dessus, de toute richesse, les soufflets imprimés à sa tête sacrée au-dessus de toute licence, les pierres qu'il a reçues au-dessus de tout diadème. Ambitionnons cette couronne, ô mes bien-aimés, et bien qu'il n'y ait pas de persécution, cependant préparons-nous. Car ce ne sont pas seulement les persécutions qui ont rendu cet homme glorieux ; il disait lui-même : « Je châtie mon corps » (1Co 9,27) ; ce qui peut se faire sans persécution. Et il nous exhortait à n'avoir aucun souci de la chair, quant à ses convoitises; il disait encore :. « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». (1Tm 6,8)

Or, pour cela, il n'y a pas besoin de persécutions. Il engageait aussi les riches à la modération, en disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». (1Tm 6,9) Si nous voulons ainsi nous exercer et entrer en lutte, nous serons couronnés, et bien qu'il n'y ait pas de persécutions, nous (380) recevrons une riche récompense; mais si nous engraissons notre corps et menons une vie de pourceau, même au sein de la paix nous commettrons bien des fautes, et nous nous attirerons du déshonneur. Ne voyez-vous pas contre qui nous avons à combattre? Contre des puissances incorporelles. Comment donc, nous qui sommes. chair, en triompherons-nous ? S'il faut manger sobrement quand on combat contre des hommes, à plus forte raison pour lutter contre les démons. Mais si nous sommes enchaînés par l'embonpoint et la richesse, comment vaincrons-nous nos ennemis? Car c'est un lien que la richesse: un lien bien lourd pour ceux qui ne savent pas en user; un tyran cruel et inhumain qui n'a d'autre but que de perdre ses esclaves. Mais, si nous le voulons, nous détrônerons ce barbare tyran; nous en ferons notre serviteur; au lieu de notre maître. Et comment cela? En distribuant nos richesses à tout le monde. Tant que l'opulence nous trouve seuls à seuls, comme un brigand dans un lieu isolé, elle nous fait tous tes maux possibles; mais quand nous l'aurons produite en public, elle ne nous dominera plus, parce qu'elle sera enchaînée de tous côtés.

1305 5. Je ne prétends point dire par là que la richesse soit un péché; mais le péché est de ne la pas distribuer aux pauvres et d'en faire mauvais usage. Dieu n'a rien créé de mauvais; tout ce qu'il a fait est bon ; les richesses. sont donc aussi un bien, à condition qu'elles ne domineront point ceux qui les possèdent, et qu'elles feront disparaître la pauvreté du prochain. La lumière qui ne dissipe pas les ténèbres, mais les augmente, n'est pas bonne ; je n'appellerai pas non plus bonnes les richesses qui augmentent la pauvreté au lieu de la détruire. Le riche ne cherche pas- à recevoir, mais à donner ; s'il demande, il n'est plus riche, mais pauvre. Les richesses ne sont donc point un mal ; mais le mal c'est cette étroitesse d'esprit qui transforme la richesse en pauvreté. Ces sortes de riches sont plus malheureux que ceux qui mendient dans les rues, que les aveugles et les estropiés; ces hommes somptueusement vêtus de soie sont au-dessous du pauvre couvert de mauvais baillons; ces mortels qui s'avancent fièrement sur. la plage publique sont plus à plaindre que les mendiants qui hantent les carrefours, entrent dans les cours, et crient, et demandent l'aumône d'en bas. Car ceux-ci louent Dieu et profèrent des paroles propres à exciter la pitié et pleines de sagesse; aussi-en avons-nous compassion et leur tendons-nous la main sans jamais les accuser. Mais les mauvais riches tiennent le langage de la cruauté, de l'inhumanité, de la rapine et d'une convoitise satanique ; aussi sont-ils odieux et ridicules aux yeux de tout le monde. Dites-moi un peu : lequel paraît honteux chez tous les hommes de demander aux riches, ou d8 demander aux pauvres ? Aux pauvres, évidemment. Eh bien ! c'est ce que font les riches; car ils n'oseraient s'adresser à de plus riches qu'eux. Or ceux qui mendient, demandent aux riches : le mendiant demande au riche et non au mendiant; mais le riche violente le pauvre.

Autre question : lequel est le plus honnête, de recevoir de personnes gui donnent volontiers et de bonne grâce, ou d'arracher par force et avec importunité? Evidemment il est plus convenable de. ne point forcer les répugnances. Et pourtant les riches les forcent. Car tandis que les pauvres reçoivent de gens qui leur donnent de bon coeur et librement, tout ce que les riches reçoivent leur est donné à contre-coeur et par contrainte : ce qui est l'indice d'une plus grande pauvreté. Si personne ne voulait s'asseoir à une table, où il ne serait pas vu de bon oeil par celui qui l'aurait. invité, comment serait-il convenable d'extorquer de l'argent par force? N'écartons-nous pas, ne fuyons-nous pas les chiens qui aboient, parce qu'ils nous fatiguent par leur importunité? Ainsi font les riches. Mais, dira-t-on, il vaut mieux que la crainte accompagne le don. Et moi je dis qu'il n'y a rien de plus honteux: c'est le comble du ridicule de tout mettre en mouvement pour obtenir quelque chose. Souvent, par peur, nous avons jeté au chien ce que nous tenions à la main. Lequel, dites-moi, est le plus. honteux de mendier en haillons ou en habits de soie? Quel pardon mérite le riche qui flatte de vieux pauvres pour en obtenir ce qu'ils possèdent, bien qu'ils aient des enfants? Si vous voulez encore; examinons les paroles que prononcent les riches et les pauvres quand ils mendient. Que dit le pauvre? Que celui qui donne l'aumône ne doit pas donner avec parcimonie, parce que ce qu'il donne vient de Dieu, et que Dieu est bon et lui en rendra davantage : langage plein de sagesse et qui renferme une exhortation et un (384) conseil. Il vous prie, en effet, de lever les yeux vers le Seigneur, et il vous ôte la crainte de la pauvreté pour l'avenir: on peut voir un grand enseignement dans les paroles des mendiants.

Que disent les riches, au contraire? Ils parlent comme des pourceaux, des chiens, des loups et des autres bêtes sauvages. Les uns parlent de tables, de mets, d'assaisonnements, devins de toute espèce, de parfums, de vêtements, de tout ce qui concerne les folies du luxe; les autres parlent d'usures et de prêts ; et, fabricant des billets où les dettes sont portées à un chiffre monstrueux, et qui sont supposés dater des pères et des grands-pères, ils prennent à l'un sa maison, à l'autre son champ, à cet autre son esclave et tout ce qu'il possède. Et que dire de ces testaments écrits avec du sang plutôt qu'avec de l'encre? Au moyen de terreurs paniques ou de quelques légères promesses, ils déterminent de petits propriétaires à les choisir pour héritiers, au détriment de proches souvent accablés par la pauvreté. Cette fureur, cette cruauté, ne dépassent-elles pas celles des bêtes féroces ? Je vous en prie donc, fuyons de telles richesses, source de honte et de meurtre ; acquérons les richesses spirituelles, cherchons les trésors qui sont dans le ciel. Ceux qui les possèdent sont certainement riches ; ils vivent dans l'abondance, ils jouissent des biens de la terre et de ceux du ciel. En effet, celui qui veut être pauvre selon Dieu, voit toutes les portes s'ouvrir devant lui. Chacun donne à celui qui, par amour pour Dieu, ne possède rien; mais celui qui veut acquérir même peu de chose au prix de l'injustice, se ferme toutes les portes. Afin donc d'obtenir les richesses de ce monde et celles de l'autre, choisissons la richesse solide et immortelle. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE XIV. (4,17-21) C'EST POURQUOI JE VOUS AI ENVOYÉ TIMOTHÉE, QUI EST MON FILS BIEN-AIMÉ ET FIDÈLE DANS LE SEIGNEUR;

1400
IL VOUS RAPPELLERA MES VOIES EN JÉSUS-CHRIST. (
1Co 4,17-21)

ANALYSE.

1. Pourquoi saint Paul fait porter sa mettre par son disciple Timothée.
2. Que les oeuvres valent mieux que les paroles.
3. Comment s'acquiert le royaume des cieux. — Ce n'est pas vouloir le bien que de le vouloir faiblement et sans rien faire. — Pourquoi Dieu a donné à l'homme le libre arbitre.
4. Que la vertu est plus aisée que le vice. — Qu'un pauvre qui ne désire rien est préférable à un riche cupide.
5. Insatiabilité des avares ; maux qu'elle cause.


1401 1. Considérez ici, je vous prie, une âme généreuse, plus ardente, plus vive que le feu. Il aurait voulu être, chez les Corinthiens, si malades et Si divisés. Car. il savait combien sa présence était utile à ses disciples, combien son absence leur était nuisible. Il indique le premier point dans sa lettre aux Philippiens, quand il leur dit : «Non-seulement en ma présence, mais bien plus encore en mon absence, comme en ce moment, opérez votre salut avec crainte et tremblement. » (Ph 2,12); et le second quand il dit encore dans (382) cette lettre-ci : « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus «venir vous voir; mais je viendrai (1Co 4,18-19) ». Il avait donc hâte, il avait le désir de venir; mais comme cela n'était pas possible pour le moment, il les corrige par la promesse de son arrivée, et aussi par l'envoi de son disciple. « C'est pourquoi », leur dit-il, « je vous ai envoyé Timothée ». — « C'est pourquoi » qu'est-ce à dire? Parce que j'ai soin de Mous comme de mes enfants,, parce que c'est moi qui vous ai engendrés. Et la lettre est accompagnée de la recommandation de la personne : « Qui est mon fils bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ». Il dit cela, et pour montrer l'amour qu'il lui porte et pour les préparer à le recevoir honorablement. Il ne dit pas simplement « fidèle », mais « fidèle dans le Seigneur », c'est-à-dire, dans tout ce qui est selon Dieu. Or, si c'est une gloire d'être fidèle dans les choses temporelles, à plus forte raison de l'être dans les choses spirituelles. Et si Timothée est le fils bien-aimé de Paul; songez à ce que doit être l'amour de Paul pour les Corinthiens, en faveur de qui il s'en sépare ! Mais s'il est fidèle, il règlera tout d'une manière irréprochable. « Qui vous rappellera ». Il ne dit pas : Il vous enseignera, de peur qu'ils ne trouvassent mauvais de recevoir ses leçons. Aussi dit-il à la fin : « Car il travaille comme moi à l'oeuvre de Dieu » (1Co 16,10), de peur que quelqu'un ne le méprise. Car il n'y avait pas de jalousie chez les apôtres, ils n'avaient qu'une chose en vue, l'édification de l'Eglise; et si l'ouvrier était de moindre valeur, ils le soutenaient et l'aidaient avec le plus grand dévouement. C'est pour. cela qu'il ne se contenté pas de dire ; « Il vous rappellera »; mais voulant couper court à leur jalousie (car Timothée était jeune); il ajoute : « Mes voies »; non pas les, siennes, mais les miennes, c'est-à-dire, les. règlements, les périls, les coutumes, les lois, les prescriptions, les canons des apôtres et tout le reste. Comme il a dit plus haut : « Nous sommes nus, souffletés; nous n'avons pas de demeure stable », il ajoute : « Il vous rappellera tout cela ainsi que « les lois du Christ », afin de détruire les hérésies.

Puis reprenant son sujet, il continue : « Mes voies en Jésus-Christ »; rapportant tout au maître, suivant son usage, et voulant rendre digne de foi ce qui doit suivre, car il ajoute : « Selon ce que j'enseigne partout, dans toutes les églises.». Je ne vous ai rien dit de nouveau : toutes les autres églises m'en rendent témoignage. Il affirme que ses voies sont en Jésus-Christ, pour montrer qu'elles n'ont rien d'humain et qu'avec le secours d'en-haut. il fait tout en règle. Après avoir dit cela et les avoir guéris, sur le point d'accuser l'incestueux, il reprend le langage de la colère, non qu'il soit réellement fâché, mais dans le but de les corriger ; et laissant de côté le coupable, il s'adresse aux autres, comme s'il jugeait celui-là indigne qu'on lui parlât :procédé dont nous usons nous-mêmes à l'égard de serviteurs qui nous ont grandement offensés. Après avoir dit : « Je vous envoie Timothée », pour prévenir la négligence où ils pourraient tomber, voyez ce qu'il ajoute : « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir ». Par là, il les attaque, eux et quelques autres, en ébranlant leur orgueil. Car c'est le propre de ceux qui ambitionnent le pouvoir; d'être arrogants en l'absence du maître. Quand il s'adresse -à la multitude, voyez comme il cherche à inspirer la honte; mais quand il s'adresse aulx auteurs du mal, son langage est bien plus violent. A ceux-là il dit : « La balayure rejetée de tous», puis, dans le but de les adoucir : « Ce n'est point pour vous donner de la confusion que j'écris ceci ». A ceux-ci il, dit : « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir », montrant que l'arrogance est le fait d’une âme puérile; en effet, les enfants se relâchent en l'absence du maître. C'est ce qui est indiqué ici, et aussi, que la présence de ce même maître suffit à faire tout rentrer dans l'ordre.

1402 2. Car comme la présence du lion terrifie les animaux, ainsi celle de Paul épouvante les fléaux de l'Eglise. Voilà pourquoi il ajouté: « Mais je viendrai vers vous bientôt, si le Seigneur le veut ».S'en tenir à ces paroles n'eût paru qu'une menace; mais promettre lui-même et exiger d'eux la démonstration par les oeuvres, voilà qui est d'une grande âme. Aussi, ajoute-t-il : « Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d'eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Car leur arrogance avait pris sa source, non dans leurs succès propres, mais dans l'absence du maître : ce qui était un signe de mépris. C'est pourquoi après avoir dit : « Je vous ai envoyé, (383) Timothée », il n'ajoute pas tout d'abord : « Je viendrai »; mais il commence par les accuser de s'enfler en eux-mêmes, puis il dit : « Je viendrai ». Si cette parole avait précédé l'accusation, il eût eu l'air de s'excuser comme s'il n'eût pas été abandonné; ce n'eût pas été une menace, et on n'y aurait pas ajouté foi ; mais comme elle suit l'accusation; elle le rend digne de foi et terrible. Et voyez sa fermeté et son assurance ! Il ne dit pas seulement : « Je viendrai »; mais: « Si le Seigneur le veut », et il ne détermine pas le temps. Car comme pouvait réprouver du retard, il veut que l'incertitude les tienne en suspens et en crainte. Mais de peur qu'ils ne tombent dans d'abattement, il ajoute : « Bientôt ».

« Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d'eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Il ne dit pas je connaîtrai la sagesse ni les signes; que dit-il donc? « Non quel est le langage », abaissant l'un, et relevant l'autre. Et en attendant, il s'adresse à ceux qui prenaient le parti de l'incestueux. Si, en effet, il se fût adressé à celui-ci, il n'aurait pas dit « vertu », mais oeuvres lesquelles étaient perverses chez lui. Et pourquoi ne vous inquiétez-vous pas de l'éloquence? Ce n’est pas que j'en sois dépourvu, mais, pour nous, tout consiste dans la vertu. Comme dans les combats, le succès n'est pas pour ceux qui parlent beaucoup, mais pour ceux qui agissent; de même ici la victoire n'est point le résultat des paroles, mais des oeuvres. C'est leur dire : vous êtes fier de votre éloquence ; s'il s'agissait maintenant d'un combat de rhéteurs; vous auriez raison d'être content de vous; mais si c'est une lutte d'apôtres prêchant la vérité et la confirmant par des miracles, pourquoi vous enfler d'une chose superflue qui n'est rien; qui ne peut servir à rien dans l'état présent? Qu'est-ce, en effet, qu’une vaine parade de mots pour ressusciter un dort, chasser les démons, ou opérer fout autre prodige? Or, c'est. là ce qu'il faut maintenant, c'est par là que notre oeuvre s'accomplit. Aussi ajoute-t-il : « Car. ce n'est pas dans les paroles que consiste le royaume de Dieu, mais dans la vertu ». C'est-à-dire : Ce n'est pas par les paroles que nous avons vaincu, mais par les signes; et parce que notre enseignement est divin, parce que nous annonçons le royaume des cieux, et que nous donnons pour preuve principale les miracles que nous faisons par la vertu de l'Esprit. Si donc ceux qui s'enflent maintenant veulent être grands, qu'ils fassent voir cette vertu; quand je serai arrivé, qu'ils ne m'offrent pas une vaine pompe de langage : cet art est pour nous sans valeur.

« Que voulez-vous ? que je vienne à vous avec une verge, ou avec charité et mansuétude?» Ces paroles sont tout à la fois effrayantes et pleines, de douceur. Dire : « Je connaîtrai »; c'était se contenir; mais dire : « Que voulez-vous?que je vienne à vous avec une verge ? » c’est monter sur sa chaire de docteur, parler delà et prendre toute l'autorité. Qu'est-ce que cela veut dire : « Avec une verge ? » C'est-à-dire : avec la punition, avec le châtiment ; c'est-à-dire : je tuerai, je frapperai de cécité; ce que Pierre a déjà fait à Saphire, et lui-même à Elymas le magicien. Maintenant il ne parle plus comme se mettant à leur niveau, mais d'un ton d'autorité. Dans sa seconde lettre, il parle de la même manière quand il dit: « Est-ce que vous voulez éprouver celui qui parle en moi, le Christ? » (
2Co 13,3) « Que je vienne avec une verge ou avec charité ». Quoi ! cette verge ne serait-elle pas celle de la charité? Certainement si; mais il parle de la sorte parce que la charité ne se résout qu'avec peine à punir. Quand il s'agit de châtiment il ne dit plus: En esprit de douceur, mais : « avec une verge ». Et pourtant tout se faisait dans l'Esprit, qui est tout à la fois un Esprit de douceur et un Esprit de sévérité ; mais il ne l'appelle pas ainsi et préfère lui donner un nom plus doux. C'est pour cela que Dieu, bien qu'il punisse, est appelé souvent miséricordieux, patient, riche en pitié et en miséricordes ; et c'est à peine si, une fois sur deux, rarement au moins, on dit qu'il punit, et encore ne ledit-on que dans l'occasion et par nécessité. Et voyez la sagesse de Paul. Il a l'autorité, et pourtant il leur laisse le choix, disant: « Que voulez-vous ? » La chose est en votre pouvoir. Et en réalité il dépend de nous de tomber en enfer ou d'obtenir le royaume du ciel ; ainsi Dieu l'a voulu. « Voilà l'eau et le feu ; étendez à votre choix la main vers l'un ou l'autre ». (Si 15,16) Et encore : « Si vous le voulez, et si vous m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre ». (Is 1,19)

1403 3. Quelqu'un dira peut-être: Je le veux. Au fait, personne n'est assez insensé pour ne pas (384) vouloir; mais vouloir ne suffit pas. — Vouloir suffit, si,vous voulez comme il faut, si vous faites ce qu'il faut faire quand on veut; mais votre volonté n'est pas forte. Etudions cela dans d'autres sujets, si vous le voulez. Dites-moi: pour épouser une femme; est-ce assez de le vouloir? Non certainement: il faut chercher des entremetteuses, intéresser ses amis à l'affaire, se procurer de l'argent. Il ne suffit pas à un marchand de vouloir et de rester chez lui; mais il faut louer un navire, se fournir de pilotes et de rameurs, emprunter de l'argent, et s'informer soigneusement des lieux et du prix des marchandises. Comment donc ne serait-il pas absurde de se donner tant de peine pour les choses de la terre et de se contenter de la volonté pour acheter le royaume du ciel? bien plus, de ne pas même montrer une véritable bonne volonté ? Car celui qui veut comme-il faut, fait tout ce qui peul le conduire à son but. En effet, quand la faim vous force à manger, vous n'attendez pas que les aliments viennent d'eux-mêmes à vous, mais-vous faites tout pour vous les procurer; quand vous avez soit ou froid, ou que vous éprouvez tout autre besoin, vous êtes également actif et empressé à soigner votre corps. Faites-en autant pour le royaume des cieux, et vous l'obtiendrez sûrement. Dieu vous a donné le libre arbitre précisément pour que vous ne l'accusiez pas de vous avoir contraint. Et vous vous fâchez de ce qui fait votre honneur ! J'en ai, en effet, entendu beaucoup dire : Pourquoi m'a-t-il rendu maître de ma propre volonté ? Quoi ! devait-il vous amener au ciel pendant que vous dormez ou que vous sommeillez, que vous vous adonnez à tous les vices, que vous vivez dans la volupté ou dans les plaisirs de la table ? Mais vous ne vous seriez pas abstenu du mal. Car si vous ne vous en abstenez pas sous le coup de ses menaces; ne seriez-vous pas devenu plus liche et beaucoup plus vicieux, s'il vous avait proposé le ciel pour récompense ? Et vous ne pouvez pas dire : Il m'a fait voir des biens et ne m'a pas aidé à les acquérir, car il vous promet de grands secours: Mais, dites-vous, la vertu est désagréable et pénible, tandis qu'un grand plaisir se mêle au vice ; l'un est large et spacieux, et l'autre étroite et resserrée. Eh dites-moi: en fut-il ainsi dès le commencement? C'est malgré vous que vous parlez ainsi de la vertu ; tant la vérité a de force !

S'il y avait deux chemins dont l'un conduisît à une fournaise, et l'autre à un jardin, et que le premier fût large et le second étroit, lequel choisiriez-vous? Vous aurez beau disputer et contredire, même jusqu'à l'impudence, vous ne détruirez pas des vérités acceptées de tous. Je m'efforcerai de vous prouver, par des exemples sensibles, qu'il faut choisir la voie qui est rude au commencement et ne l'est plus à la fin. Si vous le voulez, commençons par les arts; ils sont très-pénibles d'abord et deviennent ensuite lucratifs. Mais, dites-vous, personne ne s'y applique sans y être forcé; si le jeune homme était maître de lui-même, il aimerait mieux vivre tout d'abord dans les délices, au risque de beaucoup souffrir à la fin, que de commencer par vivre misérablement pour recueillir plus tard les fruits de ses travaux. Donc c'est là une pensée d'enfant, d'orphelin, l'inspiration d'une paresse puérile ; la conduite opposée est celle de la prudence et du courage. Donc si nous ne sommes pas enfants par le caractère, nous n'imiterons pis, l'enfant privé de. ses parents eu de sa raison, mais celui qui a son père. Donc il faut dépouiller cet esprit puéril, ne pas accuser les choses, et donner à la conscience un guide qui ne lui permette pas de se livrer à la bonne chère, mais l'oblige à courir et à combattre. Comment ne serait-il pas absurde que des enfants dépensassent leurs peines et leurs sueurs à des métiers dont les débuts sont laborieux et les profits ne viennent qu'à la fin, et que nous tinssions une toute autre conduite dans les affaires spirituelles?

Et encore, dans lés questions matérielles, n'est-on pas toujours sûr d'arriver à un bon résultat. Car une mort prématurée, la pauvreté, la calomnie, les vicissitudes des événements, et beaucoup d'autres causes semblables, peuvent nous priver des fruits de nos longs travaux.. Et quand on atteint le but, on n'en retire pas grand avantage, puisque tout disparaît avec la vie présente. Mais ici nous ne courons pas pour des objets stériles et passagers, nous n'avons rien à craindre pour le résultat; nous espérons, après le départ de cette. vie, des biens plus grands et plus solides. Quel pardon, quelle excuse y a-t-il donc peur ceux qui ne, veulent pas travailler à acquérir la vertu? On demande encore : Pourquoi la voie est-elle étroite? On ne laisse pas entrer un débauché, un ivrogne, un libertin dans les palais des (385) princes de la terre; et vous voudriez qu'on entrât dans le ciel avec la licence, la volupté, l'ivrogrierie, l'avarice et tous les autres vices ! Cela est-il acceptable?

1404 4. Ce n'est pas cela que je veux dire, reprend-on; mais pourquoi le chemin de la vertu n'est-il pas large? Si nous le voulons, il est très-facile. Lequel est le plus facile, dites-moi, Je percer les murailles, pour voler le bien d'autrui et être Ensuite jeté en prison ; ou de se contenter de ce que l'on a et de vivre sans crainte? Et je n'ai pas tout dit.. Lequel est le plus facile, dites-moi encore, de voler tout le monde, de jouir un moment d'une partie de ses vols, puis d’être torturé et flagellé éternellement; ou de vivre quelque temps dans une honnête pauvreté, pour jouir ensuite d'un bonheur sans fin ? Ne parlons pas encore de profit, mais de facilité.

Lequel est le plus doux d'avoir eu un songe agréable et d'être réellement puni, ou d'avoir eu un songe pénible et de jouir du bonheur? N'est-ce pas évidemment ce dernier cas? Comment donc appelez-vous la vertu âpre et difficile? Elle l'est en effet, eu égard à notre indolence. Mais le Christ nous dit qu'elle est facile et douce. Ecoutez-le : « Mon joug est doux et mon fardeau léger ». (
Mt 11,30) Et si vous ne sentez pas qu'il est léger, c'est que vous n'avez pas l'âme forte. Car comme tout ce qui est lourd lui devient léger quand elle est forte, ainsi tout ce qui est léger lui devient lourd quand elle ne l'est pas. Qu'y avait-il de plus agréable que la manne, de plus facile à préparer? Pourtant les Juifs se dégoûtaient de cette délicieuse nourriture. Quoi de plus cruel que la faim et due toutes les souffrances endurées par Paul? Et i1 tressaillait de joie, et il se réjouissait, et il disait «Maintenant je me réjouis dans mes souffrances ». (Col 1,24) A quoi cela tient-il ? A la différence des âmes. Si votre âme est ce qu'elle doit être, vous verrez la facilité de la vertu. Quoi, direz-vous, la vertu devient facile parla disposition de l'âme ? Pas uniquement pour cela, mais aussi par sa nature. — En effet, si elle était toujours difficile et le vice toujours facile, ceux qui sont tombés auraient raison de dire que le vice est. plus facile que la vertu; mais si l'une est difficile et l'autre facile au commencement, et qu'à la fin ce soit tout le contraire, et que cette fin, heureuse ou malheureuse, doive durer éternellement, lequel, dites-moi, est le plus facile à choisir? Pourquoi donc un grand nombre d'hommes ne choisissent-ils pas le plus facile? Parce que les uns ne croient pas, et que tes autres, tout en croyant, ont le jugement perverti, et préfèrent une jouissance éphémère à un bonheur éternel. — Donc c'est plus facile. — Cela n'est pas plus facile, mais c'est l'effet de la faiblesse de l'âme. Comme les fiévreux aiment à boire de l'eau froide, non parce qu'une jouissance d'un moment est préférable à une longue souffrance, mais parce qu'ils ne peuvent contenir un désir déraisonnable; ainsi en est-il ici, tellement que si on les conduisait au supplice au milieu du plaisir, ils n'y voudraient point consentir. Voyez-vous combien le vice est plus facile ? Si vous le voulez, examinons encore ici la nature des choses. Quoi de plus doux, dites-moi, quoi de plus facile? Mais ne jugeons point d'après là passion de la multitude; car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu'on doit consulter. Quand vous me montreriez des milliers de fiévreux, recherchant ce qui est contraire à leur santé, au risque de souffrir ensuite; je n'accepterais pas leur manière de voir. Lequel est le plus facile, dites-moi, d'ambitionner de grandes richesses, ou d'être au-dessus de cette ambition ? C'est ce dernier point, ce me semble; et si vous n'êtes pas de mon avis, allons au fond des choses. Supposons un homme qui désire beaucoup et un homme qui ne désire rien : lequel. de ces deux états vaut le mieux, lequel est le plus honorable

1405 5. Mais laissons cela de côté : il est incontestable que le dernier est plus honorable que l'autre; mais ce n'est point là la question; il s'agit de savoir lequel des deux vit le plus facilement, le plus agréablement. Or l'avare ne jouit pas même de ce qu'il a; il ne voudrait pas dépenser ce qu'il aime; il couperait lui-même sa chair et en jetterait su loin les morceaux plutôt que de jeter son or; tandis que celui qui méprise les richesses a au moins cet avantage qu'il jouit en toute liberté et sécurité de ce qu'il possède, et s'estime plus que ses biens Maintenant, lequel est le plus agréable, de jouir tranquillement de ce qu'on a, ou d'être esclave de la richesse jusqu'à n'oser toucher à ce que l'on possède? C'est à peu près, ce me semble, comme si deux hommes avaient chacun une femme qu'ils aimassent (386) beaucoup, et que l'un eût la faculté de jouir de la sienne, tandis que ce pouvoir serait refusé à l'autre. Je dirai encore autre chose pour faire voir combien la vertu procure de joie et le vice de tristesse. Jamais l'avare ne modérera sa passion, ni par la considération qu'il ne peut pas s'emparer du bien de tout le monde, ni parce qu'il regarde comme rien tout ce qu'il possède ; au contraire, celui qui méprise l'argent, regarde tout comme superflu, et n'est point tourmenté par des désirs insatiables. Car il n'est pas de supplice pareil à celui d'un désir inassouvi ; ce qui est l'indice d'un sens étrangement perverti.

Voyez en effet : Celui qui désire de l'argent et en possède déjà beaucoup, est aussi tourmenté que s'il n'avait rien. Or, quai de plus compliqué qu'une telle maladie? Non-seulement elle est grave par elle-même, mais encore parce que, tout en possédant, on ne semble rien posséder, et qu'on est tourmenté comme si l'on n'avait réellement rien; possédât-on les biens de tout le monde, on n'en serait que plus malheureux; si l'on a cent talents, on s'afflige de n'en pas avoir mille ; si on en a mille, on souffre de n'en avoir pas dix mille; si on en a dix mille, on est tourmenté de n'en avoir pas dix fois plus ; en sorte qu'un surcroît de fortune devient un surcroît de pauvreté, et que plus on a, plus on désire avoir. Donc, plus. on possède, plus on est pauvre : car celui qui désire le plus, est celui à qui il manque davantage. Avec cent talents, il n'est pas très-pauvre, car il n'en désire que mille; quand il en a mille, il devient plus pauvre; car il ne, se contente pas de mille, comme auparavant, mais il prétend qu'il lui en faut dix mille. Que si vous prétendez que ce soit un plaisir de désirer sans obtenir, il me semble que vous ignorez absolument la nature du plaisir. Prouvons, dans un autre ordre de choses, que c'est là, non une jouissance, mais un supplice.

Pourquoi, quand nous avons soif, goûtons-nous du plaisir à boire ? N'est-ce pas parce qu'en buvant, nous nous délivrons d'un grand tourment, qui est le désir de boire? Evidemment. Or, si ce désir devait toujours durer, notre sort ne serait pas meilleur que celui du riche qui n'eut pas pitié de Lazare, notre tourment ne serait pas moindre : car sa punition était de désirer ardemment une goutte d'eau sang pouvoir l'obtenir. C'est là, ce me semble, le perpétuel supplice des avares : ils ressemblent à ce riche qui demandait une goutte d'eau et ne l'obtenait pas; leur âme est même encore plus tourmentée que la sienne. Aussi a-t-on eu raison de les comparer aux hydropiques. Car comme ceux-ci, en portant beaucoup d'eau dans leur corps, n'en sont que plus brûlés parla soif; ainsi ceux-là, quoique chargés d'une grande quantité d'argent, tan désirent encore davantage. Et la raison en est que les uns ne portent pas leur eau dans les endroits convenables, ni les autres leur désir d'une manière raisonnable. Fuyons donc cette étrange; cette stérile maladie; fuyons la racine des maux; fuyons l'enfer de ce monde : car la passion de l'avare est un enfer. Pénétrez dans l'âme de celui qui méprise l'argent, et dans celle de celui qui ne le méprise pas ; et vous verrez que le premier, semblable aux fous furieux, ne veut rien voir, rien entendre; et que le second ressemble à un port à l'abri des flots, et qu'il est aimé de tout le monde matant que l'autre en est haï, En effet, si on lui prend, il ne s'attriste. pas; si on lui. donne, il ne s'enfle pas; il règne en lui une certaine indépendance pleine de sécurité ; il n'est pas obligé, comme l'avare, de flatter tout le monde et de faire l'hypocrite. Si donc l'avare est pauvre, lâche; dissimulé, rempli de terreur, livré aux châtiments et aux tortures, tandis que celui qui méprise l'argent jouit de tous les biens opposés ; n'est-il pas évident que la vertu est:plus douce que le vice ? Nous pourrions prouver encore par les autres défauts que le mal ne procure jamais la joie, si déjà nous n'avions longtemps parlé. Eclaircis sur ce point, choisissons donc la vertu, afin d’être heureux ici-bas et d'obtenir les biens futurs, par la grâce. et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il:




Chrysostome sur 1Co 1300