Chrysostome sur 1Co 4200

HOMÉLIE 42 (15,47-58) LE PREMIER HOMME, NÉ DE LA TERRE, FUT TERRESTRE; LE SECOND HOMME FUT LE SEIGNEUR DESCENDU DU CIEL.

4200
(
1Co 15,47-58)

593 ANALYSE.

1. Il faut imiter, non pas le premier homme qui est formé de la terre et qui est terrestre, mais le second homme qui fut le Seigneur descendu du ciel.
2. La résurrection des corps est prouvée : 1° par l'incorruptibilité, et l'immortalité du corps; 2° par la destruction du péché et l'abolition de l'ancienne Loi; 3° nous devons détourner nos regards de la terre pour les tourner vers le ciel; nous devons travailler sans cesse aux oeuvres de Dieu; pour obtenir le bonheur éternel. — Au tribunal de Dieu, nous n'aurons d'autres défenseurs que nos actes.

4201 1. Après qu'il a parlé de l'homme matériel et ensuite de l'homme spirituel, il établit une nouvelle différence : celle de l'homme terrestre et de l'homme céleste. La première différence est celle de la vie présente et de la vie future ; la seconde est celle de l'homme avant la grâce, et de l'homme après la grâce. Cette distinction doit nous enseigner quel est le chemin véritable de la vie. De peur que même en croyant à la résurrection, comme je l'ai dit plus haut, ils ne renonçassent à une vie vertueuse et parfaite, il les prépare d'un autre côté à la lutte, leur disant : « Le premier homme né de la terre fut terrestre, le second homme fut le Seigneur descendu du ciel». Et dans ce verset il s'adresse à tous les hommes; il qualifie l'un par ce qu'il a de meilleur et de plus élevé, et l'autre, par ce qu'il a de plus bas: « Tel fut l'homme terrestre, tels sont les hommes terrestres (1Co 15,48) ». Ils périront, ils mourront comme lui: « Tel fut l'homme céleste, tels seront les hommes célestes ». Ils demeureront immortels, et ils brilleront comme lui. Mais quoi! Est-ce que ce dernier n'est pas mort aussi? Il est mort, il est vrai, mais la mort ne lui a point causé de dommage. Il a plutôt aboli la mort. Voyez-vous comment, même par la mort, il établit le dogme de la résurrection. Comme vous avez, ainsi que je l'ai dit plus haut, le principe et le couronnement, vous ne pouvez douter de l'ensemble. Il établit d'un côté quelle est la vie la meilleure et la plus parfaite, il nous donne les exemples d'une vie élevée et philosophique, et d'une autre qui ne l'est point, et nous montre la source de toutes les deux. Pour celle-là le Christ, pour celle-ci Adam. C'est pourquoi il n'a point dit absolument : De la terre, mais: Terrestre; c'est-à-dire grossier, attaché aux biens présents; et d'un autre côté, il a dit le contraire du Christ : « Le Seigneur descendu du ciel ». S'il en est qui prouvent que le Seigneur n'a point de corps, parce qu'il est dit : « Du ciel», ce que nous avons développé déjà suffit pour leur fermer la bouche. Mais rien ne nous empêche de nous servir de ces paroles-ci pour leur fermer la bouche. Qu'est-ce en effet « le Seigneur descendu du ciel? » Veut-il indiquer par là la nature ou bien la conduite d’une vie parfaite? Il est clair que c'est la conduite d'une vie parfaite; et c'est pour cela qu'il ajoute: « Comme nous avons reproduit l'image de l'homme terrestre (1Co 15,49) », c'est-à-dire : Comme nous avons fait le mal, reproduisons l'image de l'homme céleste, c'est-à-dire, faisons le bien. En outre je yeux vous adresser cette question : Ces paroles s'appliquent-elles à la nature ? « Celui qui était né de la terre fut terrestre »; et ces autres : « Le Seigneur descendu du ciel». Oui, dit saint Paul. Mais quoi? Est-ce qu'Adam (594) était seulement terrestre, ou bien avait-il une autre nature, parente des natures supérieures et incorporelles, que l'Ecriture appelle âmes et esprits? Il est clair qu'il avait aussi cette nature. Et ainsi le Seigneur lui-même n'était pas seulement une nature céleste. Quoiqu'il soit dit « du ciel », il s'était encore incarné. Ce qu'il veut donc dire est ceci : « Comme nous avons reproduit l'image de l'homme terrestre », les actions mauvaises, « reproduisons l'image de l'homme céleste », c'est-à-dire, la vie parfaite qui est au ciel. S'il parlait de la nature, ces exhortations et ces conseils seraient inutiles. C'est pourquoi il est démontré que ces paroles s'appliquent à la conduite de la vie. Et c'est à dessein qu'il s'est servi de cette expression, et ce mot d'image montre encore d'une autre manière, qu'il parle des actions, et non de la nature. En effet, nous avons été faits terrestres, quand nous avons fait le mal. Ce n'est pas dès le commencement que nous avons été faits terrestres, mais quand nous avons péché. En effet, le premier péché a existé avant la mort; c'est après le premier péché que Dieu dit : « Tu es né de la terre et tu retourneras à la terre ». (Gn 3,19) C'est alors aussi que les passions et les désordres sont entrés en foule dans l'âme. De ce que l'on est né de la terre, il ne s'ensuit pas absolument que l'on soit terrestre, car le Seigneur aussi était formé de la même matière, mais c'est de faire des choses terrestres ; de même qu'être céleste, c'est accomplir des actions dignes du ciel. Mais pourquoi nous donner une peine inutile pour le prouver ? Lui-même, dans la suite de ses paroles, Mous en découvre le sens, disant : « Je vous le dis », mes frères, « la chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu (1Co 15,50) ».

Voyez-vous comment il s'explique lui-même et nous évite la peine de le faire. C'est ainsi qu'il agit en beaucoup d'endroits. Ce qu'il appelle chair, ce sont les actions mauvaises, ainsi qu'il fait en un autre endroit : « Vous n'êtes pas en chair »; et ailleurs encore : « Ceux qui sont, en chair ne peuvent plaire à Dieu ». (Rm 8-9) C'est pourquoi par ces paroles : « Je le dis », il veut nous faire entendre que sous ces discours ont pour objet de nous apprendre que les actions mauvaises ne nous introduiront point dans le royaume du ciel. Après la résurrection, il parle aussitôt du royaume du ciel, et c'est pour cela qu'il ajoute : « La corruption ne possédera point cet héritage incorruptible », c'est-à-dire, le vice ne possède pas cette gloire, cette perception et cette jouissance des choses incorruptibles: En beaucoup d'autres endroits il se sert encore de la même expression, disant: « Celui qui sème dans la chair récoltera la corruption de la chair ». (Ga 6,8) S'il parlait du corps, et non pas es actions mauvaises, il ne dirait pas la corruption; car, en aucun endroit il n'appelle le corps sine corruption. En effet, ce n'est pas une corruption, mais une substance corruptible. Aussi, dans la suite de son discours, quand il parle du corps, il ne l'appelle pas une corruption, mais une substance corruptible, disant : Il faut que cette substance corruptible soit revêtue de l'incorruptibilité.

Après qu'il a fini ces exhortations relatives à la conduite de la vie, il fait ce qu'il a coutume de faire, il mêle continuellement un sujet à un autre sujet, il revient à son discours sur la résurrection, disant : « Voici que je dis un mystère (1Co 15,51) ».

4202 2. Il va donc révéler un mystère vénérable, et que tous ne connaissent pas ; il montre qu'il leur fait là un grand honneur en leur révélant les choses cachées. Et qu'est-ce? « Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ». Voici ce qu'il veut dire: nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous transformés, même ceux qui ne meurent point; car ceux-là aussi sont mortels. Parce que vous. mourrez, dit-il, ne craignez pas de ressusciter; il en est, en effet, il en est quelques-uns qui éviteront la mort, et cependant cela ne leur suffit pas pour la résurrection, mais il faut que ces corps mêmes qui ne meurent point soient transformés et passent à un état incorruptible. « En un moment, en un clin « d'oeil, au son de la trompette du jugement dernier. (1Co 15,52) ». Comme il a longuement parlé de la résurrection, il montre à propos ce qu'il y a d'étonnant en elle, et de contraire à l'opinion commune. En effet, dit saint Paul, il n'est pas seulement étonnant que les corps se putréfient d'abord et ressuscitent ensuite, et que les corps ressuscités l'emportent sur ceux que nous voyons aujourd'hui; ni qu'ils passent à une condition bien meilleure, ni que chacun reçoive ce qui lui appartient, et que personne ne reçoive ce qui appartient à d'autres; mais, ce qui est étonnant, c'est que tant (595) de miracles et de si grands, et qui dépassent toute raison et toute imagination, s'accomplissent en ce moment. Et pour exprimer cela plus clairement, il dit : «En un clin d'oeil », c’est-à-dire, dans le temps qu'il faut pour fermer les yeux. Ensuite comme il parle d'une chose grande et qui doit nous frapper de stupeur, de tant. de merveilles accomplies tout d'un coup; il ajouté pour le prouver et: pour rendre croyable ce qu'il dit : « En effet, la « trompette sonnera et les morts ressusciteront incorrompus, et nous serons transformés ». Cette parole « nous » ne s'applique pas à lui-même, mais à ceux qui alors seront trouvés vivants. « Il faut que cette substance corruptible soit revêtue d'incorruptibilité (1Co 15,53) ». Quand vous entendrez dire que la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, pour que vous n'alliez pas croire que les corps ne ressuscitent pas, il ajoute : « Car il faut que ce corps corruptible sait revêtu de l'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité ». Le corps est corruptible et mortel, et c'est pour cela que le corps subsiste; car le corps, c'est la substance. La mortalité et la corruption, au contraire, sont détruites et disparaissent, tandis que l'immortalité et l’incorruptibilité deviennent le partage du corps. Ne doutez donc plus que le corps ne doive vivre éternellement, en apprenant qu'il devient incorruptible et qu'il est affranchi des lois de la mort.

Quand ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l'immortalité; alors sera accomplie cette parole de l'Ecriture : « La mort a été absorbée par la victoire (1Co 15,54) ». Après avoir révélé de grands mystères, il rend tout ce qu'il avance croyable et digne de foi, en s'appuyant sur la prophétie. La mort a été absorbée par la victoire; c'est-à-dire, que le rôle de la mort est terminé. Il n'en geste plus rien; elle ne reviendra plus. L'incorruptibilité a détruit la corruption et la mort. « O mort, où est ta victoire? Enfer, où est ton aiguillon (1Co 15,55) ? » Quelle force et quelle noblesse d'inspiration ! C'est comme un sacrifice offert à la victoire. C'est un mortel inspiré de Dieu qui, l'oeil fixé sur l'avenir comme sur un fait déjà accompli, insulte à la mort terrassée ! et, le pied sur la tête de l'ennemi vaincu, entonne un chant de victoire, en s'écriant « O mort, où est ton aiguillon? Enfer, où est ta victoire? » C'en est fait de tes armes; tu as travaillé en vain. Voilà en effet la mort dépouillée de ses armes ! La voilà vaincue ! Que dis-je ? Elle disparaît, elle rentre dans le néant. « Or le péché est l'aiguillon de la mort : et sa loi est la force du péché (1Co 15,56) ». Voyez-vous comme il parle de la mort corporelle? C'est donc aussi de la résurrection du corps qu'il veut parler. Car s'il n'y a pas «de résurrection pour le corps, comment la mort est-elle absorbée?. Ce n'est point ici la seule difficulté; comment en outre la loi est-elle la force du péché? C'est qu'en l'absence de la loi, le péché n'avait pas un caractère aussi,prononcé; il avait bien lieu, mais on ne pouvait. le frapper d'une condamnation aussi énergique. La loi n'a pas peu contribué à le mettre en relief, en lui infligeant de plus rudes châtiments. Que si, en voulant guérir le mal, elle l'a aggravé, le coupable, dans ce cas, n'est pas le médecin; c'est le malade qui n'à pas sa profiter du remède. La venue du Christ aussi a été funeste aux Juifs; elle n'a fait qu'aggraver et grossir le fardeau de leurs iniquités. Mais ce n'est pas là une raison pour blâmer le Christ; le Christ n'en est que plus admirable, et les Juifs n'en sont que plus odieux pour avoir tourné contre eux-mêmes l'instrument de leur salut. Ce qui prouve que, par elle-même, la toi ne peut servir d'auxiliaire du péché, c'est que le Christ l'a strictement observée, et que le Christ était exempt de péchés. Mais réfléchissez, et vous verrez que les vérités exprimées par Paul au sujet du péché et de la loi viennent à leur tour confirmer 1e dogme de la résurrection. Si en effet le péché était par lui-même une cause de mort, si le Christ est venu détruire le péché et nous en délivrer par le baptême, si d’un autre côté il a détruit et anéanti l'ancienne loi, dont la violation et la transgression donnait au péché plus de consistance, pourquoi douter encore de la résurrection? Comment la mort s'y -prendra-t-elle désormais pour conserver son empire? Se servira-t-elle de la loi? elle est dissoute et abrogée. Se servira-t-elle du péché? mais le péché est extirpé jusque dans sa racine. « Rendons grâce à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ (1Co 15,57) ».

4203 3. Car Jésus a élevé un trophée et nous a décerné des couronnes qui ne nous étaient pas dues, mais qui sont un présent de sa bonté. « Ainsi, mes frères, demeurez fermes et inébranlables (1Co 15,58) ». Cette exhortation a (596) pour elle la justice et l'à-propos. Point de faiblesse; point d'hésitation ; ne vous laissez pas abattre, ne vous découragez pas sans motifs. « Travaillez sans cesse à l'oeuvre de Dieu » ; c'est-à-dire, à rendre votre vie pure. Il ne dit pas : Faites le bien, mais : « Travaillez sans cesses, pour que le zèle déborde de vos coeurs quand vous vous mettez à l'oeuvre, pour que vous fassiez votre devoir et au delà. « Sachant que votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur»: Que dis-tu, Paul? Encore des travaux? Oui, encore des travaux ; mais des, travaux qui rapportent des couronnes, et qui ont le ciel en perspective. Car autrefois, en laissant derrière lui, le paradis, l'homme a dû souffrir des travaux qui étaient le châtiment de ses fautes ; les travaux dont il s'agit, au contraire,, lui promettent les palmes de la vie future. Lorsqu'on se place à un pareil point de vue, lorsqu'on lève les, yeux et qu'on aperçoit les secours qui nous viennent d'en haut, ce ne sont plus là des travaux. Aussi Paul a-t-il dit : Votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur. Nos premiers travaux étaient un châtiment; ceux-ci ne sont qu'un acheminement au bonheur qui nous est réservé dans l'autre vie. Il ne faut donc pas nous endormir, mes chers frères. Ce n'est point en nous laissant aller au courant de la paresse et de l'inertie que nous arriverons au royaume des cieux ; ce n'est point en nous abandonnant aux délices d'une vie molle et efféminée. Estimons-nous heureux de pouvoir conquérir un si grand bonheur à forée de pénitences, de mortifications, de souffrances sans nombre, de difficultés et de travaux. N'apercevez-vous pas l'intervalle immense qui sépare la terre des cieux, les guerres qui nous menacent, la pente qui entraîne l'homme vers le vice, les précipices dont le péché nous entoure, et les piéges qu'il sème au milieu de notre route ? Pourquoi donc nous créer tant de soucis qui ne nous sont pas imposés par la nature? Pourquoi nous susciter cette foule. d'embarras ? Pourquoi nous charger de tant de fardeaux ? Le Christ n'a-t-il pas voulu nous détourner de tous ces soins en nous disant : « Ne vous inquiétez ni de votre nourriture ni de votre habillement? » (Mt 6,25) Or, si nous ne devons nous inquiéter ni de la nourriture qui nous est nécessaire, ni de nos vêtements, à quoi bon cet attirail et ce luxe ? Ceux qui se plongent dans le gouffre de tant de besoins factices; pourront-ils jamais en sortir ? Est-ce que saint Paul ne vous a pas dit : « Celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne s'embarrasse point des affaires de cette vie?» (2Tm 2,4) Malgré cela, nous nous plongeons dans les délices, nous sommes esclaves de notre ventre, nous nous enivrons, nous nous tourmentons pour des choses qui nous sont étrangères, et nous n'apportons aux choses célestes que l'attention d'une âme molle et efféminée. Ne savez-vous pas que la récompense qui vous est promise est une récompense plus qu'humaine? Quand on rampe sur la terre, on ne peut monter au ciel ; et nous, loin de nous étudier à mener une vie conforme à la nature de l'homme, nous nous ravalons au-dessous de la brute. Ne savez-vous donc pas à quel tribunal vous comparaîtrez? Ne songez-vous donc pas qu'on vous demandera compte de vos paroles et de vos pensées; à vous qui ne veillez même pas sur vos actions? « Un regard lascif jeté sur une femme est déjà l'adultère ». (Mt 5,28) Et ces hommes qui auront à rendre compte d'un simple regard de curiosité, ne craignent pas de pourrir dans le péché ! « Celui qui traite son frère de sot, sera plongé dans la géhenne ». (Mt 5,22) Et nous ne cessons d'accabler notre prochain d'outrages, nous ne cessons de lui dresser des embûches de toute espèce! Il est tout simple d'aimer celui qui nous aime ; c'est là le mérite d'un païen. Et nous autres, nous haïssons ceux-là même qui nous aiment ! Quel pardon pouvons-nous espérer? Nous devrions, on nous l'a ordonné, ne pas nous contenter d'observer les prescriptions de l'ancienne loi, et, dans la mesure même de cette ancienne loi, notre vertu est insuffisante ! Quelle bouche éloquente nous arrachera au châtiment qui nous menace ? Quel défenseur viendra nous assister et nous secourir, nous, misérables pécheurs marqués pour le, supplice? Aucun; mais nous hurlerons comme des réprouvés, nous pleurerons, nous grincerons des dents, nous gérons en proie aux tourments; car nous serons condamnés à de profondes ténèbres, à des douleurs inévitables, à des peines insupportables. C'est pourquoi, je vous en prie, je vous en conjure, je vous en supplie à genoux : tandis que; pour marcher dans cette vie, nous avons encore quelque appui, ouvrons nos âmes aux paroles de (597) l'apôtre; qu'elles excitent en nous des sentiments de componction; convertissons-nous ; devenons meilleurs. Ne nous exposons pas, comme le mauvais riche, à pousser des lamentations inutiles, quand nous serons jetés dans les ténèbres extérieures. Ne nous exposons pas à répandre des larmes qui ne sauraient remédier à nos maux. En vain un père, un fils, un ami, qui aurait auprès de Dieu quelque influence, élèverait pour vous la voix, si vos actions. étaient là pour vous condamner. Tel est ce tribunal : il juge d'après les actes; nos actes seuls peuvent nous sauvez. En. vous tenant un pareil langage, je ne veux pas vous affliger, je ne veux pas vous jeter dans le désespoir; je veux que, renonçant à nous repaître de vaines et frivoles espérances, nous cultivions la vertu, sans mettre notre confiance, dans tel ou tel secours étranger. Si nous sommes lâches et;négligents, il n'y aura ni Juste, ni prophète, ni apôtre, il n'y aura personne qui soit en état de venir à notre aide. Mais soyons zélés, soyons diligents, et nous trouverons dans nos actes de puissants défenseurs, et nous jouirons en toute liberté, en toute sûreté, du bonheur que Dieu réserve à ceux qui l’aiment. Ce Bonheur, puissions-nous tous l'obtenir, etc.

Traduit par M. BAISSEY


HOMÉLIE 43. (16,1-10) QUANT A LA COLLECTE POUR LES SAINTS, FAITES LA MEME CHOSE QUE J'AI ORDONNÉE AUX ÉGLISES DE GALATIE.

4300
(
1Co 16,1-10)

ANALYSE.

1. Saint Paul recommande aux Corinthiens de recueillir petit à petit des aumônes pour les pauvres de Jérusalem.
2. Cette collecte faite, ils l'enverront eux-mêmes à Jérusalem par des hommes sûrs : saint Paul les accompagnera si la chose en vaut la peine.
3 et 4. Exhortation. — Soyons fermes dans les épreuves.— L'homme juste est quelquefois éprouvé, mais il eu sera récompensé davantage. — Sanctifions nos maisons par des aumônes mises en réserve.

4301 1. Ayant achevé ce qu'il avait à dire sur les dogmes, il va maintenant traiter plus spécialement des moeurs, et sans s'occuper du reste, il va droit à la vertu qui comprend toutes les autres, la charité et l'aumône. Il ne parle que de cette seule vertu et fiait sa lettre. Cette épître est la seule où il en soit ainsi ; dans les autres il ne parle pas seulement de l'aumône, mais encore de la tempérance, de la mansuétude, de la douceur, de la patience, et de toutes les autres en général, en finissant. Pourquoi ne traite-t-il ici que cette seule partie de la morale.? Parce que la plus grande partie de ce qui précède roule déjà sur des matières morales; par exemple, ce qu'il a dit pour corriger le fornicateur, pour redresser ceux qui portaient leurs différends devant les tribunaux du dehors, pour effrayer ceux qui s'adonnaient au vin et à la bonne chère, pour condamner ceux qui se livraient aux schismes aux disputes, et qui affectaient la domination, pour représenter à ceux qui s'approchaient indignement des mystères, l'épouvantable châtiment auquel ils s'exposaient, enfin, pour définir la charité. Il ne touche plus ici que le point dont il a besoin pour mieux assister les saints. Remarquez encore ici l'habileté de l'apôtre : aussitôt qu'il (598) les a persuadés de la résurrection, et qu'il les a remplis par ce discours de ferveur et de zèle, il les met sur le chapitre de l'aumône. Ce n'est pas qu'il n'en eût déjà touché quelques, mots lorsqu'il disait : « Si nous avons semé chez vous les biens spirituels, sera-ce beaucoup si nous moissonnons de vos biens temporels ? » Et encore : « Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit? » (1Co 9,7-11) Cependant, la connaissance qu'il avait de l'excellence de cette vertu le détermine à en parler encore à la fin de cette épître.

Le mot de « collecte » qu'il met tout en commençant fait déjà envisager la chose comme légère et facile; puisque tous contribuent à l’oeuvre, la charge qui en résultera pour chacun ne pourra qu'être légère. Après avoir parlé de la collecte, il ne dit pas tout aussitôt : Que chacun de vous mette de côté chez soi, comme il était naturel de dire, non, il a soin de dire auparavant : Faites comme j'ai ordonné aux Eglises de Galatie. Mentionner les bonne oeuvres des autres était un bon moyen d'exciter leur zèle par l'émulation. Et remarquez comme il introduit cette mention sous forme de récit; c'est un procédé qu'il met encore en oeuvre dans son épître aux Romains. Il semble ne vouloir que leur parler du motif de son départ pour Jérusalem, et il prend de là occasion de se jeter sur le sujet de l'aumône : « Maintenant », dit-il, « je m'en vais à Jérusalem pour le service des saints. Car il a dit à la Macédoine et à l'Achaïë de faire quelques aumônes en commun aux pauvres d'entre les saints». (Rm 15,25-26) Il excitait les Romains par l'exemple des Macédoniens et des Corinthiens, et ceux-ci par l'exemple des Galates. — « Faites », dit-il, « comme j'ai ordonné aux Eglises de Galatie ». Les Corinthiens n'auraient-ils pas rougi de rester inférieurs aux Galates? Et il ne dit pas : J'ai persuadé, j'ai conseillé, mais : «J'ai ordonné », ce qui marque plus l'autorité. Et il ne cite pas seulement une ville, ni deux, ni trois, mais toute une nation. C'est un moyen. qu'il emploie également quand il traite des questions dogmatiques : « Comme je l'enseigne », dit-il, « dans toutes les églises des saints ». Que si l'exemple est efficace pour établir la foi des dogmes, il le sera bien davantage encore pour exciter l'émulation des bonnes oeuvres.

Mais qu'avez-vous ordonné, dites-moi, bienheureux apôtre? «Que le premier jour de la semaine », c'est-à-dire le dimanche, « chacun de vous mette quelque chose à part chez soi, amassant selon sa bonne volonté (2) ». Remarquez comme il sait les exciter même par la circonstance du temps; car ce jour qu'il indique était propre à porter à l'aumône. Souvenez-vous, semble-t-il dire, quels bienfaits vous avez reçus ce jour-là. Les biens ineffables, et la racine et le principe de notre vie, c'est once jour qu'ils nous ont été donnés. C'est encore par une autre raison que ce jour augmente le zèle charitable; il est le jour du repos et de la suspension de tous les travaux. Une âme affranchie de tout embarras d'affaires, en devient plus prompte et plus apte à pratiquer l'aumône. De plus, la participation aux mystères redoutables et immortels met dans l'âme beaucoup de zèle. En ce jour donc, « que chacun de vous »; non un tel et un tel, mais «chacun de vous », quel qu'il soit, pauvre ou riche; la femme ou l'homme; l'esclave ou l'homme libre mette à part chez soi. Il ne dit pas: Que chacun porte à l'Eglise, de peur que l'on n'eût honte de donner peu; mais après que ces petites sommes mises à part peu à peu en auront fait une un peu plus considérable, alors, quand je serai venu, qu'on me l'apporte. En attendant, mettez à part chez vous quelque chose, et faites de votre maison une église, le coffret qui recevra vos aumônes sera le tronc. Devenez le gardien d'un argent sacré, faites-vous spontanément économe des pauvres. C'est votre chanté qui vous confère ce sacerdoce. Les troncs qui sont dans nos églises sont encore une marque de cette ancienne coutume. Mais hélas ! le signe seul reste, la chose ne. se voit plus nulle part. Je sais que la plupart de ceux qui sont ici me blâmeront encore de parler sur ce sujet; je les entends déjà me dire : Epargnez-nous ces désagréables, ces fâcheux discours. Laissez cela à la volonté de chacun, et que chacun suive le mouvement de son coeur; ce que vous dites maintenant ne sert qu'à nous couvrir de honte et de confusion. — Mais je ne tiens aucun compte de ces remontrances. Saint Paul ne craignait pas de se rendre importun sur ce sujet, ni de tenir le langage de ceux qui mendient. Si je vous disais : Donnez-moi, à moi, et déposez vos aumônes dans ma maison, il y aurait peut-être sujet de rougir ; ou plutôt il n'y aurait pas même alors sujet, « car », dit (599) l'apôtre, « ceux qui servent à l'autel vivent de l'autel ». (1Co 9,13)

4302 2. Toutefois on pourrait me reprocher de prêcher pour moi. Au lieu que maintenant c'est pour les indigents que je demande, ou pour mieux dire, ce n'est pas pour les indigents ; c'est, pour vous qui donnez : c'est pourquoi je parle avec une entière liberté. Quelle honte y a-t-il à dire : Donnez au Seigneur qui a faim; revêtez-le lorsque vous le rencontrerez nu ; recevez-le chez vous quand il est sans asile? Votre Seigneur ne rougit pas de dire à la face de la terre : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger » (Mt 25,42) ; lui qui ne manque de rien et qui n'a rien à désirer. Et moi je rougirais et je n'oserais parler ! A Dieu ne plaise ! Ce serait une suggestion diabolique qu'une telle honte. Je ne rougirai donc pas, mais je parlerai en toute liberté et je dirai : Donnez à ceux qui ont besoin, élevant la voix plus haut que les indigents. Si je pouvais être convaincu par quelqu'un de chercher mon intérêt en parlant de la sorte, et de faire mes propres affaires sous le prétexte de faire celles des pauvres, ce ne serait pas, assez de la honte pour me punir, il faudrait toutes les foudres du ciel, car il ne mériterait pas de vivre, celui qui commettrait une telle indignité.

Mais si, par la grâce de Dieu, ce n'est point pour nous-mêmes que nous vous importunons; si nous vous annonçons gratuitement l'Evangile, non à la vérité en travaillant de nos mains comme Paul, mais en vivant de nos biens propres, je dirai en toute liberté : Donnez à ceux qui ont besoin, et je ne cesserai de le redire, et ceux qui ne donneront pas, je serai leur accusateur infatigable. Si j'étais général et que j'eusse sous moi des soldats, je n'aurais pas boute de demander des vivres pour mes soldats. D'ailleurs je désire extrêmement votre salut. Mais afin que mon discours soit plus efficace; je vais m'adjoindre saint Paul et vous dire avec lui : « Que chacun de vous mette à part chez soi, et qu'il amasse selon qu'il aura « prospéré ». Voyez comme il évite d'être indiscret et à charge ! Il ne dit pas: Donnez telle ou telle somme, mais : « Ce qui vous plaira », que ce soit beaucoup, que ce soit peu. Il ne dit pas : Que chacun donne ce qu'il aura gagné, mais « Selon qu'il aura prospéré », pour montrer que c'est de Dieu que nous tenons ce que nous donnons. Autre moyen de faciliter l'aumône qu'il conseille: il n'ordonne pas qu'on la donne tout entière, d'un coup, mais qu'on l'amasse petit à petit, de manière que la dépense s'effectue sans peine et passe pour ainsi dire inaperçue. Voilà pourquoi il ne demande pas qu'on dépose l'aumône sur-le-champ; mais il indique un long délai. La raison qu'il donne de cette mesure est celle-ci : « Afin qu'on n'ait pas à faire la collecte lorsque j'arriverai » c'est-à-dire, afin que vous ne soyez pas obligés de recueillir les aumônes dans le temps même où il faudra les apporter. Nouveau motif qui ne devait pas médiocrement les exciter; l'attente de Paul était bien propre à augmenter leur zèle.

« Lorsque je serai arrivé, j'enverrai des hommes choisis pair vous, et à qui je donnerai des lettres, porter votre charité à Jérusalem (3) ». Il ne dit pas: J'enverrai un tel et un tel, mais : Des hommes que vous aurez choisis vous-mêmes afin que l'on n'ait pas le moindre soupçon. Voilà pour quelle raison il leur remet le choix de ceux qui porteront l'argent. Il se garde bien de leur dire : à vous de donner votre argent, à d'autres le droit de choisir ceux qui le porteront. Ensuite pour montrer qu'il ne laisse pas de s'occuper de cette bonne oeuvre, il parle des lettres qu'il donnera aux porteurs, il dit: « J'enverrai avec des lettres ceux que vous aurez choisis », comme s'il disait : Je serai moi-même avec eux, je participerai à la mission par le moyen de mes lettres. Il ne dit pas : Je les enverrai porter votre aumône, mais « votre charité », pour relever par ce terme la grandeur de leur action et du gain qui leur en revient. Ailleurs il donne à l'aumône les noms de bénédiction et de communication, l'un pour corriger la négligence, l'autre pour abaisser l'orgueil nulle part il ne se sert du mot d'aumône.

« Que si la chose mérite que j'y aille moi-même, ils viendront avec moi (4) ». Ici encore l'apôtre engage les Corinthiens à donner largement. Si vos charités sont assez considérables, veut-il dire, pour que ma présence soit nécessaire, je ne refuserai pas d'y aller. Il n'a pas promis cela tout d'abord, il n'a pas dit quand je serai arrivé, je porterai l'argent. S'il eût promis cela dès le commencement, l'effet n'eût pas été le même. Mise où elle se trouve, cette promesse est parfaitement à sa place. Ainsi dès le commencement ce n'est pas une promesse formelle, mais ce n'est pas non plus (600) un silence absolu, car l'apôtre se met déjà en avant en disant: « j'enverrai ». Et encore en dernier lieu il ne parle que conditionnellement, tout dépendra d'eux-mêmes : « Si la chose le mérite », dit-il. Il dépendait d'eux assurément de donner une somme assez grosse pour que l'apôtre crût qu'elle vaudrait la peine qu'il s'en chargeât.

« Or, j'irai vous voir quand j'aurai passé par la Macédoine (5)». Ceci, l'apôtre l'a déjà dit plus haut, mais avec colère; car il ajoutait : « Et je connaîtrai non les discours des orgueilleux, mais leur vertu ». (1Co 4,19).Ici il parle avec plus de douceur, afin qu'ils désirent sa présence. Et pour qu'ils ne disent pas : Pourquoi donc nous préférez-vous les Macédoniens, il ne met pas : Quand j'aurai été en Macédoine, mais : « Quand j'aurai passé par la Macédoine, car je passerai par la Macédoine. Peut-être que je séjournerai chez eux, et que j'y passerai l'hiver (6) ». Mon dessein n'est pas de vous voir seulement en passant, je veux m'arrêter chez vous et y séjourner. Il était à Ephèse lorsqu'il écrivait cette épître, et c'était pendant l'hiver. C'est pourquoi il dit : « Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte (8) ». Ensuite, j'irai en Macédoine, et après l'avoir traversée, j'irai vous voir l'été ; et peut-être passerai-je l'hiver chez vous.

4303 3. Mais pourquoi saint Paul dit-il «peut-être », sans rien assurer de positif? Parce qu'il ne prévoyait pas tout, et cela utilement. C'est pourquoi il n'affirme pas absolument, de sorte que s'il en arrivait autrement, il aurait recours pour se défendre à sa promesse conditionnelle, et à l'autorité du Saint-Esprit: gui à son, gré conduisait l'apôtre, et ne le laissait pas toujours aller où il aurait voulu. Il le témoigne, dans sa seconde épître, lorsque pour justifier son retard, il dit : « Ou quand je prends une résolution, cette résolution n'est-elle qu'humaine, et trouve-t-on ainsi en moi le oui et le non ». (2Co 11,17) — « Afin que vous me conduisiez au lieu où je pourrai aller ». Ceci témoigne encore de la charité de l'apôtre et de son grand-amour pour ses disciples. — « Car je ne veux pas cette fois vous voir seulement en passant, et j'espère demeurer assez longtemps chez vous, si le Seigneur le permet (7) ». Ces paroles qui sont l'expression de sa charité, tendent aussi à faire trembler les pécheurs, non pas ouvertement, mais seulement sous prétexte d'amitié. — « Je demeurerai à Ephèse jusqu'à la Pentecôte ». Il leur fait part exactement de tous ses desseins et familièrement comme à des amis. Car c'est encore une marque d'amitié qu'il leur donne, de leur dire la raison pourquoi il n'a pas encore été les voir, pourquoi il diffère, et en quel lieu il demeure. — « Car une grande porte s'y ouvre, visiblement devant moi, et il s'y élève contre moi beaucoup, d'ennemis » (9), Une grande « porte » et « beaucoup d'ennemis », comment ces choses vont-elles ensemble? Les ennemis s'élèvent précisément -parce que. la foi est grande, parce qu'elle trouve une grande et large entrée. Qu'est-ce à dire une grande porte?. c'est-à-dire que beaucoup sont tout prêts à embrasser la foi, beaucoup sont sur le point, de s'approcher de Dieu et de se convertir. Une large entrée se présente, parce que l'âme de ceux qui s'approchent est mûre pour la soumission à la foi. Le démon voyant que tant d'hommes allaient l'abandonner, soufflait partout sa fureur. Cette double raison engageait donc saint Paul à demeurer là : beaucoup de fruit d'un côté, et de grands combats de l'autre. Il encourageait aussi beaucoup les Corinthiens, en leur disant que la parole de Dieu croissait et fructifiait de toute part avec facilité. Si beaucoup d'ennemis se soulevaient contre elle, c'était une preuve de plus du progrès de l'Evangile. Car le démon n'est jamais plus en colère que lorsqu'on lui enlève beaucoup de dépouilles.

Faisons de même, et lorsqu'il s'agira de quelque grande et généreuse entreprise à exécuter, ne regardons pas à la peine qu'elle causera, mais aux fruits qu'elle produira. Voyez Paul en effet, il ne s'effraye et ne se rebute de rien, quelque nombreux que soient les ennemis; mais parce qu'une large porte s'ouvre à la foi, il persévère ; il demeure à sa tâche. Comme je l'ai dit, la multiplicité des ennemis n'était qu'un signe que le démon se sentait dépouillé. Ce n'est pas par de petites ou de mauvaises actions que l'on excite la fureur de ce monstre. Lors donc que vous voyez un homme juste et qui fait de grandes choses, souffrir toute espèce de traverses, n'en soyez pas étonnés. Il faudrait plutôt s'étonner si, recevant tant de coups douloureux, il restait néanmoins tranquille et souffrait doucement ses blessures. Vous étonnez-vous lorsqu'un serpent que l'on excite en le piquant, s'exaspère et se jette sur celui qui le pique? Il n'y a pas de serpent si (601) âpre que le démon, il se jette sur tous, et tel qu'un scorpion irrité il se dresse en agitant un dard empoisonné. Que cela ne vous trouble point. Un soldat victorieux ne revient pas d'une sanglante mêlée sans être couvert de sang, sans rapporter des blessures. Lors donc que vous voyez quelqu'un qui fait l'aumône, qui pratique toute espèce de bonnes oeuvres et porte ainsi à la puissance du démon des coups mortels, ne vous étonnez point s'il tombe dans les tentations et les dangers. Si la tentation est venue l'assaillir, c'est précisément parce qu'il a porté de rudes coups au démon. Et pourquoi, dira-t-on, Dieu permet-il que le juste soit tenté? Afin que sa couronne en soit embellie, afin que le démon voie aggraver sa défaite. L'homme qui ayant suivi le chemin de la vertu est arrivé à l'épreuve et qui remercie Dieu de tout, celui-là inflige au démon des coups terribles. C'est déjà beaucoup, pendant que le souffle de la bonne fortune gonfle nos voiles de rester toujours fidèle à l'aumône et à toute espèce de vertu ; mais c'est beaucoup plus de persévérer dans cette belle conduite en dépit de tous les maux. C'est celui-là surtout qui travaille en vue de Dieu.

Ainsi donc, mes frères,, dans les dangers et dans les peines restons plus que jamais attachés à la vertu. La vie présente n'est pas le temps de la récompense.. Ne réclamons donc pas la couronne dès ici-bas, pour ne pas amoindrir notre récompense au jour des couronnes. De même que pour les ouvriers, ceux qui se. nourrissent en travaillant reçoivent un salaire plus élevé, tandis que le salaire de ceux qui sont nourris par les personnes qui les emploient se trouve notablement amoindri; de même parmi les saints, celui qui aura subi mille épreuves en pratiquant la vertu reçoit la récompense entière, et une rémunération plus considérable, non seulement pour les bonnes oeuvres qu'il a faites, mais encore pour les maux qu’il a soufferts. Au contraire, celui qui passe ses jours dans le relâchement,et la mollesse ne reçoit pas à beaucoup près d'aussi brillantes couronnes là-haut. Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, mais soyons au comble de la joie lorsqu'il nous arrive de souffrir en faisant le bien.

4304 4. Et pour rendre ce que je dis plus sensible, supposons deux riches, tous deux compatissants et généreux envers les pauvres. Que l'un demeure en possession de ses richesses, qu'il jouisse de toutes les prospérités; que l'autre tombe dans la pauvreté et dans les maladies, et dans les malheurs, et que cependant il rende grâces à Dieu. Lorsqu'ils s'en iront là-haut, lequel des deux recevra la récompense la plus grande? N'est-il pas clair que c'est celui qui aura été exercé par la maladie et l'infortune, puisqu'il n'aura montré aucune faiblesse dans une vie toujours vertueuse et cependant durement éprouvée? Celui-ci est la statue de diamant, celui ci est le serviteur de bonne volonté. Si ce n'est pas même dans l'espoir du royaume qu'il faut opérer. le bien, mais dans l'intention de plaire a Dieu, que mérite celui qui, parce qu'il ne reçoit pas dès ici-bas le prix de sa bonne conduite, se relâche dans la pratique. de la vertu ? Ne nous troublons donc pas, lorsque -nous voyons qu'un tel qui invitait les veuves, qui recevait les voyageurs, a perdu sa maison consumée par l'incendie, ou éprouvé quelqu'autre malheur, et en effet il recevra pour cela une récompense. Job lui-même est devenu moins célèbre par ses aumônes que par les épreuves qui survinrent. On méprise au contraire ses amis, on les regarde comme des gens de rien, parce qu'ils cherchaient ici les récompenses temporelles et que d'après ce principe ils condamnaient injustement le juste.

Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, devenons pauvres et indigents. Il est d+e la dernière folie, quand on nous propose le ciel et ce qui est au dessus pour prix de nôtre vie, d'abaisser. ses regards aux choses de. la terre. Ne faisons pas ainsi, et de quelque malheur que nous puissions être surpris, suivons Dieu. sang nous lasser, et suivons le conseil de saint Paul, ayons un tronc des pauvres dans notre maison, qu'il soit placé près de l'endroit où vous vous tenez pour prier ; et chaque fois que vous entrez pour faire votre prière, déposez d'abord votre aumône, et ensuite faites monter votre oraison; et de même que vous ne voudriez pas vous mettre en prière sans vous être auparavant lavé les mains, de même ne priez pas sans avoir fait l'aumône. Ce n'est pas une chose moins utile d'avoir ainsi une aumône cachée que d'avoir l'Evangile suspendu auprès de son lit.

Si vous suspendez l'Evangile et que vous ne le pratiquiez pas, il ne vous en reviendra pas grand'chose. Avec ce petit coffre vous avez une arme contre le démon, la prière que vous (602) faites auprès a des ailes, vous sanctifiez votre maison, en y tenant en réserve les aliments du Roi éternel. Mettez votre lit à côté de ce coffret, et nul fantôme ne troublera vos nuits, pourvu que vous n'y mettiez rien qui vienne de l'injustice. Car cet argent est destiné à l'aumône, et l'aumône ne peut avoir la cruauté pour son principe. Voulez-vous que je vous montre où il faut prendre de quoi donner cette aumône pour la rendre facile dans la pratique? Vous êtes artisan, serrurier, cordonnier, ouvrier en cuir ou en quoi que ce soit, vous vendez quelque produit de votre art, levez les prémices du prix en l'honneur de Dieu, jetez-en une parcelle en l’honneur de Dieu, partagez avec Dieu en lui donnant la moindre partie. Je ne vous demande pas beaucoup, pas plus qu'on ne demandait aux juifs qui étaient encore peu avancés dans la sagesse et même remplis de défauts. Nous qui attendons le ciel, ne devrions-nous pas rougir de ne pas. faire autant qu'eux ! Ne prenez pas ce que je vais dire pour une loi, ni comme une défense que je vous ferais de donner plus, mais je ne crois pas que vous deviez donner moins, de la dixième partie de ce que vous avez. Faites cela non-seulement lorsque vous vendez, mais lors, même, que vous achetez. Que ceux qui reçoivent des rentes et des revenus gardent aussi cette loi ; enfin qu'elle soit générale pour tous ceux qui reçoivent de l'argent: par des voies justes. Quant aux usuriers, je ne m'adresse pas à eux, ni aux soldats qui s'enrichissent par des concussions, et qui trafiquent de la misère des autres. D'une semblable source, Dieu ne veut rien recevoir; je dis ces choses à ceux qui s'enrichissent noblement. Une fois que nous avons pris cette habitude, nous sommes toujours aiguillonnés par notre conscience, lorsque, nous abandonnons cette loi ; nous reconsidérons plus la pratique comme difficile, petit à petit nous irons plus loin, et après nous être appliqués au mépris des richesses, et avoir arraché de nos coeurs cette racine de tous les maux, nous passerons cette vie dans une paix tranquille, et nous jouirons ensuite d'une autre qui ne finira pas, et que je prie Dieu de nous accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





Chrysostome sur 1Co 4200