Chrysostome sur 2Co 2400

HOMÉLIE XXIV. CAR CE SONT DE FAUX APÔTRES, DES OUVRIERS TROMPEURS, QUI SE TRANSFORMENT EN APÔTRES DE JÉSUS-CHRIST.

(2Co 11,13-20)

Analyse.
1. Sur les faux apôtres.— Grandes précautions que prend Paul, lorsqu'il est forcé de parler avantageusement de lui-même ; pourquoi, et dans quelle intention, il se glorifie des avantages qui sont selon la chair.
2. De la tyrannie exercée par les faux apôtres.— Reproches de Paul à ceux qui les supportent.
3. Dans quelles circonstances il est permis de parler de soi avec éloge : exemples de l'Ecriture qui prouvent que c'est quand des paroles de ce genre tournent à l'édification du prochain.
4. Combien la jalousie est funeste.— Vices qu'elle engendre.— Contre le luxe, contre l'amour de la gloire, contre la servitude des passions qui semblent les plus fières.— C'est la gloire à venir qu'il faut rechercher.

2401 1. Que dites-vous? ceux qui prêchent Jésus-Christ, qui ne veulent pas recevoir d'argent, qui n'enseignent pas un Evangile différent, ce sont de faux apôtres? Oui, dit-il, et surtout parce que tout ce qu'ils font n'est qu'une comédie, afin de tromper. « Des ouvriers trompeurs ». Ils travaillent à la vérité, mais c'est pour arracher ce qui avait été planté. Ils savent ce à quoi ils sont forcés pour se faire accepter, ils prennent le masque de la vérité, et par ce moyen, ils jouent leur comédie au profit de l'erreur. Il est vrai, dit-il, qu'ils n'acceptent pas d'argent; mais c'est pour recevoir davantage, c'est pour perdre les âmes. Ou plutôt, leur prétention même est un mensonge; ils savaient fort bien percevoir sans qu'on pût (147) s'en apercevoir; c'est ce que l'apôtre montre clans ce qui suit. Il a déjà insinué ce fait, en disant : « A ceux qui se glorifient de faire comme nous » ; nous le verrous ailleurs exprimer sa pensée sur le même objet avec plus de clarté en ces, termes : « Qu'on vous mange, qu'on vous prenne, qu'on vous traite avec hauteur, vous souffrez cela ». Quant à présent, il attaque les faux apôtres d'une autre manière, il dit d'eux : « Qui se transforment». Ils n'ont qu'un masque, ce n'est que la peau de la brebis qui les recouvre. « Et l'on ne doit pas s'en étonner, puisque Satan même se transforme en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que ses ministres aussi se transforment en ministres de la justice (2Co 11,14-15) ». S'il faut s'étonner de quelque chose, c'est du pouvoir de Satan,; mais ce que font ceux-ci n'a pas de quoi surprendre. Leur maître ose tout; il n'y a rien !d'étonnant à ce que ses disciples suivent son exemple. Maintenant que signifie « ange de lumière? » C'est un ange qui a la liberté de parler à Dieu, et qui se tient auprès de Dieu. Il faut savoir qu'il y a aussi des anges de ténèbres, des anges du démon, anges de la nuit, anges féroces. Le démon a trompé un grand nombre d'hommes, en se transformant, sans devenir pour cela un ange de lumière. De même ces gens-là se promènent sous un masque d'apôtres, sans en avoir la vertu qui n'est pas en leur puissance.

Rien n'appartient autant à la nature du démon que d'agir par ostentation. Mais que signifie : « Ministres de la justice? » C'est ce que nous sommes, nous qui vous prêchons l'Evangile où est contenue la justice. Ou c'est là ce que dit l'apôtre, ou il signifie que les ministres de l'Evangile se sont acquis la réputation d'hommes justes. Comment donc les reconnaîtrons-nous? Par leurs oeuvres selon la parole du Christ. Aussi est-il forcé d'établir le parallèle entre ses bonnes oeuvres et leur perversité, afin que la comparaison mette en évidence les intrus. Au moment d'entreprendre encore son éloge, il commence par les accuser, afin de montrer qu'il est contraint par son sujet, afin qu'on ne l'accuse pas de parler de lui-même, et il dit : « Je vous le dis encore une fois (2Co 11,16) ». Il a déjà eu recours à une foule de précautions. C'est égal, il ne me suffit pas de ce que je vous ai déjà dit, mais je vous le dis encore une fois, afin que l'on ne me regarde pas comme un insensé. Ces gens-là n'avaient qu'une occupation, c'était de se glorifier sans aucun motif. Considérez comment l'apôtre, chaque fois qu'il entreprend son propre éloge, prélude avec circonspection. C'est une action insensée, dit-il, que de se glorifier; mais moi je ne le fais pas à la manière des insensés, j'y suis forcé. Si vous ne me croyez pas, si même en reconnaissant la nécessité qui me presse vous me condamnez, eh bien ! je n'en persisterai pas moins. Voyez-vous comme il montre l'impérieuse nécessité qui le contraint de parler? S'il ne reculait pas devant le soupçon d'être un insensé qui se vante, considérez quelle violente nécessité de parler lui était imposée, quel effort il faisait, quelle contrainte il subissait. Cependant il s'exprime encore avec mesure. Il ne dit pas : Afin que je me glorifie. Au moment de se glorifier un peu, il a encore recours à une précaution préliminaire; il dit : « Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu; mais je fais paraître de l'imprudence, dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier (2Co 11,17) ».

Voyez de combien il s'en faut que se glorifier soit conforme à la loi du Seigneur. « Lorsque vous aurez tout accompli », dit le Seigneur, «dites-vous : nous sommes des serviteurs inutiles ». (Lc 17,10) Mais, si l'action en elle-même n'est pas conforme à la loi du Seigneur, elle le devient par l'intention qui la produit. Aussi l'apôtre s'exprime-t-il ainsi : « Ce que je dis... » ce n'est pas l'intention qu'il reprend, mais seulement les paroles. Son but est assez élevé pour rehausser les paroles mêmes. De même que l'homicide est le plus grand des crimes, mais souvent l'intention l'a rendu méritoire; de même que la circoncision n'est pas conforme à la loi du Seigneur, mais l’intention l'a rendue telle; de même pour ce qui est de se glorifier. Mais pourquoi l'apôtre ne présente-t-il pas avec toute cette précision les considérations qui l'excusent? C'est qu'il est pressé, qu'il a un tout autre but, ce n'est qu'en passant qu'il laisse échapper quelques mots accordés comme par grâce à ceux qui veulent le censurer; il, pense surtout à dire ce qui doit être utile. Les observations déjà faites par lui, étaient suffisantes pour éloigner de lui tout soupçon. « Mais je fais paraître de l'imprudente ». Il a commencé par dire : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence »; et maintenant il dit: « Je fais paraître de l'imprudence ». Plus il (148) avance, plus il donne de netteté à ses expressions. Ensuite comme il ne veut pas qu'on le prenne absolument pour un insensé, il dit « Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ». En cela seulement, dit-il; c'est avec une restriction du même genre qu'il dit ailleurs « Afin que nous ne soyons pas confondus » ; il dit de même ici. « Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ». Ailleurs il dit encore: « Est-ce selon la chair que je fais les desseins que je fais, de telle sorte que l’on trouve également en moi oui, oui; non, non?» et après avoir montré qu'il ne peut pas remplir toujours toutes les promesses qu'il faisait d'aller visiter les Eglises parce qu'il ne prend pas de résolutions selon la chair, pour empêcher qu'on ne soupçonnât aussi son enseignement d'inconstance et de variabilité, il dit : « Mais Dieu qui est véritable, m'est témoin qu'il n'y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée ». (2Co 1,17-18)

2402 2. Voyez après combien de préliminaires il apporte encore d'autres motifs d'excuse; entendez-le ajoutant, disant : « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux (2Co 11,18) ». Qu'est-ce que cela veut dire: « Selon la chair? » C'est-à-dire, de choses extérieures, de leur noblesse, de leurs ressources, de leur science, de ce qu'ils sont circoncis, de ce qu'ils ont pour ancêtres des Hébreux, de la gloire dont ils jouissent auprès de la multitude. Voyez l'adresse de Paul : il étale d'abord ces biens qui ne sont rien, pour amener le mot de folie qu'il met ensuite. S'il y a de l'imprudence à se glorifier à propos des biens réels, à plus forte raison y en a-t-il à propos de ceux qui ne sont rien. Et c'est ce qu'il dit, « n'être pas conforme à la loi du Seigneur ». En effet, il ne sert à rien d'être Hébreu, ni de jouir d'autres avantages du même genre. N'allez donc pas vous imaginer que je considère ces titres comme des vertus; mais puisque ces gens-là s'en glorifient, je suis bien forcé d'établir là-dessus ma comparaison avec eux ; c'est ce que fait l'apôtre dans d'autres circonstances encore : « Si quelqu'un croit pouvoir prendre avantage de ce qui n'est que charnel, je le puis encore plus que lui ». (Ph 3,4) L'apôtre parle ainsi à cause de ceux qui prenaient ainsi leurs avantages. Supposez un homme d'une brillante naissance, ayant embrassé la pratique de la sagesse, et qui en verrait d'autres enorgueillis de leur noble origine; pour rabaisser leur vanité, il serait forcé dé parler de l’illustration de sa race à lui, ce qu'il ferait non par désir de se vanter, mais afin de rappeler les autres à l'humilité. C'est ce que fait Paul. Ensuite, laissant de côté ces vaniteux, il ne s'attaque plus qu'aux Corinthiens.

« Vous souffrez sans peine les imprudents (2Co 11,19) ». C'est donc vous qui êtes cause de ces désordres, encore plus que ces faux apôtres. Si vous ne les supportiez pas, si le mal qu'ils vous font ne venait que d'eux, je n'aurais rien à dire; mais c'est votre salut qui m'inquiète, et je condescends à votre faiblesse : Voyez comme il mêle à la réprimande un éloge après avoir dit : « Vous souffrez sans peine les imprudents », il ajoute: « étant vous-mêmes sages ». C'est de l'imprudence que de se glorifier pour de pareils sujets. Sans doute il pouvait les réprimander ouvertement, leur dire: Ne supportez pas les imprudents; mais la réprimande, telle qu'il la formule, a plus d'éloquence. En s'y prenant autrement il eût paru ne les réprimander que parce qu'il était privé des mêmes avantages; au lieu qu'en se montrant, même au point de vue de ces avantages, supérieur à ses adversaires, et en disant qu'il dédaigne de pareils titres, ses paroles ont plus de force pour corriger. D'ailleurs, avant de commencer son éloge et d'entreprendre la comparaison qui lui donne la supériorité, il reproche aux Corinthiens la bassesse qui les courbe devant ces hommes.

Voyez comme il les raille : « Vous souffrez », dit-il, « qu'on vous mange (2Co 11,20) ». Mais alors, ô Paul, comment avez-vous pu dire : « A ceux qui se glorifient de faire comme nous? » Voyez-vous comme il les montre ne se faisant pas faute de recevoir, et non-seulement de recevoir, mais au-delà de toute mesure ? car c'est ce que signifie manger. « Qu'on vous asservisse ». Vos fortunes, dit-il, et vos personnes, et votre liberté, vous avez tout livré. Certes voilà qui est plus fort que de recevoir, ce n'est pas seulement de vos fortunes, mais de vos personnes mêmes qu'ils sont les maîtres. C'est ce qu'il fait voir auparavant par ces paroles : « Si d'autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi ne pourrions-nous pas, en user plutôt qu'eux? » (1Co 9,12) Vient ensuite ce qui est plus grave : « Qu'on vous traite avec hauteur ». Votre servitude est extrême, vos (149) maîtres n'ont pas la douceur en partage, ils sont insupportables, odieux. « Qu'on vous frappe au visage ». Voyez-vous ici encore l'excès de la tyrannie? Ce n'est pas qu'ils fussent frappés au visage, mais ils étaient couverts de mépris et d'outrages; de là ce que l'apôtre ajoute : « C'est à ma confusion que je le dis ». On ne vous traite pas moins mal que ceux que l'on frappe au visage. Que peut-il y avoir de plus violent, de plus amer que cette domination qui vous prend vos fortunes, votre liberté, votre honneur, sans s'adoucir même en vous traitant de cette manière, qui ne vous laisse même pas la condition d'esclaves, mais abuse de vous en vous outrageant plus que l'on ne fait du misérable acheté à prix d'argent. « Comme si nous avions été faibles ». Il y a de l'obscurité dans l'expression. C'est que la vérité était désagréable à dire; il en dissimule l'odieux par l'obscurité des termes. Voici ce qu'il veut faire entendre. Ne pouvons-nous pas faire de même? Mais nous ne le faisons pas. Pourquoi donc les supportez-vous comme s'il nous était impossible d'en faire autant? Certes il faut vous reprendre de ce que vous supportez des insensés; mais qu'en outre vous vous laissiez ainsi mépriser, piller, traiter avec hauteur, frapper de coups, c'est ce qui ne comporte aucune excuse, c'est ce que jamais la raison ne saurait admettre. Car voilà une étrange manière de tromper les hommes. Ordinairement les trompeurs font des largesses, adressent des flatteries; ceux-là au contraire, ils vous trompent, ils vous prennent ce que vous avez, ils vous outragent. D'où il suit que vous ne pourriez trouver une ombre d'excuse : à ceux qui s'abaissent eux-mêmes à cause de vous, afin que vous soyez élevés, vous répondez par vos mépris; et ceux qui s'élèvent eux-mêmes afin que vous soyez abaissés, vous les entourez de votre admiration. Ne pouvons-nous pas faire de même? Nous nous en gardons bien, nous ne nous proposons que votre intérêt. Ces hommes-là vous pillent, parce qu'ils ne se proposent que leur intérêt à eux. Voyez-vous comment la parfaite liberté de son langage conspire en même temps à leur donner des craintes? Si vous ne les honorez, dit-il, que parce qu'ils vous frappent, que parce qu'ils vous outragent, nous aussi nous pouvons bien faire de même, vous asservir, vous frapper, vous traiter avec hauteur.

2403 3. Comprenez-vous comment l'apôtre rend les fidèles uniquement responsables et de l'arrogance des faux apôtres et de ce qui paraissait de sa part, de l'imprudence? Ce n'est pas pour exalter ma gloire, c'est pour vous affranchir de votre arrière servitude que je me vois forcé de me glorifier un peu. Il ne faut pas se borner à examiner seulement les paroles, il faut aussi considérer l'intention. Samuel faisait de lui-même un grand éloge en sacrant Saül, quand il disait : « Quel est celui de vous à qui j'ai pris son âne, ou son veau, ou sa chaussure? Qui ai-je opprimé? » (1R 12,3) Personne cependant ne l'accusait. Ce n'était pas pour se vanter qu'il parlait ainsi, mais au moment d'instituer un roi, il voulait, en ayant l'air de se justifier, enseigner à ce roi la douceur, la mansuétude. Et considérez la sagesse du prophète, ou plutôt la bonté de Dieu.

... Il voulait d'abord les détourner de prendre un roi. Que fait-il alors ? Il rassemble toutes les charges dont pourra les accabler le roi à venir, comme par exemple, qu'il forcera leurs femmes à tourner la meule, qu'il emploiera les hommes pour conduire ses troupeaux, pour avoir soin de ses mulets (le prophète se plaît à entrer dans le détail de tous les services dont s'entoure le faste de la royauté). Mais quand il voit que ses observations sont inutiles auprès du peuple, que la nation est atteinte d'un mal incurable, alors il compatit à sa faiblesse, et il modère le roi, et il s'efforce de le porter à la douceur. Voilà pourquoi il donne l'exemple de sa propre conduite en témoignage, car personne assurément ne réclamait alors contre lui, ni ne l'accusait; il n'avait pas besoin de se justifier; ce n'est que pour porter le roi à bien faire, que Samuel parle de lui-même. Aussi, afin de réprimer l'orgueil de la royauté, il ajoute: « Si vous écoutez le Seigneur, vous et votre roi », tous les biens seront votre partage ; si, au contraire, vous ne l'écoutez pas, tout se tournera contre vous. Amos disait aussi : « Je n'étais ni prophète, ni fils de prophète, je n'étais que bouvier, me nourrissant de mûres. Et Dieu m’a pris». (Am 7,14-15) Ce n'était pas pour se louer qu'il parlait ainsi, mais pour fermer la bouche à ceux qui ne voyaient pas en lui un prophète, pour leur montrer qu'il ne les trompait pas, que ses discours étaient inspirés. Un autre encore disait dans le même esprit : « Pour moi, j'ai été rempli de la force du: Seigneur, dans son esprit et dans sa vertu ». (Mi 3,8) (150) David aussi, quand il parlait de son ours ou de son lion (1R 17,34), ne le faisait pas pour s'exalter, il se préparait à une oeuvre d'une admirable énergie. Comme on ne voulait pas croire qu'il triompherait du barbare, lui, nu, incapable de porter de lourdes armes, il était bien forcé de fournir des preuves de son courage viril. Et lorsqu'il coupa le bord du manteau de Saül (1R 24,5), ce n'était pas pour se glorifier qu'il dit les paroles qu'il fit entendre, mais pour détourner les affreux soupçons répandus contre lui, qu'il voulait tuer le roi. Donc il faut toujours considérer l'intention des paroles. Celui qui ne se propose que l'intérêt de ceux qui l'écoutent, même quand il se loue, ne doit pas être accusé; au contraire, il mérite une couronne; ce serait s'il gardait le silence, qu'il mériterait d'être accusé. Si David eût gardé le silence en face de Goliath, on ne lui aurait pas permis de se mesurer avec lui, et il n'aurait pas remporté ce glorieux trophée. David, on n'en peut douter, ne parle que parce qu'il y est forcé, et ce n'est pas à ses frères, mais au roi; ses frères ne l'auraient pas voulu croire ; la jalousie leur fermait les oreilles. Voilà pourquoi, sans songer à ses frères, il ne s'adresse qu'au roi, que l'envie ne travaillait pas encore.

2404 4. Affreux mal que l'envie, mal affreux, et qui va jusqu'à nous persuader de mépriser notre propre salut. C'est ainsi que Caïn s'est perdu lui-même, et avant lui, celui qui avait perdu son père, le démon. C'est ainsi que Saül appela sur lui-même le malin esprit pour la perte de son âme, et après l'avoir appelé, il répondit par de l'envie aux soins de celui qui voulait le guérir. (1R 18) Telle est, en effet, la nature de l'envie ; Saül voyait bien que David le sauvait, et il aimait mieux périr que de voir la gloire de son sauveur. Quoi de plus affreux que cette passion? On peut dire, sans craindre de se tromper, que c'est un enfant du démon, qu'on y trouve le fruit de la vaine gloire, ou plutôt la racine ; car ces deux fléaux s'engendrent l'un l'autre. C'est ainsi que Saül ne se possédait plus, dans son âme envieuse, quand le peuple disait : « David en a tué dix mille ». (1R 18,7) Quoi de plus insensé? Car enfin, répondez-moi, d'où vous vient votre envie? De ce que quelqu'un reçoit des louanges? Vous devriez vous réjouir. Mais peut-être ne savez-vous pas si la louange est méritée? Votre tristesse vient-elle de ce qu'on loue un homme qui n'a rien d'éclatant? Mais alors vous devriez plutôt avoir compassion de cet homme. En effet, si c'est un homme de bien, personne ne doit ressentir de l'envie, au bruit des louanges qu'on lui donne; il faut joindre sa voix au concert des bénédictions; si au contraire ce n'est pas un homme de bien, pourquoi le chagrin qui vous ronge? pourquoi vous frapper vous-même du glaive? Parce que cet homme est admiré? Oui, admiré des hommes d'aujourd'hui, qui demain n'existeront plus. Parce qu'il jouit de la gloire? De quelle gloire, dites-moi ? de celle dont le Prophète dit que c'est la fleur des champs? (Is 40,6) Voilà ce qui excite votre envie, vous voudriez porter ce fardeau, ces fleurs misérables; vous voudriez en charger vos épaules ? Si cet homme excite tant votre envie, que ne portez-vous envie également aux hommes de peine, que vous voyez tous les jours, sous leur charge de foin, entrer dans la ville? La charge de cet homme n'a rien de supérieur; au contraire, elle a moins de prix encore. L'une ne pèse que sur le corps, l'autre, souvent est un poids funeste pour l'âme et elle lui cause plus d'anxiété que de plaisir.

Quelqu'un est éloquent, il en retirera moins d'admiration que d'envie ; et puis la louange se lasse vite, mais l'envie ne pardonne pas. Mais cet homme est auprès des princes, en grand-honneur? Eh bien ! de là l'envie qu'il excite, et ses dangers. Ce que vous ressentez contre lui, d'autres l'éprouvent également et ils sont en grand nombre. Mais on ne cesse pas de le célébrer? De là, pour cet homme, une servitude pleine d'amertume. Voilà en effet qu'il n'ose plus agir librement, de peur d'offenser ceux qui le glorifient : c'est une lourde chaîne pour lui, que son illustration. Plus cet homme a de gens qui célèbrent son nom, plus il a de maîtres, plus sa servitude s'étend, il voit ses maîtres et seigneurs apparaître partout à ses yeux. Le serviteur, une fois affranchi de la présence de celui qui lui commande, respire en pleine liberté; cet homme, au contraire, rencontre partout ceux qui lui commandent, car il est l'esclave de tous ceux que ses yeux rencontrent sur la place publique. Qu'une affaire urgente le force à sortir, il n'ose pas se risquer sur la place, sans une escorte de serviteurs, sans chevaux, sans pompe, sans étalage, de peur que ceux aux ordres de qui il est ne le désapprouvent. S'il lui arrive (151) d'apercevoir quelqu'un de ses amis, de ses plus familiers, il n'a pas assez de confiance pour lui parler sur le ton de l'amitié; c'est qu'il a peur que ses maîtres ne le fassent un peu déchoir de la hauteur de sa gloire. D'où il suit que, plus il est illustre, plus il est asservi. S'il lui arrive un malheur, l'outrage de la fortune est pour lui d'autant plus amer, que plus de témoins voient l'insulte, et qu'il semble que sa dignité en est atteinte ; et il n'y a pas là seulement un outrage, mais un désastre. Une foule de gens s'en réjouissent; au contraire, dans le cas d'un bonheur nouveau, une foule de gens n'éprouvent que l'envie qui les irrite contre cet homme heureux, et le désir ardent de le renverser. Est-ce là du bonheur, dites-moi? Est-ce là de la gloire? Mille fois non. C'est de la honte, c'est de la servitude, c'est une chaîne, c'est tout ce qui peut s’appeler un fardeau. Si vous trouvez si désirable la gloire que donnent les hommes, s'il suffit pour bouleverser votre âme de voir cet homme que la foule applaudit, eh bien ! au milieu des applaudissements dont vous le verrez jouir, élancez-vous par la pensée vers la vie à venir, vers la gloire réservée à la fin des siècles; et, comme on prend la fuite pour échapper à une bête féroce, comme on se précipite dans sa maison, dont on ferme les portes; prenez alors de même la fuite, cherchez votre refuge dans la vie qui nous attend, dans la gloire ineffable que rien n'égale. C'est ainsi que vous foulerez aux pieds la gloire présente, que vous conquerrez sans peine la gloire divine, que vous jouirez de la vraie liberté, des biens éternels: puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





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HOMÉLIE XXV. MAIS, PUISQU'IL Y EN A QUI SONT SI HARDIS A PARLER D'EUX-MÊMES, JE VEUX BIEN FAIRE UNE IMPRUDENCE, EN ÉTANT AUSSI HARDI QU'EUX.

(2Co 11,21-33)

Analyse.
1. Encore sur la répugnance que Paul montre toujours à parler de ses oeuvres, même quand il y est forcé.— Enumération de ses souffrances, de ses épreuves, de ses dangers.
2. Il ne parle pas de ses miracles, mais seulement de ce qui fait paraître sa faiblesse.— Les souffrances de son âme, plus cruelles que celles de son corps, et provenant de sa charité.— De sa prudence, égale à son courage.
3. C'est l'Eglise tout entière qui triomphe par ses oeuvres, par ses vertus.— C'est un feu inextinguible ; c'est un feu qui convertit en sa substance tout ce à quoi il se communique.— Paul supérieur à David vainqueur de Goliath.— Exemples qu'il nous faut retirer de la vie et du caractère de Paul.

2501 1. Voyez-le, ici encore, montrer sa répugnance, ses hésitations, voyez de quelle précaution il use. Et certes il ne s'est pas fait faute de dire, exprimant toujours la même pensée : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! » et encore : « Que personne ne me juge imprudent, ou au moins, souffrez-moi comme imprudent » ; et : « Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu, mais je fais paraître de l'imprudence » ; et : « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, moi aussi, je me glorifierai ». (152) Et, ici encore : « Mais, puisqu'il y en a qui sont si hardis à parler d'eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence en étant aussi hardi qu'eux ». C'est de la hardiesse, c'est de l'imprudence, selon lui, que de parler de soi avec fierté, même quand on y est contraint, et il s'attache à nous montrer qu'il faut fuir cette prétention. Si, après avoir tout fait, nous devons nous considérer comme inutiles, quelle pourrait être l'excuse de celui qui, sans raison aucune, s'exalte et se vante? C'est ce qui a attiré au Pharisien le traitement qu'il a subi; voilà comment il a fait naufrage dans le port; voilà l'écueil contre lequel il s'est brisé. C'est ce qui fait que Paul, quelle que soit l'impérieuse nécessité qui 1e presse, répugne tant à se louer, et ne cesse pas de rappeler que c'est de l'imprudence. Enfin il se risque, et après avoir fait valoir la nécessité qui l'excuse, il dit : « Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites? Moi aussi ». En effet, tous les Hébreux n'étaient pas Israélites, puisque et les Ammonites et les Moabites étaient Hébreux. Aussi ajoute-t-il, pour montrer la pureté de son sang : « Sont-ils de la race d'Abraham ? Moi aussi. Sont-ils ministres de Jésus-Christ? Quand je devrais passer pour imprudent, je le suis plus qu'eux ». Il ne se contente pas d'avoir déjà employé cette précaution, il répète ici encore ce correctif : « Quand je devrais passer pour imprudent, je le suis plus qu'eux ». Je vaux mieux, je les surpasse.

Les preuves manifestes de sa supériorité ne lui manquaient certes pas ; il n'en qualifie pas moins son langage d'imprudent. Mais, dira-t-on, si c'étaient de faux apôtres, il n'était pas besoin d'une comparaison pour établir sa supériorité sur eux, il fallait montrer que ces hommes-là n'étaient pas des ministres. Aussi Paul a-t-il dit que c'était « de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, qui se transfigurent en apôtres de Jésus-Christ ». Mais maintenant, il ne procède plus de même ; il veut examiner à fond la question; on ne doit pas, lorsqu'une enquête est possible, se borner à une simple affirmation de jugement; l'apôtre fait d'abord la comparaison de leur vie et de la sienne, et c'est en s'appuyant sur la réalité qu'il les ruine avec une bien plus grande autorité. C'est d'ailleurs l'opinion que ces gens-là ont d'eux-mêmes, et non son jugement à lui, que l'apôtre exprime, en disant : « Ils sont ministres de Jésus-Christ ». Quand il ajoute : « Je le suis plus qu'eux », c'est une comparaison; une affirmation pure et simple ne lui suffit pas, il va donner la démonstration par les faits, et par là on verra bien que c'est à lui qu'appartient le caractère propre de l'apostolat. Laissant de côté tous ses miracles, il parle de ses épreuves tout d'abord, il dit : « J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups »; la seconde épreuve, être battu, recevoir des coups de fouet, est plus cruelle que la première. « Plus enduré de prison ». Ici encore, gradation. « Je me suis souvent vu tout près de la mort. Il n'y a pas de jour », dit-il, « que je ne meure ». (
1Co 15,31) Ici, c'est la réalité même qu'il décrit, souvent il a été exposé à des dangers de mort. « J'ai reçu des Juifs, cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet ». Pourquoi « trente-neuf! » C'est qu'une ancienne loi portait que celui qui recevait plus de quarante coups était infâme. Donc pour empêcher que l'emportement de celui qui donnait les coups, n'excédât le nombre et ne rendît infâme celui qui les recevait, on avait fixé ce nombre à quarante moins un, à trente-neuf; de cette manière, quelle que fût la vivacité de celui qui frappait, il n'était pas exposé à dépasser les quarante, il restait en deçà du nombre déterminé, et ne rendait pas infâme le patient.

« Trois fois j'ai été battu de verges; une fois lapidé ; trois fois j'ai fait naufrage». Et que fait cela à l'Evangile? Beaucoup, puisque pour le prêcher, il faisait de longs voyages, et traversait les mers. « Un jour et une nuit, j'ai été dans l'abîme ». Au milieu de la mer, selon les uns; selon les autres, il nageait - ce qui est plus vraisemblable. Ce fait, il ne le donne pas comme un miracle, comme plus considérable que ses naufrages. « Dans les périls sur les fleuves». En effet, il était forcé de traverser les fleuves: « Dans les périls des voleurs, dans les périls au milieu de la cité, dans les périls de la solitude ». Partout des luttes devant moi, dans les pays, dans les contrées, dans les cités, dans les solitudes. « Dans les périls entre les nations, dans les périls entre les faux frères ». Vous voyez, ici, une autre espèce de guerre. Il ne rencontre pas seulement des ennemis déclarés, il se voit attaqué par ceux qui jouaient l'affection fraternelle, et il avait grand besoin, et de (153) fermeté et de prudence. «J'ai souffert les travaux et les fatigues ». Les dangers succédaient aux labeurs, les labeurs aux dangers, sans relâche, sans trêve, et ne le laissaient pas même respirer un moment. « Souvent dans les voyages, souffrant la faim, la soif, la nudité, outre les maux extérieurs (2Co 11,27-28) ».

2502 2. II en passe plus qu'il n'en énumère ; ou plutôt, même les épreuves qu'il énumère, il n'en peut exprimer la rigueur ; il ne les montre pas, il se contente d'en donner un chiffre court, facile à retenir; par trois fois, dit-il, par trois fois, une fois; quant à celles dont il ne peut donner le chiffre, parce que ce chiffre serait trop considérable, il n'en parle pas. Et il ne dit pas les heureux fruits qui en sont sortis, tant et tant de conversions; il ne dit que ce qu'il a souffert en prêchant l'Évangile, et il fait en même temps deux choses : il montre sa modestie, et il montre, qu'alors même que ses travaux n'auraient rien produit, ils n'auraient pas été pour lui sans résultat, car c'est ainsi qu'il a mis le comble à la rémunération qu'il attend. « Mes assauts de tous les jours ». Les troubles, les violentes inquiétudes, les peuples qui l'attaquaient, les villes qui se jetaient sur lui. C'étaient surtout les Juifs qui lui faisaient la guerre, parce que c'étaient eux surtout que l'apôtre couvrait de confusion, et le plus grand reproche que lui adressait leur fureur, c'était son changement si brusque de parti. La guerre était, contre lui, universelle, acharnée, guerre de la part de ses proches, guerre de la part des étrangers, guerre de la part des hypocrites ; partout autour de lui, des flots, des précipices, dans les contrées habitées, dans les pays sans habitants, sur la terre, sur la mer, au dehors, au dedans. Et il n'avait pas la nourriture nécessaire, il n'avait pas un mince vêtement, l'athlète de la terre livrait nu ses batailles, et c'est en ayant faim qu'il soutenait ses luttes; tant il était loin de chercher des richesses. Et il ne se plaignait pas, il rendait grâces à Dieu qui présidait à tous ces combats. « Le soin que j'ai de toutes les Églises ». La plus terrible de toutes ces épreuves, c'est qu'il était déchiré dans l'âme, que ses pensées le tourmentaient en sens divers. S'il n'essuyait aucune attaque du dehors, il avait la guerre à l'intérieur, les flots montaient sur les flots, les inquiétudes s'amassaient en tourbillons, toutes ses pensées se heurtaient dans une ardente mêlée. Souvent un homme qui n'a qu'une maison à gouverner, et, sous ses ordres, des serviteurs, des intendants, des économes, n'a pas le temps de respirer dans les soucis qui l'agitent, puisque personne ne lui cause d'embarras; Paul n'avait pas une maison seulement à gouverner, mais des villes, des peuples, des nations, la terre entière. Et que d'affaires, et que d'ennemis qui le harcelaient ! Et il était seul, endurant tant de souffrances, et il éprouvait des angoisses telles que nul père n'en ressentit jamais pour ses enfants : essayez de concevoir ce qu'il eut à subir.

Ne dites pas que ses inquiétudes n'avaient peut-être rien de bien cuisant, mais écoutez ce qu'ajoute l'apôtre. « Qui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui?» Il ne dit pas: Je prends ma part de la tristesse, mais, je souffre autant que celui qui souffre, aussi malade que le malade, aussi troublé, aussi agité. « Qui est scandalisé sans que je brûle ? » Voyez ici encore l'extrême douleur qu'exprime cette image d'un feu dévorant. Je suis dans la flamme, le feu me consume, dit-il : supplice affreux. Les autres épreuves dont il parle, étaient cruelles, mais passaient vite; il s'y mêlait une joie inaltérable; mais ce qui l'étouffait, ce qui lui broyait le coeur, lui déchirait l'âme, c'était d'avoir tant à souffrir pour la faiblesse de chaque infirme, quel qu'il pût être. Son caractère n'était pas de s'affliger avec les plus considérés, sans prendre souci de ceux qui l'étaient moins; l'être le plus abject, il le regardait comme un de ses proches. De là, ses paroles : « Qui est faible ? » On eût dit qu'il était, à lui seul, l'Église tout entière, tant il était tourmenté dans chacun de ses membres.

« S'il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de ma faiblesse ». Vous voyez qu'il ne parle nullement de miracles; voyez-vous qu'il ne se glorifie que de ses persécutions et de ses épreuves? C'est que ce sont là, dit-il, des marques de faiblesse. Et il montre combien les combats étaient de nature différente. Les Juifs lui faisaient la guerre, les païens se soulevaient contre lui, les faux frères le combattaient, et lui s'affligeait à voir la faiblesse de ses frères, et leurs scandales; de toutes parts lui venaient les troubles, les bouleversements, et du côté de ses proches, et du côté des étrangers. Voilà le caractère du (154) véritable apostolat: voilà comment l'Evangile fait sa trame.

« Dieu, qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sait que je ne mens point. Le gouverneur de la province de Damas, pour le roi Arétas, faisait faire garde dans la ville pour m'arrêter (
2Co 11,31-32) ». Pourquoi, ici, cette protestation qu'il dit vrai, cette manière d'affirmer dont il ne s'est jamais servi jusque-là? C'est probablement que le fait était vieux et peu connu; tandis que le reste était parfaitement connu, par exemple sa sollicitude pour les Eglises, et tout ce dont il a parlé. Comprenez maintenant la violence de la guerre excitée contre lui, s'il était cause que l'on faisait garder la ville. Quand je parle de la violence de la guerre, je parle du zèle ardent de Paul; si son ardeur eût été moins vive, il n'aurait pas excité à ce point la rage du gouverneur. Voilà ce que fait une âme vraiment apostolique; sous tant de coups qui la frappent, elle n'est pas ébranlée, elle supporte tout avec une noble fierté, elle ne se précipite pas d'ailleurs au-devant des périls, elle ne les cherche pas pour s'y jeter par plaisir. Voyez à quel moyen il eut recours pour échapper au gouverneur : « Mais on me descendit par une fenêtre dans une corbeille »... Sans doute il désirait quitter cette terre, mais il n'en désirait pas moins le salut des hommes. Voilà pourquoi il a souvent recours à de pareils moyens; il veut se conserver pour la prédication; il ne refusait pas d'employer des moyens humains, quand les circonstances l'exigeaient; telle était sa prudence et son activité. Lorsque les malheurs étaient inévitables, il n'avait recours qu'à la grâce ; quand l'épreuve n'excédait pas certaines limites, il trouvait dans son propre fonds un grand nombre de ressources; et, ici encore, c'est à Dieu qu'il rapportait tout. Supposez une étincelle d'un feu inextinguible, tombant dans la mer, ensevelie sous les flots qui s'amoncellent, et reparaissant brillante au-dessus des ondes; tel était le bienheureux Paul, tantôt englouti sous les dangers, tantôt affranchi, libre, plus brillant, triomphant par son courage de tous les malheurs.

2503 3. Voilà l'éclatante victoire, voilà le trophée de l'Eglise, voilà ce qui met en fuite le démon, - nos souffrances. Pendant que nous subissons les souffrances, le démon est captif, c'est lui qui souffre du mal qu'il veut nous faire. C'est ce qui est arrivé à Paul; plus le démon suscitait de dangers contre lui, plus ce maudit se voyait vaincu. Un seul genre d'épreuves ne lui suffisait pas, il variait, il diversifiait les périls. Tantôt la fatigue, tantôt le découragement, tantôt la crainte, tantôt la douleur, tantôt les angoisses, tantôt la honte, tantôt tous ces moyens ensemble; il avait beau tenter, en toutes choses l'apôtre remportait la victoire. Supposez un soldat tout seul, tenant tête à la terre soulevée contre lui pour le combattre, soulevée tout entière, et au milieu des bataillons ennemis, ce soldat n'éprouve aucun mal; c'est l'image de Paul, seul au milieu des barbares, au milieu des Grecs, présent sur toute mer, présent sur toute terre, et toujours invincible. Supposez une étincelle tombant sur la paille ou le foin, convertissant en sa nature tout ce qu'elle embrase : c'est l'image de Paul dans sa course, ramenant tous les hommes à la vérité; c'est un torrent qui inonde tout, qui renverse tous les obstacles. Supposez un seul et même athlète à la lutte, à la course, au pugilat; un soldat assiégeant des murailles, combattant à pied, combattant sur mer. C'est l'image de Paul livrant toute espèce de combats, répandant le feu de son zèle et nul n'ose l'approcher; à lui seul, il embrassait toute la terre, sa seule langue convertissait toutes les âmes.

Toutes ces trompettes qui tombèrent sur les murailles de Jéricho (
Jos 6,20), et les brisèrent, n'égalent pas cette voix retentissante qui jette par terre les citadelles du démon, et tire à soi ses ennemis transformés. Il faisait des prisonniers en foule ; ces captifs, il les armait ensuite, il en faisait ses soldats à lui, son armée à lui, et, par eux, il remportait d'admirables victoires. David renverse Goliath d'un seul coup de pierre (1R 17,49); pesez les exploits de Paul, et l'oeuvre de David n'est qu'une action d'enfant ; vous trouvez entre eux toute la différence du berger et du général. Paul ne renversait pas Goliath d'un coup de pierre; mais de sa voix il mettait en fuite toute la phalange du démon; comme un lion rugissant, dont la langue lancerait du feu, il ne trouvait personne pour lui résister, et c'étaient partout des bonds continuels, fondant sur les uns, tombant sur les autres, s'élançant sur d'autres encore, les premiers le revoyaient accourant plus vite que le vent, et comme on gouverne une seule maison, un (155) seul navire, aussi facilement régissait-il la terre et tous ses habitants, retirant des abîmes ceux qui tombaient, soutenant ceux qui avaient le vertige, exhortant les matelots assis à la poupe, surveillant la proue, tendant les cordages, maniant la rame, assurant la voile, les yeux au ciel, remplissant à lui seul toutes les fonctions, de matelot, de pilote, de nocher, de voile, de navire, souffrant tout, pour épargner aux autres tous les maux.

Voyez: il a souffert le naufrage, pour sauver l'univers du naufrage; un jour et une nuit, il est resté dans l'abîme pour retirer les hommes de l'abîme de l'erreur; il s'est fatigué pour apporter du repos à ceux qui sont fatigués; il a souffert des coups pour guérir ceux que le démon frappe; il a séjourné dans des prisons, pour ramener à la lumière les hommes assis dans les prisons des ténèbres; il a souvent bravé mille morts, pour nous affranchir des morts les plus affreuses; il a reçu, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet, afin de délivrer ceux-mêmes qui les lui donnaient, du fouet du démon ; il a été frappé de verges, afin de soumettre les hommes à la verge et à la houlette du Christ; il a été lapidé, afin de les mettre à l'abri de ces pierres qui n'atteignent pas les sens; il a été dans la solitude, afin de les tirer hors de la solitude; il a été dans les voyages, afin de mettre un terme aux courses vagabondes, et d'ouvrir la voie qui conduit au ciel; il a couru des dangers dans les cités, afin de nous montrer la cité d'en-haut; il a souffert de la faim et de la soif, pour nous affranchir de la faim la plus cruelle; il a enduré la nudité, afin de revêtir ceux qui étaient dans la honte de la robe de Jésus-Christ ; il a été assailli par les multitudes, afin de nous soustraire à l'attaque des démons; il a été brûlé, afin d'éteindre les traits enflammés de l'enfer; il a été descendu du haut d'une muraille par une fenêtre, pour faire remonter ceux qui étaient renversés sur la terre.

Continuerons-nous encore à discourir, quand nous n'avons pas même une idée des souffrances que Paul a endurées ? Montrerons-nous encore de l'attachement pour l'argent, de l'attachement pour une épouse, pour une ville, pour la liberté, quand nous le voyons prouver mille et mille fois son mépris de la vie? Le martyr ne meurt qu'une fois; ce bienheureux, dans son corps, dans son âme, a souffert tant et tant de dangers que c'était plus qu'il n'en fallait pour bouleverser une âme de diamant; et ce que tous les saints ensemble ont enduré, dans tant de corps différents, l'apôtre l'a supporté dans un seul et même corps; on eût dit que son stade, c'était la terre entière, qu'il défiait au combat tous les hommes, telle était la fierté de son inébranlable valeur. C'est qu'il savait bien quels étaient ces démons qui luttaient contre lui. Aussi sa gloire a-t-elle brillé dès le début; dès le premier pas hors de la barrière, jusqu'au dernier terme du stade, il est resté toujours semblable; ou plutôt il s'élançait avec d'autant plus d'ardeur qu'il approchait plus de l'heure des récompenses. Et ce qui est vraiment admirable, c'est que l'homme qui souffrait et faisait de si grandes choses était la modestie même. Contraint à parler de ses vertus, il parcourait tout cela rapidement et sans s'arrêter; il aurait pourtant rempli des milliers et des milliers de volumes, à expliquer une à une toutes ses paroles; à dire de quelles Eglises il prenait un si grand soin ; à énumérer ses prisons et les oeuvres qu'il y accomplit; à raconter une à une ses autres tribulations, les assauts qu'il essuya. Mais il ne l'a pas voulu.

Instruits de cette conduite, sachons donc, nous aussi, pratiquer la modestie; ne nous glorifions plus ni de notre fortune, ni des autres biens de ce monde, ne nous glorifions que des outrages endurés pour Jésus-Christ, et n'en parlons encore que quand nous y sommes forcés; s'il n'y a aucune nécessité pressante, n'en faisons pas mention, ne disons rien pour nous exalter, ne rappelons que les péchés que nous avons commis. C'est ainsi qu'il nous sera facile d'en être délivrés, c'est ainsi que nous nous rendrons Dieu propice, et que nous obtiendrons la vie à venir. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE XXVI. IL NE M'EST PAS AVANTAGEUX DE ME GLORIFIER, CEPENDANT JE VIENDRAI MAINTENANT AUX VISIONS ET AUX RÉVÉLATIONS DU SEIGNEUR.


Chrysostome sur 2Co 2400