Chrysostome Homélies 260

Sixième homélie. Sur Saint Philogone.


Analyse

Combien la vie future l'emporte sur la vie présente. - Saint Philogone fréquente d'abord le barreau. - Choisi pour évêque, il pratique toute sorte de vertus. - Exhortation pour la fête de Noël qui approchait. - Une vraie pénitence quoique courte peut purifier la conscience. - Manière de faire pénitence.



2611. Je voulais encore aujourd'hui descendre dans l'arène contre les hérétiques, et m'acquitter de ma dette 'envers vous; mais la fête de saint Philogone, que nous célébrons en ce jour, m'invite à vous raconter ses grandes actions. Il me faut obéir, car si celui qui maudit son père ou sa mère mérite la mort, celui qui les bénit, au contraire, mérite de vivre. (Ex 21,16 Lv 20,9) Et si tel doit être notre respect pour nos parents, selon, la: nature, combien plus devons-nous honorer nos Pères spirituels, surtout quand la louange, si elle n'ajoute rien à la gloire dont ils jouissent dans l'autre monde, devient pour vous et pour moi une source de bénédictions. Ce grand saint est au ciel, et il n'a pas besoin de nos éloges pour jouir pleinement de son bonheur; mais nous, qui sommes encore sur la terre, il nous faut des encouragements, et c'est en louant ses vertus que nous serons portés à l'imiter. Aussi le Sage nous dit-il: La mémoire du juste est accompagnée de louanges. (Pr 10,7) L'avantage n'est pas pour les justes sortis de ce monde, mais pour nous, leurs panégyristes. Le profit que nous retirons de ces louanges n'est pas douteux; livrons-nous-y donc avec empressement et sans hésitation. La circonstance d'ailleurs est favorable: c'est aujourd'hui que saint Philogone est passé de cette vie terrestre à une vie bienheureuse, et qu'il est arrivé au port où l'on n'a plus à craindre ni naufrage, ni afflictions, ni souffrances. Et quoi d'étonnant si ce séjour est exempt de toute tristesse, lorsque saint Paul dit aux chrétiens encore sur cette terre: Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse. (1Th 5,16)

Si dans ce bas-monde, où règnent les maladies, les persécutions, les morts prématurées, la calomnie, l'envie, le découragement, la colère, les désirs mauvais, des embûches sans nombre des inquiétudes journalières, des maux qui se succèdent sans interruption et nous accablent de chagrins, on peut cependant, d'après saint Paul, se réjouir toujours, pourvu que, se débarrassant un peu des affaires du siècle, on sache régler sa vie; à plus forte raison, jouirons-nous de ce bonheur, après avoir terminé notre pèlerinage ici-bas, alors (234) qu'il n'y aura plus ni maladies, ni passion, ni occasion de péché, alors qu'il n'y aura plus ni de tien, ni de mien; cette parole froide et dure, cause de tous nos maux, source de guerres continuelles. Aussi je félicite ce grand saint: il est parti du milieu de nous, il a quitté notre ville, mais il est entré dans une autre cité, dans la cité de Dieu; il a abandonné cette Eglise, mais il a retrouvé l'Eglise des premiers-nés inscrits dans le ciel; et en quittant nos fêtes, il est allé partager les solennités des anges; car dans le ciel, il y a une cité, une Eglise, des solennités. Ecoutez saint Paul: Vous vous êtes approchés de la ville du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, de l'Eglise des premiers-nés, qui sont écrits dans le ciel, de la fête des anges innombrables. (He 12,22 He 12,23)

Ce n'est pas seulement la multitude des vertus célestes, c'est encore l'abondance des biens, de la joie et du bonheur sans fin, que saint Paul exprime par ces paroles; car une fête (aavrwpts) consiste dans une foule nombreuse et aussi dans un marché considérable. C'est là que l'on expose, que l'on vend et que l'on achète le blé, l'orge, et toute sorte de grains; des troupeaux de brebis ou de boeufs, des habits, etc. Tout cela se retrouve donc dans le ciel, direz-vous? - Non, mais quelque chose de bien supérieur. Il n'y a ni blé, ni orge, ni autre production semblable; on y recueille en abondance les fruits de l'esprit, la charité, la joie, l'allégresse, la paix, la bonté, la douceur. Il n'y a point de troupeau de boeufs, et de brebis, on y voit les âmes des justes, les vertus des saints et leurs bonnes oeuvres. Il n'y a ni étoffe, ni vêtements, mais des couronnes plus précieuses que l'or, des prix, des récompenses, et mille autres biens réservés à ceux qui ont vaillamment combattu. La multitude réunie au ciel est plus nombreuse et plus vénérable que tout ce qu'on voit sur la terre: ce ne sont pas seulement les hommes d'une ville ou d'un pays que l'on y voit; on y admire des millions d'anges et d'archanges; là, des troupes de prophètes, ailleurs les choeurs des martyrs, le collège des apôtres, les assemblées des justes et de toutes les âmes agréables à Dieu. C'est une fête vraiment admirable, et, pour comble de bonheur, au milieu de la fête apparaît le Monarque suprême. Car, après ces mots: de la fête des anges innombrables, saint Paul ajoute: de Dieu, le juge de tous. Vit-on jamais le roi paraître au milieu d'une fête? ici-bas, jamais; dans le ciel, au contraire, les saints le voient sans cesse au milieu d'eux, autant qu'ils peuvent le voir; la splendeur de sa gloire embellit leur assemblée. Nos fêtes finissent souvent à midi: celle-là dure éternellement; elle n'attend ni le retour des mois, ni les révolutions des années ou des jours; c'est une fête perpétuelle; ses joies n'ont pas de bornes, ne connaissent pas de fin, ne peuvent ni vieillir ni se flétrir, elles sont toujours jeunes et immortelles. Là, aucun trouble, aucun désordre, mais une harmonie parfaite; de tous les coeurs s'élève vers le souverain Créateur un concert mélodieux, plus doux que toute musique humaine, et l'âme, comme dans un sanctuaire impénétrable, célèbre une liturgie divine qui ne doit point finir.

2622. C'est aujourd'hui que saint Philogone est passé à cette vie bienheureuse et immortelle, Quel discours égalerait la gloire de ce saint, jugé digne d'un tel bonheur? Aucun; garderons-nous pour cela le silence? Et pourquoi sommes-nous réunis? Dirons-nous que nos paroles ne peuvent atteindre à la sublimité de ses actions? et c'est ce motif même qui nous engage à parler, parce que le plus bel éloge que l'on puisse faire, c'est de reconnaître que l'on ne peut égaler les paroles aux actions; car, pour louer des oeuvres qui surpassent la nature mortelle, le langage humain est insuffisant. Toutefois saint Philogone ne repoussera pas notre parole, il imitera son Maître. Celui-ci, ayant vu une pauvre veuve offrir deus oboles, ne la récompense pas seulement de ces deux oboles. Pourquoi? parce qu'il considère non la quantité des richesses, mais la libéralité du coeur. Si vous comptez l'or ou l'argent, vous trouverez dans l'aumône de la veuve une grande pauvreté; si vous examinez la volonté, vous verrez un trésor infini de générosité! Malgré notre dénuement, nous offrons, nous aussi, ce que nous avons. Si cette offrande ne répond pas à la grandeur du glorieux Philogone, il est pourtant de sa générosité de ne la point refuser, et d'en user comme font, ordinairement les riches en pareil cas. Lorsque les riches reçoivent dés pauvres de petits présents dont ils n'ont aucun besoin, ils les récompensent largement d'une offrande proportionnée à leurs moyens. Ainsi ce grand saint recevra nos louanges dont il n'a pas (235) besoin, et en retour nous comblera des bénédictions qui nous sont toujours si nécessaires. Par où faut-il commencer ce panégyrique? n'est-ce pas par la fonction sainte que la grâce du Saint-Esprit lui a confiée? Les charges, dans le monde, ne sont pas toujours une preuve des vertus de ceux qui les exercent, elles forment même souvent une présomption défavorable. Pourquoi? c'est que ces charges s'obtiennent par l'influence des amis, par des démarches et des flatteries, et par d'autres manoeuvres plus honteuses; mais quand Dieu a parlé et a donné son suffrage, quand sa main a touché la tête sacrée de l'élu, l'élection est pure, le jugement à l'abri de tout soupçon, et l'autorité de celui qui a choisi est une preuve infaillible du mérite de celui qui est appelé.

Saint Philogone fut ainsi choisi de Dieu; la pureté de ses moeurs le prouve. C'est du barreau qu'il fut tiré pour être placé sur le trône épiscopal; il avait une femme et une fille, et exerçait les fonctions d'avocat. Néanmoins il menait une vie si chaste et si pure, ses vertus brillaient d'un si vif éclat que, de suite, on le trouva digne de cette grande charge, et qu'il passa immédiatement du siège des avocats sur ce trône sacré. Avocat, il défendait les hommes contre les embûches de leurs ennemis; il défendait les opprimés contre les oppresseurs. Evêque, il protégea les chrétiens contre les attaques du démon: une preuve évidente de sa vertu, c'est que Dieu, dans sa bonté, l'a jugé digne de cet honneur. Ecoutez ce que Jésus-Christ ressuscité dit à Pierre. Il lui demande d'abord: Pierre, m'aimez-vous? (
Jn 21,16) et sur sa réponse: Vous savez, Seigneur, que je vous aime, il ne lui dit pas Quittez vos richesses, jeûnez, travaillez, ressuscitez les morts, chassez les démons; il ne lui parle ni de ces prodiges, ni de ces bonnes oeuvres; mais laissant tout cela de côté, il ajoute: Si vous m'aimez, paissez mes brebis. Par ces paroles, il nous montre non-seulement combien Pierre l'aimait, mais aussi que la charité de saint Pierre, pour ses brebis, était une grande preuve de son amour pour son divin Maître. Jésus-Christ semble dire: il m'aime, celui qui aime mes brebis. Considérez combien Jésus-Christ a souffert pour ce troupeau: il s'est fait homme, il a pris la forme d'un esclave, il a été bafoué, souffleté, enfin il a accepté la mort, et la mort la plus ignominieuse, puisqu'il a versé son sang sur la croix. Si donc vous voulez lui plaire, veillez sur ses brebis, recherchez le bien publie, travaillez au salut de vos frères. Rien n'est plus agréable à Dieu; aussi ailleurs il dit: Simon, Simon, Satan a demandé de vous cribler comme le froment; j'ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point. (Lc 22,31) Que me donnerez-vous en retour de mes soins et de ma sollicitude? Mais que demande le Sauveur? le même zèle qu'il a montré lui-même. Une fois converti, dit-il à Pierre, confirmez vos frères. Et saint Paul exprime la même pensée: Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ. (1Co 4,16) Comment êtes-vous imitateur du Christ, ô grand apôtre? En tâchant de plaire à tous en tout, en cherchant non ce qui m'est avantageux, mais ce qui est avantageux à plusieurs pour être sauvés. (1Co 10,33) Et ailleurs il dit: Jésus-Christ n'a pas cherché à se satisfaire, mais à plaire à plusieurs. (Rm 15,3) La marque distinctive, le caractère propre du fidèle qui aime Jésus-Christ, c'est le zèle pour le salut de son prochain.

2633. Qu'ils m'entendent tous, les religieux qui habitent les sommets des montagnes, et qui sont tout à fait crucifiés au monde. C'est un devoir pour eux d'aider, selon leurs forces, les évêques chargés des Eglises, de les assister par leurs prières, leur union et leur charité. Qu'ils le sachent bien, si, malgré leur éloignement, ils ne secourent les évêques chargés du soin des affaires et exposés à tant de périls, ils perdront tout le mérite de leur vie, et leur sagesse sera stérile. Telle est la plus grande preuve de l'amour envers Jésus-Christ. Voyons maintenant comment saint Philogone a exercé l'épiscopat, ou plutôt notre discours, notre parole est inutile, votre zèle le montre assez. Si, en entrant dans une vigne, vous voyez les ceps vigoureux et chargés de fruits, la vigne elle-même entourée de murs et bien défendue, vous n'avez pas besoin de longs discours, ni d'autres preuves, pour reconnaître le zèle du vigneron. De même ici, en contemplant cette vigne spirituelle et ses fruits abondants, la parole est superflue pour montrer ce qu'est votre évêque. C'est ainsi que saint Paul dit: Vous êtes notre lettre écrite dans nos coeurs et lue par tous les hommes. (2Co 3,2) Le fleuve révèle la source, et l'arbre la racine.

Je devrais dire à quelle époque il exerça ses fonctions; cette circonstance ajouterait à sa (236) gloire, et mettrait en relief ses vertus. Il y avait alors de grandes difficultés; on sortait des persécutions, les suites de cette affreuse tempête duraient encore, et les abus à corriger étaient nombreux. De plus, il faudrait raconter tout ce que, dans sa sagesse prévoyante, il fit contre l'hérésie alors naissante; mais un autre sujet nous arrête. Laissons donc cette tâche à notre Père commun, imitateur de saint Philogone, et mieux instruit que nous de l'antiquité, et passons à la seconde partie de notre discours, car voici venir une fête, la plus belle, la plus vénérable et, sans exagération, la première de toutes les fêtes. Quelle est-elle? La naissance de Jésus-Christ selon la chair.

264 4. Elle est la cause et l'origine de l'Epiphanie, de Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte. Si Jésus-Christ n'était pas né selon la chair, il n'aurait pas été baptisé, d'où l'Epiphanie; il n'aurait pas été crucifié, ce que nous rappelle le jour de Pâques; il n'aurait pas envoyé le Saint-Esprit, dont la Pentecôte est la fête. De la fête de Noël découlent nos autres fêtes, comme divers fleuves d'une même source. Ce n'est pas là le seul motif de la prééminence de cette solennité; le mystère qu'elle nous représente est de tous le plus digne de vénération. Jésus-Christ fait homme, meurt; conséquence naturelle. Quoiqu'il n'eût pas commis de péché, il avait pris un corps mortel. Ce fait n'en est pas moins admirable. Mais qu'étant Dieu, il daigne se faire homme et s'abaisser au-delà de tout ce que l'intelligence peut concevoir, voilà le prodige le plus saisissant, le plus extraordinaire. Saint Paul, plein d'admiration, s'écrie: Sans doute, c'est un grand mystère d'amour. Comment? Dieu s'est manifesté dans la chair (1Tm 3,16); et ailleurs: Dieu n'a pas sauvé les anges, mais il a sauvé la race d'Abraham; c'est pourquoi il a dû en tout se faire semblable à ses frères. (He 2,16) Aussi j'aime et je chéris cette fête, et je vous dévoile mon amour, afin de vous en rendre participants. Je vous en prie tous et vous en conjure, venez avec zèle et empressement; venez voir le Seigneur couché dans une crèche, enveloppé de langes spectacle étonnant et qui pénètre d'une sainte terreur! quelle excuse, quel pardon, si, lorsqu'il descend du ciel pour nous, nous hésitons à sortir de nos maisons pour aller à lui? Les Mages, barbares et étrangers, accourent de la Perse pour le voir couché dans la crèche; et vous, Chrétiens, vous craignez de faire un pas pour jouir de cet heureux spectacle! Car si nous approchons avec foi, nous le verrons couché dans la crèche; l'autel en effet, tient lieu de crèche. Là aussi sera déposé le corps du Seigneur, non enveloppé de langes, mais tout revêtu du Saint-Esprit. Les initiés me comprennent. Les Mages ne purent que l'adorer; vous, si vous approchez avec une conscience pure, vous pouvez le prendre et l'emporter avec vous, venez donc avec des présents plus saints que ceux des Mages. Ils offrirent de l'or; offrez la sagesse et la vertu; ils offrirent de l'encens, offrez des prières pures, parfums spirituels. Ils offrirent de la myrrhe, offrez l'humilité, l'aumône, un coeur soumis. Si vous approchez avec ces dons, vous pourrez en toute confiance participer à la table sainte. Je vous parle ainsi, parce que je sais que dans ce jour beaucoup se présenteront pour participer à la victime spirituelle. Pour que vous y trouviez le salut et non votre ruine et votre damnation, je vous prie et vous conjure de vous purifier avec le plus grand soin avant d'approcher des saints mystères.

2655. Que personne ne dise:je suis tout confus, ma conscience est chargée de péchés; je suis accablé d'un poids énorme. Car il y a encore cinq jours, et c'est assez, si vous êtes sobres, si vous veillez, si vous priez, pour effacer beaucoup de péchés. Ne songez donc pas à la brièveté du temps; pensez à la miséricorde du Seigneur. En trois jours les Ninivites apaisèrent la colère de Dieu; malgré ce court intervalle, l'ardeur de leur zèle, avec la grâce du Seigneur, put accomplir ce grand oeuvre. La femme adultère, se jetant aux pieds de Jésus, fut en un instant purifiée de tous ses péchés; les Juifs murmuraient de ce que Jésus-Christ l'avait reçue avec tant de bonté, il leur ferma la bouche: et pour cette femme, après lui avoir remis ses fautes et loué son zèle, il la renvoya. Pourquoi? parce qu'elle vint avec une âme dévouée, un coeur brûlant, une foi ardente; parce qu'elle toucha les pieds sacrés du Sauveur, y répandit des parfums, et, les cheveux épars, versa des larmes abondantes. Ce qui lui avait servi pour tromper les hommes, devint pour elle un remède salutaire. Ses yeux, qui avaient fasciné,les impudiques, versent des larmes; de ses cheveux qui en avaient entraîné plusieurs au péché, elle essuie les pieds du Christ. Les (237) parfums, qui avaient servi d'appâts, sont répandus sur les pieds de Jésus.

Qu'il en soit ainsi de vous: que ce qui a irrité Dieu le rende maintenant propice. Vous l'avez irrité par l'avarice. Apaisez-le en restituant surabondamment le bien dérobé, et dites avec Zachée: Je rends le quadruple de tout ce que j'ai pris. (
Lc 19,8) Vous 'l'avez irrité parles intempérances de la langue et les calomnies? Apaisez-le en faisant des prières pures, en bénissant ceux qui vous maudissent, en louant ceux qui vous méprisent; en rendant grâces à ceux qui vous persécutent. Pour cela, il ne faut pas des jours, des années; avec de la bonne volonté, un jour suffit. Fuyez le mal, pratiquez la vertu, rompez avec le péché, promettez de ne plus le commettre, et c'est assez pour vous justifier. Je l'atteste et j'en suis garant; si un pécheur d'entre nous abandonne ses iniquités passées et en toute sincérité promet à Dieu de n'en plus commettre, Dieu ne demande pas autre chose pour l'absoudre. Car il est bon et miséricordieux, et il désire vivement répandre sur nous sa miséricorde: nos péchés sont le seul obstacle. Renversons ce mur de séparation; commençons dès maintenant la fête, en mettant de côté toutes les affaires pendant ces cinq jours. Laissons le barreau, l'assemblée, les soins temporels, le commerce, les traités. Je veux sauver mon âme. Que sert à l'homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme? (Mt 16,26) Les Mages sortent de la Perse; sortez des affaires de cette vie, et allez à Jésus; il n'est pas loin, si nous le voulons. Il ne faut pas traverser les mers, franchir les sommets des montagnes. Mais chez vous, par la piété et la componction du coeur, vous pouvez le voir, écarter l'obstacle et abréger la longueur de la route. Je suis un Dieu proche, et non éloigné. (Jr 23,23) Dieu est près de tous ceux qui l'invoquent en vérité. (Ps 145,18)

Maintenant voyez quel excès de mépris et d'égarement chez plusieurs: accablés d'iniquités, sans aucune préparation, ils osent, les jours de fête, se présenter ainsi à la sainte table; ils ne savent donc pas que la condition pour communier, ce n'est pas de le faire un jour de fête ou de solennité, mais avec une conscience pure et une vie exempte de fautes. Celui qui ne se sent coupable d'aucun péché grave, doit s'approcher chaque jour; de même le pécheur qui ne se repent pas ne peut en sûreté communier même un jour de fête. Venir nous asseoir au banquet sacré une fois l'an, ne nous purifie pas,de nos péchés, si nous le faisons indignement, mais nous rend, au contraire, plus coupables, puisque, ne communiant qu'une fois, nous n'avons pas même alors la pureté requise.

Aussi, je vous en conjure tous, n'approchez pas des divins mystères uniquement à cause de la circonstance de la fête. Mais quand vous devez participer à la sainte Victime, purifiez-vous plusieurs jours d'avance par la pénitence, par la prière, par l'aumône, par les exercices spirituels, afin de ne pas retourner au vice comme le chien à son vomissement. Quelle folie! on s'occupe du corps avec le plus grand soin: plusieurs jours avant la fête, on prépare ses plus beaux habits, on achète des sandales, on dresse des tables somptueuses, on fait d'amples provisions, on cherche à s'embellir, à s'orner de toutes manières; mais pour l'âme, elle est négligée, aride, hideuse, affamée, impure, et l'on ne s'en inquiète pas; on vient ici le corps bien paré et l'âme dans un état d'affreuse nudité. Votre frère voit le corps, et l'état de ce corps, quel qu'il soit, ne le scandalise pas. Dieu voit l'âme et il châtie sévèrement la négligence. Ne savez-vous pas que sur cette table est un feu spirituel, et qu'il en sort une flamme mystérieuse, comme l'eau jaillit des sources? Ne vous présentez donc pas avec de la paille, du bois, du foin; de peur d'augmenter l'incendie et de consumer votre âme; mais venez avec les pierres précieuses, l'or et l'argent des vertus, pour les purifier de plus en plus et pouvoir vous retirer chargés de richesses. Chassez, expulsez de votre âme tout ce qui est mal.

Avez-vous un ennemi? avez-vous éprouvé quelque injustice? bannissez l'inimitié, réprimez les soulèvements de votre âme exaspérée; qu'il n'y ait au dedans de vous ni trouble, ni désordre. Vous allez recevoir un roi par la sainte communion; à l'arrivée de ce roi dans votre âme, il faut qu'il y règne le calme, la tranquillité et une paix profonde. Mais vous avez été indignement blessé, vous ne pouvez apaiser votre colère? Pourquoi donc vous nuire encore davantage? Car votre ennemi vous a causé moins de maux que vous ne vous en faites à vous-même en refusant de vous réconcilier et en foulant aux pieds les lois de Dieu. Il vous a injurié! est-ce une raison pour (238) insulter Dieu? En repoussant la réconciliation, vous punissez moins celui qui vous a offensé, que vous n'outragez Dieu qui a porté cette loi. Laissez donc votre frère, oubliez la grandeur des injures qu'il vous a causées, mais pensez à Dieu, pénétrez-vous de la crainte du Seigneur, et souvenez-vous que plus vous vous ferez violence pour vous réconcilier, plus grand sera votre honneur auprès de Dieu qui commande le pardon. Si vous recevez Dieu ici-bas avec beaucoup de respect, là-haut, il vous recevra avec une grande gloire; il vous rendra le centuple pour récompenser votre obéissance. Puissiez vous jouir tous de ce bonheur par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui soient avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, l'empire, l'adoration, dans les siècles des siècles, Ainsi soit-il.




270

Septième homélie. Le Fils est consubstantiel au Père.


Analyse

Nécessité de prêter une oreille attentive à la parole de Dieu. - Le Fils est consubstantiel au Père. - Les expressions qui dans l'Écriture semblent rabaisser le Fils, trouvent leur explication dans l'Incarnation. - Autres motifs du langage de l'Écriture. - Il y a deux volontés en Jésus-Christ. - Exhortation à la prière.



2711. Encore les jeux du cirque, encore l'église déserte; ou plutôt non, puisque vous êtes venus, l'église n'a rien perdu. Le laboureur à la vue de sa récolte en pleine maturité, s'inquiète peu des feuilles qui tombent; c'est le sentiment que j'éprouve, car je vous regarde comme des fruits, et ces déserteurs de l'église comme des feuilles; ils ont été emportés par le vent des plaisirs, mais la perte est médiocre puisque vous nous restez. A la vérité leur négligence m'attriste, mais votre assiduité me console. Au reste, ces gens-là, même lorsqu'ils viennent, ne sont pas présents; leur corps est ici, leur esprit divague au dehors. Pour vous, même en votre absence, vous êtes présents; votre corps est ailleurs, votre esprit est ici. Je voulais ne les pas épargner aujourd'hui. Mais réprimander des absents qui ne m'entendent pas, ce serait combattre des fantômes. J'attendrai pour cela qu'ils soient ici, et avec la grâce de Dieu, j'essayerai de vous conduire aux pâturages accoutumés de la sainte Écriture. On a beau y puiser, c'est un océan quine tarit jamais. Soyez dociles et attentifs. Sur mer tous les passagers peuvent dormir; pourvu que le pilote veille, il n'y a aucun danger; sa vigilance, son habileté suffisent à tout. Il n'en est pas de même ici; l'orateur a beau s'appliquer: si les auditeurs n'apportent pas la même attention, la parole tombe inutilement, ne trouvant pas de coeurs préparés à la recevoir.

Il faut donc être attentif et vigilant; car il s'agit d'une affaire importante. Ce n'est pas pour de l'or, de l'argent, des richesses périssables que nous naviguons, mais pour la vie future et les trésors du ciel; les voies différentes par lesquelles les hommes peuvent s'avancer dans la vie, sont plus nombreuses encore que sur terre ou sur mer; et quiconque ne saura pas se diriger sûrement fera un funeste naufrage. Vous tous qui voguez avec nous, montrez, non l'insouciance des passagers, mais le zèle et la vigilance des pilotes. Pendant que les autres dorment, les pilotes, assis au gouvernail, examinent les routes de la mer et les profondeurs du ciel, et guidés par le cours des astres, ils dirigent les navires en toute sûreté; un autre ne pourrait (240) naviguer plus intrépidement en plein jour, qu'ils ne le font au milieu de la nuit, lorsque la mer paraît le plus terrible; ils manoeuvrent attentifs et impassibles; ils considèrent non-seulement les voies de l'océan et le cours des astres, mais aussi la direction des vents; et telle est leur habileté, que souvent, lorsque la tempête se lève plus violente et prête à engloutir les vaisseaux, ils savent par la disposition des voiles, éviter tout danger; leur science triomphe des efforts des vents, et arrache les passagers au naufrage. Si ces pilotes, parcourant la mer pour des richesses temporelles, montrent une telle vigilance, à plus forte raison, doit-il en être ainsi de nous. Car la négligence aurait des conséquences plus graves, et la vigilance, un résultat plus heureux pour nous que pour eux. Notre barque n'est pas formée de planches, mais des saintes Ecritures; ce ne sont pas les astres du ciel qui nous conduisent, c'est le soleil de justice qui dirige notre course; assis au gouvernail nous n'attendons pas le souffle du zéphyr, mais la douce influence du Saint-Esprit.

2722. Veillons donc, examinons attentivement toutes les voies. Nous allons encore parler de la gloire du Fils unique. Naguère nous avons montré que la compréhension de l'essence divine surpasse infiniment la science de l'homme, des anges, des archanges et de toute créature; et que le Fils unique et le Saint-Esprit seuls connaissent clairement cette essence. Maintenant transportons la lutte sur un autre terrain. Nous cherchons si le Fils a la même vertu, la même puissance, la même substance que le Père, ou plutôt nous ne le cherchons pas; car, par la grâce de Jésus-Christ, nous l'avons trouvé et nous le croyons fermement; mais nous voulons le démontrer à ceux qui ont l'impudence de le nier. J'ai honte, je rougis d'aborder ce sujet: qui de vous ne rirait de nous voir occupés à prouver et démontrer des choses si évidentes. N'est-ce pas se condamner soi-même que de chercher si le Fils est consubstantiel au Père? Car une telle conduite est en contradiction non-seulement avec l'Ecriture, mais avec l'opinion générale des hommes et la nature des choses. Que l'engendré soit de la même substance que l'engendrant, cela se voit, non-seulement pour les hommes, mais pour les animaux, pour les arbres mêmes. N'est-il pas absurde quand cette loi est immuable parmi les plantes, les hommes et les animaux, de vouloir la violer et la renverser en Dieu seul? Cependant, ne nous contentons pas de ces raisons tirées de la nature des choses, et passons aux saintes Ecritures, dont les paroles prouveront ce dogme. Ce n'est pas nous, fidèles, ce sont ces incrédules qui sont dignes de risée, eux qui repoussent des choses si claires et qui résistent à la vérité.

Quelles objections élèvent-ils contre la croyance universelle? Si, de ce que Jésus-Christ est appelé Fils, il s'ensuit qu'il est consubstantiel, nous sommes aussi consubstantiels, nous tous; car nous sommes appelés fils. N'est-il pas écrit: J'ai dit: Vous êtes tous des dieux et les fils du Très-Haut. (
Ps 82,6) - O imprudence! ô folie extrême! Comme ces hérétiques mettent à nu leur démence! Quand nous parlions de l'Incompréhensible, ils s'arrogeaient ce qui est le propre du Fils, et prétendaient connaître Dieu aussi parfaitement qu'il se connaît lui-même. Maintenant que nous parlons de la gloire du Fils, ils veulent le rabaisser à leur niveau. Nous aussi, disent-ils, nous sommes appelés fils, et nous ne sommes pas pour cela consubstantiels à Dieu. Vous êtes appelés fils, oui, mais le Christ est Fils; vous en avez le nom; lui, la réalité. Vous êtes appelés fils, mais non comme lui, fils unique; vous n'habitez pas le sein du Père, vous n'êtes pas la splendeur de la gloire, ni la figure de la substance, ni la forme de Dieu. (He 1,13) Si notre premier raisonnement ne suffit pas,. laissez-vous du moins persuader par les passages de l'Ecriture, qui prouvent la noble origine de notre Sauveur. Dans les textes suivants, Jésus-Christ montre qu'il ne diffère en rien du Père, quant à la substance; Celui qui me voit, voit mon Père (Jn 14,9); Mon Père et moi nous sommes un (Jn 10,30); quant à la puissance: Comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils vivifie qui il veut (Jn 5,21); quant au culte: Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père (Jn 23); quant à l'autorité de législateur: Mon père agit et moi aussi. (Jn 17) Mais laissant de côté tous ces textes, ils refusent de prendre le mot Fils dans son sens propre, par la raison qu'ils sont eux-mêmes honorés de ce nom, et ils rabaissent jusqu'à eux le Fils de Dieu, en s'appuyant sur ces paroles: J'ai dit: Vous êtes tous des dieux et les fils du très-Haut. Puisque, à vous entendre, le Fils, malgré ce nom, n'a rien (241) de plus que vous, et n'est pas vraiment Fils, il s'ensuit que le Père, malgré le nom de Dieu, n'a rien de plus que vous puisqu'il vous a aussi communiqué ce nom. Carde la même manière que vous êtes appelés fils, vous êtes appelés Dieu. Ce nom de Dieu, bien qu'il vous soit donné, vous n'osez dire que ce soit une simple dénomination sans réalité, mais vous reconnaissez que le Père est vrai Dieu; de même ainsi craignez de vous comparer au Fils et ne dites pas: moi aussi, je suis appelé fils; et puisque je n'ai pas la même substance que le Père, lui non plus n'est pas consubstantiel. Car tout ce que nous avons dit ci-dessus montre qu'il est vrai Fils et qu'il a la même substance que le Père. Ces paroles, en effet: Il est la figure et la forme de Dieu, ne prouvent-elles pas l'identité de substance! En Dieu il n'y a ni forme ni visage. - Mais, direz-vous, il y a des textes contraires. Il est dit par exemple, que le Fils prie le Père. S'il a la même puissance, la même essence, s'il opère tout par sa vertu, pourquoi prie-t-il?

2733. A cette objection je veux en ajouter d'autres en vous citant divers passages où Jésus-Christ s'humilie dans son langage. Seulement je vous ferai une observation: Nous avons beaucoup d'excellentes raisons qui expliqueront les passages de l'Écriture où Jésus-Christ semble humilié. Au contraire, pour rendre raison de ceux où il est exalté, vous ne trouverez qu'une seule explication que j'ai déjà exposée; c'est qu'il veut nous montrer sa noble origine. Comprenez-moi bien: les textes que vous nous citerez, nous pouvons les interpréter dans le sens de notre croyance, ceux que nous vous apporterons, aucune interprétation ne les fera cadrer avec vos erreurs. En sorte que si vous persistez à entendre vos textes, comme vous faites, vous devrez aboutir à la conséquence absurde qu'il y a contradiction dans l'Écriture. Car dire: Comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut, etc, et ensuite prier au lieu d'agir, c'est une contradiction pour vous; pour que toute difficulté disparaisse pour vous comme pour nous, il vous faut pénétrer avec nous les raisons pour lesquelles Jésus-Christ est quelquefois humilié dans le langage de l'Écriture. Quelles sont donc ces raisons? La première et la principale, c'est qu'il a revêtu notre chair; il veut, en s'abaissant, convaincre ses contemporains et les siècles futurs que son corps n'est pas une ombre ou un fantôme, mais une réalité. Après tant de textes qui prouvent son humanité, des malheureux, poussés par le démon, ont osé nier l'Incarnation, soutenir que le Fils n'a pas pris un corps, et détruire ainsi le plus grand témoignage de la bonté divine; que serait-ce donc si Jésus-Christ n'avait pas employé ce langage humble? qui aurait évité cet abime? N'entendez-vous pas nier l'Incarnation par Marcion, Manès, Valentin et beaucoup d'autres? Ainsi Jésus-Christ tient ce langage humble et si éloigné de son essence ineffable pour nous contraindre à croire l'Incarnation. Car le démon s'est efforcé de détruire cette foi parmi les hommes, sachant bien que s'il y réussissait, c'en était fait de tout le reste.

Une autre raison, c'est la faiblesse des auditeurs de Jésus-Christ, qui, le voyant et l'entendant pour la première fois, ne pouvaient comprendre la sublimité de sa doctrine. Ce que j'avance n'est pas une simple conjecture; je veux vous le prouver par l'Écriture. Quand le langage du Sauveur était élevé, sublime, digne de sa gloire; que dis-je élevé, sublime et digne de sa gloire? quand il dépassait quelque peu la portée de l'intelligence humaine, ils étaient troublés, scandalisés. Quand au contraire Jésus-Christ parlait simplement comme homme, ils accouraient pour l'entendre. Où en est la preuve? Dans saint Jean surtout. Il leur dit: Abraham votre Père a souhaité mon jour, il l'a vu, et s'en est réjoui (
Jn 8,56); ils répondent: Vous n'avez pas encore quarante ans et vous avez vu Abraham. Ils le regardaient donc comme un homme. Jésus-Christ reprend Avant qu'Abraham fût, je suis. Et les Juifs prennent des pierres pour les lui jeter. Une autre fois, après avoir longtemps parlé des mystères, il ajoute: Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair, et ils répondent: Ce discours est dur, qui peut l'entendre? Et plusieurs de ses disciples l'abandonnèrent et ne le suivirent plus. (Jn 8,52)

Que faire? toujours parler un langage relevé, au risque d'éloigner et de rebuter les âmes qu'il voulait gagner à sa doctrine? Ce ne serait pas le fait de la miséricorde divine. Jésus-Christ avait dit: Celui qui écoute ma parole, ne mourra jamais (Jn 8,51), et ils s'écrient: N'avons-nous pas bien dit que vous êtes possédé du démon? Abraham est mort, les Prophètes sont morts, et (242) vous dites: Celui qui écoute ma parole ne mourra jamais. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il en fût ainsi de la foule, quand il en était de même des chefs? L'un d'eux, Nicodème, vint avec d'excellentes dispositions trouver Jésus-Christ et lui dit: Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu. (Jn 3,2) Cependant son intelligence trop faible ne put comprendre la doctrine du baptême. Car après ces paroles de Jésus-Christ: Quiconque ne renaît de l'eau et de l'Esprit, ne peut voir le royaume de Dieu, il tombe dans le doute, et dit: Comment un homme déjà vieux peut-il naître? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère une seconde fois, pour naître de nouveau? Que répond Jésus-Christ: Si vous ne me croyez pas quand je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous, quand je vous parlerai des choses du Ciel? Plus tard au temps de sa Passion, après avoir fait des milliers de miracles, après avoir clairement manifesté sa puissance, il dit: Vous verrez le Fils de l'Homme venant sur les nuées (Mt 26,64), et à ces mots le grand prêtre indigné déchire ses vêtements. Comment parler à ces hommes qui repoussent tout langage relevé? Il ne faut donc pas s'étonner qu'à des auditeurs si faibles et si rampants le Christ n'ait rien dit de grand, rien de sublime sur lui-même.

2744. Ce qui précède vous montre assez pourquoi Jésus-Christ parle de lui avec tant de modestie. Je veux encore vous en donner une autre raison. Quand le langage de Jésus-Christ est plus relevé; les Juifs se scandalisent, se troublent, se retirent, insultent et s'enfuient. Si au contraire il est simple et commun, ils accourent et écoutent avec attention. Ils se retirent; puis à ces paroles: Je ne fais rien de moi-même, et je dis ce que mon Père m'a enseigné (Jn 8,28), ils reviennent aussitôt. Pour nous montrer qu'ils crurent à cause de la simplicité de ses paroles, l'évangéliste ajoute: Lorsqu'il disait ces choses, plusieurs crurent en lui. Partout vous pouvez voir le même résultat. Voilà pourquoi il parle tantôt en homme, tantôt en Dieu et d'une manière digne de sa noble origine; par là, tout en condescendant à la faiblesse de ses auditeurs, il maintient l'intégrité du dogme. Cette condescendance, si elle eût été continuelle, aurait pu faire douter de sa divinité dans les siècles futurs: il y a pourvu; et malgré les négligences, les injures, l'abandon qu'il prévoyait, il parla cependant pour établir ce dogme; il expliqua même la raison de la simplicité de son langage; cette raison, c'est que les Juifs ne pouvaient pas encore comprendre la sublimité des révélations qu'il avait à leur faire. Pourquoi prêcher ces vérités sublimes à des hommes qui ne voulaient ni écouter ni comprendre, s'il n'eût voulu, par cette prédication inutile aux Juifs, nous instruire nous et ceux qui viendront après nous, nous donner une juste idée de lui-même, et nous indiquer qu'il s'est abaissé dans son langage, parce que les Juifs ne pouvaient le comprendre? Quand donc vous lisez l'Evangile, songez que Jésus-Christ proportionne son langage, non à sa propre essence, mais à la faible intelligence de ses auditeurs.

Voulez-vous une troisième raison? Ce n'est pas seulement à cause de son Incarnation, et de la faiblesse des auditeurs qu'il parle quelquefois de lui-même avec une grande modestie; c'est encore pour nous enseigner l'humilité: telle est la troisième raison des abaissements de Jésus-Christ. Il nous prêche cette vertu par ses discours et par ses oeuvres il est modeste en paroles et en actions. Apprenez, dit-il, que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29); et ailleurs: Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir. (Mt 20,28) Il voulait par ses paroles et ses` actions nous enseigner à être humbles, à ne jamais rechercher les premières places, mais à nous contenter des dernières. Il avait de nombreux motifs de tenir un pareil langage.

Il y a une quatrième raison, qui n'est pas la moins forte. La voici: les rapports intimes des personnes divines auraient pu faire supposer qu'il n'y en a qu'une. Il a voulu prévenir cette erreur, où, malgré cette précaution, plusieurs sont tombés. Ainsi Sabellius l'Africain, à cause de ces paroles: Mon Père et moi nous sommes un (Jn 10,30); Celui qui me voit, voit mon Père (Mt 14,9); paroles qui indiquent l'égalité du Fils avec le Père, Sabellius, dis-je, prétend dans son impiété, qu'il n'y a qu'une personne et qu'une hypostase. Ces raisons ne sont pas les seules. C'était encore pour qu'on ne le crût pas la substance première et inengendrée, ou plus grand que le Père. Saint Paul semble aussi avoir redouté cette doctrine perverse et impie. Après avoir dit: Jésus-Christ doit régner jusqu'à ce qu'il lui ait mis ses ennemis sous les pieds... Il a tout mis sous ses pieds, l'Apôtre ajoute: (243) Excepté celui qui lui a tout soumis (1Co 15,25 1Co 15,27); addition inutile, s'il n'avait pas craint cette erreur diabolique. Souvent encore, pour apaiser la jalousie des Juifs, calmer les soupçons de ses interlocuteurs, Jésus-Christ tempère son langage; par exemple: Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas véritable. (Jn 5,31) En parlant ainsi, son intention n'est pas de leur avouer qu'il soit capable de mensonge, mais de leur reprocher qu'ils l'en soupçonnent.

2755. On pourrait encore trouver plusieurs autres raisons, qui nous rendraient compte de la simplicité du langage que tient Jésus-Christ, en parlant de lui-même. Mais vous, essayez d'expliquer les passages où Jésus-Christ est exalté, autrement que par la raison que nous avons donnée, savoir, qu'il voulait révéler sa divinité: je vous défie d'y parvenir. Un prince peut, sans s'avilir, parler de lui-même en termes simples, c'est de la modestie; un esclave qui exalte ses grandeurs se fait mépriser, c'est de l'orgueil. Voilà pourquoi nous louons tous le prince qui s'humilie; et personne ne loue l'esclave qui se vante. Si donc le Fils était bien inférieur au Père, comme vous le dites, il ne devrait pas dans ses paroles se donner comme l'égal du Père; ce serait de la jactance. Mais qu'étant égal au Père, il s'abaisse et s'humilie, personne ne peut l'en blâmer; cela fait son éloge et c'est le plus beau spectacle et le plus instructif à proposer aux hommes.

Entrons plus avant dans la question, et vous verrez que nous ne sommes pas en contradiction avec l'Écriture. Examinons la première raison, et montrons comment, à cause de son Incarnation, il tient un langage au-dessous de son essence divine. Étudions, si vous le voulez, la prière qu'il adresse à son Père. Suivez attentivement. Je veux reprendre d'un peu plus haut. Jésus-Christ avait achevé la cène dans cette nuit sainte où il devait être livré. Je l'appelle sainte, parce que d'elle découlent tous les biens qui inondent la terre. Le traître était avec les onze disciples, et pendant le repas, Jésus-Christ dit: Un de vous me trahira. (
Mt 26,21) Souvenez-vous de ces paroles, et quand nous traiterons de la prière, vous verrez pourquoi il prie ainsi. Admirez l'attention du Seigneur. Il ne dit pas: Judas me trahira. Ce reproche direct aurait rendu le traître plus impudent. Mais quand celui-ci tourmenté par sa conscience répond: Est-ce moi, Seigneur, Jésus ajoute: Vous l'avez dit. (Mt 26,45) Même en ce moment, il ne l'accuse point, il le laisse se juger lui-même. Judas n'en devint pas meilleur, et, ayant pris le morceau, il sortit. Après son départ, Jésus s'adressant à ses disciples, leur dit: Je vous serai à tous une occasion de scandale. (Mt 34) Pierre, prenant la parole, dit: Quand tous se scandaliseraient, pour moi, je ne me scandaliserai point. Jésus reprit: En vérité, je vous le dis, avant que le coq chante, vous me renoncerez trois fois. Pierre ayant encore nié, Jésus le laissa. Vous ne croyez pas mes paroles, vous me contredisez; les actions vous apprendront qu'il ne faut pas contredire le Seigneur. Souvenez-vous encore de ces paroles; elles nous serviront quand nous expliquerons la prière. Il indique le traître, il annonce la fuite de ses disciples et sa mort. Je frapperai le berger, et les brebis seront dispersées. (Mt 31) Il prédit qui le reniera, quand et combien de fois, et le tout avec exactitude.

Après tout cela, après avoir assez montré qu'il connaissait l'avenir, il va au jardin des Oliviers et prie. Les hérétiques prétendent qu'il prie comme Dieu; nous disons qu'il prie comme homme. Jugez vous-mêmes, mes frères, et par la gloire du Fils unique, prononcez sans prévention. Je plaide devant des amis, toutefois je vous en prie, que votre jugement soit impartial, sans égards pour moi, sans haine contre eux. A n'examiner la chose qu'en elle-même, il est évident que ce n'est pas comme Dieu qu'il prie. Car Dieu ne prie pas, il est adoré; il reçoit nos prières, il n'en fait point. Mais à cause de leur impudence, je veux, par les paroles de cette prière, vous montrer que Jésus-Christ prie comme homme, comme revêtu de notre chair. Quand Jésus s'humilie dans son langage, son humilité est si profonde, que les plus téméraires sont forcés de convenir que son langage est bien au-dessous de son essence ineffable et infinie. Examinons cette prière: Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi. Cependant non comme je veux, mais comme vous voulez.

Ici posons une question aux Anoméens Ignore-t-il s'il est possible ou non d'éviter ce calice, celui qui vient de dire pendant la cène: Un de vous me trahira... Il est écrit. Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées... Je vous serai à tous une occasion de scandale; et en s'adressant à Pierre: Vous me renierez... vous me renierez trois fois. L'ignore-t-il, (243) dites-moi. Qui oserait le soutenir? Si la mort du Seigneur avait été un secret pour les anges et les prophètes, on pourrait jusqu'à un certain point soutenir que Jésus-Christ l'aurait ignorée. Mais c'était une chose si publique, que les hommes ne l'ignoraient pas; ils en avaient une connaissance exacte, ils savaient que Jésus-Christ devait mourir, et mourir sur la croix; bien des années auparavant, David parlant au nom du Messie, disait: Ils ont percé mes mains et mes pieds. (Ps 21,17) Remarquez qu'il emploie le passé pour le futur; il nous montre par là que sa prophétie se réalisera aussi certainement, que s'est réalisé un événement déjà passé. Isaïe annonçait la même chose: Comme une brebis qu'on va égorger, comme un agneau muet devant celui qui le tond. (Is 53,7) Jean en voyant l'agneau disait: Voici l'agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde (Jn 1,29); c'est-à-dire, celui qui a été prédit. Et voyez, il ne l'appelle pas simplement agneau, mais agneau de Dieu. En. s'exprimant ainsi, il veut le distinguer d'un autre agneau, l'agneau des Juifs. Celui-ci était offert pour une nation seulement, celui-là est offert pour toute la terre; le sang de l'un guérissait les plaies corporelles des Juifs seuls, le sang de l'autre purifie le monde entier. L'agneau des Juifs n'opérait pas ces effets par sa propre puissance, mais c'est comme figure de l'agneau de Dieu, qu'il avait cette vertu.

2766. Où sont donc ceux qui disent: Jésus-Christ est appelé fils et nous aussi, et qui, à cause de cette communauté de noms, le rabaissent à notre niveau? Voici deux agneaux, ils ont un même nom; la distance entre eux est infinie. Ici, malgré ce nom commun à tous deux, vous ne supposez aucune parité; de même, malgré le nom de fils, ne rabaissez donc pas jusqu'à vous le Fils unique. Mais pourquoi tant discuter sur des choses évidentes? Si Jésus-Christ prie comme Dieu; il y a en lui opposition, lutte et contradiction. Il dit ici: Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi; il hésite, il repousse la passion. Ailleurs ayant annoncé que le Fils de l'Homme serait trahi, flagellé, et Pierre s'étant écrié: A Dieu ne plaise, cela ne vous arrivera pas, il le réprimande fortement en ces termes: Retirez-vous de moi, satan, vous n'êtes un sujet de scandale, parce que vous ne goûtez pas les choses de Dieu, mais celles des hommes. (Mt 16,22) Il venait de le louer et de le féliciter, et il l'appelle satan; ce n'est pas pour l'outrager, il veut montrer par ce reproche, non que telle fut la pensée de Pierre, mais que son langage était si étrange, que quiconque parlerait ainsi, fût-ce même Pierre, mériterait d'être appelé satan. Ailleurs il dit: J'ai désiré avec ardeur de manger cette pâque avec vous. (Lc 22,15) Pourquoi dit-il, cette pâque? Il avait déjà célébré cette fête avec eux. Pourquoi donc désire-t-il cette pâque plus qu'une autre? parce qu'après, c'était la croix. Et encore: Mon Père glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie. (Jn 17,1) Dans beaucoup d'autres passages, il prédit sa passion, et la désire; c'est pour cela qu'il est venu. Pourquoi dit-il donc: s'il est possible? Il nous montre la faiblesse de la nature humaine, qui ne voulait pas quitter la vie présente, qui hésitait et tergiversait à cause de l'amour que Dieu, dès l'origine, lui avait donné pour cette vie. Après de telles paroles, quelques-uns osent dire que le Fils ne s'est pas incarné; sans ces témoignages, que diraient-ils donc? Ici il parle comme Dieu, et il désire sa passion; là comme homme il la fuit et la repousse. Il acceptait volontiers la passion, puisqu'il dit: J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me la ravit, c'est de moi-même que je la quitte. (Jn 10,18) Comment dit-il donc: Non comme je veux, mais comme vous voulez? Il n'y arien d'étonnant, qu'avant sa mort, il ait mis tant de soin à prouver la vérité de sa chair, lui qui, après sa résurrection, voyant l'incrédulité de son disciple, n'hésite pas à lui montrer ses blessures, les marques des clous, et à lui faire toucher ses cicatrices, en disant: Regardez et voyez, un esprit n'a ni chair ni os. (Lc 24,39)

Voilà pourquoi il n'a pas voulu apparaître dès l'origine à l'état d'homme fait; mais il est conçu, il nait, il est allaité, et il reste sur la terre tout le temps nécessaire pour attester son humanité. Car souvent les anges et Dieu lui-même se sont montrés sous une forme humaine. Ils n'avaient pas un corps véritable, ce n'était qu'une apparence. Pour distinguer son avènement de ces apparitions et pour montrer qu'il était vraiment incarné, il est conçu, enfanté, nourri, couché dans une crèche, non en secret, mais dans une hôtellerie, devant une grande multitude, de sorte que sa naissance peut être connue de tous. Aussi les prophètes annoncent-ils non-seulement qu'il est homme, mais aussi qu'il est conçu, mis au (245) monde et nourri comme les autres enfants. Isaïe s'écrie: Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel; il mangera le beurre et le miel. (Is 7,14) Un petit enfant nous est né; un fils nous est donné. (Is 9,6) Voyez comment ils ont prédit son enfance l Interrogez l'hérétique: est-ce Dieu qui craint, qui tremble, qui hésite, qui est plongé dans la tristesse? S'il répond oui, retirez-vous, mettez-le au rang ou plutôt au-dessous du diable. Car celui-ci n'a pas osé le dire; s'il répond que tout cela ne peut convenir à Dieu, concluez: donc Jésus-Christ ne prie pas comme Dieu. Si c'étaient là les paroles de Dieu, il en résulterait encore une autre absurdité.

En effet ces paroles montrent non-seulement l'angoisse de l'âme, mais l'apparition de deux volontés, celle du Père et celle du Fils. Ce texte: Non comme je veux, mais comme vous voulez, ce texte, dis-je, le prouve. Les hérétiques ne l'admettent pas, et quand, pour prouver la puissance, nous citons le passage: Mon Père et moi nous sommes un (Jn 10,30); ils prétendent qu'il s'agit de la volonté, et disent que le Père et le Fils n'ont qu'une volonté. Si le Père et le Fils n'ont qu'une volonté, comment Jésus-Christ dit-il: Non comme je veux, mais comme vous voulez? En effet, s'il parle comme Dieu, il y a contradiction, et il en résulte une foule d'absurdités; s'il parle comme homme, son langage se conçoit, et l'on ne peut rien y objecter. Car, que la chair repousse la mort, il n'y a rien de surprenant, c'est naturel. Or, Jésus-Christ a pris toute notre nature, excepté le péché, et il l'a prise complètement, afin de fermer la bouche aux hérétiques. Par ces paroles: S'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi... non comme je veux, mais comme vous voulez, il montre qu'il a vraiment revêtu notre chair qui a horreur de la mort. Car il est de la chair de craindre la mort, de trembler et d'être dans les angoisses. Tantôt Jésus-Christ la laisse abandonnée à elle-même, afin qu'en montrant sa faiblesse il atteste sa nature; tantôt il la voile pour prouver qu'il n'est pas seulement homme. On aurait cru à son humanité, s'il l'avait toujours montrée; et s'il avait toujours accompli des oeuvres divines, on aurait douté de l'Incarnation. Voilà pourquoi, dans ses paroles et ses actes, il mêle le divin et l'humain. De la sorte, il ôte tout prétexte à la folie de Paul de Samosate et à la démence de Marcion et de Manès. Voilà pourquoi encore il prédit l'avenir comme Dieu, et le redoute comme homme.

2777. Je voudrais vous exposer les autres raisons, et vous montrer, par les faits mêmes, que la prière du Sauveur, ici preuve de son humanité, sert ailleurs à soutenir la faiblesse des auditeurs. Car, s'il tient un langage humble, ce n'est pas seulement à cause de son Incarnation, mais aussi pour les divers motifs énumérés ci-dessus. Cependant, afin de ne pas noyer ce discours dans la multitude de détails qu'il nous reste à donner, arrêtons-nous, remettons la suite à un autre jour et terminons par l'exhortation à la prière. Nous en avons déjà parlé souvent, et il faut encore y revenir. Les étoffes teintes une fois seulement, perdent facilement leur éclat; plongées dans le bain longtemps et à plusieurs reprises, elles conservent indestructible la délicatesse de leur couleur. Ainsi en est-il de nos âmes. En entendant souvent les mêmes choses, nous devenons pour ainsi dire imbus et tout pénétrés d'ineffaçables enseignements. Ecoutons donc avec attention, car rien n'est plus puissant que la prière: rien ne lui est comparable. Un roi tout brillant de pourpre n'égale point celui qui prie et que glorifie son union avec Dieu. Si en présence de l'armée, des généraux, des chefs et des consuls, quelqu'un s'avance et s'entretient familièrement avec le roi, il attire sur soi tous les yeux, et acquiert par là un éclat nouveau. Tels sont ceux qui prient. Quel honneur en effet, qu'en présence des anges, des archanges, des séraphins, des chérubins et de toutes les autres vertus, un homme s'avance avec une entière confiance et s'entretienne avec leur souverain Maître. Mais, outre l'honneur, nous tirons encore le plus grand avantage de la prière, même avant d'être exaucés. Car, en levant les mains au ciel et en invoquant Dieu, on se sépare des affaires temporelles, on se transporte par la pensée dans la vie future, et l'on contemple déjà les splendeurs célestes; dans le temps de la prière, si. elle est bien faite, on n'est plus de cette vie; les transports de la colère s'apaisent sans peine; les ardeurs de la cupidité s'éteignent; les fureurs de l'envie se calment avec la plus grande facilité. Il nous arrive alors la même chose qui se passe dans la nature, au lever du soleil, selon la description du Prophète: Vous avez répandu les ténèbres, dit-il, et la nuit a été faite; c'est alors (246) que passent toutes les bêtes des forêts; les lionceaux, en rugissant après leur proie, cherchent la nourriture que Dieu leur a donnée. Le soleil se lève; elles rentrent et vont se coucher dans leurs retraites. (Ps 104,20)

De même qu'aux premiers rayons du soleil toutes les bêtes s'enfuient et se cachent dans leurs repaires, ainsi en est-il de la prière; comme un rayon elle s'échappe de nos lèvres, illumine notre âme, chasse et met en fuite toutes les passions brutales, et les fait rentrer dans leurs cavernes, pourvu que nous priions avec attention, avec une âme ardente et un esprit vigilant. Alors le démon se retire. Quand un maître parle à un esclave, aucun autre esclave, même des plus confiants, n'oserait venir troubler cet entretien; à plus forte raison les dérasons, si odieux au Seigneur, ne pourront-ils nous empêcher de parler à Dieu, si nous le faisons avec le zèle convenable. La prière, c'est le port contre la tempête, l'ancre du salut, le bâton du vieillard, le trésor des pauvres, la sûreté des riches, la guérison des maladies, la gardienne de la santé. La prière nous conserve nos biens intacts et écarte promptement les maux. Survient-il une tentation? elle est facilement repoussée; une perte de richesses ou toute autre affliction? tout est bientôt réparé. La prière chasse la tristesse, excite la gaieté; elle est la source de plaisirs continuels, la mère de la sagesse.

Celui qui prie avec attention, fût-il le plus pauvre, devient le plus riche; celui qui ne prie pas, au contraire, fût-il assis sur le trône impérial, est le plus pauvre de tous les hommes. Achab n'était-il pas roi? n'avait-il pas des monceaux d'or et d'argent? Mais parce qu'il ne priait pas, il lui fallut faire chercher Elie, un homme sans habitation, qui n'avait pour tout vêtement qu'une peau de brebis. O roi, qui possédez de si grands trésors, vous cherchez un homme qui ne possède rien! Oui, dit-il; car à quoi me servent ces richesses? Le Prophète a fermé le ciel, et tout me devient inutile. Vous le voyez, Elie était plus riche que ce roi! Car jusqu'à ce qu'il eût parlé, le roi avec toute son armée était réduit à la dernière misère, O merveille! Elie n'a pas même de quoi se vêtir et il ferme le ciel. Et c'est cette pauvreté qui lui donne une telle prérogative. Parce qu'il ne possède rien ici-bas, il jouit de cette grande puissance. Il n'a qu'à parler, pour faire descendre du ciel d'immenses trésors. O bouche, source de pluies fécondes! O langue, qui verse des ondées bienfaisantes! Voix, qui répand toutes sortes de biens! Contemplant toujours cet homme pauvre et riche, riche parce qu'il est pauvre, méprisons les choses présentes, et soupirons après les biens futurs. De cette manière nous jouirons des uns et des autres. Puissions-nous tous les obtenir parla grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui avec le Père et le Saint-Esprit soit la gloire, maintenant. et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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Huitième homélie. Jugement et aumone. - Demande de la mère des fils de Zébédée.


Chrysostome Homélies 260