Chrysostome Homélies 7110

Onzième homélie.

ANALYSE.

Action de grâces pour le pardon accordé aux habitants d'Antioche. - Merveilles de la création. - Le corps humain. - Les yeux. - Les sourcils. - Le cerveau. - Le coeur. - Supériorité de l'homme sur les animaux. - Avantages que l'homme retire des diverses espèces d'animaux. - Il faut s'abstenir de jurer et se préparer à célébrer dignement la fête de Pâques.


71111. Quand je songe à la tempête que nous venons de traverser et au calme qui lui succède, je ne cesse de m'écrier: Béni soit Dieu qui fait toutes choses, et qui produit tous ces changements, qui fait briller la lumière après les ténèbres, qui nous conduit aux portes de l'enfer et qui nous en retire, qui châtie et ne donne point la mort! (Am 5,8 Jb 37,15 1S 2,6 1Co 6,9) Et c'est là ce que vous devez aussi continuellement répéter, ce que vous ne devez point vous lasser de redire. Si Dieu nous a témoigné sa bienveillance par de si importants bienfaits, pourrait-il nous pardonner de ne pas faire entendre au moins des paroles de reconnaissance? Je vous exhorte donc à ne jamais cesser de lui rendre grâces. Si nous nous montrons reconnaissants pour ces premières faveurs, nous en obtiendrons de bien plus grandes encore. Aimons donc à lui redire: Béni soit Dieu qui nous a donné de pouvoir vous présenter avec confiance cette nourriture spirituelle, et qui vous permet d'entendre nos discours, l'âme libre de toute inquiétude! Béni soit Dieu! car il nous a délivrés des périls extérieurs; nous accourons maintenant avides d'entendre la parole sainte; nous pouvons nous réunir, exempts d'angoisses, de frayeurs et de soucis. Nous avons recouvré la paix, secoué cette crainte qui nous rendait plus malheureux que les matelots ballottés sur une mer orageuse et menacés de faire naufrage. Tout le jour mille rumeurs venaient nous troubler, nous effrayer, nous agiter, et sans cesse inquiets, nous nous demandions avec empressement: «Qui est venu du camp de l'empereur? Que vient nous annoncer ce messager? Ce que l'on dit, devons-nous y croire ou n'y pas croire? Et les nuits se passaient sans sommeil, et nous regardions en pleurant cette cité qui allait périr. Si nous avons nous-même gardé le silence ces jours derniers, c'est que cette ville était, pour ainsi dire, déserte; tous ses habitants avaient pris la fuite, et ceux qui restaient, on les voyait comme enveloppés d'un nuage de tristesse. L'âme ainsi plongée dans la tristesse, peut-elle encore se rendre attentive? Quand les amis de Job se furent approchés de lui, qu'ils eurent contemplé la ruine de sa maison, qu'ils l'eurent contemplé lui-même assis sur son fumier et tout couvert d'ulcères, ils (45) déchirèrent leurs vêtements, ils se prirent à gémir, ils s'assirent et demeurèrent silencieux (Jb 2,11-13), montrant par là que rien ne sied mieux d'abord à la douleur que le repos et le silence. Quelles paroles en effet eussent été capables de soulager une pareille affliction? Les Juifs, esclaves de Pharaon, contraints par ce prince à pétrir la boue pour en faire des briques, virent arriver Moïse au milieu d'eux, et ils ne pouvaient prêter l'oreille à ses paroles, car ils étaient en proie au découragement et à la douleur. Et devons-nous être surpris que des hommes pusillanimes se soient ainsi laissé abattre par le malheur, quand nous voyons succomber les disciples mêmes de Jésus-Christ. Après le festin mystique, quand le Sauveur les entretenait loin de la foule, ne lui demandaient-ils pas sans cesse: «Où allez-vous?»Il leur prédit les maux qui devaient bientôt fondre sur eux, les guerres, les persécutions qui les attendaient; il leur annonça que le monde entier les haïrait, qu'on les flagellerait, qu'on les jetterait en prison, qu'on les traduirait devant les tribunaux, qu'on les bannirait; ces paroles les remplirent de crainte et de tristesse, et comme accablés sous le poids de si terribles prédictions, leurs âmes demeurèrent stupéfaites. Témoin de cette consternation, Jésus-Christ la leur reprocha en leur disant: Je m'en vais ci mon Père, et personne de vous n'ose désormais me demander: où allez-vous? Mais depuis que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre coeur.» (Jn 16,5 Jn 16,6) C'est aussi la tristesse qui nous a imposé silence ces jours passés: nous attendions ce moment si opportun. Quelque raisonnable que puisse être une demande, n'attendra-t-on point, pour la faire, une occasion favorable, afin de trouver bien disposé celui dont on espère obtenir une faveur? A plus forte raison l'orateur doit-il parler à propos, c'est-à-dire s'adresser à un auditeur capable d'attention, libre de toute inquiétude et de toute tristesse. Et c'est ce que nous nous sommes proposé nous-même.

71122. Maintenant donc que vous avez secoué la tristesse, je veux vous remettre en mémoire nos précédents entretiens, et vous faciliter, en les résumant, l'intelligence de ce discours. Nous traitions de la création de l'univers, et nous disions que Dieu, tout en lui donnant une grandeur et une beauté merveilleuses, lui a laissé cependant de nombreuses imperfections, et l'a assujetti à la corruption. Ces deux caractères, on peut aisément les apercevoir dans la nature, et c'est dans notre intérêt que le Seigneur en a agi de la sorte. Cette beauté du monde nous fait admirer la puissance du Créateur, ses défauts nous empêchent d'adorer la créature. Et ne remarquons-nous pas aussi ces mêmes caractères dans notre propre corps? Beaucoup parmi les ennemis de la vérité et beaucoup aussi parmi les chrétiens se demandent pourquoi il a été créé sujet à la corruption et à la mort. Bon nombre de gentils et d'hérétiques vont jusqu'à prétendre qu'il n'est pas l'ouvrage de Dieu. N'est-il pas indigne de Dieu, disent-ils, d'avoir créé ces substances grossières, ces sueurs, ces larmes, ces fatigues, ces maladies, et tant d'autres choses encore? Puisque nous avons -entrepris ce sujet, voici ce que je pourrais répondre d'abord: Que me parlez-vous de l'homme qui a péché, qui est dépouillé de sa gloire, qui est sous le poids d'une condamnation? Si vous désirez savoir quel était notre corps au sortir des mains de Dieu, allons dans le paradis, et voyons cet homme que Dieu venait d'y placer. Son corps n'était sujet ni à la corruption ni à la mort; semblable à une statue d'or que l'on retire de la fournaise et qui brille du plus vif éclat, il n'éprouvait aucune de ces infirmités que nous y remarquons aujourd'hui. La fatigue ne le tourmentait point, la sueur ne le gênait point, les soucis ne venaient point l'assiéger, la tristesse ne pouvait l'envahir, en un mot, il était exempt de toute espèce d'incommodités. Mais l'homme ne sut pas demeurer sage au sein du bonheur, il outragea son bienfaiteur, il aima mieux se fier au père du mensonge qu'à ce Dieu, souverain Seigneur de toutes choses, qui l'avait comblé de gloire; il voulut devenir Dieu lui-même, et conçut des prétentions trop au-dessus de son mérite. Alors Dieu l'instruisit en le châtiant; il le condamna à la corruption et à la mort; il l'enchaîna dans une multitude d'infirmités, non par haine ou par aversion, mais dans son intérêt, et pour réprimer cet orgueil si funeste, si pernicieux, si prompt à se faire jour, dont il fallait arrêter les progrès. Il lui fit sentir qu'il était mortel et corruptible, et lui persuada ainsi de ne jamais concevoir, de ne jamais rêver de telles destinées. Car le démon lui avait dit: Vous serez comme des dieux. (Gn 3,5) Pour arracher de son âme cette folle pensée, il le rendit sujet dans son corps à toute sorte de maladies et de douleurs, et l'avertit par sa nature même de ne jamais concevoir une pareille ambition. Que tel ait été le dessein du Créateur, sa conduite à l'égard de l'homme nous le fait bien voir: c'est après avoir songé à s'égaler à Dieu que l'homme subit ce rigoureux châtiment. Voyez encore la sagesse du Seigneur. Ce n'est pas Adam qui meurt le premier, mais son fils Abel, afin que le premier homme ayant sous les yeux ce cadavre livide et infect, il pût puiser dans ce spectacle une grande leçon de sagesse, apprendre ce qu'il était devenu par son péché, et renoncer désormais à cet orgueil si coupable. Tout cela ne vous manifeste-t-il pas l'intention du Seigneur? Ce que je vais dire ne le manifeste pas moins clairement. Notre corps est comme enchaîné par des infirmités de toute sorte; on voit tous les hommes mourir, se corrompre, tomber en putréfaction, devenir poussière; les philosophes païens s'accordent tous pour définir l'homme un animal raisonnable et mortel; si donc malgré tant de témoignages, plusieurs ont osé se proclamer immortels et accréditer cette prétention dans beaucoup d'esprits; s'ils n'ont pas craint de se faire passer pour des dieux et de recevoir les honneurs divins, lorsque cependant tout leur dit qu'ils doivent mourir; à quel comble d'impiété n'en seraient point venus la plupart des hommes, si la mort ne s'était chargée de leur apprendre que la nature humaine est périssable et corruptible? Ecoutez ce que dit l'Ecriture d'un roi barbare, en proie à cette démence: J'élèverai mon trône au-dessus des astres du ciel, et je serai semblable au Dieu très-haut. Mais le Prophète se rit d'un pareil langage, et lui montre la fin qui l'attend: on étendra sous toi la corruption, et les vers seront le vêtement qui te recouvrira. (Is 14,13 Is 14,14) Et voici ce que veut dire le Prophète: Tu es un homme, tu dois t'attendre à mourir, et tu n'as pas craint de songer à une semblable entreprise! Le roi de Tyr, lui aussi, rêvait ces projets insensés et voulait passer pour un dieu: Non, tu n'es pas un dieu, lui dit Ezéchiel, tu es un homme, et les vers en te rongeant te le diront assez. (Ez 28,9) Ce fut donc pour nous soustraire dès le principe à l'orgueil et à l'idolâtrie, que Dieu opéra ce changement dans notre corps.

Et qu'y a-t-il d'étonnant dans ce changement? Ne s'est-il pas produit dans nos âmes quelque chose d'analogue? Dieu ne les a pas créées sujettes à la mort, il a permis qu'elles soient immortelles; mais l'oubli, l'ignorance, la tristesse, les soucis, voilà autant de maux qui les asservissent; et Dieu l'a voulu pour les empêcher de concevoir à la vue de leur grandeur des sentiments au-dessus de leur propre mérite. Si, en effet, malgré tant de défauts, plusieurs ont osé dire que l'âme faisait partie de la substance divine, quelle borne auraient-ils mis à leur folie, si l'âme eût été exempte de ces imperfections? Ce que je disais de la création de l'univers, je le dis aussi de notre corps, et je vois ici un double motif d'admiration. J'admire la Providence qui a fait le corps humain sujet à la corruption, je l'admire en second lieu, parce qu'au sein même de cette corruption elle a révélé sa puissance et son infinie sagesse. Ne pouvait-elle pas le composer d'âne plus riche matière? sans doute. Voyez le firmament et le soleil. Cet éclat que nous admirons dans ces créatures, ne pouvait-elle pas en revêtir notre corps? Mais nous savons la cause de son imperfection. Et cette imperfection ne déprécie en rien la puissance du Créateur, elle ne fait que la manifester davantage. Le peu de prix de la matière ne fait-il pas ressortir la prodigieuse habileté de l'artiste qui avec de la boue et de la cendre a su réaliser une si belle harmonie, produire des sens si variés et capables d'inspirer de si hautes pensées?

71133. Oui, plus vous critiquerez le peu de prix de la substance, plus vous devrez admirer la beauté de l'art. J'admire le sculpteur qui avec de l'or fait une belle statue; mais j'admire bien plus encore celui qui avec une boue sans consistance compose, à force d'habileté, une oeuvre d'art d'une beauté surprenante et inouïe. C'est un grand avantage pour l'artiste d'avoir à travailler une matière aussi précieuse que l'or; mais quand il façonne de la boue, il n'a d'autre ressource que celle de son talent. Voulez-vous comprendre tout ce qu'il y a de sagesse dans ce Dieu qui nous a créés? demandez-vous quel usage on fait habituellement de l'argile. On s'en sert pour fabriquer des tuiles ou des vases. Or avec cette même argile, Dieu, ce merveilleux artiste, a su organiser cet a-il si beau, qui ravit d'admiration quiconque l'examine; il a su lui donner assez d'énergie pour pénétrer les profondeurs de l'atmosphère, pour embrasser dans une prunelle si étroite des corps si nombreux, des montagnes, des forêts, des collines, des mers, le firmament. Ne m'objectez point ces larmes, ces (47) humeurs qui en troublent la sérénité; c'est une conséquence de la faute originelle; mais songez à la beauté de cet organe, à cette énergie qui lui permet de parcourir de si vastes espaces sans se fatiguer, sans éprouver de douleur. Les pieds, pour peu qu'ils aient marché, se fatiguent et refusent tout service; 1'oeil qui pénètre à de si grandes profondeurs, qui étend si loin son action, ne ressent toutefois aucune souffrance.. N'est-ce pas le plus utile de tous nos organes? Aussi Dieu a-t-il permis qu'il ne se fatiguât point; il a voulu qu'il pût nous servir toujours sans embarras, sans aucune gêne. Et qui pourrait redire toute la puissance de cet organe? Que fais-je moi-même en vous parlant de cette prunelle, où réside la faculté de voir? Y a-t-il rien de plus vil en apparence que les paupières, et cependant ne suffit-il pas de les considérer pour avoir une haute idée de la sagesse du Créateur. De même que l'épi de blé est protégé par ces barbes, qui, comme autant de traits repoussent les oiseaux et les empêchent de briser, en s'y reposant, ce chaume si fragile; de même aussi pour protéger nos yeux, il y a tout autour comme deux rangs de barbes et de pointes, les cils, destinés à arrêter la poussière et tout ce qui pourrait faire mal à l'organe de la vue et gêner le mouvement des paupières. Et les sourcils ne vous révèlent-ils pas aussi cette admirable sagesse? Qui ne serait frappé de la place qui leur est assignée? Ils ne s'avancent pas outre mesure pour ne pas nuire à la vue; ils ne sont pas trop retirés non plus; mais comme un toit en saillie, ils dominent les paupières pour recevoir la sueur qui tombe de la tête et qui pourrait blesser les yeux. Aussi sont-ils formés eux-mêmes de poils assez nombreux et assez serrés pour arrêter la sueur, ils recouvrent exactement l'orbite des yeux, et en augmentent la beauté. Tout cela est certes bien digne d'admiration, et voici qui ne l'est pas moins.

Les cheveux ne cessent de croître, à ce point qu'on est obligé de les couper. Pourquoi n'en est-il pas de même des sourcils? Ce n'est point l'oeuvre du hasard; Dieu l'a voulu ainsi, pour qu'ils, ne puissent pas, en se développant, mettre comme un voile devant les yeux, ce qui se remarque chez les hommes d'un âge très-avancé. Qui pourrait dire tout ce qu'il y a de sagesse dans l'organisation du cerveau? D'abord Dieu l'a composé d'une substance molle, parce qu'il est le siège de toutes les sensations; ensuite, afin de protéger cette substance si délicate, il l'a renfermée dans une boite osseuse; mais pour qu'elle ne soit point comme broyée par ces os qui l'entourent, Dieu l'en a séparée par une membrane, et même par deux membranes, dont l'une est tendue au-dessous du crâne, et l'autre appliquée sur le cerveau lui-même: la première est plus dure que la seconde. Ce n'est point là cependant la seule propriété de ces membranes; grâce à elles, le cerveau ne reçoit pas immédiatement les coups portés sur la tête; ce sont les membranes qui les reçoivent d'abord, et ainsi elles empêchent le cerveau d'en éprouver aucun dommage. Le crâne n'est pas d'une seule pièce, il se compose de plusieurs os qui sont comme soudés les uns avec les autres; et c'est encore un moyen de préserver le cerveau de certains dangers.

Par ces jointures en effet peuvent s'échapper les vapeurs qui l'entourent, et qui, sans cela, pourraient le suffoquer.; si on le frappe quelque part, il n'est point lésé dans son ensemble. Que cette enveloppe soit d'une seule pièce, elle se ressentira tout entière de la blessure faite en un point quelconque. Ce qui est impossible du moment qu'elle est divisée en un grand nombre de parties. L'os situé dans la partie qui a reçu le coup est seul endommagé, le reste demeure intact; grâce à cette division, le mal ne peut point s'étendre à la partie voisine. Voilà pourquoi le Seigneur a composé le crâne de plusieurs os. Et de même que celui qui construit une maison la recouvre de tuiles; de même le Créateur a enveloppé la tête d'une boîte osseuse, il y a fait croître les cheveux, et c'est. pour la tête comme un casque qui la protège. Ne remarquons-nous pas la même attention en ce qui concerne le coeur? Le coeur est le plus important de tous nos organes; c'est en lui que réside le principe même de la vie, et pour peu qu'il soit blessé, la mort arrive; aussi Dieu l'a-t-il entouré d'os épais et très-durs: les côtes le protègent par devant et les épaules par derrière. Autour du coeur il y a des membranes comme autour du cerveau. Quand il est agité, quand il palpite sous l'influence de la colère ou d'autres passions, il pourrait se briser contre les parois osseuses qui l'enveloppent, et éprouver ainsi de vives douleurs; mais Dieu a étendu tout autour de lui de nombreuses membranes; un peu (48) au-dessous il a mis le poumon, sur lequel il s'agite comme sur un lit de duvet; et ainsi quelque violents que soient ses mouvements, il n'y a rien à craindre pour lui. Mais pourquoi vous parler du cerveau et du coeur? N'y a-t-il pas dans les ongles eux-mêmes de quoi montrer la sagesse divine, soit qu'on en examine la forme, soit qu'on en étudie la nature et la place? J'aurais pu vous dire aussi pourquoi nos doigts sont d'inégale longueur, et soulever bien d'autres questions encore. Mais ce que j'ai dit est bien suffisant pour faire briller la sagesse de Dieu aux regards d'une âme attentive. Laissons donc le soin de traiter ces questions aux esprits studieux et abordons une autre objection.

7114 4. Voici donc ce que l'on nous objecte encore. Si l'homme est le roi des animaux, comment se fait-il que les animaux l'emportent sur lui en force, en agilité, en -vitesse? Le cheval ne va-t-il point plus vite que l'homme, le boeuf n'a-t-il pas plus de force que lui, l'aigle plus de légèreté, le non plus de vigueur? -Que répondre à une pareille objection? Mais c'est en cela surtout que nous apparaît la sagesse de Dieu; c'est par là aussi que nous pouvons apprécier la gloire dont il nous a revêtus. Oui, le cheval va plus vite que l'homme; mais quand il s'agit de voyager rapidement, l'homme peut ce que ne pourrait pas le cheval. Le cheval le plus vif, le plus robuste, peut à peine fournir deux cents stades en un jour; l'homme attellera successivement plusieurs chevaux à son char et pourra parcourir ainsi jusqu'à. deux mille stades.

Ces avantages que le cheval tire de sa rapidité, l'homme les trouve, et plus nombreux encore, dans sa raison et dans son industrie. Sans doute ses pieds sont moins rapides que ceux du cheval; mais les pieds du cheval sont à la disposition de l'homme aussi bien que les siens propres. Est-il un seul animal qui puisse en mettre un autre sous le joug et l'employer à son usage? L'homme au contraire triomphe de tous les animaux, et grâce à l'intelligence qu'il a reçue de Dieu, il contraint chacun d'eux à le servir de la manière la plus avantageuse. Si les pieds de l'homme eussent été aussi robustes que ceux du cheval, que de services ils n'auraient pu lui rendre! Auraient-ils pu vaincre les obstacles qu'offrent certains lieux, gravir les montagnes, monter sur les arbres? Le sabot dont le pied du cheval est armé, s'opposerait à de pareilles tentatives. Ainsi donc, bien que les pieds de l'homme soient plus tendres, cependant ils sont d'une grande utilité; leur peu de rapidité ne nuit pas à l'homme, puisque ceux du cheval sont à son service; ils se distinguent d'ailleurs par la facilité avec laquelle ils parcourent les sites les plus variés. L'aigle, il est vrai, a des ailes légères; mais j'ai pour moi la raison et l'habileté qui me permettent d'abattre tous les oiseaux et de m'en saisir. Et si vous voulez voir mes ailes, j'en ai de bien plus légères, sur lesquelles je m'élève non pas à dix ou à vingt stades, non pas jusqu'au ciel seulement, mais au-dessus du ciel même, au-dessus du ciel dés cieux, jusqu'au trône où est assis le Christ à la droite de Dieu. Les animaux ont dans leurs corps des armes naturelles. Le boeuf a ses cornes, le sanglier ses défenses, le lion ses griffes; ce n'est point dans notre corps que, Dieu a placé nos armes, mais hors de notre corps, pour montrer que l'homme est un animal pacifique et qu'il ne doit pas être toujours armé; tantôt en effet nous déposons nos armes, tantôt nous les saisissons. C'est donc pour ne point me gêner, pour ne point me charger inutilement, pour ne pas me contraindre de porter sans cesse mes armes, que Dieu ne les a pas jointes à ma nature. Ce n'est pas seulement par la raison que nous l'emportons sur les animaux; mais aussi par notre corps. Dieu l'a proportionné à la noblesse de notre âme, et l'a rendu apte à observer ses préceptes. Il n'a point voulu nous donner un corps tel quel; mais un corps qui fût capable de venir en aide à une substance raisonnable. S'il en eût été autrement, il eût gêné les opérations de notre âme, et ne le voit-on pas par les maladies qui surviennent? Pour peu en effet qu'il y ait de changement dans la constitution du corps, l'âme est troublée dans un grand nombre de ses fonctions: il suffit que le cerveau éprouve un peu plus de chaleur ou de froid que d'habitude. Le corps lui-même prouve donc bien la providence de Dieu; non-seulement Dieu l'avait créé dès l'origine plus beau qu'il n'est aujourd'hui, non-seulement aujourd'hui même il lui conserve encore de nombreux avantages, mais plus tard il le ressuscitera plus glorieux qu'il n'était dès le principe.

Si vous voulez savoir encore tout ce que Dieu a déployé de sagesse dans l'organisation (49) de notre corps, je vous montrerai un spectacle que saint Paul semble ne pouvoir se lasser d'admirer. Si un membre l'emporte sur l'autre, ce n'est point d'une manière absolue; les uns ont plus de beauté, par exemple, mais les autres ont plus de force. Ainsi, 1'oei1 est beau, mais les pieds ont la force en partage; la tête est un membre précieux, mais elle ne peut dire aux pieds. je n'ai pas besoin de vous. Tout cela peut se remarquer aussi dans les animaux, et les différents ordres qui composent la société. Le roi a besoin de ses sujets, et les sujets; du roi, comme la tête a besoin des pieds. Parmi les animaux les uns ont plus de vigueur, les autres plus de beauté; les uns servent à charmer nos yeux, d'autres à nourrir nos corps, d'autres à les vêtir. Ainsi le paon réjouit notre vue, les poules et les porcs nous fournissent des aliments; les brebis et les chèvres nous donnent des vêtements, le boeuf et l'âne nous Aident dans nos travaux. Il en est d'autres, qui, sans nous offrir ces avantages, exercent nos forces. Les bêtes sauvages n'accroissent-elles pas la force des chasseurs, ne nous instruisent-elles pas en nous inspirant de la crainte, ne nous rendent-elles pas plus circonspects, et leurs membres ne sont-ils pas d'une très-grande ressource pour la médecine? Si donc on vient vous dire comment pouvez-vous être roi des animaux, vous qui craignez un lion? Répondez: cette crainte n'avait pas lieu quand l'homme était en honneur auprès de Dieu, quand il avait le paradis pour séjour; mais depuis que j'ai offensé le Seigneur, je suis devenu le sujet de mes esclaves; non complètement toutefois, car il me reste une certaine habileté au moyen de laquelle je puis en triompher. Ne voit-on pas dans les riches maisons des fils qui, tout nobles qu'ils sont, tremblent devant des serviteurs? et s'ils viennent à faire une faute, leur anxiété ne redouble-t-elle point? Voilà ce que l'on peut répondre encore au sujet du serpent, des scorpions et des vipères: c'est le péché qui nous les a rendus si terribles.

7115
5. Ces remarques, on les peut faire non-seulement au sujet de notre corps, des diverses classes de la société, des animaux; on peut observer aussi la même variété parmi les arbres. Ne voit-on pas en effet l'arbre qui a le moins d'apparence l'emporter par une qualité spéciale sur un autre qui a bien plus d'élévation? Chacun d'eux a son utilité, pour que tous nous soient nécessaires, et fassent mieux connaître l'infinie sagesse de Dieu. Que la nature corruptible de votre corps ne soit donc point pour vous un motif d'accuser le Seigneur; au contraire n'en mettez que plus d'empressement à l'adorer, et admirez de plus en plus sa sagesse et sa providence. Oui, admirez cette sagesse qui dans un corps périssable. a su établir une si belle harmonie; admirez sa providence, qui en le faisant sujet à la mort, a voulu réprimer l'orgueil de l'âme et la punir de sa folie.

Mais pourquoi Dieu ne l'a-t-il pas créé ainsi dès le principe, dira-t-on? Dieu vous répondra en vous rappelant ce qui est arrivé, et il vous tiendra pour ainsi dire ce langage: Je vous réservais une plus grande gloire, mais vous vous êtes rendus indignes de mes présents, en me forçant à vous chasser du paradis; cependant je ne veux point vous abandonner, et si vous sortez de votre péché, je vous ramènerai dans le ciel. Si je vous ai laissés si longtemps vous corrompre et tomber en poussière, c'est afin que ces longues années puissent affermir en vous la doctrine de l'humilité, et que vous ne retourniez jamais à votre première erreur. Rendons grâces à ce Dieu si bon pour de si nombreux bienfaits; oui, remercions-le pour tant de soins qu'il nous a prodigués, mais que l'expression de notre reconnaissance nous soit utile à nous-mêmes. Mettons tout notre zèle à observer ce commandement que je vous ai si souvent rappelé. Non, je ne cesserai de vous le redire tant que vous ne vous serez point corrigés. On ne nous demandera pas de vous adresser peu ou beaucoup d'avertissements, mais de vous avertir jusqu'à ce que nous vous ayons persuadés. Dieu disait aux Juifs par son prophète: Si vous jeûnez pour ensuite vous livrer aux procès et aux disputes, pourquoi donc jeûnez-vous? (
Is 58,4-5) Et ne vous dit-il pas aussi par notre organe: Si vous jeûnez pour jurer, et pour être parjures, pourquoi jeûnez-vous? Comment pourrons-nous célébrer la pâque? Comment recevrons-nous la victime sainte? Comment participerons-nous aux redoutables mystères avec une langue sans cesse occupée à violer la loi du Seigneur; avec une langue sans cesse occupée à blesser notre âme? On n'oserait toucher la pourpre royale avec des mains souillées, et nous oserons recevoir le corps du Seigneur sur une langue souillée par le péché! Le serment est l'oeuvre (50) du malin esprit; le sacrifice appartient au Seigneur. Qu'y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres, et quel accord peut exister entre Jésus-Christ et Bélial? (2Co 6,14-15) Vous avez fait des efforts, je le sais bien, pour sortir de cette coupable habitude. Mais il n'est pas facile de s'en corriger, si l'on est seul à combattre; réunissons-nous donc, formons des associations. Vous savez ce que font les pauvres pour se procurer des festins. un seul ne pourrait en faire les frais, ils se mettent plusieurs ensemble et chacun paie son écot. Eh bien! c'est ce qu'il nous faut faire aussi. Laissés à nous-mêmes, nous languissons; associons nos efforts, apportons le tribut de nos conseils, de nos avertissements, de nos exhortations, de nos reproches, de nos menaces, et l'empressement de chacun nous réformera tous. Puisque nous voyons mieux les défauts du prochain que les nôtres, chargeons-nous de surveiller les autres, et confions-leur aussi le soin de nous surveiller nous-mêmes: qu'il y ait une généreuse émulation pour terrasser enfin cette honteuse habitude, pour arriver pleins de confiance à cette grande solennité et participer à la sainte victime avec une bonne conscience et le coeur rempli d'espérance, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



7120

Douzième homélie.

ANALYSE.

Action de grâces pour le pardon des injures faites à l'Empereur. - Que Dieu se montre dans la création. - Que Dieu en créant l'homme a gravé dans son coeur les préceptes de la loi naturelle. - Qu'il faut éviter le jurement avec beaucoup de soin.


7121 1. Je commencerai encore aujourd'hui comme hier, et je m'écrierai: béni soit Dieu! Si le péril est passé, que la mémoire nous en reste pour faire éclater non pas notre douleur, mais notre reconnaissance. Le souvenir de nos maux soigneusement conservé nous préservera de la douloureuse expérience de calamités nouvelles. A quoi bon l'épreuve, si, pour nous rendre sages, un simple souvenir suffit? Dieu ne nous a pas laissés sombrer au fort de la tempête; à nous maintenant, que le danger n'existe plus, à nous de ne pas laisser dégénérer nos bons sentiments. Il nous a consolés dans notre angoisse, rendons-lui grâces dans notre joie; il nous a soulagés dans notre détresse, il ne nous a pas abandonnés, ne nous abandonnons pas nous-mêmes dans la prospérité, en tombant dans la négligence. Souviens-toi de la disette, est-il écrit, au jour de l'abondance (Si 18,25). Souvenons-nous de l'épreuve au temps de la paix. Faisons de même pour nos péchés. Vous avez péché: Dieu vous a pardonné; récevez le pardon avec reconnaissance et action de grâces, mais toutefois sans oublier votre péché, non pour vous consumer vous-mêmes inutilement dans cette pensée, mais afin que votre âme, toujours en garde contre un laisser-aller trompeur, ne retombe plus dans les mêmes fautes.

C'est l'exemple que vous donne saint Paul, qui, après avoir dit: Jésus-Christ m'a jugé fidèle en m'établissant dans son ministère, se hâte d'ajouter: moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur et un ennemi acharné. (1Tm 1,12 1Tm 1,13) Exposons au grand jour, semble-t-il dire, la vie du serviteur, pour faire mieux paraître la miséricorde du Maître; j'ai reçu la rémission de mes péchés, mais je ne bannis pas néanmoins le souvenir de mes péchés. Oui, cet aveu fait déjà ressortir la bonté du Seigneur, et de plus il honore l'apôtre; en effet, la vue de ce qu'était auparavant saint Paul, augmente votre admiration pour ce qu'il est devenu; et fussiez-vous un grand pécheur, une si prodigieuse conversion vous fait concevoir pour vous-même les meilleures espérances. Quel désespoir ne s'évanouirait devant un exemple si éclatant!

Notre ville va donner au monde un exemple semblable. Les événements que nous venons de traverser ont fait briller votre vertu, vous qui avez su, à force de repentir, conjurer une (52) si terrible colère; ils proclament en outre la bonté de Dieu qui, apaisé par votre prompte conversion, a dissipé ce gros nuage un instant suspendu sur vos têtes; ils sont aussi de nature, ces mêmes événements, à relever les courages abattus par le désespoir, puisqu'ils offrent la preuve qu'il n'y à pas de tempête assez forte pour faire périr l'homme qui sait élever son regard vers le ciel et implorer le secours de Dieu. Vit-on jamais une situation pareille à celle où nous nous sommes trouvés? Nous allions voir notre ville détruite de fond en comble, et ses habitants ensevelis sous les ruines; nous nous y attendions tous les jours. Au moment même où le démon comptait, submerger notre navire, c'est alors que Dieu rétablit le calme le plus parfait. N'oublions donc pas, je le répète, ce grand péril, afin que nous ne perdions pas la mémoire des grands bienfaits de Dieu à notre égard. Qui ne connaît pas la nature de la maladie, n'appréciera jamais bien l'art du médecin. Racontons ces choses à nos enfants, afin que la mémoire s'en perpétue d'âge en âge jusqu'à la postérité la plus reculée; il faut que tous sachent les efforts qu'a faits le démon pour effacer cette ville de dessus la terre, et comment Dieu a daigné, lorsqu'elle était déjà pour ainsi dire tombée et expirante, la relever et la rappeler à la vie, sans permettre qu'elle souffrit le moindre mal, et en dissipant même toutes nos alarmes, par un prompt éloignement du danger. La semaine passée nous nous attendions à la confiscation de nos biens, nous ne rêvions que pillages et soldats déchaînés; mais tout s'est évanoui comme un nuage, comme une ombre qui passe: l'appréhension du danger a été notre seul châtiment, ou pour mieux dire notre seule leçon; car de châtiment, il n'y en a pas eu, il n'y a eu qu'une leçon qui â servi à nous rendre meilleurs: nous le devons à Dieu qui a apaisé le courroux du prince. Répétons donc sans cesse, et tout le jour: béni soit Dieu! ayons plus de zèle pour prendre part à l'assemblée, accourons à l'église d'où nous est venu notre salut. Attachons-nous à l'ancre sacrée; l'Eglise ne nous a pas délaissés dans le moment du danger, ne l'abandonnons pas non plus, nous, maintenant, pendant que règne la tranquillité et la paix; demeurons-lui fidèlement attachés; fréquentons les réunions des fidèles, les prières, la prédication chaque jour: et ce zèle que nous dépensons d'habitude pour satisfaire une vaine curiosité, entourant les soldats qui reviennent de l'armée, et nous inquiétant du danger de l'Etat, consacrons-le tout entier à l'audition des lois de Dieu, et non à des occupations frivoles et stériles, pour ne pas nous réduire de nouveau à la fâcheuse extrémité d'où nous sortons.

7122 2. Dans les trois instructions 'précédentes, nous avons traité de la connaissance de Dieu, suivant un seul mode et une même voie, nous sommes parvenu à la conclusion finale à laquelle nous tendions en montrant comment les cieux racontent la gloire de Dieu (Ps 18,2), et en interprétant cette parole de saint Paul: Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis, la création du monde par tout ce qui a été fait (Rm 1,20); et nous avons démontré comment, depuis la création du monde, le ciel, la terre et la mer glorifient le Dieu créateur. Aujourd'hui, après quelques réflexions sur la même matière, nous passerons a un autre sujet: Il a fait plus que de donner l'existence à cette grande machine du monde, il en a réglé le travail et la fonction. L'immobilité y règne et aussi le mouvement; d'une part le ciel demeure immobile selon cette parole du Prophète: Il a établi le ciel comme une voûte solide, il l'a étendu comme un pavillon sur lai terre. (Is 40,22) D'autre part le soleil se meut constamment ainsi que tous les astres puis la terré est fixe et stable, tandis qu'au contraire les eaux sont toujours en mouvement, ainsi que les nuages et les pluies plus ou moins fréquentes, selon les saisons. La nature des pluies est une, mais les productions qu'elles alimentent sont très-variées. Dans la vigne,, la pluie se change en vin, et en huile, dans l'olivier, et ainsi des autres plantes. Pareillement le sein de la terre est un, et les fruits qu'il porte sont très-divers; la chaleur qui émane du soleil est une; néanmoins elle agit diversement sur la maturité qu'elle amène ici plus vite, là plus lentement. Qui resterait insensible devant ces merveilles? C'est moins encore cette prodigieuse variété dans l'unité du monde qui doit nous inspirer de l'admiration que la libéralité avec laquelle, le Dieu bon distribue ses biens à tous, aux riches et aux pauvres, aux pécheurs et aux justes. Aussi Jésus-Christ nous dit-il qu'il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et qu'il fait pleuvoir sur les justes et les injustes. (Mt 5,45)

Il a encore rempli la création de milliers d'animaux, et assigné à chaque espèce ses (53) moeurs et ses instincts, nous ordonnant d'imiter les uns et d'éviter de ressembler aux autres. Par exemple: la fourmi aime le travail, elle est sans cesse occupée et active; vous n'avez qu'à la regarder pour recevoir d'une petite bête la plus utile leçon. Son exemple vous dit: fuyez la mollesse, ne craignez pas les travaux et les fatigues. C'est pourquoi la sainte Ecriture renvoie l'indolent à cet insecte: Va voir la fourmi, paresseux, dit-elle, imite son activité, et sois plus sage qu'elle. (Pr 6,6) C'est comme si elle disait: Tu ne veux pas en croire les Ecritures qui t'enseignent qu'il est bon de travailler, et que celui qui ne travaille pas, ne doit pas non plus manger. Tu restes sourd à la voix (les docteurs, va t'instruire à l'école des bêtes. C'est une manière d'instruire dont nous usons familièrement tous les jours. En effet, lorsque dans nos maisons nous voyons quelqu'un des nôtres tenir une conduite peu en rapport avec son âge ou la considération dont il jouit, nous l'exhortons à jeter les yeux sur de plus jeunes que lui qui agissent mieux: Regarde, lui disons-nous, un tel qui est plus petit que toi, comme il est intelligent et laborieux! Qu'il en soit ainsi de vous, que la vue de cet insecte excite votre zèle pour le travail; admirez votre Dieu et louez-le non-seulement d'avoir créé le soleil, mais encore d'avoir fait la fourmi. Si petit que soit cet animal, il démontre néanmoins amplement la grandeur et la sagesse de Dieu. Songez combien la fourmi est prudente, et demandez-vous avec admiration comment Dieu a su mettre dans un si petit corps un si grand amour du travail.

L'abeille vous enseignera également l'amour du travail, plus l'amour du beau et de l'honnête, et l'amour du prochain. Oui, l'abeille travaille et se donne de la peine, et c'est moins pour elle que pour nous: or, c'est surtout le propre du chrétien de rechercher l'intérêt des autres plutôt que le sien. L'abeille parcourt les prés, voltige tout le jour sur les fleurs pour composer un aliment qui n'est pas pour elle; fais de même, ô homme! Si tu amasses de l'argent, que ce soit pour en faire part â ton prochain; si tu possèdes les trésors de la doctrine, n'enfouis pas tes talents, mais fais-en profiter les indigents; en un mot, mes frères, quelque avantage que vous possédiez en propre, faites en profiter ceux qui en sont privés par eux-mêmes. Pourquoi l'abeille jouit-elle d'une estime plus grande que d'autres animaux? ne le voyez-vous pas? c'est moins parce qu'elle travaille que parce qu'elle travaille pour les autres. L'araignée aussi travaille, et file délicatement, et les toiles dont elle tapisse nos murailles surpassent l'art de la femme la plus adroite; néanmoins, c'est un insecte peu noble, parce que son ouvrage n'est d'aucune utilité pour nous. Tels sont tous ceux qui ne travaillent que pour eux-mêmes. Imitez la simplicité de la colombe, imitez l'attachement de l'âne et du boeuf pour leur maître, imitez la sécurité et la confiance des oiseaux. Oui, il y a beaucoup à gagner aux exemples des animaux pour la correction des moeurs. Jésus-Christ s'en sert pour nous instruire: Soyez prudents, nous dit-il, comme le serpent, et simples comme la colombe. (Mt 10,16) Et encore: Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent; et votre Père céleste les nourrit. (Mt 6,26) Et le Prophète, pour couvrir de honte les Israélites ingrats, leur dit: Le boeuf a reconnu son possesseur, et l'âne l'étable de son maître; et Israël ne m'a pas reconnu. (Is 1,3) Et Jérémie s'exprime presque dans les mêmes termes: La tourterelle et l'hirondelle, et les petits oiseaux connaissent le temps du retour; et mon peuple n'a pas connu les jugements du Seigneur son Dieu. (Jr 8,7)

Apprenez de ces animaux à pratiquer la vertu, apprenez de certains autres à fuir le vice. Autant l'abeille est bienfaisante, autant l'aspic est nuisible. Détournez-vous donc de la malice, si vous ne voulez pas que ces paroles s'adressent à vous: le venin des aspics est sous leurs lèvres. (Ps 139,4) L'impudence caractérise le chien; haïssez aussi ce vice. Le renard est fourbe et trompeur; gardez-vous de ce défaut. Lorsque l'abeille parcourt les prairies, elle ne suce pas le suc de toutes les fleurs; ce qu'elle voit d'utile, elle s'en empare, et laisse de côté tout le reste: faites de même en parcourant les différentes espèces d'animaux; tout ce que vous apercevez de bon en eux, appropriez-le-vous: toutes les bonnes qualités qu'ils tiennent de la nature, acquérez-les par le choix libre de la volonté. C'est encore un honneur que Dieu vous a octroyé, de faire dépendre de votre libre arbitre ce qui chez les bêtes est soumis à la nature et à la fatalité; il l'a fait pour avoir le droit de vous récompenser. Dans les bêtes, les bonnes qualités n'émanent pas de. la source du libre arbitre et de la (54) raison, mais de celle de la nature uniquement. Par exemple l'abeille compose son miel; ce n'est pas la raison et la réflexion qui dirigent ses opérations, elle n'obéit qu'à l'instinct de la nature. En effet, si son art n'était pas instinctif et inné à son espèce, on verrait nécessairement des abeilles ne sachant pas travailler; mais au contraire depuis que le monde existe, jusqu'aujourd'hui nul n'a vu d'abeilles ne rien faire, ne pas composer de miel. C'est un travail naturel et commun à toute l'espèce. Mais ce qui dépend de la volonté libre est nécessairement individuel; on n'y arrive que par l'effort et l'attention.

71233. Ainsi donc, ô homme! prends dans toute la création ce qu'elle renferme de plus beau pour en composer la parure de vertus qui doit orner ton âme; car tu es le roi des animaux; or tout ce qui est réputé bon et beau chez les sujets, tel que l'or, l'argent, les pierres précieuses, les riches étoffes, les rois tiennent à honneur d'en être abondamment pourvus. Servez-vous, mes frères, de la création pour vous élever à l'admiration que mérite votre souverain Seigneur. Que s'il se rencontre, dans cet univers visible, quelque chose qui surpasse votre entendement, et dont vous ne puissiez découvrir la raison, glorifiez-en le Créateur dont la sagesse a fait des oeuvres que votre intelligence est incapable de comprendre. Ne dites pas: pourquoi ceci? à quoi bon cela? Tout ce que Dieu fait est utile, bien que cette utilité nous échappe à nous, parfois. Lorsque vous entrez dans le laboratoire d'un chirurgien, la vue de la multitude d'instruments de toute forme qui sont étalés vous frappe d'étonnement, et cependant l'usage auquel la plupart sont employés vous est inconnu: faites de même à l'égard de la création, et envoyant ces animaux, ces végétaux et ces autres objets si nombreux dont vous ne saisissez pas l'utilité et la raison d'être, admirez-en l'infinie variété, soyez en extase devant Dieu, l'Artiste suprême, et rendez-lui grâces de ce qu'il ne vous a pas tout montré ni tout caché.

Il ne vous a pas tout caché, afin que vous ne disiez pas que rien de ce qui existe ne porte l'empreinte d'une Providence; il ne vous a pas non plus révélé tous les secrets de la création, de peur qu'une si grande science ne vous précipitât dans le péché d'orgueil. C'est ainsi que le génie du mal, le démon, causa la chute du premier homme; en faisant luire à ses yeux l'espérance d'une science plus haute, il le fit déchoir de celle qu'il possédait. Voilà pourquoi le Sage nous donne le conseil de ne pas rechercher ce qui est plus fort que nous, de ne pas scruter des profondeurs auxquelles ne peut atteindre notre intelligence trop courte; et d'exercer notre esprit sur ce qui est à notre portée (
Qo 3,21 Qo 3,22); car la plupart des oeuvres de Dieu restent pour nous des mystères; puis l'écrivain sacré ajoute: Sache que des choses qui surpassent la sagesse humaine t'ont été révélées à toi. (Qo 23) Parole bien propre à consoler quiconque s'indigne et se désole de ne pas tout savoir. N'oubliez pas, nous dit par là l'Ecriture, que ce qu'il vous a été donné de connaître surpasse de beaucoup votre intelligence, que c'est non de votre fond que vous l'avez tiré, mais de Dieu que vous l'avez appris. Contents de la richesse qui vous a été donnée, n'en cherchez pas davantage; rendez grâce, pour ce que vous avez reçu; ne vous indignez pas au sujet de ce que vous n'avez pas reçu; rendez gloire pour ce que vous savez, et ne vous scandalisez pas de ce que vous ignorez. Ignorance et savoir ont leur raison d'être et leur utilité dans les desseins de Dieu; dans ce qu'il vous cache, comme dans ce qu'il vous révèle, c'est toujours votre salut qu'il a en vue.

Comme je l'ai déjà dit, ce mode de connaissance de Dieu par la création suffirait seul pour nous occuper plusieurs jours. Pour n'exposer que la conformation de l'homme d'une manière exacte, j'entends d'une exactitude relative à la faiblesse humaine, mais non complète et absolue (car si nous avons, dans les précédents entretiens, expliqué les causes de beaucoup de phénomènes, il en reste d'autres en beaucoup plus grand nombre, dont le Dieu créateur possède seul les mystérieuses raisons); pour n'exposer, dis-je, que la conformation du corps humain, dans la mesure restreinte de perfection accessible à l'homme, pour découvrir tout ce qu'il y a d'art et de sagesse dans chacun de nos membres, la distribution et l'économie des nerfs, des veines, des artères, la place, la forme et le jeu de tous les organes, une année tout entière ne suffirait pas. Arrêtons donc ici le développement de ce sujet; qu'il nous suffise d'avoir indiqué la voie; les esprits laborieux et avides de s'instruire pourront facilement parcourir seuls toutes les parties de la création; passons à une autre matière (55) pour y trouver une nouvelle démonstration de la Providence divine.

En deux mots voici mon second sujet: Dieu en créant l'homme au commencement, a déposé la loi naturelle au fond de son coeur. Et qu'est-ce que la loi naturelle? C'est une loi qui trouve son expression dans la conscience, cette voix mystérieuse, mais claire et distincte, qui, des profondeurs de notre nature où Dieu l'a mise, s'élève d'elle-même comme un maître domestique, pour nous enseigner le bien et le mal. Pour savoir que la luxure est un mal, et la chasteté un bien, nous n'avons pas besoin qu'on nous l'apprenne, nous le savons par nous-mêmes, c'est une connaissance originelle. En voulez-vous une preuve? Quand le législateur voulut plus tard donner ses lois par écrit, il s'énonça simplement en disant: Tu ne tueras point; il n'ajouta pas sous forme de motif: car le meurtre est mal: non, il défend le péché, il n'enseigne pas qu'il est péché; il dit simplement: Tu ne tueras point. (Ex 20,13) Pourquoi donc, après avoir dit: Tu ne tueras point, n'a-t-il pas ajouté: car le meurtre est mal, parce que la conscience nous l'a enseigné d'avance; Dieu sous-entend ce motif parce que ceux à qui il parle le savent et le connaissent. Lorsqu'il promulgue quelqu'autre commandement dont le principe échappe à la conscience, il ne se contente pas de défendre, il donne encore la raison de la défense. Par exemple lorsqu'il établit la loi du sabbat, après avoir dit: Le septième jour tu ne feras aucune oeuvre, il a soin de motiver le repos qu'il commande, et d'ajouter: Parce que le septième jour Dieu s'est reposé de toutes les oeuvres qu'il avait entreprises (Ex 20,10); il donne même un second motif: parce que tu as été esclave dans la terre d'Egypte. Pourquoi donc donner un motif quand il s'agit du sabbat, et n'en pas donner quand il est question de l'homicide? Parce que le commandement concernant le jour du sabbat n'était pas un commandement de premier ordre, ayant sa racine dans la conscience et réclamé par elle, mais seulement secondaire, d'un caractère particulier et temporaire; c'est même pour cette raison qu'il a été changé. Les commandements nécessaires, ceux qui servent de fondement à toute la vie humaine, les voici: Tu ne tueras point, tu ne voleras point, tu ne commettras pas d'adultère. C'est pourquoi le législateur les énonce, sans addition de motif ni d'instruction, en se bornant à une défense pure et simple.

71244. Que la science du bien soit innée en nous je vais essayer de vous le démontrer d'une autre manière encore. A peine Adam eut-il commis le premier péché, que, se sentant coupable, il se cacha aussitôt; s'il n'avait pas eu conscience du mal qu'il avait fait, pourquoi se serait-il caché? Il n'avait ni les Ecritures, ni la loi, ni Moïse pour l'avertir. D'où lui vient donc la connaissance de son péché pour qu'il se cache? Et non-seulement il se cache, mais, lorsqu'on l'accuse, il essaye de rejeter la faute sur un autre, et il dit: La femme que vous m'avez donnée m'a présenté elle-même du fruit de l'arbre, et j'en ai mangé (Gn 3,12); et la femme à son tour fait retomber l'accusation sur le serpent. Et remarquez la sagesse de Dieu: Adam ayant dit: J'ai entendu votre voix et j'ai eu peur, et je me suis caché, parce que je suis nu (Gn 3,10); Dieu ne le réprimande pas brusquement; il ne lui dit pas: pourquoi as-tu mangé du fruit défendu? Comment procède-t-il? Qui t'a fait voir que tu étais nu, si tu n'as pas mangé du fruit que je t'avais défendu de manger? Il ne garde pas un silence absolu sur ce qui s'est passé, il n'accuse pas non plus ouvertement. Il ne se tait pas, afin de provoquer Adam à la confession de son péché; il n'accuse pas non plus hautement, afin de lui laisser quelque chose à faire, afin de ne pas lui ôter l'occasion et le mérite de la confession, et le pardon qui en a été le fruit pour tout le genre humain. Voilà pourquoi Dieu ne déclare pas ouvertement la cause qui a ouvert les yeux à Adam sur sa nudité, et pourquoi sa parole prend la forme de l'interrogation, c'est un aveu qu'il provoque, une ouverture qu'il offre à la confession.

L'histoire de Caïn et d'Abel donne lieu à la même remarque. Ils offraient à Dieu les prémices de leurs travaux dès le commencement. Je tiens à démontrer par des exemples de vertu comme par des exemples de péché que la connaissance du bien et du mal est innée en nous. L'homme a toujours su que le péché est un mal; Adam nous l'a montré. Abel nous apprend à son tour que l'homme n'ignore pas que la vertu est un bien. Il n'avait reçu les leçons d'aucun maître, il ne connaissait pas la loi des prémices; et cependant, de son propre mouvement et par la seule inspiration de sa conscience, il faisait l'offrande des prémices. Je ne porte pas (56) mes recherches sur les générations postérieures; je m'attache aux premiers hommes, à ceux qui vivaient antérieurement à toute Ecriture, à toute loi, à tous juges ou prophètes, à Adam et à ses enfants, afin de vous mieux convaincre que la connaissance du bien et du mal est un attribut inhérent à la nature humaine. Où Abel a-t-il appris qu'il est bon d'offrir à Dieu, bon de l'honorer, de lui rendre des actions de grâces? Et Caïn, direz-vous, est-ce qu'il faisait des offrandes? Il en faisait lui-même, mais autrement que son frère. Ici encore se montre le discernement de la conscience. Lorsque l'honneur accordé à son frère, le remplissant de jalousie, lui eut fait prendre la résolution de le tuer, il cacha son noir dessein. Sortons, lui dit-il, dans la campagne. (Gn 4,8) Parole bienveillante destinée à déguiser une pensée fratricide. S'il ne comprenait pas la perversité de sa résolution, pourquoi la voilait-il? Après le meurtre exécuté, Dieu l'interroge et lui demande: Où est ton frère Abel? et il répond: Je ne sais; suis-je le gardien de mon frère? (Gn 4,9) Pourquoi nie-t-il? n'est-ce point parce qu'il ne peut avouer sans se condamner lui-même. La même raison qui avait porté le père à se cacher porte le fils à nier; et quand Dieu lui a reproché son crime: Ma faute, dit-il, est trop grave pour que j'en obtienne le pardon.

Mais ces preuves n'atteignent pas les païens. Naguère quand nous traitions de la création, pour vaincre la résistance que ces infidèles opposent à nos dogmes, nous ne nous sommes pas contenté des armes que nous fournissait la sainte Ecriture, et nous en avons emprunté aussi à la raison; c'est encore ce qu'il faut que nous fassions dans cette question de la conscience. Aussi bien saint Paul les a-t-il combattus de la même manière. Que disent-ils? Ils nient ce que nous soutenons; cette loi qui enseigne à chacun de nous le bien et le mal, et que nous portons écrite dans notre conscience, ils nient qu'elle existe, ils nient que Dieu l'ait gravée au fond de notre âme. Mais répondez-moi: ces lois sur le mariage, sur l'homicide, sur les testaments, sur les dépôts, sur le respect des droits d'autrui, et tant d'autres, à quelle source vos législateurs les ont-ils donc puisées? Je vous entends, ceux d'à présent les ont reçues des premiers, ceux-ci de leurs devanciers, et ceux-ci de leurs prédécesseurs; mais enfin nous voilà arrivés aux premiers législateurs, et je vous renouvelle ma question: à quelle école ont-ils appris? N'est-il pas évident que c'est à celle de la conscience? - Ils ne diront pas qu'ils ont eu des relations avec Moïse, qu'ils ont écouté les prophètes; comment l'auraient-ils fait, étant païens? Non, il est clair que c'est de la loi que Dieu, en faisant l'homme dès le commencement, a déposée dans son coeur; il est clair, dis-je que c'est de cette loi qu'ils ont emprunté leurs lois, et tiré tous leurs arts: tout découle de cette source primordiale. Oui, les arts eux-mêmes ont commencé d'exister par l'action spontanée de la raison humaine instruite naturellement. C'est delà même manière que les jugements et les châtiments ont été établis.

C'est le sentiment de saint Paul, allant au-devant de l'objection qui ne manquerait pas d'être faite par les gentils, savoir: Comment Dieu jugera les hommes qui furent avant Moïse? Avant ce temps-là il n'avait pas envoyé de législateur, point porté de loi, point fait parler de prophète, ni d'apôtre, ni d'évangéliste? De quoi pourra-t-il demander compte aux hommes de ces premiers âges? Ecoutez comment s'exprime saint Paul pour leur montrer qu'ils avaient la loi naturelle pour les instruire, et qu'ils savaient parfaitement ce qu'il fallait faire: Lorsque les gentils, qui n'ont point la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi, ils sont à eux-mêmes la loi; et ils font voir que ce que la loi ordonne est écrit dans leurs coeurs. Et comment cela, s'ils ne possèdent aucune écriture? Par le témoignage que leur rend leur propre conscience, et par les différentes pensées qui tantôt les accusent et tantôt les défendent au jour où Dieu, selon l'Evangile que je prêche, jugera par Jésus-Christ ce qui est caché dans le coeur des hommes. (Rm 2,14-16) Ajoutons encore ce passage: Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés par la loi. (Rm 2,12) Qu'est-ce à dire, périront sans la loi? Sans que la loi les accuse ils succomberont sous l'accusation de leur conscience et de leurs pensées: S'ils n'avaient pas eu la loi de la conscience, ils n'auraient pas péri, quelques péchés qu'ils eussent commis; mais, direz-vous, ils ont péché sans la loi; selon l'expression de saint Paul? Oui, mais cette expression de saint Paul sans la loi, ne veut pas dire qu'ils n'avaient aucune loi, elle signifié qu'ils n'avaient (57) aucune loi écrite, mais seulement la loi naturelle. Saint Paul dit encore sur le même sujet: Gloire et honneur, et paix à tout homme qui fait le bien, au juif premièrement, puis au gentil. (Rm 10)

71255. Toutes ces paroles de l'Apôtre concernent les temps antérieurs à la venue de Jésus-Christ. Et ce grec ou gentil dont il parle ici, ce n'est pas l'idolâtre, c'est celui qui adore le seul vrai Dieu, sans néanmoins être assujetti aux observances judaïques, telles que les sabbats, la circoncision, et les diverses purifications, c'est l'homme sage et pieux dans toute sa conduite. Le même apôtre dit encore toujours sur le même sujet: Colère et indignation, tribulation et angoisse pour l'âme de tout homme qui fait le mal, du juif premièrement, puis du gentil. (Rm 9) Encore ici le terme de gentil veut dire un homme étranger aux observances judaïques. S'il n'a pas entendu la loi, s'il n'a jamais eu de commerce avec les juifs, pourquoi la colère et l'indignation tomberont-elles sur sa tête, même lorsqu'il aura fait le mal? Parce qu'il avait sa conscience qui lui parlait intérieurement, qui l'instruisait et lui enseignait toutes choses. Et qu'est-ce qui prouve, dira-t-on, l'existence de la conscience chez le gentil? Je l'ai déjà dit, les peines qu'il inflige aux malfaiteurs, les lois qu'il porte, les tribunaux qu'il établit. C'est ce que dit positivement saint Paul, parlant des gentils qui vivaient dans le crime: Ayant connu la justice de Dieu, dit-il, et comprenant que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, non-seulement ils les font, mais encore ils approuvent ceux qui les commettent. (Rm 1,32) Et d'où ont-ils su que la volonté de Dieu est que ceux qui vivent dans la dépravation soient punis? A quelle source ont-ils puisé cette connaissance? à la même où ils ont appris à juger ceux qui font le mal. Si vous ne saviez que l'homicide est un mal, vous ne condamneriez pas celui qui le commet. Si vous n'avez pas même l'idée que l'adultère soit un mal, alors renvoyez absous l'homme qui en est accusé. Si, lorsqu'il s'agit du mal commis par les autres, vous êtes si bon législateur, si excellent juge et si exact à punir, comment, lorsqu'il sera question de vos propres fautes, viendrez-vous arguer de votre ignorance du devoir? Cet homme et vous, vous avez commis l'adultère l'un et l'autre; pouvez-vous lui infliger un châtiment et réclamer pour vous l'indulgence? Si vous ne saviez pas que c'est un mal de commettre l'adultère, il ne fallait pas punir cet homme si vous le punissez, et que vous ayez la prétention d'échapper au châtiment, comment nous expliquerez-vous que les mêmes fautes ne soient pas suivies des mêmes peines.

C'est là une inconséquence que saint Paul attaquait en disant: Vous donc, qui condamnez ceux qui commettent de tels crimes, et qui les commettez vous-mêmes, pensez-voies éviter la condamnation de Dieu? (Rm 2,3) Non, il n'en sera pas ainsi; Dieu portera contre vous la même sentence de condamnation que vous aurez portée contre un autre: si vous êtes juste, Dieu ne l'est pas moins. Si vous n'êtes pas indifférent à l'injure faite à un homme, comment Dieu le sera-t-il? Si vous corrigez les fautes des autres, comment Dieu ne corrigerait-il pas les vôtres? Que s'il ne vous punit pas sur-le-champ, n'en soyez pas plus confiant, mais plus craintif. C'est le conseil que vous donne saint Paul, lorsqu'il dit: Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité? Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence? (Rm 2,4) Il vous tolère, non pour que vous deveniez pire, mais afin que vous fassiez pénitence; si vous ne répondez pas à ses intentions, la longue tolérance de Dieu ne servira qu'à rendre votre châtiment plus sévère. Saint Paul le déclare encore: Par votre dureté, et par l'impénitence de votre coeur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses oeuvres. (Rm 2,5 Rm 2,6) Ainsi Dieu rend à chacun selon ses oeuvres; il a mis en nous la loi naturelle, et plus tard il nous a donné la loi écrite, afin de punir les pécheurs et de couronner les justes; réglons donc avec grand soin notre conduite comme devant comparaître devant un tribunal redoutable, sachant que nous ne devons compter sur aucune indulgence, si, après l'enseignement si complet de la loi naturelle et de la loi écrite, après les continuels avertissements qui nous viennent de ces deux sources, nous négligeons néanmoins l'affaire si importante de notre salut.

71266. Je veux vous parler encore des jurements; cependant je ne le fais pas sans éprouver quelque honte. Ce n'est pas que je me fatigue de vous dire jour et nuit les mêmes choses, mais je crains, en insistant si fort et durant tant de (58) jours sur le même sujet, de faire trop paraître votre négligence dans une affaire cependant si facile. Je fais plus que rougir, j'appréhende même pour vous. Utile et salutaire aux âmes attentives, une instruction assidue est nuisible et dangereuse à celles qui croupissent dans une lâche torpeur. Plus l'exhortation se réitère, plus on devient coupable en ne la mettant pas à profit. Dieu le disait avec reproche aux Israélites: J'ai envoyé mes prophètes, me levant dès le point du jour, et j'ai eu beau les envoyer, vous n'avez pas voulu écouter. Et moi aussi, je ne cesse de vous avertir, et l'intérêt que je vous porte ne me permet pas d'agir autrement; cependant je tremble que mes exhortations et mes conseils si souvent répétés ne vous nuisent en ce terrible jour des justices. Dès lors que la bonne action que je vous conseille est facile, et que je ne me lasse pas de vous la conseiller, quelle excuse vous restera? quelle raison vous exemptera du châtiment? Dites-moi, lorsque vous avez prêté de l'argent, est-ce que vous oubliez, chaque fois que vous rencontrez votre débiteur, de lui rappeler sa dette? Eh bien! faites de même, persuadezvous que votre prochain a contracté envers vous l'obligation d'accomplir ce précepte qui défend de jurer; quand vous le rencontrez, faites-le souvenir de s'acquitter, parce que sa négligence entraînerait pour ses frères les plus graves conséquences. C'est pour cette raison que je ne cesse pas de vous avertir; d'ailleurs je crains d'entendre le Seigneur me dire à ce dernier jour: Méchant et paresseux serviteur, il te fallait confier mon argent aux banquiers. (Mt 25,26 Mt 25,27) Eh bien! je l'ai confié non une fois, ni deux, mais fréquemment: à vous maintenant de le faire rapporter; or le fruit de l'audition, c'est la pratique; le prêt qui vous est fait est le bien du Seigneur. Ne recevez pas avec insouciance ce précieux dépôt, mais occupez-vous avec activité de le faire fructifier,afin de le rendre en ce jour suprême avec de gros intérêts.

Si vous n'engagez pas les autres à s'acquitter de ce devoir, vous entendrez la même parole qu'entend celui qui avait enfoui son talent.

Mais non, puissiez-vous ne jamais entendre celle-là, mais bien celle que Jésus-Christ adressa à celui qui avait fait d'heureuses opérations: Bien, bon et fidèle serviteur, puisque tu as été fidèle en chose peu importante, je te confierai beaucoup. (Mt 25,21)Cette parole, nous entendrons le Seigneur nous l'adresser, si nous montrons le même zèle; vous montrerez le même zèle, si vous faites ce que je vais dire. Au sortir d'ici, l'impression de la parole de Dieu étant encore toute récente et toute vive dans vos âmes, exhortez-vous les uns les autres, et lorsque vous vous saluerez réciproquement au moment de vous séparer pour rentrer chacun chez vous, que chaque fidèle dise à son frère prenez bien garde d'observer fidèlement le précepte, notre salut commun est à ce prix. Si chacun congédie son ami par cet avis; si, arrivé à la maison, chacun entend sa femme lui rappeler le même conseil; si le souvenir de mes paroles peut vous garder quand vous serez seuls, nous aurons bientôt secoué le joug de cette habitude funeste. Vous vous étonnez, je le sais, de me voir attacher tant d'importance à l'observation de ce commandement; mais accomplissez ce qui vous est prescrit, et après je vous dirai mes raisons. En attendant je vous avertis que ce commandement est une loi de Dieu, et qu'il est dangereux de la transgresser; lorsque je vous aurai vu l'observer, il y a une autre raison non moins forte que je vous exposerai pour que vous sachiez que c'est à bon droit que je tiens tant à l'observation de cette loi. Il est temps de conclure cet entretien par une prière. Disons donc tous unanimement: O Dieu qui ne voulez pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive, faites qu'après avoir pratiqué et ce commandement et tous les autres, nous nous présentions devant le tribunal de Jésus-Christ avec une grande confiance, et que nous parvenions au royaume des cieux pour votre gloire, parce que la gloire vous appartient en propre, ainsi qu'à votre Fils unique et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



7130


Chrysostome Homélies 7110