Chrysostome Homélies 7181

7181 1. On ne voit que des gens qui se réjouissent et qui s'écrient: Victoire! tout est gagné, la moitié du carême est passée. Or je les exhorte moins à se féliciter de ce qu'ils ont atteint la mi-carême, qu'à considérer s'ils ont diminué de moitié le nombre de leurs péchés. Alors leur joie sera légitime, puisqu'ils auront un juste motif de se réjouir. Car ce que l'Eglise cherche, et ce qu'elle se propose dans l'institution du carême, c'est de détruire nos vices. Nous ne devons donc point achever le jeûne tels que nous l'avons commencé, mais nous devons nous présenter aux solennités saintes, purifiés de nos fautes, et corrigés de nos mauvaises habitudes. S'il en est autrement, le jeûne nous est plus nuisible qu'utile. Ainsi réjouissons - nous non d'avoir achevé la première moitié du carême, car c'est peu de chose, mais de l'avoir sanctifiée par la pratique des bonnes oeuvres. Quand les jours du jeûne seront passés, les fruits de celles-ci subsisteront encore.

C'est ainsi que l'utilité de l'hiver ne se reconnaît que lorsqu'il a cessé. Alors seulement les moissons verdoyantes et les arbres chargés de feuilles et de fruits proclament à tous les yeux ses grands avantages. Il doit en être de même dans l'ordre spirituel. Durant ces jours de jeûne les pluies abondantes de la grâce ont inondé nos âmes, comme les pluies de l'hiver inondent la terre; nous avons reçu les enseignements répétés de la doctrine et la semence des vertus; nous avons même arraché les épines d'une vie molle et efféminée. Continuons donc de si heureux commencements, afin que les bons résultats du jeûne survivent à la cessation du carême. L'avantage que nous en aurons retiré nous empêchera de l'oublier.

Ce sera aussi le moyen d'en prévoir le retour avec plaisir. Car j'en connais plusieurs qui par lâcheté redoutent déjà le carême prochain, et d'autres qui disent que cette crainte les empêchera de goûter aux fêtes de Pâques les joies (97) d'une pieuse allégresse. Y a-t-il une plus grande faiblesse? et quel en est le principe? C'est que nous faisons consister le jeûne bien plus dans l'abstinence des viandes que dans la réformation de nos moeurs. Mais si durant ces jours nous réalisions quelques progrès dans la vertu, nous en désirerions la continuation: et parce que le jeûne serait pour nous un temps fertile en bonnes oeuvres, nous le trouverions toujours trop court; aussi son retour ne nous causerait-il ni tristesse, ni inquiétude. Et,, en effet, rien ne saurait contrister le chrétien dont la conscience est bien disposée, et qui veille au salut de son âme. Il jouit même d'une joie pure et inaltérable.

C'est une vérité que saint Paul nous apprend aujourd'hui quand il nous dit: Réjouissez vous dans le Seigneur; je vous le dis de nouveau, réjouissez-vous. (
Ph 4,4) Plusieurs, je le sais, ne comprennent point ce langage; et ils demandent comment l'homme peut toujours se réjouir. Il est facile, me dira-t-on, d'éprouver quelques joies passagères; mais une joie inaltérable, c'est impossible, car la douleur est le triste apanage de l'humanité. Un père pleure son fils, un époux, son épouse, un ami, le plus sincère des amis, et celui qu'il aimait plus qu'un frère. L'un perd sa fortune, et un autre tombe. malade. Celui-ci est lésé dans ses biens, ou blessé dans son honneur. Enfin la famine, la peste, les taxes excessives, les embarras des affaires domestiques et mille autres maux qu'il serait. impossible d'énumérer nous pressent et nous assiègent au dehors et -au dedans. Comment donc se réjouir toujours? Oui, il est possible de le faire, ô homme! autrement l'Apôtre si éclairé dans les choses spirituelles, ne l'eût jamais ni proposé, ni conseillé.

Apprenez donc aujourd'hui, comme je vous l'ai dit souvent, et comme je vous le redirai, apprenez une vérité que le christianisme seul peut nous enseigner. Tous les hommes désirent la joie et le plaisir; et tous ils rapportent à ce but leurs discours et leurs actions. Le marchand affronte les périls de la mer pour s'enrichir, l'avare entasse l'or pour jouir de ses trésors, le soldat combat, le laboureur sème et l'ouvrier travaille pour arriver à la joie et au plaisir. L'ambitieux lui-même ne recherche la gloire et les dignités que pour s'y complaire, et il ne veut s'y complaire que parce qu'il espère y trouver une douce jouissance.En un mot c'est l'unique but que chacun se propose, et auquel chacun tend par des routes diverses. Ainsi tous les hommes recherchent la joie et le plaisir, mais tous ne peuvent y parvenir; car la plupart ignorent le chemin qui nous y conduit. Plusieurs s'imaginent qu'on les rencontre dans les richesses et l'opulence. Mais si elles donnaient le bonheur, le riche ne connaîtrait jamais la douleur, ni l'affliction. Et cependant combien de riches qui trouvent la vie insupportable, qui désirent la mort à la moindre adversité, et qui, profondément abattus, souffrent leurs maux avec plus d'impatience que les autres hommes.

Ne me vantez point leurs festins, leurs flatteurs, leurs parasites, mais considérez les maux inséparables des richesses, les haines et les calomnies, les périls et les dangers. Ajoutez encore que pour comble d'infortune, les riches, qui ne prévoient jamais l'adversité, ne savent la supporter, ni en sages philosophes, ni en généreux chrétiens. Aussi combien de disgrâces, légères en elles-mêmes, leur deviennent dures et insupportables l Le pauvre, au contraire, trouve que les maux les plus rudes lui sont doux, parce qu'il en a l'expérience et l'habitude. Car nos souffrances sont grandes ou petites, moins en elles-mêmes que par suite de nos dispositions. En voulez-vous une preuve? elle est sous vos yeux; et il suffit de considérer l'état d'Antioche. Tous les pauvres n'ont rien à craindre; le simple peuple est en sûreté et jouit d'une heureuse tranquillité. Mais les magistrats et les riches qui nourrissaient des chevaux, qui disputaient le prix des courses, et qui étaient à la tête des affaires, sont aujourd'hui prisonniers et redoutent une condamnation capitale. On les rend responsables de la sédition: aussi vivent-ils dans une crainte continuelle; et leur malheur est extrême, moins encore par la grandeur même du danger que par le sentiment d'une prospérité qui n'est plus. Ils l'avouent eux-mêmes, car lorsqu'on les exhorte à supporter leur sort avec courage et fermeté, ils répondent que jamais ils n'avaient prévu une telle infortune, et qu'ils ont d'autant plus besoin de consolation qu'ils ne sauraient la supporter même en sages philosophes.

71822. D'autres établissent le souverain plaisir dans la santé; mais ils se trompent également. Or, n'en voit-on pas qui se portent très-bien, et qui se souhaitent mille fois la mort, parce (98) qu'ils ne peuvent endurer une injure. D'autres font reposer le véritable bonheur dans la gloire, les dignités, les charges et les adulations de la multitude. Mais ils s'abusent étrangement; et en effet, sans nous arrêter aux pouvoirs subalternes, remontons par la pensée jusqu'au pouvoir suprême. Hélas! le trône lui-même est entouré de mille chagrins, et le prince qui s'y asseoit voit ses douleurs se multiplier en raison même de l'éclat de sa couronne. Faut-il signaler au dehors la guerre, le sort des combats et les insultes des barbares, et au dedans les embûches et les périls de la cour? Combien de princes qui ont évité les traits de l'ennemi, et qui n'ont pu échapper au poignard de leurs propres gardes! Enfin l'océan a moins de flots et de vagues que les souverains n'ont d'inquiétudes.

Mais puisque la royauté ne saurait nous mettre à l'abri des chagrins, quelle autre condition pourrait le faire? les hommes y sont impuissants, et la pratique seule de cette courte et simple parole de l'Apôtre peut nous ouvrir ce riche trésor. Aussi, sans nous égarer en de longs discours, ni en des sentiers détournés, méditons directement sa pensée; elle nous indiquera la route droite et facile du vrai bonheur; car l'Apôtre ne dit pas simplement: Réjouissez-vous toujours; mais il exprime la cause et le motif de cette joie, en ajoutant: Réjouissez-vous dans le Seigneur. C'est qu'en effet aucun accident fâcheux ne peut contrister celui qui se réjouit dans le Seigneur. Toutes nos autres joies sont passagères, incertaines et inconstantes; et leur possession elle-même ne peut nous donner assez de bonheur pour éloigner et dissiper les tristesses qui naissent de toutes parts. Mais la crainte de Dieu nous offre le double avantage d'être stables et immuables, et de réunir en nous tant de joies, que nous en perdons même le sentiment de nos maux; et en effet, le chrétien qui a la véritable crainte de Dieu, et qui se confie en lui, possède le principe de tout bonheur, et la source de toute joie. Une faible étincelle qui tombe dans la mer s'éteint immédiatement; et de même pour l'homme qui craint Dieu, toute tristesse s'abîme et disparaît dans un océan de joie.

Certes, c'est un étonnant spectacle que de voir cet homme persister dans la joie au milieu de mille sujets de tristesse. S'il n'éprouvait aucune contrariété, il aurait peu de mérite à se réjouir; mais nous l'admirons, parce qu'il se montre supérieur aux plus fâcheux accidents, et qu'il est joyeux au sein même de l'adversité. Qui regarderait comme miraculeuse la conservation des trois jeunes Hébreux, s'ils n'eussent été jetés dans la fournaise? mais ce qui nous surprend, c'est qu'après être restés longtemps au milieu des flammes, ils en sortirent sains, et saufs comme s'ils n'y eussent point été exposés. Nous devons juger les saints d'après ces mêmes principes. Supposons qu'ils ne soient jamais éprouvés, et leur joie n'aura pour nous rien d'étonnant. Mais un prodige véritablement au dessus des forces de la nature humaine, est de trouver le calme et la tranquillité du port au milieu des écueils et des flots.

Jusqu'ici je vous ai prouvé qu'en dehors de la vie chrétienne on ne saurait rencontrer le vrai bonheur; et maintenant je veux vous démontrer que cette vie ne peut être que nécessairement heureuse. Puissé-je, en vous révélant ses avantages, vous exciter à la retracer dans votre conduite! Donnez-moi un chrétien vertueux, et qui a pour lui le témoignage d'une bonne conscience; qui aspire à la possession des biens du ciel, et qui se repose en cette heureuse espérance: quel accident, je vous le demande, pourrait l'attrister? La mort est sans doute le plus intolérable de tous les maux. Mais son attente le réjouit, loin de l'affliger; car il sait que la mort est le terme de ses peines, et la voie qui conduit à la couronne et à la récompense les généreux athlètes de la vertu et de la piété. Pleurera-t-il immodérément la perte prématurée de ses enfants? Non, il saura la supporter avec cette grandeur d'âme qui dira, comme Job: Le Seigneur me les avait donnés, le Seigneur me les a ôtés; il est arrivé ce qui a plu au Seigneur; que le nom du Seigneur soit béni! (
Jb 1,21) Mais si ni la mort elle-même, ni la perte de ses enfants ne sauraient profondément attrister ce chrétien, combien moins encore ta ruine de sa fortune, tes outrages, les calomnies et les maladies pourraient-elles blesser ce grand cour et ce noble esprit!

C'est ainsi que les apôtres se montraient comme insensibles au supplice des verges; et cette insensibilité qui nous étonne est cependant moins admirable que la joie dont ce supplice lui-même devenait pour eux la cause et l'occasion; car ils s'en allèrent pleins de joie (99) hors du conseil, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir cet outrage pour le nom de Jésus. (Ac 5,41) Quel traitement et quelles injures peuvent donc contrister un chrétien qui a appris à l'école de Jésus-Christ, à se réjouir des outrages! Réjouissez-vous, dit-il, et tressaillez d'allégresse lorsque les hommes diront faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi, parce que votre récompense est grande dans les cieux. (Mt 5,11 Mt 5,12) Est-il affligé par la maladie? il entend cette voix et ces avis du sage: Au jour de la maladie et de la pauvreté, confiez-vous au Seigneur, car l'or s'épure par la flamme, et les hommes que Dieu accepte passent par le feu de la tribulation. (Si 2,4 Si 2,5) Mais puisque la mort, la perte des biens, les douleurs du corps, l'ignominie, l'injure, et toute autre adversité réjouissent ce chrétien, loin de le contrister, où trouverait-il un sujet de peine et de chagrin?

Eh quoi! me direz-vous, est-ce que les saints ne connaissent pas l'affliction, et l'Apôtre lui-même ne dit-il pas: Une profonde tristesse est en moi, et vine douleur continuelle dans mon coeur? (Rm 9,2) Mais c'est en cela qu'éclatent les merveilles de la grâce; car la tristesse de l'Apôtre lui était une source de mérite et de joie. Les verges l'affligeaient bien moins qu'elles ne le réjouissaient, et de même sa tristesse embellissait sa couronne. Dans le monde, qui le croirait? la tristesse et la joie sont également dangereuses; et dans le christianisme, au contraire, la joie et même la tristesse sont des trésors de bonheur. En voulez-vous un exemple? dans le monde souvent on se réjouit du malheur de son ennemi, et cette joie cause notre perte. Mais le vrai chrétien s'afflige de la chute de son frère, et cette tristesse lui concilie les grâces et l'amitié du Seigneur.

Vous voyez donc que la tristesse selon Dieu est meilleure et plus utile que la tristesse selon le siècle. L'Apôtre s'affligeait de ce que les hommes péchaient, et ne croyaient pas en Dieu; aussi son affliction lui,devenait-elle grandement méritoire, et pour achever de vous convaincre de ce paradoxe que la douleur soulage l'âme affligée, et relève l'esprit abattu, n'est-il pas vrai que si vous empêchiez une mère de pleurer la mort d'un fils chéri, et de se répandre en larmes et en gémissements, vous la jetteriez dans le désespoir et la mort?

Permettez-lui au contraire de donner un libre cours à sa douleur, et elle en recevra un véritable soulagement. Mais ne nous étonnons point qu'il en soit ainsi d'une mère, puisque le prophète Isaïe nous présente le même phénomène: Laissez-moi, s'écrie-t-il souvent, et je pleurerai amèrement. Ne cherchez pas à me consoler, car je pleure les malheurs de la fille de mon peuple. (Is 22,4) La tristesse soulage donc fréquemment une vive douleur, et si l'infidèle l'éprouve, à plus forte raison le chrétien en fait-il l'heureuse expérience. C'est pourquoi l'Apôtre nous dit que la tristesse selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable. (2Co 7,10) Ces paroles peuvent sembler obscures. En voici donc le sens. Si vous vous attristez de la perte de vos richesses, cette tristesse ne remédie à rien; et si vous vous affligez de la maladie, cette affliction l'augmente au lieu de la diminuer.

71833. C'est ainsi que j'en ai entendu plusieurs convenir de ce fait, et s'accuser eux-mêmes par cet aveu: De quoi m'ont servi mes chagrins? je n'ai recouvré ni mon bien ni ma santé. Mais la tristesse, qui a le péché pour sujet, expie ce péché, et par là nous procure une grande joie. Et de même celle qui se rapporte aux fautes de nos frères, nous console et nous excite à la vertu. Souvent aussi elle sert à les retirer du vice. Mais quand même ils ne se corrigeraient point, notre charité ne serait pas sans récompense. Faut-il vous prouver encore que cette tristesse du malheur de nos frères nous est toujours utile et salutaire, quoiqu'elle ne les convertisse point? Eh bien! écoutez le prophète Ezéchiel, ou plutôt Dieu lui-même qui parle par sa bouche. Le Seigneur avait envoyé une armée pour ruiner Jérusalem, incendier ses édifices, et passer ses habitants au fil de l'épée; et voici qu'il parle ainsi à l'exécuteur de ses vengeances: Marquez d'un signe sur de front les hommes qui pleurent et qui gémissent. Il ordonne ensuite: Que le massacre commence par le sanctuaire; mais il ajoute aussitôt: Ne frappez aucun de ceux qui seront marqués de ce signe. (Ez 9,4-6) Pourquoi donc sont-ils épargnés, si ce n'est parce qu'ils pleurent et qu'ils gémissent sur des crimes qu'ils ne peuvent faire cesser?

Dans un autre prophète, le Seigneur reprend plusieurs d entre les Israélites de ce qu'ils s'abandonnent aux délices de la table et des plaisirs, et de ce qu'ils jouissent tranquillement du (100) repos et de la liberté, sans gémir sur ceux de leurs frères qu'ils voient traîner en captivité, et sans partager leur affliction. Ils sont insensibles, dit-il amèrement, à la ruine de Joseph. (Am 6,6) Sous le nom de Joseph, il désigne ici tout le peuple juif. Nous lisons également dans Michée cette parole de reproche: L'habitant d'Enan n'est point sorti pour pleurer la ruine de la maison de son voisin. (Mi 1,11) Car encore que les méchants soient punis avec,justice, Dieu veut que nous compatissions à leur malheur; et il nous défend de nous en faire un sujet de joie ou de raillerie. Lui-même nous dit en effet qu'il ne les punit qu'à regret, et qu'il ne se réjouit point de leurs maux, parce qu'il ne veut point la mort du pécheur. (Ez 18,23) Nous devons imiter cette conduite du Seigneur, et gémir de ce que les pécheurs le contraignent à les punir justement.

Comprenez-vous maintenant les grands avantages de la tristesse selon Dieu? et puisque nos martyrs sont plus heureux que leurs bourreaux, et le chrétien persécuté et affligé que l'infidèle honoré et joyeux, quel motif aurions-nous de nous attrister? C'est pourquoi n'appelons heureux que ceux qui vivent selon le Seigneur. Et ce sont aussi les seuls auxquels l'Ecriture donne ce nom: Heureux, dit le Psalmiste, l'homme qui n'est point entré dans le conseil de l'impie! (Ps 1,1) Heureux l'homme que vous avez instruit, ô mon Dieu, et auquel vous avez enseigné votre loi! Heureux l'homme dont les voies sont pures: Heureux tous ceux qui se confient dans le Seigneur! Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu! (Ps 93,12 Ps 118,1 Ps 2,13 Ps 32,12) Heureux, dit aussi le Sage, celui qui ne condamne point sa conscience! et le Psalmiste ajoute! Heureux l'homme qui craint le Seigneur. (Si 14,2 Ps 3,1) Enfin Jésus-Christ lui-même nous dit: Heureux ceux qui pleurent, ceux qui sont humbles, ceux qui sont doux, ceux qui sont pacifiques, et ceux qui souffrent persécution pour la justice! (Mt 5,3-10)

Ainsi nulle part l'Ecriture ne fait consister le bonheur dans les richesses, les honneurs et la gloire, et elle le place uniquement dans la vertu. Nous devons donc prendre la crainte de Dieu pour règle de nos actions et de nos souffrances: et si ce principe s'enracine profondément dans notre âme, non-seulement le repos et les honneurs, la gloire et les dignités, mais les persécutions même et les calomnies, l'injure et l'outrage, les supplices et généralement tous les maux, nous produiront les fruits abondants de la joie. Ne voyons-nous pas des arbres dont la racine est amère, nous donner les fruits les plus doux? et de même la tristesse selon Dieu n'enfante que plaisir et allégresse. Elles le savent bien, ces âmes qui prient avec douleur, et qui répandent les larmes de la pénitence. De quelles joies n'y sont-elles pas inondées! Quelle pureté de conscience elles y trouvent! Et avec quelles bonnes espérances elles s'en retirent! c'est qu'en effet, et je ne puis trop le répéter, nos joies et nos tristesses viennent moins de la nature même des choses que de nos propres dispositions. Si celles-ci sont sagement réglées, nous aurons toujours dans le coeur un grand fonds de contentement. Les maladies du corps ont pour cause plutôt quelque désordre intérieur que l'intempérie de l'air, ou toute autre influence extérieure. Mais à plus forte raison il en est ainsi des maladies dé l'âme. Car si celles du corps sont un apanage de notre nature, les autres ne dépendent que de notre, volonté. Aussi quoique l'Apôtre eût souffert cette infinité de maux qu'on ne saurait énumérer, les naufrages et les persécutions, les violences et les embûches, les attaques des voleurs, et chaque jour mille périls de mort,il n'exprimait ni plaintes, ni murmures. Bien plus, il en tirait un sujet de gloire et un motif de joie: Maintenant, disait-il, je me réjouis dans les maux que je souffre, et j'accomplis dans ma chair ce qui manque à la passion de Jésus-Christ. Et encore: je me glorifie dans mes tribulations. (Col 1,24 Rm 5,3) Or, l'on ne se glorifie point d'une chose, si l'on ne s'y complaît.

71844. Voulez-vous donc posséder la joie véritable? ne recherchez ni les richesses ou la santé, ni la gloire ou la puissance, ni les délices de la vie ou la somptuosité des festins, ni un vêtement de soie, ou le luxe des habits, ni de vastes domaines ou de magnifiques palais, ni en un mot aucune jouissance terrestre. Mais attachez-vous à la sagesse qui est selon Dieu, exercez-vous dans la pratique de la vertu, et quelque soit le malheur qui vous frappe aujourd'hui ou demain, il ne pourra vous attrister. Que dis-je, vous attrister? Les divers accidents qui affligent la plupart des hommes vous seront une cause de joie. Car les supplices et la mort, les amendes et les calomnies, les chagrins (101) et tous les maux, quand nous les souffrons pour Dieu, et par principe d'amour, réjouissent surabondamment notre âme.

Certainement personne ne peut nous rendre malheureux si nous n'y travaillons nous-mêmes, non plus que personne ne saurait nous rendre heureux si nous n'y coopérons nous-mêmes avec le secours de la grâce. Et s'il faut vous prouver que l'homme heureux est uniquement celui qui craint le Seigneur, je n'interrogerai point l'histoire, mais les faits dont nous avons été témoins. Nous avons pu craindre quelque temps la ruine entière d'Antioche. Eh bien! les plus riches et les plus puissants de nos concitoyens osèrent-ils alors se montrer? ils avaient fui, et avaient abandonné cette ville malheureuse. Mais les solitaires et les moines qui craignaient Dieu sont accourus avec un pieux empressement, et ils ont dissipé l'orage. Nos maux présents et la menace d'une terrible vengeance ne purent ni arrêter leur dévouement, ni effrayer leur courage. Et quoiqu'ils fussent étrangers à la faute, et ainsi à l'abri de tout péril, ils se sont précipités d'eux-mêmes au milieu des flammes pour nous en retirer. Bien plus, ils ont couru à la mort, quelque terrible et quelque affreuse qu'elle soit pour tous, avec plus de joie que les hommes ne recherchent les honneurs et les dignités. C'est qu'ils savaient que ce grand acte de charité leur était éminemment glorieux: et ils ont prouvé par leurs oeuvres que celui-là seul est heureux qui observe la loi divine. Car il ne redoute point l'inconstance de la fortune, et l'adversité ne saurait l'atteindre. Mais il jouit d'un calme inaltérable, et il se rit de tous ces accidents qui épouvantent les autres hommes. Aujourd'hui nos premiers magistrats sont plongés dans la consternation, et chargés de fers au fond d'un noir cachot, ils redoutent à chaque instant une condamnation capitale. Mais nos pieux solitaires jouissent d'une joie pure et sereine, quelque soit le sort qui puisse les atteindre. Ils désirent même les supplices et la mort qui nous paraissent si terribles, parce qu'ils connaissent le but qu'ils se proposent d'atteindre, et parce qu'ils n'ignorent point quel bonheur les attend après cette vie. Et toutefois ce détachement de toutes les choses de la terre, et ce mépris de la mort n'étouffent point en eux une douloureuse sympathie pour nos maux. C'est en quoi leur charité devient plus méritoire. A leur exemple, concentrons tout notre zèle sur le salut de notre âme, et nul événement imprévu ne pourra nous troubler. Mais n'oublions pas nos prisonniers, et prions le Seigneur qu'il les délivre de tout péril de mort. Il pouvait, il est vrai, dissiper entièrement le danger, et en effacer jusqu'aux moindres traces, mais de crainte que nous ne retombions dans nos anciens dérèglements, il ne veut que dessécher peu à peu le torrent de nos maux, afin de mieux nous affermir dans les voies de la piété. Car il n'est que trop vrai qu'on verrait renaître nos premiers désordres si l'orage se calmait soudain. Et en effet, nos malheurs ne sont point finis, la résolution de l'empereur nous est inconnue, nos magistrats sont dans les fers, et une foule de gens courent au fleuve pour s'y baigner. Ce ne sont sur ses bords que propos calomnieux, que danses lascives et que rendez-vous de courtisanes.

Mais ces gens-là ne sont-ils pas indignes d'excuse et de pardon? ou plutôt quelle peine et quel châtiment ne méritent-ils pas? une partie de nos magistrats est en prison, les autres sont en exil, on ignore quelle sera la décision de l'empereur, et vous vous livrez aux jeux, aux ris et aux danses. Mais, direz-vous, nous ne pouvons nous abstenir du bain. O réponse impudente! et parole mauvaise et insensée! combien y a-t-il d'années ou de mois que cette privation vous est imposée? les bains publics ne sont fermés que depuis vingt jours, et vous murmurez de dépit comme si cette défense remontait à une année. Mais pensiez -vous- à vous plaindre, je vous le demande, lorsque vous trembliez de voir arriver les soldats, et que, craignant chaque jour les supplices et la mort, vous fuyiez dans les déserts, et vous cachiez sur le sommet des montagnes. Si quelqu'un vous eût alors proposé de vous soustraire à tout danger, pourvu que durant une année entière vous promissiez de vous abstenir du bain, avec quelle promptitude vous eussiez accepté cette condition. Et aujourd'hui qu'il convient de remercier le Seigneur qui a dissipé cet orage, vous l'outragez de nouveau par vos excès et vos désordres. Vos frayeurs sont calmées, et vous en prenez occasion de reprendre vos criminelles habitudes. Quoi! êtes-vous si insensibles aux sentiments de nos maux; que vous ne songiez qu'aux plaisirs du bain? quand ce plaisir vous serait permis, la mort, qui menace tant d'illustres citoyens devrait détourner de ces frivoles pensées (102) ceux même qui n'appréhenderaient pas le même sort. Il s'agit ici d'une sentence de vie ou de mort, et vous ne songez qu'au plaisir du bain et aux délices de la vie!

Vous méprisez le danger parce que vous y avez échappé; mais craignez de vous en attirer un autre plus grave encore, et de retomber sous le coup de menaces plus terribles; votre état serait alors celui de cet homme dont parle l'Evangile. Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il revient, et trouant la maison purifiée et ornée, il prend avec lui sept autres esprits plus méchants, et ils entrent dans l'âme de cet homme, et son dernier état devient pire que le premier. (
Lc 2,24-26) Craignons donc, nous aussi, que notre négligence et notre inertie ne nous ramènent des maux plus grands que ceux dont nous hommes délivrés. Je sais bien que vous ne commettrez point une telle imprudence, mais arrêtez, punissez et châtiez ceux qui se livrent à ces honteux désordres, afin que toujours vous soyez dans la joie, comme l'Apôtre vous le recommande, et que sur la terre, comme aussi un jour dans le ciel, vous receviez la récompense de vos vertus et de votre charité, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel soient au Père et à l'Esprit-Saint la gloire. l'honneur et l'adoration, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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Dix-neuvième homélie.

ANALYSE.

Ce discours fut prononcé le cinquième dimanche de carême, et à la suite d'une fête des martyrs et de la translation de leurs reliques. - Comme cette fête attirait encore un grand concours de gens des campagnes environnantes, saint Chrysostome fait l'éloge de leur foi et de leur simplicité, et il montre que ces vertus rendent leur ignorance bien supérieure à toute la science des anciens philosophes. - Il attaque ensuite le blasphème et le jurement; il en développe les suites funestes, et décrit tous les malheurs que le parjure du roi Sédécias attira sur le royaume de Juda. - Il oppose aussi le peu de violence que l'on s'impose pour se corriger aux efforts persévérants des comédiens, bateleurs et danseurs de cordes pour réussir dans leurs exercices; et il termine en exprimant le voeu qu'Antioche obtienne la gloire d'avoir entièrement détruit la criminelle habitude du serment et du parjure.


71911. Vous avez célébré, ces jours derniers, la fête des saints martyrs, vous avez goûté une joie toute spirituelle, et vous avez fait éclater une pieuse allégresse. On a exposé à vos yeux des corps percés de coups: vous avez vu des poitrines ouvertes par le fer, dont le sang semblait encore découler, et vous avez pot jurer de la variété comme de la rigueur des tourments. Vous avez admiré en ces martyrs un courage surhumain, vous avez baisé leurs couronnes teintes de sang, et vous avez triomphalement promené ces saintes reliques par toutes les rues de la cité. Malade, et obligé de rester renfermé, je n'ai pu, à taon grand regret, assister à cette fête, mais je n'ai point laissé que de prendre part à votre joie: je n'ai pu me mêler à vos rangs, mais je rite suis uni à votre allégresse. Car, telle est la force de la charité, qu'elle supplée à l'absence par la communication de la joie, et qu'elle nous rend propres les plaisirs de nos frères. C'est ainsi que du fond de ma demeure je me réjouissais avec vous: et aujourd'hui, à peine convalescent, j'accours ici tout empressé de contempler vos riants visages, et de participer à la solennité de ce jour, car je rie puis nommer autrement cet immense concours de nos frères qui par leur présence ajoutent à la gloire de cette ville, et honorent notre assemblée.

Sans doute ce peuple n'entend point notre langage, mais il n'est pas étranger à notre foi, il vit dans une paisible tranquillité, et ses moeurs sont aussi modestes que sages et réglées. Il ignore le théâtre et ses scandales, les courses de chevaux, les rendez-vous des courtisanes, et le tumulte des grandes villes. Le (104) luxe et la volupté sont inconnus parmi ce peuple, et la sagesse s'y épanouit en tout son éclat. La cause en est que sa vie est laborieuse et qu'à ses yeux l'agriculture est une véritable école de vertus. Il s'applique donc à la culture de la terre, ce premier de tous les arts que Dieu nous a révélés. Car Adam, avant même son péché, et quand il jouissait d'une entière liberté, devait cultiver la terre. Ce n'était point, il est vrai, un travail pénible et fatigant, mais une occupation douce et agréable. Le Seigneur, dit l'Ecriture, plaça l'homme dans le paradis pour le cultiver et le garder. (
Gn 2,15).

C'est ainsi que nous voyons ces bons laboureurs tantôt diriger la charrue et creuser de profonds sillons, et tantôt expliquer à leurs serviteurs la doctrine sainte; tantôt arracher soigneusement de leurs champs les ronces et les épines, et tantôt déraciner dans les âmes les germes du péché, car ils ne rougissent point des travaux de l'agriculture, comme nos citadins; et ils n'ont honte que de l'oisiveté, parce qu'ils savent qu'elle enseigne le mal, et que dès l'origine elle a perverti tous ceux qui s'y abandonnent. Voilà donc de véritables philosophes qui le sont, non par l'habit, mais par le sentiment et la vertu. Quant aux philosophes païens, ils ne sont que des acteurs et des comédiens, puisque toute leur philosophie consiste à porter un manteau, une longue barbe et une robe flottante. Nos laboureurs au contraire méprisent tout ce vain extérieur: ils rejettent le bâton et la barbe, et ne s'attachent qu'à orner leur âme des préceptes de la vraie philosophie, et qu'à les réaliser par la pratique des vertus. Oui, prenez au hasard un de ces hommes qui vivent dans les champs, et qui semblent ne devoir connaître que la bêche et la charrue, et interrogez-le sur ces grandes vérités, au sujet desquelles les philosophes païens ne peuvent malgré toutes leurs recherches et leurs longs discours, nous donner une réponse satisfaisante, et il vous répondra avec une rare précision et une grande sagesse. Ajoutons encore à leur gloire qu'ils conforment leur vie à leur croyance. Ils savent donc que nous avons une âme immortelle, et que nous devons comparaître au jugement redoutable du Seigneur pour y rendre compte de toutes nos actions. C'est pourquoi ils dirigent toutes leurs oeuvres vers cette fin suprême, et se montrent supérieurs aux frivolités de notre luxe. Car le Sage leur a appris que tout est vanité, et vanité des vanités. (Si 1,2) Aussi ne cherchent-ils aucune des pompes du monde.

Ils savent également ce que Dieu nous a révélé de sa nature et de ses attributs. Prenez donc un philosophe païen, s'il vous est possible d'en rencontrer aujourd'hui, et parcourez avec lui, sur ces questions, les plus célèbres ouvrages de l'antiquité. Rapprochez ensuite de ces longues dissertations les réponses précises de nos laboureurs, et vous verrez combien ceux-ci sont sages, et ceux-là insensés. Parmi ces derniers, les uns soutiennent que Dieu est étranger au gouvernement du monde, et qu'il ne l'a point créé; et les autres affirment que la vertu ne se suffit point à elle-même, et que tout le bonheur consiste dans l'or, l'éclat et la noblesse. Mars à ces extravagances, et à mille autres plus ridicules encore, nos laboureurs, si ignorants d'ailleurs, en toutes autres choses, opposent le dogme d'un Dieu qui a tiré le monde du néant, qui le gouverne, et qui doit juger tous les hommes. Eh! qui n'admirerait ici la puissance du Christ? il fait que des gens ignorants et grossiers surpassent autant en sagesse ces présomptueux philosophes que des vieillards consommés en prudence surpassent de jeunes étourdis.

Peu importe donc que leur langage soit impoli, puisque leur esprit est doué de sagesse 1 et de quelle utilité est à un philosophe païen la grâce et l'urbanité de sa parole si, dans le fond de l'âme, il n'est qu'un insensé? Que dirions-nous d'un soldat qui porterait une épée dont la garde serait d'argent, et la lame de plomb? C'est ainsi que la parole des philosophes est parée de science et d'éloquence, et que leur pensée est tellement vide de sens et de sagesse, qu'ils ne disent rien de bon ni d'utile. Chez nos laboureurs, au contraire, l'esprit est tout rempli d'une sublime philosophie, et leur vie est conforme à leur croyance. on ne trouve point parmi eux ces femmes qui ne songent qu'à la toilette et au luxe des vêtements, et qui emploient le fard et les couleurs. Car ils ont banni de leurs campagnes toute cette corruption des moeurs. C'est pourquoi ils retiennent facilement la femme dans cette humble soumission que l'Apôtre lui recommande; et ils gouvernent aisément une famille qui borne son ambition à se procurer la nourriture et le vêtement.


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Sans doute ces bons laboureurs ne connaissent point la délicatesse de nos parfums. Mais les champs émaillés de mille fleurs odorantes leur en fournissent de plus exquis. Chez eux le corps est aussi robuste que l'âme est pure. Ne nous en étonnons point; ils ignorent les raffinements de nos tables, non moins que les transports de l'ivresse, et ils ne mangent qu'autant qu'il est nécessaire pour vivre. Ne méprisons donc point la simplicité de leurs vêtements, et admirons plutôt la sagesse de leurs moeurs. Eh! qu'importe un riche habit, si l'âme est nue et indigente! Nous devons louer et estimer l'homme non d'après ses vêtements, mais d'après les qualités de son âme; pénétrez donc dans le secret de cette âme, et vous verrez en sa source cette beauté et cette richesse qui s'épanchent au dehors par les paroles, la croyance et les moeurs.

71922. Que toute la philosophie païenne se cache et qu'elle rougisse de sa prétendue sagesse qui n'est qu'une véritable folie l Ses docteurs n'ont gagné pendant leur vie qu'un nombre bien restreint de disciples; et encore les ont-ils perdus au moindre danger. Mais les apôtres de Jésus-Christ, ces hommes qui n'étaient que des pêcheurs, des publicains et des faiseurs de tentes, ont en peu d'années amené l'univers à la vérité de l'Evangile. Les persécutions elles-mêmes, quoique sans cesse renaissantes, n'ont pu arrêter les progrès de leur prédication; et aujourd'hui les lumières de la foi se répandent avec tant d'éclat qu'elles éclairent et rendent savants de grossiers laboureurs et des pâtres ignorants. Louons aussi l'ardente charité qui est en eux le principe de tout bien, et qui leur a fait entreprendre un si long voyage pour visiter et embrasser des frères.

Eh bien! en reconnaissance de ces témoignages d'amitié et d'affection, je vous demande de pourvoir à leurs besoins, afin qu'ils s'en retournent heureusement. Pour moi, j'aborde de nouveau la question du jurement, et puissé-je en détruire entièrement la criminelle habitude l mais il faut auparavant vous rappeler ce que j'ai déjà dit sur ce sujet. Lorsque les Juifs revinrent dans la Palestine après la captivité de Babylone, le prophète Zacharie leur rapporta la vision suivante: Je voyais une faux qui volait dans les airs: sa longueur était de vingt coudées, et sa largeur de dix; et il me fut dit: c'est la malédiction qui sort sur toute la terre; elle viendra dans la demeure du parjure pour la ruiner et en détruire les bois et les pierres. (
Za 5,1-4) La citation de cette prophétie m'amena à rechercher pourquoi le Seigneur ajoute au châtiment personnel du parjure, la ruine de sa maison; et je vous dis qu'il veut donner cet éclat à la punition d'un grand crime, afin qu'elle nous soit un salutaire avertissement. A la mort du parjure, son cadavre est enseveli et confié à la terre, mais le souvenir de son iniquité survit à la destruction du corps; car tous ceux qui voient les ruines de sa maison, et qui en apprennent la cause s'instruisent à éviter les mêmes péchés: c'est ce que nous prouve l'exemple de Sodome. Pour punir les moeurs infâmes de ses habitants, Dieu fit descendre du ciel une pluie de feu qui dévora la terre elle-même; en sorte qu'aujourd'hui encore le sol atteste ce terrible châtiment. (Gn 19)

Et observez ici la bonté du Seigneur. On ne voit plus ces pécheurs se consumer au milieu des flammes; car la terre recouvre leurs cendres, mais cette même terre conserve les marques d'une violente ignition, et son aspect seul est une voix éloquente qui se fait entendre aux yeux, et qui crie à toutes les générations n'incitez pas les crimes de Sodome, si vous ne voulez en partager les châtiments. C'est qu'en effet toute parole s'efface en présence de ces traces toujours visibles de la vengeance divine. Je pourrais en appeler au témoignage de nombreux voyageurs sur lesquels le récit de l'Ecriture n'avait d'abord produit qu'une légère impression. Mais quand ils ont eu visité ces contrées, et qu'ils ont vu cette terre stérile, ces vestiges d'un terrible incendie, et ce sol qui n'est qu'une couche de cendre et de poussière, ils sont revenus saisis d'effroi, et profondément touchés de cette grande leçon. Car la nature du châtiment est en rapport avec la nature du crime, et de même que les Sodomites empêchaient la sainte fécondité du mariage, Dieu pour les punir a rendu cette contrée stérile et inféconde. Il menace donc de renverser la maison du parjure, afin que son exemple nous corrige.

71933. Je poursuis aujourd'hui ce sujet, et ce ne sont plus deux ou trois maisons dont je veux vous citer la ruine, mais c'est la destruction entière d'une cité célèbre, d'un peuple religieux, d'une nation spécialement chérie de Dieu, et d'une tribu échappée à mille périls, (106) Jérusalem était la ville bien-aimée du Seigneur; elle possédait l'arche sainte, le temple et l'ensemble du culte divin. Là avaient paru les prophètes, et l'Esprit-Saint y avait répandu ses dons; là reposaient l'arche, les tables de la loi et l'urne d'or; et là se montraient souvent les esprits célestes. Jérusalem, au milieu de guerres fréquentes et de mille incursions des barbares, paraissait comme environnée d'une enceinte plus dure que le diamant, en sorte que toujours elle s'était ri de ses ennemis, et que même parmi les ravages de toute la Palestine, elle ne subit aucun grave désastre. Bien plus, elle faisait souvent éprouver à ses ennemis des pertes considérables, et elle était l'objet d'une providence si particulière que le Seigneur disait lui-même: J'avais trouvé Israël comme une grappe de raisin dans le désert, et j'avais choisi leurs pères comme ces premiers fruits qui paraissent au sommet du figuier. (Os 9,10) Il ajoutait encore en parlant de Jérusalem: Quand on trouve une olive agi sommet de l'arbre, on dit: ne la perdons pas. (Is 65,8) Cependant cette cité chérie de Dieu, après avoir échappé à mille dangers, obtenu le pardon de bien des fautes, et évité seule les maux de sa captivité, fut ruinée une première fois, et ensuite plusieurs autres fois par suite d'un parjure. Comment cela arriva-t-il? je vais vous le dire.

Sédécias, roi de Jérusalem, s'était engagé par serment envers Nabuchodonosor, roi de Babylone, à lui demeurer soumis et fidèle; il trahit ensuite son serment, et s'étant allié par un parjure, au roi d'Egypte, il éprouva les terribles châtiments que je vais raconter. Mais il est d'abord nécessaire de rapporter la parabole qui dans Ezéchiel annonce ces événements. Le Seigneur me parla, dit le Prophète, et il me dit: Fils de l'homme, propose cette énigme, et raconte cette parabole. Voici les paroles du Seigneur Dieu: un aigle énorme, avec de grandes ailes, un corps immense et des serres nombreuses dirigea son vol vers le Liban. (Ez 17,1-3) Ici l'aigle signifie le roi de Babylone; et le prophète lui donne de grandes ailes, un corps immense et des serres nombreuses pour marquer la multitude de ses soldats, la grandeur de sa puissance et la rapidité de son attaque, car ce que sont à un aigle les ailes et les serres, les soldats et les chevaux le sont à un roi. Or, l'aigle dirige son vol vers le Liban. Cette expression dirige son vol marque dans le roi de Babylone un dessein fixe et arrêté; et le Liban désigne la Judée parce qu'elle s'étend au pied de cette montagne. Le prophète continue ensuite à symboliser ainsi le traité et le serment du roi Sédécias. Et cet aigle prit de la racine, et il la confia à la terre comme une semence, afin qu'elle prît racine sur les grandes eaux, et il la planta sur la surface de la terre. Lorsque cette semence eut germé, elle forma une vigne étendue, mais basse, dont les branches regardaient cet aigle, et dont les racines étaient sous lui. (Ez 17,5) Ici Jérusalem est la vigne; et parce que ses branches regardent l'aigle, et que ses racines sont sous lui, Jérusalem a fait alliance avec le roi de Babylone, et lui est devenue tributaire.

Cependant le prophète nous révèle l'iniquité de cette vigne. Et il parut, dit-il, un autre aigle, le roi d'Egypte; cet aigle était énorme, et avait de grandes ailes et des serres nombreuses; et voilà que la vigne porta ses racines et étendit ses branches vers cet aigle, afin qu'il l'arrosât de ses eaux fécondes. C'est pourquoi le Seigneur dit: cette vigne prospérera-t-elle? pourra-t-elle subsister, vivre et ne pas périr? (Ez 17,7 Ez 17,9) Le prophète pouvait-il marquer plus expressément le parjure de Sédécias? et pour montrer que ce parjure est la cause unique et réelle de sa ruine, il ajoute: Le premier aigle arrachera les racines encore tendres de cette vigne, il enlèvera ses fruits, et desséchera ses rejetons. Bien plus, Jérusalem doit périr moins sous les coups de l'homme que sous ceux de la vengeance divine. Aussi observe-t-il que pour la détruire entièrement, cet aigle n'aura besoin ni de la force de son bras, ni de la multitude de son peuple. (Ez 17,9)

Telle est la parabole contre Jérusalem, et le prophète en donne lui-même l'explication. Voilà, dit-il, que le roi de Babylone vient à Jérusalem; et après quelques autres détails, il poursuit ainsi: et il fera, alliance avec son roi, mais celui-ci deviendra parjure, et enverra des ambassadeurs au roi d'Egypte pour en obtenir des chevaux et une grande armée. Enfin la prophétie se termine prie ces paroles qui prouvent que tors les malheurs de Sédécias doivent être imputés à son parjure. Il mourra au milieu de Babylone, au séjour du roi qui l'avait établi roi, parce qu'il a méprisé mes menaces, dit le Seigneur, et transgressé mes lois. Il périra (107) donc et ce ne sera point out milieu dune grande armée, uni d'un peuple nombreux, parce qu'il a violé son serment, et qu'il a brisé le pacte de l'alliance. Le serment qu'il a méprisé, et l'alliance qu'il a rompue, pèseront sur sa tête; et l'étendrai mon rets sur lui. (Ez 17,16-20) Voyez-vous comme le prophète répète plusieurs fois que Sédécias s'est attiré tous ses malheurs par son parjure, car le Seigneur est implacable pour un tel crime.

Mais s'il punit le parjure, comme nous le voyons par les désastres de Jérusalem, il châtie aussi le retard affecté qu'on met à remplir un serment, tant il est zélé pour en faire observer les saints engagements. Il arriva donc, dit l'Ecriture, qu'en la neuvième année du règne de Sédécias, le dixième jour du dixième mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint avec toute son armée contre Jérusalem, et mit le siège devant la ville, et il éleva des retranchements tout autour, et la ville fut enfermée et investie jusqu'à la onzième année du roi Sédécias, et jusqu au neuvième jour du mois, et la famine s'établit dans la ville, et le peuple de la terre n'avait pas de pain, et la ville fut ouverte. (2R 25,1-4) Sans doute le Seigneur pouvait dès le premier jour livrer Jérusalem à ses ennemis, et en soumettre les habitants à Nabuchodonosor; mais il différa ce châtiment pendant trois ans, et leur fit éprouver toutes les duretés d'un long siège, afin que pressés au dehors par la terreur des armes, et au dedans par les rigueurs de la famine, ils contraignissent Sédécias à se rendre aux Assyriens, et à expier ainsi son parjure. Au reste ce n'est point ici de ma part une simple conjecture; c'est la vérité même, et pour s'en convaincre, il suffit de citer les paroles suivantes du prophète Jérémie: Si vous sortez, dit-il à Sédécias, pour aller vers les princes du roi de Babylone, votre âme vivra, et cette ville ne sera point brûlée, et vous vous saurerez, vous et votre maison; mais si vous n'allez pas vers les princes du roi de Babylone, cette ville sera livrée aux mains des Chaldéens, et ils la brûleront, et vous n'échapperez pas à leurs mains. Et le roi Sédécias dit à Jérémie: je suis troublé à cause des juifs qui ont fui vers les Chaldéens; je crains qu'ils ne m'abandonnent entre leurs mains, et qu'ils ne se jouent de moi. Or Jérémie répondit: Ils ne vous livreront point; mais écoutez la parole du Seigneur que je vous annonce, et vous vous en trouverez bien, et votre âme vivra. Si vous ne voulez point sortir, voici ce que le Seigneur m'a montré. Toutes les femmes restées dans lei maison du rai de Juda seront conduites aux princes du roi de Babylone, et elles diront: Ces hommes qui parlaient de paix, vous ont séduit; ils ont prévalu contre vous, et ils ont engagé vos pas sur un terrain glissant; ils se sont éloignés de vous; et voici qu'ils livreront toutes vos femmes et vos enfants aux Chaldéens; et vous n'éviterez pas leurs mains, mais vous serez pris par le roi de Babylone, et il brûlera cette ville. (Jr 38,17-23)

Cependant Sédécias ne voulut point croire le prophète, et il persista dans son péché et son iniquité. C'est pourquoi Jérusalem fut prise après un siège de trois ans: et ce délai prouvait assez toute la patience du Seigneur, et toute l'ingratitude de Sédécias. Les Chaldéens entrèrent donc dans Jérusalem avec une grande facilité, et ils en incendièrent le temple, le palais et les maisons. Le chef de l'armée détruisit par le feu toutes les plus belles maisons de Jérusalem, et il en abattit les murailles. On eût dit que cet incendie allumé par des mains barbares agissait selon les ordres et la direction du serment qui avait été violé. Le général de l'armée transporta à Babylone tout le peuple qui était demeuré dans la ville, et les transfuges qui s'étaient rendus au roi de Babylone. Et les Chaldéens, dit encore l'Ecriture, brisèrent les colonnes d'airain qui étaient dans le temple du Seigneur, et les soubassements, et la mer d'airain qui étaient dans la maison du Seigneur; et ils transportèrent à Babylone les cuves d'airain, les fourchettes, les coupes, les mortiers et tous les vases d'airain qui servaient au temple. Ils prirent aussi les encensoirs et les coupes d'or et d'urgent. Et Nabazardan, chef de l'armée, emporta les deux colonnes, la mer et les vases que Salomon avait faits pour le temple du Seigneur. Il emmena aussi Saraïas, grand prêtre, et Sophonie qui était le premier au-dessous de lui, et les trois portiers, et l'eunuque de la ville qui commandait l'armée, et cinq de ceux qui étaient toujours devant le roi, et Saphan, chef de l'armée, et le secrétaire du roi, et soixante des principaux citoyens. Il les conduisit au roi de Babylone qui les condamna et les fit mourir. (2R 25,13-21)

Rappelez-vous maintenant cette faux qui vole dans les airs, qui pénètre dans la maison (108) du parjure, et qui en détruit les murs, les bois et les pierres: et voyez comme le crime de la foi violée entre dans Jérusalem, renverse son temple et ses maisons, ses superbes édifices et ses murailles, en sorte que cette ville n'est plus qu'un amas de ruines. Ajoutons encore que ni le saint des saints, ni les vases sacrés, ni nulle autre considération ne purent arrêter la vengeance divine, parce qu'un parjure avait été commis. Tel fut le terrible châtiment de Jérusalem; mais celui de Sédécias fut plus triste encore et plus affreux. Cette même faux volante qui avait rasé les édifices de sa capitale l'atteignit dans sa fuite. Sédécias, dit l'Ecriture, sortit de la ville pendant la nuit, par une porte dérobée, parce que les Chaldéens environnaient l'enceinte des murailles, et l'armée des Chaldéens poursuivit le roi et le prit. Et après l'avoir pris, les Chaldéens l'amenèrent au roi de Babylone qui entra en jugement avec lui. Il fit mourir les fils de Sédécias sous les yeux de leur père, et il lui creva les yeux, l'enchaîna et l'emmena à Babylone. (2R 25,4-7).

Mais que signifie cette parole: il entra en jugement avec lui. Elle marque que Nabuchodonosor demanda à Sédécias les raisons de sa perfidie, et qu'il en discuta avec lui le châtiment. C'est pourquoi il fit mourir ses enfants en sa présence pour le rendre témoin de leur supplice, et puis il lui creva les yeux. Et maintenant voulez-vous savoir les raisons de ce barbare traitement? C'était pour que ce prince servît d'exemple aux peuples étrangers et aux juifs qui habitaient parmi eux. L'aspect de ce prince privé de la vue devait leur faire comprendre combien est énorme le péché du parjure. Ajoutons encore que sur la route tous ceux qui le voyaient passer enchaîné et aveugle pouvaient apprécier la grièveté de la faute par la sévérité du supplice. Il est vrai qu'un prophète dit que Sédécias ne verrait point la ville de Babylone ( Ezéch. 12,15), et qu'un autre affirme qu'il y serait conduit. (Jr 32,5) Mais ces deux prophéties ne se contredisent point, et toutes deux sont véritables. Car Sédécias ne vit point Babylone, et néanmoins il y fut amené. Il ne vit point cette ville, parce qu'il fut privé de la vue dans la Judée. Il convenait en effet que là où il avait violé son serment il reçût le châtiment de son parjure: et il fut amené à Babylone, parce qu'il fut fait prisonnier. Or; comme Sédécias éprouva un double châtiment, la perte de la vue et la perte de la liberté, chaque prophète en a parlé séparément. L'un a signalé le premier par ces mots: Il ne verra pas Babylone, et l'autre, le second, par ceux-ci: Il sera conduit à Babylone.

71944. Instruits par cet exemple, et rapprochant l'entretien de ce jour de nos précédents discours, faites donc, mes frères, je vous en supplie, faites entièrement cesser parmi vous la criminelle habitude du serment. Dans ces temps anciens, où Dieu était indulgent envers les Juifs, et n'en exigeait pas une haute sainteté, il punit néanmoins un parjure par la ruine de Jérusalem et l'esclavage de son roi. Quels châtiments réserve-t-il donc aux chrétiens qui se parjurent malgré les défenses expresses de sa loi, et au mépris de la perfection évangélique? Car ne croyez pas qu'il vous suffise de venir ici, et d'écouter ma parole-. Ce ne serait pour vous qu'un titre à un jugement plus sévère, et à un châtiment inévitable, si toujours avertis, vous ne vous corrigez jamais. Quelle excuse alléguer, et quel pardon espérer? Dès notre première enfance jusqu'à notre extrême vieillesse, nous fréquentons l'église, et nous sommes instruits de nos devoirs. Et cependant nous demeurons toujours les mêmes,et nous n'avons aucun zèle pour nous corriger. En vain voudrait-on s'excuser sur l'habitude. Ce qui m'irrite et m'indigne, c'est que l'on ne puisse vaincre une habitude mauvaise. Mais si nous ne surmontons point l'habitude, comment triompher de la concupiscence, dont le principe est en nous-mêmes? La volonté seule constitue la malice des mouvements de la nature; et ici je dois accuser de cette criminelle habitude votre négligence bien plus que votre volonté.

Vous doutez peut-être que les progrès d'un si grand mal viennent moins de la difficulté de se corriger que de notre lâcheté à l'entreprendre; trais il suffit de penser que souvent, et sans espoir d'aucune récompense, on exécute des choses bien plus difficiles. Combien les oeuvres que commande le démon sont-elles pénibles et laborieuses, et toutefois on ne lui oppose jamais la difficulté de l'exécution. A quel supplice, je vous le demande, ne se soumet pas le jeune homme qui se livre aux mains de bateleurs et d'histrions. Ils mettent ses membres à la torture, et les plient en tous sens. Ils lui apprennent a se former en cercle, à rouler comme une roue sur le sol, à (109) détourner les yeux et à faire de telles contorsions qu'il semble changer de sexe. Et cependant ni le travail ni la honte d'un si infâme métier ne le rebutent point. On en voit d'autres qui sur des tréteaux semblent voler avec leurs bras, ou qui lancent en l'air des poignards et les reçoivent par le manche. Combien doivent-ils l'aire rougir ces chrétiens que rebute le moindre effort pour pratiquer la vertu! Que dire de ceux qui portent sur le front un arbre aussi fixe et solide que si ses racines pénétraient dans la terre? Ce n'est pas tout: de jeunes enfants prennent leurs ébats sur les branches de cet arbre, et sans l'aide des mains ou de tout autre membre, notre hercule le maintient sur son front ferme et immobile. Un autre enfin marche sur une faible corde avec autant de sécurité que s'il courait sur un terrain solide.

L'art a rendu faciles toutes ces choses qui effrayent d'abord l'imagination, mais rien de semblable ne se rencontre ici; est-il donc si difficile de s'abstenir de jurer? est-ce un travail si pénible, et une science si élevée? ou s'expose-t-on à quelque danger? Appliquez-vous-y avec un peu de soin, et bientôt vous en viendrez à bout. Mais ne me dites pas: j'ai déjà fait beaucoup. Car si vous n'achevez entièrement, vos premiers essais deviendront inutiles, et votre oeuvre tout entière périra par le côté même que vous aurez négligé; souvent une maison s'écroule, parce qu'on néglige de remplacer une tuile cassée, il en est de même d'un habit; une déchirure qui n'est point reprise emporte tout le vêtement. Faites encore la moindre ouverture à une levée, et le fleuve entier s'y précipitera. C'est ainsi qu'en vain vous vous fortifiez de toutes parts, si par un seul endroit vous laissez au démon une libre avenue. Fermez donc cette avenue, afin que vous assuriez votre repos.

Je vous ai montré la faux volante, et la tête du saint précurseur; je vous ai raconté l'histoire de Saül, et les malheurs de la captivité; et je vous ai rappelé le précepte de Jésus-Christ, qui nous défend le parjure, et même tout serment, comme une invention du démon et une habitude criminelle. Enfin je vous ai prouvé que presque toujours le parjure suivait le serment. Eh bien! gravez ces enseignements dans votre coeur. Ne voyez-vous pas que les femmes et les enfants portent l'Evangile au cou, comme un sûr préservatif? Hésiteriez-vous donc à imprimer en votre mémoire les préceptes et les lois de ce même Evangile? il ne faut point pour cela en acheter un exemplaire à prix d'or et d'argent; il suffit d'avoir une volonté bonne et sincère, et un peu de zèle et de vigilance. Ce livre sacré, en se gravant ainsi dans le plus intime de votre âme, vous sera une défense plus assurée que si vous le portiez extérieurement. Ainsi chaque matin, quand vous sortirez de votre lit, ou de votre demeure, souvenez-vous de cette parole de Jésus-Christ: Je vous dis de ne point jurer. (
Mt 5,34) Et cette parole seule vous sera un utile avertissement. Vous voyez donc que la chose n'est pas bien difficile, et qu'il suffit d'une légère attention.

En voulez-vous une preuve évidente? la voici. Appelez votre fils, et effrayez-le par la menace d'un rigoureux châtiment s'il se permet encore de jurer, et vous verrez que bientôt il se corrigera de cette habitude. Mais ne serait-il pas étrange que de jeunes enfants, par crainte de leurs parents, s'abstinssent de faire des serments, et que nous-mêmes nous ayons pour Dieu moins de respect et de révérence? Je répète donc ce précédent avis: imposons-nous l'obligation de ne traiter aucune affaire publique ou particulière que nous ne nous soyons corrigés. Alors la nécessité viendra en aide à la vertu, et nous surmonterons facilement notre mauvaise habitude. Mais quelle gloire en rejaillira sur nous et sur cette ville! Oui, quel honneur, si on publie par toute la terre que dans Antioche on est vraiment chrétien, et que pour n'importe quelles raisons on n'y prononce aucun blasphème! Tout d'abord les villes voisines l'apprendront, et bientôt les contrées les plus éloignées ne l'ignoreront point. Car les nombreux marchands qui nous viennent ici ne manqueront point, à leur retour, d'en instruire leurs concitoyens. Quand on veut louer les autres cités, on vante leurs ports, leurs places publiques et l'abondance de leurs marchés; mais faites qu'on loue Antioche d'une singularité tout exceptionnelle, en disant que tous ses habitants préféreraient qu'on leur coupât la langue plutôt que de proférer un jurement. Cette louange ne vous sera pas moins glorieuse et utile que grandement méritoire, et en effet les autres villes envieront votre gloire et se formeront sur votre exemple. Or, si le Seigneur récompense magnifiquement la conversion d'un ou de deux pécheurs, que réservera-t-il à ceux qui auront servi de (110) modèle à toutes les nations? N'épargnez donc ni soins, ni efforts, ni travail peur accomplir une oeuvre si importante, et sachez que vos vertus, et même celles de vos frères seront pour vous auprès du Seigneur, un riche trésor de mérites et un titre à ses divines libéralités. Puissions-nous en jouir à jamais dans le ciel en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire et l'empire maintenant, toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


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Chrysostome Homélies 7181