Chrysostome Homélies 18200


Deuxième homélie.

Sur le chagrin du roi Achab et sur le prophète Jonas.


ANALYSE.

1. Etes-vous pécheur, ne vous découragez pas; si Caïn n'a pas obtenu son pardon, c'est qu'il s'est découragé. - 2. Si David a obtenu le sien, c'est parce qu'il a eu confiance, parce qu'il a fait ce que dit le Prophète: Confesse toi-même le premier ton péché, afin que tu sois justifié. - Confesser son péché, première voie de pénitence. - 3. Pleurer son péché, deuxième voie de pénitence. - Exemple d'Achab, histoire de Naboth. - Jonas et les Ninivites. - 4. Troisième voie de pénitence, l'humilité. - Exemple du pharisien et du publicain. - 5. Humilité de saint Paul. - Exhortation.


182011. Vous avez vu, dimanche dernier, un assaut et une victoire: l'assaut donné par le diable, la victoire remportée par le Christ. Vous avez vu comment la pénitence est célébrée et comment le diable succombant à sa blessure, a tremblé et frémi. - Pourquoi craindre, ô démon, à l'éloge de la pénitence? Pourquoi gémir? Pourquoi frissonner de peur? - Oui, réplique-t-il, c'est à bon droit que je m'afflige et me désole! cette pénitence me vole mes meilleurs instruments! Lesquels donc? - La courtisane, l'usurier, le larron, le blasphémateur! - Et, de fait, il est certain que la pénitence lui enlève plusieurs de ses moyens d'action, renverse sa propre citadelle et le frappe lui-même d'un coup mortel: vous le (280) comprenez, mes chers amis, par les faits qu'une récente expérience vous a montrés. Pourquoi donc ne profitons-nous pas de telles instructions, pourquoi ne fréquentons-nous pas chaque jour l'église afin d'y embrasser la pénitence? Si vous êtes pécheurs, entrez à l'église afin d'y déclarer vos péchés; si vous êtes justes, entrez à l'église afin que vous ne défailliez pas dans votre justice; dans l'un comme dans l'autre état, notre refuge est l'église.

Etes-vous pécheur? Ne vous découragez pas, mais entrez en vous mettant à couvert derrière la pénitence. Avez-vous péché? Dites à Dieu j'ai péché! Quelle peine faut-il, quel détour, quelle fatigue, quelle inquiétude pour dire ce mot: j'ai péché? Et si vous ne vous proclamez pas pécheur, n'avez-vous pas le diable pour accusateur? Prenez l'avance, enlevez-lui son rôle: son rôle est d'accuser. Pourquoi ne le prévenez-vous pas? Pourquoi ne pas dire votre péché et ne pas purger votre faute, puisque vous savez bien que vous êtes en face d'un accusateur qu'on ne peut faire taire? Avez-vous péché? Entrez donc à l'église et dites à Dieu «j'ai péché.» Je n'exige de vous nulle autre chose que celle-là: car la divine Écriture dit: Pour être justifié, déclare toi-même le premier ta faute. (
Is 43,26) Déclarez le péché pour détruire le péché. En cela il n'est besoin ni de fatigue, ni de périodes oratoires, ni de dépenses d'argent, ni de rien de pareil: dites un mot, dites-le avec une loyale franchise: j'ai péché. - Mais, objectera quelqu'un, d'où vient que je me délie du péché si je déclare le premier mon péché?-Je vois dans l'Écriture un homme qui déclare son péché et s'en délivre; et j'en vois un autre qui ne déclare pas son péché et se fait condamner. Caïn, poussé par l'envie, tue son frère Abel l'envie est l'avant-garde du meurtre; il le surprend dans la campagne, il le fait disparaître. Qu'est-ce que Dieu lui dit? Où est ton frère Abel? (Gn 4,9) S'il l'interroge, ce n'est pas qu'il ignore rien, lui qui connaît tout; mais il veut attirer le meurtrier à la pénitence. Il montre assez qu'il n'ignore pas quand il demande: où est ton frère Abel. Caïn répond: Je n'en sais rien: suis-je donc le gardien de mon frère? - Soit, tu n'es pas son gardien, pourquoi es-tu donc son assassin? tu ne le gardais pas, pourquoi l'as-tu tué? - Au moins confesses-tu cela! Eh bien, tu es coupable, et tu répondras même de ce que tu ne l'as pas gardé! Que lui répond le Seigneur? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. (Gn 4,9) Il le confond sur-le-champ; il lui inflige le châtiment non pas tant à cause du meurtre qu'à cause de son impudence: Dieu ne déteste pas tant le pécheur que l'effronté. Il ne reçoit pas Caïn venant à pénitence, certainement parce que celui-ci n'a pas le premier avoué son péché. Que dit-il en effet? Mon péché est trop grand pour qu'il me soit remis? (Gn 4,9) C'est comme s'il disait: j'ai commis une faute énorme, je ne suis pas digne de vivre. Et que lui répond le Seigneur? Tu seras sur la terre gémissant et tremblant (Gn 12): il lui impose une lourde et rude punition. Je ne te frappe pas de mort, dit-il, pour ne pas livrer la vérité à l'oubli, mais je fais de toi une loi visible et intelligible pour tous afin que ta vie misérable devienne mère de la sagesse. Et Caïn s'en alla partout, loi vivante, colonne animée dont le silence faisait retentir le décret divin avec plus d'éclat que le son des trompettes. Ne faites pas comme moi, disait-il, si vous ne voulez pas souffrir comme moi. Il fut châtié à cause de son impudence; au lieu d'avouer sa faute, il se laissa convaincre, et il fut condamné. S'il l'eût confessée spontanément, il l'eût effacée le premier.

182022. Pour bien comprendre que les choses sont comme j'ai dit, comprenez comment un autre homme, en déclarant lui-même son péché, en a rompu le lien. Allons à David, le prophèteroi; mais je l'appelle plus volontiers du nom de prophète, parce que son royaume se bornait à la Palestine, tandis que ses prophéties ont atteint les limites extrêmes de l'univers; sa royauté s'est écoulée en peu de temps, tandis que ses prophéties ont fait entendre des paroles immortelles. Il est plus facile au soleil de s'éteindre qu'aux paroles de David de tomber en oubli. David commit l'adultère et l'homicide: il vit, dit l'Écriture, une belle femme qui se baignait et il l'aima; ensuite il mit à exécution son dessein. Le prophète était tombé dans l'adultère, la perle dans la boue; et pourtant il ne reconnaissait pas encore qu'il avait péché, tant il était endormi par l'ivresse de la passion. Lorsque le cocher est ivre, le char se précipite tout de travers; or l'âme et le corps sont entre eux comme le cocher et le char; si l'âme est dans les ténèbres, le corps roule dans la fange. Tant que le cocher reste debout et ferme, le char fait bonne route: que le cocher vienne à (281) faiblir et à ne pouvoir plus tenir les guides, dès lors le char aussi se voit en danger. Ainsi en est-il de l'homme, tant que l'âme est sobre et vigilante, le corps reste pur; dès que l'âme s'obscurcit, le corps se vautre dans la boue, dans la volupté. Mais revenons à David. Il avait commis un adultère, il ne le connaissait pas: il n'était incriminé par personne, et cela aux dernières limites de sa vieillesse! Apprenez que si vous êtes négligent, vos cheveux blancs ne vous serviront de rien, et, qu'au contraire, si vous êtes vigilant, votre jeunesse ne pourra pas vous nuire. Ce n'est pas l'âge qui fait les moeurs, c'est la droiture de la volonté: Daniel n'avait que douze ans et il fut pris pour juge; les vieillards comptaient des jours nombreux et ils inventèrent la fable de l'adultère (Da 13,45); aux uns la vieillesse ne servit de rien, à l'autre la jeunesse ne nuisit en rien. Et pour comprendre que ce n'est pas l'âge, mais la disposition de la volonté qui nous fait juger des actions vraiment sages, voyez David! il est arrivé à un âge avancé, et c'est avec des cheveux blancs qu'il tombe en adultère, qu'il commet un homicide, qu'il se laisse prendre par la passion, au point de ne pas se douter lui-même qu'il pèche; son guide, sa conscience est enivrée d'incontinence.

Dieu lui envoie Nathan, le prophète vient au prophète; c'est ainsi qu'on agit à l'égard du médecin: quand l'un d'entre eux est malade, alors il a besoin d'un autre. Voilà ce qui arrive ici; un prophète avait péché, un prophète se trouva pour apporter le remède. Nathan vient donc à lui, mais il ne commence pas, dès le seuil de la porte, à le gourmander et à lui dire: Scélérat, maudit, fornicateur, assassin quoi! Dieu t'a comblé de tant d'honneurs et tu violes ses commandements? Il ne dit rien de pareil afin de ne pas le rendre plus obstiné encore dans son crime; les fautes dénoncées en public ne font que provoquer le pécheur à l'impudence. Il vient donc à lui, et il lui arrange habilement la parabole d'un procès; que dit-il? O roi! j'ai à plaider devant vous. Un homme était riche, un mitre était pauvre; le riche possédait de nombreux troupeaux de boeufs et de moutons, le pauvre n'avait qu'une seule brebis qui buvait dans sa coupe, qui mangeait à sa table, qui dormait sur son sein. Ici le prophète désignait l'amour du mari pour son épouse. Un étranger lui étant venu, le riche ne touche pas à ses troupeaux, il prend la brebis du pauvre et l'égorge. (2S 12,1-15) Voyez comment le prophète dispose le tissu de son récit, comment il tient le fer caché sous l'éponge? Que fait le roi? S'imaginant avoir à juger l'affaire d'autrui, il porte sur-le-champ sa sentence; voilà comment les hommes ont coutume d'en user, ils portent et prononcent volontiers et sévèrement leur jugement contre les autres. Vive le Seigneur! dit David, ce riche mérite la mort, et il paiera la brebis au quadruple. Que répond Nathan? Il ne caresse pas longtemps la plaie, il la découvre de suite, il en fait rapidement la section afin de ne pas laisser perdre la sensation de la douleur. C'est vous, ô roi! Et que dit le roi? J'ai péché contre le Seigneur. Il ne dit pas: Qui es-tu pour me reprendre de cette sorte? qui t'a donné mission pour me parler avec cette liberté? quelle audace te pousse à agir ainsi? Il ne dit rien de pareil, mais il reconnaît son péché en ces termes: J'ai péché contre le Seigneur. Que lui répond Nathan? Et le Seigneur a remis ton péché. Tu t'es condamné toi-même, moi, je te fais grâce de la peine; en confessant ton péché franchement tu en as rompu la chaîne, tu as appelé toi-même le châtiment, moi je décline ma sentence. Voyez-vous comment s'accomplit le mot de l'Ecriture: Dis toi-même le premier tes péchés, afin que tu sois justifié? (Is 43,26) Et quelle difficulté y a-t-il à déclarer soi-même le péché?

182033. Vous avez encore une autre voie de pénitence: laquelle donc? C'est de pleurer votre péché. Avez-vous péché? Versez des larmes et vous rompez votre chaîne. Mais en quoi consiste ce labeur? Je ne vous demande pas que vous parcouriez les mers, ou que vous débarquiez en quelque port éloigné, ni que vous vous mettiez en course, ni que vous accomplissiez de lointaines pérégrinations, ni que vous exposiez vos biens, ni que vous subissiez L'épreuve des flots irrités; que demandé-je donc? que vous pleuriez sur les fautes que vous avez commises! - Mais, dites-vous, comment se fait-il que par mes larmes je me délivre du péché? - Vous en trouvez la preuve dans la divine Ecriture. Il était un roi nommé Achab, duquel il est attesté qu'il était juste; mais, sous l'influence de sa femme Jézabel, il régna pour le mal. Ce roi eut fantaisie de posséder la vigne d'un Jezraélitain, Naboth; il lui dépêcha un messager pour lui dire: (282) Donne-moi ta vigne que je convoite; et, en échange, accepte de moi ou de l'argent ou un autre terrain. Naboth répondit: Dieu me préserve de te vendre l'héritage de mes pères! Achab avait envie de la vigne, mais il ne voulait pas violenter l'homme, de telle sorte qu'il tomba malade de cette contrariété. Jézabel entra près de lui: cette espèce de femme impudente et emportée, chargée de souillures et de malédictions, lui dit: Pourquoi te chagriner, pourquoi refuser les aliments? Lève-toi et mange: je ferai en sorte que tu aies la vigne de Naboth le Jezraélitain. Et sur-le-champ elle écrivit aux anciens, sous le couvert du roi, une lettre conçue en ces termes: Publiez un jeûne et trouvez contre Naboth de faux témoins qui déclarent qu'il a béni Dieu et le roi, c'est-à-dire qu'il a blasphémé. O jeûne plein d'une suprême iniquité! Ils le publièrent afin d'accomplir un meurtre. Qu'arriva-t-il? Naboth fut lapidé et mourut. Dès qu'elle en eut connaissance, Jézabel dit à Achab: Debout! et prenons possession de la vigne: Naboth est mort. Achab eut un moment de regret; mais pourtant il entra dans la vigne et s'en empara. Dieu lui députa le prophète Elie: Marche, dit-il, et déclare à Achab: puisque tu as tué et usurpé, ton sang aussi sera versé, les chiens lécheront ton sang, les prostituées se laveront dans ton sang. (1R 26) La colère divine frappe, la sentence est portée, la condamnation s'accomplit. Où Dieu envoie-t-il le prophète? Voyez: c'est dans la vigne même; là où fut le péché, là est le châtiment. Que dit-il? Achab l'aperçoit et s'écrie: Toi, mon ennemi, tu as bien su me trouver! comme s'il disait: tu m'as surpris en faute, car j'ai péché aujourd'hui, tu as bonne occasion de m'écraser! Toi mon ennemi, tu as bien su me trouver! En effet Elie ne cessait de reprendre Achab; et celui-ci, ayant conscience de sa culpabilité, disait: Tu me réprimandais sans cesse; mais en ce moment c'est à juste titre que tu me foules aux pieds. Il savait bien qu'il avait péché. Elie lui dénonce en face la sentence divine. Puisque tu as tué et usurpé, puisque tu as versé le sang du juste, ton propre sang sera aussi versé; les chiens s'en abreuveront et les prostituées s'en laveront. A ces paroles, Achab est saisi de douleur, il gémit sur son péché, il reconnaît son iniquité et Dieu retire le jugement porté contre lui; mais auparavant Dieu s'en explique à Elie, de peur que ce prophète ne soit regardé comme menteur et ne se conduise comme Jonas.

La même chose en effet arriva à Jonas. Dieu lui dit: va, prêche dans la cité de Ninive, où habitent cent vingt mille hommes sans compter les femmes et les enfants: encore trois jours et Ninive sera détruite. (Jon 1,2) Jonas, qui connaissait bien la miséricorde de Dieu, ne voulait pas y aller. Que fit- il? Il s'enfuit; il se disait J'irai prêcher; mais vous, qui êtes si bon pour les hommes, vous changerez votre sentence, et moi je serai mis à mort comme faux prophète. La mer, après l'avoir reçu, ne l'ensevelit pas; elle le rendit à la terre; elle le conserva sain et sauf pour Ninive; en bon serviteur, l'océan garda cet autre serviteur de Dieu. Jonas, dit l'Ecriture, descendit à la côte pour s'enfuir; trouvant un navire en partance pour Tharsis, il paya son nolis et s'y embarqua. (Jon 1,2) Où fuis-tu, Jonas? Pars-tu pour une autre terre? Mais la terre dans toute sa plénitude appartient au Seigneur! Vas-tu sur les flots? Mais ignores-tu que la mer est à lui; c'est lui qui l'a faite! - Vas-tu dans les cieux? mais n'as-tu pas entendu David qui chantait: Je verrai les cieux qui sont l'oeuvre de vos doigts? (Ps 8,4) Poussé par la frayeur, Jonas croyait fuir: en réalité nul ne peut fuir Dieu. Dès que les flots l'eurent rendu, dès qu'il fut arrivé à Ninive, il se mit, à prêcher et à dire: Encore trois jours et Ninive sera détruite. Mais, qu'il se soit mis en fuite dans cette idée que Dieu, si doux aux hommes, reviendrait sur les menaces terribles qu'il leur faisait annoncer, et que le prophète passerait pour imposteur, comprenez-le par les indications que celui-ci fournit lui-même. En effet, après avoir prêché dans Ninive, il sortit de la ville et se mit à observer ce qui allait arriver. Quand il vit que les trois jours étaient passés et qu'aucune des malédictions annoncées ne s'était réalisée, alors il se remit en mémoire sa première pensée et il dit: Ne sont-ce pas les paroles que j'ai dites, que Dieu est miséricordieux, qu'il est patient, qu'il change d'avis sur les maux qu'il veut infliger aux hommes? (Jon 4,2) Pour éviter qu'il n'arrivât à Elie la même chose qu'à Jonas, Dieu lui exposa le motif pour lequel il fit grâce à Achab. Que lui dit-il? As-tu vu comme Achab est venu à moi triste et gémissant? Est-ce que j'agirai méchamment comme lui? (1R 21,29) Ah! voilà le maître qui (283) se fait l'avocat de son serviteur; voilà Dieu qui fait l'apologie d'un homme devant un autre homme! Ne t'imagine pas, dit-il, que je l'épargne sans raisons: il a changé ses moeurs, j'ai changé, j'ai tempéré ma colère. Qu'on ne te regarde pas comme faux prophète, car tu as dit la vérité. s'il n'eût changé ses moeurs, il eût souffert les maux dont ma sentence le menaçait; mais, parce qu'il s'est converti, moi aussi j'ai laissé tomber ma colère. Et Dieu dit à Elie: As-tu vu comme Achab est venu à moi triste et gémissant? Je n'agirai pas selon ma colère. - Et vous, voyez-vous comment les larmes délivrent du péché?

182044. Vous avez encore une troisième voie de pénitence. Si je vous montre ces voies si nombreuses, c'est afin que leur diversité vous rende le salut facile. Quelle est donc cette troisième voie? C'est l'humilité: soyez humble et vous rompez la chaîne de votre péché. Ici encore vous trouvez la preuve dans l'Ecriture, dans la leçon que nous donnent le publicain et le pharisien. (Lc 18,10) Le pharisien et le publicain, dit l'Evangile, montèrent au temple pour prier; le pharisien commença par énumérer ses vertus: moi, dit-il, je ne suis pas pécheur comme tout le monde ni comme ce publicain. Pauvre homme! misérable coeur! Tu as condamné tout l'univers en bloc, pourquoi écraser aussi ton voisin? N'était-ce pas assez d'attaquer tout le monde, sans condamner encore ce publicain? De la sorte tu infliges le blâme à tous les hommes et tu ne fais pas grâce à un seul: Je ne suis pas comme le reste des hommes, ni comme ce publicain: je jeûne deux fois la semaine, je donne aux pauvres la dîme de ce que je possède. Voilà le langage de l'arrogance. Malheureux, tu prononces le jugement du genre humain, soit! Mais pourquoi incriminer jusqu'à ton voisin, jusqu'à ce publicain? Ne serais-tu pas satisfait d'avoir accusé l'univers, si tu n'accusais encore ton compagnon? - Mais que fait le publicain? Après avoir entendu tout cela, il ne dit pas: Et toi, qui donc es-tu pour me dire de pareilles choses? Comment connais-tu ma vie? Tu n'as ni conversé avec moi, ni habité avec moi, ni passé ton temps avec moi. Pourquoi t'enorgueillir si fort? Qui donc rend témoignage de tes bonnes oeuvres? Pourquoi te louer toi-même? Pourquoi te flatter toi-même? Le publicain ne dit rien de semblable; mais, courbant la tête, il adora le Seigneur et s'écria: Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis pécheur! Le publicain s'humilie et il est justifié. Le pharisien descendit du temple après y avoir perdu la justice, et le publicain après l'y avoir acquise. les paroles de l'un eurent plus de mérite que les actes de l'autre. Celui-là perdit la justice avec ses oeuvres; celui-ci obtint la justice par une parole d'humilité. Et encore n'était-ce point proprement l'humilité, laquelle consiste en ce que celui qui est grand s'abaisse lui-même. Le fait du publicain n'était pas humilité, mais vérité: ses paroles étaient vraies, puisqu'il était pécheur.

182055. Qu'y a-t-il en effet de pire qu'un publicain? Il exploite les calamités d'autrui, il tire profit des peines d'autrui; il ne daigne pas voir le malheur pourvu qu'il en tire une part de bénéfice. L'iniquité du publicain atteint le comble. Le publicain n'est rien autre que la violence qui se met à l'aise, l'iniquité légalisée, la rapine sous un masque honnête. Quoi de pire que le publicain établi sur la grande route? Il moissonne les fruits du travail d'autrui; quand il s'agit de peine, il ne se donne nul souci; mais quand arrive le gain, il prend sa part dans ce qu'il n'a pas gagné. Donc, si le publicain, qui était un pécheur de ce genre, a obtenu un tel pardon en faisant preuve d'humilité, combien plus le méritera l'homme vertueux et humble! Si vous confessez vos péchés et si vous pratiquez l'humilité, vous êtes justifié. Voulez-vous savoir ce qu'est l'homme humble? Regardez saint Paul qui le fut vraiment, saint Paul, le docteur de toute la terre, l'orateur des âmes, le vase d'élection, le port du salut, la forteresse inexpugnable, saint Paul qui, avec sa petite taille, embrassait le monde entier et le parcourait en tous sens comme un aigle: voyez-le qui s'abaisse, ce sage qui se fait ignorant, ce riche qui se fait pauvre. Je l'appelle vraiment humble celui qui a épuisé le cours de travaux innombrables, qui a remporté sur le diable des milliers de trophées, qui a prêché et dit: La grâce n'a pas été stérile en moi, mais j'ai travaillé plus que tous (1Co 15,10); qui a subi les prisons, les blessures et les coups, qui a pris le monde dans ses épîtres comme dans un divin filet; celui qui fut appelé par une voix céleste, il était humble quand il disait: Moi, je suis le dernier des apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé apôtre. (1Co 15,9) Quelle grandeur d'humilité! Saint Paul a de lui-même si basse opinion (284) qu'il se range le dernier! Je suis le dernier des apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé apôtre. C'est la vraie humilité que de se mettre au-dessous de tous et de se proclamer le dernier. Songez à ce qu'était celui qui proférait de telles paroles: Paul, l'habitant des cieux revêtu d'un corps, la colonne de l'Eglise, l'ange terrestre, l'homme angélique! Je m'arrête avec joie en face de cet homme toutes fois, que j'aperçois l'éclatante beauté de sa vertu le soleil à son lever, lançant ses splendides rayons, ne réjouit pas mes yeux comme l'aspect de saint Paul illumine mon âme. Le soleil sans doute éclaire notre visage, saint Paul nous enlève jusqu'aux voûtes mêmes du ciel; il rend notre âme plus sublime que le soleil, plus haute que la lune tant est grande la puissance de la vertu! d'un homme elle fait un ange, elle porte l'âme comme sur des ailes jusqu'aux cieux. Cette vertu, Paul nous l'a enseignée; efforçons-nous d'en devenir les courageux imitateurs. Mais il ne faut pas sortir de notre sujet; mon but était de vous montrer que l'humilité est la troisième voie de pénitence, que le publicain ne fit pas précisément acte d'humilité, mais qu'il dit la vérité en mettant ses péchés à nu, et qu'il se justifia, non pas en déboursant de l'argent, non pas en parcourant la mer en tous sens, non pas en faisant une longue route à pied, non pas en se montrant généreux pour ses amis, non pas en dépensant un temps considérable, mais en pratiquant l'humilité; par là il obtint la justification, il fut jugé digne du royaume des cieux, duquel puissions-nous tous devenir participants, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et force appartiennent dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


18300

Troisième homélie.

De l'aumône et des vierges.


ANALYSE.

1. Résumé du sermon précédent: on y a vu trois voies de pénitence, ce discours va en montrer une quatrième: l'aumône. - 2. Explication de la parabole des dix vierges. - Sans l'huile de la charité la virginité ne peut ouvrir le ciel. - 3. Puissance (le l'aumône, elie protégera au jour du jugement ceux qui l'auront pratiquée. - Continuation de la parabole des dix vierges. - Difficulté de la virginité inconnue des anciens, et qui n'a paru sur la terre que depuis que la fleur de la virginité a fleuri. - 4. Récapitulation, exhortation.


183011. Savez-vous le point de départ de notre dernier discours et sa conclusion; savez-vous de quel sujet à quel autre les paroles de la précédente homélie ont passé? Je crois que vous l'avez oublié; et je ne vous en accuse ni ne vous en blâme: moi, je m'en souviens. Chacun de vous a femme et enfants, chacun de vous a le souci de, foutes les affaires domestiques; les uns sont occupés à l'armée, les autres sont artisans, tous sont absorbés par (285) des emplois divers. Mais nous, c'est à la parole divine que nous donnons nos soins, à elle que nous pensons, à elle que nous consacrons notre temps. Aussi, n'êtes-vous pas à censurer, mais plutôt à louer pour votre zèle, car vous ne nous avez pas abandonné un seul dimanche; laissant tout de côté, vous accourez à l'église en ce jour. La plus belle gloire de notre cité ne consiste pas à avoir des marchés et des faubourgs, des palais dorés et des salles de festin, mais à avoir une population zélée et active. L'arbre généreux se connaît non pas aux feuilles, mais aux fruits. Nous l'emportons sur les animaux irraisonnables précisément parce que nous avons la parole, que nous communiquons par la parole, que nous aimons la parole. L'homme qui n'aime pas la parole a moins de sens que les bêtes de somme, puisqu'il ne sait pas pourquoi il est honoré, pourquoi il mérite de l'être. Le Prophète a sagement dit: L'homme qui était élevé en honneur, n'a pas compris; il a été comparé aux animaux, il est devenu semblable à eux. (Ps 49,13) O homme, toi qui possèdes le privilège de la parole, tu n'aimes pas la parole! Quelle sera, dis-moi, ton excuse?Aussi, m'êtes-vous plus intimement chers que tout au monde, vous qui accourez à la parole de la vertu, vous qui mettez au-dessus de toutes vos affections la parole divine! - Mais allons, entreprenons notre sujet, développons la suite de ce que nous avons récemment expliqué: je suis votre débiteur et je paie une dette avec joie; ce payement, loin de m'apporter l'indigence, augmente ma richesse. Dans les affaires temporelles, le débiteur fuit son créancier pour éviter de payer; moi au contraire, je vous poursuis pour vous payer et je fais bien.: dans les affaires temporelles, s'acquitter c'est s'appauvrir, tandis que dans la dispensation de la parole, s'acquitter c'est s'enrichir. Je cite un exemple: je dois une somme à un créancier; si je la verse en payement, elle ne peut être en même temps entre ses mains et entre les miennes; elle me quitte pour lui appartenir; si au contraire je répands la parole de Dieu, elle me reste et elle devient le partage de tous; si je la retiens, si je ne la communique pas, c'est alors que je suis pauvre; mais si j'en fais largesse, c'est alors que je m'enrichis. Quand je ne distribue pas la parole, je suis seul riche; quand je la communique, j'en retire avec vous tous le profit.

Eh bien! payons donc notre dette! mais quelle est-elle? Nous entreprenions dernièrement un sermon sur la pénitence et nous disions que les voies en sont nombreuses et variées pour nous rendre le salut facile. Si Dieu ne nous eût donné qu'une seule voie de pénitence nous l'eussions refusée en disant: Nous ne pouvons pas la suivre, nous ne pouvons pas nous sauver! Mais voici que nous coupons cette objection par le pied! Ce n'est pas une voie de pénitence que Dieu vous donne, ni deux, ni trois; c'en est une foule et très-diverse, afin que leur multitude vous rende aisée votre ascension vers le ciel. Nous disions que la pénitence est facile, qu'elle n'impose pas un lourd fardeau. Etes-vous pécheur? Entrez à l'église et dites: j'ai péché, votre péché est remis. Nous avons apporté l'exemple de David, qui, après avoir commis un péché, en brisa ainsi le lien. Puis, nous avons établi la deuxième voie de pénitence: pleurer sur le péché; nous avons dit: quelle grande difficulté y a-t-il en cela? Il ne s'agit ni de débourser de grandes sommes, ni de faire à pied une longue route, ni d'accomplir rien de pareil, mais seulement de pleurer sur le péché commis; nous avons déduit cette conclusion de l'Écriture qui nous nous montre Dieu changeant ses desseins sur Achab, parce que celui-ci pleura et gémit; le Seigneur lui-même s'en expliqua à Elie: As-tu vu comment Achab est venu à moi dans les pleurs et les gémissements? Je n'agirai pas selon ma colère. (1R 21,29) Enfin nous avons touché la troisième voie de pénitence, nous avons cité, d'après l'Écriture, le pharisien et le publicain: le pharisien, vaniteusement fanfaron, perd la justification; le publicain, rempli d'humbles sentiments, en recueille au contraire tous les fruits, et, sans accomplir aucune oeuvre laborieuse, il se justifie: il donne des paroles, il gagne des réalités. Maintenant, poursuivons la suite de notre sujet, ouvrons la quatrième voie de pénitence. Quelle est-elle? C'est l'aumône, cette reine des vertus, cette excellente patronne, qui élève rapidement les hommes jusqu'aux voûtes des cieux. C'est une grande chose que l'aumône; aussi Salomon criait-il: Grand est l'homme, vénérable est l'homme miséricordieux! (Pr 20,6) L'aumône a des ailes puissantes: elle fend l'air, dépasse la lune, s'élance plus loin que les rayons du soleil, pénètre jusqu'aux sommets du ciel. Elle ne s'arrête pas encore là; elle franchit les cieux eux-mêmes, elle laisse en arrière (286) les troupes angéliques, les choeurs des archanges et toutes les puissances supérieures; elle se présente au trône même du Roi éternel. Voilà ce que vous apprend l'Écriture, quand elle dit: Corneille, tes aumônes sont montées en la présence de Dieu. (Ac 10,4) Ce mot en la présence de Dieu signifie ceci: lors même que tu aurais des péchés en foule, ne crains rien si tu as l'aumône pour avocate. Aucune des puissances d'en-haut ne lui résiste; elle réclame la dette, tenant en main son droit écrit: c'est la parole du Maître en personne: Celui qui a fait du bien au plus humble de ceux-ci, c'est à moi-même qu'il l'a fait. (Mt 25,40) Ainsi donc, votre aumône aura plus de poids que tous vos péchés ensemble, quelque nombreux qu'ils soient.

183022. N'avez-vous pas compris dans l'Evangile la parabole des dix vierges? elles gardèrent la virginité; mais, comme elles n'avaient pas l'aumône, elles furent exclues des noces de l'Époux. Il était dix vierges, cinq folles et cinq sages. (Mt 25,2) Les sages avaient une provision d'huile; les folles n'en avaient pas et laissaient leurs lampes s'éteindre. Les folles allèrent trouver les sages et leur dirent: Donnez-nous de l'huile de vos vases. J'ai honte et confusion, je pleure d'entendre une vierge appelée folle; je rougis quand ces mots accouplés frappent mon oreille! Après avoir pratiqué une vertu si belle, après avoir tant combattu pour la conservation de la virginité, après avoir élevé leur corps à une céleste sublimité, après avoir rivalisé avec les esprits angéliques, après avoir surmonté la fièvre ardente, la flamme de la volupté, elles sont appelées folles et folles à bon droit; puisque, après avoir accompli la grande oeuvre, elles échouent dans un détail. Et les folles s'approchant des sages, leur dirent: Donnez-nous de l'huile de vos vases. Celles-ci répondirent: Nous ne pouvons vous en donner, de peur qu'il n'y en ait point assez pour nous et pour vous. (Mt 25,8) Ce n'était ni la dureté de coeur, ni la méchanceté qui les faisait agir de la sorte, mais l'embarras du moment l'Époux était sur le point d'arriver. Elles avaient toutes leurs lampes; mais les unes avaient réservé l'huile, et les autres non.

Or, la flamme représente la virginité, et l'huile l'aumône; de même que la flamme s'éteint si elle n'est alimentée par l'huile; ainsi périt la virginité si elle ne se soutient par l'aumône. Donnez-nous de l'huile de vos vases, disent les unes. Nous ne pouvons vous en donner, répondent les autres. Cette parole ne vient pas d'un mauvais sentiment, mais d'une crainte prudente: il n'y en aurait peut-être pas assez pour nous et pour vous; nous avons peur qu'en cherchant toutes à entrer, nous ne soyons toutes laissées dehors; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. Quels sont les marchands de cette huile? Ce sont les pauvres, assis aux portes de l'église pour recevoir l'aumône. Et combien paie-t-on? Ce qu'on veut! Je ne fixe pas de prix, afin que vous ne fassiez pas objection de votre indigence. Achetez pour ce que vous avez. Avez-vous une obole? Achetez le ciel, non pas que le ciel se vende à vil prix, mais parce que Dieu est doux aux hommes. N'avez-vous pas même une obole? Donnez un verre d'eau: Celui qui donnera à cause de moi un verre d'eau froide à quelqu'un de ces petits, celui-là ne perdra pas sa récompense. (Mt 10,42) Le ciel est un négoce, une affaire à traiter: et nous perdons notre temps! Donnez un morceau de pain et recevez le paradis; donnez peu et recevez beaucoup; donnez ce qui meurt et recevez ce qui est immortel; donnez le corruptible et recevez l'incorruptible. S'il y avait grande foire, amenant ensemble l'abondance et le bas prix des denrées, de telle sorte que tout se vendît presque rien, est-ce que vous ne mettriez pas vos propriétés à l'encan? est-ce que vous ne laisseriez pas tout de côté pour vous rendre maître de ce coup de commerce? Là où ne sont que des biens périssables, vous déployez tant d'énergie; et là où se traite une affaire d'éternité, serez-vous si lâche et si indifférent? - Donnez au pauvre, afin que, si vous êtes vous-même obligé de vous taire, des milliers de voix puissent répondre pour vous, lorsque votre aumône s'élèvera et plaidera votre cause: l'aumône est la rançon de l'âme. Aussi, de même qu'aux portes de l'église sont placés des vases pleins d'eau dans lesquels vous lavez les mains de votre corps, de même à vos portes sont assis les pauvres qui vous offrent à purifier les mains de votre âme. Avez-vous lavé dans l'eau vos mains corporelles? lavez dans l'aumône vos mains spirituelles! Ne prétextez pas la pauvreté: la veuve donnait à Elie l'hospitalité au sein d'une extrême indigence, et, loin de s'en faire une excuse, elle accueillit le prophète avec une (287) grande joie (1R 17,9-16); aussi recueillit-elle une récolte digne de sa vertu, elle moissonna l'épi de son aumône. Mais quelqu'un de mes auditeurs dira peut-être: Amenez-moi aussi un Elie! - Que parlez-vous d'Elie? C'est le maître d'Elie que je vous amène, et vous ne le nourrissez pas! Comment donc recevriez-vous Elie, si vous le rencontriez? Voici la sentence du Christ, du Maître universel: Quiconque fera du bien à l'un de ces petits, c'est â moi qu'il le fera. (Mt 25,40) Si le roi invitait un homme à sa table et disait à ses serviteurs assemblés: Rendez en mon nom de grandes actions de grâces à cet homme; il m'a nourri et logé sous son toit dans ma détresse; il m'a comblé de nombreux bienfaits dans le temps de mes infortunes, est-ce que chacun ne sacrifierait pas tout son avoir en faveur de cet homme auquel le roi voudrait témoigner sa reconnaissance? est-ce que chacun ne ferait pas son éloge? Est-ce que chacun ne s'empresserait pas de se recommander à lui et de rechercher son amitié?

183033. Cette seule parole ferait la gloire et le bonheur de celui en faveur de qui elle serait dite, et ce n'est que la parole d'un homme; essayez d'après cela de vous représenter le Christ en ce grand jour où il fera, en présence de ses anges et de toutes les puissances célestes, l'appel de ses créatures et dira: Celui-ci sur la terre m'a donné l'hospitalité; celui-ci m'a prodigué mille bienfaits; celui-ci m'a recueilli dans mon exil quand j'étais étranger, imaginez ensuite la sainte confiance du juste au milieu des anges, son bonheur au milieu du peuple céleste! Celui de qui le Christ rend témoignage, pourrait- il ne pas jouir d'un crédit supérieur à celui des anges mêmes? L'aumône est donc une grande chose, mes frères! Embrassons-la comme l'oeuvre sans pareille! Elle est assez puissante pour effacer tous les péchés et pour écarter de vous le jugement: devant le juge vous vous taisez, et elle se tient à côté de vous et plaide votre cause; bien plus, vous vous taisez, et elle fait retentir ses mille et mille voix qui vous bénissent. Donnez selon la mesure de votre pouvoir, donnez du pain; si vous n'avez pas de pain, donnez une obole; si vous n'avez pas une obole, donnez un verre d'eau seulement; si vous n'avez pas même cela, compatissez aux misères d'autrui, et vous gagnez la récompense. La récompense appartient, non pas à l'action faite par contrainte, mais à la bonne volonté. Tandis que nous discourons sur ce point, la pensée des dix vierges nous échappe: revenons à notre sujet: Donnez-nous de l'huile de vos lampes. - Nous ne pouvons vous en donner, nous craignons qu'il n'y en ait pas assez pour vous et pour nous; mais retournez sur vos pas et achetez-en auprès des marchands. - Les vierges folles étaient parties pour faire leur emplette, l'époux arriva; les vierges qui avaient leurs lampes allumées entrèrent avec lui et la porte de la chambre nuptiale fut fermée. (Mt 25,10) Les cinq folles arrivèrent aussi et frappèrent à la porte en criant: ouvrez-nous; mais l'époux leur répondit de l'intérieur: retirez-vous: je ne vous connais pas! Après tant de peine qu'elles avaient prise, qu'entendirent-elles? Je ne vous connais pas, c'est-à-dire, comme je l'ai énoncé plus haut, qu'elles possédèrent vainement et inutilement le riche trésor de la virginité.

Examinez après quels travaux accomplis elles se virent exclues! C'est après avoir réfréné l'incontinence, après avoir lutté d'émulation avec les vertus d'en-haut, après avoir dédaigné les choses de ce monde, après avoir enduré de terribles feux, après avoir franchi mille obstacles, après avoir pris leur essor de la terre vers le ciel, après avoir conservé intact le sceau de leur corps, après avoir acquis le grand honneur de la chasteté, après avoir rivalisé avec les anges, après avoir foulé aux pieds les nécessités corporelles, après avoir mis la nature en oubli, après avoir accompli dans leur corps matériel ce qui fait le privilège des esprits immatériels, après avoir conquis la possession inexpugnable de cette belle virginité, après tout cela, elles entendirent: Eloignez-vous de moi; je ne vous connais pas. Et n'allez pas vous imaginer que ce soit une petite grandeur que celle de la virginité! La virginité est telle que pas un des anciens n'a pu la conserver. Nous devons à une grâce exceptionnelle que les choses qui furent si redoutables aux prophètes et aux anciens justes sont devenues maintenant aisées et faciles. Quelles étaient ces choses si lourdes et si dures? La virginité et le mépris de la mort: mais aujourd'hui de simples jeunes filles mêmes ne s'en font nulle frayeur. La possession de la virginité était autrefois tellement difficile que personne parmi les anciens n'eut la force de s'y exercer. Noë fut juste et sa vertu fut attestée de Dieu; mais il eut (288) commerce avec une femme. Abraham et Isaac furent aussi, comme lui, les héritiers de la promesse; mais ils eurent commerce avec une femme. Joseph le chaste refusa énergiquement de commettre le crime de l'adultère; mais il eut, lui aussi, commerce avec une femme. C'est qu'alors la profession de virginité était une lourde charge: la virginité n'est devenue robuste que depuis que la fleur de la virginité a germé. Aucun des anciens n'a donc pu la pratiquer, parce que c'est une grande affaire que de dompter le corps. Tracez-moi le portrait de la virginité et vous apprendrez la grandeur de cette vertu: elle a encore à soutenir chaque jour et de tous côtés une guerre qui ne peut lui laisser repos ni trêve, une guerre pire que celle des barbares. Les barbares en effet gardent des instants de relâche par suite des traités tantôt ils se lancent au combat et tantôt ils s'arrêtent; ils observent un certain ordre, ils respectent certains temps; mais la guerre contre la virginité n'a jamais de suspension d'armes. Celui qui pousse cette guerre est le démon qui ne sait pas épier patiemment l'occasion d'entrer en campagne, qui n'attend pas de renforts pour engager la lutte; il est toujours debout cherchant à surprendre la vierge au dépourvu pour la frapper d'un coup mortel: la vierge ne peut jamais cesser la bataille, elle porte partout avec elle le combat et l'ennemi. Les condamnés eux-mêmes, après avoir comparu sous les yeux du juge au temps nécessaire, ne sont pas tourmentés de cette sorte; mais la vierge, en quelque lieu qu'elle aille, conduit avec elle son juge et traîne son adversaire qui ne lui donne de repos ni le soir ni la nuit, ni à l'aurore ni en plein jour, qui l'attaque partout, en lui suggérant des images voluptueuses, en lui mettant le mariage en tête afin de chasser de son coeur la vertu et d'y faire naître le péché, afin d'en arracher la continence et d'y semer l'impureté. A chaque heure il met le feu à ce foyer de la volupté qui brûle si agréablement. Imaginez donc quel est le labeur de cette entreprise! Et pourtant, malgré tout cela, les vierges folles entendirent cette parole: Eloignez-vous de moi, je ne vous connais pas!

Voyez combien c'est une grande chose que la virginité: quand elle a l'aumône pour soeur, aucun obstacle ne lui résiste, elle est supérieure à tout. C'est pourquoi, si les cinq folles n'entrèrent point en la chambre nuptiale, c'est qu'elles n'eurent pas l'aumône avec la virginité. Quelle honte! Elles ont vaincu la volupté et n'ont pas méprisé l'argent; vierges, elles ont renoncé à la vie, et crucifiées, elles ont aimé les biens de la vie. Plût à Dieu que vous eussiez souhaité un mari! votre faute eût été moindre; vos désirs eussent eu pour objet ce qui est de même nature que vous, tandis que présentement votre culpabilité est plus grave, parce que vous avez désiré ce qui est d'une nature étrangère. Que celles qui se trouvent soumises à un mari se montrent inhumaines et dures, soit; elles ont leurs enfants pour prétexte. Si vous dites à l'une d'elles donne-moi l'aumône, elle répond: j'ai des enfants: je ne peux pas. Si Dieu t'a donné des enfants, s'il t'a fait recueillir le fruit de tes entrailles, ce fut pour te rendre humaine et charitable, et non pas dure et impitoyable: ne change donc pas une cause de douceur en motif de dureté. Veux-tu laisser à tes enfants un bel héritage? Laisse-leur l'aumône, afin que tous célèbrent ta louange, afin que tu lègues un souvenir illustre. - Mais toi qui n'as pas d'enfants, toi qui es crucifiée à cette vie, pourquoi amasses-tu les biens de cette vie?

18304 4. Notre discours s'est animé et sur le sujet de la pénitence, et sur celui de l'aumône. Nous avons dit que l'aumône est une magnifique possession; puis la question de la virginité, vaste comme l'Océan, s'est ouverte à nous. Vous avez donc pour première et grande voie de pénitence l'aumône, assez puissante pour rompre la chaîne de vos péchés; vous en avez une autre par laquelle vous pourrez vous affranchir du péché. Priez à chaque instant; mais priez sans défaillir, implorez la clémence divine sans lâcheté: Dieu ne résistera pas à votre persévérance, il vous fera remise de vos fautes, il vous accordera ce que vous demanderez. Si vous êtes exaucé pendant que vous priez, persistez dans la prière pour rendre grâces; si vous n'êtes pas exaucé, persistez encore pour obtenir de l'être. Ne dites pas: J'ai beaucoup prié et je n'ai pas été exaucé: c'est souvent pour votre propre utilité qu'il en arrive ainsi. Dieu sait que vous êtes paresseux et facile au découragement et que, vu besoins une fois satisfaits, vous vous retirez et cessez votre prière: il vous ajourne, il fait de vos besoins un moyen de vous obliger à vous adresser à lui plus assidûment et à le prier, avec ferveur. En effet si, pressé par la nécessité et l'indigence, vous êtes lâche, vous n'avez (289) aucune application à la prière, que seriez-vous si vous n'aviez besoin de rien? C'est donc pour votre avantage que Dieu agit de la sorte, il veut que vous ne laissiez pas la prière de côté. Persévérez donc, ne faiblissez pas: la prière peut obtenir beaucoup, mes amis; mais ne l'entreprenez pas comme une affaire de petite importance. Que la prière remette les péchés, apprenez-le des divins Evangiles eux-mêmes. Que disent-ils? Le royaume des cieux ressemble à un homme qui vient de fermer sa porte et d'aller à son repos avec ses serviteurs, lorsque arrive, à la nuit, un voisin qui réclame du pain et qui heurte en disant: Ouvre-moi; j'ai besoin de pain. Il lui répond: Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. L'autre continuant de heurter à la porte, il lui dit une seconde fois: Je ne puis t'en donner. Nous sommes couchés, mes serviteurs et moi. Le voisin, même après avoir entendu ce refus, resta à la porte heurtant toujours; il ne s'en alla pas que le maître de la maison n'eût dit: Levez-vous, donnez-lui ce qu'il demande et laissez-le partir. (Lc 11,5) L'Evangile nous enseigne donc qu'il faut prier toujours; ne vous rebutez jamais, et, si vous ne recevez pas ce que vous sollicitez, persévérez jusqu'à ce que vous le receviez. Vous trouverez dans les Ecritures plusieurs autres voies de pénitence. La pénitence fut, dès avant la venue du Christ, prêchée par son prophète Jérémie qui a dit: Celui qui est tombé ne se relève-t-il pas? Celui qui s'est égaré ne revient-il pas au chemin? (Jr 8,4) Et ailleurs: Ensuite je lui ai dit: après avoir commis la fornication, reviens encore à moi. (Jr 3,7) Ainsi Dieu nous a donné nombreuses et diverses les voies de pénitence afin de couper à la racine tout prétexte de lâcheté. Si nous n'en avions qu'une seule, nous ne pourrions pas y passer. Le diable fuit toujours devant la pointe acérée de la pénitence: avez-vous péché? entrez à l'église et effacez-y votre péché. Autant de fois vous tombez à terre, autant de fois vous vous relevez: de même autant de fois que vous aurez péché, autant de fois repentez-vous de votre péché et ne perdez pas courage; si vous péchez encore une fois, encore une fois repentez-vous et ne laissez pas échapper finalement par votre lâcheté l'espérance des biens futurs. Lors même que vous auriez péché sous les cheveux blancs de l'extrême vieillesse, entrez à l'église; faites-y pénitence: là réside le médecin qui guérit et non pas le juge qui condamne; là on n'exige pas le châtiment du péché, mais on octroie la rémission. Dites votre péché à Dieu seul: J'ai péché contre vous seul, j'ai fait le mal en votre présence (Ps 51,6), et votre péché vous sera remis. Vous avez encore une autre voie de pénitence, non pas la voie difficile, mais la voie facile entre toutes. Et laquelle? Pleurez sur votre péché. Voici ce que nous enseignent les divins Evangiles. Pierre, le coryphée des apôtres, le premier dans l'Eglise, l'ami du Christ, celui qui a reçu la révélation non pas des hommes, mais de Dieu, selon le témoignage rendu par le Seigneur: Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jona, parce que ce n'est ni la chair ni le sang qui t'ont révélé mes mystères; mais c'est mon Père qui est dans les cieux (Mt 16,17); ce Pierre que j'appelle ainsi parce que j'entends désigner le roc indestructible, la base inébranlable, le grand apôtre, le premier d'entre les disciples, le premier appelé et le premier obéissant, ce Pierre a commis une faute, non pas une faute légère, mais la plus grave que possible, en reniant le Seigneur: je le dis, non pas pour incriminer le juste, mais pour donner un modèle de pénitence; il a renié le Maître même de l'univers, le Protecteur et le Sauveur de toute créature. Mais, pour prendre ce sujet de plus haut, rappelons qu'un jour le Sauveur, voyant quelques disciples abandonner son enseignement, dit à Pierre: Et toi, ne veux-tu pas te retirer aussi? Mais Pierre lui répondit: Quand même il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas (Mt 26,35) Que dis-tu, Pierre? C'est Dieu qui te dénonce et tu résistes! Sans doute la bonne volonté de Pierre s'est montrée, mais la faiblesse de la nature s'est trahie et quand cela? Dans la nuit où le Christ fut livré: en ce moment donc, dit l'Evangile, Pierre se tenait auprès du foyer et se chauffait, lorsqu'une jeune fille s'approcha et lui dit: Hier, tu étais, toi aussi, avec cet homme. (Mt 26,69) Et il répondit: Je ne connais pas cet homme (Mc 14,68); et ainsi une deuxième, puis une troisième fois; et la dénonciation fut vérifiée. Alors le Christ regarda Pierre, lui parla le langage des yeux: il évita de lui parler des lèvres afin de ne pas accuser en face des Juifs et de ne pas couvrir de honte son propre disciple, mais il lui parla le langage des yeux comme pour lui dire: Pierre, ce que j'ai annoncé est arrivé. Pierre comprit et il se (290) prit à pleurer; il pleura, il versa non pas des larmes telles quelles, mais des larmes amères, faisant de ces larmes l'eau d'un second baptême; et par ces larmes amères il se purifia de son péché, de telle sorte qu'ensuite il reçut en garde les clefs du ciel. Et si les larmes de Pierre ont effacé un péché si énorme, comment se pourrait-il que vous n'obtinssiez pas remise du vôtre, si vous pleurez de même? Ce ne fut pas une faute légère que de renier le Seigneur, ce fut un crime considérable, terrible: et pourtant les larmes l'ont effacé. Pleurez donc, vous aussi, sur vos péchés; pleurez, non pas des larmes telles quelles, ni des larmes feintes, mais des larmes amères comme celles de Pierre; faites jaillir des profondeurs de votre âme la source des vraies larmes, afin que Dieu, ému de miséricorde, vous remette votre péché: il est doux à l'homme et il a dit: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu'il se convertisse, qu'il fasse pénitence et qu'il vive. (Ez 18,23) Il n'exige de vous qu'une petite peine et il vous offre un grand présent; il cherche que vous lui fournissiez l'occasion de vous ouvrir le trésor du salut. Apportez vos larmes et il vous accordera le pardon; apportez le repentir et il vous accordera la rémission de vos péchés. Fournissez un léger motif et vous gagnerez la plus belle récompense: il y a en effet une mise fournie par Dieu et une mise fournie par l'homme; et si nous apportons la nôtre, Dieu apportera une seconde fois la sienne. Il a déjà fourni sa part, je veux dire qu'il a créé le soleil, la lune, le choeur varié des astres, versé les flots de l'atmosphère, creusé les Océans, déployé les continents, distribué les montagnes, les collines, les forêts, les fontaines, les lacs, les fleuves, les innombrables familles des plantes, les beaux vergers, et tout le reste. Apportez donc aussi votre petite part afin qu'il puisse vous octroyer encore les choses du monde supérieur. Ne nous négligeons pas nous-mêmes, ne renonçons pas à notre salut, puisque nous avons devant nous, comme un immense océan, la bonté de ce Maître universel qui est le premier à regretter nos péchés. Devant nous s'ouvrent le royaume des cieux, le paradis et tous ces biens que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur n'a pas conçus, ces biens que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment. (1Co 2,9) Ne devons-nous pas mettre tout notre souci à faire quelque chose pour ne pas être exclus de tout cela? Ignorez-vous ce que dit saint Paul? lui qui s'est épuisé à tant de travaux, qui a remporté des milliers de victoires sur le démon, qui a porté ses pas en tout lieu habité, qui a parcouru la terre, la mer et les airs, qui a sillonné comme sur des ailes tous les points de l'univers, qui a été lapidé, maltraité, frappé de verges, qui a tant souffert pour le nom de Dieu, qui a été appelé d'en-haut par une voix céleste, écoutez ce qu'il dit, quelles paroles il fait entendre: Nous recevons de Dieu la grâce; mais de mon côté j'ai travaillé et j'ai fourni ma part; Et la grâce qui est en moi n'est pas demeurée inutile; car plus qu'eux tous j'ai travaillé et contribué. (1Co 15,10) Je connais, dit-il, je connais la grandeur de la grâce que j'ai reçue; mais elle n'a pas trouvé en moi un paresseux; les oeuvres que j'ai apportées pour ma part sont manifestes. - Et nous aussi, à cet exemple, enseignons à nos mains l'aumône afin de fournir notre petite part; pleurons nos péchés et gémissons sur nos iniquités, afin de prouver que nous fournissons notre petite part. Les dons que Dieu nous réserve sont grands, ils dépassent la portée de notre puissance; ce sont le paradis, le royaume céleste auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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Chrysostome Homélies 18200