Chrysostome Homélies 58200

Deuxième homélie. Contre les Manichéens et tous ceux qui calomnient l'Ancien Testament et le séparent du Nouveau, et sur l'aumône.

ANALYSE.

1. Résumé de la dernière homélie. - 2. L'antienne loi et la nouvelle sont du même législateur, du même Dieu. - 3. ces deus lois sont différentes, mais non pas opposées.- 4. Jérémie montre clairement qu'il n'y a qu'un Dieu pour l'Ancien et le Nouveau Testament. Contre les Juifs et les sectateurs de Samosate, son témoignage est décisif. - 5. Abraham eut deux fils, un de la servante, l'autre de la femme libre. C'est une allégorie, ce texte, admis par les Manichéens, les condamne. - 6. Les deux épouses d'Abraham figurent les deux testaments. Elles n'ont qu'un époux; donc aussi les deux testaments n'ont qu'un même Dieu. - 7. -10. Exhortation à la pratique de l'aumône.


58201 1. Je vous dois depuis longtemps l'explication des paroles de l'Apôtre. Peut-être mon retard vous a-t-il fait oublier cette dette, mais je n'ai pas oublié mon affection pour vous, car tel est l'amour: il veille et s'inquiète. Et non-seulement ceux qui aiment portent partout dans leur coeur ceux qu'ils aiment, mais ils se souviennent de leurs promesses plus que ceux qui en doivent recevoir l'accomplissement. Ainsi une tendre mère conserve les débris d'un festin pour ses enfants; ils oublient peut-être, mais elle s'en souvient, leur sert ces reliefs qu'elle a gardés avec soin, et rassasie leur faim. Que si les mères ont pour leurs enfants pareille tendresse, nous devons vous prouver notre amour par une sollicitude plus soigneuse encore et plus attentive, car la parenté spirituelle est plus forte que la parenté selon la chair; Quel est donc le festin dont nous vous avons conservé les restes? C'est la; parole de l'Apôtre, qui nous a déjà fourni la nourriture spirituelle en abondance, et dont nous avons déposé une partie dans vos âmes en réservant l'autre pour aujourd'hui, afin de ne pas fatiguer votre mémoire par. de trop longs discours. Quelle est cette parole? Parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit: J'ai cru c'est pourquoi j'ai parlé; et nous aussi nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. (2Co 4,43) De quelle foi est-il question? De celle qui opère les miracles, et dont le Christ a dit: Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne: Transporte-toi, et elle se transporterait? (Mt 17,19) ou de celle qui nous donne la connaissance et qui fait de nous des fidèles. Pourquoi? l'Apôtre a-t-il dit l'Esprit de foi et ce qu'est cette foi? Ce sont toutes choses que je vous ai expliquées selon mes forces, en vous parlant de l'aumône en même temps. J'avais encore à chercher le sens de ce mot: le même Esprit de foi, mais la longueur de mon discours me défendait d'examiner à fond cette parole; c'est pourquoi je la réservai pour ce jour, et je suis venu payer ma dette. Pourquoi donc l'Apôtre a-t-il dit: le même Esprit de foi? C'est pour montrer l'intime-union de l'Ancien Testament et du Nouveau. Il nous remet en mémoire une prophétie, en disant: Parce que nous avons le même esprit de foi, et en ajoutant: Selon qu'il est écrit. J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. (Ps 116,10) Cette parole, David l'avait autrefois prononcée; Paul la répète aujourd'hui pour montrer que c'est par la même grâce du (231) Saint-Esprit que la foi s'est solidement établie, et dans l'âme du prophète, et dans les nôtres. C'est comme s'il disait: C'est le même esprit de foi qui a parlé en lui et agi en nous.

58202 2. Où sont maintenant ceux qui calomnient l'Ancien Testament, qui déchirent le corps des Ecritures et attribuent à deux dieux différents l'Ancien Testament et le Nouveau? Qu'ils entendent comme Paul ferme leurs bouches impies, met un frein à leurs langues qui s'attaquent à Dieu, et montre par cette seule parole que le même Esprit règne dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau. Car ce seul nom de Testament nous donne l'idée d'une entière harmonie. On appelle l'un Nouveau, pour le distinguer de l'Ancien; et l'autre Ancien, pour le distinguer du Nouveau, comme Paul le dit lui-même: En disant le Nouveau Testament, il a marqué l'ancienneté du premier. (He 8,13) Or, s'ils ne venaient tous deux du même Maître, on ne pourrait appeler l'un Nouveau, l'autre Ancien. Cette différence de noms elle-même marque leur parenté, et la différence qui sépare l'un de l'autre n'est pas dans leur essence, mais dans le temps où ils ont paru; ce n'est qu'en cela que le Nouveau Testament est opposé à l'Ancien. Au reste cette différence des temps n'implique nul changement de Maître, nulle diminution de pouvoir. C'est ce que le Christ a lui-même fait entendre en disant: C'est pourquoi je vous le dis: Tout docteur instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles ét des choses anciennes. (Mt 13,52) Vous voyez des biens différents aux mains du même maître: S'il se peut qu'un même maître dispense des biens nouveaux et des biens anciens, rien n'empêche que l'Ancien Testament et le Nouveau soient du même Dieu. Cela même indique l'abondance de ses trésors qu'il fait paraître quand il dispense, non-seulement des biens nouveaux, mais encore des biens depuis longtemps amassés.

Il n'y a dans les deux Testaments que des différences de nom; du reste, nulle opposition, nulle contradiction. Car l'ancien devient ancien par le nouveau: or, ce n'est point là une opposition, une contradiction, mais une simple différence de nom. Mais j'irai plus loin. Les lois du Nouveau Testament et celles de l'Ancien seraient-elles différentes, j'affirmerais résolument qu'il n'y aurait nulle nécessité de les attribuer à deux dieux différents. Si dans ce même temps, pour les mêmes hommes, ayant les mêmes soins et les mêmes devoirs, Dieu avait fait des lois contradictoires, ce sophisme aurait peut-être une ombre de raison. Mais si ces deux Testaments ont été écrits pour des hommes différents, vivant dans des temps divers, et dans des circonstances diverses, la différence des lois implique-t-elle deux législateurs? Pour moi, je rie le vois pas; que nos adversaires parlent s'ils le peuvent, mais que pourraient-ils dire? Le médecin emploie souvent des remèdes contraires, sa science cependant n'est pas contradictoire: elle est une et constante. En effet, il brûle ou ne brûle pas, incise ou n'incise pas le même corps; tantôt il prescrit des breuvages amers, tantôt des breuvages doux: ces traitements sont opposés, la science qui les dicte est une et constante, elle n'a qu'un but unique, la santé du malade. N'est-il pas absurde de ne point blâmer un médecin qui emploie des remèdes contraires sur le même corps, et de condamner Dieu pour avoir donné à des hommes différents, et qui vivaient dans des temps différents, des lois différentes?

58203 3. Ainsi, les lois seraient-elles contraires, il ne faudrait point accuser Dieu: je viens de le prouver. Mais elles ne sont point contraires, elles sont seulement différentes; faisons-les comparaître devant nous. Ecoutez, dit Jésus, ce qui a été dit aux anciens: Vous ne tuerez pas. Voilà l'ancienne loi; voyons la nouvelle: Et moi je vous dis: quiconque s'irritera sans motif contre son frère méritera d'être condamné au feu de l'enfer. (Mt 5,21-22) Sont-ce là, dites-moi, des lois contraires. Est-il un homme, si peu de raison qu'il ait, qui le puisse prétendre? Si l'ancienne loi défendait le meurtre, et si la nouvelle le commandait, on pourrait dire qu'elles sont opposées. Mais quand l'une ordonne de ne point tuer, et que l'autre prescrit de ne pas même s'irriter, c'est une défense plus sévère, et non une défense contraire. L'une retranchait l'effet du mal, le meurtre; l'autre en arrache, la racine en proscrivant la colère; la première arrêtait le cours du vice, l'autre en dessèche la source même, car la racine et la source du crime sont dans la colère et le ressentiment. L'ancienne loi nous a préparés à recevoir la nouvelle, et la nouvelle a complété l'ancienne: Où est la contradiction? l'une retranche l'effet du mal, l'autre le (232) principe. L'une veut que nos mains soient pures de sang, l'autre ferme aux desseins pervers l'accès de nos âmes. Ces lois sont donc en harmonie, et non en opposition, comme s'efforcent à tout propos de l'établir les ennemis de la vérité, qui ne voient pas qu'ils jettent sur ce Dieu du Nouveau Testament la plus grave accusation de négligence et d'incurie. Car il serait convaincu (que ce blasphème retombe sur la tête de ceux qui me forcent de le proférer), et d'avoir mal réglé ce qui nous touche. Je vais dire comment: L'enseignement élémentaire de l'Ancien Testament est semblable au lait; la philosophie du Nouveau est une nourriture solide. Donnerait-on à l'enfant, avant le lait, de la nourriture solide? C'est là ce qu'aurait fait ce Dieu du Nouveau Testament, s'il n'avait commencé par donner l'Ancien. Avant de nous donner le lait, avant d'instruire notre enfance dans la loi, il nous aurait donné une nourriture solide. Et ce n'est point la seule accusation qu'on fasse peser sur lui, il en est une plus grave. Il serait coupable de n'avoir songé à notre génération qu'au bout de cinq mille ans. Si ce n'est point le même Dieu qui par ses prophètes, ses patriarches et ses justes, a pris soin de nous, si c'est un autre Dieu, sa Providence a été bien lente et bien tardive; on dirait que le repentir l'a porté a se souvenir de nous. Or, il serait indigne non-seulement d'un Dieu, mais du dernier des hommes, de laisser tant de temps périr tant d'âmes et de songer au bout des siècles à s'occuper du petit nombre qui survit:

58204 4. Voyez-vous les blasphèmes sans nombre de ces hommes qui assignent à deux dieux différents l'Ancien Testament et le Nouveau? Tous ces blasphèmes s'évanouissent, si nous accordons que les deux Testaments émanent du même Dieu. On verra alors que sa Providence a toujours disposé selon la sagesse les affaires des hommes, d'abord par la loi, aujourd'hui par la grâce, et que ce n'est pas depuis peu ni tout récemment, mais depuis le premier jour du monde, qu'il a pris soin de nous. Mais pour mieux fermer la bouche aux impies, appelons en témoignage les paroles mêmes des prophètes et des apôtres dont la voix proclame hautement que le législateur du Nouveau Testament est le même que celui de l'Ancien. Appelons Jérémie, le prophète sanctifié dès le sein de sa mère, qu'il nous montre clairement qu'il n'y a qu'un Dieu dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau. Que dit-il? Que proclame-t-il du chef-même du législateur? Je vous donnerai un Testament Nouveau, autre que celui que je donnai à nos pères. (Jr 31,31) Ainsi, le Dieu qui donne le Nouveau Testament est le même Dieu qui avait jadis donné l'Ancien. Cela ferme aussi la bouche aux sectateurs de Paul de Samosate, qui nient l'existence du Fils de Dieu avant les siècles. Car s'il n'était pas avant l'enfantement de Marie, s'il n'existait pas avant de se revêtir de la chair et de paraître à nos yeux, comment aurait-il. pu porter une loi sans exister? Comment aurait-il dit: Je vous donnerai un Testament Nouveau, autre que celui que je donnai à vos pères? Comment avait-il pu donner un Testament à leurs pères, puisqu'il n'existait pas, à ce que prétendent ces hérétiques? Contre les Juifs et contre les sectateurs de Paul qui sont attaqués du même mal, le témoignage du prophète suffit. Mais pour fermer aussi la bouche aux Manichéens, prenons des témoignages dans le Nouveau Testament, puisque l'Ancien ne compte point à leurs yeux, sans toutefois qu'ils fassent plus d'honneur au Nouveau; car, tout en paraissant lui rendre hommage, ils l'insultent aussi bien que l'Ancien: Premièrement, quand ils l'en séparent, ils ébranlent par cela seul son autorité. Car la vérité s'éclaire de la lumière des prophéties qui l'ont précédée, et à laquelle ces hommes ferment leurs yeux, sans comprendre qu'ils font plus d'injure aux apôtres qu'aux prophètes eux-mêmes. Voilà donc la première injure qu'ils font au Nouveau Testament. La seconde, c'est, qu'ils en retranchent une grande partie. Mais telle est la force des choses qui y sont contenues, que ce qu'il en reste suffira à mettre au jour leur malice. Car ces membres mutilés crient, redemandent et réclament sans cesse d'être réunis aux membres dont ils ont été violemment séparés et avec lesquels ils composaient un tout harmonique; un corps vivant.

58205 5. Comment donc montrerons-nous que le législateur est le même dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau? Par les paroles mêmes des apôtres que nos adversaires admettent, et qui paraissent au premier regard accuser l'Ancien Testament, mais qui le défendent au contraire, et prouvent qu'il contient une révélation divine et venue d'en-haut. C'est la sagesse du Saint-Esprit qui a voulu que, se trompant aux apparences, ceux qui calomniaient la loi admissent malgré eux et sans s'en douter la défense même de la loi (233) afin que s'ils voulaient voir la vérité, ils eussent des paroles où ils se pussent attacher, et que, s'ils persistaient dans leur incrédulité, ils n'eussent aucun espoir de grâce, ne croyant pas, pour leur malheur, aux choses mêmes auxquelles ils paraissent croire. En quel endroit donc le Nouveau Testament témoigne-t-il que l'auteur de ses lois est aussi le législateur de l'Ancien Testament? En bien des passages. Mais nous ne voulons en citer qu'un que les Manichéens ont conservé. Quel est-il? Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n'avez-vous point lu la loi? Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils, l'un de la servante, l'autre de la femme libre. (Ga 4,21-22) A ces mots, l'un de la servante, les hérétiques d'accourir, et, comptant que ces paroles renferment une accusation contre la loi, ils retranchent le reste, ils en font un appui à leur calomnie. Montrons par ce passage même qu'il n'y a qu'un législateur: Abraham eut deux fils, l'un de la servante, l'autre de la femme libre. C'est, dit l'Apôtre, une allégorie. (Ga 4,24) Comment est-ce une allégorie? Ce qui est arrivé au temps de la loi est la figure de ce qui arrive au temps de la grâce. De même qu'il y a deux épouses, de même il y a deux Testaments. Mais la parenté de l'Ancien Testament et du Nouveau apparaît d'abord en ce que l'un est la figure de l'autre. Car la figure n'est pas l'opposé de la vérité: elle est de même nature. Or, si le Dieu de l'Ancien Testament n'était point le Dieu du Nouveau, il n'aurait point, dans la figure des deux femmes, proclamé l'excellence du Nouveau Testament; et en admettant qu'il l'eût figurée, Paul n'aurait eu garde d'user de la figure. Et si l'on dit qu'il l'a fait pour condescendre à-la faiblesse des Juifs, il devait donc aussi, quand il prêchait aux Grecs, employer des figures grecques, et faire mention des faits que contient l'histoire des Grecs. Il ne l'a point fait, et ce n'est pas sans cause. Car il n'y là rien de commun avec la vérité; ici, il y a les lois de Dieu et sa révélation. Il y a donc manifestement parenté entre l'Ancien Testament et le Nouveau.

58206 6. Ce premier argument prouve donc le profond accord des deux Testaments. J'en trouve un second dans l'histoire même. De même que les deux épouses n'avaient qu'un mari, de même les deux Testaments n'ont qu'un législateur. S'il y en avait deux; l'un pour l'Ancien, l'autre pour le Nouveau, il n'était pas nécessaire de recourir à l'histoire. Car Sara et Agar n'avaient point deux maris différents, mais un seul. Ainsi en disant «Ces deux femmes figurent les deux Testaments» (Ga 4,24), l'apôtre ne veut rien dire autre chose sinon qu'il n'y a qu'un législateur, de même que les deux épouses n'avaient qu'un mari, Abraham. Mais l'une était esclave, l'autre femme libre. - Qu'importe? la question était seulement de savoir si elles eurent le même maître. Que les hérétiques admettent d'abord ce point, nous leur répondrons ensuite sur l'autre. Qu'ils soient forcés de s'y rendre, et leur dogme tombe en poussière. Car lorsqu'il sera démontré que le législateur de l'Ancien Testament est le même que celui du Nouveau, comme il l'est en effet, notre discussion est terminée. Mais sans nous»laisse troubler par leur objection, attachons-nous exactement à la parole de l'Apôtre. Il n'a pas dit: L'une était esclave, l'autre libre, mais: L'une engendrant pour la servitude. De ce qu'elle engendrait pour la servitude, il ne s'ensuit point qu'elle soit esclave; être engendré pour la servitude n'est point la faute de la mère, mais celle des enfants. C'est parce qu'ils se privèrent eux-mêmes de leur liberté par leur malice, et perdirent les droits de leur naissance que Dieu les traita comme des esclaves ingrats, les instruisant par une crainte incessante, les corrigeant par des peines et des menaces. Ne voit-on pas aujourd'hui encore grand nombre de pères traiter leurs fils, non en fils, mais en esclaves, et les contenir par la crainte? La faute n'en est point aux pères, mais aux enfants qui ont forcé leurs pères à traiter en esclaves des hommes libres. C'est ainsi que Dieu lui-même contenait en ce temps les peuples par la crainte et les châtiments, comme il eût fait un esclave ingrat. Il ne faut accuser ni Dieu ni la loi de ces sévérités, mais seulement les Juifs indociles au joug et qui avaient besoin d'un frein plus solide. Dans cet Ancien Testament, nous trouvons bien des hommes qui n'ont point été traités ainsi: Abel, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Elie, Elisée et bien d'autres qui s'élevèrent jusqu'à la philosophie du Nouveau Testament. Ce ne furent ni la crainte, ni les châtiments, ni les menacés, ni les punitions, mais l'amour divin, leur zèle ardent pour Dieu, qui les firent ce qu'ils ont été. Ils n'eurent besoin ni de préceptes, ni de commandements, ni de lois, pour pratiquer la vertu et fuir le vice; ces âmes bien (234) nées, généreuses, ayant conscience de leur dignité, sans terreur, ni châtiments embrassèrent la vertu, tandis que le reste des Juifs suivit la pente du mal et eut besoin du frein de la loi. Quand ils fabriquèrent le veau d'or et adorèrent des statues, ils entendirent ces mots: Le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur. (Dt 6,4). Quand ils commirent des meurtres et des adultères, ils entendirent ces mots: Tu ne tueras point, tu ne seras point adultère, et ainsi des autres commandements.

58207 7. Ce n'est donc pas la condamnation de la loi qu'elle ait employé la crainte et les châtiments comme on fait pour instruire et corriger des esclaves méchants: c'est sa plus belle louange, sa gloire la plus rare d'avoir arraché les hommes au mal où ils se livraient, de les avoir par sa force propre, délivrés du crime, corrigés et rendus dociles à la grâce, de leur avoir ouvert un chemin vers la philosophie du Nouveau Testament. Car c'était le même Esprit qui dictait les lois de l'Ancien Testament et celles du Nouveau, malgré leurs différences. C'est ce que Paul faisait entendre quand il disait: Parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé.

Et ce n'est point seulement pour cela qu'il disait: le même Esprit, mais pour une cause non moins importante. Je l'aurais expliqué aujourd'hui, mais je crains que mes enseignements répandus à flots trop abondants ne s'échappent de votre mémoire. Je réserve donc cette explication pour un prochain entretien, vous exhortant seulement à garder de celui-ci un entier souvenir, à observer exactement mes conseils et à joindre la sagesse pratique à la pureté du dogme. Il faut que l'homme de Dieu soit parfait et disposé à toute sorte de bonnes oeuvres. (
2Tm 3,17). A rien ne vous servirait la pureté du dogme si votre vie était impure, de même qu'une vie irréprochable vous serait inutile sans la pureté de la foi. Afin donc de nous assurer de parfaits avantages, affermissons-nous des deux côtés, que notre vie se pare des nobles fruits de toutes vertus, mais principalement de celui de l'aumône dont je vous ai déjà parlé, et qu'il faut pratiquer avec zèle, avec abondance. Quiconque sème peu, dit l'Ecriture, récolte peu; et celui qui sème dans les bénédictions récoltera dans les bénédictions. (2Co 9,6) Que signifient ces paroles, dans les bénédictions? c'est-à-dire avec abondance. Dans les choses matérielles, la semence et la moisson sont de même nature. Car celui qui sème répand dans la terre du froment, de l'orge ou d'autres semences pareilles, et quand il fait la moisson, il récolte les mêmes grains. Il n'en est point de même de l'aumône. Vous semez l'argent et vous récoltez la paix devant Dieu; vous donnez des richesses et vous recevez en échange le pardon de vos fautes; vous distribuez du pain et des vêtements, et en récompense vous vous préparez le royaume du ciel et mille biens que l'oeil de l'homme ne peut voir, ni son oreille entendre, ni sa pensée concevoir. Le premier de ces biens est que vous devenez semblables à Dieu, autant qu'il est possible à l'homme. Car c'est de l'aumône et de la charité que le Christ avait parlé quand il ajoutait: Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Mt 5,45) Vous ne pouvez faire luire le soleil, ni faire tomber la pluie, ni répandre vos bienfaits sur toute la face de la terre. Mais il suffit que vous employiez les biens que vous avez en bonnes oeuvres pour devenir semblables à Dieu qui fait luire le soleil autant qu'il est possible à l'homme de devenir semblable à Dieu.

58208 8. Ecoutez bien toutes ces paroles: sur les bons et sur les méchants, a-t-il dit. Agissez de même. Quand vous ferez l'aumône, ne recherchez point la vie passée, ne demandez pas compte de la conduite. Aumône signifie commisération; elle est ainsi appelée, parce qu'il n'en faut point priver même ceux qui en sont indignes. Car celui qui est miséricordieux accorde sa commisération non au juste, mais au pécheur. Car le juste est digne de louanges et de couronnes; le pécheur. a besoin de commisération et de pardon. Ainsi, nous imiterons Dieu, en donnant aussi aux méchants. Songez en effet combien il y a sur la terre de blasphémateurs, de scélérats, de fourbes, d'hommes souillés de tous les vices! Dieu leur donne leur pain de chaque jour, pour nous apprendre à étendre notre charité sur tous les hommes. Mais nous faisons tout le contraire. Car, non-seulement nous repoussons les méchants; les pervers; mais qu'il se présente un homme en bonne santé, que sa probité, son amour de la liberté, sa paresse même, s'il faut le dire, (235) condamnent à la pauvreté, il ne trouve qu'injures, outrages, railleries sans nombre; nous le renvoyons les mains vides, nous lui objectons sa bonne santé, nous lui reprochons sa paresse, nous lui demandons des comptes. Dieu vous a-t-il commandé de ne prodiguer que le blâme et les reproches à ceux qui sont dans le besoin? Dieu veut qu'on ait pitié d'eux, qu'on porte remède à leur pauvreté, et non qu'on leur en demande compte et qu'on les injurie. - Vous voulez, dites-vous, porter remède à leurs vices, les délivrer de la paresse, et pousser au travail ceux qui vivent dans l'oisiveté. - Donnez-leur d'abord, corrigez-les ensuite; ainsi, loin de vous faire accuser de dureté et d'inhumanité, vous ferez croire à votre bonté; car, celui qui, pour toute aumône, distribue le reproche, s'attire l'aversion et la haine; le pauvre ne peut supporter sa vue, et à juste raison; car il croit que ce n'est point par intérêt, mais par le désir de se dispenser de l'aumône qu'on lui fait des reproches, ce qui est la vérité; mais celui qui ajoute ses reproches à l'aumône, dispose le pauvre à entendre des conseils que dicte, non la dureté, mais la bonté d'âme. C'est ainsi que faisait Paul. Après avoir dit: Que celui qui ne travaille point ne mange point (2Th 3,10), il ajoute ce conseil: Pour vous, ne cessez point de faire le bien. (2Th 3,13) Il y a une apparente contradiction dans ces paroles. Si ceux qui ne travaillent point ne doivent pas manger, pourquoi conseillez-vous aux autres de persévérer dans la bienfaisance? Il ne saurait y avoir de contradiction. Si j'ai dit, nous répond l'Apôtre, que celui qui ne travaille point ne mange pas, ce n'est point pour détourner de l'aumône ceux qui sont disposés à la faire, mais pour détourner de là paresse ceux qui y consument leur vie. Ces paroles: qu'il ne mange point, excitent les uns au travail par la crainte que leur donne cette menace; et ces mots: Ne cessez point de faire le bien, invitent les autres à faire l'aumône et sont poux eux une exhortation salutaire. Quelques mains auraient pu se fermer devant la menace faite aux paresseux; mais l'Apôtre les ouvre à l'aumône en disant: Ne cessez pas de faire le bien. Car, donner à un paresseux est encore faire le bien.

58209 9. Ce dessein de l'Apôtre se manifeste dans la suite de son épître. Après avoir dit: Si quelqu'un ferme l'oreille aux paroles que contient cette lettre, notez-le et ne faites point société avec lui (2Th 3,15); après avoir ainsi chassé l'incrédule du sein de l'Eglise, il l'y ramène et le fait rentrer en grâce auprès de ceux qui l'avaient rejeté, en ajoutant: Ne le considérez point néanmoins comme votre ennemi, mais comme votre frère. (2Th 3,15) De même qu'après avoir dit: Que celui qui ne travaille point, ne mange pas, il engage ceux qui le peuvent à prendre grand soin d'eux; de même en ce passage, après avoir dit: Ne faites point société avec eux, il n'engage point ses auditeurs à abandonner le soin de ce malheureux, mais au contraire, il leur ordonne de veiller attentivement sur lui, en ajoutant: Ne le considérez point comme un ennemi, mais comme un frère. Vous avez cessé de faire société avec lui, mais ne cessez point de prendre soin de lui. Vous l'avez exclu de l'Eglise, ne l'excluez point de vôtre amour. Car c'est dans mon amour pour lui que je vous ai donné ces ordres. J'ai voulu, en le séparant de vous, le corriger et le guérir, pour le rendre ensuite au corps de l'Eglise. On voit des pères renvoyer leurs enfants de leur maison, mais ce n'est point pour qu'ils n'y rentrent jamais; c'est pour qu'ils se corrigent dans cet exil et reviennent meilleurs. Ce que j'ai dit suffit à confondre ceux qui reprochent aux pauvres leur paresse.

Mais il en est beaucoup d'autres qui ont recours pour se défendre, à des excuses pleines de dureté et d'inhumanité. Je vais les réfuter aussi, non pour leur enlever tout moyen de défense, mais pour les décider à abandonner de vains et inutiles prétextes, et à préparer par leurs oeuvres là défense vraie, la seule qui leur puisse servir au tribunal du Christ.

Quels sont donc ces prétextes vains et inutiles où se réfugient tant de gens? J'ai des enfants à élever, disent-ils, une maison à soutenir, une femme à nourrir, mille dépenses nécessaires. Je n'ai pas assez pour soulager tous les pauvres que je rencontre en mon chemin. Que dites-vous? Vous avez des enfants à nourrir et c'est pour cela que vous ne soulagez point les pauvres? Mais c'est pour cela même qu'il les faut soulager, pour ces enfants que vous élevez, afin de leur rendre favorable, au prix de quelques deniers, le Dieu qui vous les a donnés, afin de leur laisser, après votre mort, ce Dieu pour protecteur, afin de leur assurer la grâce et la faveur d'en-haut, par ces richesses (236) mêmes que vous dépensez pour Dieu. Ne voyez-vous pas que souvent les mourants inscrivent dans leurs testaments les riches et les grands qui ne sont point de leur famille, et les donnent pour cohéritiers à leurs enfants, pour assurer leur sort par de faibles dons, et cela sans savoir quels seront, pour ces enfants, après la mort du père, les sentiments de ceux qu'il a appelés à prendre part à son héritage. Et vous, qui connaissez la bonté, l'amour, la justice de votre Seigneur, vous ne l'inscrirez pas dans votre testament? vous ne le donnerez pas pour cohéritier à vos enfants? Est-là, dites-moi, de l'amour paternel? Si vous aimez ces enfants que vous avez mis au monde; laissez-leur des créances dont Dieu soit le garant. Voilà leur plus bel héritage, voilà leur richesse, voilà leur sécurité. Appelez-le avec eux au partage de vos biens d'ici-bas, afin qu'en retour il vous appelle avec vos enfants à partager l'héritage céleste. C'est un héritier généreux, humain, bon, puissant et riche: vous n'avez à suspecter en rien sa société. On donne encore à l'aumône le nom de semence, parce qu'elle n'est point une dépense, mais un revenu. Quand vient le temps des semailles, vous videz sans difficulté vos greniers pleins du blé des récoltes passées; vous ne songez qu'à la moisson qui en doit sortir, mais que vous n'avez point encore, et cela sans savoir aucunement ce qui adviendra. Car la nielle, la grêle, les sauterelles, les intempéries, mille fléaux enfin viennent parfois briser l'espoir de la saison prochaine. Et quand il faut semer dans le ciel des moissons qui ne craignent point les intempéries, où vous n'avez à redouter ni malheur ni déception, vous hésitez, vous reculez? Quelle excuse aurez-vous, vous qui semez dans la terre sans crainte ni hésitation, et qui, lorsqu'il faut semer dans la main de Dieu, doutez et différez? Si la terre rend ce qu'on lui confie, la main de Dieu ne rendra-t-elle pas avec usure tout ce que vous y aurez déposé?

58210 10. Ce que sachant, ne considérons point la dépense quand nous faisons l'aumône; considérons le revenu qu'elle rapporte, les espérances qu'elle nous donne pour l'avenir, et même le gain qu'elle nous assure aussitôt. Car non-seulement l'aumône nous ouvre le royaume des cieux, mais elle nous procure dans là vie présente la sécurité et l'abondance. Qui nous l'assure? Celui qui est maître de dispenser ces biens. Celui qui donne aux pauvres, dit-il, recevra le centuple en ce monde, et aura en partage la vie éternelle. (Mt 19,29) Voyez-vous qu'une large rémunération nous est promise, dans l'une et l'autre vie? N'hésitons donc point, ne différent point, mais chaque jour recueillons les fruits de l'aumône, afin de jouir de la prospérité en ce monde et d'obtenir la vie éternelle. C'est ce que je souhaite à nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


58300

Troisiéme homélie. Dieu a tenu envers les justes de l'Ancienne Loi la même conduite qu'envers tous les fidèles de la Loi nouvelle. De l'aumône.

ANALYSE.

1. Résumé de la dernière homélie. - 2. Ce n'est pas seulement pour nous montrer l'accord des deux testaments, que saint Paul a dit: Parce que nous avons le même esprit de foi, c'est pour une autre raison, qui fera le sujet de la présente homélie. - 3.-5. Etat du monde dans les premiers temps de la prédication chrétienne. - 6. Souffrances de saint Paul. - 7. Utilité des souffrances en général. - 8. Même dans l'Ancien Testament, on trouve des justes dont la récompense est différée à l'autre vie. Voilà la seconde raison pour laquelle saint Paul a dit: Parce que nous avons le même esprit de foi. Il veut encourager les fidèles de son temps. - 9.-10. La conduite de Dieu n'a point été la même envers les saints qu'envers la multitude, dans l'Ancien Testament. - 11.-12.. Exhortation à l'aumône.


58301 1. Dans la précédente réunion et dans l'avant-dernière, nous avons pris pour texte une parole de l'Apôtre, et nous avons consacré à l'expliquer notre discours tout entier. Nous voulons encore l'examiner aujourd'hui. Nous le faisons à dessein, pour vous être utile, et non par ostentation. Je ne songe point à faire montre d'abondance et de fécondité. C'est pour vous révéler la sagesse de Paul et exciter votre zèle, que je reviens sur le même sujet. La profondeur de son esprit sera plus manifeste, si une seule de ses paroles nous ouvre une si féconde source de pensées; et quand vous verrez que d'un seul mot de l'Apôtre on peut tirer d'ineffables trésors de sagesse, vous ne vous contenterez pas d'effleurer négligemment ses lettres, mais vous pénétrerez plus avant, et dans l'espoir d'y trouver ces richesses, vous examinerez avec le plus grand soin chacune de ses paroles. Car si une seule nous fournit la matière de trois entretiens, quel trésor nous ouvrirait un passage entier, exactement étudié? Ne nous lassons donc point avant d'avoir épuisé cette pensée. Car si ceux qui creusent les mines d'or, quelques richesses qu'ils aient tirées, ne s'arrêtent point avant d'avoir pisé la veine, ne devons-nous point montrer plus d'ardeur et de zèle dans la recherche de la sagesse divine? Nous aussi nous extrayons de l'or, non de l'or matériel, mais de l'or spirituel; nous creusons, non point les mines de la terre,. mais les mines de l'Esprit-Saint. Car les lettres de Paul sont les mines et les sources de l'Esprit-Saint; les mines, car elles nous donnent une richesse plus précieuse que tout l'or de la terre; les sources, car jamais elles ne tarissent: plus on y puise, plus elles sont abondantes. J'en prends à témoin le temps écoulé. Depuis l'époque où vivait Paul, cinq cents ans sont passés, et tout ce temps, mille écrivains, docteurs et commentateurs ont tiré de ses lettres des richesses sans nombre, sans épuiser le trésor qu'elles contiennent. Ce trésor. n'est point matériel; c'est pourquoi, au lieu de s'épuiser sous les mains qui le creusent, il s'augmente et s'enrichit. Je parle de nos devanciers; mais après nous, combien d'autres parleront, et après eux combien encore, sans que la source se dessèche, sans que la raine s'appauvrisse! C'est une miné spirituelle et dont on ne trouvera point le fond. Quelle était donc la parole de l'Apôtre qui faisait le sujet de mes derniers discours? Parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé.

58302 2. Nous avons cherché pourquoi l'Apôtre (238) avait dit: Le même esprit de foi, et nous en avons exposé une cause. C'était afin de montrer l'accord de l'Ancien Testament et du Nouveau. Car si l'on fait voir que c'est le même Esprit qui parlait parla bouche de David quand il disait: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé (Ps 116,10), et qui agissait dans l'âme de Paul, on aperçoit aussitôt la parenté qui unit les prophètes et les apôtres, et il suit de là qu'il y a parfait accord entré l'Ancien Testament et le Nouveau. Mais je m'abstiens de redites fastidieuses, et vais exposer la seconde cause qui a fait dire à l'Apôtre: Le même esprit de foi. Car je vous ai promis de vous faire connaître cette seconde cause. Prêtez-moi toute votre attention. La pensée que je vais vous développer est profonde, et demande de la perspicacité et de la pénétration. C'est pourquoi je vous engage à écouter sans en rien perdre ce que je vais vous dire. A moi la peine, à vous le bénéfice. Mais je rie dois pas dire: à moi la peine, car le Saint-Esprit me donnera la grâce, et quand c'est,lui qui nous révèle la sagesse, il n'y a de peine ni pour l'orateur, ni pour les auditeurs, mais pour tous la tâche est facile. Soyez donc attentifs; car entendriez-vous la plus grande partie de mes paroles, si votre attention sommeille un moment, vous ne saisirez pas la beauté de l'ensemble, ayant une fois perdu le fil de mon discours. De même que ceux qui ne connaissent point leur chemin et ont besoin d'un guide, seraient-ils allés très-loin à sa suite, si, par négligence, ils le perdent de vue un, moment, l'office qu'on leur a rendu leur devient inutile, ils s'arrêtent et ne savent où se diriger; ainsi des auditeurs qui écoutent une instruction, s'ils se relâchent un moment de leur attention, perdent la suite des pensées et ne peuvent point parvenir à la conclusion. Pour qu'il ne vous advienne point ainsi, prêtez une constante attention à mes discours, jusqu'à ce que nous arrivions ensemble à la conclusion.

58303 3. L'Apôtre a dit: Parce que nous avons le même esprit de foi, voulant montrer que dans l'Ancien Testament, comme dans le Nouveau, la foi est la mère de tous les biens. Pour le prouver, remontons un peu plus haut. La cause nous paraîtra ainsi plus manifeste. Quelle est donc cette cause? Au moment où parlait l'Apôtre, la guerre entourait les fidèles, guerre terrible et sans trêve. Des villes entières, des peuples divers se levaient contre eux; les tyrans leur dressaient des embûches, les rois s'apprêtaient à la guerre, les armes s'agitaient, les épées s'aiguisaient, on préparait des soldats, on imaginait mille châtiments, mille supplices: pillage et confiscations, prison, exécutions quotidiennes, tourments, chaînes, bûchers, glaives, bêtes féroces, gibets, roues, précipices, abîmes, il n'était rien qu'on n'inventât pour exterminer les fidèles. Et là ne s'arrêtait point la guerre. Car non-seulement les ennemis l'attisaient, mais la rature était divisée contre elle-même. Les pères faisaient la guerre aux enfants, les filles haïssaient leurs mères, les amis détestaient leurs amis, dans toutes les familles, dans toutes les maisons se glissait la discorde, et le trouble était grand sur la terre. Et de même qu'un navire au milieu des vagues soulevées, des nuées qui s'entr'ouvrent, des tonnerres qui éclatent, des ténèbres qui couvrent tout d'une épaisse nuit, de la mer en fureur, des monstres qui se dressent, des pirates qui attaquent, des dissensions de l'équipage, ne saurait échapper au danger, si une main d'en-haut, forte et puissante, ne détournait la guerre, n'apaisait la tempête, et ne rendait le calme aux navigateurs; ainsi advint-il dans les commencements de la prédication. Car non-seulement au dehors la tempête se déchaînait, mais souvent au dedans régnait la discorde. Qui nous rapprend? c'est Paul lui-même quand il écrit: au dehors la lutte, au dedans les terreurs. (2Co 7,5) Et pour vous prouver la vérité de ce que j'avance, et que maîtres et disciples étaient entourés de mille maux et victimes d'une guerre universelle, j'appellerai encore Paul en témoignage. Souvenez-vous de toutes mes paroles, et lorsque vous connaîtrez les dangers, les épreuves et les malheurs sans nombre où étaient exposés les fidèles en ce temps, vous rendrez plus d'actions de grâces à Dieu qui conjura tous ces dangers, donna aux hommes une paix profonde, éloigna la guerre et rétablit dans le monde le calme et la tranquillité; que désormais les indifférents ne comptent pas échapper au châtiment, et que les justes relèvent la tête!

58304 4. En effet, il n'y a point un égal mérite à montrer le même zèle au milieu des attaques et des orages, ou dans le calme et la sécurité du port. Or, les fidèles alors n'étaient pas moins agités que des matelots ballottés par les flots en courroux, tandis qu'aujourd'hui nous (239) sommes sans trouble, comme le navire au port. Prenons donc garde de nous enorgueillir de notre foi, de succomber aux tentations, ou d'abuser, pour nous relâcher, de la paix de l'Eglise. Ne cessons point de jeûner et de veiller, car nous avons encore à lutter contre les passions de notre nature. Nous n'avons plus d'ennemis dans les hommes, mais nous en trouvons dans les plaisirs de la chair! Les tyrans et les rois ne nous font plus la guerre, mais la colère, la vanité, l'envie, la jalousie, et les autres sentiments coupables nous la font encore. A peine délivrés d'une épreuve, il s'en. présente de nouvelles où if faut triompher. Si je vous ai rappelé les malheurs de ces temps, c'est afin que ceux d'entre vous qui sont éprouvés aujourd'hui soient efficacement consolés, et que ceux qui vivent dans le calme et ne sont point exposés à ces périls, mettent tout leur zèle à combattre les pensées déraisonnables. C'est pour nous instruire, nous consoler, nous soutenir, que toutes ces choses ont été écrites. Je vais vous les faire connaître, et vous montrer la grandeur des dangers que couraient alors, non-seulement les maîtres, mais les disciples; écoutez ce que Paul écrit aux. Hébreux:rappelez en votre mémoire ce temps auquel, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats et de terribles persécutions. (He 10,32) Car il n'y eut pas le plus petit intervalle de temps: dès le premier jour que fut prêchée la doctrine, les fidèles furent éprouvés, et, dès le baptême, tombèrent dans les périls. Et voici comment: D'une part, vous avez servi de spectacle au monde par les outrages et les tribulations que vous avez endurés. (He 10,33) Ils étaient conspués, injuriés, moqués, bafoués; on les appelait fous, insensés, parce qu'ils avaient renoncé à la religion de leurs pères 'et adopté de nouveaux dogmes. Ces outrages pourraient certes ébranler une âme où la foi n'aurait pas poussé de profondes racines. Car rien ne blesse une âme aussi cruellement que l'outrage, rien n'anéantit l'esprit et la raison comme la moquerie et la raillerie. Bien des hommes ont succombé au sarcasme. Je vous dis ces choses afin que nous nous attachions avec confiance à notre foi. Car, si dans le temps que le monde entier outrageait les fidèles, ils ne succombèrent point, à plus forte raison devons-nous, avec une entière confiance, nous attacher à la vérité révélée, quand toute la terre a embrassé notre foi. Or, non-seulement les fidèles supportèrent alors les accusations, les injures et les outrages, mais ils eurent de la joie à les souffrir; la suite des paroles de l'Apôtre nous le prouve: Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés. (He 10,34) Voyez-vous qu'autrefois on confisquait les biens des fidèles, et qu'on les livrait en proie à quiconque leur voulait nuire? Voilà donc ce que Paul écrit aux Hébreux,

58305 5. Il rend aux Thessaloniciens le même témoignage: Vous êtes devenus, leur dit-il, nos imitateurs et les imitateurs du Seigneur, ayant reçu la parole de l'Evangile parmi de grandes afflictions. (1Th 1,6) Vous voyez que ce peuple avait aussi des afflictions, et de grandes afflictions. Les tentations étaient violentes, et continuels les dangers; ni repos, ni trêve pour ceux qui luttaient alors. Mais parmi ces maux, ils ne s'indignaient point, ils ne perdaient point courage; au contraire, ils se réjouissaient. Comment le savons-nous?. par les paroles mêmes de Paul. Après avoir dit: Parmi de grandes afflictions, il ajoute: Avec la joie du Saint-Esprit. (1Th 1,6) De la tentation naissaient les afflictions, mais ils se réjouissaient en songeant à la cause de la tentation. Ce leur était une suffisante consolation de savoir qu'ils souffraient pour le Christ. Aussi, je les admire moins d'avoir en ces temps supporté les afflictions, que de s'être réjouis de souffrir pour Dieu. Car une âme généreuse et pleine de l'amour de Dieu, sait supporter les afflictions et les peines; mais supporter dignement la tentation et rendre grâces à Celui qui permet qu'on soit éprouvé, c'est-là le signe du plus excellent courage, d'une âme zélée et qui s'élève au-dessus de toutes les choses terrestres.

Ce n'est point seulement en ce passage, mais dans d'autres encore que l'Apôtre nous enseigne tout ce que les fidèles de ce temps avaient à souffrir de leurs proches et de leurs parents, et c'étaient les plus terribles maux. Vous êtes devenus, dit-il, les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont dans la Judée. En quoi sont-ils devenus leurs imitateurs? En ce que vous avez souffert les mêmes persécutions de la part de vos concitoyens que ces Eglises ont souffrances de la part des Juifs. (1Th 2,14) Voilà encore la guerre, mais la guerre civile, surcroît de douleurs. Si un ennemi m'avait outragé, je l'aurais souffert, dit le prophète; mais c'est toi qui vivais dans un merde esprit (240) avec moi, qui étais le chef de mes conseils, mon plus cher confident. (Ps 84,13 Ps 44) Cette figure étais alors réalisée. Aussi les hommes avaient besoin de grandes consolations. Ce que voyant Paul, et que ceux qu'il avait mission de conduite souffraient et faiblissaient sous le poids des maux et des douleurs qui se succédaient sans nombre, il s'ingénie à relever leurs courages. Tantôt il leur dit: Il est bien juste devant Dieu qu'il. afflige à leur tour ceux qui vous affligent maintenant, et qu'il vous console avec nous, vous qui êtes comme nous dans l'affliction. (2Th 1,6-7) Tantôt: Le Seigneur est proche, ne soyez point inquiets. (Ph 4,5-6) Ne perdez point votre confiance: car la patience vous est nécessaire, afin qu'en faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis. (He 10,35-36) Et pour les engager à la patience, il ajoute: Car, encore un peu de temps, et Celui qui doit venir viendra, et, ne tardera point. (He 37) Quand un petit enfant pleure, s'irrite et demande sa mère, on s'assied près de lui, et pour le consoler, on lui dit: attends encore un peu de temps, ta mère va venir assurément; de même Paul, voyant les fidèles de ces temps en proie à la douleur, se plaindre et demander, dans l'intolérable excès de leurs maux, la venue du Christ, il leur dit pour les consoler: Encore un peu de temps; et Celui qui doit venir viendra et ne tardera point.

58306 6. Les disciples étaient donc affligés, entourés de maux, et, comme des agneaux au milieu des loups, poursuivis et persécutés, vous l'avez vu. Ceux qui les instruisaient ne souffraient pas de moindres maux, mais des maux plus grands; car plus ils confondaient les ennemis de la foi, et plus ils en étaient tourmentés. L'Apôtre, à qui nous empruntions les précédentes citations, nous l'apprendra encore. Il écrivait aux Corinthiens: Nous prenons garde aussi nous-même de ne donner à personne aucun sujet de scandale, afin que notre ministère ne soit point déshonoré. Mais en toutes choses Nous nous montrons ministre de Dieu, par une grande patience dans les maux, dans les nécessités, dans les extrêmes afflictions, dans les plaies, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes. (2Co 6,3 2Co 6,6) Vous voyez combien de maux il a comptés, que d'épreuves et, d'orages! Il leur écrit encore: Sont-ils ministres de Jésus-Christ? quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis plus qu'eux. (2Co 11,23) Ensuite, pour nous convaincre que le don des miracles est d'un moindre prix que la patience à souffrir pour Jésus-Christ, et faisant valoir sa qualité d'apôtre pour montrer qu'il vaut mieux que les autres, je ne dis point les autres apôtres, mais les faux apôtres, ce ne sont point ses miracles qu'il doue comme des preuves de sa supériorité, mais les continuels dangers où il a vécu. J'ai plus souffert de travaux, dit-il, plus reçu de coups, plus enduré de chaînes. Je me suis souvent vit tout près de la mort. J'ai reçu des Juifs, en cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet. J'ai été trois fois battu de verges, lapidé une fois; j'ai fait naufrage trois fois, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la nier, j'ai été souvent exposé dans les voyages: périls sur les fleuves, périls des voleurs, périls de la part de ceux de ma nation, périls au milieu des villes, périls au milieu des déserts, périls sur la mer, périls entre les faux frères. Enfin j'ai souffert toute sorte de travaux et, de fatigues, les veilles fréquentes, la faim, la soif, les jeûnes réitérés, le froid, la nudité, et d'autres maux outre ces maux extérieurs. (2Co 11,23 2Co 11,29) Telles sont les vraies marques de l'apostolat. Bien d'autres ont fait des prodiges et n'en ont tiré, d'autre fruit que d'entendre ces paroles: Retirez-vous, je ne vous connais pas, ouvriers d'iniquité! (Mt 7,23) Ceux qui peuvent, comme Paul, énumérer leurs souffrances, n'entendront ces paroles, mais avec confiance ils monteront au ciel pour y jouir de tous les biens réservés. aux élus.


58307 7. Mon discours vous semble long peut-être, mais soyez sans crainte, je n'oublie point ma promesse, et j'y reviens aussitôt. Ce n'est point sans dessein que je me suis étendu; c'est pour vous donner plus de preuves et rendre ma démonstration plus claire, et ensemble pour relever les âmes affligées, pour que chacun de ceux qui sont dans les tentations et les dangers emporte une consolation efficace, en sachant que ces souffrances le mettent en compagnie de Paul, et même du Christ, le Roi des anges. Car celui qui participe ici-bas à ses douleurs participera là haut à sa gloire: Si nous souffrons ensemble, dit-il, c'est pour être glorifiés ensemble (Rm 8,17); et encore: Si nous supportons les mêmes maux, c'est pour partager la même couronne. (2Tm 2,12) (241) Il faut de toute nécessité que les fidèles soient éprouvés: Tous ceux qui voudront vivre dans la religion du Christ souffriront la persécution. (2Tm 3,12) Ailleurs il est écrit Mon fils, si tu veux servir Dieu, prépare ton âme à la tentation; sois juste et fort. (Qo 2,4) - Voilà d'encourageantes promesses! Tout d'abord les tentations! Est-ce donc une puissante exhortation, une sensible consolation, pour qui se consacre au service de Dieu, de trouver des dangers dès les premiers pas? Oui, c'en est une puissante, admirable, féconde. Et comment? Écoutez la suite: Comme on éprouve l'or dans le feu, de même Dieu éprouve ses élus au creuset de la tentation. (Qo 2,5) Voici le sens de ces paroles: de même que l'or soumis au feu devient plus pur, de même l'âme éprouvée par les afflictions et les traverses du sort plus brillante et plus belle, et se purifie de toutes ces souillures du péché. C'est pourquoi Abraham disait au riche: Lazare a souffert, et ici il est consolé. (Lc 16,25) Et Paul écrit aux Corinthiens: C'est pour cette raison qu'il y a parmi vous beaucoup de faibles et de malades, beaucoup d'autres qui sommeillent. Car il est certain que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas ainsi jugés de Dieu, et même lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. (1Co 11,30-32) Et s'il livre le fornicateur à la mortification de la chair, c'est afin que son âme soit sauvée (1Co 5,5); montrant ainsi que la tentation présente fait notre salut, et que les traverses, pour qui les supporte en rendant grâces à Dieu, sont la plus efficace purification de l'âme. Ainsi les fidèles étaient éprouvés; maîtres et disciples étaient exposés à mille dangers; ils n'avaient point de trêve dans les guerres de toute espèce qu'ils soutenaient de tous côtés. - Mon discours l'a suffisamment montré; et après ce que j'ai dit, ceux qui se plaisent à l'étude des saintes Écritures y pourront trouver de nouvelles preuves.

58308 8. Revenons enfin à notre sujet. Quel était-il? Pourquoi Paul a-t-il dit: ayant le même esprit de foi? C'est que les fidèles de ces temps étaient troublés de ne trouver que des maux dans la vie présente, et de ne voir de bonheur qu'en espérance; des maux actuels, des espérances éloignées; d'un côté la réalité, de l'autre l'attente. Se faut-il étonner qu'au commencement de la prédication quelques âmes fussent découragées, lorsqu'aujourd'hui que la prédication s'est étendue sur toute la terre, qu'on a vu tant de preuves de la vérité des promesses de l'Évangile, tant de fidèles tombent néanmoins dans le découragement? Et ce n'était point cette seule cause qui les jetait dans le trouble; il en était une autre tout aussi puissante. Laquelle? Ils faisaient réflexion que dans l'Ancien Testament les choses n'étaient point ainsi réglées, mais que les prix et les récompenses de la vertu ne se faisaient point attendre à ceux qui vivaient dans la justice et la sagesse. Ce n'était point après la résurrection, ni dans la vie future, mais dans la vie présente qu'ils voyaient s'accomplir les promesses de Dieu. Si vous aimez le Seigneur votre Dieu, dit l'Écriture; vous serez heureux. Dieu fera prospérer vos troupeaux de boeufs et de brebis; il n'y en aura point d'infécondes ni de stériles, vous n'aurez à craindre ni langueur, ni maladie. (Dt 7,13-15) Dieu enverra sa bénédiction sur vos greniers. (Dt 28,8-12) Il ouvrira le ciel et vous enverra la pluie le matin et le soir. (Dt 11,14) Il y aura abondance de blé sur votre aire et de semence dans vos sillons. (Lv 26,4-5) Et bien d'autres promesses encore, qu'il accomplissait dans la vie présente. Ceux qui ont quelque perspicacité peuvent déjà voir la solution. Ainsi la santé du corps, la fertilité de la terre, une nombreuse et sainte postérité, une vieillesse heureuse, des saisons bien réglées, l'abondance des moissons, l'opportunité des pluies, la fécondité des troupeaux de boeufs et de brebis, tous les biens enfin leur arrivaient en cette vie, ils n'avaient point à les espérer, à attendre le jour qu'ils quitteraient la terre. Les fidèles, songeant que leurs pères voyaient les biens naître sous leurs pas et qu'eux-mêmes devaient attendre la vie future pour recevoir les prix et les couronnes promises à leur foi, ils souffraient et se laissaient abattre par les maux où ils devaient. passer leur vie tout entière.

Paul voyant leur découragement et les maux terribles qui le devaient suivre, qu'aux uns Dieu avait promis après la mort le prix de leurs travaux, et qu'aux autres il avait accordé leur récompense dans la vie présente; prévoyant que ces pensées les jetteraient dans le relâchement, il veut ranimer leur zèle et leur enseigner qu'au temps de leurs pères les choses étaient réglées comme elles sont aujourd'hui, (242) et que beaucoup d'hommes alors furent récompensés en espérance et non par la réalité. C'est pourquoi il leur cite la parole du prophète: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. En effet, la foi se rapporte aux choses qu'on espère et non à celles qu'on voit, car ce qu'on voit, on ne saurait l'espérer. Or, si le prophète croyait aux choses qu'il espérait, et si ce qu'on espère on ne le voit point, il s'ensuit qu'il n'avait point encore en sa possession lesbiens auxquels il croyait. Voilà pourquoi Paul a dit: Parce que nous avons le même esprit de foi, c'est-à-dire, la même foi que celle de l'Ancien Testament. Il dit ailleurs, en parlant des saints de ces temps: Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne. (He 11,37-38) Et pour nous enseigner qu'ils supportèrent tous les maux sans en recevoir la récompense, il dit: Tous sont morts dans la foi, sans avoir reçu l'effet des promesses de Dieu, mais seulement. les ayant vues et saluées de loin. (He 11,13) Mais comment outils pu voir ce qui n'était point accompli? Avec les regards de la foi, qui pénètrent dans le ciel et contemplent tout ce qu'il renferme.

58309 9. Considérez la sagesse de Dieu! il leur montre de loin les récompenses, et ne les leur donne point sur-le-champ, afin d'exercer leur patience; mas il les leur montre de loin, afin que, soutenus par cet espoir, ils supportent, sans même les sentir, les maux de la vie présente.

Peut-être les plus attentifs d'entre vous nous accuseront-ils de contradiction. Si nos pères eux-mêmes, diront-ils, ne recevaient pas sur-le-champ les prix et les récompenses, pourquoi nous avez-vous si longuement énuméré les saisons bien réglées, la santé du corps, une nombreuse et sainte postérité, l'abondance des moissons et des fruits de la terre, la fécondité des troupeaux de boeufs et- de brebis, tous les biens de la vie? Que répondrai-je à ces paroles? Que Dieu, dans ce temps, traitait le vulgaire et le peuple, encore mal affermi dans le bien, autrement que ces âmes nobles et qui s'étaient par avance initiées à la philosophie du Nouveau Testament. A la multitude qui rampait à terre, dont les yeux ne noyaient point ce qui est grand, et qui ne pouvaient élever leur âme a jouir en espérance des biens à venir, il promettait les biens de la vie présente pour soutenir leur faiblesse, pour les conduire à pratiquer la vertu et à aimer le bien. Mais Elie, Elisée, Jérémie, Isaïe, et tous les prophètes en un mot, et tous ceux qui appartenaient au choeur des saints et des forts, il les appelait au ciel et au partage des biens qu'il y réserve aux élus. Aussi, Paul n'a-t-il point parlé de tous les hommes. Il a cité ceux qui voyageaient couverts de peaux de brebis et de chèvres, ceux qui périssaient dans. les fournaises, dans les prisons, sur les chevalets, sous les pierres, par la faim et fa misère, ceux qui vivaient dans les déserts, dans les cavernes, dans les souterrains, et qui souffraient mille maux. Ce sont ces hommes qu'il dit être morts dans l'espérance et sans avoir vu se réaliser les promesses de Dieu: il ne parle point du commun des Juifs, mais des hommes qui ressemblaient à Elie.

Et si l'on demande pourquoi ces hommes n'ont point encore reçu les couronnes qu'ils méritent, Paul nous répondra. Après avoir dit: Tous ces hommes sont morts dans la foi, sans avoir reçu l'objet des promesses de Dieu, il ajoute: Dieu ayant voulu, par une faveur singulière, qu'il nous a faite, qu'ils ne reçussent qu'avec nous l'accomplissement de leur bonheur. (
He 11,13 He 11,40) C'est une fête commune et plus joyeuse, dit l'Apôtre, que celle qui nous réunit tous dans le triomphe. De même aux jeux olympiques, les athlètes de la lutte, du pugilat, du pancrace, soutiennent leurs combats en divers temps, et tous les vainqueurs sont proclamés ensemble; de même dans les festins, quand certains convives viennent de meilleure heure et que d'autres tardent, l'hôte, pour faire honneur aux absents, prie ceux qui sont arrivés d'attendre un moment ceux qui manquent. C'est aussi ce que fait Dieu. Il a invité à une fête commune et spirituelle les justes qui ont vécu en divers temps dans toute la terre, et il veut que les premiers arrivés attendent ceux qui doivent venir après eux, pour les rassembler tous et leur faire partager le même honneur et la même joie.

58310 10. Quel surcroît d'honneur! Paul et les saints de son temps; Abraham et les hommes de son âge; tous ceux qui, tant de siècles avant lui ont lutté et vaincu, assis au ciel, et attendant que nous y soyons appelés! Car Paul n'a point encore reçu sa couronne, ni aucun de ceux qui, depuis le commencement du monde ont été élus de Dieu, et ils ne la recevront point que tous ceux qui doivent être couronnés ne soient arrivés au ciel. Ecoutez les paroles de (243) Paul: J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course; j'ai gardé la foi. Il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée, et que le Seigneur me donnera comme un juge équitable. Quand? Au jour du jugement, en même temps qu'à tous ceux qui aiment son avènement. (2Tm 4,7 2Tm 4,8) Et ailleurs, pour nous marquer que ces biens seront donnés le même jour à tous les justes, il dit aux Thessaloniciens: Il est bien juste devant Dieu qu'il afflige à leur tour ceux qui vous affligent maintenant et qu'il vous console avec nous, vous qui êtes dans l'affliction. (2Th 1,6-7) Et ailleurs encore: Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort. (1Th 4,15) Par toutes ces paroles, il nous apprend que nous recevrons tous ensemble et en commun les honneurs célestes, Cela même est pour les premiers arrivés une joie nouvelle, de jouir de ces indicibles biens avec ceux qui sont leurs propres membres. Un père, assis à une table riche et splendide, ressent plus de bonheur quand tous ses enfants partagent son bonheur et sa richesse. Ainsi, Paul et tous les saints qui vécurent en son temps, jouiront d'une félicité plus grande quand ils verront leurs membres la goûter avec eux. Car les pères ont moins d'amour pour leurs enfants que n'en ont les saints pour les hommes qui les ont suivis dans la voie de la vertu. Pour être au nombre de ceux qui seront honorés en ce jour, efforçons-nous d'imiter les saints. Et comment, dites-vous, pourrons-nous y arriver? qui nous montrera la route? Le Maître de ces saints; il nous enseigne non-seulement à les imiter, mais encore le moyen de devenir leurs compagnons dans leur céleste demeure. Faites-vous des amis, dit-il, avec les trésors d'iniquité, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les demeures éternelles. (Lc 14,9) Il a bien dit Eternelles. Car eussiez-vous en ce monde un splendide palais, il faut qu'il périsse de vétusté. Et avant qu'il tombe en ruines sous l'effort du temps, la mort surviendra qui vous chassera de cette somptueuse demeure; et avant la mort peut-être, les malheurs, les attaques des calomniateurs, les embûches des ennemis vous en feront sortir. Mais là-haut, vous n'aurez rien à craindre, ni la mort, ni la ruine, ni les calomniateurs, ni les autres fléaux: vous habiterez une demeure impérissable, immortelle. Voilà pourquoi Paul l'appelle immortelle: Faites-vous, dit Jésus, des amis avec les trésors d'iniquité.

58311 11. Admirez toute la bonté du Maître, son humanité, sa douceur. Ce n'est point sans dessein qu'il a prononcé ces paroles; mais voyant que bien des riches ne doivent leurs trésors qu'à la fraude et à la rapine, il ne fallait point, dit-il, amasser des biens par le crime; mais puisque tu les as amassés injustement, mets un terme à tes vols et à tes rapines, et sers-toi pour le bien des trésors que tu possèdes. Je ne te dis point d'être à la fois nique et miséricordieux; je te conseille de te départir de ton avidité et d'employer tes biens eu aumônes et en bonnes oeuvres. Car celui qui ne met point fin à ses rapines ne saurait faire une fructueuse aumône. Jetterait-il d'innombrables richesses dans les mains des pauvres, s'il vole celles des autres et satisfait son avidité, il sera traité par Dieu à l'égal des homicides. Il faut donc qu'il renonce à son amour de l'or avant de secourir les malheureux. Oui, la puissance de l'aumône est grande. Je vous en ai parlé dans un précédent entretien, je vous en parlerai aujourd'hui encore. Mais que nul d'entre ceux qui m'écoutent ne prenne cette insistance pour une accusation. Dans les luttes, les spectateurs excitent ceux d'entre les coureurs qu'ils voient près d'atteindre le prix, ceux qui ont le plus d'espoir de vaincre. Ainsi fais-je moi-même. Je vois que vous écoutez toujours avec une attention nouvelle ce que je vous dis sur l'aumône, c'est pourquoi je m'étends d'autant plus volontiers sur ce sujet. Les pauvres sont les. médecins de nos âmes, nos bienfaiteurs, nôs protecteurs. En effet, vous leur donnez moins que vous ne recevez d'eux; vous leur donnez de l'argent, et vous recevez le royaume des cieux; vous éloignez d'eux la pauvreté et vous vous réconciliez le Seigneur. Voyez -vous que t'échange n'est point égal? Les biens que vous donnez sont terrestres, ceux que vous recevez sont célestes: les uns passent, les autres demeurent; les uns périssent, les autres soit à l'abri de tout accident. Vos pères ont placé les pauvres à la porte des églises, afin que les plus durs et les plus inhumains, à la vue des pauvres, fassent un retour sur eux-mêmes et soient portés à l'aumône. En présence d'une foule de vieillards courbés par l'âge, couverts de misérables haillons appuyés sur des bâtons et se (244) soutenant à peine, aveugles souvent et estropiés de tous leurs membres, quel coeur de pierre ou d'airain serait insensible à leur vieillesse, à leur faiblesse, à leurs infirmités, à leur pauvreté, à leur méchant vêtement, en un mot, à ce spectacle de pitié, et ne se sentirait fléchir? Voilà pourquoi ils se tiennent à nos portes, où leur aspect, plus puissant que toutes les paroles, entraîne et provoque à la pitié ceux qui en franchissent le seuil. De même qu'il est établi par la loi qu'il doit y avoir des fontaines devant les oratoires, afin de purifier ses mains avant de les lever vers Dieu, les pauvres furent placés comme les fontaines, devant les portes des églises, afin que nous puissions purifier nos âmes par la charité, de même que nous purifions nos mains par l'eau, avant d'adresser à Dieu nos prières.

58312 12. Car l'eau a moins de puissance pour laver les taches du corps que l'aumône pour effacer les souillures de l'âme: Vous n'osez point aller prier sans avoir lavé vos mains; ce serait cependant une faute assez légère; de même n'allez jamais prier sans avoir fait l'aumône. Quoique nos mains soient pures, nous ne les levons jamais vers Dieu sans les avoir lavées, car telle est la coutume établie; faisons de même. pour l'aumône. N'aurions-nous conscience d'aucune faute grave, purifions cependant notre âme par l'aumône. La, place publique vous a fait tomber dans plusieurs fautes; un ennemi vous a irrité; un juge vous a forcé de faire quelque action peu honnête; vous avez dit des paroles déplacées; pour ménager un ami vous avez fait quelque injustice, votre âme enfin a reçu ces souillures qu'un homme doit recevoir quand il vit sur la place publique, siégeant aux jugements, administrant les affaires de la cité; c'est pour toutes ces fautes que vous allez prier Dieu et implorer son pardon. Versez donc l'aumône aux mains des pauvres, purifiez-vous de vos souillures, afin d'invoquer avec confiance celui qui peut vous remettre vos péchés. Si vous vous habituez à ne franchir jamais ce seuil sacré sans avoir fait l'aumône, bon gré mal gré vous accomplirez toujours cette bonne oeuvre. Telle est la force de l'habitude! de même que jamais vous n'allez prier sans avoir lavé vos mains, parce que vous en avez n ne fois pris l'habitude; de même, si vous vous imposez la loi de l'aumône, bon gré mal gré vous la pratiquerez tous les jours, par la force de l'habitude.

La prière est un feu, surtout quand elle sort de l'âme de celui qui veille et qui jeûne. Mais ce feu a besoin d'huile pour s'élever jusqu'aux hauteurs du ciel; l'huile qui l'entretiendra n'est autre chose que l'aumône: versez donc l'huile en abondance, afin que, dans l'allégresse de cette bonne oeuvre, vous adressiez à Dieu vos prières avec plus de confiance et d'ardeur. De même que ceux qui n'ont conscience d'aucune bonne action ne peuvent pas même prier avec confiance, de même ceux qui, après avoir fait le bien, s'en,vont prier, heureux du souvenir de leurs bonnes oeuvres, offrent À Dieu leur prière avec plus d'ardeur. Afin donc que nos prières soient plus efficaces, pour que notre âme ne soit excitée par le souvenir du bien que nous aurons fait, donnons l'aumône avant la prière. Souvenez-vous exactement de toutes mes paroles, et surtout retenez toujours l'image que je vous ai présentée en disant crue les pauvres, à la porte de nos églises, font pour notre âme le même office que les fontaines pour notre corps. Si nous gardons toujours ce souvenir, si nous purifions nos âmes, nous pourrons adresser à Dieu des prières pures; nous aurons ainsi la paix devant Dieu, et nous obtiendrons le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la puissance et la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI ABUSENT DE CETTE PAROLE DE L'APÔTRE: PAR OCCASION OU PAR VÉRITÉ LE CHRIST EST ANNONCÉ. et sur l'humilité (1).


Chrysostome Homélies 58200