Chrysostome Homélies 6571

DEUXIÈME HOMÉLIE DE SAINT J. CHRYSOSTOME APRÈS SON RETOUR DE L'EXIL.


6571 1. Lorsque Sara, l'épouse d'Abraham, lui fut ravie par Pharaon; cette belle et noble femme par ce méchant, ce barbare, cet Egyptien; lorsque les regards de l'homme injuste puisèrent dans la contemplation de cette beauté un désir adultère, si, à l'heure même, à l'instant, tout de suite, Dieu n'a pas infligé le châtiment, c'était pour qu'on vît bien et la vertu de l'homme juste, et la chasteté de la femme, et l'incontinence du barbare, et la divine Bonté: la vertu de l'homme juste, parce qu'il souffrit et bénit Dieu; la chasteté de la femme, parce que, tombée entre les mains du barbare, elle se conserva pure; l'incontinence du barbare, parce qu'il envahit la couche d'un autre; la divine Bonté, parce qu'après avoir attendu que tout fût désespéré humainement, Dieu alors couronna le juste. Ce qui s'est fait contre Abraham jadis, s'est fait, de nos jours, contre l'Eglise. Aujourd'hui encore, un Egyptien (1), comme autrefois, un Egyptien; il avait, celui-là, des satellites; celui-ci a eu des valets. L'ancien a enlevé Sara; le nôtre, l'Eglise. Pharaon n'a possédé sa proie qu'une seule nuit; celui-ci, qu'un seul jour, et un seul jour même ne lui a pas été accordé. Il ne l'a possédée que ce qu'il fallait pour révéler la chasteté de l'épouse; il entre de force, et l'honneur de la chaste épouse n'a pas souffert d'atteinte. Il avait cependant tout préparé pour le faux mariage: le contrat était en règle; grand nombre de ses familiers avaient signé; la machine était dressée; elle a manqué son effet.

La perversité de l'homme a paru, et, en même temps, a paru la bonté de Dieu. Le barbare d'autrefois reconnut son péché, avoua sa faute; il dit à Abraham: Pourquoi avez-vous fait cela? Pourquoi m'avez-vous dit: C'est ma soeur? Vous m'avez exposé au péché. (
Gn 12,18-19) Notre barbare à nous, après son infraction à la loi, y a persisté. Misérable! malheureux! Tu as péché, tiens-toi en repos. N'ajoute pas le péché au péché. Sara sortit d'Egypte, enrichie de l'or des Egyptiens: l'Eglise est sortie de son épreuve, enrichie des biens de l'amitié, et plus belle de sa continence. soyez la démence du barbare. Tu as chassé le pasteur, pourquoi as-tu dispersé le troupeau? Tu as renversé le pilote, pourquoi as-tu brisé le gouvernail? Tu as chassé le vignerons pourquoi as-tu ravagé les vignes? Pourquoi as-tu dévasté les monastères? Tu as fait ton invasion à la manière des barbares.

1. Théophile d'Alexandrie.

6572 2. Tout ce qu'il a fait, c'est pour qu'on vît paraître votre vertu; tout ce qu'il a fait, c'est pour montrer à tous qu'il y a ici une bergerie, avec le Christ pour berger. On chasse le berger, et le troupeau est compacte, et la parole de l'Apôtre s'est accomplie: Ayez soin, non-seulement lorsque je suis présent, mais aussi en mon absence, d'opérer votre salut avec crainte et tremblement. (Ph 2,12) Vous savez quelles étaient leurs menaces, parce qu'ils redoutaient votre vertu, votre charité, votre affection pour moi. Nous n'osons rien, disaient-ils, dans l'intérieur de la ville; livrez-le-nous dehors. Prenez-moi donc dehors, si vous (323) voulez connaître la générosité de mes enfants, l'énergie de mes soldats, la puissance de mes oplites, la splendeur de nos diadèmes, la surabondance de nos richesses; la grandeur de notre charité, ce qu'endure la constance, ce qu'est la liberté dans sa fleur, ce qu'a d'illustre notre victoire, ce que votre défaite a de ridicule. O surprise, ô prodige! Le berger qu'on chasse, et le troupeau dont l'ardeur bondit! le général au loin, et les soldats qui prenaient leurs armes! L'Eglise n'avait pas seulement pour elle son armée; la cité entière était devenue l'Eglise. Les carrefours, les places, l'air se sanctifiaient, les hérétiques se convertissaient, les Juifs s'amendaient, des prêtres s'attiraient leur condamnation; oui, les Juifs bénissaient Dieu et accouraient vers nous. C'est ce qui arriva pour le Christ. Caïphe le mit en croix, et un brigand le confessa. O surprise, ô prodige! Des prêtres assassinèrent, et des mages adorèrent! Ces choses ne doivent pas étonner l'Eglise. Si ces choses n'étaient pas arrivées, notre trésor ne se fût pas montré; trésor réel; il ne se fût pas montré. C'est ainsi que Job était juste; on n'aurait pas vu qu'il était juste sans ses blessures, sans les vers qui le rongeaient. Il en est ainsi de notre trésor; sans les perfides attaques, il ne se fût pas montré. Dieu, se justifiant, dit à Job: Pensez-vous qu'en vous répondant, j'aie pu avoir d'autre pensée que de faire paraître votre justice? (Jb 40,8) Ils ont ourdi leurs trames contre nous, ils nous ont fait la guerre et ils ont été vaincus. Comment nous ont-ils fait la guerre? Avec des bâtons. Comment ont-ils été vaincus? Par des prières. Si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, tournez-lui encore l'autre. (Mt 5,39) Tu apportes îles bâtons dans l'église, et tu lui fais la guerre? Où règne la paix pour tous, tu excites la guerre? Tu n'as pas de respect pour le lieu, ô malheureux, ô misérable! ni pour la dignité du sacerdoce, ni pour la majesté du Chef? Le baptistère a été rempli de sang. Où se fait la rémission des péchés, s'est faite l'Effusion du sang. Quelle bataille a vu ces excès! L'empereur entre et jette bouclier et diadème; toi, tu es entré, et tu as brandi les bâtons! L'empereur laisse aux portes de l'église les emblèmes de l'empire; toi, tu apportes dans l'église les emblèmes de la guerre! Mais tu n'as pas fait de mal à mon Epouse; elle me reste, et l'on admire sa beauté.

6573 3. C'est pourquoi je me réjouis, non pas que vous ayez vaincu, mais qu'en mon absence vous ayez vaincu. Si j'eusse été là, j'aurais revendiqué, auprès de vous, ma part de victoire; mais, comme j'étais au loin, le trophée n'appartient qu'à vous seuls. Que dis-je? Cela même est une gloire pour moi. Je me reprends, et voici que je revendique, auprès de vous, ma part de la victoire. C'est moi qui vous ai élevés de telle sorte que vous puissiez, même en l'absence de votre père, montrer la noblesse que vous portez en vous. Comme on voit les athlètes généreux, même en l'absence du gymnasiarque, prouver leur vigueur; ainsi la vigueur généreuse de votre foi, même en l'absence de votre maître, s'est montrée dans sa beauté. A quoi bon les discours? Les pierres poussent des cris, les murailles font entendre leur voix. Allez au palais de l'empereur, et aussitôt vous entendez: les peuples de Constantinople. Allez aux rivages de la mer, dans les déserts, aux sommets des montagnes, dans les demeures habitées, votre éloge y est inscrit. A quoi devez-vous la victoire? Non à vos richesses, mais à votre foi. O peuple, ami de son docteur! ô peuple, qui chérit son père! ô ville bienheureuse, non à cause de ses colonnes et de ses lambris d'or, mais à cause de votre vertu! Tant d'attaques insidieuses, et vos prières les ont vaincues, et j'est justice, et c'est raison; car les prières. étaient continuelles, et les larmes coulaient comme des fontaines. Ils avaient des armes, vous aviez vos pleurs; ils avaient leur rage, et vous, votre douceur. Fais ce que tu veux: vous priez. Et ceux qui parlaient contre nous maintenant, où sont-ils? Est-ce que nous avons agité des armes, tendu des arcs, lancé des traits? Nous priions et ils fuyaient. Comme fa toile de l'araignée, ils ont été dissipés, et vous êtes restés solides comme. la pierre. Je suis. bien heureux, à cause de vous; je savais bien, même auparavant, quel trésor je possédais; je l'admire pourtant aujourd'hui. On m'éloignait, et la cité changeait de place. Pour un seul homme, la mer devenant une ville! Les femmes, les hommes, de tout jeunes enfants, des mères portant leurs enfants dans leurs bras, affrontaient les vagues, méprisaient les flots; l'esclave ne craignait plus son maître; la femme avait oublié sa naturelle faiblesse; la place publique était changée en église; plus de place publique, plus rien qu'une église; transformation partout, à cause de nous. Qui n'avez-vous pas rempli (325) de vos sentiments? Vous avez reçu l'impératrice (1), confondue avec vous. Je ne veux pas cacher le zèle qu'elle a montré pour moi. Ce n'est pas en flatteur de l'impératrice que je parle; c'est sa piété que je célèbre. Je ne veux pas cacher le zèle qu'elle a montré pour moi. Elle n'a pas pris des armes; elle s'est couverte de ses glorieuses vertus. On m'éloignait alors, vous savez comment. Il faut bien dire ce qui afflige, pour vous faire comprendre ce qui fait du bien. Comprenez donc comment on m'éloignait, et comment je suis revenu. Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. Ils marchaient et s'en allaient en pleurant, et jetaient leurs semences sur la terre; mais ils reviendront avec des transports de joie, en portant les gerbes de leur moisson. (Ps 126,5-6) Ces paroles sont devenues la réalité. C'est avec joie que vous avez accueilli celui dont vous escortiez le départ avec douleur. Et il ne s'est pas écoulé un long temps; en un seul jour, tout a été terminé. Ce retard, n'était que pour vous; car Dieu, dès le principe, avait tout terminé.

1. L'impératrice Eudoxie.

6574 4. Je vous dis maintenant une chose secrète. Je traversais la mer, seul, portant dans mes bras l'Eglise, car la charité n'est jamais étroite. Le navire n'était pas trop petit. Mes entrailles ne se sont point resserrées pour vous. (2Co 6,12) Je m'éloignais, plein de soucis pour vous, séparé de vous par le corps, joint à vous par la pensée, je m'éloignais, suppliant Dieu, déposant dans son coeur mon affection pour vous; je m'éloignais, j'étais assis, solitaire, plein de soucis pour vous, méditant sur mon exil, j'étais seul; tout à coup, après cette nuit malheureuse, au point du jour, je reçois de la plus pieuse des femmes, une lettre où je vois ces paroles. Car il faut que je vous cite textuellement les paroles: Que votre Sainteté se garde de croire que j'eusse connaissance de ce qui s'est passé; je suis innocente de votre sang. Des hommes pervers, des scélérats ont dressé cette machine; j'ai pour témoin de mes larmes ce Dieu à qui je sacrifie. Quelles libations a-t-elle répandues? ses larmes étaient des libations. A qui je sacrifie. Voyez-vous cette prêtresse, qui s'était ordonnée elle-même, qui offrait à Dieu ses larmes, la confession et la pénitence, non pour le prêtre, mais pour l'Eglise, pour le peuple qu'on déchirait. Elle se souvenait, oui, elle se souvenait, et de ses fils, et de leur baptême. Je me souviens que c'est par vos mains que mes fils ont été baptisés. Telle s'est montrée pour moi l'impératrice; quant aux prêtres, que la jalousie aveuglait tous, ils ignoraient en quel lieu je m'étais retiré. Admirez ce que je vais vous dire: Celle-ci, comme si elle eût tremblé pour un fils, m'escortait partout, non de sa personne, mais par les soldats qu'elle avait envoyés en particulier. Elle ne savait pas non plus où jè m'étais retiré; mais partout elle envoyait, dans la crainte que le pasteur ne fût égorgé traîtreusement et qu'elle ne perdît la proie à qui elle faisait la chasse, pour la sauver. Je ne veux qu'une chose, faire le peu que je puis; je ne veux qu'une chose, c'est que ses ennemis ne s'en emparent pas. Les ennemis allaient, circulaient partout, étendant leurs filets pour me prendre, pour me remettre dans les mains des méchants. Cette pieuse femme s'adressait aussi à l'empereur, et touchant ses genoux, s'efforçait de l'associer à sa chasse généreuse. Comme Abraham cherchait Sara, ainsi elle cherchait son époux. Nous avons perdu le prêtre, dit-elle, mais il faut le ramener. Nous n'avons plus d'espoir pour l'empire, si nous ne pouvons pas le ramener. Il m'est impossible d'avoir aucun commerce avec aucun de ceux qui ont fait ces choses; et elle versait des larmes, et elle adressait à Dieu ses prières, et il n'était pas de ressort qu'elle ne fît jouer. Vous savez vous-mêmes avec quelle bienveillance elle nous a accueillis, nous a pris dans ses bras comme ses propres membres, les paroles qu'elle nous a dites, pour vous montrer qu'elle partageait votre inquiétude; ces paroles ont touché votre affection; vous avez vu en elle, la mère des Eglises; la nourrice des moines, la patronne des saints, le bâton des pauvres. Son éloge est devenu la gloire de Dieu, la couronne des Eglises. Dirai-je l'ardeur de son amour? Dirai-je son zèle pour moi? Hier soir elle m'a envoyé ces mots: Dites-lui de ma part: «Ma prière a été exaucée, ce que je demandais, je l'ai obtenu. J'ai reçu une couronne plus belle que mon diadème, j'ai recouvré le pontife; j'ai rendu au corps sa tête, au navire son pilote, au troupeau son pasteur, au lit nuptial l'époux.»

6575 5. Les adultères ont été couverts de honte. Que je vive, que je meure, peu m'importe. Voyez l'issue glorieuse de l'épreuve. Que puis-je faire pour vous payer d'un juste retour? Comment donner à votre affection une récompense qui (326) l'égale? qui l'égale, c'est impossible. Mais ce que je puis je vous le donne; je vous aime et je suis prêt à verser tout mon sang pour votre salut. Non, jamais personne n'a possédé de tels fils; personne, un tel troupeau, personne, un champ si fertile. Je n'ai pas besoin de pratiquer de culture, moi je m'endors, et les épis jaunissent. Je n'ai pas besoin de travail; je me repose et les brebis sont victorieuses des loups. Quel nom vous donnerai-je? brebis, bergers, pilotes, soldats, chefs,d'armée, tous ces noms vous conviennent. Quand je vois votre bon ordre, je vous appelle brebis; quand je vois votre prévoyance, je dis: Vous êtes des bergers; quand je vois votre sagesse, je vous donne le titre de pilotes; quand je vois votre, courage, votre constance, je vous appelle tous, et soldats et chefs d'armée. O travail, ô prévoyance du peuple! Vous avez chassé les loups, et vous avez gardé votre prévoyante sagesse. Les matelots qui étaient avec vous se sont tournés contre vous; ils ont déclaré la guerre au navire. Criez donc; au loin ce clergé! un autre clergé pour l'Eglise! mais qu'avez-vous besoin de crier? Ils sont partis, on les a chassés, sans que personne les poursuive, ils ont pris la fuite. Qui les accuse? personne; c'est leur conscience qui les accuse. Si mon ennemi m'avait chargé de malédictions, je l'aurais souffert. (Ps 55,12) Ceux qui étaient avec nous, se sont tournés contre nous; ceux -qui, avec nous, gouvernaient le navire, ont voulu faire sombrer le navire. J'ai admiré ce qui s'est passé en vous; ce que j'en dis, ce n'est pas pour vous exciter à la sédition; la sédition, ce sont eux qui l'ont faite. Ce qui a paru, de vous, c'est le zèle de la foi. Vous n'avez pas demandé qu'on les mit à mort, mais qu'on prévînt le malheur, pour vous, pour l'Eglise, d'être de nouveau submergés. Votre courage a conjuré la tempête; leur pensée perverse a suscité la rage des flots. Mais je ne veux pas apprécier l'événement par l'issue, je ne veux y voir que le crime de. leur pensée. Comment toi, un assistant de l'autel, à qui on avait confié le soin d'un si grand peuple, qui devais réprimer les désordres, tu as irrité, la tempête, tu as poussé le glaive coutre toi-même, tu as perdu tes enfants; tu as voulu les perdre, si, en réalité, tu n'es pas parvenu à les perdre. Mais Dieu t'en a empêché; et je vous admire, et vous méritez mes louanges, parce que la guerre terminée, la paix étant faite, vous méditez. les moyens d'assurer cette paix. Il faut que pilotes et matelots soient unis d'un même coeur, car si le désaccord survient, le navire est submergé. C'est à vous à cimenter, à rendre, avec la grâce de Dieu, cette paix solide. Vous jouirez tous, j'y ferai rues efforts, de la parfaite sécurité; je ne ferai rien sans vous, et sans la très-pieuse et très-sainte Augusta. Elle aussi, n'a qu'une pensée; qu'une inquiétude, qu'un tint de toutes ses actions, c'est que ce qui a été planté, demeure ferme, c'est que l'Eglise demeure inébranlable, hors de l'atteinte des flots. Ainsi, j'ai eu raison de célébrer et les sentiments que vous avez montrés, et la prévoyance de nos princes; car ils se préoccupent moins de la guerre que de l'Eglise, de la cité que de l'Eglise. Adressons donc à Dieu nos prières, à la famille impériale nos voeux et nos désirs, et continuons, persistons à prier. Les dangers ont disparu, ne laissons pas pour cela se ralentir notre zèle. Voilà pourquoi, jusqu'à ce jour, nous prions, pour être délivrés des dangers. Bénissons le Seigneur, nous avons été pleins de courage et nous sommes, aujourd'hui encore, pleins d'ardeur. Pour tous ces biens, rendons des actions de grâces au Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, ainsi qu'au Fils et à l'Esprit-Saint et vivifiant, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE SUR LE RENVOI DE LA CHANANÉENNE

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Les critiques reconnaissent tous que cette homélie est écrite un peu négligemment, comme beaucoup de celles que saint Chrysostome a prononcées à Constantinople. Elle a beaucoup de choses communes avec la 528 sur saint Matthieu. Saville et Tillemont, ainsi que Montfaucon, la regardent comme authentique. Fronton-du-Duc seul la range parmi les spuria. Montfaucon estime qu'on ne peut contester l'authenticité, sinon de toute la pièce, au moins des trois premiers numéros jusqu'à miratur Evangelista.

1. Saint Chrysostome exalte la fidélité de ses diocésains. Ses ennemis ont disparu. L'Église est Indestructible. - 2. Saint Matthieu le publicain, devenu évangéliste, va fournir la matière de l'instruction, c'est lui qui va dresser la table spirituelle; qu'est-ce qu'un publicain? 3. Si grand pécheur que l'on soit, on peut devenir un saint. Voyez le publicain Matthieu. - 4. La Chananéenne, après s'être adressée aux apôtres, aborde Jésus lui-même. Elle confesse la divinité du Christ et le mystère de l'incarnation. - 5. Mais Jésus ne lui répondit pas un seul mot. - 6. Le Christ est venu pour sauver indistinctement tous les hommes. - 7. Vineum plantavi et sepem ipsi circumdedi. - 8. Le Christ a accompli la loi de Moise avant que de l'abroger. - 9. Jésus, en maintes circonstances avait égard aux préjugés de sa nation. - 10. Il faut persévérer dans la prière. - 11. On peut prier en tout lieu.

6581 1. La tempête a redoublé sans abattre vos courages et vous êtes venus; les tentations ont redoublé, sans éteindre votre ferveur. Toujours assaillie, l'Eglise ne se lasse pas de remporter des victoires. On la veut ruiner, elle triomphe; plus on fait d'efforts pour assurer sa ruine, plus elle grandit; les flots ont été dissipés, le roc demeure inébranlable. Le jour, les enseignements de la doctrine; là nuit, les veilles; c'est un combat du jour avec la nuit. Ici des collectes, et là, des collectes encore. La nuit fait du forum une église, et votre ardeur est plus vive que le feu. Vous n'avez pas besoin d'exhortations, tant vous montrez de zèle. Qui ne serait pas frappé d'étonnement et d'admiration? Non-seulement ceux qui nous appartiennent, ne sont pas restés en arrière, mais ceux qui n'étaient pas avec nous, se sont joints à nous. Voilà ce qu'on gagne aux épreuves: comme la pluie réveille les germes, ainsi l'épreuve, en s'infiltrant dans l'âme, y réveille la bonne volonté. Dieu l'a dit: L'Eglise est inébranlable: Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. (Mt 16,18) Celui qui lui fait la guerre, se détruit lui-même, quant. à l'Eglise, il la rend plus puissante; qui lui fait la guerre, perd ses propres forces, et rend plus glorieux nos trophées. Job était un noble coeur avant la lutte; il parut, après la lutte, plus généreux encore. Il était moins noble et moins grand, dans son corps plein de santé et de vie, qu'à l'heure où. ses ulcères lui faisaient une couronne. Gardez-vous de redouter jamais les épreuves si vous avez une âme bien préparée. L'affliction ne nuit pas, elle opère la patience. (Rm 5,3) La fournaise ne peut nuire à la vertu de l'or; l'affliction, de même, ne détruit pas la vertu d'un coeur noble. Que fait la fournaise à l'or? Elle le rend d'une pureté parfaite. Qu'opère l'affliction dans celui qui l'endure? elle y opère la patience. Elle l'exalte, elle retranche la nonchalance, elle rassemble toutes les forces de l'âme, elle ravive la sagesse. Ils ont envoyé les (328) épreuves pour dissiper les brebis, et c'est le contraire qui est arrivé; les épreuves ont fait accourir le pasteur.

Où en sommes-nous? en possession de notre gloire. Où en sont nos ennemis? à subir leur honte. Où sont-ils donc? on ne les voit plus. Je parcours la place publique, je n'aperçois personne. Il y avait des feuilles, le vent a soufflé, elles sont tombées; il y avait de la paille, et elle s'est dispersée, et le froment a paru dans sa maturité.; il y avait du plomb, qui a fondu, et l'or est resté, l'or pur. Quel est donc celui qui les chasse? personne, mais ils ont un ennemi secret, la conscience, qu'ils portent dans leur coeur à côté du péché. Ils savent ce qu'ils ont fait. Caïn voulait tuer son frère (Gn 4); tant qu'il voulut le tuer, son mauvais désir ne s'éteignit point dans son coeur; le péché une fois commis, gémissant, tremblant, le meurtrier ne fut plus qu'un vagabond sur la terre. Ceux-ci, pour n'être pas des meurtriers de fait, n'en sont pas moins des meurtriers, par (intention. Le meurtre a été consommé autant qu'il. a dépendu de leur scélératesse: la vie conservée, ne l'a été que par la bonté de Dieu. Ce que j'en dis, c'est pour donner à votre ardeur l'huile fortifiante, c'est pour que les épreuves ne vous causent jamais d'épouvante. Etes-vous pierre? regardez sans épouvante les flots. Sur cette pierre j'édifierai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. (Mt 16,18) Dieu l'a dit. Tantôt guerres du dehors, tantôt guerres du dedans, mais nul ne peut submerger le navire.

6582 2. Je ne voudrais pourtant pas dépenser tout notre temps à rappeler leurs crimes; abandonnons-les aux terreurs de leur conscience, laissons leur bourreau torturer ces âmes aux pensées déréglées, aux désirs sans frein, laissons ces fugitifs que personne ne poursuit, ces infâmes que nul ne veut combattre, quant à nous, préparons la table accoutumée. Il n'est pas juste de perdre le temps à parler de leurs crimes, et de négliger nos enfants que la faim tourmente. Hier donc, c'est Paul qui nous a servi notre table; aujourd'hui, c'est Matthieu qui va la dresser; hier, le faiseur, de tentes; aujourd'hui le publicain; hier le blasphémateur; aujourd'hui l'homme à la main rapace; hier le persécuteur; aujourd'hui l'avare. Mais-ce blasphémateur n'est pas resté blasphémateur, il est devenu un apôtre; et l'homme de rapines n'a pas toujours vécu dans les rapines, il est devenu un évangéliste. Je constate et la perversité première, et la vertu qui l'a suivie, afin que vous appreniez toute l'efficacité du repentir, afin que vous ne désespériez jamais de votre salut. Nos docteurs furent d'abord illustres dans le péché, mais bientôt ce fut dans la justice que s'illustrèrent, jet le publicain et le blasphémateur, ces deux sommets de la perversité. Cap qu'est-ce que la profession de publicain? la rapine au nom de la loi, la violence pleine de confiance, l'injustice soutenue parla loi; les brigands sont moins durs que le publicain. Qu'est-ce que la profession de publicain? la violence qui se fait un rempart de la loi, qui transforme le médecin en bourreau. Comprenez-vous mes paroles? Les lois, voilà nos médecins, et il arrive que ces médecins deviennent des bourreaux, car parfois ils ne guérissent pas la blessure, ils l'enveniment. Qu'est-ce que la profession de publicain? un péché sans pudeur, une rapine sans prétexte, plus détestable que le brigandage. Le brigand, du moins, rougit en commettant le vol, mais l'autre, c'est avec une pleine assurance qu'il pille, Eh bien! ce publicain tout à coup est devenu un évangéliste. Comment et de quelle manière? Chemin faisant, dit-il, Jésus vit Matthieu assis au bureau des impôts, et il lui dit: Suivez-moi. (Mt 9,9) O puissance de la parole! l'hameçon est entré, et voilà le soldat captif, la boue est devenue de l'or; l'hameçon est entré, Et aussitôt se leva et il le suivit. Il était au fond de l'abîme de la perversité, et il s'est élevé sur la cime de la vertu. Que personne donc, mes bien-aimés, ne désespère de son salut. La perversité n'est pas le propre de la nature; nous avons reçu en privilège le choix volontaire et la liberté. Tu es publicain? tu peux devenir évangéliste. Tu es blasphémateur? tu peux devenir apôtre. Tu es un brigand? tu peux voler le paradis. Tu es livré à la magie? tu peux adorer le Seigneur. Il n'est pas de vice de l'âme, qui ne puisse être dissipé par le repentir. Voilà pourquoi le Christ s'est choisi ceux qui habitaient les sommets de l'iniquité, il n'a voulu nous laisser pour le dernier jour aucun subterfuge.

6583 3. Ne me dites pas: Je suis perdu, que me reste-t-il? Ne me dites pas, je suis un pécheur, que ferai-je? Vous avez un médecin plus fort que votre mal, vous avez un médecin qui sait vaincre la nature de votre maladie, vous avez un médecin à qui il suffit d'un signe pour (329) guérir, vous avez un médecin à qui il suffit de vouloir pour vous rendre la santé, qui peut, qui veut vous la rendre. Vous n'étiez pas, il vous a appelés; maintenant vous êtes, et l'erreur vous tient, à bien plus forte raison, il pourra vous redresser. N'avez-vous pas entendu dire comment, au premier jour, il prit de la poussière de la terre, et forma l'homme? comment, avec de la terre, il fit de la chair? il fit des nerfs? il fit des os? Il fit une peau? il fit des veines? il fit un nez? il fit des yeux, des paupières, des sourcils, une langue, une poitrine, des mains, des pieds, tout le reste? De la terre pour matière, une seule substance; et l'art vint et il fit une oeuvre variée. Pouvez-vous dire de quelle manière vous avez été créés? De même, impossible à vous de dire comment les péchés se purifient. Si le feu qui tombe sur les épines les consume, à bien plus forte raison la volonté de Dieu met à néant nos fautes, en arrache et en disperse les racines, et met le pécheur dans le même état que celui qui n'a pas péché. Ne recherchez pas le comment, ne scrutez pas ce qui est arrivé, croyez au miracle. J'ai péché, dites-vous, et souvent et grandement péché. Et qui est donc sans péché? Mais, me répond celui-ci, mes péchés sont considérables, énormes, dépassant toute mesure. Voici ce qui te suffit pour le sacrifice: Sois le premier à dire tes iniquités, pour être justifié. (Is 11 Is 43,26) Reconnais que tu as péché, et ce sera pour toi un commencement de correction. Afflige-toi, abaisse-toi, verse des pleurs. La femme adultère a-t-elle fait autre chose? Rien autre chose que de verser des pleurs de repentie; elle a pris le repentir pour guide, et s'est approchée de la fontaine

6584 4. Que dit le publicain évangéliste? écoutons: Jésus étant parti de ce lieu, se retira du côté de Tyr et de Sidon, et voici qu'une femme. L'évangéliste s'étonne: Voici qu'une femme, l'ancienne arme du démon, celle qui m'a chassé du paradis, la mère du péché, la première tête de la prévarication,c'est cette même première femme qui vient, c'est la nature même; merveille étrange, incroyable; les Juifs fuient le Sauveur, et une femme le suit. Et voici qu'une femme, qui était sortie de ce pays-là, s'écria en lui disant: Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi! (Mt 15,21-22) Une femme devient évangéliste et proclame la divinité et l'incarnation Seigneur, elle reconnaît la puissance; Fils de David, elle confesse l'incarnation; ayez pitié de moi; voyez la sagesse. Ayez pitié de moi; je n'ai pas de bonnes oeuvres par devers moi, je n'ai pas ia confiance que donne une bonne vie, j'ai recours à la pitié, je me réfugie dans le port ouvert aux pécheurs, je me réfugie auprès de la miséricorde, où il n'y a pas de tribunal, où se trouve, sans examen, le salut; et ainsi malgré ses péchés, malgré ses infractions à la loi, elle a osé s'approcher. Voyez encore la sagesse de la femme! Elle ne s'adresse pas à Jacques, elle ne fait pas de prières à Jean, elle ne s'approche pas de Pierre, elle ne fait pas de distinction dans le choeur des apôtres. Je n'ai pas besoin d'intermédiaire, le repentir parle pour moi, et je vais droit à la source même. S'il est descendu, s'il a revêtu notre chair, c'est pour que moi aussi je m'entretienne avec lui. En haut, les chérubins tremblent près de lui, et, sur la terre, la femme impudique s'entretient avec lui. Ayez pitié de moi. Courte parole, mais elle a découvert l'immense mer d'où le salut découle. Ayez pitié de moi. C'est pour cela que vous êtes venu près de moi; c'est pour cela que vous lavez revêtu ma chair, c'est pour cela que vous êtes devenu ce que je suis. En haut, le tremblement; en bas, la confiance Ayez pitié de moi. Je n'ai pas besoin d'intermédiaire. Ayez pitié de moi. Qu'avez-vous? Je cherche la pitié. Que souffrez-vous? Ma fille est misérablement tourmentée par le démon. La nature est torturée, la commisération s'exerce. Elle est sortie dans la pensée de parler pour sa fille: elle n'apporte pas la malade, ce qu'elle apporte, c'est sa foi. Il y a un Dieu qui voit tout. Ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Deuil cruel; l'aiguillon de la nature a déchiré le sein maternel, la tempête est dans ses entrailles.. Que ferai-je? Je suis perdue. Et pourquoi ne dis-tu pas, ayez pitié de ma fille, mais, ayez pitié de moi. C'est qu'elle est insensible à son mal, elle n'a pas conscience de ce qu'elle souffre, elle ne sent pas la douleur, ellë a comme un voile qui lui dérobe son mal, c'est l'absence de la douleur, ou plutôt l'absence du sentiment. C'est de moi, de moi qu'il faut que vous ayez pitié; de moi, qui vois ces maux de chaque jour; j'ai chez moi un spectacle continuel de malheur. Où aller? dans le désert? Mais je n'ose pas la laisser seule. Rester à la maison? Mais j'y trouve l'ennemi chez moi, les flots grondent dans le port, chez moi, un spectacle de malheur. Quel nom lui donner? Est-elle morte? mais je la (330) vois se mouvoir. Est-elle vivante? mais elle n'a pas la conscience de ce qu'elle fait. Je ne saurais trouver le mot qui exprime sa souffrance. Ayez pitié de moi. Si ma fille était morte, je ne souffrirais pas ce que je souffre; j'aurais déposé son corps dans le sein de la terre, et, avec le temps, l'oubli serait venu, la blessure se serait cicatrisée; mais maintenant j'ai toujours un cadavre sous les yeux, qui fait à mon coeur une continuelle blessure, qui toujours accroît ma douleur.. Comment puis-je voir des yeux bouleversés par la convulsion, des mains qui se tordent, des cheveux en désordre, l'écume qui sort de la bouche, le démon intérieur qui se manifeste sans se montrer? Le bourreau qui flagelle est invisible; mais les coups, je les vois. Je suis là contemplant ces douleurs hors de moi; je suis là, et la nature me perce de son aiguillon. Ayez pitié de moi. Affreuse tempête, douleur épouvantable; douleur qui vient de la nature, épouvante qu'inspire le démon. Impossible à moi de l'approcher, impossible à moi de la toucher. La douleur me pousse auprès d'elle, l'épouvante me repousse loin d'elle. Ayez pitié de moi.

6585 5. Méditez bien la sagesse de la femme. Elle ne va pas trouver les sorciers, elle n'appelle pas les devins, elle n'a pas recours aux amulettes, elle n'a pas la pensée de payer des femmes qui vendent des sortilèges, qui évoquent les démons, qui ne font qu'aigrir la maladie; elle quitte l'officine du démon, elle se rend près du Sauveur de nos âmes. Ayez pitié de moi, ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Vous comprenez sa douleur, vous tous qui êtes pères; venez en aide à mon discours, vous toutes qui êtes mères. Je ne peux pas décrire la tempête qu'a supportée cette pauvre femme. Ayez pitié de moi: ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Avez-vous compris la sagesse de la femme? avez-vous compris sa constance? avez-vous compris sa force virile? avez-vous compris sa patience? Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Chose étrange! elle le prie, le conjure, déplore auprès de lui son malheur, développe cette tragique histoire, lui raconte son affliction, et lui, plein de bonté pour les hommes, il ne répond pas. Le Verbe se tait, la source demeure fermée, le médecin garde ses remèdes. Quelle nouveauté surprenante! Tu cours auprès des autres, cette malheureuse accourt auprès de toi, et tu la chasses! Mais considérez la sagesse du médecin. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Pourquoi? c'est qu'il ne considérait pas ses paroles, il remarquait les secrets de sa pensée. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Et les disciples? la femme n'obtenant pas de réponse, ils s'approchent de lui et lui disent: Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. (Mt 15,23) Mais tu n'entends, toi, que le cri du dehors; j'entends, moi, le cri du dedans: grande est la voix de la bouche; plus grande, celle de la pensée. Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. Un autre évangéliste dit, devant nous (1). Les paroles se contredisent, mais il n'y a pas de mensonges; la femme fit les deux. D'abord elle cria derrière; ensuite, n'obtenant pas de réponse, elle alla devant, comme un chien qui lèche les pieds de son maître. Accordez-lui ce qu'elle demande. Elle était là en spectacle, elle, rassemblait le peuple; les disciples ne considéraient que d'une façon tout humaine la douleur de la femme, le Maître, au contraire, considérait en outre le salut de cette femme. Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie, derrière nous. Que fait donc alors le, Christ? Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. (Mt 15,21) Par cette réponse, il irrita sa blessure: c'était le médecin qui coupe, non pour diviser, mais pour réunir.

1 Saint Marc (Mc 7,25) dit: Elle se jeta devant ses pieds; de là vient que saint Chrysostome qui cite de mémoire, dit devant nous.

6586 6. Ici accordez-moi toute votre attention. Je veux traiter une question profonde. Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. Est-ce là toute votre mission? vous vous êtes fait homme, vous vous êtes incarné, vous avez fait de si grandes choses pour ne sauver qu'un coin du monde, et qui périr sait. La terre entière n'est-elle donc qu'un désert dans le pays des Scythes, des Thraces, des Indiens, des Maures, en Cilicie, en Cappadoce, en Syrie, en Phénicie, dans tous les lieux que voit le soleil? C'est pour les seuls Juifs que vous êtes venu? toutes les nations, vous les négligez? et peu vous importe la graisse des sacrifices, la fumée, votre Père outragé, les idoles adorées, les démons qui reçoivent un culte? Cependant les prophètes ne nous disent vas cela; votre aïeul selon la chair, que dit-il? Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j'étendrai votre possession jusqu'aux extrémités de la terre. (Ps 2,8)
331 Et maintenant Isaïe, qui a contemplé les séraphins: Le rejeton de Jessé se lèvera pour commander à tous les peuples; les nations espéreront en lui. (Is 11,10) Et Jacob: Le sceptre ne sera point ôté de Juda; ni le prince de sa postérité jusqu'à ce que Celui qui doit être envoyé soit venu, et c'est lui qui est l'attente des nations. (Gn 49,10) Et Malachie.: Parce qu'en vous seront fermées les portes d'airain, et elles ne changeront pas ce qui est proposé, parce que, du levant jusqu'au couchant, votre nom est glorifié parmi les nations, et en tons lieux on offre l'encens au Seigneur, et un sacrifice pur. (Ml 1,10-11) Et David encore: Nations, frappez des mains toutes ensemble: témoignez à Dieu votre ravissement par des cris d'allégresse. Car le Seigneur est élevé et terrible; il est le roi suprême qui a l'empire sur toute la terre. Dieu est monté au milieu des cris de joie, et le Seigneur au bruit de la trompette. (Ps 47,1-2 Ps 47,5) Et un autre: Nations, réjouissez-vous avec son peuple. (Dt 32,43) Et vous-même, à votre avènement, ne vous êtes-vous pas empressé d'appeler à vous les mages, la citadelle des nations, la tyrannie de Satan, la vertu des démons? en descendant sur la terre, n'en avez-vous pas fait des prophètes? c'est vous qui appelez les mages; les prophètes parlent des nations. Après être ressuscité de l'enfer, Nous dites aux disciples: Allez, instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père,du Fils, et du Saint-Esprit (Mt 28,19); et quand vient cette malheureuse, cette infortunée, vous implorant pour sa fille, vous conjurant de la délivrer, vous lui dites: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues; au centenier qui s'approche, vous dites: J'irai, et je le guérirai (Mt 8,7); au larron: Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis (Lc 23,43); au paralytique: Levez-vous, emportez votre lit, et allez (Mt 9,6); à Lazare: Lazare, venez ici, sortez (Jn 11,43); et au bout de quatre jours qu'il était mort, il sortit. Vous purifiez les lépreux, vous ressuscitez les morts, vous rendez la force au paralytique, vous guérissez les aveugles; vous sauvez les brigands, vous rendez la courtisane plus chaste qu'une vierge, et à celle-ci vous ne répondez rien? Quelle étrange conduite! qu'elle est étonnante! incroyable!

6587 7. Faites bien attention! comprenez la force virile de cette femme et la sagesse et la sollicitude du Seigneur; comprenez le profit du retard qu'elle supporta, le trésor que lui ménageait un refus; et si vous priez, vous aussi, sans recevoir, ne vous désistez jamais. Attention, faites bien attention. Quand les Juifs furent affranchis de la tyrannie des Egyptiens, et qu'ils s'échappèrent des mains de Pharaon, ils se dirigèrent. vers le désert, pour entrer sur la terre des Chananéens; idolâtres, impies, qui adoraient des pierres, des morceaux de bois, et manifestaient une grande impiété. Dieu alors imposa aux Juifs cette loi: Vous ne prendrez pas de leurs fils pour vos gendres, vous ne leur donnerez pas votre fille pour bru. N'échangez pas l'or. avec eux, ne vous asseyez pas à la même table, n'habitez pas avec eux, n'ayez aucun autre rapport semblable, parce que ce sont des peuples injustes, et je vous mène dans leur pays pour qu'il devienne votre partage. (Ex 23,24 Dt 7,3) Telles étaient à peu près les prescriptions de la loi: n'achetez pas, ne vendez pas, ni mariages, ni contrats; quoique voisins, soyez séparés par les moeurs. N'ayez rien de commun avec eux, ni pactes, ni ventes, ni achats, ni mariages: il pourrait se faire que les liens de la parenté vous fissent glisser dans l'impiété; la réciprocité des dons vous rendrait amis; soyez, au contraire, toujours leurs ennemis. Qu'il n'y ait rien de commun entre vous et les Chananéens; ne recevez ni leur or, ni leur argent, ni leurs vêtements, ni leurs filles, ni leurs fils, ni rien de semblable; vivez à part vous. Vous avez une langue qui vous sépare, et je vous ai donné une loi, voilà pourquoi la loi s'appelle une baie. Car, de même qu'on entoure la vigne d'une baie, de même les Juifs sont entourés et défendus par la loi pour éviter qu'en la franchissant ils ne se mêlent avec les Chananéens. Ces peuples, en effet, avaient des commerces illégitimes; les lois naturelles étaient perverties; ils adoraient des idoles; ils rendaient un culte à des morceaux de bois; Dieu était outragé; on égorgeait les enfants; on méprisait les pères; on insultait les mères; tout était confondu, tout était bouleversé, c'était une vie de démons. Aussi les Juifs n'avaient aucun commerce avec eux, ils ne leur vendaient rien; la loi interdisait aux Juifs, sous des peines sévères, tout mariage tout pacte, tout marché; les Juifs n'avaient (332) rien de commun avec eux. La loi avait donc pourvu à ce que les Juifs ne fissent aucun pacte avec les Chananéens, à ce qu'ils ne leur livrassent point d'or, ni rien autre chose, de peur que l'amitié ne devînt une occasion d'impiété. La loi était comme une haie autour d'eux. J'ai planté une vigne, dit-il, et je l'ai environnée d'une haie, c'est-à-dire, je l'ai environnée avec la loi, qui n'a pas d'épines, mais des prescriptions,. pour protéger, pour séparer. Donc les Chananéens étaient abominables; dignes d'exécration, des impies, des criminels, des infâmes, des êtres immondes, et, pour cette raison les Juifs ne voulaient même pas les entendre, jaloux d'ailleurs d'observer la loi. Or cette femme était chananéenne. Et voici qu'une femme, qui était sortie de ce pays-là, dit l'Evangéliste. C'est parce que cette femme était chananéenne, et s'était approchée du Christ, que le Christ dit: Qui de vous me convaincra de péché? Est-ce que j'ai transgressé la loi? Car s'étant fait homme, il remplissait les devoirs de l'homme.

6588 8. Attention, maintenant. Donc, cette femme était chananéenne; elle sortait d'un pays où les fureurs, la rage, l'impiété, la tyrannie de Satan, tous les transports des démons foulaient aux pieds la nature, où l'on ne voyait que l'aveugle brutalité des brutes, les fureurs infernales; de plus, la loi avait dit: Entre toi et les Chananéens, rien de commun, ne leur donne rien, ne reçois rien d'eux, ni femme, ni gendre; ni pactes, ni contrats; car c'est pour cela que j'ai planté la haie tout autour de mon peuple; maintenant le Christ est venu, s'est fait homme, et tout d'abord a subi la circoncision légale, a offert les sacrifices, a présenté les offrandes d'usage, s'est en tout conformé à la loi, lui qui venait pour abroger la loi. On aurait pu lui dire que c'était, parce qu'il ne pouvait pas satisfaire à la loi, qu'il l'abrogeait: il commence par y satisfaire, et ensuite, il l'abroge, parce qu'il ne veut pas que vous pensiez qu'il ne pouvait pas y satisfaire; tout au contraire, il y satisfait en tout, selon l'usage. Voilà pourquoi il s'écrie: Qui de vous me convaincra de péché? Donc, la loi interdisant tout rapport avec les Chananéens, les Juifs pouvant accuser le Christ et lui dire: Voilà pourquoi nous ne croyons pas en vous, c'est que vous transgressez la loi, vous avez violé la loi, vous êtes allé dans le pays des Chananéens, vous avez eu commerce avec les Chanéens, malgré la loi qui dit, tu n'auras aucun commerce; pour cette raison, au premier moment, le Christ n'adresse aucune parole à cette femme. Attention, voyez comme il satisfait à la loi, en différant d'accorder à cette femme la guérison, comme il ferme la bouche aux Juifs, et ranime cette femme: Mais il ne lui répondit pas un seul, mot, dit l'évangéliste. Ne vous saisissez pas de prétextes; voyez, je ne dis rien; voyez, je ne lui parle pas; voyez, le malheur est là, et je ne me montre pas; voyez le naufrage, et moi, le pilote, je ne lutte pas contré la tempête, parce que vous êtes là, méchants, et que je ne veux pas vous fournir de prétextes. Voyez, cette femme a rassemblé autour de moi le peuple qui me regarde, et elle n'a pas encore une réponse; je ne veux pas que vous me disiez, vous vous êtes livré aux Chananéens, vous avez transgressé la loi, nous nous emparons de ce prétexte pour ne pas croire en vous. Ainsi vous le noyez, s'il n'a pas répondu à la femme, c'est pour mieux répondre aux Juifs; son silence envers la femme, était une parole qui accusait la méchanceté des Juifs.

6589 9. Or, en cela il ne consultait pas sa dignité, il trouvait un tempérament pour condescendre à leur infirmité. Quand il purifia le lépreux, il lui dit: Allez, offrez le don prescrit par Moïse. (Mt 8,4) Tu l'as purifié, et tu le congédies en lui recommandant la loi de Moïse. Oui. Pourquoi? Pour les Juifs, pour qu'ils ne commencent pas à m'accuser d'avoir transgressé la loi. Aussi, quand il guérit le lépreux, il le fit d'une manière inaccoutumée; apprenez comment: Et, en même temps, un lépreux vint à lui, et lui dit: Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. Jésus, étendant la main, le toucha, et lui dit: Je le veux, soyez guéri. (Mt 8,2-3) La loi; défendait de toucher un lépreux. Quand Naaman, un général, couvert de la lèpre, vint trouver le prophète Elisée (2R 5,9-10), son disciple lui dit: Il y a, à la porte, un général, couvert de la lèpre. Le prophète envoie son disciple au dehors pour lui dire: Allez vous laver dans le Jourdain. Il n'osa pas sortir lui-même, voir, toucher le lépreux. Elisée donc purifia le lépreux; pour que les Juifs ne pussent pas dire que le Christ avait opéré la purification de la même manière qu'Elisée, celui-ci n'ose pas toucher le malade; le Christ, au contraire, le touche et dit: Je le veux, (333) soyez guéri; étendant la main, il le toucha. Pourquoi le toucha-t-il? Pour vous apprendre qu'il n'est pas un esclave assujetti à la loi, mais le Seigneur, supérieur à la loi. Comment donc a-t-il observé la loi? Quand il a dit: Je le veux, soyez guéri, au lieu de toucher le lépreux tout de suite. La parole a précédé, la maladie a disparu, ensuite il a touché le malade, et il a dit: Je le veux, soyez guéri. Comment? A l'instant il fut guéri. L'évangéliste n'a pu trouver une expression (car, à l'instant, n'est pas assez rapide) capable de rendre la vitesse de l'action. A l'instant. Comment? En même temps que la parole sortit, la maladie avait disparu, s'était enfuie.; plus de lèpre, c'était un homme, désormais purifié que ce lépreux. Aussi dit-il: Allez, montrez-vous au prêtre, et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage. A qui? Aux Juifs, afin qu'ils ne disent pas que j'enfreins la loi. C'est moi qui ai opéré la guérison, et je dis: Offrez le don, conformément à la loi, afin qu'en ce jour le lépreux accuse les Juifs par ces paroles: il m'a prescrit d'offrir le don selon la loi. Et comme le Christ taisait beaucoup de choses, à cause des Juifs, afin de leur ôter absolument toute excuse, il agit de même, en la présente occasion. Ayez pitié de moi, car ma fille est, misérablement tourmentée par le démon. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Or les disciples. s'approchèrent de lui, et fui dirent: Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. Que répond Jésus? Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. Il fait cette réponse, pour que les Juifs ne disent pas, vous nous avez abandonnés, vous êtes allé chez les étrangers, et voilà pourquoi»nous n'avons pas. cru en vous. Voyez, dit-il, des Gentils viennent auprès de moi, et je ne les reçois pas; pour vous, même quand vous me fuyez, je vous appelle, Venez à moi, vous tous qui souffrez (Mt 11,28), et vous ne venez pas; celle-ci, je la rejette loin de moi, et elle persiste. Un peuple que je n'avais point connu, dit le Psalmiste, m'a été assujetti, il m'a obéi aussitôt, qu'il a entendu ma voix. (Ps 18,43-44). Et ailleurs: J'ai apparu à ceux quine me cherchaient pas, et j'ai été découvert par ceux qui ne m'interrogeaient, pas. (Is 65,1) Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. Voyons donc ce que dit le Christ: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. N'étaient-ce pas là des paroles de refus? C'est à peu près, comme s'il lui disait, va-t-en, il n'y a rien de commun entre nous; je ne suis pas venu pour toi, mais je suis venu pour les Juifs. Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. A ces mots cette femme dit: Seigneur, assistez-moi; et elle l'adorait en lui parlant. (Mt 15,25) Mais il ne lui répondait pas. Voyez ce qu'il répondit: Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. (Mt 15,26) O sollicitude du médecin! Il la réduit au désespoir. Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants: quels sont ces enfants? Les Juifs; et de le donner aux chiens, c'est-à-dire, à vous.

10. En réalité, ces paroles ont été prononcées pour la honte des Juifs, par le Seigneur; ceux qu'il appelait des enfants, sont devenus des chiens. De là, ce que dit Paul: Gardez-vous des chiens, gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des faux circoncis. Car c'est nous qui sommes les vrais circoncis. (Ph 3,2 Ph 3,3) Les Gentils qu'on appelait des chiens, sont devenus des enfants. Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. (Ga 4,19) Cet éloge accuse les Juifs. Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens. Que fait la femme? Il est vrai, Seigneur, Oui. O énergie de la femme! O noble combat! Le médecin dit, non, et celle-ci dit, oui. Le Seigneur dit: non, et elle dit, il est vrai, oui. Il n'y a pas d'accusation dans ses paroles; d'impudence dans sa conduite; elle attend le salut. Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. Il est vrai, Seigneur, oui. Vous m'appelez chien; et moi je vous appelle Seigneur; vous me couvrez d'opprobres, et moi je vous glorifie. Il est vrai, Seigneur, oui; mais les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. (Mt 15,27) Q adresse de la femme! elle tire de l'exemple proposé une réponse qui s'y adapte avec. justesse. Vous m'appelez chien, je me nourris comme un chien. Je ne rejette pas l'opprobre, je ne refuse pas le nom; je prends la nourriture d'un chien, et elle cite l'exemple que le chien donne. Quant à vous, confirmez vos paroles: puisque vous m'avez appelée du nom de chien, je veux des miettes: vous vous êtes fait l'avocat de ma demande, en me refusant; soyez d'accord avec (334) vous-même. Il est vrai, Seigneur, oui; mais les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Eh bien! que fait maintenant celui qui refusait, qui repoussait, qui chassait loin de lui cette femme qui lui disait: Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens? Celui qui disait encore: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues? O femme, grande est votre foi! (Mt 15,28) Comment, vous voilà devenu tout à coup son panégyriste! vous publiez sa gloire! N'est-ce pas vous qui la repoussiez, qui la rejetiez loin de vous? Rassurez-vous; je sais bien pourquoi je l'ai fait attendre. Si je l'avais écoutée tout d'abord, vous n'auriez pas connu sa foi. Si elle avait été exaucée tout d'abord, vite elle se serait retirée, personne n'aurait deviné son trésor. J'ai donc différé, pour montrer à tous la foi qu'elle porte en son coeur.

O femme! Dieu dit, ô femme! Ecoutez tous, vous qui ne savez pas encore bien prier. Quand je dis à quelqu'un, priez Dieu, conjurez-le, suppliez-le; on me répond: je l'ai prié une fois, deux fois, trois fois, dix fois, vingt fois, et je n'ai jamais rien reçu. Ne cessez pas, mon frère, jusqu'à ce que vous ayez reçu; la fin de la prière, c'est le don reçu. Cessez, quand vous 'avez reçu, ou plutôt ne cessez pas, même alors persévérez encore. Si vous n'avez pas reçu, demandez pour recevoir; si vous avez reçu, rendez grâces pour ce que vous avez reçu. Une foule de personnes entrent dans l'Eglise, y récitent par milliers les vers en guise de prière et s'en vont, ne se doutant pas de ce qu'elles ont dit: ce sont les lèvres qui remuent, mais le coeur n'entend pas. Comment! tu n'entends pas toi-même ta prière, et tu veux que Dieu l'entende? J'ai fléchi, dis-tu, les genoux; mais ta pensée s'était envolée dehors: ton corps était dans l'église, mais ton esprit, par la ville; ta bouche récitait la prière, mais ta pensée supputait des intérêts d'argent, s'occupait de contrats, d'échanges, de terrains, de domaines à acquérir, de réunions avec des amis. Le démon est malin, il sait que la prière est ce qui avance le plus nos progrès, c'est alors qu'il fond sur vous. Souvent nous sommes étendus sur le dos dans notre lit, sans penser à mal; mais si nous venons pour prier, c'est alors qu'il nous envoie mille et une pensées, pour nous chasser de l'Eglise, les mains vides.

11. Averti de ce gui se passe dans les prières, mon bien-aimé, imitez la Chananéenne; imitez, vous qui êtes un homme, cette femme étrangère, infirme, abjecte, vile. Mais vous n'avez pas de fille tourmentée par le démon? Mais vous avez une âme possédée par le péché. Que dit la Chananéenne? Ayez pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon: Dites aussi, vous, ayez pitié de moi! mon âme est misérablement tourmentée par le démon. C'est un grand démon que le péché. Le démoniaque excite la compassion; le pécheur est détesté; le premier, on lui pardonne, le second est sans excuse. Ayez pitié de moi. Courte parole, mais elle a découvert un océan de bonté; car où réside la miséricorde, là tous les biens abondent.

Quoique vous soyez hors de l'Eglise, dites, criez: Ayez pitié de moi! ne vous contentez pas de remuer les lèvres, criez par la pensée; ceux mêmes qui se taisent sont entendus de Dieu.. Ce qui importe, ce n'est pas le lieu mais un commencement de correction. Jérémie était dans la boue, il a attiré Dieu près de lui; Daniel était dans la fosse aux lions, et il s'est rendu Dieu propice; les trois jeunes hommes étaient dans la fournaise et ils ont fléchi Dieu, en le célébrant; le larron était crucifié, la croix ne l'a pas empêché de s'ouvrir le paradis; Job était sur le fumier, et il s'est attiré la clémence de Dieu; Jonas était dans le ventre de la baleine, et sa voix a été entendue de Dieu. Vous êtes au bain, priez; en voyage, dans votre lit, en quelque endroit que vous soyez, priez. Vous êtes le temple de Dieu, ne vous préoccupez pas du lieu; la volonté seule est nécessaire. En présence du juge, priez; le juge s'irrite, priez. La mer devant lui, les Egyptiens derrière lui, Moïse entre les deux, l'espace était bien resserré pour la prière; au contraire; le champ de la prière était large: Par derrière, les Egyptiens qui poursuivaient en face la mer; au milieu, la prière; et Moïse ne disait rien, et Dieu lui dit: Pourquoi cries-tu vers moi? (Ex 14,15) Sa bouche était muette, c'était sa pensée qui criait. Et vous, de même, mon bien-aimé, en présence du juge furieux, du tyran qui vous adresse les plus terribles menaces, et des autres bourreaux, qui font comme lui, priez Dieu, et votre prière calmera les flots.

Le juge vous presse? réfugiez-vous auprès de Dieu. Le prince est là? invoquez le Seigneur, (335) Est-ce que le Seigneur est un homme, pour qu'il vous soit nécessaire de vous rendre dans un lieu déterminé? Dieu est toujours près de vous. Si vous demandez une personne, vous cherchez à savoir ce qu'elle fait, si elle dort, si elle est de loisir, et le serviteur ne vous répond pas. Avec Dieu, rien de pareil; partout où vous allez, où vous l'invoquez, il vous entend; ni occupation, ni intermédiaire, ni serviteur pour barrer le chemin, Dites: Ayez pitié de moi, et aussitôt Dieu est présent. Vous n'aurez pas cessé de parler, dit-il, que je vous répondrai, me voici. (Is 58,9) O parole, pleine de douceur! Il n'attend pas la fin de la prière; tu n'as pas encore fiai ta prière, et tu reçois le don. Ayez pitié de moi. Irritons cette Chananéenne, je vous en prie: Ayez pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Et le Seigneur lui dit: O femme, grande est votre foi! qu'il soit fait comme vous voulez. Où est l'hérétique? A-t-il dit, j'invoquerai mon père? A-t-il dit, je supplierai celui qui m'a engendré? A-t-il eu, ici, besoin de prière? Nullement. Pourquoi? Comme la foi était grande, comme le vase était grand, la grâce y a été versée abondamment. Quand la prière est nécessaire pour opérer le miracle, c'est que le vase, c'est-à-dire la foi, est faible. O femme! grande est votre foi! Vous n'avez pas vu le mort ressuscité, le lépreux purifié, vous n'avez pas entendu les prophètes, vous n'avez pas médité la loi, vous n'avez pas vu séparer les eaux de la mer, vous n'avez vu aucun autre signe opéré par moi; bien plus vous avez été couverte d'opprobre et repoussée; malgré votre affliction, je vous ai rejetée, et vous ne vous êtes pas retirée, mais vous avez persisté recevez désormais de moi un digne et juste éloge: O femme! grande est votre foi. La femme est morte, et son éloge subsiste, plus brillant qu'un diadème. Partout où tu iras, tu entendras la parole du Christ: O femme! grande est votre foi. Entre dans l'Eglise des Perses, et tu entendras la parole du Christ: O femme! grande est votre foi; dans l'Eglise des Goths, dans l'Eglise des Barbares, des Indiens, des Maures, partout où le soleil regarde la terre: le Christ a dit une parole, une seule, et cette parole retentit toujours, et à haute voix proclame la foi de cette femme: O femme! grande est votre foi, qu'il soit fait comme vous voulez. Il ne dit pas: que votre fille soit guérie, mais, comme vous voulez. C'est à vous à la guérir, c'est à vous à lui servir de médecin, c'est à vous que je confie le remède, allez, servez-le, qu'il soit fait comme vous voulez. Que votre volonté soit ce qui la guérisse. La Chananéenne a guéri par sa volonté, et ce n'est pas le Fils de Dieu qui opère de lui-même la guérison. Qu'il soit fait comme vous voulez. La femme n'a rien ordonné, rien prescrit au démon, mais elle n'a eu qu'à vouloir, et la volonté de la femme a opéré la guérison et expulsé les démons. Où sont-ils ceux qui osent dire que le Fils a opéré par la prière? Qu'il soit fait comme vous voulez. Voyez encore la beauté de l'expression. Il imite son Père. En effet, lorsque Dieu créa le ciel, il dit: Que le ciel soit fait, et le ciel fut fait; que le soleil soit fait, et le soleil fut fait; que la terre soit faite, et la terre fut faite; ce fut par un ordre qu'il produisit la substance. De même, à son tour, le Christ: Qu'il soit fait comme vous voulez. L'affinité des expressions prouve ce qu'il y a de commun au fond des choses. Et sa fille fut guérie. Quand donc? à l'heure même (Mt 15,28); non pas quand la mère rentra dans la maison, mais avant qu'elle y fut arrivée. Elle revenait pensant trouver une démoniaque, elle trouva sa fille guérie, que sa volonté avait tendue à la santé. Pour tous ces bienfaits, rendons grâces au Dieu à qui convient la gloire dans. les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L'APÔTRE: PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ SUPPORTER MON IMPRUDENCE


Chrysostome Homélies 6571