Chrysostome sur Actes 1204

HOMÉLIE XIII. LE PRINCE DES PRÉTRES SE LEVANT, LUI ET TOUS CEUX QUI ÉTAIENT DE SON PARTI 5,17-33

ILS APPARTENAIENT A LA SECTE DES SADUCÉENS FURENT REMPLIS DE COLÈRE, ET ILS MIRENT LA MAIN SUR LES APÔTRES ET LES JETÈRENT DANS UNE PRISON PUBLIQUE. VERS. 17, 18, JUSQU'AU VERS. 33)
1300 Ac 5,17-33

ANALYSE. 1. Jetés en prison, les apôtres en sont miraculeusement tirés par un ange.
2. Fermeté des apôtres, belle réponse qu'ils font à ceux qui les interrogent.
3. Les apôtres persécutés, plus heureux que ceux qui les persécutent. — Il n'y a pas de jouissance comparable à celle de souffrir pour le Christ.
4. Que le pauvre jouit de plus de sécurité que le riche et est plus apte à accomplir les commandements de Dieu, par exemple celui qui défend de jurer.

1301 1. Rien de plus impudent ni de plus audacieux que la malice. Connaissant, par expérience, le courage des apôtres d'après leurs premières tentatives, ils en forment cependant de nouvelles et se lèvent encore une fois. Qu'est-ce que ceci : « Le prince des prêtres se levant, lui et tous ceux qui étaient de son parti? » Cela veut dire qu'il, s'éveilla, tout ému de ce qui s'était passé. « Et ils. mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans une prison publique ». Maintenant l'attaque est plus violente. Ils ne les jugèrent pas immédiatement, espérant qu'ils s'adouciraient. Et,comment voyons-nous que l'attaque est plus violente? Parce qu'ils les mettent dans une prison publique. Voilà les apôtres exposés de nouveau aux dangers et éprouvant aussi de nouveau le secours de Dieu. Comment? Ecoutez la suite : « Mais un ange du Seigneur ouvrit pendant la nuit les portes de la prison et les faisant sortir, leur dit : Allez, et vous tenant dans le temple, annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie ». Ceci s'est fait pour leur consolation, comme aussi pour leur avantage et leur instruction. Et voyez se renouveler ici ce qui s'est passé du temps du Christ. Il ne les rend pas témoins des miracles qu'il opère, mais il les dispose pour leur instruction ; ainsi il ne leur a pas permis de voir la manière dont il ressuscitait, car ils n'en étaient pas dignes; mais il leur démontre par ses oeuvres qu'il est ressuscité. De même, quand il changea l'eau en vin, les convives ne s'en aperçurent pas, puisqu'ils étaient ivres; ce fut à d'autres qu'il laissa le soin d'en juger. Il en est de même ici. On ne vit point sortir les apôtres, mais on eut des preuves pour constater leur évasion miraculeuse. Pourquoi les fait-il sortir pendant la nuit? Parce que c'était le meilleur moyen de faire croire à leur témoignage; parce qu'autrement on ne serait pas venu pour les interroger ou qu'on ne les aurait pas crus. Il en arriva de même autrefois : par exemple dans le temps de Nabuchodonosor : il vit les enfants louer Dieu au milieu de la fournaise et fut frappé de stupeur. Il aurait d'abord fallu demander aux apôtres Comment êtes-vous sortis?

Mais, comme si rien ne se fût passé, on leur dit : « Ne vous avions-nous pas absolument défendu de parler? » Et voyez comme ils ont tout appris par d'autres. Ils voient la prison fermée et les gardes debout de tant les portes. « Les apôtres ayant entendu ces paroles entrèrent dans le temple au point du jour, et là ils enseignaient. Mais le prince des prêtres arrivant et ceux de son parti avec lui, ils assemblèrent le conseil et tous les anciens des enfants d'Israël; et ils envoyèrent à la prison pour qu'on amenât les apôtres. (47) Quand les officiers furent arrivés, on ouvrit la prison, et ne les ayant pas trouvés, ils retournèrent en porter la nouvelle et dirent : Nous avons trouvé la prison soigneusement fermée et les gardes debout devant les portes ; mais ayant ouvert, nous n'avons trouvé personne dedans ». Il y avait ici, comme pour le sépulcre, une double garantie le sceau et les gardes. Voyez à quel point ils sont ennemis de Dieu ! Dites-moi : étaient-ce des faits humains, tout ce qui se passait? Qui les avait tirés de la prison fermée? Comment étaient-ils sortis, quand les gardes étaient debout devant les portes? C'est vraiment là le langage de gens furieux et ivres. Comme des enfants privés de raison, ils espèrent vaincre des hommes qu'une prison, que des chaînes, que des portes fermées n'ont pu retenir ! Cependant leurs ministres sont là, qui confessent le fait, comme pour leur ôter toute excuse. Voyez-vous comme les signes se multiplient, les uns par eux, les autres pour eux : ceux-ci plus éclatants que les premiers?

C'est avec raison que la nouvelle n'a pas été portée immédiatement, mais qu'il y a d'abord eu embarras, afin que, témoins de la puissance divine, ils soient ainsi instruits de tout. « Lorsqu'ils eurent entendu ces discours (1), le prince des prêtres, le magistrat du temple et les princes des prêtres étaient embarrassés et ne savaient que faire. Mais quelqu'un arriva et leur dit : Voilà que ceux que vous avez mis en prison sont dans le temple debout et enseignant le peuple. Alors le magistrat s'en allant avec les ministres, les amena sans violence, car ils craignaient d'être lapidés par le peuple ». O folie! Ils craignaient le peuple, dit-on; à quoi cela leur servait-il? C'était Dieu qu'il fallait craindre, Dieu qui les enlevait toujours de leurs mains comme des oiseaux; et ils craignaient le peuple ! « Le prince des prêtres les interrogea en disant : « Ne vous avions-nous pas absolument défendu d'enseigner en ce nom-là ? Et voilà que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine, et que vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme ». Que répondent les apôtres? Ils leur parlent encore avec douceur, bien qu'ils pussent leur dire : Qui êtes-vous pour vous mettre en opposition avec Dieu? Que répondent ils enfin ? Ils répondent en

1 Ce texte diffère de celui de la Vulgate.

donnant encore avec douceur des exhortations et des conseils. « Pierre répond, et avec lui les apôtres : Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes ». C'est là une grande philosophie par laquelle ils prouvent qu'ils combattent pour Dieu. « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous-mêmes avez fait mourir en le suspendant à un bois. Dieu a exalté de sa droite ce Prince, ce Sauveur, pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ». Celui que vous avez fait mourir, leur dit-il, Dieu l'a ressuscité. Voyez comme il attribue encore tout au Père, de peur que le Christ, ne parût étranger au Père. « Et l'a exalté de sa droite ». Il n'indique pas seulement la résurrection, mais encore l'exaltation, c'est-à-dire l'ascension. « Pour procurer la pénitence à Israël ».
1302 2. Voyez encore une fois le profit et l'enseignement parfait sous forme d'apologie. « Et nous sommes les témoins de ces choses ». Voilà une grande liberté de langage. Pour confirmer ce qu'il avance, il ajoute: « Et aussi l'Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent ». Vous voyez qu'ils ne s'appuient pas seulement sur leur propre témoignage, mais encore sur celui de l'Esprit. Et ils ne disent pas : « Qu'il nous a donné », mais : « A ceux qui lui obéissent » ; usant en cela de modestie, faisant voir en même temps que cet Esprit est grand et qu'eux-mêmes peuvent le recevoir. Voyez comme ils sont instruits par paroles et par actions, et n'y font pas attention, en sorte que leur condamnation sera juste. Car Dieu a permis que les apôtres fussent traduits en jugement, afin que leurs ennemis fussent instruits, s'ils voulaient l'être, et pour qu'ils prissent eux-mêmes confiance. « Ayant entendu ces choses, ils frémissaient de rage et pensaient à les faire mourir ». Voyez l'excès de la malice ! Au lieu de s'effrayer de ce qu'ils avaient entendu, ils frémissent de rage et songent à les faire mourir. Mais il est nécessaire de reprendre ce qui a été lu plus haut. « Un ange du Seigneur ouvrant les portes de la prison pendant la nuit, les fit sortir en disant : Allez, tenez-vous dans le temple, et annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie. Les fit sortir » ; il ne les emmène pas lui-même, mais il les renvoie ; ce qui montre l'intrépidité dont ils ont fait preuve eu entrant la nuit dans le temple pour enseigner. Si les gardes les avaient fait sortir, (48) comme leurs ennemis le pensaient, ils se seraient enfuis, à supposer qu'ils se fussent laissé séduire; bien plus, dans le cas même où les magistrats leur auraient donné la liberté, ils ne se seraient pas arrêtés dans le temple, mais ils auraient pris la fuite; il n'y a personne qui ne sente cela à moins d'être fou.

« Ne vous avions-nous pas absolument défendu ? » S'ils vous ont jamais obéi, votre reproche est fondé; mais s'ils vous ont dit qu'ils ne vous obéiraient pas, vos reproches sont inutiles, vos défenses superflues. Voyez l'inconséquence désastreuse et l'excès de la démence ! Ils veulent enfin révéler l'intention homicide des Juifs, et faire voir qu'ils n'agissent point par amour pour la vérité, mais par vengeance. Voilà pourquoi les apôtres ne leur répondent pas avec hauteur, car ils étaient docteurs; et pourtant quel homme, après avoir remué toute la ville, et étant favorisé de telle grâce, n'aurait pas pris un ton élevé? Autre fut la conduite des apôtres : ils ne se fâchèrent point, mais ils les prirent en pitié, versèrent des larmes et ne songèrent qu'aux moyens de les délivrer de l'erreur et de la colère. Ils ne leur disent plus: « Jugez vous-mêmes », mais ils prêchent avec fermeté : « Celui que Dieu a ressuscité » ; montrant par là que tout ceci se passe selon la volonté de Dieu. Ils ne disent pas : Ne vous avons-nous pas dit que « nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu », car ils ne sont point querelleurs; mais ils reviennent sur les mêmes sujets, à savoir: la croix et la résurrection. Ils ne disent pas pourquoi le Christ a été crucifié, ni qu'il l'a été pour nous ; mais ils y font allusion et ne parlent pas clairement, parce qu'ils veulent d'abord les épouvanter. Dites-moi : quelle rhétorique y a-t-il là-dedans ? Aucune. Ils annoncent sans apprêt l'Evangile de vie. Après avoir dit : « L'a exalté », il ajoute pourquoi: « Pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ».

Mais, direz-vous, cela paraissait alors incroyable. Eh! comment cela n'eût-il pas été croyable, quand ni les chefs, ni la foulé n'y pouvaient contredire? quand on fermait la bouche aux uns et qu'on instruisait les autres? « Et nous sommes les témoins de ces choses». De quelles choses? De l'annonce du pardon, de la pénitence; car la résurrection était un fait établi. Que le Christ donne la rémission, nous en sommes témoins et aussi l'Esprit-Saint, qui ne serait pas venu si les péchés n'avaient pas été remis; en sorte que cette preuve est incontestable. Tu entends, malheureux, parler de la rémission des péchés, tu entends dire que le Christ ne demande pas vengeance, et tu veux donner la mort? Quel excès de malice ! Il fallait donc ou convaincre les apôtres de mensonge, ou, si on ne le pouvait, ajouter foi à leur parole; que si on ne voulait pas ajouter foi à leur parole, il ne fallait pas les faire mourir. Qu'y a-t-il là-dedans qui mérite la mort? Mais dans leur fureur ils ne savaient pas même ce qui s'était passé. Voyez comme les apôtres, après avoir rappelé le crime, parlent de pardon; montrant par là que si le crime était digne de mort, la rémission était offerte au repentir. Comment les aurait-on persuadés autrement qu'en leur disant qu'ils feraient bien d'en profiter? Et voyez la méchanceté ! On leur amène des sadducéens., qui étaient les plus opposés au dogme de la résurrection. Mais leur malice ne leur servit à rien. — On dira peut-être. Comment un homme aussi favorisé que les apôtres ne serait-il pas devenu grand? Mais voyez comme, avant de recevoir la grâce, ils persévéraient tous dans l'oraison, et attendaient le secours d'en-haut. Et vous, mon cher auditeur, qui espérez le royaume du ciel, vous ne supportez rien? Vous avez reçu l'Esprit, et vous n'endurez ni de telles souffrances, ni de tels périls? Et eux, avant d'avoir pu respirer à la suite des premières épreuves, étaient conduits à de nouvelles. Et quel avantage de ne point s'enorgueillir, d'être exempt de vaine gloire? Quel profit de parler avec douceur ? Ici tout n'était pas l'effet de la grâce; leur bonne volonté se manifeste par bien des preuves; et si les dons de la grâce étaient chez eux si éclatants, il faut l'attribuer à leur fidélité et à l'ardeur de leur zèle.
1303 3. Et voyez dès l'abord quelle est la sollicitude de Pierre, sa sobriété, sa vigilance; comment les fidèles se dépouillaient de leurs biens. Ils n'avaient rien en propre, ils s'adonnaient à la prière, ils vivaient dans la concorde, ils jeûnaient. Quels fruits de grâce ! Aussi, leurs ennemis sont-ils confondus par leurs propres ministres, lesquels reviennent annoncer ce qu'ils ont vu, comme ceux qu'on envoya un jour vers le Christ, disaient: « Jamais homme n'a parlé comme parle cet homme ». (Jn 7,46) Considérez ici avec moi leur (49) mansuétude, leur condescendance, et aussi l'hypocrisie du prince des prêtres. Il leur parle en effet avec douceur, parce qu'il a peur, et qu'il veut plutôt les empêcher d'agir que les faire mourir, vu que ceci lui était, impossible. Et pour émouvoir la foule, et suspendre sur sa tête la menace des derniers périls, il leur dit : « Voulez-vous faire retomber sur nous le sang de cet homme ? » — Le crois-tu donc un homme encore? — Il s'exprime ainsi pour leur faire voir que l'ordre qu'il donne est dicté par la nécessité. Ecoutez la réponse de Pierre : « Dieu a exalté de sa droite ce Prince, ce Sauveur, pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ». Il ne parle pas ici des nations, pour ne donner aucune prise.

« Et ils songeaient à les faire mourir ». Voyez encore une fois comme les uns sont dans l'angoisse et la douleur, et les autres dans le calme, l'allégresse et la joie ; et ce n'est pas chez ceux-là une simple douleur, mais « un frémissement de rage ». Il est donc vrai de dire : Mal faire, c'est souffrir; on le voit bien ici. Les apôtres sont dans les chaînes, sont traduits devant le tribunal, et leurs juges sont dans l'incertitude, dans un extrême embarras. Les voilà comme l'homme qui frappe le métal le plus dur, et reçoit lui-même le coup. Ils voyaient que la confiance des apôtres n'avait point diminué, que leur prédication augmentait, qu'ils parlaient sans crainte et ne fournissaient aucun prétexte contre eux. Imitons-les, chers auditeurs, et soyons intrépides dans tous les périls. Il n'y a pas de périls pour celui qui craint Dieu, mais pour celui qui ne le craint pas. Comment celui que la vertu élève au-dessus des souffrantes, qui considère le présent comme une ombre fugitive, pourrait-il éprouver quelque mal? Que craindrait-il ? Qu'est-ce qui pourra être un mal pour lui? Cherchons donc un asile sur ce roc inébranlable. Quand on nous construirait une ville entourée de murailles: mieux encore, quand on nous transporterait dans une terre où nous serions à l'abri de tout trouble et au sein de l'abondance, en sorte que nous n'eussions rien à démêler avec personne, notre sécurité serait moins grande que celle où nous met le Christ. Supposez, si vous le voulez, une ville d'airain, entourée d'un mur inexpugnable ; il n'y a point d'ennemis, la terre est grasse et fertile, tout s'y trouve en abondance ; les citoyens y sont doux et bienveillants, il n'y a pas un seul méchant, ni voleur, ni brigand, ni calomniateur, ni tribunal; la parole y suffit pour les contrats; supposons, dis-je, que nous habitions cette ville : eh bien ! nous n'y serions pas encore en sécurité. Pourquoi? Parce qu'il faudrait se quereller avec des serviteurs, avec une femme, avec des enfants, ce qui serait la source d'un immense chagrin. Mais là, rien de pareil, rien qui puisse causer de la douleur ou de la tristesse.

Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que tout ce qui nous semble un sujet de chagrin était pour eux une source de joie et de bonheur. En effet, pourquoi se seraient-ils attristés? De quoi se seraient-ils plaints? Voulez-vous une comparaison? D'un côté, c'est un homme consulaire, opulent, qui habite la ville impériale, qui n'a d'affaires avec personne, qui n'a d'autre occupation que de vivre dans les délices, qui se voit placé au faîte des richesses, des honneurs et de la puissance; de l'autre côté, plaçons Pierre, si vous le voulez, Pierre enchaîné, accablé de maux sans nombre ; et nous le trouverons plus heureux. Songez quelle est l'abondance de sa joie, puisqu'il jouit même dans les fers. Car, comme ceux qui possèdent une magistrature élevée sont insensibles au mal qui leur arrive et n'en sont pas troublés dans leur satisfaction ; ainsi les apôtres, au sein de leurs maux, éprouvaient plutôt de la joie que de la tristesse. Car il n'est pas possible, non, il n'est pas possible d'expliquer le plaisir que ressentent ceux qui souffrent quelque chose de pénible pour le Christ; ils jouissent beaucoup plus des maux que des biens. Si quelqu'un aime le Christ, il sait ce que je dis. Quoi ! devaient-ils fuir ces maux pour trouver la sécurité ? Mais s'il s'agissait d'un simple changement de gouvernement, quel est l'opulent qui eût pu échapper à tant de périls, en vivant au milieu de tant de peuples ? Eux pourtant, comme aidés par un ordre royal, sont venus à bout de tout, et même bien plus facilement. Car un ordre royal n'aurait pas fait ce qu'ont fait leurs paroles; un ordre royal impose la nécessité, et on venait à eux spontanément., volontiers, et avec de vives actions de grâce. Quel ordre souverain aurait pu déterminer à renoncer aux richesses, à la vie ; à mépriser sa maison, sa patrie, ses proches, son salut même? Et voilà ce qu'a pu la voix de pêcheurs et de fabricants de tentes. En sorte qu'ils étaient heureux, plus puissants et plus forts que tous. Oui, dirait-on, parce qu'ils faisaient des prodiges. Mais, dites-moi, quels prodiges faisaient les fidèles, les trois mille, les cinq mille, qui pourtant vivaient dans une grande allégresse ? Et cela devait être. Avec la possession des richesses, la cause de tous les chagrins avait été supprimée. Là, là, en effet, était la source des guerres, des disputes, de la tristesse, du découragement, de tous les maux ; la source de ce qui rend la vie désagréable et pénible. Car vous trouverez plus d'affligés chez les riches que chez les pauvres. Si quelques-uns pensent le contraire, ils jugent d'après leur opinion, et non d'après la nature des choses. Rieti d'étonnant, du reste, à ce que les riches éprouvent quelque jouissance ; les galeux en éprouvent lien une grande. Et la preuve qu'il n'y a pas de différence, entre les galeux et l'âme des riches, c'est que ceux-ci, quoique accablés de soucis, s'y attachent pourtant à cause d'un plaisir passager; tandis que ceux qui en sont débarrassés se portent bien et sont exempts de chagrin.

1304 4. Lequel est le plus doux, dites-moi, lequel est le plus sûr, de n'avoir à songer qu'à un morceau de pain, qu'à un vêtement, ou de s'occuper de mille personnes esclaves ou libres, tout en se négligeant soi-même? Celui-là ne craint que pour lui, et- vous, vous êtes inquiets pour tous ceux qui dépendent de -vous. Et pourquoi, direz-vous, croit-on devoir fuir la pauvreté? Parce qu'il y a d'autres biens que beaucoup ont, en aversion, non parce qu'il faut les fuir, mais parce qu'ils sont d'une pratique difficile; la pauvreté est de ce nombre. Celui qui peut la supporter ne la juge las digne d'aversion. Pourquoi les apôtres ne la repoussaient-ils point? Pourquoi beaucoup l'embrassent-ils et courent-ils à elle, loin de l'avoir en horreur? Car il n'y a que les fous qui puissent désirer ce qui est odieux.

Quand des philosophes, quand des hommes sublimes vont à elle comme à une place de sûreté, comme à un lieu salubre, il ne faut pas s'étonner que d'autres pensent différemment. Le riche ne nie semble pas être autre chose qu'une ville sans murailles, située en plaine, et s'attirant de tous côtés des ennemis, tandis que la pauvreté est une place sûre, entourée de murs d'airain et d'un accès difficile. C'est le contraire qui a lieu, direz-vous? Ce sont les pauvres qui sont souvent traînés devant les tribunaux, ce sont eux qu'on injurie et qu'on malmène. Alors ceux-là ne sont pas simplement des pauvres, mais des pauvres qui veulent s'enrichir. Je ne parle pas d'eux, mais de ceux qui embrassent volontairement la pauvreté. De grâce, pourquoi personne ne traduit-il devant les tribunaux les pauvres qui vivent dans les montagnes? Cependant, si la pauvreté prête facilement à l'oppression, ce sont ceux-là qu'on devrait le plus tôt traduire devant les tribunaux. Pourquoi n'y traîne-t-on pas les mendiants? Pourquoi personne ne leur fait-il violence, ne les calomnie-t-il ? N'est-ce pas parce qu'ils sont en un lieu de sûreté? A combien de gens la pauvreté et la mendicité ne paraissent-elles pas le comble du malheur? Quoi! direz-vous, la mendicité est-elle une bonne chose? Oui, s'il y a quelqu'un pour la consoler, pour en avoir pitié, pour lui donner l'aumône ; chacun sait que c'est une existence dégagée de soucis et pleine de sécurité. Je ne vous y exhorte pas, tant s'en faut, mais je vous engage à ne pas désirer les richesses. Lesquels, s'il vous plaît, vous semblent les plus heureux, de ceux qui pratiquent la vertu, ou de ceux qui s'en tiennent éloignés? Les premiers, sans doute. Et lesquels sont les plus aptes à apprendre des choses utiles et à briller dans la sagesse? Les premiers encore. Si vous en doutez, écoutez la preuve : Qu'on amène un mendiant de la place publique, qu'on le suppose estropié, boiteux, manchot; qu'on amène ensuite un autre homme, beau, robuste de corps, plein de vie, opulent, de naissance. illustre et très-puissant. Conduisons-les tous les deux à l'école de la philosophie, et voyons celui qui accueillera le mieux ses leçons. Commençons par, le premier précepte,: Soyez humble et modeste ; c'est là l'ordre du Christ: Lequel des deux l'accomplira le mieux? « Heureux ceux qui pleurent ! » lequel écoutera le mieux cette parole? « Heureux les humbles ! » Lequel sera le plus attentif? « Heureux ceux qui ont le coeur pur ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! » (
Mt 5,5-10). Lequel accueillera le mieux ces enseignements? Ou, si vous le voulez, rapprochons-les l'un de l'autre : N'est-il pas vrai que l'un est orgueilleux et enflé, et l'autre toujours humble et modeste? Evidemment, cette (51) pensée a cours, même chez les païens : Epictète, esclave, estropié, pauvre comme Irus, et ami des immortels; voilà le pauvre. L'âme du riche, au contraire, est remplie de tous les maux, de folie, de vaine gloire, de mille passions; de colère, de fureur, d'avarice, d'injustice, de tous les vices. Il est donc clair que le premier est plus disposé que le second à la philosophie. Vous voulez savoir laquelle des deux conditions est la plus douce, car c'est là, je le vois, ce qui préoccupe beaucoup de gens. Et encore ici il n'y a pas place au doute, car celui qui est le plus près de la santé jouit d'un grand bonheur. Répondez-moi donc: Lequel, du riche ou du pauvre, est le plus disposé à observer cette lui que nous voulons rétablir ? Lequel jure le plus facilement, de celui qui s'irrite,contre ses enfants, et qui a des affaires avec mille personnes, ou de celui qui demande un morceau de pain ou un vêtement? Celui-ci n'a aucun besoin de jurer, s'il le veut, mais passe sa vie sans rien faire. Bien plus, celui qui n'a point appris à jurer, dédaignera souvent les richesses, et verra que la pauvreté fraie de tout côté le chemin à la vertu, mène à l'équité, au mépris de la fortune, à la piété, au repos de l'âme, à la componction.

Ne nous négligeons pas, chers auditeurs, mais déployons un grand zèle: ceux qui sont corrigés, pour se maintenir en cet état, ne pas se relâcher, ne pas reculer en arrière; ceux qui sont encore en retard, pour se relever et achever celui est commencé. En attendant que les premiers tendent la main aux seconds, comme on le fait à des naufragés afin de les amener au port, c'est-à-dire au point de ne plus jurer. Car ne pas jurer est un port réellement sûr, un port où l'on ne peut plus être submergé par la violence des vents. La colère, l'injustice, la fureur ou toute autre passion, ont beau s'agiter : l'âme est en sûreté et ne laisse plus tomber une parole déplacée, car elle ne s'est imposée aucune nécessité, aucune loi. Voyez ce qu'Hérode a fait pour remplir un serment ! il a tranché la tête du précurseur : « A cause de son serment et à cause des convives il ne voulut point la contrarier ». (Mc 6,26) Que n'ont pas souffert les tribus, à raison du serment qu'elles avaient fait contre celle de Benjamin? (Jd 21, 10) Que n'a pas coûté,à Saül son serment? Il est vrai qu'il s'est parjuré ; mais Hérode a commis un meurtre qui est encore pire qu'un parjure.Vous savez aussi ce qui est résulté du serinent de Josué aux Gabaonites. Le serment est un filet du démon. Brisons donc le lien et nous pourrons facilement nous tenir en garde. Dégageons-nous du filet de Satan ; craignons l'ordre de Dieu; prenons les meilleures habitudes, afin d'avancer, d'observer ce commandement et tous les autres, et d'obtenir les biens promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui est, au Père, en union avec le Saint-Esprit, gloire, force, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIV. ALORS UN PHARISIEN, NOMMÉ GAMALIEL, DOCTEUR DE LA LOI, HONORÉ DE TOUT LE PEUPLE, SE LEVA DANS LE CONSEIL, ET ORDONNA DE LES FAIRE SORTIR UN INSTANT. 5,34-6,7

1400 Ac 5,34-6,7

ANALYSE. 1. Le pharisien Gamaliel, le maître de saint Paul, émet l'avis de renvoyer les apôtres, et d'abandonner leur entreprise à elle-même.
2. Institution des diacres.
3. Quand les prêtres et les diacres ont commencé dans l’Eglise.
4. Exhortation morale sur le mépris des injures.

1401 1. Ce Gamaliel était le maître de Paul. Il est surprenant qu'étant judicieux et instruit dans la loi, il ne crût pas encore. Il n'était absolument pas possible qu'il restât incrédule; ses paroles, son conseil le prouvent : « Il ordonna de les faire sortir un instant». Voyez la prudence de l'orateur et comme il frappe d'abord d'épouvante ses auditeurs. Mais, pour ne pas être soupçonné de penser comme les apôtres, il s'adresse aux membres du conseil, comme s'ils étaient de son avis; son langage n'est pas violent, il semble traiter avec des hommes ivres de fureur, et dit : « Hommes d'Israël, prenez garde à ce que vous ferez à l'égard de ces hommes, c'est-à-dire, n'y allez pas au hasard et à la légère. Car avant ces jours-ci a paru Théodas se disant être quelqu'un, et auquel s'attacha un nombre d'environ quatre cents hommes; il a été tué, et tous ceux qui croyaient en lui ont été dispersés et réduits à rien ». C'est par des exemples qu'il cherche à les rendre sages, et, pour les consoler, il cite Théodas, qui avait séduit un grand nombre de partisans. Mais avant de rapporter des exemples, il leur dit : « Prenez garde à vous » ; et après les avoir rapportés, il exprime son avis en disant : « Et maintenant je vous le dis : ne vous occupez pas de ces hommes. Après Théodas, se leva Judas le Galiléen, dans le temps du recensement; il attira à sa suite une foule nombreuse; il périt à son tour et tous ceux qui s'étaient attachés à lui furent dispersés. Et maintenant je vous le dis : ne vous occupez pas de ces hommes et laissez-les. Si leur entreprise ou cette oeuvre est des hommes, elle tombera d'elle-même; niais si elle est de Dieu, vous ne pouvez la détruire ». Comme s'il disait : Attendez : s'ils se sont réunis d'eux-mêmes, rien ne les empêchera de se séparer : « Et peut-être vous vous trouveriez combattre contre Dieu ». L'impossibilité du succès, l'inutilité de leurs efforts, c'est ce qu'il objecte pour les détourner. Il ne dit point par qui les rebelles ont été tués, mais seulement qu'ils ont été dispersés, croyant sans doute superflu d'en dire davantage. Mais, par ce qu'il ajoute, il leur fait comprendre que si l'oeuvre est de l'homme, il n'y a pas à s'en inquiéter; tandis que si elle est de Dieu, tous leurs efforts ne viendront pas à bout de la détruire. Et ce discours parut si sensé, qu'ils se déterminèrent à ne point faire mourir les apôtres, mais à les flageller. « Ils se rangèrent à son avis, et ayant rappelé les apôtres, ils les firent battre de verges et leur défendirent de parler au nom de Jésus, après quoi ils les renvoyèrent ». Voyez après quels prodiges on les flagelle. Et cependant la doctrine s'étendait de plus en plus, car ils enseignaient chez eux et dans le temple.

« Et eux sortaient du conseil pleins de joie (
Ac 5,53) de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir un outrage pour le nom du Christ; et tous les jours ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer Jésus-Christ dans le temple et de maison en maison. Or en ces jours, comme le nombre des disciples augmentait, il s'éleva a chez les Grecs un murmure contre les Hébreux, parce que les veuves de ceux-là étaient dédaignées dans le service quotidien ». Il ne veut pas précisément parler de ce temps même, mais il suit l'usage de l'Ecriture de donner comme présent ce qui doit arriver dans la suite. Je pense que par grecs il entend ceux qui parlaient cette langue, bien qu'ils fussent hébreux. C'est donc une nouvelle tentation, et si vous y faites attention, vous verrez que dès le début il y a eu des guerres au dedans comme au dehors. « Mais les douze ayant convoqué la foule des disciples, dirent : Il n'est pas convenable que nous abandonnions la prédication pour vaquer au service des tables ». Très-bien : il faut en effet préférer le plus nécessaire au moins nécessaire. Mais voyez comme ils pourvoient à ce service, sans négliger la prédication. On choisit les plus respectables : « Frères, cherchez donc parmi vous sept hommes de bon témoignage, remplis de l'Esprit et de sagesse, à qui nous confierons ce service. Quant à nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. La proposition fut agréée de toute la multitude; et ils choisirent Etienne, homme rempli de foi et du Saint-Esprit ». Ainsi ceux que l'on choisit sont remplis de foi, afin d'éviter ce qui est arrivé à l'occasion de Judas, d'Ananie et de Sapphire. « Et Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timon, et Parmena, et Nicolas, a prosélyte d'Antioche, qu'ils présentèrent aux apôtres; et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains. Et la parole du Seigneur s'étendait, et le nombre des disciples augmentait à Jérusalem ; beaucoup de a prêtres même obéissaient à la foi ». Mais revenons à ce qui a été dit plus haut : « Hommes, prenez garde à vous ! » Voyez comme Gamaliel leur parle avec douceur et en peu de mots; il ne leur rappelle point d'anciennes histoires, bien qu'il le pût, mais des faits récents plus propres à confirmer ce qu'il avance. Aussi s'enveloppe-t-il d'une espèce d'énigme : « Avant ces jours-ci» ; comme pour dire : Il y a peu de temps. S'il eût dit tout d'abord Renvoyez ces hommes, il eût éveillé des soupçons, et sa parole n'aurait pas eu autant de force, mais les exemples qu'il cite lui en donnent une particulière. C'est pourquoi il ne se contente pas d'un seul exemple, mais en cite un second. Il aurait pu en produire un troisième, et prouver ainsi surabondamment qu'il avait raison, en les détournant de leur projet homicide : « Ne vous occupez pas de ces hommes ».

1402 2. Considérez aussi sa mansuétude. Il ne parle pas longuement, mais brièvement, et mentionne les rebelles sans colère : « Et tous ceux qui s'étaient attachés à lui furent dispersés». En disant cela, il ne blasphème point le Christ, mais il atteint son but : « Si l'oeuvre est des hommes, elle tombera d'elle-même ». Il me semble faire ici un raisonnement et leur dire: « Comme elle n'est pas tombée, elle n'est donc pas de l'homme. Et peut-être vous vous trouverez combattre contre Dieu ». Pour les réprimer, il leur montre l'impossible, l'inutile

« Mais si elle est de Dieu, vous ne pourrez ». Il ne dit pas : Si le Christ est Dieu, car l'oeuvre même le prouvait ; il n'affirme point que l'oeuvre soit humaine ni divine, mais il laisse au temps le soin de décider et de convaincre. Mais, dira-t-on, s'il a persuadé les juges, pourquoi ont-ils ordonné la flagellation ? Ils n'avaient, il est vrai, rien à objecter à ce langage si juste; néanmoins ils ont voulu satisfaire leur fureur, et d'ailleurs ils pensaient par là épouvanter les apôtres. En parlant en l'absence de ceux-ci, Gamaliel eut plus de facilité à gagner les juges ; la douceur de sa parole et ses raisonnements fondés sur la justice les persuadèrent. Il leur prêchait presque l'Evangile; bien plus, son langage si juste semblait leur dire : vous êtes bien convaincus que vous ne pouvez détruire cette oeuvre. Pourquoi n'avez-vous pas cru? Cette prédication est si grande, qu'elle a le témoignage même de ses ennemis. La première fois il y avait quatre cents hommes, la seconde fois une grande multitude ; ici les premiers étaient douze. Ne vous épouvantez donc pas de la foule qui s'y joint: « Car si l'oeuvre est des hommes, elle tombera d'elle-même ». Il aurait encore pu citer un autre fait qui s'était passé en Egypte; mais la preuve eût été superflue. Voyez-vous comme il conclut son discours en imprimant la crainte? Il ne se contente pas d'ouvrir simplement son avis, pour ne pas avoir l'air de défendre les apôtres; mais il raisonne d'après les événements. Il n'a pas osé affirmer que (54) l'oeuvre ne vient pas des hommes, ni qu'elle ne vient pas de Dieu; car s'il eût dit qu'elle venait de Dieu, on l'eût contredit; s'il eût affirmé qu'elle venait de l'homme, ils eussent été disposés à la combattre. Voilà pourquoi il leur conseille d'attendre la fin, en disant : « Ne vous occupez pas ». Eux font entendre de nouvelles menaces, bien persuadés qu'ils ne pourront rien, mais ils suivent leurs propres inclinations. Car c'est là le caractère de la malice, de tenter souvent l'impossible : «Après celui-là, se leva Judas ». Ceux qui voudront plus de détails, n'ont qu'à lire Josèphe, qui raconte fidèlement l'histoire de ses personnages; Voyez-vous quel courage il a eu à dire : « est de Dieu », quand la suite des événements a pu seule l'amener à la foi? Il y a là en effet une grande hardiesse de langage, et point d'acception de personnes : « Ils se rangèrent à son avis, et ayant appelé les apôtres, ils les firent fouetter de verges et les renvoyèrent ». Ils respectèrent l'opinion de cet homme ; par conséquent ils renoncèrent au projet de faire mourir les apôtres, et se contentèrent de les faire fouetter et de les renvoyer : « Mais eux sortirent du conseil pleins de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir un outrage pour le nom du Christ ». Sur combien de prodiges ce prodige l'emporte ! Vous ne trouverez rien de semblable dans l'antiquité. Jérémie, il est vrai, fut flagellé pour la parole de Dieu ; Elie et d'autres encore furent menacés ; mais ici et par cela, comme par les signes miraculeux, ils manifestèrent la puissance de Dieu. On, ne dit pas qu'ils ne souffrirent point ; mais que la souffrance leur causa de la joie. Comment le voyons-nous? Par la liberté dont ils usèrent ensuite; même après la flagellation, ils se livrèrent à la prédication avec ardeur: « Ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer Jésus-Christ dans le temple et de maison en maison. Mais dans ces jours». Quels jours? Quand tout ceci se passait; quand on flagellait, quand on menaçait, quand le nombre des disciples augmentait; alors : « Un murmure s'éleva ». C'était peut-être à cause de la multitude, car il est difficile de maintenir l'ordre dans un si grand nombre : « Et beaucoup de prêtres obéissaient à la foi ». On insinue ici que beaucoup de ceux qui avaient comploté la mort du Christ, croyaient.

« Il s'éleva un murmure, parce que leurs veuves étaient dédaignées dans le service quotidien » (
Ac 6,1). Il y avait donc un devoir quotidien à l'égard des veuves; vous voyez qu'il appelle cela service, et non d'abord aumône; c'est le moyen de relever ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Peut-être cela provenait-il de la négligence de la foule, et non de la malice; il signale le mal (et il était grand), afin qu'il fût immédiatement guéri. Voyez-vous que, dès le début, il y a des maux, non-seulement au dehors, mais au dedans ? Ne songez pas seulement à la guérison du mal, mais à sa grandeur. « Mes frères, choisissez sept hommes parmi vous » (Ac 6,3). Ils n'agissent pas d'après leur propre volonté, mais ils s'excusent d'abord aux yeux de la foule. Ainsi faudrait-il encore agir maintenant: « Il n'est pas convenable que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des tables » (Ac 6,2). Il parle d'abord d'inconvenance, en faisant voir que les deux devoirs ne pouvaient se concilier ; comme quand il s'agissait d'élire Mathias, il parlait de nécessité, vu qu'un apôtre avait défailli et qu'ils devaient être douze. Ici aussi ils démontrent qu'il y a nécessité ; mais avant d'agir, ils avaient attendu que le murmure s'élevât ; toutefois, ils ne le laissèrent pas grandir.

1403 3. Voyez encore : ils leur laissent le choix et préfèrent ceux qui plaisent à tout le monde et reçoivent de tous un bon témoignage. Quand il s'agissait de proposer Mathias : « Il faut », dirent-ils, « choisir un de ceux qui ont toujours été avec nous ». Ici, ils ne tiennent plus ce langage ; la question n'était pas la même. Aussi n'abandonnent-ils point le choix au sort, et quoiqu'ils pussent eux-mêmes choisir sous l'inspiration de l'Esprit, cependant ils s'en abstiennent; ils préfèrent s'en rapporter au témoignage de la foule. Ils se réservent, il est vrai, de fixer le nombre, de régler l'élection, d'en déterminer le but: mais ils abandonnent à la multitude la désignation des sujets, pour ne pas paraître faire des faveurs, quoique Dieu eût permis à Moïse de choisir des vieillards de sa connaissance. Dans de tels offices il faut une grande sagesse. N'allez pas croire que, parce qu'ils ne sont pas chargés de prêcher, ils n'ont pas besoin de sagesse; il leur en faut, et beaucoup. « Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole » (Ac 6,4). Au commencement comme à la fin, ils s'excusent. « Nous (55) nous appliquerons». Il le fallait; ce n'était point assez d'y aller à la légère et comme au hasard ; l'application était nécessaire. « La proposition fut agréée de toute la multitude » (Ac 6,5) : c'était le juste effet de leur sagesse, tous approuvèrent la proposition, parce qu'elle était raisonnable. « Et ils choisirent » (c'est le second choix qu'ils font) « Etienne, homme plein de foi et du Saint-Esprit, et Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timon, et Parména, et Nicolas, prosélyte d'Antioche, et les présentèrent aux apôtres. Et ceux-ci ayant prié, leur imposèrent les mains » (Ac 6,5-6). Ceci nous apprend que c'est la foule qui les a elle-même désignés et comme tirés de son sein, et non les apôtres. Voyez aussi comme l'écrivain est bref; il ne dit point comment ils ont été ordonnés, mais simplement qu'ils l'ont été par la prière ; car c'était une ordination. Un homme impose la main ; mais c'est Dieu qui fait tout, c'est sa main qui touche la tête de l'ordonné, si l'ordination se fait comme il faut. « Et la parole de Dieu s'étendait, et le nombre des disciples augmentait » (Ac 6,7). Ceci n'est point dit sans raison, mais pour montrer la puissance de l'aumône et du bon ordre. Du reste, devant raconter ce qui regarde Etienne, l'écrivain en donne d'abord les motifs : « Et beaucoup de prêtres », dit-il, « obéissaient à la foi » (Ac 6,7). En voyant le chef et le docteur parler ainsi, ils pouvaient encore juger par les oeuvres. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que le peuple ne se soit pas divisé dans l'élection et n'ait pas désapprouvé les apôtres.

Mais quelle dignité conféra-t-on aux élus? Quelle ordination reçurent-ils? C'est ce qu'il faut savoir. Etait-ce celle de diacres? Elle n'existait pas encore dans les églises; toute l'administration reposait sur les prêtres; il n'y avait même pas encore d'évêques, excepté les apôtres. Ainsi, je ne vois pas que le nom de diacres ni de prêtres fût alors clairement connu et admis; et pourtant, c'est dans ce but qu'ils furent ordonnés. On ne se contente pas de leur confier la fonction, mais on prie pour qu'ils en aient le pouvoir. Et je vous demande si ces sept hommes en avaient besoin, au milieu d'une telle abondance d'argent, d'une telle multitude de veuves. Aussi ce ne sont pas de simples prières, mais de longues supplications; c'était ici le moyen d'action comme dans la prédication ; car ils faisaient presque tout par la prière. Ainsi les apôtres préféraient les choses spirituelles, ainsi ils étaient envoyés en mission, ainsi eux-mêmes avaient reçu ordre de prêcher. L'auteur ne dit pas cela, ne les loue pas, mais se contente de dire qu'il n'était pas convenable d'abandonner la fonction qui leur était confiée. Moïse avait aussi réglé que ceux qu'il choisissait ne se chargeraient point de tout. C'est encore pour cela que Paul dit : « Seulement nous devions nous ressouvenir des pauvres ». (Ga 11,10) Mais voyez comme ceux-ci ont surpassé ceux-là. Ils jeûnaient, ils persévéraient dans la prière. C'est ce qu'il faudrait encore faire aujourd'hui. On ne dit pas seulement qu'ils sont spirituels, mais remplis de l'Esprit et de sagesse : indiquant par là qu'il fallait beaucoup de sagesse pour supporter les accusations des veuves. A quoi sert que le dispensateur ne vole pas, s'il dissipe tout, ou s'il est orgueilleux et porté à la colère ? Sous ce rapport Philippe était admirable; car on dit de lui : « Nous sommes entrés dans la maison de Philippe l'évangéliste, qui était un des sept, et nous y avons séjourné ». (Ac 21,5) Rien d'humain, vous le voyez. « Et le nombre des disciples augmentait à Jérusalem » (Ac 6,7). Le nombre augmentait à Jérusalem ! Il est étonnant que la prédication s'étende là où le Christ avait été mis à mort. Ainsi, non-seulement aucun des disciples ne se scandalisa de voir les apôtres flagellés, de voir les uns menacer, les autres tenter le Saint-Esprit, les autres murmurer; mais le nombre des croyants augmentait, tant le sort d'Avanie les avait rendus sages et les avait remplis de frayeur! Et voyez comment ce nombre augmente : c'est après les épreuves, et non auparavant. Considérez ici la bonté de Dieu. Parmi ces princes des prêtres qui excitaient la foule à demander la mort, qui s'écriaient et disaient : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même »; parmi ceux-là, dis-je : « Beaucoup obéissaient à la foi» (Ac 6,7).

1404 4. Soyons donc les imitateurs de Dieu. Il les a reçus, et non rejetés. Traitons ainsi les ennemis qui nous ont accablés de maux. Si nous avons quelque bien, faisons-leur-en part; ne les oublions jamais, dans nos bienfaits. Si nous calmons leur fureur en souffrant les mauvais traitements, à bien plus forte raison en leur faisant du bien ; ce dernier point est moins grand que l'autre. Car il n'y a pas de parité entre faire du bien à un ennemi et (56) désirer souffrir davantage; mais par l'un nous arriverons à l'autre. C'est là la dignité des disciples du Christ. Ils avaient crucifié celui qui était venu leur faire du bien ; ils avaient flagellé le maître des disciples, et néanmoins, il les appelle au même honneur que ses disciples, il leur communique des biens comme à eux. Soyons, je vous en prie, les imitateurs du Christ; c'est en cela qu'il faut l'imiter, par là nous serons égaux à Dieu ; c'est une chose plus qu'humaine. Pratiquons l'aumône : c'est à son école que s'apprend cette philosophie. Celui qui sait avoir pitié du malheureux, saura aussi oublier les injures; et celui qui sait oublier les injures, pourra aussi faire du bien à ses ennemis. Apprenons à compatir aux maux du prochain, et nous saurons aussi supporter ses mauvais traitements. Demandons à celui qui est mal disposé à notre égard, s'il ne se condamne pas lui-même, s'il ne voudrait pas être sage, s'il ne dit pas que tout est l'effet de la colère, de la bassesse, de l'infortune, s'il n'aimerait pas mieux être du côté de ceux qui supportent l'injure en silence que du côté de ceux qui la font dans un accès de fureur, s'il n'admire pas celui qui souffre. Et ne croyez pas que cette conduite rende méprisable. Rien ne rend méprisable comme de commettre l'injure; rien ne rend respectable comme de la supporter. Par l'un on est injuste, par l'autre on est philosophe ; l'un ravale au-dessous de l'homme, l'autre met au niveau de l'ange. Quand même l'injurié serait moindre que celui qui l'injurie, il pourrait encore s'en venger, s'il le voulait. En tout cas l'un excite la compassion de tout le monde, l'autre est un objet de haine. Quoi ! Le premier n'est-il pas de beaucoup meilleur que l'autre? Tous regarderont l'un comme un furieux et l'autre comme un homme sensé. Quand donc on veut vous forcer à dire du mal de quelqu'un, répondez : Je ne puis médire de cet homme, car je ne sais s'il est tel que vous le dites. Gardez-vous surtout d'en penser du mal ou d'en dire à un autre, ou d'en demander à Dieu contre lui. Si vous le voyez accuser, défendez-le; dites: c'est la passion qui a parlé, et non l'homme; c'est le courroux, et non l'amitié; c'est la colère, et non l'âme. Pour chaque faute raisonnons ainsi. N'attendez pas que le feu s'allume ; étouffez-le dès l'abord ; n'irritez pas la bête féroce et ne la laissez pas s'irriter; car vous ne seriez plus le maître d'éteindre l'incendie. Qu'a-t-il dit? Fou? insensé? Mais lequel est responsable du mot, de celui qui le dit ou de celui qui l'entend ? Celui qui le dit, fût-il sage, passera pour un fou ; celui à qui on l'adresse, fût-il insensé, passera pour un sage et un philosophe. Lequel, dites-moi, est insensé, de celui qui avance des faussetés, ou de celui qui n'en est pas même ému ? Car s'il est d'un sage de ne pas s'émouvoir même quand on l'excite ; de quelle folie taxera-t-on celui qui s'émeut sans cause? Je ne parle pas encore des supplices réservés à ceux qui injurient ou outragent leur prochain. Mais quoi ! il a traité son semblable de méprisable parmi les méprisables, de vil parmi les vils? Encore une fois, l'injure retombe sur sa tête. C'est lui qui paraît réellement vil, tandis que l'autre passera pour honorable et digne de respect; car faire un crime à quelqu'un de telles choses, je veux parler de l'obscurité de la naissance, est l'indice d'une âme basse. Mais celui-là est vraiment grand, vraiment admirable, qui regarde ces injures comme rien et les écoute avec autant de plaisir que si on lui attribuait quelque qualité. Mais on l'accuse d'adultère et d'autres crimes de ce genre? C'est le cas de rire alors : quand la conscience ne reproche rien, il n'y a pas lieu de se fâcher. Même en songeant aux paroles méchantes et impures qu'il profère, vous ne devez pas vous affliger. Il n'a fait que révéler d'avance ce qui aurait été connu plus tard de chacun; il se montre aux yeux de tous comme indigne de confiance, lui qui ne sait pas cacher les défauts du prochain ; il se nuit donc plus qu'à un autre, il se ferme le port, et se prépare un compte terrible au dernier jugement. Il sera bien plus repoussé que l'autre, lui qui a révélé ce qui devait rester secret. Quant à vous, taisez ce que vous savez, si vous voulez avoir une bonne réputation. Non-seulement vous détruirez ce qui a été dit et vous ne le révélerez pas; mais vous obtiendrez encore un autre avantage : vous échapperez à toute condamnation. Un tel a dit du mal de vous? Dites : S'il savait tout, il ne se serait pas borné à cela.

Vous avez admiré ce que j'ai dit? vous en avez été frappés ? mais il faut le mettre en pratique. C'est pour cela que nous vous citons les paroles des infidèles; non que les Ecritures n'en renferment un grand nombre de semblables, mais parce que celles-là sont plus (57) propres à faire rougir. Ensuite, l'Ecriture elle-même dit à notre honte: « Les païens n'en n font-ils pas autant? » (
Mt 5,47) Le prophète Jérémie nous montre les enfants de Rachel refusant de transgresser la loi de leur père. Marie dit du mal de Moïse; mais aussitôt Moïse prie pour faire cesser son châtiment et ne veut pas même qu'on sache qu'il a été vengé. Ce n'est pas ainsi que nous agissons nous voulons surtout qu'on sache que l'injure que nous avons reçue n'est pas restée impunie. Jusqu'à quand n'aurons-nous que des pensées terrestres? Tout combat suppose deux parties. Si vous tirez des deux côtés les hommes qui sont en fureur, vous les irritez davantage ; si vous les tirez à gauche ou à droite, vous calmez leurs transports. Si celui qui frappe rencontre un homme impatient, il en devient plus emporté ; s'il rencontre un homme qui lui cède, il se calme plus tôt et les coups retombent sur lui. Car un adversaire exercé à toutes sortes de combats ne triomphe pas aussi facilement de son antagoniste que l'homme qui se laisse injurier sans répondre. Alors l'insulteur se retire couvert de honte et condamné d'abord par sa conscience, puis par tous les témoins. C'est un proverbe que : qui honore, s'honore; donc aussi : qui injurie, s'injurie.

Personne, je le répète, ne pourra nous nuire, si nous ne nous nuisons nous-mêmes ; personne ne m'appauvrira, si je ne m'appauvris le premier. Examinons un peu, je vous prie : J'ai l'âme pauvre, et tout le monde s'épuise en dons pour moi : à quoi cela me sert-il ? Tant que mon âme ne sera pas changée, c'est parfaitement inutile. Que j'aie l'âme grande, au contraire, et que tout le monde m'enlève ce que je possède : je n'ai rien perdu. Que je mène une vie impure et que tout le monde dise le contraire : quel profit en tiré-je? On dit, mais on ne croit pas. Au contraire, que ma vie soit pure et que tout le monde dise le contraire : qu'importe? Leur propre conscience les condamne; ils ne croient point ce qu'ils disent. Il ne faut donc admettre ni l'éloge ni le blâme. Et pourquoi dis-je cela? Parce que, si nous le voulons, personne ne pourra nous tendre des embûches, ni nous envelopper dans une accusation. Examinons encore : Quelqu'un est traîné devant un tribunal, calomnié, si vous le voulez même, condamné à mort : Eh bien ! qu'est-ce que ces souffrances d'un moment, quand on est innocent ? Mais c'est là qu'est le mal, direz-vous. Et moi je dis que c'est là le bien : souffrir innocemment. Quoi ! voudriez-vous qu'on fût coupable? Encore un mot: Un philosophe païen ayant appris qu'un tel était mort, et un de ses disciples disant : Hélas ! et il est mort innocent; le philosophe se retourna et lui dit voudriez-vous qu'il fût mort coupable ? Et Jn n'est-il pas mort injustement? Lequel plaignez-vous le plus de celui qui meurt coupable ou de celui qui meurt innocent? N'appelez-vous pas l'un malheureux, et n'admirez-vous pas l'autre ? En quoi la mort nuit-elle à celui qui y fait un profit immense loin d'y rien perdre? Si elle rendait mortel un être immortel, peut-être lui ferait-elle tort : mais si elle ne fait que tirer avec gloire de cette vie un homme mortel et qui, d'après la loi de sa nature, devait bientôt mourir; où est le dommage? Que notre âme soit en règle et rien du dehors ne pourra lui nuire. Mais vous n'êtes pas dans la gloire? Qu'importe? Il en est de la gloire comme des richesses. Si j'ai l'âme grande, je n'ai besoin de rien; si je suis avide de vaine gloire, plus j'acquerrai, plus j'aurai besoin. Mais si je méprise la gloire, je deviendrai plus éclatant et plus glorieux. Puisque nous savons cela, rendons grâces au Christ, notre Dieu, qui nous a accordé une telle vie et embrassons-la pour sa gloire : car c'est à lui qu'appartient la gloire, avec le Père qui n'a pas de commencement, et son Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome sur Actes 1204