Chrysostome, Psaumes 138

PSAUME 139 (Vulgate 138)

138Ps 139 NV

"Pour la fin, à l'auteur de la victoire. "Seigneur Tu m'as éprouvé et Tu m'as connu." v.1
1. Que dites-vous? Dieu vous a connu après vous avoir éprouvé, et avant cette épreuve il ne vous connaissait point? Gardons-nous de l'entendre de la sorte de Celui "qui connaît toutes choses avant qu'elles soient faites." (Da 13,42). Ces paroles: "Tu m'as éprouvé," signifient donc: Tu m'as parfaitement connu. Lorsque l'Apôtre nous dit que Dieu sonde les coeurs, (Rm 8,27), cette expression indique, non pas de l'ignorance en Dieu, mais une science profonde. De même ici ces paroles: "Tu m'as éprouvé;" signifient une connaissance on ne peut plus claire, ou ne peut plus parfaite. "Tu as connu le moment de mon repos et celui de mon lever." (Rm 2). Par le repos et le lever, il faut entendre la vie entière qu'on peut ramener à ces deux situations, qui embrassent toutes nos actions, nos oeuvres, nos entrées, nos sorties. Comme le psalmiste a dit en commençant: "Tu m'as éprouvé," un esprit irréfléchi pourrait en conclure que Dieu a besoin d'éprouver, d'expérimenter pour connaître, d'autant plus qu'il ajoute: "Tu as connu le moment de mon repos et celui de mon lever;" il prévient cette interprétation dans les paroles qui suivent: "Tu as pénétré de loin mes pensées." Cette connaissance ne vient donc point de l'épreuve. Dieu n'a pas besoin de nous éprouver, mais il connaît tout en vertu de sa Prescience divine. Il connaît les pensées cachées dans notre coeur, qu'a-t-Il besoin des oeuvres pour nous éprouver? Que dis-je? Non seulement Il les connaît lorsqu'elles s'agitent dans notre esprit, mais avant même qu'elles y aient pris naissance, disons mieux encore, bien longtemps auparavant; vérité que le prophète exprime en disant: "Tu as pénétré mes pensées de loin." Or, si Dieu connaît les pensées de notre esprit, pourquoi semble-t-Il exiger l'épreuve par les oeuvres? Ce n'est point pour ajouter à sa Connaissance, mais pour faire paraître la vertu de ceux qu'il éprouve. Il connaissait parfaitement Job avant de l'éprouver, puisqu'il lui rendait ce témoignage: "C'est un homme juste, aimant la vérité et craignant Dieu." (Jb 2,3). Cependant, Il le mit à l'épreuve pour augmenter la force de son âme, confondre la malice du démon, et rendre les hommes meilleurs par l'exemple d'une si grande vertu. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait traité lob de la sorte, puisqu'il tient la même conduite à l'égard des pécheurs? Dieu savait parfaitement que les Ninivites ne méritaient pas de périr sans retour, et que la pénitence les ramènerait à de meilleurs sentiments. Cependant Il les soumit également à l'épreuve; et c'est ainsi que partout, non content de la connaissance "qui lui est naturelle, il exige l'expérience qui,vient des événements, et qu'il nous donne ainsi les preuves les plus évidentes de sa Providence paternelle et de sa Bonté pour nous. C'est ce qui faisait dire à Jésus, son Fils unique: "Si Je ne fais les oeuvres de mon Père, ne me croyez point. Mais si Je les fais, quand vous ne voudriez pas croire en Moi, croyez du moins aux oeuvres." (Jn 10,37-38) .
Nous entendons souvent des gens d'un esprit grossier et presque sans intelligence, tenir ce langage: Dieu a choisi celui-ci, il en fait l'objet de son Amour, tandis qu'il n'a eu que de la haine pour celui-là, et voilà ce qui fait que l'un est devenu bon et l'autre mauvais. Le psalmiste se sert donc des faits pour redresser cette double erreur, et il en appelle en même temps à l'épreuve qui vient des oeuvres. Pour bien établir la Prescience divine, il déclare qu'avant tout événement, Dieu sait que tel homme sera vertueux. Puis afin qu'on ne vienne pas dire inconsidérément que c'est la Prescience divine qui a rendu cet homme vertueux, il ajoute l'épreuve qui vient de ses oeuvres, or, voici comment saint Paul exprime la même vérité: "Avant qu'ils fussent nés, et qu'ils eussent bien ou mal agi, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, et non à cause de leurs oeuvres, mais par la Volonté de celui qui les appelle, il lui fut dit: "L'aîné sera assujetti au plus jeune." (Rm 9,11-13). Dieu n'a pas besoin d'attendre l'issue des événements, Il sait tout d'abord celui qui sera vertueux. "Tu as remarqué le sentier par lequel je marche, et Tu as suivi la trace de toute ma vie." (Rm 3). "Et Tu as prévu toutes mes voies." Le psalmiste a comme résumé, suivant l'usage, toutes les actions dans ces expressions: "Etre assis, être levé." C'est ainsi que souvent. nous disons: Un tel sait comment il est assis, comment il se lève, pour exprimer qu'il a une connaissance parfaite de ses actions; de même ici ce sentier, cette voie sont le symbole de la vie tout entière. C'est pour cela qu'il ajoute: "Et Tu as prévu toutes mes voies." Cette expression: "Tu as suivi la trace," n'indique pas que Dieu cherche, qu'Il sonde, mais qu'Il sait parfaitement. C'est ce qu'il explique plus clairement, par ce qui suit: "Tu as prévu." C'est-à-dire Tu as connu avant qu'elles aient lieu, toutes mes actions bonnes et mauvaises. "Et que la ruse n'est pas sur ma langue."Suivant une autre version: "la contradiction." Voilà la marque assurée d'une grande vertu, et le couronnement de toutes les bonnes oeuvres, et aussi une des recommandations les plus importantes du Sauveur. "Si vous ne vous convertissez, et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux." (Mt 18,3). L'innocence, la simplicité, la droiture, la sincérité, voilà ce qu'il demande. C'est pour cela qu'Il a choisi pour apôtres des hommes simples, et qu'Il a dit :
"Je Te rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et que Tu les as révélées aux petits." (Mt 12,25). Remarquez que le prophète ne dit pas: J'ai commencé par accueillir et puis j'ai rejeté la ruse, mais je ne l'ai jamais connue, ma langue n'a jamais été atteinte de ce mal et mon coeur est toujours resté fermé à ce vice. "Voici, Seigneur, que tout T'est connu, l'avenir et le passé." Ta science n'embrasse pas seulement mes pensées, mes actions, mes voies, mais elle s'étend à toutes les choses passées et futures. "C'est Toi qui m'as formé et qui as mis ta Main sur moi." (Ps 139,5). Le psalmiste passe de la Prescience de Dieu à sa Puissance créatrice et de cette Puissance il revient à la Prescience divine. Non seulement Dieu nous a créés lorsque nous n'étions pas, mais après notre création, nous sommes soumis à son règne.

13802 2. Ces deux attributs divins se trouvent réunis en Jésus Christ, au témoignage de saint Paul: "Dieu qui avait parlé autrefois à nos pères en diverses occasions et de différentes manières par les prophètes, nous a parlé dans ces derniers temps par son Fils, qu'Il a fait héritier de toutes choses." (He 1,1-2). Il reconnaît aussi en lui la puissance créatrice, en ajoutant: "Par lequel Il a créé les siècles." Après cette magnifique définition de sa nature: "Il est la splendeur de sa Gloire, et l'image de sa Substance." (He 3), il proclame aussi sa Prescience infinie, "Et il soutient tout par sa Parole puissante." Le même apôtre, dans son épître aux Colossiens, exprime la même vérité: "C'est par Lui que tout a été créé, dans le ciel et sur la terre, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, tout a été créé par Lui et pour Lui, et Il est avant tout." (Col 1,16-17). Voilà pour sa Puissance créatrice; saint Paul n'est pas moins explicite sur sa Prescience: "Et toutes choses subsistent en Lui," ajoute-t-il. (Col 1,16). Saint Jean lui rend à son tour le même témoignage: "Toutes choses ont été faites pour Lui, et rien n'a été fait sans Lui." (Jn 1,3). C'est l'oeuvre de la puissance créatrice. Il en vient ensuite à la prescience: "Il était la vie et la vie était la lumière des hommes." (Jn 4). Le psalmiste nous enseigne ici la même vérité: "C'est Toi qui m'as formé." Il rend hommage à la Puissance du Créateur. Il ajoute: "Tu as mis ta Main sur moi," et il reconnaît ainsi la Prescience divine. "Tu as mis ta Main sur moi." Tu me gouverne, Tu me discipline, Tu me porte. C'est ce que saint Paul exprime en d'autres termes, lorsqu'il dit: "C'est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être." (Ac 18,28). Car non seulement nous ne pouvons sans lui sortir du néant; mais la conservation de notre être dépend essentiellement de sa puissance.
"Ta science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi; elle est tellement forte que je ne pourrais jamais y atteindre." (Ac 6). Suivant une autre version: "Elle me surpasse." Au lieu de: "Elle s'est fortifiée," une autre version porte: "Elle s'est élevée d'une manière merveilleuse." Voici le sens de ces paroles: Je jouis, il est vrai, des soins de ta Providence, je sais que ta Prescience embrasse toutes choses, et que Tu m'as tiré du néant; cependant, je ne puis avoir de Toi une connaissance claire et parfaite. Ta science est devenue admirable, c'est-à-dire, elle me surpasse, elle est élevée au-dessus de moi, elle est trop forte pour que ma raison puisse la comprendre tant elle est merveilleuse, tant elle est grande. Mais quoi? si toute merveilleuse et toute grande qu'elle est, elle peut être comprise? Cela est impossible. C'est pour cela que le psalmiste ajoute: "Je ne pourrai y atteindre." or, quand il déclare n'avoir point cette connaissance, il ne veut pas dire: Je ne connais pas Dieu, mais: je n'ai pas de sa Nature une connaissance évidente et parfaite. C'est ce que saint Paul lui-même nous enseigne. Nous savons, dit-il, qu'il existe, mais nous ignorons quelle est sa Nature: "Car pour s'approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu'il est." (He 11,6). Il ne dit pas: il faut connaître sa Nature, c'est un secret impénétrable à tous les hommes. Nous savons que Dieu est bon, clément, miséricordieux, mais nous ignorons l'étendue de ses divines perfections.
Le Prophète abandonne ces hautes considérations pour passer à des choses qui paraissent plus faciles, et cependant, il avoue ici encore son ignorance. Non seulement, poursuit-il, je ne puis expliquer quelle est sa Nature, ni l'étendue de sa Bonté, car chacun avoue qu'elles sont incompréhensibles; mais je ne puis même dire comment Il est partout, et cette connaissance surpasse de beaucoup notre intelligence. Aussi après avoir dit: "Ta science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi," il ajoute: "où irai-je pour me dérober à ton Esprit, où fuirai-je devant ta Face? Si je monte dans le ciel, Tu y es; si je descends dans les enfers, je T'y trouve encore; si je prends mon vol dès l'aurore, et que j'aille habiter aux extrémités des mers, c'est encore ta Main qui m'y conduit et ta Droite qui me soutient." (He 7-10). Cet Esprit, cette face, dont parle le Prophète, c'est Dieu Lui-même. C'est-à-dire, où irai-je pour me dérober à ta Présence? Tu remplis tout, Tu es présent partout, non point partiellement, mais tout entier. Il parcourt tous les espaces au-dessus et au-dessous de lui, dans leur largeur, dans leur longueur, dans leur profondeur, dans leur hauteur, et il montre que Dieu remplit tout de sa Présence. Or, remarquez qu'il ne dit pas: Là où j'irai, Tu me suivras et Tu m'y retiendras; mais; Là où j'irai, Tu y es avant moi; c'est-à-dire je trouve que Tu m'y as prévenu. Voilà ce qui lui fait dire: "Ta Science est merveilleusement élevée au-dessus de moi," Mais si Tu ne la connais point parfaitement, dira-t-on, comment sais-Tu qu'elle est merveilleuse? Parce qu'elle surpasse mes pensées; parce qu'elle est au-dessus de ma raison. Nous ne pouvons pas non plus connaître parfaitement la nature des rayons solaires, et c'est justement ce qui nous les rend admirables. Il en est de même de la Connaissance de Dieu. Nous ne sommes pas absolument étrangers à cette Connaissance, nous savons qu'il existe, qu'Il est bon, clément, doux, miséricordieux, et qu'Il est présent partout; mais quelle est sa Nature, jusqu'où s'étendent les Perfections que nous reconnaissons en Lui, voilà ce que nous ignorons. Après cette énumération des choses sur lesquelles s'exerce cette science merveilleuse de Dieu, après avoir proclamé sa Prescience infinie, sa Puissance créatrice, sa Providence, sa Nature qu'on de peut ni comprendre ni expliquer, il va parler d'une autre puissance pleine aussi d'incertitude pour la raison qui cherche à la pénétrer, car elle est également incompréhensible. Quelle est-elle? "Ta Main elle-même m'y conduira, et ce sera ta Droite qui me soutiendra." C'est-à-dire, ta main puissante fera que les hommes tombés dans des dangers extrêmes n'en soient pas victimes et leur donnera la sécurité au milieu même des plus grands dangers.

13803 3. C'est ce que le psalmiste explique dans les versets suivants: "Et j'ai dit: Peut-être que les ténèbres m'écraseront. Mais la nuit même devient toute lumineuse pour éclairer mes plaisirs. Car les ténèbres n'ont point d'obscurité pour Toi, la nuit brille comme le jour. Les ténèbres sont à ton égard comme la lumière du jour même." (He 11,12). Aux considérations qui précèdent, le psalmiste en a joint d'autres sur l'Immensité de Dieu, sur sa Puissance qui nous dirige, nous défend et nous protège; il va maintenant plus loin et nous fait voir un nouveau prodige: Dieu nous couvrant de sa Protection par un miracle supérieur à toutes les lois de la nature. Après avoir dit, en effet: "Ta Droite me soutiendra, elle me conduira," il ajoute: "Et j'ai dit: Peut-être que les ténèbres m'écraseront." Une autre version porte:
"Si je dis: Peut-être les ténèbres me couvriront;" une autre: "me cacheront." Les ténèbres sont ici l'emblème de l'affliction, et tel est le sens de ces paroles: Je suis assiégé par les maux, et je me suis dit: Ils ne peuvent manquer de m'accabler. C'est ce que signifie cette expression: "Les ténèbres m'écraseront," où suivant une autre version; "Les ténèbres me couvriront, et la nuit vient éclairer mes plaisirs," ou suivant une autre version.: "La nuit est rayonnante autour de moi." Que veut dire le Prophète? En tenant ce langage je raisonnais d'après le cours naturel des choses, mais l'adversité a tout d'un coup fait place au bonheur, ou plutôt sans aucun changement, sans que l'adversité disparût, j'ai ressenti les effets d'une bonté vraiment ineffable. Il ne dit pas: La nuit a disparu, mais"la nuit a été rayonnante." La nuit demeurant ce qu'elle était, c'est-à-dire les maux, les calamités dont la nuit est la figure, n'ont pu m'accabler; car la lumière est venue briller dans la nuit, c'est-à-dire Dieu a fait éclater sa Puissance. C'est qu'en effet, lorsque Dieu le veut, on voit naître et se reproduire les phénomènes les plus contraires à la nature des choses. N'avez-vous pas vu la fournaise ardente et en même temps la rosée qui tombait avec un doux murmure sans que la flamme en fût éteinte, sans que la rosée en fût desséchée? N'avez-vous pas vu la grêle et la flamme s'accorder ensemble? D'où vient, dites-moi, ce prodige? Mais je veux savoir comment il s'est opéré; ou plutôt je veux l'ignorer, parce qu'il est impossible de le savoir. Je me contente de croire le fait et d'adorer Celui qui en est l'auteur, car beaucoup des oeuvres de Dieu sont mystérieuses et cachées. (Si 16,22). Ne vous rappelez-vous pas encore qu'en plein jour les Égyptiens marchaient au hasard comme dans les ténèbres, et que les Israélites voyaient comme en plein midi tandis que tout était plongé dans l'obscurité la plus profonde, parce qu'en même temps que les ténèbres se répandaient partout, une lumière éclatante vint briller à leurs yeux? Dieu demeure toujours le Maître de la nature des choses dont il est l'Auteur, et sans faire appel à de nouvelles substances; il peut produire des modifications sensibles dans les natures déjà existantes. "Car, par Toi, les ténèbres n'ont aucune obscurité." Suivant une autre version: "En Toi." "Et la nuit sera aussi claire que le jour." Une autre version porte: "La nuit paraîtra comme le jour, sa lumière sera comme ses ténèbres." Suivant une autre version: "Ses ténèbres sont semblables à sa lumière." Remarquez la justesse de cette expression: "Par Toi," c'est-à-dire en Toi, ce qui signifie: Si Tu le veux, les ténèbres cesseront d'être des ténèbres et produiront les mêmes effets que la lumière. Lorsque Dieu le veut, les éléments manifestent des propriétés contraires à leur nature avec autant de facilité que celles qui leur ont été communiquées dès leur création. Si donc telle est ta Volonté, il en sera ainsi de la nuit, elle fera briller la lumière qui lui est communiquée aussi facilement qu'elle répand les ténèbres. C'est ce que le Prophète veut exprimer en ajoutant: "Sa lumière sera comme ses ténèbres." Ces paroles, au littéral, doivent s'entendre des éléments, mais dans le sens figuré, elles s'appliquent aux choses humaines. Nous y voyons que Dieu peut répandre dans les âmes affligées autant de calme et de consolation que sait en donner la prospérité, parce que l'affliction a le privilège d'attirer ses regards. C'est là un fait admirable, extraordinaire, dont l'histoire de Joseph nous offre un exemple. Jamais, s'il fut resté dans la maison paternelle, il n'eût eu en partage autant de bonheur, autant d'honneurs qu'après avoir été vendu et élevé dans la maison d'un barbare. Ceux qui avaient tramé sa perte lui tressèrent son diadème, lui préparèrent la pourpre dont il fut revêtu, et l'état humiliant auquel ils le condamnèrent devint le principe de sa gloire et de sa puissance. Vous avez vu comment nous avons interprété ces paroles: "La nuit sera éclairée comme le jour;" il nous faut expliquer aussi celles qui suivent: "Sa lumière sera comme ses ténèbres." Ces deux phénomènes seront semblables, non seulement en apparence, mais en réalité sous la main de Dieu qui sait modifier la nature des choses.
"Tu as mes reins en ton Pouvoir, Tu l'as pris sous ta Protection dès le sein de ma mère." (Si 13). Quel est le rapport de ces paroles avec celles qui précèdent? Il est on ne petit plus étroit. Le Prophète vient de célébrer l'étendue de la Puissance de Dieu, il va montrer que Dieu ne fait usage de cette puissance que pour le bien et l'utilité des hommes. Des esprits insensés pouvaient dire: Que me fait à moi la Puissance de Dieu, sa Grandeur, sa Prescience, montrez-moi le profit que nous pouvons en retirer? Le psalmiste les prévient et ajoute: "Tu as pris possession de mes reins," et la partie est ici pour le tout. Or quel motif plus puissant de louer la Providence divine, que d'être la Possession de Dieu lui-même? Car celui qui possède veille sur ce qui lui appartient et en prend soin. C'est ce que le prophète exprime dans ces paroles: "Tu m'as reçu du sein de ma mère." C'est-à-dire Tu n'as cessé en toute circonstance de me protéger, de veiller sur moi, de me préserver de tout danger dès mes plus jeunes années, dès mon berceau, et Tu m'as enseigné par les faits eux-mêmes ce que j'ai dit à la louange de ta Providence, "Je Te louerai parce que ta Grandeur a éclaté d'une manière étonnante; tes ouvrages sont admirables, et mon âme en est toute pénétrée." (Si 14). Que veut-il dire? C'est Toi qui m'as formé, mais je ne puis dire comment; ta Providence veille sur moi, mais je ne puis en embrasser toute l'étendue dans mes pensées. Tu es présent partout, mais je ne puis comprendre ce mystère. Tu connais le passé, l'avenir, tous les secrets du coeur de l'homme, mais cette merveille est au-dessus de ma raison. Tu change la nature des choses, et tout en lui conservant son identité, Tu lui donne des propriétés contraires qui semblent être les propriétés naturelles qu'elle tient de son origine.

13804 4. Après ce tableau si complet de la science et de la Providence divine, le prophète inspiré de Dieu s'écrie à haute voix: "Je Te louerai, parce que ta Grandeur a éclaté d'une manière étonnante," c'est-à-dire Tu as paru admirable et Tu es véritablement digne d'admiration. "Tes ouvrages sont admirables, et mon âme en est toute pénétrée." Et que puis-je dire de ta Nature divine? tes oeuvres seules me ravissent d'admiration. Il laisse de côté toute autre considération, et se contente de proclamer la connaissance qu'il a de ces merveilles: "Et mon âme en est toute pénétrée." La connaissance qu'elle en a n'est pas ordinaire, elle est vive; elle est profonde. Mais si le prophète connaît les oeuvres de Dieu, comment a-t-il pu dire précédemment: "Ta Science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi, elle me surpasse et je ne pourrai y atteindre? Rien de plus facile à expliquer; d'un côté il parle de Dieu Lui-même, de l'autre de ses oeuvres. Si l'on veut même appliquer à la Nature divine ces dernières paroles, voici le sens qu'on pourrait leur donner: Le prophète sait que Dieu est admirable, qu'Il est grand, qu'Il est élevé, mais qu'elle est sa Nature (je ne crains pas de me répéter), quelle est l'étendue de sa Grandeur, comment tous ces attributs qu'il vient d'énumérer subsistent en Dieu, c'est ce qu'il ignore. Or, cet aveu de son ignorance prouve qu'il connait ces merveilles, bien que ce langage puisse paraître un paradoxe. C'est ainsi que nous ignorons quelle est la grandeur de là mer, et cependant nous pouvons dire que nous connaissons la mer, parce que nous en ignorons l'étendue et la profondeur. Celui qui prétendrait la connaître donnerait une preuve certaine de son ignorance. "Aucun de mes os ne T'est caché à Toi qui les as faits dans le secret, ni ma substance que Tu as formée comme dans les entrailles de la terre." (Si 15). Le psalmiste en revient à la Science de Dieu, et montre de nouveau que rien n'échappe à cette science infinie. Ces paroles signifient donc ou que Dieu connait tous les secrets de la nature, ou qu'Il connaît en particulier la formation et la création de l'homme. Alors même que je n'étais qu'à l'état de formation, je n'échappais pas à ta Connaissance, Tu pénétras toutes les parties de mon être, alors que la nature formait successivement son oeuvre, bien que son travail s'accomplit dans le secret, et comme dans les entrailles de la terre. Tout est à nu et à découvert à tes Regards. Un autre interprète traduit: "Mes os qui ont servi à la formation secrète de mon corps, ne Te sont point cachés." Un autre: "La force que Tu m'as communiquée en me formant dans "le secret, ne T'est pas inconnue; j'ai été formé par des moyens variés comme dans les profondeurs de la terre." Un autre enfin: "Tu as connu ma puissance ou mes os, lorsque j'ai été formé dans le secret, j'ai été façonné dans les profondeurs de la terre." Ces différentes interprétations reviennent toutes à cette même pensée: Lorsque j'étais formé, Tu as connu distinctement toutes les parties de mon être; chacun de mes membres et son accroissement particulier ont été présents à tes Regards. Jésus Christ exprime cette même vérité, lorsqu'Il dit: "Tous les cheveux de votre tété sont comptés." (Lc 12,7). Nous voyous ici réunis dans une même proposition la science et la providence de Dieu.
"Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais encore informe." On peut entendre ces paroles des actions, c'est-à-aire, tes Yeux ont vu ce qui n'existait pas encore. "Et tous sont écrits dans ton livre. Les jours sont déterminés avant que nul n'y soit arrivé." (Lc 16). Ce verset est obscur, et il faut en chercher le sens dans le contexte et à l'aide d'un autre interprète. Voici donc ce que veut dire le psalmiste comme conséquence des paroles qui précèdent. Quelles sont-elles? "Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais informe;" c'est-à-dire lorsque je n'avais aucune figure déterminée, lorsque j'étais en voie d'être formé et façonné, et ils m'ont vu aussi distinctement que celui dont la forme est achevée, dont la figure est parfaite, à qui rien ne manque, et qui n'a point besoin d'attendre du temps un nouveau degré de perfection. Voulez-vous une preuve que tel est le véritable sens, écoutez un autre interprète: "Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais informe, avec tous ceux qui sont écrits dans ton livre et qui doivent être formés sans qu'aucun jour leur manque. Tu m'as, dit le psalmiste, avec ceux qui reçoivent leur forme parfaite dans leurs jours, dans ces jours auxquels aucun jour ne manque. Ce n'est pas à dire, sans doute, qu'il y ait un livre dans les cieux, ou que certains noms s'y trouvent inscrits. Ce livre est le symbole de la science parfaite de Dieu, comme dans ces autres paroles: "Le Seigneur a écouté, et Il a écrit dans un livre," (Ml 3,16) et dans cet autres encore: "Les livres furent ouverts." (Da 7,10). "J'ai honoré tes amis d'une façon toute particulière, ô mon Dieu." (Da 17). Suivant une autre version:
"Vos amis oui été honorables à mes yeux." C'est le signe d'une vertu éminente de combler d'honneur les amis de Dieu. Ta Providence a veillé sur moi, dit le psalmiste, je n'existais pas, Tu m'as tiré du néant, Tu me conserve la vie; et moi pour Te témoigner ma reconnaissance j'honore tes amis. "Leur empire s'est affermi extraordinairement," c'est-à-dire, ils sont devenus puissants. Une autre version porte: "Combien leurs têtes se sont multipliées." Cette interprétation est plus claire et plus en rapport avec ce qui suit: "Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable." Quant à moi, je leur témoigne de l'honneur, mais pour Toi, Tu les multiplie, Tu les rends plus nombreux que les grains de sable; Tu fais plus encore, Tu les rends forts et puissants. C'est ce que signifie cette expression: "Ils se sont affermis." Il relève ici un double élément de prospérité, leur nombre et leur force toujours croissante. "Je me suis levé et je suis encore avec Toi." (Da 18). Suivant une autre version: "Je sortirai de mon sommeil, et je serai pour toujours avec Toi."

13805 5. La marque évidente d'une grande vertu est de savoir conserver à Dieu sa fidélité dans la prospérité. Il en est beaucoup, dit le prophète, qui vous ont oublié lorsque le bonheur leur a souri. Je n'ai pas imité leur exemple, mais alors même que je me suis levé, c'est-à-dire après avoir été délivré de mes épreuves, je serai toujours avec Toi. "Si Tu fais périr, ô Dieu, les pécheurs. " Il ne veut pas dire: Si Tu les tue, je serai avec Toi; sa promesse est sans condition; il demande à Dieu non de détruire la nature des hommes, mais de faire succéder en eux la justice au péché. En effet, il ne dit pas: Si Tu détruis les hommes, mais :"Si Tu détruis les pécheurs." On lit dans une autre version, au lieu des pécheurs, "les transgresseurs," c'est-à-dire, les ennemis qui adorent les idoles. "Hommes de sang, éloignez-vous de moi." (Da 19). Ces hommes de sang sont les homicides qui se plaisent dans le meurtre. Or, un des moyens les plus efficaces pour avancer dans la vertu, est de fuir tout commerce avec de tels hommes. Le psalmiste en donne la cause: "Parce que la contestation règne dans leurs pensées." Une autre version porte: "Leurs pensées s'élèvent contre Toi;" une autre: "Ils T'ont irrité par de coupables desseins." vous voyez qu'il ne cherche pas ses intérêts,et l'outrage fait à Dieu est le seul motif qui le porte à s'éloigner de ces hommes, et à rompre toute société avec eux. C'est le commerce avec les méchants qui a été la cause de la ruine des Juifs. Aussi, Dieu leur avait donné la loi comme un mur qui les en séparait, elle leur défendait toute union avec eux; et lorsqu'ils furent sortis de l'Égypte, Dieu les retint quarante ans dans le désert, isolés des autres peuples. Voilà pourquoi on donnait à la loi le nom de barrière ou de haie, parce qu'elle les entourait de toutes parts et qu'elle leur rendait impossible toute relation avec les méchants, précaution motivée sur leur caractère facile à séduire, et leur mutabilité naturelle. "C'est en vain qu'ils deviendront maîtres de vos villes." Une autre version porte: "C'est en vain que vos rivaux se sont élevés;" une autre: "Vos ennemis." Il se retire d'eux, il les fuit parce qu'ils se sont élevés contre la Gloire de Dieu, qu'ils ont transgressé la loi, et se sont rendus coupables de blasphème.
"Seigneur, n'ai-je pas haï ceux qui Te haïssaient, n'ai-je pas séché de douleur à la vue de tes ennemis? Je les haïssais d'une haine parfaite, et ils sont devenus mes ennemis." (Da 21-22). C'est ainsi que Dieu avait promis d'être l'ennemi des ennemis de son peuple, et de se déclarer contre ceux qui leur seraient contraires. On ne peut donner une preuve plus forte de son amitié. Le psalmiste dans ces deux circonstances paie Dieu d'un juste retour. Car il ne dit pas seulement: Je haïssais, mais: "Je séchais." O Dieu, éprouvez-moi et sonde mon coeur, interroge-moi, et connais mes sentiers. Vois si je marche dans la voie de l'iniquité, et conduis-moi dans les sentiers éternels." (Da 23-24). Il disait en commençant: "Tu m'as éprouvé, et Tu m'as connu. Tu as connu le moment de mon repos et de mon lever. Tu as découvert de loin mes pensées, Tu as suivi la trace du sentier par lequel je marche, et toute la suite de ma vie. Tu as prévu toutes mes voies, tout T'es connu, l'avenir et le passé." Pourquoi donc fait-il de nouveau à Dieu cette demande: "Éprouve-moi," comme s'il ne l'avait pas encore été? Le psalmiste, vous le voyez, emploie ici un langage tout humain, mais il ne faut pas nous arrêter à la pauvreté au sens littéral, appliquons-nous à y trouver un sens digne de Dieu, et élevons-nous à une intelligence plus haute de ces paroles. Il demande à Dieu de l'éprouver, de l'examiner, ce n'est point pour qu'il connaisse sou coeur, lui qui connaît toutes choses avant même qu'elles existent, mais c'est pour nous donner cette connaissance à nous qui ne pouvons l'acquérir que par l'expérience. Tel est le sens de ces paroles: "Éprouve-moi, vois si je marche dans la voie de l'iniquité, et conduis-moi dans la voie éternelle." Quelle est cette voie éternelle? La voie spirituelle qui conduit au ciel, et qui n'a point de fin. Toutes les autres choses sont de courte durée, renfermées quelles sont dans l'espace si étroit de la vie présente. Le psalmiste laissé donc tous ces biens passagers, pour s'attacher à Toi qui est immortel, éternel, infini. Or, comment parvenir à cette Voie? Il faut pour cela joindre au secours de Dieu ses efforts personnels, s'appliquer à la pratique de la vertu, de la sagesse, et chercher à se rendra supérieur à tous les événements de cette vie. Rien de ce qui a rapport à la vie éternelle n'est passager ou périssable. Le privilège de la vertu est d'avoir des fruits toujours pleins de vie, et qui ne se flétrissent jamais, des biens immortels et infinis en douceur autant qu'en durée.
Puissions-nous tous les obtenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.


PSAUME 140 (vulgate 139)

139Ps 140 NV


«Délivre-moi, Seigneur, de l'homme méchant, sauve-moi de l'homme injuste.» (Ps 139,2).

1. Où sont-ils, ceux qui nous demandent: Pourquoi les bêtes féroces? A quoi bon les scorpions, à quoi bon les vipères? Voici un animal d'une méchanceté plus grande, non de sa nature, mais par le libre choit de sa volonté, c'est l'homme. Aussi le prophète, sans se préoccuper dés autres dangers, demande à Dieu de le délivrer de l'homme méchant. Mais, dites-moi, je vous prie, parce que l'homme est méchant, valait-il mieux qu'aucun homme n'existât? Ce serait une insigne folie de le dire, car rien ne peut nuire à l'homme que le péché. Otez le péché, tout devient facile, plus d'obstacles, une tranquillité parfaite; tandis qu'avec le péché, tout devient écueils, tempêtes, naufrages. Qu'on ne nous condamne pas, si nous disons que l'homme vicieux est plus méchant qu'une bête féroce. L'animal féroce n'a pas reçu de la nature la douceur en partage, mais il est facile de le tromper, et d'ailleurs, chacun voit ce qu'il est. Supposez au contraire, un homme qui médite le crime, et qui s'enveloppe de mille artifices, il est bien plus difficile de s'en garantit que d'une bête féroce, parce que souvent sous la peau de brebis, se cache le loup cruel. Aussi, que d'imprudents tombent dans les pièges que ces hommes leur tendent ! Or, c'est parce qu'il est difficile de se garantir de ces animaux féroces, que le prophète a recours à la prière et qu'il implore le secours de rien pour être préservé de leurs atteintes. Le démon se sert souvent de ces hommes comme d'instruments, pour frapper ses coups. Nous sommes donc environnés de pièges de toutes parts, L'homme méchant nous tend des embûches, le démon furieux nous déclare la guerre, et une tentation violente achève de nous accabler. Voilà pourquoi notre Seigneur nous a commandé de faire cette prière: «Ne nous induis- pas en tentation, mais délivre-nous du mal.» (Mt 6,13). Que de combats variés, que d'ordres de bataille différents ! et il faut être prêt à tout, celui qui entreprend un long voyage sur mer, doit prévoir d'avance la fureur des flots soulevés, la violence, des vents déchaînés, le choc des nuages amoncelés, les rochers et les écueils cachés sous les eaux, les attaques des monstres marins, les incursions des pirates, la faim, la soif, tous les périls de la mer, les ports inhospitaliers, les disputes des matelots, le manque de subsistances, mille autres épreuves de ce genre, et se prémunir contre tous ces dangers. Ainsi, celui qui veut traverser le détroit si agité de la vie présente, doit se préparer à supporter courageusement tout à la fois, les souffrances du corps, les maladies de l'âme, les desseins perfides des hommes, les attaques de ses ennemis, les artifices de ses faux amis, la pauvreté, les épreuves, les outrages, les phalanges des esprits mauvais, la fureur du démon, s'il veut aborder dans la cité du grand roi, et faire entrer dans le port son vaisseau chargé de riches marchandises.
Le psalmiste appelle ici son ennemi, l'homme méchant, mais quand il parle du démon, il se contente de l'appeler le méchant. Pour quelle raison? Parce qu'il est le père du mal, et c'est pour cela qu'on l'appelle le mauvais par excellence; cet adjectif qui fait l'office de nom propre, suffit pour exprimer l'excès de sa méchanceté qui ne vient point de sa nature, mais de sa volonté perverse. Voulez-vous savoir d'où vient le nom de méchanceté? cette explication pourra vous être utile. Les Grecs appellent la méchanceté poniria«, parce qu'elle n' apporte au méchant que de la peine ponon, et du chagrin. C'est ce que le Sage veut nous apprendre lorsqu'Il nous dit: «Si vous êtes mauvais, vous seul en porterez la peine; si vous êtes bon, vous le serez pour vous et pour vos proches.» (Pr 9,12). Et dans quel sens, me direz-vous, le méchant ne l'est-il que pour lui-même? Comptez-vous pour rien les nombreuses victimes de sa méchanceté? Je réponds qu'il ne peut faire de mal qu'aux âmes lâches et sans énergie. Laissons, si vous le vouliez, l'homme méchant, et prenons pour exemple le méchant lui-même, le démon. Dites-moi, n'a-t-il pas épuisé toute sa méchanceté contre Job? Quel mal lui a-t-il fait? Il a donné un nouvel éclat à sa vertu, et s'est préparé à lui-même une chute plus humiliante. Prenons encore Caïn, est-ce qu'il n'a pas été seul victime de sa méchanceté? Non, me direz-vous, Abel l'a été avec lui. Comment l'entendez-vous? Est-ce parce qu'il est entré rapidement dans le port qu'aucune tempête ne vient agiter? Mais la plus grande marque d'affection qu'il pût recevoir de Dieu était de mourir, après une vie sainte, et de payer la dette commune d'une manière aussi glorieuse. En effet, cette mort qui lui était commune avec le reste des hommes, et qu'il devait nécessairement subir un jour, fut pour lui le principe d'une magnifique récompense. Était-ce donc un malheur pour lui? ou plutôt, n'était-ce pas ceindre son front d'une couronne éclatante? Dites-moi encore, quel mal les frères de Joseph prirent-ils lui faire? N'ont-ils pas été seuls victimes de leur cruauté? Cependant, me dira-t-on, il fut vendu comme esclave. Que s'ensuit-il? J'ajouterai moi, qu'il a été jeté dans les fers, car la question n'est pas de savoir s'il a été esclave ou dans les fers, mais s'il en est résulté pour lui quelque dommage, or, nous trouvons justement le contraire, rien ne lui fut plus avantageux que ces épreuves, elles lui inspirèrent une grande confiance en Dieu, et les événements qui semblaient devoir le perdre, devinrent pour lui dès cette vie, l'occasion d'une prospérité sans égale. Ne craignons donc point les méchants, ayons bien plutôt de la compassion pour eux. Ils pouvaient exciter une juste crainte, alors que la voie qui conduit à la sagesse n'était pas encore frayée; mais comment pourrions-nous les craindre aujourd'hui que les cieux nous sont ouverts, et que les hommes sont devenus des anges? L'animal qui se précipite avec impétuosité sur la pointe d'une lance, paraît se venger de celui qui la lui présente, et il se fait au contraire une profonde blessure. De même celui qui regimbe contre l'aiguillon, ne fait que s'ensanglanter les pieds.

13902 2. Voilà ce qu'est la vertu, un aiguillon, un glaive perçant, et les méchants sont pires et ont moins d'intelligence que les animaux dépourvus de raison. Lors donc qu'ils se jettent sur les gens de bien, ils se font à eux-mêmes de bien plus sanglantes blessures. Ils leur font souvent tort, je le veux, dans leur fortune ou dans leur corps, mais ils se blessent eux-mêmes dans leur âme, et c'est là le seul et véritable dommage. Si le tort qui nous est fait dans nos biens, pouvait atteindre notre vertu, saint Paul ne nous eût point recommandé de souffrir l'injustice, et de ne point nous en rendre coupable. Si c'était un mal d'être victime de l'injustice, celui qui ne nous ordonne que le bien, ne nous en aurait pas fait un précepte. Et cependant, quoi qu'il en soit ainsi, n'attaquons pas les méchants, ne cherchons pas à leur nuire, contentons-nous de fuir leur société, et de supporter courageusement leurs agressions. Voilà pourquoi notre Seigneur nous ordonne de prier, afin de ne point entrer en tentation. Ainsi, le prophète, après avoir dit à Dieu: «Délivrez-moi de l'homme méchant,» ajoute: «Sauvez-moi de l'homme injuste,» terme énergique qui exprime l'universalité des vices. L'homme injuste, suivant lui, n'est pas seulement celui qui se rend coupable d'un justice dans l'acquisition des richesses, mais celui qui pèche contre la justice à l'égard de tous les autres devoirs. Il demande donc à Dieu de le délivrer de l'homme injuste, de peur qu'il ne succombe et ne devienne semblable à lui. Or, il ne lui adresse cette prière qu'après avoir fait lui-même tout ce qui était en son pouvoir. Aussi, ce n'est qu'après avoir fui la société des méchants, comme il le déclare en terminant le psaume précédent, qu'il implore ici le secours de Dieu. Il commence par faire preuve de bonne volonté en disant: «Hommes de sang, retirez-vous de moi, parce que vos pensées ne sont que contradiction,» et c'est alors qu'il demande à Dieu de le délivrer de leur méchanceté. Rien ne contribue davantage à la sécurité, à la liberté, au charme de la vie, comme d'être préservé de tout commerce avec les hommes vicieux et de se tenir bien loin de leur société; c'est là le comble du bonheur.
Le psalmiste nous fait ensuite le tableau de leur méchanceté. «Ils ont médité le mal dans leur coeur, ils me livraient tout le jour des combats.» (
Ps 140,3). Voyez-vous comme ils ressemblent à des bêtes féroces, dont il est difficile de se garder, parce qu'ils machinent leurs complots dans leur coeur et cachent dans le secret de leur âme leurs mauvais desseins. «Ils ont médité le mal dans leur coeur;» c'est-à-dire qu'ils ne l'ont pas produit au grand jour, ils ont agité en eux-mêmes ces mauvais desseins qu'ils avaient conçus, et ce qu'il y a de plus terrible, c'est qu'ils n'ont pas été emportés par un mouvement irréfléchi; ces desseins iniques sont l'oeuvre d'une profonde préméditation. C'est ce que signifie cette expression: «Ils ont médité;» c'est-à-dire, ils y ont déployé toutes les ressources, toute l'activité de leur esprit. «Ils me livraient tous les jours des combats.» Le psalmiste embrasse toute la vie dans ces paroles. La guerre dont il veut ici parler n'est pas celle qui se fait avec des troupes rangées en bataille, et les armes à la main, mais cette guerre que les hommes se font sur la place publique et dans l'intérieur de leurs demeures, sans cuirasse pour les protéger, sans bouclier pour les défendre; ils n'ont pour toutes armes que leur méchanceté, et ils lancent leurs paroles plus acérées que les traits les mieux aiguisés. Or, ce qui démontre l'excès de leur perversité, ce n'est point qu'ils aient recours à la ruse, à la dissimulation, ni qu'ils ne respirent que lutte et combats, mais que toute leur vie se passe sans trêve aucune dans cette guerre homicide. S'ils aimaient tant à combattre, ils avaient d'ailleurs un noble et légitime sujet de guerre; ils pouvaient déclarer la guerre au péché, en finir aux mains avec l'esprit du mal, combattre contre les maladies de l'âme, aiguiser leurs glaives contre les démons. Mais la pensée d'une guerre semblable ne leur vient même pas à l'esprit, leur unique objet c'est de se lancer mutuellement des traits. «Ils ont aiguisé leurs langues comme celle du serpent, le venin des aspics est toujours sous leurs lèvres.» (Ps 140,4). Voyez comme le vice est ignoble; il change les hommes en autant d'animaux venimeux, en aspics, en serpents, et il ravale jusqu'aux instincts les plus féroces cette langue créée pour être l'organe de la raison. Il renouvelle l'accusation qu'il a déjà portée contre eux. Quelle est cette accusation? Le venin des aspics est constamment, c'est-à-dire toujours sous leurs lèvres. Il avait dit précédemment: «Ils me livraient tout le jour des combats,» il développe ici la même pensée: «Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent, le venin de l'aspic est toujours sous leurs lèvres.» Tel est le sens du mot Diapsalma, en hébreu, Cel, et qui signifie «toujours,» La méchanceté qui ne dure qu'un instant, est déjà un lourd fardeau, mais ici elle ne donne ni trêve, ni relâche, elle n'est jamais assouvie; quel pardon peuvent-ils espérer, quelle excuse présenter? «Garde-moi, Seigneur, des mains du pécheur et préserve-moi des hommes iniques qui songent à ébranler mes pas. Les superbes m'ont dressé des pièges, ils ont tendu des cordes pour me faire tomber, ils ont placé leurs filets le long du chemin.» (Pr 5-6). Il n'y a point d'injustice plus grande que celle des hommes qui se livrent au vice; avant de nuire aux autres, ils se font toujours de profondes blessures. Ils sont des auteurs de scandale, ils sont cause que des insensés outragent la Gloire de Dieu, et ils ne songent pas à s'acquitter envers Lui de ce qu'ils lui doivent. C'est de la Bonté de Dieu qu'ils ont reçu leur corps et leur âme, et loin d'être reconnaissants et de Lui rendre grâces pour tant de gloire et de bienfaits, ils ne le paient que d'un injuste retour. Se peut-il une iniquité plus grande, une plus noire ingratitude? Et ce qui aggrave encore leur crime et lui donne des proportions inouïes, c'est qu'ils s'efforcent de faire du mal aux autres. «Ils ont songé, dit le psalmiste, à ébranler mes pas.» S'ils n'ont pu réaliser leurs pensées, c'est à la souveraine Bonté de Dieu qu'il faut l'attribuer; c'est Lui qui a déjoué leurs injustes desseins.

13903 3. Voyez comme le crime est profondément prémédité, les pièges savamment dressés. Ils les ont cachés, ils les ont tendus, et le long du chemin, afin que la longueur même du piège, le soin avec lequel il était caché et sa proximité y fissent tomber inévitablement celui qu'ils voulaient perdre. Ils ont été de véritables artisans de crimes, en dressant leurs pièges de tous côtés, dans l'unique dessein de perdre un homme. Or, voulez-vous voir comment le démon tend ses filets. Considérez ce qui est arrivé à Job.
Peut-on imaginer des pièges plus larges, plus longs et plus proches que ceux que le démon lui a tendus jusque dans la personne de ses parents, de ses amis, de son épouse, que dis-je? jusque dans son propre corps? J'ai dit au Seigneur: «Tu es mon Dieu; exauce, Seigneur, la voix de mon humble supplication.» (
Ps 140,7). «Seigneur, Seigneur, qui es toute la force dont dépend mon salut.» Suivant une autre version: «La puissance de mon salut.» Le psalmiste nous a décrit, la guerre qui lui est faite, les pièges qui lui sont tendus, les maux insupportables qui l'accablent, il se réfugie dans le sein de son invincible protecteur, et implore le secours céleste qui peut l'affranchir de ses épreuves. C'est la marque d'une âme généreuse et sage, de ne point, au milieu des maux qui l'environnent, recourir à la protection des hommes, ni prendre conseil des pensées de la terre, mais de jeter les yeux vers le ciel, sans découragement, sans agitation, sans trouble, et d'invoquer le Dieu qui remplit tout de sa Présence. Or, considérez la convenance des termes qui composent sa prière, Il ne dit pas à Dieu: Ma conduite a été irréprochable dans telle ou telle circonstance, ou j'ai pratiqué telle ou telle vertu, mais: «Tu es mon Dieu.» La seule raison qu'il apporte à l'appui de sa prière, c'est qu'il se réfugie dans le Sein de son Seigneur, de son Créateur, de son Roi. «Écoute, Seigneur, la voix de mon humble supplication, Seigneur, Seigneur, qui es toute la force de mon salut.» Il appelle Dieu la force ou la puissance de son salut, pour montrer que la Puissance divine se manifeste aussi par les châtiments et les supplices. Mais quant à moi, dit-il, je n'ai ressenti que la Puissance du saint. Il est en ton Pouvoir de châtier et de faire mourir, mais ta Puissance n'a jamais servi qu'à me sauver. Voyez quel amour respire dans ces paroles, et comme en répétant, Seigneur, Seigneur, et en ajoutant: «De mon salut,» il montre l'étendue de son affection. «Tu as mis ma tête à couvert au jour du combat.» (Ps 140,8). Quelle âme profondément reconnaissante ! Il rappelle à son souvenir les bienfaits qu'il a reçus de Dieu, lorsqu'il l'a mis à couvert du danger. Ce n'est pas bien longtemps à l'avance, dit-il, c'est au jour même où le malheur me menaçait, lorsque mes ennemis allaient en venir aux mains, et que je courais les plus grands dangers, que Tu m'as mis en sûreté. C'est qu'en effet Dieu n'a besoin ni de préparatifs, ni d'exhortation, Lui qui connait le présent, l'avenir, le passé, et qui est toujours là prêt à venir à notre secours. La victoire qu'Il remporte est complète, la sécurité qu'Il donne est absolue, aussi le psalmiste ne dit pas simplement: «Tu m'as sauvé,» mais: «Tu as mis ma tête à l'ombre;» c'est-à-dire Tu m'as mis à l'abri du plus léger péril, de la moindre chaleur. Grâce à Toi, j'ai goûté une sécurité, une joie, une tranquillité sans égale; loin de souffrir d'une chaleur importune, je me suis reposé sous ton Ombre avec délices, affranchi de tout danger, et libre de toute crainte. Cette expression: «Tu m'avez mis à l'ombre» signifie encore l'extrême facilité avec laquelle Dieu vient à notre secours. En empruntant cette image, il semble dire à Dieu: Il Te suffit d'être présent, et tout danger disparaît. «Seigneur, ne me livrez pas au pécheur, pour combler le désir qu'il a de me perdre.» (Ps 140,9). Une autre version porte: «N'accomplis pas, Seigneur, les désirs de l'homme injuste;» c'est-à-dire, n'exauce pas son désir contre moi, ou, si l'on veut, ne permets pas qu'il puisse accomplir le désir qu'il a de me perdre. Or, remarquez qu'il ne dit pas: Les choses qu'il désire, mais «le désir qu'il a contre moi;» c'est-à-dire, ne lui accorde pas la plus légère partie de ce qu'il désire. Tels sont en effet les méchants, c'est avec un désir ardent qu'ils ourdissent des trames perfides contre leurs frères, semblables au démon, dont il est dit: «Il tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer.» (1P 5,8). C'est avec ce violent désir qu'il attaque le saint homme Job, et qu'il se préparait à attaquer Pierre lui-même, ce qui faisait dire au Sauveur: «Combien de fois Satan a désiré vous passer au crible comme le froment?» (Lc 20,31). Voyez la vivacité de son désir, Il est aussi des hommes que la haine et l'envie rendent ses imitateurs, et qui mettent leur plaisir dans le mal, L'Écriture les proclame malheureux :«Malheur à vous, qui vous réjouissez dans le mal, et qui triomphez de la ruine des méchants;» et c'est à juste titre, car c'est la marque d'un esprit pervers et corrompu. En effet, si nous devons nous attrister, gémir et pleurer sur le sort de ceux qui périssent, quel pardon peuvent espérer, quelle excuse apporter ceux qui, loin de s'en affliger, s'en réjouissent? N'avez-vous pas vu que Jésus Christ Lui-même, sur le point de punir Jérusalem, pleure sa ruine prochaine? N'avez-vous pas vu Paul s'affliger, gémir et pleurer sur la perte de ses frères? Mais il en est dont la perversité est si grande qu'ils regardent le malheur des autres comme une consolation de leurs propres douleurs. «Leurs pensées sont contre moi, ne m'abandonne pas, de peur qu'ils ne s'élèvent toujours.» C'est ici le sens du mot Diapsalma. Une autre version porte: «Ne vous éloignez pas, de peur qu'ils ne s'élèvent.» C'est le propre d'une âme profondément corrompue,de se préparer au crime avec réflexion, avec lenteur et préméditation. Ce n'est pas assez pour vous des emportements de la passion pour nous perdre, il faut y joindre de longues délibérations, un long examen pour assurer le succès de vos coupables desseins.

13904 4. Encore une fois, quelle sera votre excuse, vous qui faites du vice toute votre étude, qui délibérez sur les crimes que vous projetez, et qui choisissez des complices? Cependant admirez l'humilité du psalmiste. Il ne dit pas: Ne m'abandonne pas, parce que j'en suis digne; ne m'abandonne pas en considération de ma vie passée dans la pratique de la vertu. Quel motif donc nous apporte-t-il? «De peur qu'ils ne s'élèvent,» c'est-à-dire de peur qu'ils ne deviennent plus insolents, et que mon abandon ne leur inspire une plus grande arrogance. «Toute la malignité de leurs détours, et tout le mal que leurs lèvres s'efforcent de me faire, les accablera eux-mêmes.» (Lc 10). Un autre interprète traduit: «Que la haine amère de ceux qui m'entourent, et que le travail de leurs lèvres les accablent.» L'expression circuit, détours, kùklwma, veut dire ici leurs réunions, leurs conciliabules, leurs ateliers de crimes, leurs abominables desseins. Voici donc le sens des paroles du psalmiste. Leurs projets criminels, toute la malignité de leur esprit pervers et corrompu, les écraseront et les perdront sans retour. «Le travail de leurs lèvres.» Le travail, c'est leur méchanceté. En effet la méchanceté est un véritable travail, elle devient un principe de ruine pour son auteur; elle écrase celui qui s'en rend coupable. C'est ce qui est arrivé aux ennemis de David. Ils espéraient le voir assiégé à la fois de mille dangers; sa gloire n'eu devint que plus éclatante. J'en conviens, me direz-vous, mais ce n'est pas ce que je demande. Montrez-moi comment ces hommes pervers ont été victimes de leurs coupables desseins, et dans quelle circonstance.
Les frères de Joseph nous en donnent un exemple. Ils avaient voulu lui ravir la liberté et la vie, ils se sont vus exposés eux-mêmes a un plus grands dangers. Car autant qu'il était en leur pouvoir, ils le précipitèrent dans la servitude et dans la mort. Et Absalom lui-même, qui avait usurpé la royauté et conspiré contre son père, ne fut-il pas victime de sa rébellion ?
«Des charbons ardents tomberont sur eux, Tu les précipite dans le feu» c'est-à-dire, le crime suffit pour perdre ceux qui le commettent, mais ils auront à supporter de plus les effets de la Colère divine. Ces charbons ardents, ce feu, c'est le châtiment qui descend du ciel. Souvent, en effet, on l'a vu accompagné d'un feu vengeur, comme dans la punition de Coré, de Dathan et d'Abiron, et de ceux qui se tenaient près de la fournaise de Babylone. «Ils ne pourront subsister dans les malheurs.» Une autre version ajoute: «Ils remueront dans des fosses et ne pourront se relever.» Une autre: «Promptement, et ils ne se relèveront pas.» Suivant l'une de ces versions, le psalmiste veut dire: «Tus les perde, sans espérance de retour.» suivant l'autre:
«Leur ruine sera prompte,» c'est ce que signifie l'expression espeusménwv, promptement. «L'homme à la langue perfide ne prospérera pas sur la terre.» (Lc 12). Après ce tableau de la colère de Dieu, le psalmiste nous montre de nouveau que le vice est un principe suffisant de ruine pour ceux qui s'en rendent coupables. Or, une des formes les plus dangereuses de la méchanceté, c'est l'insolence et l'intempérance de la langue. Cet homme intempérant de langage, c'est l'homme arrogant, qui ne sait contenir sa langue, et qui, semblable au chien, poursuit tout ceux qu'il rencontre de ses aboiements et de ces outrages. Or quel sera le fruit d'une telle conduite?«Cette homme ne prospérera point sur la terre.» Suivant une autre version: «Il ne s'affirmira point;» c'est-à-dire il sera renversé, détruit, condamné à une ruine certaine. Voilà le fruit que recueille le médisant; c'est l'ennemi général, il est odieux et à charge à tout le monde, et personne ne peut le supporter. De même que l'homme doux, patient, et qui sait se taire, est solidement établi, dans une sécurité parfaite, aimé de tout le monde; ainsi celui qui ne sait contenir sa langue, mène une vie toujours incertaine, il se fait d'innombrables ennemis, et, avant tout, il remplit son âme d'agitation et ne lui laisse pas un moment de repos. Lors même que personne ne le tourmente, son âme est le théâtre de guerres et de troubles sans fin. «L'homme injuste se trouvera accablé de maux qui seront la cause de sa mort.» C'est ce que dit un autre sage: «Les iniquités donnent la chasse au méchant.» Voici une nouvelle preuve que le vice seul suffit pour perdre celui qui le porte dans son âme. Mais pourquoi cette expression figurée de chasse? Pour vous apprendre qu'il s'agit d'un mal inévitable, et ne point favoriser une confiance téméraire, parce que votre iniquité n'est point punie aussitôt qu'elle a été commise. Vous savez les résultats de la chasse, elle n'atteint pas toujours et aussitôt ce qu'elle poursuit; mais bien que les animaux ne soient pas encore atteints et tombés dans les filets qui leur sont tendus, ils n'en sont pas pour cela plus en sûreté. Que l'âme donc qui commet le mal, ne se laisse point aller à une trop grande confiance, elle n'est pas encore prise, mais elle ne tardera pas à l'être. Voulez-vous être à l'abri de tout danger? Cessez de faire le mal, et vous jouirez d'une tranquillité parfaite. Pourquoi le psalmiste dit-il: «Qui seront la cause de sa mort?» Parce qu'il en est beaucoup qui sont pris pour être sauvés, comme ceux qui étaient pris par les apôtres et par les saints. Il n'en est pas ainsi des méchants, lorsque le vice les poursuit, c'est pour leur malheur et pour leur mort. Mais pourquoi le châtiment ne frappe-t-il pas aussitôt le coupable? Par un effet de la Bonté divine. Si Dieu voulait punir les coupables aussitôt qu'ils ont péché, la plus grande partie du genre humain aurait disparu depuis longtemps.
«Je sais que le Seigneur fera justice à celui qui est affligé, et qu'il vengera les pauvres. Et ainsi les justes loueront ton Nom, et ceux qui ont le coeur droit habiteront avec ton Visage.» (Lc 13-14). Une autre version porte: «Auprès de votre visage.» Au lieu de: «Ils habiteront,» un autre interprète traduit: «Ils demeureront;» un autre: «Ils seront assis;» et au lieu de: j'ai connu, il traduit: «Je sais.» Le psalmiste vient de dire que les pécheurs seront poursuivis et qu'ils périront, mais sans préciser l'imminence prochaine du châtiment. Or, afin que ses paroles ne soient point pour les esprits grossiers, une occasion de négligence et de relâchement, il établit la certitude du châtiaient à venir. Ceux qui soutirent de l'injustice ne resteront point sans vengeur. Les pauvres dont il parle ici, ne sont point précisément les indigents, mais ceux qui sont profondément humiliés et qui ont le coeur brisé. Or, en parlant de la sorte, il console à la fois ceux qui sont victimes de l'injustice, et cherche à réprimer ceux qui s'en rendent coupables, et il prévient ainsi dans les uns le découragement, dans les autres la négligence où le délai du châtiment pouvait les faire tomber. Dieu suspend le châtiment pour amener les pécheurs au repentir, s'ils persévèrent dans leur péché, ils méritent un supplice plus rigoureux, et cela est de toute justice. Pourquoi? Parce que malgré tous les efforts de la Bonté divine, ils n'en sont pas devenus meilleurs. Considérez donc la grandeur de la Bonté de Dieu qui laisse ses serviteurs aux prises avec la souffrance, sans venger leur cause, parce qu'il veut vous ramener au repentir et à la vertu. «Ainsi les justes loueront ton Nom.» Qu'est-ce à dire? Quels que soient les événements, ils vous rendront grâces, soient que les humbles soient éprouvés par l'injustice, soient que les méchants soient exaltés, ils ne vous demanderont pas la raison de cette conduite. Car le caractère distinctif des justes est de rendre grâces à Dieu en toute circonstance: «Et ceux qui ont le coeur droit habiteront en ta Présence.» Grâce au secours qu'ils ont reçu de Toi, grâce à ton Souvenir toujours présent à leur esprit, et à l'union étroite qui existe entre eux et Toi, ils n'en seront jamais séparés. Quoi qu'il arrive, rien ne les contristera, et ils ne se plaindront jamais des événements, marque assurée d'une âme ferme et inébranlable qui ne veut point demander à Dieu compte de ce qu'Il fait. C'est ce qui faisait dire à saint Paul: «Mais qui es-tu, ô homme, pour contester avec Dieu ?» Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a formé: «pourquoi m'as-tu fait ainsi?» Soyons donc nous-mêmes constamment fidèles au devoir de la reconnaissance; ne cessons jamais, en toute circonstance, de témoigner à Dieu notre reconnaissance, parce qu'Il est digne de toute gloire, de toute action de grâces et de toute adoration, maintenant et toujours et dans la durée infinie des siècles des siècles. Amen.




Chrysostome, Psaumes 138