Chrysostome, Psaumes 141

PSAUME 142 (Vulgate 141)

141Ps 142 NV

"J'ai élevé la voix en criant vers Toi, j'ai élevé la voix en T'adressant ma prière." (v. 2).

1. Vous voyez comment le prophète, suivant sa méthode habituelle, commence ce psaume de la même manière et répète deux fois ces paroles: "J'ai élevé la voix, j'ai élevé la voix." Cette répétition n'est pas sans objet, elle nous apprend combien son âme était fervente, son esprit attentif et aussi que c'est vraiment sa voix qu'il fait entendre. Tous en effet, n'élèvent pas la voix en priant, tous ne la dirigent pas vers Dieu, tous ne font point entendre leur propre voix. Or, le concours de ces trois choses est nécessaire à la prière. Celui dont la prière est un cri contre ses ennemis, ne fait pas entendre une voix humaine, mais la voix d'une bête féroce et d'un serpent. En voici un autre, dont l'âme est pleine de tiédeur, et n'entend pas ce qu'elle dit; il ne crie pas vers Dieu, ce sont des paroles inutiles et perdues. Un autre enfin, n'apporte aucune attention à la prière, il a beau élever la voix, il ne crie pas vers Dieu. La voix, comme je l'ai dit, ne signifie pas ici la force du son, mais l'attention soutenue de l'esprit. Le prophète au contraire, réunit ces trois conditions, il élève la voix, c'est à Dieu qu'il s'adresse, et c'est sa propre voix qu'il fait entendre. Voilà pourquoi il dit et répète: "J'ai élevé la voix, j'ai élevé la voix." "Je répands ma prière en sa Présence, et j'exposerai devant Lui mon affliction." (Ps 3). Voyez-vous une âme vraiment dégagée de tons les soucis de la terre? Ce n'est point auprès des hommes que le prophète va chercher refuge et protection, c'est un secours invincible, c'est la force qui vient des cieux qu'il implore. Il nous révèle ensuite toute l'application, toute la ferveur intérieure de son âme, en ajoutant: "Je répands" avec abondance ma prière. Apprenons ici combien les afflictions sont utiles pour développer en nous l'amour de la sagesse. C'est là le fruit propre de la tribulation, gardons-nous donc de nous y soustraire. Elle porte avec elle deux avantages, elle nous fait redoubler de vigilance et d'attention, et elle est une juste cause de l'efficacité de nos prières. Aussi le psalmiste ne dit pas: J'expose ma justice, mes bonnes oeuvres, mais: "J'expose mon affliction, parce que c'est un puissant appui pour ma prière." Voilà pourquoi Isaïe parlant au nom de Dieu, disait: "Prêtres, exhortez le peuple, parlez au coeur de Jérusalem, parce qu'elle a reçu de la Main de Dieu le double de ce que méritaient ses péchés." (Is 40,1-2). Saint Paul dit aussi: "Livrez cet homme à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée." (1Co 5,5). Il écrivait encore aux Corinthiens: "C'est pour cela qu'il en est beaucoup parmi vous qui sont malades, languissants et qui dorment. Si nous commencions par nous juger nous-mêmes, le Seigneur ne nous jugerait pas. Mais lorsque nous sommes jugés par le Seigneur, Il nous châtie, pour que nous ne soyons pas condamnés avec le monde." (1Co 9,30-32). C'est le langage qu'Abraham tenait au mauvais riche: "Vous avez vécu vos biens dans votre vie, et Lazare a reçu ses maux; maintenant donc, il reçoit la consolation, et vous êtes dans les tourments." David exprimait la même vérité, lorsque Seméi le maudissait: "Laissez-le me maudire, c'est Dieu qui le lui a commandé, afin qu'il vît mon humiliation." Partout enfin, nous voyons dans les Écritures que ceux qui supportent les afflictions en esprit d'actions de grâces, non seulement effacent la multitude de leurs péchés, mais jouissent auprès de Dieu d'un accès facile, d'une grande confiance. "Lorsque mon esprit était prêt à défaillir, et Tu as connu mes voies." (1Co 4). Là où les esprits pusillanimes trouvent une occasion de chute et d'injustes récriminations, le psalmiste s'inspire de la plus haute sagesse, parce qu'il a été instruit à l'école de l'adversité. Lors donc que vous voyez un homme que l'affliction jette dans le découragement, ou qui laisse échapper des paroles amères, n'en accusez pas l'affliction, mais la pusillanimité de celui qui tient ce langage. L'affliction de sa nature produit des effets tout contraires, l'attention de l'esprit, la contrition du coeur, l'application de l'âme, un accroissement de ferveur. C'est ce qui faisait dire à saint Paul: "La tribulation opère la patience, et la patience l'épreuve." (Rm 5,3). Les Juifs murmuraient au milieu de leurs épreuves, ces murmures leur étaient inspirés non par leurs afflictions, mais par l'égarement de leurs pensées, car les tribulations donnent aux saints une vertu plus éclatante, un amour plus vif de la sagesse. Aussi, entendez le psalmiste vous dire dans un autre endroit: "Il est bon, Seigneur, que Tu m'aies humilié, afin que j'apprenne tes préceptes si justes;" (Ps 118,71); et saint Paul: "De peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l'orgueil, j'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, l'ange de Satan pour me souffleter. C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et Il m'a dit: Ma grâce te suffit, car ma Puissance éclate dans l'infirmité. Je me plais donc dans les afflictions, dans les infirmités, dans les persécutions, car c'est lorsque je suis faible, que je deviens puissant." (2Co 12,7-10). L'affliction a donc pour effet d'exciter la ferveur du prophète, de lui faire chercher son refuge en Dieu, de l'attacher d'autant plus étroitement à Dieu, qu'il est tombé dans un abîme plus profond, et de le rendre plus attentif et plus vigilant. C'est ce que signifient ces paroles: "Lorsque je sentais défaillir mon âme." Un autre interprète traduit: "Et Tu as su," au lieu de: "Tu as connu mes sentiers." Ils m'ont tendu un piège caché dans la voie où je marchais. Je considérais à ma droite, et je voyais, et il n'y avait personne qui me connût. Il dépeint la grandeur de ses calamités, ses malheurs qui vont toujours croissant, les embûches de ses ennemis, comment ils se sont approchés de lui pour le renverser, et ce qu'il y a de plus affreux, non seulement aucun secours, aucune aide, mais personne qui le reconnût.

14102 2. On ne peut imaginer un abandon plus complet, un délaissement plus absolu. Il en est bien peu en effet, qui portent secours et appui à ceux qui sont dans le malheur, lorsque ce malheur semble les menacer eux-mêmes. Cependant le prophète non seulement n'a point souffert de cet abandon, il en a recueilli le précieux avantage d'une familiarité plus intime avec Dieu. Vous donc aussi, mon très-cher frère, lorsque vous voyez vos maux s'accroître, ne vous découragez pas, mais redoublez bien plutôt de vigilance. Dieu ne permet à cet orage de s'élever que pour vous faire secouer votre négligence, et sortir de votre sommeil. Alors en effet, vous rompez avec toutes les choses superflues, tous les soucis de la vie présente perdent pour vous leur attrait, vous devenez plus appliqué à la prière, plus porté à l'aumône et au mépris des jouissances sensuelles, et grâce à l'affliction, vous triomphez plus facilement de tous les vices de votre âme. Si Dieu nous a imposé dès le commencement les chaînes du travail et de la douleur, ce n'est point pour nous punir, bien qu'Il ait déclaré qu'Il les regardait comme un châtiment; c'est pour nous corriger et nous rendre plus parfaits. En effet, si malgré le travail et la souffrance qui sont notre partage, le vice a sur nous tant d'empire, dans quels excès ne nous jetterait-il pas sans ce frein salutaire? Pourquoi vous étonner que tel soit le régime qui est imposé à l'âme, lorsque la souffrance est avantageuse même au corps, tandis que l'excès des jouissances sensuelles lui est si funeste? Ces pièges qui nous sont tendus de tous côtés, nous rendent plus attentifs, et cette vigilance nous rend invulnérables. C'est ce qui fait dire au sage:
"Reconnaissez que vous marchez au milieu des filets, et que vous vous promenez sur les toits des cités," (
Qo 9,13) (suivant la version grecque), et au psalmiste: "Ils m'ont tendu des pièges cachés dans la voie où je marchais." Si l'on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique, on verra que le démon tient la même conduite, et que ce n'est pas au loin, mais de près qu'il nous tend les pièges qu'il dissimule avec soin. Aussi, nous faut-il la plus grande vigilance, pour découvrir ces pièges qu'il nous cache, la vaine gloire dans l'aumône, la fierté présomptueuse dans les jeûnes. Ce n'est point, vous le voyez, dans des chemins qui nous sont étrangers, mais dans ceux ou nous marchons, et c'est ce qui rend pour nous le danger beaucoup plus redoutable.
"La fuite m'est devenue impossible." Voyez ce nouveau surcroît de malheur. Non seulement des pièges dans le chemin, personne pour lui porter secours, personne pour le reconnaître; mais la seule ressource qui lui restait lui est ôtée, il ne peut chercher son salut dans la fuite. C'est ainsi que les dangers l'assiègent de toutes parts, sans aucun moyen pour lui d'y échapper, et cependant, il se garde bien de perdre confiance. "Et nul ne cherche à me sauver la vie;" c'est-à-dire, à me défendre, à me porter secours. Que va-t-il donc faire? Dans une si grande extrémité, dans cette privation absolue de tous moyens de défense, désespère-t-il de son salut? Non, il se réfugie aussitôt dans les Bras de Dieu et Lui dit: " J'ai crié vers Toi, Seigneur, j'ai dit: Tu es mon espérance et mon partage dans la terre des vivants." (Qo 6). Voilà une âme vraiment vigilante; ses malheurs loin de l'accabler, lui donnent des ailes pour s'élever, et jusque dans cette extrémité où toute espérance semble perdue, il reconnaît la Main invincible de Dieu, sa puissance souveraine, et la facilité avec laquelle Il nous arrache aux plus grands dangers. J'ai dit: "Tu es mon espérance." Tous les moyens humains sont impuissants, la tempête défie tellement tous les secours que le naufrage est inévitable. Et cependant, malgré cette situation désespérée et l'épuisement absolu de toutes nos forces, tout nous est possible et facile, et cette espérance nous soutient et nous anime. "Tu es mon partage dans la terre des vivants;" c'est-à-dire, Tu es la part qui m'est échue, mon trésor, mes richesses, Tu es tout pour moi. "Dans la terre des vivants." La terre des vivants c'est sa patrie, car il compare souvent la captivité de Babylone à l'enfer et à la mort. Il se trouvait d'ailleurs dans une terre étrangère, où il ne voyait s'accomplir aucun des actes de sa religion, tandis que toutes les cérémonies du culte divin se célébraient dans sa patrie, et c'est ce qui lui fait dire: "Tu es mon partage dans la terre des vivants." Tu m'as toujours protégé dans la terre des vivants, dit-il à Dieu, j'y ai vécu avec Toi dans l'intimité et dans l'union la plus étroite. "Prête l'oreille à ma prière, car je suis humilié à l'excès." (Qo 7). Il fait valoir de nouveau les titres qu'il a déjà exposés à Dieu: j'ai été humilié, dit-il, j'ai été puni outre-mesure pour les péchés que j'ai commis. En parlant de la sorte il n'accuse pas la conduite de Dieu à son égard, il cède à un sentiment de douleur et de faiblesse naturelles. Si Tu ne tiens compte que de ce que méritent mes péchés, mon humiliation n'est pas trop grande, mais si Tu considères la faiblesse de celui qui souffre, l'épreuve est trop forte et dépasse la mesure. En effet, Dieu ne nous inflige jamais un châtiment proportionné à nos fautes; s'il paraît accablant à ceux qui souffrent, la cause n'en est pas dans les châtiments eux-mêmes, mais dans l'infirmité de ceux qui en sont l'objet. "Délivre-moi de ceux qui me persécutent, parce qu'ils sont devenus plus forts que moi." Voici une autre raison qu'il invoque, ce sont les injustes complots de ses persécuteurs et son extrême faiblesse. "Tire mon âme de sa prison, afin que je loue ton Nom." (Qo 8). "Louer," signifie ici rendre grâces, et le prophète veut dire: Délivre-moi de mes épreuves, de ces malheurs extrêmes dont la prison est la figure.

14103 3. C'est encore faire preuve de grande vertu que de ne pas oublier au sein de la prospérité les bienfaits qu'on a reçus. Il en est beaucoup en effet, que l'affliction rend attentifs et vigilants, mais qui dans la prospérité, se laissent aller à la négligence et au relâchement; d'autres qui s'endorment au sein de la prospérité, tombent dans le désespoir et l'inertie la plus grande, dès que le malheur les atteint. Le prophète au contraire, dans des circonstances si différentes, professe toujours les mêmes sentiments. L'affliction, loin de l'abattre, lui inspire de recourir à la prière, et la prospérité, au lieu de nourrir en lui la négligence, le porte à témoigner à Dieu sa reconnaissance. "Les justes sont dans l'attente de ce que Tu me rendras." Une autre version porte: "Les justes me couronneront lorsque Tu m'auras comblé de bienfaits." Que signifient ces paroles? Ce spectacle sera utile aux justes eux-mêmes. Ils seront dans la joie, ils se livreront aux transports de l'allégresse, lorsqu'ils me verront délivrés de mes maux. Tel est le caractère des saints, ils compatissent à ceux qui souffrent, et loin de porter envie à ceux qui sont heureux, ils partagent leur joie et leur allégresse, et les félicitent sincèrement de leur bonheur. C'est ce que saint Paul recommande aux fidèles: "Se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, pleurer avec ceux qui pleurent." (Rm 12,15). Ce n'est point là l'effet d'une vertu médiocre. Il en est beaucoup qui insultent au malheur, portent envie à l'infortuné qui se relève, et ces deux dispositions, sont le triste fruit d'une souveraine inhumanité et d'une excessive cruauté. Les justes agissent sous une impression bien différente, ils sont affranchis de ces deux vices, parce qu'ils possèdent les deux vertus de miséricorde et de bonté. De même donc que la cruauté produit dans les autres deux dispositions contraires, ainsi les justes, sous l'impulsion de la bonté et de la miséricorde qui les animent, s'associent à la douleur de ceux qui souffrent et à la joie de ceux qui sont heureux.
Mais pourquoi ces paroles que le psalmiste ajoute: "Dans l'attente de ce que Tu me rends ?" Une autre version porte: "Quand Tu m'auras comblé de bienfaits," une autre: "Lorsque Tu m'auras donné le prix et la récompense de mes travaux." Il n'a parlé précédemment que de ses épreuves, de ses humiliations, il n'a rien dit de ses bonnes oeuvres et de la confiance qu'elles pouvaient lui inspirer. Quel est donc l'objet de la récompense qu'il demande? Les jours de ses humiliations. Il n'appartient qu'à une vertu éminente de supporter la tribulation en esprit d'actions de grâces, et c'est pour cela qu'il appelle un juste salaire l'état heureux qui la suit. Ne nous laissons donc point abattre par les afflictions, mais prions pour ne point entrer en tentation, et acceptons les épreuves qui peuvent nous arriver. C'est par là que nous purifierons notre âme de ses péchés; et s'il y a en nous quelque vertu, elle en deviendra plus resplendissante. Nous en avons un exemple dans la personne de Job, à qui ses malheurs donnèrent un nouvel éclat. Cette conduite sévère est un bien même à l'égard du corps, non-seulement pour les hommes, mais pour les animaux, non seulement pour les animaux, mais pour les plantes elles-mêmes. Voyez le laboureur, il ne permet ni à ses vignes, ni à ses autres arbres d'avoir un feuillage trop riche, il retranche avec le fer tout ce qui lui paraît trop abondant, et il ramène ainsi toutes les forces de l'arbre vers ses racines, afin qu'elles ne s'épuisent pas inutilement à produire des feuilles ou des fruits de médiocre valeur. Le même phénomène se reproduit dans les hommes. Si vous dépensez toute votre activité en efforts inutiles, votre esprit deviendra impuissant à faire produire à la piété des fruits d'une maturité et d'une saveur parfaites. C'est ce qui arrive encore pour les eaux. L'eau qui est stagnante et sans écoulement, est malsaine, tandis que celle qui est en mouvement, qui coule dans des canaux et dans des aqueducs, est non-seulement plus salubre, mais plus agréable à la vue, au toucher et au goût. Souvent l'affliction opère des effets qui dépassent les forces de la nature. Nous voyons des objets sans consistance, qui retombent d'eux-mêmes vers la terre, mais qui se redressent tout à coup sous une pression qu'on leur fait subir. Il en est comme pour les hommes. Ceux qui supportent facilement les afflictions, s'élèvent à une hauteur surprenante, quand même leur âme aurait été attachée à la terre, et leurs inclinations sans noblesse et sans générosité; la tribulation est pour eux la source de mille avantages. Instruits de ces vérités, supportons en esprit d'action de grâces les épreuves qui nous sont envoyées, afin qu'elles nous deviennent plus légères, et que par elles nous méritions les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.


PSAUME 145 (Vulgate 144)

144Ps 145 NV


"Je T'exalterai, ô mon Dieu, ô mon Roi; et je bénirai ton Nom dans les siècles et dans les siècles des siècles." (v.1).

I. Il est juste de porter une attention spéciale sur ce psaume. C'est celui qui renferme les paroles que redisent incessamment les initiés à nos divins mystères: "Vers Toi sont dirigés les yeux de tous les hommes, et Tu leur distribues la nourriture dans le temps opportun." (Ps 15). Quand on a la dignité de fils, quand on peut s'asseoir à la table spirituelle, c'est à bon droit qu'on glorifie son père. "Le père est glorifié par le fils, le maître est craint par le serviteur." (Ml 1,6). Vous avez acquis l'honneur de la filiation, vous avez votre place au banquet sacré, vous prenez pour nourriture la chair et le sang de Celui qui vous a régénéré; rendez-Lui donc grâces pour un si grand bienfait, glorifiez-Le de sa Munificence, et, quand vous lisez les paroles du texte, conformez-y vos pensées. Lorsque vous dites: "Je T'exalterai, ô mon Dieu, ô mon Roi," montrez à Dieu la plus vive tendresse, afin qu'Il dise de vous ce qu'Il a dit des patriarches: "Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob." (Ex 3,6). En prononçant ces paroles: "Mon Dieu et mon Roi," si vous ne les prononcez pas seulement de bouche et qu'elles soient l'expression de vos sentiments, Lui-même dira de son côté: Mon serviteur et mon enfant; ce que du reste il a dit de Moïse. "Et je bénirai votre nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles." Vous le voyez, Il vous montre là les récompenses de la vie future. La bénédiction dont il s'agit n'est pas celle qui se traduit par des paroles, mais bien celle qui se manifeste par les oeuvres. Voilà comment nous pouvons exalter Dieu, Le bénir. C'est ce qu'il nous est ordonné de dire dans la prière: "Que ton Nom soit sanctifié," ou bien glorifié. (Mt 6,9) .
"Chaque jour je Te bénirai, je louerai ton Nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles." (Ps 144,2). Une autre version porte: "Dans les siècles sans fin." Le propre d'une âme pieuse, c'est de s'abstraire des choses de la vie pour s'adonner aux saints cantiques. Il serait honteux que l'homme étant doué de raison et le plus élevé de tous les êtres visibles, fût le dernier de tous en ce qui concerne les divines louanges; ce ne serait pas seulement honteux, ce serait encore déraisonnable. Et comment pourrait-il en être autrement, puisque toute créature glorifie le Seigneur à chaque instant du jour? "Les cieux, dit le même prophète, racontent la Gloire de Dieu, et le firmament annonce la puissance de ses Mains. Le jour transmet la parole au jour, et la nuit lègue à la nuit la science." (Ps 18,2-3). Le soleil, la lune, tous les choeurs des astres, cette magnifique harmonie de l'univers, célèbrent à l'envi l'Ouvrier suprême. Dès lors, si celui qui l'emporte sur tous ces êtres n'accomplit pas ce devoir, s'il vit même de manière à faire maudire son Créateur, comment serait-il digne de pardon, quel moyen de défense pourrait-il invoquer? Il a reçu l'existence pour plaire à Dieu, à ce Dieu plein d'amour pour les hommes, et pour posséder le royaume des cieux; et voilà qu'il ne tient aucun compte de cette distinction, qu'il se plonge tout entier dans les affaires du temps et les sollicitudes du monde. Telle n'était pas la conduite de David; durant tout le cours de sa vie il rendait gloire à Dieu par ses paroles et par ses oeuvres.
Nous sommes en toutes choses les débiteurs de la Bonté suprême: elle nous a tirés du néant, elle nous a faits ce que nous sommes, elle dirige cette vie qu'elle nous a donnée, chaque jour elle pourvoit à nos besoins généraux ou particuliers, d'une manière ouverte ou secrète, que nous le sachions ou que nous ne le sachions pas. Est-il nécessaire de dire les bienfaits qui tombent sous nos yeux, les services que nous rendent toutes les créatures, l'organisation du corps, la noblesse de l'âme, l'ordre constant de la Providence, son action par les miracles, par les lois, par les châtiments même, par tant d'autres moyens que nous ne pouvons embrasser, tous les biens réunis dans un seul, Dieu n'épargnant pas son Fils unique par amour pour nous, ce que nous avons déjà reçu dans le baptême et les autres sacrements, les dons ineffables que nous avons à recevoir encore, l'éternel royaume, la résurrection, l'héritage de la complète félicité? Qu'on parcoure chacune de ces choses, et l'on sera entraîné dans un immense océan de bienfaits, et l'on verra combien nous sommes redevables à la Bonté du Seigneur. Ce n'est pas seulement là-dessus que repose notre dette, elle est encore basée sur la grandeur de la Majesté divine, sur l'excellence de cette Nature qui subsiste à jamais; car sous ce rapport nous Lui devons aussi la gloire, la bénédiction, d'immortelles actions de grâces, l'adoration, une infatigable obéissance.
C'est également là ce que le prophète nous enseigne quand il dit:
"Grand est le Seigneur, et digne à jamais de nos louanges; sa Grandeur ne connaît pas de bornes." (Ps 3). "Je Le bénirai et je Le louerai," avait-il dit; et maintenant il montre que Dieu n'a nullement besoin de nos louanges et de nos bénédictions, que les hymnes de ceux qui le servent ne peuvent rien ajouter à sa Gloire; car sa Substance est à l'abri de tout amoindrissement et de toute nécessité, et les louanges dont Il est l'objet tournent uniquement à notre gloire. Ce n'est donc pas seulement à cause du bien qu'Il nous fait, c'est encore et surtout à cause de sa Grandeur infinie que nous Lui devons nos louanges; c'est la pensée du prophète quand il dit: "Grand est le Seigneur, et digne éminemment d'être loué;" rien ne Lui manque; mais Il a droit à nos louanges, à nos hymnes d'adoration et d'amour. Il n'en est pas seulement digne, Il en est infiniment digne. Tel est le sens de ce verset. Puis, le prophète désespérant d'exprimer cette dignité, ajoute: "Et sa Grandeur n'a pas de bornes." Au lieu de grandeur, une autre version porte invention. Voici la leçon renfermée dans ces mots: Puisque vous avez un Maître si grand, soyez grand vous aussi, et dégagez-vous des choses de la vie présente. Prenez des sentiments qui s'élèvent au-dessus des grossiers intérêts de la terre, non certes, pour vous enfler et vous enorgueillir, mais pour donner à notre âme l'ampleur et l'élévation qui lui conviennent. Autre chose est l'arrogance de l'orgueil, autre chose la grandeur d'âme. L'orgueilleux arrogant est celui qui se glorifie de choses de néant et qui méprise ses semblables: une âme grande est celle qui possède la véritable humilité et qui regarde comme rien toutes les pompes du monde.

14402 2. Où sont maintenant ceux qui prétendent connaître Dieu comme Dieu Se connaît Lui-même? Qu'ils entendent le prophète, quand il dit: "Sa grandeur n'a pas de bornes;" et qu'ils rougissent de leur folie. "Chaque génération en passant admirera tes oeuvres." (Ps 4). Ce qu'il a coutume de faire David, le fait encore ici:
Après avoir célébré la Grandeur et la Gloire de Dieu, il en vient à célébrer ses oeuvres. Vous l'entendez maintenant: "Chaque génération en passant, admirera tes oeuvres." Par les oeuvres, il donne à comprendre la Grandeur de l'Ouvrier. Ces oeuvres n'ont pas été faites pour subsister un temps seulement et disparaître ensuite; leur existence ne se borne pas à deux ou trois années, elles s'étendent à tout le siècle présent, de telle sorte que chaque génération puisse les contempler à son tour. "La génération et la génération," porte le texte; la génération actuelle et celle qui la suit, celle qui devra venir après, toutes les générations, en un mot, qui se remplaceront sur la terre. Et ces oeuvres qui doivent avoir la même durée sont le ciel, la terre, la mer, l'air, les lacs, les fontaines, les fleurs, les semences, les plantes, la végétation tout entière avec tous les bienfaits dont elle est la source, ce cours de la nature qui n'est jamais interrompu, les pluies, les changements de saisons si régulières dans leur marche, la nuit et le jour, le soleil et la lune, tous les astres et toutes les autres créatures du même genre; outre cela, ce qui s'accomplit chaque jour, en public ou en particulier, pour la conversion et le salut du genre humain tout entier, les signes et les prodiges constamment opérés chez les Juifs, les victoires que la Providence leur faisait remporter, les moissons abondantes qu'elle leur ménageait, toutes les autres faveurs dont elle a comblé les hommes, soit à l'Avènement du Christ, soit au temps des apôtres, soit à l'époque des persécutions, soit même dans la génération présente, quoique ses Bienfaits aient été beaucoup plus nombreux et signalés chez les anciens. Il n'est pas d'époque qui n'ait reçu quelque preuve éclatante de son Amour, indépendamment des grâces communes et ordinaires. "Elles publieront sa Puissance," cette puissance qui se manifeste par les châtiments aussi bien que par les bienfaits; car Dieu ne cesse dans aucun temps de pourvoir par tous les moyens au bien de notre nature.
"Elles rediront la magnificence et l'éclat de ta Sainteté, elles raconteront tes Merveilles." (Ps 5). On lit dans une autre version: "Elles raconteront la beauté de ta Gloire et les discours de tes Prodiges." A peine le prophète a-t-il nommé la Puissance divine, qu'il nous la montre comme infinie: elle n'agit pas en vain ni pour accomplir des choses vulgaires; son Action est toujours admirable et merveilleuse, elle renverse toutes nos idées en dépassant notre intelligence, elle éblouit nos regards par le rayonnement du miracle et de la gloire. Considérez ce qui s'est fait en Égypte et dans la Palestine, au temps d'Abraham, d'Isaac et de Joseph; en Égypte encore, au temps de Moïse, dans le désert, dans la Terre promise elle-même; puis, durant la captivité, sous Nabuchodonosor, dans la fournaise de Babylone, dans la fosse aux lions; au retour des Juifs dans la patrie, dans ce qui regarde les prophètes. Toutes ces choses proclamaient la Puissance, la Gloire et la Magnificence de Celui qui les avait accomplies; elles jettent dans l'étonnement, elles frappent de stupeur. "Elles annonceront ta Force redoutable, elles publieront ta Grandeur," (Ps 6). On voit là les deux effets principaux de la Puissance divine: elle se manifeste par les châtiments comme par les faveurs, et les faits énumérés portent ce double caractère. Et ce n'est pas dans les événements seuls qu'on peut le remarquer, il existe aussi dans les créatures, qui servent d'instruments pour l'un et l'autre de ces deux genres de bienfaits: il y en a de terribles, comme les éclairs, le tonnerre, la foudre, les tourbillons de feu, la peste, la grêle, les insectes, la gelée, les incendies, les inondations; parmi les reptiles, les dragons, les scorpions, les serpents venimeux; parmi les animaux qui volent dans l'air, les sauterelles, et dans un ordre plus vil encore, les mouches et les chenilles; car tout cela vient aussi de la Providence, qui s'en sert pour rappeler les hommes à la vertu, les réveiller de leur indolence et les arracher à ce léthargique sommeil qui les empêche de travailler à leur salut. Dans les choses contraires se révèle aussi son Action toute puissante. C'est donc pour nous montrer ce double aspect de son Amour, que le prophète dit: "Elles publieront ta Force redoutable et ta Magnificence."
"Elles rediront les abondantes effusions de ta Douceur (de ta Bonté, lisons-nous dans une autre version); elles tressailliront dans ta Justice." Un autre interprète dit: "Elles loueront tes Miséricordes." (Ps 7). Pour nous, après avoir passé en revue les choses capables d'inspirer la frayeur, nous devons parler aussi de celles qui nous inspirent un sentiment opposé: dans ce qui frappe nos yeux et nous touche de plus près, les diverses saisons, les jours, les jardins, les prairies, les fleurs sans nombre, l'eau si douce dont nous nous abreuvons, les pluies qui nous sont si profitables, les moissons, les divers fruits, les arbres de différentes espèces, le souffle agréable des vents, les rayons du soleil, la douce clarté de la lune, les choeurs variés des étoiles, le calme heureux de la nuit; dans les animaux domestiques, les brebis, les chèvres et les boeufs; dans les bêtes fauves, les chevreuils, les cerfs, les lièvres et tant d'autres; dans les oiseaux, ceux qui nous viennent de l'Inde. Dans les oeuvres du Créateur, nous ne voyons donc pas seulement le châtiment qui s'exerce, nous voyons encore et surtout le bienfait qui se répand et se multiplie. Les premières ont pour objet de nous ramener à Dieu par la crainte, comme nous l'avons déjà dit; et, si parfois le châtiment est réellement infligé, c'est à cause de ceux qui sont assez insensibles pour que la crainte ne puisse les corriger. Dans les secondes, Il Se montre plein de Magnificence, d'une Magnificence sans bornes, puisqu'elle éclate également sur ceux qui en sont dignes et sur ceux qui n'en sont pas.

14403 3. Cherchant notre salut par tous les moyens possibles, Il accomplit tantôt les oeuvres de la justice et tantôt celles de l'amour, mais plus souvent ces dernières, parce que ce sont les seules de son Choix. Il nous menace de la géhenne, non pour nous l'infliger, mais pour ne pas nous l'infliger au contraire; c'est pour le diable qu'Il l'a préparée: "Allez au feu, dira-t-il, qui a été préparé pour le diable." (Mt 25,41). Pour les hommes, c'est le royaume qu'Il a préparé, montrant ainsi que sa Volonté n'est pas qu'un homme tombe dans la géhenne. "Le Seigneur est miséricordieux et clément, Il est plein de patience et de mansuétude. Le Seigneur a pitié de tous ceux qui souffrent, et ses Miséricordes sont par dessus toutes ses oeuvres." (Mt 8,9). Vous le voyez, le prophète s'arrête davantage sur ce qui regarde les bienfaits, il en parle avec prédilection; car il n'ignore pas que la Bonté divine aime surtout à se manifester de la sorte. Aucun espoir de salut, si l'Amour de Dieu pour les hommes n'eût pas été ce qu'il est; supposez sa Bonté moins grande, et nous ne subsisterions plus. C'est pour cela qu'Il disait: "C'est Moi qui efface tes iniquités et qui te protège dans tes péchés." (Is 43,25) .
"Le Seigneur est miséricordieux et clément." Comme il fait ressortir l'ineffable Bonté de Dieu pour les hommes ! Non seulement Il a pitié de ceux qui pèchent, semble-t-il dire, mais encore, leur donnant une autre preuve non moins touchante de sa Clémence, II se montre envers eux plein de longanimité, en leur donnant le temps de venir à résipiscence, et de joindre ainsi le concours de leur zèle à l'action de sa Bonté pour accomplir l'oeuvre de leur salut, et par là même les élever à la noble confiance d'une vie vertueuse. Ce n'est pas inutilement qu'après avoir dit que le Seigneur est miséricordieux, le prophète ajoute qu'Il est plein de miséricorde; il veut nous enseigner que cet Attribut divin se refuse spécialement à toute mesure comme à toute expression. Lui-même cependant s'efforce de l'exprimer, autant qu'il est possible, dans la suite de ce texte: "Le Seigneur a pitié de tous ceux qui souffrent, et ses Miséricordes sont par-dessus toutes ses oeuvres." Il a pitié de tous, sans en excepter les pécheurs, les hommes qui vivent dans le crime. En effet, les justes ne sont pas les seuls témoins de son Amour, ni ceux qui se corrigent et font pénitence; tous les hommes sans exception, par les souffrances mêmes qu'ils endurent, proclament sa Clémence et sa Bonté. Voulez-vous des exemples? Je vous les donnerai. Ce n'est pas pour Abel seul, c'est aussi pour Caïn; ce n'est pas pour Noé seul et sa famille, c'est encore pour ceux qui furent engloutis par le déluge, que Dieu se montra bon; car tout ce qu'Il fait provient de sa Miséricorde. Soyez attentifs, et vous verrez comment Il se montra bon pour tous. Quelle bonté n'était-ce pas, je vous le demande, à l'égard de ce fratricide, d'un homme qui s'était rendu coupable d'un tel forfait, dont les mains s'étaient baignées dans le sang et qui s'était à ce point joué des lois divines, de lui infliger un châtiment ou l'on pouvait voir une leçon plutôt qu'une peine, puisqu'il avait pour but de donner au coupable le temps d'expier son péché, tout en instruisant les autres par la vue de son infirmité? Quelle bonté n'était-ce pas, je vous le demande encore, à l'égard de cette génération si profondément corrompue et dont le mal était incurable, que n'avaient pu corriger ni les menaces ni les raisonnements, de l'arrêter dans le cours de ses désordres par la loi commune qui pèse sur le genre humain, par la plus douce de toutes les morts, en la faisant périr dans les eaux? La pensée du prophète ne s'arrête pas même aux hommes, elle s'étend à tous les êtres visibles, à tous les genres d'animaux. Je dis plus, élevez-vous jusqu'aux rangs des anges et des archanges, et vous verrez éclater la même bonté, la même miséricorde: pas une oeuvre de Dieu qui ne soit l'expression de son Amour infini.
David le remarque lui-même, quand il dit après cela: "Que toutes tes oeuvres, Seigneur, Te louent, et que tes saints Te bénissent." (Is 10). Qu'ils vous rendent grâces, qu'ils élèvent vers Toi une hymne d'adoration, et les êtres qui possèdent la parole, et ceux qui ne la possèdent pas. Chacun de ces derniers, en effet, est constitué de telle manière qu'il bénit Dieu, sans pouvoir élever la voix, par sa seule nature; il a pour interprètes les hommes qui le voient et qui Le font servir à leur avantage: les êtres insensibles louent Dieu parce qu'ils sont, et les hommes le louent par ce qu'ils font, par le caractère de leur vie. C'est la leçon que le prophète nous donne, en ajoutant: "Et que tes saints Te bénissent." Il appelle saints les hommes fidèles à la loi de Dieu, ceux qui repoussent le mal et dont le coeur est inaccessible à l'iniquité. "Ils publieront la gloire de ton royaume." (Is 11). Que veut-il dire par là? Ils proclameront que Tu n'as nul besoin des créatures, que Tu es plein d'amour et de sollicitude pour les hommes, que les êtres soumis à ton empire sont l'objet d'un amour gratuit et ne peuvent rien faire pour Toi, que ta Lumière se dérobe à leurs regards, qu'ils ne sauraient exprimer ni comprendre ta Substance. "Ils célébreront ton Pouvoir." Ils chanteront ta Force irrésistible, ta Puissance infinie; ce n'est pas que Tu aies besoin de ces hymnes et de ces louanges; c'est pour leur propre bien et pour l'instruction des autres qu'ils Te louent. Ils amèneront ainsi leurs semblables à Te chanter avec eux. Écoutez encore le prophète: "Pour manifester ta Puissance aux enfants des hommes, la gloire et les splendeurs de ton règne. " (Is 12). C'est bien nous faire voir que le Seigneur accepte nos louanges pour que les autres soient instruits de sa Grandeur. Grande est donc la Puissance de Dieu, grande est sa Gloire, ineffable est sa Majesté; elle ne défie pas seulement toute parole, elle triomphe encore de toute pensée. Et cependant, toute grande, tout ineffable qu'elle est, il faut des bouches qui la proclament à cause de l'ignorance de la plupart des mortels. Le soleil est bien le plus éclatant de tous les astres; mais ceux dont les yeux sont malades ne jouissent pas de sa clarté: la Providence de Dieu l'emporte en éclat sur le soleil lui-même; mais ceux dont la raison est pervertie, dont les oreilles sont fermées, ne sauraient la reconnaître si le zèle ne les en instruit pas.

14404 4. Voilà donc un enseignement qu'il faut sans cesse leur prodiguer. Après avoir parlé de la gloire et de la magnificence du règne de Dieu, le prophète juge qu'il n'en a pas assez dit; il y revient, il tâche d'exprimer, autant qu'Il est en lui, ce qu'est cette Gloire divine: "Ton règne, s'écrie-t-il, est un règne de tous les siècles." (Is 13). Il ne se renferme pas dans le présent, il s'étend à l'avenir; car c'est un règne sans limites, infini, ayant pour domaine l'éternité. "Et ta Domination ira de génération en génération." Cela veut toujours dire qu'elle n'aura pas de fin, qu'elle embrasse tous les êtres et tous les siècles, qu'elle subsiste partout et à jamais. "Le Seigneur est fidèle dans toutes ses Paroles, et saint dans toutes ses oeuvres." Après avoir proclamé la grandeur infinie et l'inébranlable stabilité de son règne, le prophète rend encore hommage à la stabilité de sa Parole. "Le Seigneur est fidèle;" rien ne saurait ébranler sa Vérité. Or, s'Il est ainsi fidèle, tout ce qu'Il a dit s'accomplira. Autant son règne est à l'abri de toute secousse et de tout changement, autant sa Parole est à l'abri de toute défaillance; ni celui-là, ni celle-ci ne chancelleront jamais; et dire que la parole ne chancelle pas, c'est affirmer tout ce qu'elle annonce. Pourrait-on citer une chose qui ne se serait pas réalisée, cela même est une preuve de sa Vérité: "Soudain, Je parlerai contre une nation et contre un royaume, pour annoncer leur renversement et leur totale destruction; mais, s'ils font pénitence de leurs désordres, Moi aussi Je me repentirai de mes Menaces." La même chose a lieu pour les bons: "Je leur annoncerai des biens, ajoute-t-Il, mais, s'ils changent de conduite, Moi aussi Je changerai ce que J'aurai dit." (Jr 18,7-10). "Il est saint dans toutes ses oeuvres." Qu'est-ce à dire, saint? Irréprochable, droit, pur, infiniment supérieur à toute accusation comme à toute souillure. "Le Seigneur relève tous ceux qui tombent et rétablit tous ceux qui sont brisés." (Ps 144,14). Le prophète a donc attesté la grandeur du règne de Dieu, la vérité de sa Parole, l'inaltérable pureté de sa Conduite, sa Gloire et sa Splendeur; maintenant il parle de nouveau de sa Clémence, qui fait par-dessus tout la gloire de son règne: il nous Le représente donc soutenant ceux qui sont encore debout, prévenant la chute de ceux qui sont sur le point de tomber, relevant enfin ceux qui sont déjà à terre; et, ce qu'il y a de plus admirable, ce n'est pas à celui-ci ou à celui-là, c'est à tous qu'Il accorde une telle grâce, à tous sans en excepter les esclaves, les pauvres, les hommes de la dernière condition. Il est le Seigneur de tous, Il ne saurait passer à côté d'un homme tombé, ni fermer les yeux sur celui qui chancelle. Ce qu'Il a fait pour l'humanité tout entière, Il le fait pour chaque homme en particulier. S'il en est parmi les déchus qui ne se relèvent pas, ce n'est pas que son Secours leur manque, c'est qu'ils ne veulent pas en profiter. Judas lui-même, après sa chute horrible, Dieu l'aurait relevé; Il ne négligea rien dans ce but; c'est le coupable qui ne voulut pas. La Main divine releva David et l'affermit dans la justice; elle retint Pierre qui menaçait de tomber. Voici de quelle manière: "Simon, Simon, Satan a demandé que vous lui fussiez livré pour vous passer au crible; mais J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille jamais." (Lc 21,31-32) .
Le prophète passe ensuite à un autre genre de bienfaits; car les soins de la Providence sont multiples et divers. "Les yeux de tous espèrent en Toi, Seigneur, et Tu donnes à tous leur nourriture dans le temps opportun." (Ps 144,15). Avez-vous remarqué toutes ses oeuvres? L'Évangile a dit: "Il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes." (Mt 5,45). C'est la même pensée que nous voyons ici: "Et Tu donnes à tous leur nourriture dans le temps opportun." Ce n'est pas précisément la pluie, la terre ou l'air, c'est l'ordre même de Dieu qui produit les moissons et les fruits. "Dans le temps opportun," dit le prophète, pour nous rappeler que toute chose a son temps déterminé, que les productions de la terre changent avec les saisons. Rien ne manifeste d'une manière plus évidente la Sagesse de Dieu, que cette attention à ne pas nous donner tout en même temps, à distribuer nos ressources dans tout le cours de l'année, pour que le laboureur ait des moments de trêve et que les fruits de ses labeurs ne périssent pas. Cette expression, "dans le temps opportun," ou bien veut dire que chaque chose a son temps déterminé, comme nous l'avons interprété déjà, ou bien signifie que Dieu donne leur nourriture à ceux qui sont dans le besoin. Comment le prophète a-t-il pu dire, me demandera-t-on: "Les yeux de tous espèrent en Toi ?" Car enfin beaucoup prétendent que tout dépend du hasard: ainsi pensent et parlent les impies. Le prophète veut seulement parler de la nature même des choses, comme lorsqu'il dit ailleurs: "Aux petits des corbeaux qui L'invoquent," (Ps 146,9), bien que les êtres privés de raison ne puissent invoquer Dieu. Il dit encore ailleurs: "Les petits des lions rugissent, appelant la proie et demandant à Dieu leur nourriture." (Ps 103,21). Ils ne demandent rien, eux non plus, n'ayant pas la raison en partage. C'est toujours de la nature des choses que le prophète entend parler: il n'attribue pas aux animaux une pensée délibérée, il fait allusion à l'irrésistible instinct de la nature.
"Tu ouvres ta Main et Tu combles tout animal de tes Bienfaits." (Ps 144,16). Il appelle main l'Action par laquelle Dieu nous fournit son Secours; c'est toujours nous enseigner que les fruits de la terre proviennent, non de la force des éléments, mais de la divine Providence. Nous y voyons encore l'admirable facilité de cette action: "Tu ouvres ta Main," Tu n'as qu'à l'ouvrir. Comme les hommes d'alors, laissant de côté la cause première de tous les êtres, adoraient l'air et le soleil, parce qu'ils y reconnaissaient le principe de tous les fruits, le Roi-prophète s'efforce de les ramener au principe suprême, à la cause universelle, au Seigneur; et c'est pour cela qu'il revient sans cesse à de tels enseignements, qu'il nous montre tous les biens découlant de la Main de Dieu, de sa Bonté paternelle.

14405 5. Il comble tout animal de ses Bénédictions ou de ses Bienfaits, est-il dit encore, parce qu'Il traite chaque animal selon les vues de sa Providence, de la manière qu'Il juge convenable; Il ne se borne pas à donner les aliments, Il les distribue selon la nature et les besoins des diverses espèces. Expliquons encore cela: Tu donnes aux bêtes, aux hommes, à tous, ce qui convient et suffit à chacun; Tu ne donnes pas seulement, Tu remplis, si bien que rien ne manque. Voilà le sens de ces mots:
"Tu combles tout animal de tes Bienfaits." Puis il continue: " Juste est le Seigneur dans toutes ses Voies, et saint dans toutes ses oeuvres." (
Ps 17). Il appelle voies du Seigneur la conduite de sa Providence, la Sollicitude avec laquelle Il dispose tout l'univers. - Oui, toutes ses oeuvres sont des hymnes de louange, des miracles d'amour; elles ne fournissent aucun prétexte au blasphème, bien qu'il y ait tant de furieux et d'insensés. - Les oeuvres de Dieu sont donc telles, qu'elles brillent et resplendissent, qu'elles vont proclamant partout la prévoyante Bonté, la Clémence, la Justice et la Sainteté de celui qui les a faites.
"Le Seigneur est près de tous ceux qui L'invoquent, de tous ceux qui L'invoquent dans la vérité." (Ps 18). C'est ici une autre manifestation de la Providence divine et la source de tous les biens. Après avoir signalé ceux que Dieu répand sur tous les hommes en général, même sur les infidèles, comme les moissons et les pluies, l'auteur sacré parle des bienfaits accordés aux fidèles seuls. Quels sont ces bienfaits? Que Dieu soit près de ceux qui Le servent, qu'Il les couvre de sa Protection, qu'Il ait pour eux des soins particuliers, une bienveillance spéciale, un amour de prédilection, des faveurs que les autres ignorent. "Il accomplira la volonté de ceux qui Le craignent, Il exaucera leurs prières, Il les sauvera." (Ps 19). Quelqu'un me dira peut-être: Mais Paul voulait que l'ange de Satan s'éloignât de lui, c'est-à-dire la tentation, les tribulations, les embûches; et Dieu ne se rendit pas à ses voeux. - Il fit mieux que cela: dès que l'Apôtre eut compris qu'il demandait des choses contraires à ses véritables intérêts, il se prit à désirer avec une ardeur extrême son bien réel; et ce nouveau sentiment était l'oeuvre de Dieu. De là cette parole: "Je me trouve heureux dans les infirmités, dans les peines, dans les persécutions." (2Co 22,10). La volonté qu'il exprimait auparavant n'était qu'un effet de son ignorance; mais, quand il eut reconnu la Volonté de Dieu, il y conforma désormais la sienne. Ce que Dieu veut, les âmes qui Le craignent le veulent aussi, et, s'il arrive qu'elles veuillent autre chose par suite de la faiblesse humaine, elles se hâtent de revenir à de meilleurs sentiments.
"Le Seigneur protège tous ceux qui L'aiment; Il dispersera tous les pécheurs." (Ps 144,20). Voilà le rôle important de sa Providence: conserver, défendre, pourvoir à tout. Les pécheurs dont il s'agit dans ce texte sont ceux dont le mal est incurable, ceux qui refusent de se corriger. Si Dieu permet quelquefois que la mort frappe ceux qui L'aiment, c'est encore un effet de sa Protection: Abel en est un exemple frappant. Leurs corps périssent; mais leurs âmes jettent un plus vif éclat; ils reprendront même leurs corps, qui seront alors devenus immortels. Quand il a donc exposé les diverses formes que revêt la Prévoyance divine, autant du moins qu'Il était en lui, quand il nous l'a montrée s'occupant de tous les hommes en général et de chaque homme en particulier, des justes et des pécheurs, de ceux qui chancellent et de ceux qui sont déjà tombés, la Patience que Dieu met à raffermir les uns comme à relever les autres; le prophète termine par un élan d'admiration et de louange: il appelle tout l'univers à bénir le Seigneur avec lui. "Ma bouche ne cessera de louer le Seigneur; et que toute chair bénisse son saint Nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles." (Ps 21). Dans la sainte ardeur qui l'anime, il convoque en même temps, et ceux qui sont comblés de bienfaits, et ceux qui subissent des châtiments, cette autre marque de la Bonté divine, et non seulement les hommes, mais encore les animaux, les éléments, toute la nature insensible, puisque tout est rempli de cette même bonté. Ne cessons donc jamais nous-mêmes de louer par nos paroles et par nos actes ce Dieu si bon, dont la Bienveillance et l'Amour embrassent tous les temps et tous les êtres; et nous obtiendrons les biens présents avec l'espérance des biens à venir, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.





Chrysostome, Psaumes 141