Chrysostome sur Thess. 400

HOMÉLIE 4 - NE POUVANT DONC ATTENDRE PLUS LONGTEMPS, JE VOUS L'AI ENVOYÉ, POUR RECONNAÎTRE L'ÉTAT DE VOTRE FOI,

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AYANT APPRÉHENDÉ QUE LE TENTATEUR NE VOUS EUT TENTÉS, ET QUE NOTRE TRAVAIL NE DEVINT INUTILE. MAIS TIMOTHÉE, ÉTANT REVENU VERS NOUS, APRÈS VOUS AVOIR VUS, ET NOUS AYANT APPORTÉ LA BONNE NOUVELLE DE VOTRE FOI ET DE VOTRE CHARITÉ, ET DU BON SOUVENIR, QUE VOUS AVEZ SANS CESSE DE NOUS, QUI VOUS PORTE A DÉSIRER DE NOUS VOIR, COMME NOUS AVONS AUSSI LE MÊME DÉSIR POUR VOUS, NOUS TENONS A VOUS DIRE, MES FRÈRES, QUE, DANS TOUTES LES AFFLICTIONS ET DANS TOUS LES MAUX QUI NOUS ARRIVENT, VOTRE FOI NOUS FAIT TROUVER NOTRE CONSOLATION EN VOUS; QUE NOUS VIVONS MAINTENANT, SI VOUS DEMEUREZ FERMES DANS LE SEIGNEUR. (
1Th 3,5-8 1Th 3,9-13)

Analyse.

1-3. Les prophètes, les saints ne connaissent pas tout, ils participent à la faiblesse humaine. — Pourquoi Dieu a voulu qu'il en fût ainsi. — Affection de saint Paul pour les fidèles; ses inquiétudes, en ce qui concerne leur foi et leurs moeurs. — Raisons du voyage de Timothée, envoyé par saint Paul, à Thessalonique. — C'est du coeur que vient le mal de la corruption ; tel, sans faire d'actions mauvaises, est perverti.
4. Contre l'impureté. — De l'amour pur, de l’amour des saints en général et de saint Paul en particulier; de sa tristesse et de ses larmes pour les pécheurs.
5. Courage, bonté, chasteté de Joseph. — De l'oubli des injures, de la facilité à pardonner, de l'humilité. — Rompons tous nos liens, ne différons pas l'oeuvre de notre salut.

401 1. La question qui se pose aujourd'hui devant nous, occupe un grand nombre de personnes, et se représente bien souvent. Quelle est cette question ? «Ne pouvant donc », dit-il,« attendre plus longtemps, je vous ai envoyé Timothée pour reconnaître l'état de votre (199) foi ». Que dites-vous? Celui qui connaît tant de choses, celui qui a entendu les paroles mystérieuses, celui qui est monté jusqu'au troisième ciel, il y a quelque chose qu'il ne connaît pas, et cela lorsqu'il est à Athènes, dans une ville qui n'est pas très-éloignée de Thessalonique, quand la séparation date de si peu de temps? « Comme des orphelins », dit-il, « loin de vous pour un peu de temps ». (1Th 2,17) Ainsi un tel homme ne connaît pas l'état de ceux de Thessalonique, et il faut nécessairement qu'il leur envoie Timothée, pour reconnaître l'état de leur foi? « Ayant appréhendé », dit-il, « que le tentateur ne « vous eût tentés, et que notre travail ne devînt inutile ». Quoi donc, dira-t-on, est-ce que ces grands saints ne savaient pas tout ? Non; et c'est ce que l'on peut conclure d'un grand nombre d'anciens exemples et de ceux qui les ont suivis. Ainsi Elisée ne connaissait pas la pauvre veuve. (2R 4) Ainsi Elie disait à Dieu : « Je suis demeuré seul, ils cherchent encore à m'ôter la vie » ; ce qui lui valut de Dieu cette réponse : « Je me suis réservé sept mille hommes ». (1R 19,10) Et quand Samuel fut envoyé pour oindre David, le Seigneur lui dit : « N'ayez égard, ni à sa bonne mine, ni à la grandeur de sa taille, parce que j'ai rejeté Saül, et que je ne juge pas des choses par ce qui en paraît aux yeux des hommes; car l'homme ne voit que le dehors, mais le Seigneur regarde le fond du coeur » (1R 16,7) ; ce qui marque la sollicitude et la providence de Dieu. Comment et pourquoi? Et pour les saints eux-mêmes, et pour ceux qui se confient aux saints. Car, de même que c'est Dieu qui permet les persécutions, de même c'est encore Lui qui permet que les saints ignorent beaucoup de choses, afin de les réduire à la modération; de là ce que Paul disait lui-même . « J'ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon qui est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets » (2Co 12,7), c’est-à-dire pour que je ne m'élève pas trop dans mes pensées. Dieu l'a voulu ainsi pour que les autres hommes n'allassent pas s'imaginer de trop grandes choses à son sujet.

Et en effet, si à voir les miracles que les saints ont opérés, on les a pris pour des dieux (Ac 14,10), cette erreur se serait bien plus propagée, s'ils eussent toujours montré la connaissance de toutes choses. Aussi le même Paul dit encore : « Je ne veux pas que l'on m'estime au-dessus de ce que l'on voit en moi, ou de ce que l'on entend dire de moi ». (2Co 12,6) Et maintenant, écoutez les paroles de Pierre, quand il eut guéri le boiteux : « Pourquoi nous regardez-vous avec des yeux étonnés, comme si c'était par notre vertu, ou par notre puissance, que nous eussions fait marcher ce boiteux? » (Ac 3,12) Si ces paroles, ces actions, malgré l'infirmité de ceux qu'on entendait, qu'on voyait, provoquaient des suppositions fausses, que serait-il arrivé s'ils eussent été revêtus de toute espèce de grandeur? Pierre ne veut pas qu'on puisse attribuer à une nature surhumaine, dont les apôtres seraient doués, les grandes oeuvres qu'ils opèrent; il veut prévenir une adoration insensée; voilà pourquoi il montre la faiblesse des apôtres; il veut couper court à tout prétexte d'orgueil, et voilà pourquoi Paul montre ici une certaine ignorance; voilà encore pourquoi, bien qu'il se fût souvent proposé d'aller à Thessalonique, il n'y a pas été; c'est pour qu'on sache, à n'en pas douter, qu'il y a beaucoup de choses qu'il ignore; cette ignorance offrait donc un grand avantage. D'ailleurs, même avec cette ignorance, il y avait encore un grand nombre de gens qui le nommaient la grande vertu de Dieu; d'autres l'exaltaient de diverses manières; s'il n'eût pas paru ignorant, que n'auraient-ils pas pensé de lui? Maintenant, il semble qu'il y ait, dans ces paroles, comme un reproche; si pourtant on les considère avec attention, elles montrent bien plutôt que les gens de Thessalonique méritent l'admiration, par leur vertu qui surmontait les tentations. Comment cela? Soyez attentifs.

En effet, vous leur avez d'abord dit, ô bienheureux Paul, que vous étiez destiné pour souffrir ces maux, et de plus, vous leur avez encore dit, que personne donc ne se trouble; pourquoi, maintenant, leur envoyez-vous Timothée, comme si vous aviez peur que ce que vous redoutez n'arrive ? L'apôtre n'écoute ici que son affection; ceux qui aiment redoutent même les dangers qui n'existent pas, c'est le caractère d'une charité ardente; de plus, l'apôtre s'inquiète du grand nombre des tentations. Sans doute, j'ai dit, « ce à quoi nous sommes destinés », mais l'excès des maux m'a effrayé. Aussi l'apôtre ne dit-il pas qu'il les condamne, en leur envoyant Timothée (200), mais : « Ne pouvant pas attendre plus longtemps » 1Th 3,1 1Th 3,5, paroles où respire l'amitié. Que signifie, « ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés 1Th 3,5?» Voyez-vous que les tentations qui nous font chanceler, sont des oeuvres du démon, qui proviennent de ce qu'il veut nous égarer? S'il ne peut pas nous ébranler nous-mêmes, il ébranle, en nous attaquant, ceux qui sont plus faibles : c'est là l'effet d'une faiblesse insigne, d'une faiblesse inexcusable. C'est ce qu'il fit, à propos de Job, en excitant son épouse : « Maudissez Dieu », lui dit-elle, « et mourez». (Jb 2,9) Voyez comme le démon l'a tentée. Maintenant, pourquoi l'apôtre ne dit-il pas: Ne vous eût ébranlés, mais: « Ne vous eût tentés? » C'est que, dit-il, j'ai soupçonné seulement que vous pouviez avoir été tentés; il se garde bien d'appeler cette tentation un ébranlement. Il faut accepter le choc pour être ébranlé. Ah ! voyez la tendresse de Paul. Il oublie ses afflictions, les perfidies qui l'entourent. Car je pense qu'en ce moment il demeurait dans la Grèce, où saint Luc nous dit qu'il séjourna trois mois au milieu des pièges des Juifs qui voulaient le perdre.

402 2. Donc il oublie ses propres dangers, ne pensant qu'à ses disciples. Voyez-vous qu'il n'est pas un père selon la nature qui puisse lui être comparé? Que faisons-nous? dans les afflictions, dans les dangers, nous ne pensons plus qu'à nous; Paul, au contraire, ne craignait, ne tremblait que pour ses enfants, au point de leur envoyer, malgré les dangers qu'il courait lui-même, son unique consolateur, son unique auxiliaire, Timothée. « Et que notre travail ne devînt inutile » (1Th 3,5). Pourquoi ? Quand même ils auraient été renversés, - ce ne serait pas de votre faute, ce ne serait pas par votre négligence. N'importe, en ces circonstances, je dis que mon travail serait devenu inutile, c'est mon vif amour pour mes frères qui parle ainsi. « Ayant appréhendé que le tentateur ne vous eût tentés ». Ce qu'il fait, sans savoir s'il vous fera tomber. Eh bien ! le démon, même sans savoir s'il triomphera, nous attaque; nous, au contraire, quoique nous sachions parfaitement que nous aurons l'avantage sur lui, nous ne sommes pas en éveil? Que le démon nous attaque sans savoir l'issue de la lutte, c'est ce qui se voit à propos de Job : en effet, voici ce que disait à Dieu ce démon pervers : « N'avez-vous pas, à l'intérieur et à l'extérieur, mis un rempart tout autour de lui ? Enlevez-lui ses biens j'imagine, certes, qu'il vous bénira en face ». (Jb 1) Il nous tente. S'il voit un côté faible, il attaque; s'il rencontre la force., il se retire.

« Et que notre travail », dit l'apôtre, «ne devînt inutile ». Ecoutons tous le récit des fatigues de Paul. Il ne dit pas: Notre ouvrage, mais « notre travail ». Il ne dit pas : Et que vous vous perdiez, mais: «Et que notre travail n'ait été inutile». Quand vous auriez été ébranlés, je n'en serais pas surpris; mais puisque vous ne l'avez pas été, je vous admire. Voilà, dit-il, ce à quoi nous nous attendions, mais ce qui s'est produit, c'est tout le contraire : car non-seulement vous ne nous avez donné aucun sujet d'affliction, mais, de plus, vous nous avez consolés. — « Mais Timothée étant revenu vers nous après vous avoir vus, et nous ayant apporté la bonne nouvelle de votre foi et de votre charité». — «Et nous ayant apporté la bonne nouvelle », dit-il. Voyez-vous l'allégresse de Paul ? Il ne dit pas : Nous ayant apporté la nouvelle, mais: « La bonne nouvelle », tant il attachait de prix à leur solidité dans la foi, à leur charité. Car nécessairement, quand la foi est solide, la charité aussi est robuste. Et il se réjouissait de leur charité, parce qu'il y voyait un signe de leur foi. « Et du bon souvenir que vous avez sans cesse de nous, qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Il y a ici des éloges : ce n'est pas seulement quand nous étions auprès de vous, ni quand nous faisions des miracles, mais maintenant encore, quand nous sommes loin de vous, frappés de coups, en proie à mille maux, que vous avez su garder un bon souvenir de nous. Ecoutez, voyez l'admiration qui s'attache aux disciples, gardant de leurs maîtres un bon souvenir, voyez combien leur sort est digne d'envie; imitons-les; car, par là, nous servons nos propres intérêts, nous ne sommes pas utiles seulement à ceux que nous aimons. « Qui vous porte à désirer de nous voir, comme nous avons aussi le même désir pour vous ». Encore un sujet de joie ici pour les fidèles. Apprendre, quand on aime, que celui qui est aimé connaît l'amour qu'on lui porte, c'est là un grand motif de joie et de consolation.

« Nous tenons à vous dire, mes frères, que, (201) dans toutes les afflictions et dans tous les maux qui nous arrivent, votre foi nous fait trouver notre consolation en vous; que nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur ». Où trouver l'égal de ce Paul qui regardait le salut du prochain comme son propre salut, qui était, à l'égard de tous, ce qu'est le corps pour ses membres? Qui nous fera entendre aujourd'hui un pareil cri de l'âme? Ou plutôt, qui concevra jamais un pareil sentiment dans son coeur? Il ne pensait pas que les fidèles dussent lui savoir gré des épreuves qu'il acceptait pour eux, mais c'est lui qui leur savait gré de ce que ses épreuves à lui n'ébranlaient pas leur constance; il a l'air de leur dire : C'est pour vous plus que pour nous,que les épreuves sont dangereuses; vous êtes plus éprouvés, vous qui ne subissez pas les souffrances, que nous qui les subissons. Mais depuis que Timothée, dit-il, nous a apporté ces bonnes nouvelles, nous ne sentons plus rien de nos douleurs, mais, « dans toutes les afflictions, votre foi nous fait trouver notre consolation »; et non-seulement dans toutes. les afflictions, mais « dans tous les maux qui nous arrivent », dit-il, et avec raison. Car un bon maître est au-dessus de toutes les douleurs, tant que ses disciples s'avancent au gré de ses désirs. C'est par vous, dit-il, que nous sommes consolés; ce qui veut dire, c'est vous qui nous fortifiez. Assurément c'était tout le contraire ; car le courage qui triomphe des souffrances, qui résiste avec fierté, un pareil exemple suffisait bien pour affermir les disciples. Mais l'apôtre voit, dans le sens opposé, l'édification qu'il raconte, il transporte l'éloge aux disciples : c'est vous, dit-il, qui avez répandu sur nous l'huile fortifiante, c'est vous qui nous avez permis de respirer, c'est vous qui nous avez enlevé le sentiment de nos souffrances. Et il ne dit pas Nous respirons, ni, nous sommes consolés, mais que dit-il? « Que nous vivons mainte« nant » ; il montre par là qu'il n'y a pour lui d'autre épreuve, d'autre mort que le scandale qui provoquerait leur chute, puisque ce qu'il regarde comme sa vie, c'est leur avancement. Quel autre a jamais exprimé ainsi, ou sa douleur de la faiblesse de ses disciples, ou la joie qu'ils lui causent? Il ne dit pas : Nous nous réjouissons, mais, « nous vivons », marquant par là la vie à venir.

403 3. C'est que, sous cette espérance, la vie même n'est pas une vie pour nous. Voilà quels doivent être les sentiments des maîtres, ceux des disciples ; et nul n'aura jamais à s'en repentir. L'apôtre développe ensuite cette pensée ; voyez, écoutez : « Car quelles actions de grâces pouvons-nous rendre assez dignement à Dieu, à cause de vous, pour toute la joie dont nous tressaillons, à cause de vous, devant notre Dieu; nuit et jour, le conjurant avec ardeur, pour qu'il nous soit donné de voir votre visage, afin d'ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi (1Th 3,9-10) ? » Non-seulement, dit-il, c'est la vie que nous vous devons, mais nous vous devons aussi une joie si grande, que nous ne pouvons pas en rendre à Dieu de dignes actions de grâces. Votre perfection, nous la regardons, dit-il, comme un présent divin; vous nous avez fait tant de bien, que nous pensons que ce bien nous vient de Dieu, ou plutôt que c'est l'oeuvre de Dieu; car ni l'âme humaine, ni l'ardeur de tout le zèle humain ne sauraient rien produire de pareil. « Nuit et jour », dit-il, « le conjurant avec ardeur ». Encore des expressions où la joie éclate. Supposez un agriculteur qui entend dire que la terre arrosée de ses sueurs est chargée de fruits; il lui tarde devoir de ses propres yeux ce qui le remplit d'une joie si vive; c'est ainsi que Paul brûle de voir la Macédoine. « Le conjurant avec ardeur », voyez combien c'est expressif; « pour qu'il nous soit donné de voir votre visage, afin d'ajouter à ce qui peut manquer encore à votre foi ».

Ici, une question qui demande assez d'explications. Si vous vivez maintenant, parce que les fidèles sont solides, si Timothée vous a apporté les bonnes nouvelles de leur foi et de leur charité, si vous en avez été rempli d'une joie si vive, qu'il vous est impossible d'en rendre à Dieu de dignes actions de grâces, comment vous avisez-vous de parler de ce qui peut manquer encore à leur foi? N'auriez-vous tout à l'heure fait entendre que des flatteries? Nullement, gardons-nous d'en rien croire. L'apôtre a commencé par dire qu'ils ont soutenu nombre de combats, qu'ils n'ont pas été moins éprouvés que les Eglises de la Judée. Qu'est-ce que cela signifie? C'est qu'ils n'avaient pas eu pleine et entière communication de la doctrine, ils n'avaient pas appris tout ce qu'ils avaient à apprendre, ce que montre l'apôtre vers la fin de sa lettre. Peut-être y (202) avait-il, chez eux, des recherches au sujet de la résurrection, des agents nombreux de troubles, non plus des persécutions, des dangers pour les personnes, mais de prétendus docteurs. De là ces mots : « Ce qui peut manquer encore à votre foi » ; de là le tour que prend l'expression; l'apôtre ne dit pas : Afin de confirmer, mais « afin d'ajouter ». En effet, quand il avait craint pour la foi même : « Je vous ai », écrivait-il, « envoyé Timothée pour vous affermir » ; mais ici il n'est question que d'ajouter à ce qui peut manquer, ce qui est plutôt une oeuvre d'enseignement qu'un effort pour raffermir; c'est de même que Paul écrit ailleurs : « Pour que vous soyez parfaits pour toute bonne oeuvre». (1Co 1,10) Or, ce qui est humainement parfait, c'est ce à quoi il ne manque que très peu de chose; c'est là ce qui devient parfait.

« Que Dieu lui-même notre Père, et Notre-Seigneur Jésus-Christ nous conduisent vers vous. Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus dans la charité que vous avez les uns pour les autres, et envers tous, et qu'il la rende telle que la nôtre est envers vous (1Th 3,11-12) ». C'est la marque de la plus tendre affection, non-seulement de ressentir dans son coeur un tel désir, mais encore d'exprimer ce voeu dans sa lettre; voilà la marque d'une âme brûlante et qui ne peut plus du tout se contenir; il faut remarquer aussi l'usage qui se fait ici de la prière, et en même temps une justification d'une absence qui n'était ni volontaire, ni le fait de l'indifférence. C'est comme s'il disait : Que Dieu lui-même supprime les épreuves qui nous entraînent de tous les côtés, de telle sorte qu'il nous soit donné d'aller vers vous par le plus court chemin. « Que le Seigneur vous fasse croître de plus en plus ». Voyez-vous le transport d'un amour qui ne se possède plus, qui éclate dans les paroles ? « Fasse croître et surabonder », dit-il, « de plus en plus » ; expressions plus fortes que, augmente. On pourrait dire que l'apôtre désire obtenir d'eux l'excès de leur amour. Qu'il rende votre charité, dit-il, « telle que la nôtre est envers vous ». C'est-à-dire, l'amour, nous l'éprouvons déjà, nous voulons que vous le ressentiez aussi. Voyez-vous quelle extension de charité l'apôtre réclame? La charité entre fidèles ne lui suffit pas : il lavent envers tous et partout. C'est là, en réalité, le propre de l'amour selon Dieu, il embrasse tous les hommes; aimer tel ou tel et non tel autre, ce n'est que de l'amitié à la manière des hommes. Notre amour, à nous, n'est pas de ce caractère. « Telle que notre charité est envers vous. Qu'il affermisse vos coeurs en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu notre Père, en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, venant avec tous ses saints (1Th 3,13) ». Il leur montre que c'est à eux que l'amour est utile, non à ceux qui sont aimés. Je veux, dit-il, que cette charité croisse, afin qu'il n'y ait aucun reproche parmi vous. L'apôtre ne dit pas : Qu'il vous affermisse, mais « Qu'il affermisse vos coeurs. «Car c'est du coeur que partent les mauvaises pensées». (Mt 15,19) Il peut se faire, sans qu'on opère aucune action, que l'on soit un pervers : ainsi, l'homme qui est envieux, qui ne croit à rien, le perfide, le méchant qui se réjouit du mal d'autrui, qui ne connaît pas l'affection, dont toutes les pensées sont mauvaises, tout cela vient du coeur ; la sainteté consiste à s'en purifier. A proprement parler, la sainteté c'est la chasteté parfaite, puisque l'impureté est surtout la fornication et l'adultère; maintenant, en général, tout péché est impureté, toute vertu au contraire est pureté. En effet, « Bienheureux », dit le Seigneur, « ceux qui ont le coeur pur? » (Mt 5,8) Les coeurs purs, dont parle ici le Seigneur, sont ceux qui le sont tout à fait.

404 4. Je sais bien, en effet, que les autres vices ne souillent pas moins l'âme. Voulez-vous une preuve que la malice en ternit l'éclat? Ecoutez le Prophète : « Purifie ton coeur de la malice, Jérusalem » (Jr 4,14) ; et encore : « Lavez-vous, purifiez-vous, enlevez la malice de vos âmes ». (Is 1,16) Il ne dit pas: La fornication ; donc ce n'est pas la fornication seulement, mais les autres vices aussi qui souillent l'âme. « Qu'il affermisse », dit-il, « vos coeurs, en vous rendant irréprochables, par la sainteté, devant Dieu, notre Père, en la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, venant avec tous ses saints » (1Th 3,13). Le Christ sera donc alors notre juge, mais ce n'est pas seulement en sa présence, mais aussi en présence du Père que nous serons jugés. Ou bien encore, l'apôtre dit que nous devons être tout à fait irréprochables devant Dieu : c'est ce que je répète sans cesse, nous devons l'être en présence de Dieu (car c'est en cela que consiste la vertu sincère) et non-seulement, en (203) présence des hommes. C'est donc la charité qui rend irréprochable, car en réalité elle nous fait éviter toute espèce de fautes. Or, je m'entretenais, un jour, avec une personne, et je disais que la charité nous rend irréprochables, que l'amour du prochain ne laisse entrer dans notre âme aucun péché, je passais en revue tous les autres péchés; une des personnes que je connais le mieux, m'interrompit alors pour m'objecter : Et la fornication ? Aimer et se livrer à la fornication sont-ils incompatibles? N'est-ce pas au contraire de l'amour que vient ce péché? On comprend que l'amour du prochain exclue l'avarice, l'adultère, l'envie, les perfidies et tout ce qui y ressemble; mais est-ce la même chose de la fornication ? — Alors moi, je lui soutins que l'amour est de nature à détruire la fornication. Car celui qui aime la femme adonnée à cette honte, s'efforcera de l'éloigner des autres hommes, et il se gardera bien de se livrer lui-même à ce péché. C'est la plus forte preuve de la haine qu'on porte à la femme impudique, que de se livrer avec elle à l'impudicité; c'est une preuve d'affection réelle, que de la détourner de cette abominable conduite. Il n'est pas, non il n'est pas de péché que la puissance de l'amour ne consume, comme fait un feu dévorant. Le sarment le plus mince résiste plus aux flammes d'un bûcher, que le péché à la puissance de l'amour.

Sachons donc le faire et germer et grandir dans nos âmes, afin de pouvoir nous tenir dans la grande société des saints; tous ces illustres saints se sont rendus agréables à Dieu par leur amour du prochain. D'où vient qu'Abel a reçu la mort, et ne l'a pas donnée ? C'est qu'il était plein d'amour pour son frère; une pensée de meurtre ne pouvait entrer dans son âme. D'où vient que Caïn conçut cette envie qui l'a perdu ? Je dis Caïn, je ne veux plus l'appeler le frère d'Abel. C'est que les fondements de l'amour n'étaient pas assez solides en lui. D'où vient la gloire des fils de Noé? N'est-ce pas de leur amour pour leur père, ce qui fit que leurs yeux ne supportèrent pas sa nudité ? D'où vient que le troisième a été maudit? N'est-ce pas parce qu'il était incapable d'aimer? Et Abraham, d'où est venue sa gloire? sinon de l'amour qu'il a montré en s'occupant des intérêts de son neveu? de la supplication qu'il fit entendre pour les habitants de Sodome? Oui, l'amour des saints était plein de transports, plein d'ardeur; leur âme était ouverte à la pitié.

Réfléchissez en vous-mêmes, concevez, s'il se peut, l'amour brûlant de Paul, l'audace avec laquelle il défie les flammes, cet homme de diamant, solide, inaltérable, en qui rien ne branle, rivé à Dieu par la crainte, qui ne fléchit jamais. « Qui donc nous séparera », dit-il, « de l'amour de Jésus-Christ? L'affliction, ou les angoisses, ou les persécutions, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le glaive ? » (Rm 8,35) Celui qui méprisait tout cela, et la terre, et la mer, celui qui se moquait des portes de l'enfer, de ces portes de diamant, celui à qui rien jamais ne résistait, le même homme, voyant les larmes de quelques-uns de ses amis, fut tellement brisé, broyé, lui, ce coeur de diamant, qu'il ne put dissimuler son émotion, qu'aussitôt il s'écria : « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m'attendrir le coeur? » (Ac 21,13) Que dites-vous, je vous en prie? Une larme a-t-elle pu briser ce coeur de diamant? Oui, dit-il, je résiste à tout, mais non à l'amour; il est plus fort que moi, il me domine. C'est là ce qui plaît à Dieu. Il a résisté à l'abîme des eaux, et il suffit de quelques larmes pour lui fendre le coeur. « Que faites-vous, de pleurer ainsi, et de m'attendrir le coeur? » C'est que la puissance de la charité est grande. Voulez-vous le voir encore dans les pleurs ? Ecoutez ce qu'il dit, dans une autre circonstance : « Pendant trois ans, nuit et jour », dit-il, « je n'ai pas cessé d'avertir, avec des larmes, chacun de vous ». (Ac 20,31) La vivacité de sa charité lui faisait craindre l'invasion de quelque fléau. Et encore : « Je vous écrivis alors, dans une grande affliction, dans un serrement de coeur, avec une grande abondance de larmes ». (2Co 2,4) Et maintenant, répondez-moi, que penserons-nous de ce courageux Joseph, de cet homme ferme, qui tint tête à une tyrannie si impérieuse, qui se montra si fier devant un tel foyer d'amour, qui sut combattre, repousser avec tant de noblesse la passion de sa maîtresse insensée? Quelle âme n'aurait pas été séduite? La beauté, la dignité, l'éclat du rang, la magnificence des vêtements, l'enivrement des parfums (car les odeurs embaumées sont aussi des dissolvants de l'âme), les paroles les plus caressantes, quelles séductions manquaient?

405 5. Vous savez fort bien que cette femme, (204) possédée par l'amour, par un amour si violent, n'aurait reculé devant aucune espèce d'abaissement, après avoir pris le ton d'une suppliante. Elle était tellement brisée, cette femme parée d'ornements d'or, cette femme d'une condition royale, qu'elle a bien pu se jeter aux pieds d'un esclave, captif dans sa maison, qu'elle a bien pu encore le conjurer, en pleurant, en s'attachant à ses genoux, et cela, non pas une fois seulement, ni deux, mais souvent, en renouvelant tous ses efforts. Joseph pouvait voir alors surtout un oeil étincelant; il n'est pas vraisemblable qu'elle fît sa toilette sans y penser; elle devait, au contraire, mettre tous ses soins à s'embellir, en femme qui tenait à tendre de nombreux filets pour prendre l'agneau de Jésus-Christ. Ajoutez ici encore beaucoup de sortilèges et de charmes. Eh bien ! pourtant, cet homme inébranlable, solide, insensible comme la pierre, quand il vit ses frères, qui l'avaient vendu, qui l'avaient jeté dans une citerne, qui l'avaient livré, qui voulaient le tuer, qui avaient été la cause et de sa prison et de sa haute fortune, quand il apprit, de leur bouche, ce qu'ils avaient dit à son père : « Nous dirons », rapporte l'Ecriture, « qu'une bête sauvage l'a dévoré » (Gn 37,20), il fut brisé, il sortit, il se sentit fondre, il sentit son coeur se briser, ses larmes jaillissaient; ne pouvant supporter son émotion, il sortit, puis il revint, « se faisant violence » (Gn 43,30), c'est-à-dire, essuyant ses larmes. Comment, que fais-tu, ô Joseph ? tu pleures? Mais convient-il donc de verser des larmes? Ce qu'il faut ici, c'est que ta colère éclate, et ta fureur, et ton indignation, et que tu infliges un châtiment terrible, que tu exiges une juste réparation; tu tiens tes ennemis en tes mains, ces meurtriers de leur frère, et tu peux satisfaire ta vengeance. Et, ce faisant, tu ne commettras pas une action contre la justice, ce n'est pas toi qui commences l'oeuvre de la violence, tu te venges de ceux qui ont usé de violence contre toi. Ne considère pas ta dignité, ton rang; ce n'est pas à ces traîtres que tu dois ton élévation, mais à Dieu, qui a sur toi répandu ses faveurs. Qu'as-tu à sangloter? Joseph répondrait : J'ai, pour moi, l'estime de tous, loin de moi le malheur de tout perdre par cette rancune vindicative; en vérité, je n'ai rien autre chose à faire, en ce moment, qu'à pleurer. Je ne suis pas plus cruel que les bêtes féroces ; on les voit, par un instinct naturel, se réconcilier, quels que soient les maux qu'elles aient soufferts. Je pleure, uniquement de ce qu'ils ont pu me traiter ainsi.

Imitons-le, à notre tour, et pleurons sur ceux qui nous font une injure; ne nous irritons pas contre eux; ils sont réellement dignes de larmes, parce qu'ils se mettent sous le coup de la punition et du supplice. Je n'ignore pas quelles larmes vous versez maintenant, quelle joie vous pénètre; vous admirez Paul, vous êtes, devant Joseph, en extase, vous leur donnez le titre de bienheureux. Mais voici ce qu'il faut faire : s'il arrive que l'un de vous a un ennemi, que celui-là y pense en ce moment, qu'il y tienne sa réflexion attachée, qu'il profite de la ferveur dont son coeur s'embrase au souvenir des saints, pour fondre l'endurcissement de la colère, pour adoucir ce qu'il y a, dans son âme, de farouche rigueur. C'est que je n'ignore pas non plus que quand vous serez sortis de l'église, quand j'aurai cessé de parler, quelque reste de ferveur qui vous brûle encore, vous ne serez plus tout ce que vous êtes au moment où vous entendez la parole. Donc c'est maintenant qu'il faut rompre la glace du coeur; c'est une glace en réalité que ce souvenir qui refroidit, qui engourdit l'âme, après une injure qu'on ne veut pas oublier. Mais invoquons le soleil de justice; demandons-lui de nous envoyer ses rayons; au lieu d'une dure glace, il n'y aura plus en nous qu'une onde rafraîchissante. Une fois réchauffée au soleil de justice, notre âme n'aura plus en elle rien de dur, de raboteux ni de sec, rien de ce qui ne sert qu'à brûler, sans porter aucun fruit; on n'y trouvera plus que des fruits mûrs, doux et suaves, des sources abondantes de plaisir et de joie.

Aimons-nous les uns les autres, ce rayon viendra sur nous. Accordez-moi, je vous en conjure, ce qui m'est nécessaire pour que mon discours soit un transport d'allégresse faites que j'entende dire qu'il ne vous aura pas été tout à fait inutile; qu'un de vous, au sortir de l'église, a serré bien vite les deux mains de son ennemi, s'est jeté à son cou, l'a embrassé, pressé contre son coeur, l'a couvert de ses caresses et de ses larmes. Serait-ce une bête féroce, une pierre, tout ce que vous voudrez, votre bonté l'adoucira. Car enfin pourquoi un tel est-il votre ennemi ? Parce qu'il vous a outragé ? Mais il ne vous a fait aucun (205) mal. Mais voilà, c'est par des considérations empruntées à l'argent, que vous dédaignez ce frère, qui est votre ennemi? Non, jamais cela, je vous en conjure. Rompons tous nos liens. Nous avons l'occasion dans nos mains, sachons en faire un bon usage. Coupons les cordages qui nous attachent au péché; avant de partir d'ici pour le jugement, jugeons-nous réciproquement nous-mêmes. « Que le soleil », dit l'apôtre, « ne se couche point sur votre colère ». (Ep 4,26) Pas de délai. Les délais ne font qu'engendrer, à l'infini, les ajournements. Différer aujourd'hui, c'est ajouter à votre confusion ; hésiter demain, c'est vous apprêter plus de honte encore ; reculer après-demain, c'est vouloir encore plus de rougeur sur son front. Ne nous déshonorons pas nous-mêmes; pardonnons afin qu'il nous soit pardonné. Si nous recevons notre pardon, nous obtiendrons les biens du ciel, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE 5: AU RESTE, MES FRÈRES, NOUS VOUS DEMANDONS, ET NOUS VOUS CONJURONS, EN NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS,

500 QU'APRÈS AVOIR APPRIS DE NOUS COMMENT VOUS DEVEZ MARCHER, POUR PLAIRE A DIEU, VOUS AVANCIEZ DE PLUS EN PLUS. CAR VOUS SAVEZ QUELS PRÉCEPTES NOUS VOUS AVONS DONNÉS, DE LA PART DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. CAR LA VOLONTÉ DE DIEU, C'EST VOTRE SANCTIFICATION. (1Th 4,1-8)

Analyse.

1. Ce n'est pas en leur propre nom, mais au nom du Seigneur que les apôtres exhortent les fidèles. — La vertu parfaite ne consiste pas seulement à éviter le mal, il faut, de plus, faire le bien. — De la sanctification.
2. Contre la fornication. Combien l'adultère est détestable. — C'est un outrage à Dieu même. — Des différentes espèces d'adultères, surtout en ce qui concerne la conduite des hommes.
3. Il convient de marier les jeunes gens de bonne heure. — Contre les habitudes licencieuses que contracte la jeunesse. — Précautions de saint Jean Chrysostome quand il parle sur l'impureté ! — De la pudeur qui s'alarme des mots, et non des choses.
4. Contre les spectacles lascifs, et tout ce qui porte à l'impudicité. — Contre la mollesse, la lâcheté, qui s'oppose à la volonté, à la correction des moeurs.

501 1. Après avoir insisté sur ce qui était urgent, dans le moment, il passe aux affaires éternelles, aux vérités qu'il faut toujours entendre; il annonce la suite de son discours par cette expression, « au reste », ce qui veut dire, et toujours, et continuellement nous vous demandons, et nous vous conjurons en Notre-Seigneur. Eh quoi ! il ne se croit pas assez d'autorité pour conjurer les fidèles en son propre nom; et cependant qui avait autant d'autorité que lui? Il s'adjoint le Christ. C'est au nom de Dieu que nous vous conjurons, dit-il. Car c'est là le sens de cette expression : « En Notre-Seigneur». C'est ainsi qu'il disait aux Corinthiens: «C'est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche» (2Co 5,20). « Qu'après avoir appris de nous ». Le « Après avoir appris », ne suppose pas seulement l'instruction par les paroles, mais l'enseignement par les oeuvres. Ces mots: « Comment vous devez marcher», embrassent toute la conduite de la vie. «Pour plaire à Dieu, vous avanciez de plus en plus»; c'est-à-dire, vous montriez une vertu plus haute, vous ne vous renfermiez pas seulement dans la stricte observation des préceptes, mais vous les dépassiez, c'est là ce que veut dire, « vous avanciez de plus en plus ». Dans les passages qui précèdent, il admire la solidité de leur foi; ici l'apôtre veut régler leur vie. En effet, c'est une marque de progrès que d'aller jusqu'à dépasser les préceptes et les commandements; car alors ce n'est plus seulement la nécessité doctrinale, c'est le libre mouvement de la volonté qui détermine toutes les actions. La terre ne rend pas seulement ce qu'on y a semé; il en est de même pour l'âme qui ne doit pas se borner à reproduire la semence qu'on y jette, mais la dépasser. Voyez-vous combien l'apôtre a raison de vouloir qu'on dépasse les préceptes?

206

Il y a, pour la vertu, deux moments: se détourner du mal, et faire le bien. Il ne suffit pas de s'écarter des vices, pour arriver à la vertu; le chemin qui détourne du péché n'est que le commencement de la route qui conduit au bien; il faut, pour parvenir, l'ardeur de la bonne volonté. La conduite, en ce qui concerne les vices à éviter, n'est, leur dit l'apôtre, que l'obéissance aux préceptes, et il a raison, car les mauvaises actions attirent les châtiments, mais on ne mérite pas d'être loué, parce que l'on n'en commet pas. Quant à la pratique de la vertu, comme ne se rien réserver de ses biens, toutes les oeuvres de ce genre ne sont plus seulement, dit-il, des actions déterminées par les préceptes; mais de ces oeuvres l'Ecriture dit : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne » (Mt 19,12). Il y a donc apparence que l'apôtre, après leur avoir donné, dans le temps, quelques préceptes avec beaucoup de circonspection et de tremblement, se propose, dans cette lettre, de rappeler à leur souvenir ce qui constitue la vraie piété. Voilà pourquoi il ne fait pas ici une exposition des préceptes; il se contente de les leur rappeler. « Car vous savez », dit-il, « quels préceptes nous vous avons donnés, de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car la volonté de Dieu, c'est votre sanctification ». Et, remarquez, il n'est pas de pensée, dans toutes ses lettres, qu'il insinue d'une manière aussi pressante que celle-ci : ailleurs encore, il écrit : « Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (He 12,14) Il n'est pas étonnant que toutes ses lettres à ses disciples expriment cette pensée, puisqu'à Timothée même il écrit : « Conservez-vous pur vous-même». (1Tm 5,22) Dans sa seconde épître aux Corinthiens, il disait : «Dans l'excès de la patience, dans les jeûnes, dans la pureté». (2Co 5,6) Partout on trouvera cette pensée, et dans l'épître aux Romains, et dans toutes les autres.

C'est qu'en effet l'impureté est, pour tous, un mal pernicieux; le porc, couvert de fange, répand l'infection partout sur son chemin, on ne voit plus, on ne sent plus que le fumier; c'est l'image de la fornication ; il est difficile de se laver de cette souillure. Quand il arrive que des hommes, des hommes mariée se livrent à cette honte, quel excès dans le mal ! «Car la volonté de Dieu», dit-il, «c'est votre sanctification; c'est que vous vous absteniez de toute fornication». Il y a bien des espèces de dérèglements, bien des formes, des variétés de plaisirs, que le discours se refuse à exprimer. En disant, « de toute fornication», l'apôtre laisse le soin de comprendre, à ceux qui connaissent ces désordres. «Que chacun de vous sache maintenir son vase dans la sanctification et dans l'honneur, et non point en suivant les mouvements de la concupiscence, comme les païens qui ne connaissent point Dieu (1Th 4,4-5) ». — « Que chacun de vous sache», dit-il, « maintenir son vase ». C'est qu'en effet c'est une oeuvre qui suppose un grand savoir, que d'éviter le libertinage. Donc, nous maintenons notre vase, quand il reste pur et dans la sanctification; mais quand il est impur, c'est que le péché le tient naturellement. Car ce n'est plus notre volonté que le corps accomplit, mais ce que le péché lui commande. « Non point en suivant les mouvements de la concupiscence », dit-il. Ici l'apôtre montre le moyen de pratiquer la tempérance, les mouvements de la concupiscence doivent être retranchés. C'est l’amour des plaisirs, la passion des richesses, l'indolence de l'âme, son inertie, ce sont tous les vices de ce genre qui nous portent à la concupiscence et aux dérèglements. « Comme les païens qui ne connaissent point Dieu ». Si telles sont leurs moeurs, c'est qu'ils ne s'attendent pas à voir le jour de l'expiation. « Que nul ne franchisse ses limites, ni n'augmente sa part, en cette affaire, aux dépens de son frère (1Th 4,6) ».

502 2. L'apôtre a bien raison de dire: « Que nul ne franchisse ses limites ». Dieu affecte, à chaque homme, une femme au plus; il fixe des limites naturelles; ce commerce n'admet qu'une seule femme. Le commerce avec une seconde est en dehors des limites, il y a vol, la part est démesurée. Disons mieux, il y a là un crime plus détestable que toute espèce de brigandage. Car nous éprouvons moins de douleur, quand on nous vole notre argent, ou notre or, que quand on brise le coffre-fort du bien conjugal. Vous appelez un homme votre frère, et vous augmentez votre part à ses dépens, et contre toute justice? Ici, c'est de l'adultère qu'il parle; plus haut, il avait en vue toute espèce de fornication. Au moment de dire qu'on ne doit pas franchir ses limites, qu'on ne doit pas augmenter sa part aux dépens de son frère, l'apôtre prévient une restriction; n'allez pas croire, dit-il, que je ne (207) pense qu'aux égards que vous devez à vos frères, il vous est également défendu de posséder les femmes des autres, et les femmes qui se trouvent non mariées, défendu d'avoir des femmes en commun. Toute espèce de fornication est interdite; aussi ajoute-t-il : «Parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés». Il leur a d'abord adressé une prière, il les a touchés par le sentiment de l'honneur, en disant : « Comme les païens»; il entreprend ensuite de démontrer tout ce qu'il y a là de dérèglement; c'est ce à quoi tend l'expression: « Ni n'augmente sa part, aux dépens de son frère». Il ne reste plus qu'à dire le plus important, c'est ce que fait l'apôtre de cette manière : « Parce que le Seigneur est le vengeur de tous ces péchés, comme nous vous l'avons déjà déclaré et attesté». En effet, nous ne commettrons pas impunément de pareilles actions, les plaisirs que nous goûterons ne compenseront pas les châtiments qui nous attendent. « Car Dieu ne nous a pas appelés pour être impurs, mais pour être saints (1Th 4,7) ».

Après avoir dit: « Aux dépens de son frère », il ajoute que le Seigneur punit ces outrages; pour montrer que, quoique la personne lésée soit infidèle, Dieu punit l'impudicité, il ajoute, de plus, cette dernière raison qui revient à ceci : Ce n'est pas pour venger l'infidèle, que Dieu vous punira, mais parce que c'est lui-même que vous avez outragé; c'est lui qui vous a appelé, et vous avez outragé ce Dieu qui vous appelle. Voilà pourquoi l'apôtre continue ainsi : « Donc l'outrage n'est pas un outrage à un homme, mais au Dieu qui nous a donné son Saint-Esprit (1Th 4,8) ». Par conséquent, soit que vous corrompiez, dit-il, une reine, soit que vous outragiez votre servante mariée, le crime est égal. Pourquoi? parce qu'il ne venge pas les personnes qui ont été outragées, c'est lui-même qu'il venge; quant à vous, vous vous êtes également souillé, vous avez également outragé Dieu. Car, des deux côtés, il y a adultère, puisque, des deux côtés, il y a mariage. Dans le cas même où vous ne commettriez pas d'adultère, quand vous vous livrez à la débauche, quoique la courtisane n'ait pas de mari, peu importe, Dieu exerce également la vengeance, parce qu'il se venge lui-même. Car vous montrez moins de mépris pour la personne outragée que pour Dieu. Ce qui le prouve, c'est que, dans ces moments-là, vous vous cachez de l'homme que vous offensez, tandis que vous ne pouvez dire que Dieu ne vous voit pas.

Répondez-moi : supposez un homme décoré de la pourpre par l'empereur, comblé d'honneurs par son souverain, un homme à qui sa dignité fait un devoir de mener une vie qui convienne à son rang, et cet homme s'en irait déshonorer une femme; qui aurait-il outragé? Cette femme ou l'empereur qui l'a fait ce qu'il est? Sans doute cette femme aussi est outragée, mais quelle différence entre les outrages ! Aussi, je vous en conjure, gardons-nous de ces dérèglementa. Nous punissons l'épouse qui habite avec nous et se livre à d'autres qu'à nous; de même sommes-nous punis, nous aussi, non par les lois de Rome, mais par celles de Dieu. Car la débauche est un adultère. Il n'y a pas adultère seulement dans le cas d'une femme mariée, mais lorsque l'homme impudique est soumis au lien conjugal. Faites bien attention à mes paroles : je sais bien que mon discours est pénible à entendre pour le grand nombre, mais il est nécessaire pour que vous vous corrigiez. Ce qui constitue l'adultère, ce n'est pas seulement l'outrage que nous faisons à une femme mariée, mais quand nous nous adressons à une femme libre de tout engagement, et que nous sommes nous-mêmes liés à une femme, nous commettons un adultère. Pourquoi, puisque la femme impudique n'est pas enchaînée? Mais vous êtes enchaîné, vous: vous avez transgressé la loi ; vous avez outragé votre propre chair. Car pourquoi, répondez-moi, punissez-vous la femme, dans le cas même où elle se livre à l'impudicité avec un homme libre de tout engagement, non marié ? C'est qu'il y a adultère. Cependant, l'homme impudique n'a pas de femme, mais c'est que la femme est enchaînée à un mari. Eh bien, vous, de votre côté, vous êtes enchaîné à une femme. De sorte que votre fait est également un adultère. «Quiconque aura », dit le Seigneur, « renvoyé sa femme, si ce n'est en cas d'impureté, la rend adultère; et qui épouse la femme renvoyée, est adultère» (Mt 5,32). Si l'homme qui épouse la femme renvoyée est adultère, n'est-il pas vrai que l'homme marié, qui se livre à une courtisane, est bien plus adultère encore? Voilà, certes, une vérité évidente pour tout le monde.

Que ces paroles vous suffisent, ô hommes car c'est pour de pareils dérèglements que le Christ dit : « Leur ver ne mourra point, leur (208) feu ne s'éteindra point » (Mc 9,45). Mais maintenant il est nécessaire de vous parler, dans l'intérêt des jeunes gens; ou plutôt ce n'est pas tant dans leur intérêt que dans le vôtre; car ce n'est pas à eux, c'est à vous que conviennent de pareils discours; comment cela? Je m'explique : celui qui n'a pas appris à commettre l'adultère ne commet pas l'adultère ; mais celui qui se vautre avec des courtisanes, arrive bientôt à commettre l'adultère, quoiqu'il n'ait pas eu de commerce avec des femmes mariées, quoiqu'il n'ait pris d'infâmes habitudes qu'avec des femmes libres de tout engagement.

503 3. Quel est donc le conseil que je vous donne? C'est d'extirper les racines du mal; et, dans cette pensée, vous tous dont les fils sont des jeunes gens et qui voulez les lancer dans le monde, hâtez-vous de les soumettre au lien conjugal. La jeunesse est l'âge des passions qui troublent; à l'époque qui précède le mariage, retenez vos fils par vos exhortations, vos menaces, des paroles qui inspirent la crainte, qui rappellent les promesses, par les mille moyens dont vous disposez. A l'époque du mariage, maintenant, pas de délai (voyez, je parle comme les femmes qui font les mariages), mariez vos enfants. Je ne rougis pas de tenir un pareil langage, puisque Paul n'a pas rougi de dire: « Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir » (1Co 7,5), pensée qui semble, pour la pudeur, bien plus embarrassante que ce que je dis; mais Paul n'a pas rougi. C'est que sa pensée ne s'arrêtait pas aux expressions, mais se portait sur les bonnes oeuvres résultant des expressions employées par lui.

Donc, une fois votre fils devenu grand, avant de le faire entrer dans la milice, dans toute autre profession, occupez-vous de son mariage. S'il s'aperçoit que vous ne perdez pas de temps pour lui trouver une épouse, si vous ne le faites pas attendre, il pourra triompher du feu qui le brûle; mais s'il remarque votre nonchalance, vos lenteurs, les occasions manquées par vous, s'il comprend que vous tenez, avant de le marier, à ce qu'il ait de grands revenus, la longueur de l'attente lui fera perdre courage, et vous le verrez vite glisser dans le libertinage. Hélas, hélas ! la racine de tous les maux, ici encore, c'est l'avarice. Nul ne se soucie de la modestie, de la sagesse de son enfant, tous jettent sur l'or des regards avides, et voilà pourquoi nul ne s'applique à faire ce que je conseille ici. Je vous en prie, avant tout, réglez vos enfants. Le jour où votre fils s'approchera d'une jeune fille chaste, rien qu'à sa vue, il se sentira possédé d'un vif désir, d'une crainte de Dieu plus grande; il y aura un vrai mariage, un mariage honorable, noble, l'union de corps purs que rien n'a souillés; les enfants qui en sortiront seront comblés de toute espèce de bénédictions; l'époux et l'épouse n'auront l'un pour l'autre que déférence ; ignorant des moeurs étrangères, ils ne connaîtront réciproquement qu'eux-mêmes pour se céder tout l'un à l'autre.

Mais quand un jeune homme commence à prendre des leçons d'impudicité auprès des courtisanes, quand les désordres d'une vie honteuse sont devenus pour lui une habitude, le premier soir, le second soir encore il apprécie sa jeune épouse, mais bientôt il retombe dans l'infamie, il lui faut les éclats d'un rire dissolu et sans frein, les paroles que rien n'arrête, les attitudes lascives, toute l'ignominie que notre discours ne veut pas exprimer. La noble épouse ne supporte pas cette honte, elle ne se laisse pas profaner. Car si elle a été fiancée à un homme, c'est pour vivre en société avec lui, c'est pour lui donner des enfants, ce n'est pas pour être le honteux objet qui provoque des rires infâmes ; elle doit être la gardienne de sa maison, elle doit le former lui-même à l'honnêteté, elle n'est pas faite pour lui fournir un aliment de débauche. Quant à vous, je le sais bien, vous trouvez pleins de charmes les gestes des courtisanes ; l'Ecriture aussi nous apprend que « le miel coule des lèvres de la courtisane » (Pr 5,3) ; et si je fais tant d'efforts, c'est pour que vous ne goûtiez pas à ce miel qui se change bien vite en amertume. C'est encore ce que dit l'Ecriture : « Qui semble dans le moment verser un doux breuvage dans votre gosier, mais bientôt, vous trouvez un goût plus amer que le fiel, qui vous pénètre plus que la pointe d'une épée à deux tranchants ». (Pr 4)

Que dites-vous? Il faut que vous supportiez même l'immodestie pour ainsi dire, de ma parole, qui brave en ce moment la réserve et la pudeur. Ce n'est pas de gaîté de coeur que je tiens ce langage; ceux qui ont, dans leur conduite, dépouillé toute pudeur, me forcent (209) à parler. Nous voyons, dans l'Ecriture, un grand nombre d'exemples qui me soutiennent. Ezéchiel, dans les reproches qu'il adresse à Jérusalem, emploie un grand nombre d'expressions dont il ne rougit pas, et il a raison; il ne parle pas pour son plaisir, mais par intérêt pour ceux qui l'inquiètent. Quand ses expressions paraîtraient honteuses, ce n'est certes pas un but honteux qu'il poursuit, au contraire, la pensée la plus honnête l'inspire, il veut purifier les âmes; il faut faire entendre les expressions mêmes des choses, pour que l'âme qui n'a plus de pudeur puisse retrouver ce qu'elle a perdu. Quand le médecin veut faire sortir du corps l'humeur qui le corrompt, il commence par mettre les doigts sur le siège du mal; la main qui cherche la guérison doit commencer par se souiller, pour que la guérison soit possible. C'est ce que je fais en ce moment: si je ne commence pas par souiller ma bouche qui cherche à guérir votre mal, je ne pourrai pas vous guérir. Je me trompe, ni ma bouche ne se souille, ni les mains du médecin ne sont des mains souillées. Pourquoi? C'est que l'impureté n'est pas dans notre nature, dans notre corps, de même que l'impureté ne sort pas des mains du médecin, mais d'ailleurs. Eh bien, si, pour sauver un corps étranger, le médecin ne refuse pas de plonger ses mains dans la pourriture, quand il s'agit de sauver notre propre corps, répondez-moi, pourrons-nous refuser? Car vous êtes notre propre corps, ô vous à qui je m'adresse, corps malade et souillé, et pourtant notre corps.

504 4. Eh bien, qu'ai-je voulu vous dire, et à quoi tend toute cette exhortation? Voici ce que je dis : le vêtement que porte votre esclave, vous ne voudriez pas le porter, ce vêtement immonde vous dégoûte, vous aimeriez mieux être nu que de vous en servir; mais voilà un corps souillé, immonde, et ce n'est pas seulement à votre esclave qu'il sert, mais à des milliers d'autres, et vous vous en servirez, et vous ne serez pas dégoûté ? Vous rougissez d'entendre ces paroles ? Ah ! rougissez donc des actions, et non des paroles. Je passe toutes les autres infamies, les moeurs perverties, infâmes, la dégradation d'une existence servile, abominable pour un être libre. Vous approchez de la même femme, vous et votre esclave; et encore, s'il n'y avait avec vous que votre serviteur, mais il y a aussi le bourreau. Vous ne supporteriez pas le contact des mains du bourreau; et cette femme qui n'a fait qu'un corps avec lui, vous la pressez dans vos bras, vous la couvrez de vos baisers, et cela sans frissonner d'horreur ? sans honte ? sans remords? sans crainte?

Je viens de dire à vos pères qu'ils doivent s'occuper promptement de vous marier ; mais vous n'en êtes pas moins, vous, exposés à tous les châtiments. S'il n'y avait pas un grand nombre d'autres jeunes gens plus sages que vous, des jeunes gens qui vivent dans la chasteté, s'il ne s'en était pas montré un grand nombre, et autrefois, et aujourd'hui encore, peut-être auriez-vous quelque excuse mais s'ils existent, quel moyen aurez-vous de prétendre que vous n'avez pas pu éteindre en vous la flamme de la concupiscence? Ceux qui ont eu ce pouvoir vous condamnent, parce qu'ils ne sont pas d'une autre nature que vous. Ecoutez ce que dit Paul : « Recherchez la paix et la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur » (
He 12,14). Ces menaces ne suffisent-elles pas pour vous remplir de terreur? Vous voyez d'autres hommes, toujours chastes, toujours dignes de tous les respects, et vous, vous ne pouvez même pas rester pur pendant votre jeunesse ? Vous voyez d'autres hommes qui ont des milliers de fois triomphé du plaisir, et vous ne combattrez pas le plaisir une seule fois? Voulez-vous que je vous donne l'explication de cette conduite ? Ce n'est pas la jeunesse qu'il faut accuser, car, à ce titre, tous les jeunes gens devraient être dissolus ; c'est nous-mêmes qui nous jetons dans le bûcher ardent.

Quand vous allez au théâtre, quand vous y prenez place pour assouvir vos regards de la nudité des femmes, vous goûtez un moment de plaisir, et vous revenez dévoré parla fièvre. Quand vous voyez des femmes qui posent pour montrer leurs formes, quand les yeux et les oreilles ne sont frappés que d'infâmes amours, une telle, dit l'un, aimait un tel et ne l'a pas obtenu, elle s'est pendue, ajoutez à cela les affreux commerces où des mères se perdent avec leurs enfants ; quand vous entendez ces choses, que des femmes, que des gestes abominables, et ce n'est pas tout, que des vieillards vous enseignent (des vieillards, des hommes se mettent des masques et jouent des rôles de femmes), je vous le demande, répondez-moi, que devient désormais votre chasteté, avec de pareils entretiens, de pareils (210) spectacles, de pareils bourdonnements autour de votre âme, de pareils songes qui occupent ensuite vos nuits ? L'âme naturellement se représente surtout alors ce qui a charmé pendant le jour ses désirs et ses goûts. Donc, quand vous voyez là des choses honteuses, quand vous entendez des discours plus honteux encore, quand vous recevez tant de blessures, quand vous n'y appliquez pas de remèdes, quel moyen que la corruption ne s'étende pas? Quel moyen que la maladie n'empire pas, et cela bien plus vite que pour les plaies qui affligent nos corps? Si nous voulions, bien plus facile que la guérison du corps serait celle de notre volonté malade. Car, pour le corps, il faut et des remèdes, et des médecins, et du temps; pour l'âme, la volonté suffit, et aussitôt elle est bonne ou mauvaise. Car c'est de la volonté qu'est venue la maladie. Quand nous nous plaisons à accumuler sur nous ce qui nous perd, quand nous ne tenons aucun compte de ce qui nous est salutaire, d'où peut nous venir la santé ? Voilà pourquoi Paul disait : « Comme les païens, qui ne connaissent point Dieu ». Soyons donc saisis et de honte et de crainte à voir que les païens, qui ne connaissent point Dieu, pratiquent souvent la chasteté, la continence; soyons confus d'être pires qu'eux. Il nous est facile de pratiquer la continence, nous n'avons qu'à le vouloir; nous n'avons qu'à nous détourner de ce qui nous perd ; à vrai dire, il n'est pas facile de fuir l'impureté, si nous ne voulons pas la fuir.

Qu'y a-t-il de plus facile que de se rendre à pied sur la place publique? mais grâce à notre insigne mollesse, voilà qui est devenu chose difficile, non pour les femmes seulement, mais, à l'heure où je vous parle, même pour les hommes. Qu'y a-t-il de plus facile que de dormir? Or, voilà ce que nous avons trouvé moyen de rendre encore difficile. Grand nombre de riches se tournent et retournent inutilement toute la nuit, parce qu'ils ne savent pas attendre, pour dormir, qu'ils aient besoin de dormir. Enfin, il n'y a rien de difficile, quand on veut, de même qu'il n'y a rien de facile, quand on ne veut pas; car tout dépend de nous. Voilà pourquoi l'Ecriture dit encore : « Si vous voulez m'écouter », et encore : « Si vous ne voulez pas m'écouter » (Is 1,19). Donc, tout se réduit à vouloir, à ne pas vouloir. Voilà ce qui fait que nous sommes châtiés, que nous sommes loués. Puissions-nous être du nombre de ceux qui sont loués, et obtenir les biens que nous annoncent les promesses, par la grâce et par la bonté etc.



Chrysostome sur Thess. 400