Chrysostome sur Thess. 600

HOMÉLIE 6: QUANT A CE QUI REGARDE LA CHARITÉ FRATERNELLE, NOUS N'AVONS PAS BESOIN DE VOUS ÉCRIRE SUR CE SUJET,

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PUISQUE DIEU VOUS A APPRIS LUI-MÊME A VOUS AIMER LES UNS LES AUTRES; ET, VRAIMENT, C'EST CE QUE VOUS PRATIQUEZ A L'ÉGARD DE TOUS NOS FRÈRES, QUI SONT DANS TOUTE LA MACÉDOINE. (
1Th 4,9-11)

Analyse.

1. De la nécessité de la charité. — Contre l'oisiveté. — Celui qui travaille, donne aux autres. — Il vaut mieux donner que recevoir. — Le travail, remède à la pauvreté; la foi en la résurrection, remède à la tristesse.
2. Contre le désespoir où se laissent aller, devant la mort. ceux qui croient en la résurrection. — Spécialement contre la douleur exagérée des veuves. — Sur les veuves inconsolables convolant à de secondes noces.
3. La longue vie, dans les premiers temps du monde, était la récompense de la foi des patriarches. — Longue vie d'Abraham et de Sara. — Ne pas irriter Dieu; il y a de la prudence à l'aimer par-dessus tout. — Explication de la fermeté de Job. — Quand Dieu nous comble de ses bienfaits, ils sont absolument gratuits, nullement mérités par nous.
4. Devoir des veuves, élever leurs enfants. — Bonheur du ciel ; les coursiers, là haut, sont les nuages. — Gloire des élus.

601 1. Pourquoi, après des discours si pressants sur la modestie et la sagesse, au moment de leur parler des oeuvres à accomplir, au moment de leur prouver qu'il ne faut pas s'affliger du départ de ceux qui nous sont chers, pourquoi ne parle-t-il qu'en passant du principe de tous les biens, de la charité ? « Nous n'avons pas besoin», dit-il, «de vous écrire». Il y a là une grande preuve d'intelligence et d'habileté dans l'enseignement spirituel. Il (211) fait ici deux choses: il montre que la charité est tellement nécessaire, qu'elle n'a pas même besoin d'être enseignée, car les vérités d'une grande importance éclatent aux yeux de tous; ensuite il les touche plus vivement en leur parlant ainsi, que s'il leur adressait une exhortation. Celui qui, par la considération que vous avez fait votre devoir, se dispense de vous exhorter, supposé que vous ne l'ayez pas rempli, vous excite plus fortement à l'accomplir. Et maintenant, voyez, il ne parle pas de la charité envers tous, mais de la charité envers ses frères. « Nous n'avons pas besoin de vous écrire ». Il fallait donc se taire, ne rien dire, puisqu'il n'en était pas besoin. Mais, en disant : Il n'est pas besoin, il dit plus que s'il faisait un discours en règle : « Puisque Dieu vous a appris lui-même ». Voyez quel honneur il leur fait : il leur donne Dieu lui-même pour maître. Il n'est pas nécessaire, dit-il, qu'un homme vous instruise. C'est ce que dit encore le Prophète : « Dieu leur apprendra à tous ». — « Puisque Dieu vous a appris lui-même », dit-il, « à vous aimer les uns les autres, et, vraiment, c'est ce que vous pratiquez à l'égard de tous nos frères, qui sont dans toute là Macédoine », et à l'égard de tous les autres, dit-il. Ce sont là des paroles tout à fait pressantes, pour les porter à cette conduite. Ce n'est pas sans y penser que je vous dis que Dieu vous a instruits lui-même; je le vois bien, aux oeuvres que vous faites; et, à l'appui de ces paroles, il cite un grand nombre de témoignages.

« Nous vous exhortons, mes frères, à vous avancer de plus en plus dans cet amour, à vous étudier, à vivre en repos, à vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire, à travailler de vos propres mains, ainsi que nous vous l'avons ordonné, afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l'Eglise, et que vous vous mettiez en état de n'avoir besoin de personne ». Il leur montre ici combien de maux résultent de l'oisiveté; de combien de vertus le travail est la source. Vérité qu'il met hors de contestation, par des exemples pris des choses qui nous entourent, comme il le fait dans un grand nombre de passages ; l'apôtre a grande raison de procéder ainsi: car, pour le commun des hommes, les choses sensibles sont plus éloquentes que les choses spirituelles. Le propre de la charité envers le prochain, ce n'est pas de recevoir, mais de donner. Et maintenant, voyez la sagesse de l'apôtre; au moment d'adresser aux fidèles une prière, des avertissements, il s'arrête, il établit simplement la règle de la vertu parfaite ; il veut laisser aux fidèles un moment pour respirer, après ses premiers avertissements; il veut qu'ils puissent se remettre de ses menaces. On l'a entendu dire : « Donc l'outrage n'est pas un outrage à un homme, mais à Dieu ». Une raison si forte ne souffre pas qu'on regimbe contre le précepte. Or, maintenant, l'effet du travail c'est que l'homme actif ni ne reçoit rien des autres, ni ne languit dans l'oisiveté. Celui qui travaille, donne aux autres: « C'est un plus grand bonheur », est-il dit, « de donner que de recevoir ». (
Ac 20,35)

« A travailler », dit-il, « de vos propres « mains » ; où sont ceux qui veulent voir ici une oeuvre spirituelle? Comprenez-vous comment le texte enlève à cette explication toute vraisemblance, par ces mots : « De vos propres mains? » Est-ce qu'on jeûne avec les mains? Est-ce qu'elles servent à veiller, à coucher sur la dure? Nul ne peut le soutenir. Mais il parle d'un travail spirituel ; c'est en effet une oeuvre spirituelle que de travailler pour fournir aux besoins des autres, et rien ne vaut ce travail. « Afin que vous vous conduisiez honnêtement ». Voyez sa manière de les toucher: il ne dit pas : De peur que vous ne vous déshonoriez en mendiant, mais il exprime implicitement cette pensée, d'une manière douce, de manière à piquer sans être blessant. Car, si les fidèles qui sont avec nous, se scandalisent de cette mendicité, à plus forte raison les étrangers trouvent-ils mille sujets d'accusations et de reproches, à la vue d'un homme sain de corps, pouvant se suffire à lui-même, et qui mendie, et qui a besoin des autres. Aussi nous appellent-ils d'un nom qui signifie « marchands du Christ. Voilà comment », dit-il ailleurs, « le nom de Dieu est blasphémé ». (Rm 2,24) Mais ici, rien de pareil. Il leur parle de ce qui pouvait le plus les toucher de la honte d'une pareille conduite. « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir, touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance (12) ».

602 2. Les deux plus grandes causes des troubles de leurs pensées, c'étaient la pauvreté, et un chagrin porté au découragement, raisons (212) de trouble aussi pour le reste des hommes. Voyez comment s'y prend l'apôtre, pour guérir ces blessures. La pauvreté leur venait de ce qu'on leur avait enlevé leurs biens; or, s'il donne à ceux qui se sont vu ravir leurs biens à cause du Christ, le conseil de gagner leur vie par le travail, à plus forte raison le donne-t-il aux autres hommes. On leur avait enlevé leurs biens ; c'est ce qui résulte de ces paroles : « Vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ, dans la Judée ». (1Th 2,14) Comment cela? c'est qu'en écrivant à ces Eglises, il leur disait : « Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés ». (He 10,14) Maintenant, dans le passage qui nous occupe, il parle de la résurrection. Quoi donc? n'avait-il pas déjà discouru avec eux sur ce sujet? sans doute; mais il insinue ici un autre mystère. Quel est-il ? C'est que « nous, qui sommes vivants et qui sommes réservés, » dit-il, « pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort (14) ». La résurrection suffit pour consoler celui que tourmente la douleur; il suffit aussi de ce qu'il dit en ce moment pour confirmer la foi en la résurrection. Reprenons donc, et disons comme lui : « Or, nous ne voulons pas, mes frères, que vous ignoriez ce que vous devez savoir, touchant ceux qui dorment du sommeil de la mort, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes, qui n'ont point d'espérance ». Voyez ici quelle douceur de langage; il ne leur dit pas : Etes-vous assez privés de raison, comme aux Galates (Ga 3,3), assez insensés, vous, qui connaissez la résurrection, pour succomber à la douleur comme les incrédules? Il leur dit, avec une parfaite douceur : « Je ne veux pas » ; montrant d'ailleurs qu'il respecte leur vertu. Et il ne dit pas, touchant ceux qui sont morts, mais, dès ses premières paroles, il pose le fondement de la consolation.

Se frapper la poitrine, au trépas de ceux qui ne sont plus, ce n'est pas là, assurément, une conduite digne de ceux qui espèrent; sans doute l'âme qui ne sait rien de la résurrection, qui prend, cette mort pour une mort, a raison de guérir, de se lamenter sur ceux qui ont péri, de se livrer à une insupportable douleur ; mais toi qui attends la résurrection, pourquoi te lamentes-tu ? Le deuil ne convient qu'à ceux qui n'ont pas d'espérance. Ecoutez, ô femmes; vous toutes qui aimez les gémissements, vous toutes qui vous livrez au deuil outre mesure, vous faites ce que font les gentils. Si le deuil, au moment du départ de ceux qui ne sont plus, est le propre des gentils, que dirons-nous de ceux qui se frappent la poitrine, qui se déchirent les joues? Quel nom leur donner, répondez-moi ? D'où viennent vos lamentations, si vous croyez que le mort ressuscitera, si vous croyez qu'il n'est pas mort, si vous croyez qu'il n'y a là qu'un assoupissement et un sommeil? Mais, me répond-on, les habitudes si cruellement changées, un appui que l'on perd, un surveillant, un protecteur, tant de services précieux ravis à la fois ! Quand vous perdez un fils, avant l'âge, incapable jusqu'à ce jour de rien faire pour vous, pourquoi vos lamentations, pourquoi vos regrets? C'est, dit-on, qu'il montrait de belles espérances, et je croyais qu'il prendrait soin de moi. Et voilà pourquoi je regrette mon mari; pourquoi, mon fils; pourquoi je me frappe la poitrine; pourquoi je gémis; je crois en la résurrection, mais je suis abandonnée, sans secours; j'ai perdu mon protecteur, celui qui habitait avec moi, dont la vie était liée à la mienne, celui qui me consolait; de là mon deuil; je sais bien qu'il ressuscitera, mais je ne puis, en attendant, supporter la séparation ; une multitude d'affaires tourbillonnent sur moi; je suis exposée à tous ceux qui veulent me nuire; mes serviteurs, qui me craignaient auparavant, aujourd'hui me méprisent et m'insultent; celui que mon époux a bien traité, a oublié aujourd'hui ses bienfaits; mais celui qui a souffert de lui quelque rigueur, garde rancune à l'homme qui n'est plus, et tourne contre moi sa colère. C'est ce qui fait que je ne supporte pas mon veuvage, que mon deuil ne saurait être paisible, et voilà pourquoi je me frappe la poitrine, voilà pourquoi je me lamente.

Comment donc nous y prendre pour consoler ces femmes? Que leur dire? Comment bannir, loin d'elles, le chagrin? D'abord, j'essaierai de leur prouver que ce ne sont pas là des paroles qui expriment la douleur; que c'est le langage de tout ce qu'il y a,en réalité, de plus déraisonnable dans la passion. En effet, si vous avez de la douleur pour ce que vous dites, il faudrait pleurer toujours celui qui est parti; si, au contraire, au bout d'un (213) an, vous l'avez aussi bien oublié que s'il n'avait jamais existé, ce qui vous fait pleurer, ce n'est pas celui qui n'est plus, ni sa tutelle que vous avez perdue; mais c'est la séparation qui vous est insupportable; et vous ne pouvez vous résigner à voir vos relations rompues. — Eh bien ! que diront celles qui convolent à de secondes noces? assurément ce n'est pas le premier mariage qu'elles regrettent; mais laissons-les, ne nous adressons qu'à celles dont la douleur est fidèle à ceux qui, ne sont plus. Pourquoi pleurez-vous votre enfant? Pourquoi pleurez-vous votre mari? C'est que je n'ai pas joui de l'un ; c'est que je m'attendais à jouir de l'autre plus longtemps. Je vous le demande, quelle manque de foi que de penser qu'un mari, qu'un enfant puisse vous assurer un bonheur qui ne vous serait pas assuré par Dieu? Comment ne voyez-vous pas que c'est Dieu que vous irritez? Si le Seigneur vous prend ces objets de votre tendresse, souvent c'est pour que vous ne vous y attachiez pas, en renonçant aux espérances d'en-haut; car le Seigneur est un Dieu jaloux, et ce qu'il veut surtout de nous, c'est notre amour, et cela parce qu'il est pour nous plein d'amour. Vous savez bien comment se comporte l'amour ardent; celui qui aime, est jaloux jusqu'à mieux aimer perdre la vie, que de se voir préférer un rival; et voilà pourquoi Dieu vous a pris votre mari ou votre enfant; c'est à cause de ces paroles que vous avez prononcées.

603 3. Expliquez-moi, en effet, pourquoi, dans les anciens temps, il n'y avait ni veuvage, ni perte prématurée; pourquoi Abraham et Isaac vécurent si longtemps; c'est parce que Isaac, étant plein de vie, Abraham lui préféra Dieu. En effet, Dieu lui dit : Va me l'immoler. Et Abraham immola son fils. Pourquoi Sara atteignit-elle une si longue vieillesse? C'est parce que Sara étant pleine de vie, Abraham écouta Dieu plus que Sara; aussi Dieu lui disait : « Ecoute Sara ton épouse ». (Gn 21,12). Ni l'amour pour un mari, ni l'amour pour une femme, ni l'intérêt pour un enfant, n'excitait alors la colère de Dieu. Mais aujourd'hui que nous sommes penchés vers la terre et tout à fait déchus, maris, nous aimons nos femmes plus que Dieu; femmes, nous nous attachons à nos maris plus qu'à Dieu ; et alors Dieu, malgré nous, nous rappelle à son amour. N'aime pas ton mari plus que Dieu, et tu ne sentiras jamais le veuvage; je dis plus, supposé que tu sois veuve, tu ne sentiras pas ton état. Pourquoi? c'est que tu as pour défenseur un ami plus tendre, un protecteur immortel. Si tu aimes Dieu plus que tout, ne pleure pas; car celui que tu aimes plus que tout, est immortel, et il ne permet pas que tu sois sensible à la perte du moins aimé. Un exemple vous prouvera cette vérité ; répondez-moi, vous avez un mari, qui fait tout au gré de vos désirs ; la considération l'entoure ; il répand la gloire tout autour de vous; il chasse loin de vous tous les mépris; c'est un homme fameux auprès de tous, plein de sagesse, d'habileté, d'amour pour vous; vous êtes heureuse par lui; il vous donne un fils, et ce fils, avant l'âge, s'en va; est-ce que vous sentirez le deuil? nullement. Celui qui est plus aimé, rend la perte moins sensible. Eh bien, maintenant, si vous avez plus d'amour pour Dieu que pour votre mari, Dieu ne vous l'enlèvera pas aussi vite ; s'il vous l'enlève, vous n'en ressentirez pas le deuil; voilà pourquoi le bienheureux Job n'a pas éprouvé une douleur trop amère en apprenant, coup sur coup, la mort de ses enfants; il aimait Dieu plus que ses fils. L'objet aimé étant plein de vie, ses pertes n'étaient pas faites pour l'abattre.

Que dis-tu, ô femme, ton mari et ton fils te défendaient et veillaient sur toi, et Dieu te traite avec rigueur? Ce mari, qui te l'a donné? N'est-ce pas Dieu? Et toi-même, qui est-ce qui t'a faite? N'est-ce pas Dieu? Tu n'étais pas, et il t'a donné l'être; et il a mis en toi une âme ; et il t'a douée de pensées; et il a daigné se faire connaître à toi; et, à cause de toi, il a traité avec rigueur son Fils unique ; et tu dis que c'est toi qu'il traite avec rigueur; et tu dis que celui qui est esclave comme toi, a pour toi moins de rigueur? Quelle colère n'excitent pas de telles paroles? Qu'as-tu reçu, quel pareil bienfait as-tu éprouvé de la part de ton mari? Tu ne saurais le dire. Si quelquefois il t'a traitée avec bienveillance, sa bienveillance était provoquée par la tienne qui avait commencé. Mais à propos de Dieu, ce langage est impossible; quand Dieu nous comble de ses bienfaits, ce n'est pas pour répondre aux nôtres, il n'a besoin de personne, il n'écoute que sa seule bonté, pour faire du bien aux hommes ; il t'a promis le royaume du ciel, il t'a donné la vie immortelle, la gloire, la fraternité, l'adoption des enfants de Dieu ; il t'a (212) faite cohéritière de son Fils unique; et toi, après tant de bienfaits, tu penses encore à ton mari? De quels dons t'a-t-il gratifiée, qui ressemblent à ces dons ?

Le Seigneur a fait lever pour toi son soleil, et il t'a envoyé la pluie; il te nourrit des fruits des saisons; malheur à notre ingratitude. Il te prend ton mari pour que tu n'y attaches pas toute ton âme, et toi, tu t'obstines à poursuivre celui qui est parti; et tu renonces à Dieu quand tu. devrais- le bénir, quand tu devrais te jeter tout entière dans ses bras; car enfin, qu'as-tu reçu de ton mari? Les douleurs de l'enfantement, les fatigues, les outrages, et souvent les querelles, et les reproches, et les paroles d'indignation. N'est-ce pas là ce qu'il faut attendre des maris? Mais il y a aussi, me répond cette femme, d'autres -présents bien doux. Quels sont-ils ? Il m'a revêtue de vêtements somptueux, il a couvert d'or mon visage, il m'a faite considérable pour tous. Eh bien, si vous voulez, Dieu vous donnera un ornement bien plus riche, car l'or est mie parure moins splendide que l'honnêteté. Notre Roi a aussi des vêtements qui ne ressemblent pas à ceux de la terre, qui sont bien plus riches; il ne tient qu'à vous de les revêtir. Quels sont-ils? Des vêtements brochés d'or; vous n'avez qu'à vouloir, pour en revêtir votre âme. Mais votre mari vous a rendue considérable parmi les hommes; quelle merveille I le veuvage vous a rendue respectable pour lés démons,. Autrefois, vous commandiez à vos serviteurs, je veux bien dire que vous leur commandiez ; aujourd'hui vous avez pour serviteurs, soumis à votre empire, les puissances incorporelles, les principautés, les dominations, le prince de ce monde. Et maintenant, vous ne me parlez pas des chagrins qui vous tourmentaient avec votre mari ; si parfois vous aviez à craindre les magistrats, si parfois; dans le voisinage, d'autres personnes étaient plus considérées que vous; aujourd'hui, vous êtes affranchie de tous ces soucis, et de la terreur, et de la crainte. Mais voilà ce qui vous inquiète : qui les nourrira, ces enfants qui vous restent? Le père des orphelins; car qui vous les a donnés? répondez-moi. N'entendez-vous pas le Christ dire dans l'Evangile : « La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement? » (Mt 6,25)

604 4. Voyez -vous que ces lamentations ne viennent pas d'une affection dont l'âme s'est fait une habitude, mais du manque de foi? Mais les enfants n'ont plus une position si brillante, une fois que leur père est mort. Pourquoi ? Dieu est leur père, et leur position a cessé d'être brillante? Combien vous en montrerai-je d'enfants élevés par des veuves, qui ont acquis de la considération? Combien furent élevés par leur père, qui ont péri? Car, si vous les élevez comme il convient, dès le premier âge, ils jouiront d'un plus grand bienfait que de la sollicitude paternelle. Et voilà la fonction des veuves, elles doivent élever leurs fils. Ecoutez ce que dit saint Paul « Si elle a bien élevé ses enfants » ; et ailleurs « Elle se sauvera par les enfants qu'elle aura mis au monde » (l'apôtre ne dit pas par son mari) « s'ils persévèrent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté et dans une vie bien réglée ». (1Tm 5,10) Inspirez-leur la crainte de Dieu dès l'enfance, et il les gardera mieux que n'importe quel père; ce sera là, pour eux, le mur indestructible. En effet, quand le gardien réside à l'intérieur, nous n'avons pas besoin des appuis du dehors; si au contraire ce gardien manque, toutes les choses du dehors sont inutiles. Voilà ce qui leur tiendra lieu de richesse, de gloire, de parure; voilà qui fera leur splendeur, non-seulement sur la terre, mais dans les cieux. Ne regardez pas ceux qui ont des ceintures d'or, ceux que portent des coursiers, ceux qui brillent, dans les palais des rois, de l'éclat de leurs pères, ceux qui ont un cortège de serviteurs et de pédagogues.

Voilà peut-être ce qui excite les lamentations des veuves sur leurs fils orphelins; elles pensent, elles se disent : Si mon fils avait encore son père, il jouirait de toute cette félicité, tandis que maintenant le voilà abaissé, sans honneur; nul n'a de considération pour lui. Bannis ces pensées, ô femme; ouvre-toi les portes du ciel par les conceptions de ton esprit; contemple la royauté d'en-haut, c'est là que le vrai roi réside; considère ceux qui demeurent sur la terre : peuvent-ils être revêtus de plus de gloire que ton fils, élevé à ces hauteurs? Gémis alors, si tu peux. S'il est sur la terre quelque gloire, il n'en faut tenir aucun compte; tu peux te représenter ton fils comme un soldat du ciel, enrôlé dans cette sublime armée. Les soldats de là-haut ne montent pas des chevaux; leurs coursiers sont les nuages; ( 215) ils ne se traînent pas sur la terre, ils volent dans le ciel; ils n'ont pas des esclaves précédant leur marche, ce sont les anges (lui vont devant eux; ils n'escortent pas un roi mortel, mais le Roi qui possède en propre l'immortalité, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs; ils n'entourent pas leurs reins d'une ceinture vulgaire, mais d'une gloire ineffable; et ils éclipsent les rois et tous ceux qu'on honore et qu'on estime; car, dans cette résidence royale, on ne recherche ni trésors, ni noblesse, ni rien de pareil ; on ne recherche que la vertu; et., avec elle, rien ne manque et l'on est au premier rang.

Rien ne nous est difficile, si nous voulons être sages. Lève les yeux au ciel, et vois de combien ces hauteurs dominent le faîte des rois. Si, de ces rois supérieurs, les parvis sont tellement magnifiques, que les palais des rois de la terre ne sont plus que de la boue ; si l'un de nous peut mériter de voir de près, dans toutes ses parties, cette sublime demeure, quelle ne sera pas sa félicité? « La veuve qui est vraiment veuve et abandonnée », dit l'apôtre, « espère en Dieu ». (1Tm 5,5) A qui adressé je ces paroles? Aux veuves qui ont des enfants, parce qu'elles sont de beaucoup plus considérables aux yeux de Dieu; parce qu'elles ont une plus grande occasion de plaire à Dieu ; parce que tous leurs liens sont brisés ; parce qu'elles n'ont plus rien qui les retienne; parce qu'elles n'ont plus de chaînes à traîner. Tu es séparée de ton mari, mais tu es unie à Dieu ; tu n'as plus de compagnon d'esclavage. partageant son existence avec toi, partage ton existence avec le Seigneur. Lorsque tu pries, n'est-ce pas avec Dieu que tu t'entretiens ? réponds-moi. Lorsque tu fais la lecture, écoute sa voix qui te parle ; que te dit-il? Des paroles bien plus désirables que les paroles d'un époux. Un époux, même quand il vous flatte, ne vous fait pas grand honneur; ce n'est qu'un compagnon d'esclavage; mais quand le Seigneur flatte sa servante, c'est alors que l'affection bienveillante est précieuse. Comment le Seigneur nous témoigne-t-il sa bonté? Ecoutez ses paroles : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai » ; et encore, il nous crie par le Prophète : « Une mère peut-elle oublier son enfant, et n'avoir point compassion du fils qu'elle a porté dans ses entrailles; mais, quand même elle l'oublierait, pour moi, je ne vous oublierai jamais ». (Is 49,15) Quelles paroles d'amour ! Et ailleurs : « Tournez-vous vers moi » ; et dans un autre passage encore : « Tourne-toi vers moi, et tu seras sauvé ». (Is 4) Si l'on veut recueillir, dans le Cantique des cantiques, d'autres expressions plus mystiques : « Ma colombe, mon unique beauté ». (Ct 2,10) Voilà ce que dit le Seigneur à l'âme qu'il chérit. Quoi de plus doux que ces paroles? Voyez-vous l'entretien de Dieu avec l'homme?

Eh quoi ? dites-moi ; ne voyez-vous pas combien de fils de ces femmes bienheureuses, sont partis, sont couchés dans les tombeaux; combien de femmes ont souffert des douleurs plus cruelles, perdant leur mari, avant de perdre leurs enfants? Elevons nos âmes, appliquons-les aux divines promesses, méditons-les, et aucun chagrin ne nous accablera, et nous passerons notre vie entière dans la joie spirituelle, et nous jouirons des biens de l'éternité. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et par la bonté, etc.


HOMÉLIE 7 JE NE VEUX PAS QUE VOUS IGNORIEZ, MES FRÈRES, CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR TOUCHANT CEUX QUI DORMENT

700 DU SOMMEIL DE LA MORT, AFIN QUE VOUS NE VOUS ATTRISTIEZ PAS, COMME FONT LES AUTRES HOMMES, QUI N'ONT PAS L'ESPÉRANCE. (1Th 4,12-13)

Analyse.

1. Sur le dogme de la résurrection. — Le Christ a réellement revêtu notre chair ; autrement la résurrection n'a pas de sens. — Il faut distinguer la résurrection universelle, et la résurrection individuelle et particulière. (246)
2. Des objections qu'on opposait au dogme de la Résurrection. — Sur la métempsycose, à diverses erreurs des Grecs. — Images naturelles pour faciliter la foi en la résurrection.
3. Nous ne savons rien de rien, nous ne comprenons rien; rien n'est impossible à Dieu.

701 1. Bien des douleurs ne nous viennent que de notre ignorance, à ce point que si nous étions instruits, nous bannirions la tristesse. C'est ce que Paul fait voir par ces paroles : « Je ne veux pas que vous ignoriez, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres hommes, qui n'ont pas l'espérance » (1Th 4,13). Que leur défendez-vous d'ignorer? Le dogme de la Résurrection, dit l'apôtre. Mais pourquoi ne leur dites-vous pas : Le châtiment réservé à qui ne connaît pas le dogme de la Résurrection? C'est que c'était chose manifeste et avouée, et qu'à cette pensée du châtiment facile à sous-entendre, il en voulait ajouter une autre aussi très-profitable. Ils croyaient à la résurrection, ce qui ne les empêchait pas de se lamenter, de là les paroles de l'apôtre. Il ne tient pas le même langage aux incrédules, et à ceux dont il s'occupe ici : car évidemment ces derniers, puisqu'ils s'inquiétaient des temps (1Th 5,1), n'ignoraient pas le dogme.

« Car si nous croyons », dit l’apôtre, « que Jésus est mort et ressuscité et vivant, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus, ceux qui se seront endormis en lui ((1Th 4,14) ». Où sont-ils ceux qui ne veulent pas que le Seigneur ait réellement pris notre chair? Evidemment, s'il ne s'est pas incarné, il n'est pas mort; mais, s'il n'est pas mort, il n'est pas ressuscité. Que deviennent les raisons que l'apôtre nous donne pour nous porter à la foi ? Faut-il n'y voir, comme font les contradicteurs, qu'une frivole imposture ? Car si la mort est le fait du péché, comme le Christ est sans péché, que deviennent les exhortations de l'apôtre ? Et maintenant pourquoi dit-il encore : « Comme font les autres hommes qui n'ont pas l'espérance (1Th 4,13) ? » C'est comme s'il disait : Que pleurez-vous, ô hommes? sur qui vous affligez-vous ? sur les pécheurs, ou simplement sur tous ceux qui meurent? Et ceux qui n'espèrent pas en la résurrection, que pleurent-ils eux-mêmes, puisque tout est néant pour eux ? « Le premier-né », dit l'apôtre, « d'entre les morts » (Col 1,18), c'est-à-dire les prémices. Donc, puisqu'il y a des prémices, il faut qu'il y ait une suite. Maintenant voyez, l'apôtre s'abstient ici de raisonnements, parce qu'il s'adressait à des âmes bien disposées. Mais quand il écrit aux Corinthiens, il développe les preuves et il ajoute : « Insensés que vous êtes, ce que vous semez ne se vivifie-t-il pas ? » (1Co 15,36) Son langage d'aujourd'hui avec les Thessaloniciens, convient mieux, à la condition de s'adresser à des fidèles : les mêmes paroles, aux gentils, quelle efficacité auraient-elles pu avoir?

« Nous devons croire aussi », dit l'apôtre, « que Dieu amènera, avec Jésus, ceux qui se seront endormis en lui » (1Th 4,14). Encore, «ceux qui se seront endormis » ; il ne dit jamais, les morts. A propos du Christ, il lui a bien fallu dire « est mort », avant de dire qu'il est ressuscité; mais ici : « Ceux qui se seront endormis en Jésus ». Ou il faut entendre, par ces paroles, ceux qui se sont endormis ayant la foi dans Jésus, ou l'apôtre déclare que Dieu, par le moyen de Jésus, réunira ceux qui se seront endormis, à savoir les fidèles. Ici les hérétiques prétendent qu'il s'agit de ceux qui ont reçu le baptême. Mais alors que signifie le: Nous devons croire « aussi ? » En effet, Jésus ne s'est pas endormi dans le baptême. Pourquoi donc l'apôtre dit-il : « Ceux qui se seront endormis?» C'est qu'il ne parle pas d'une résurrection universelle, mais d'une résurrection particulière. « Dieu amènera, avec Jésus, ceux qui se seront endormis avec lui » (1Th 4,14), dit l'apôtre, et c'est sa manière de parler dans un grand nombre d'endroits.

« Ainsi nous vous déclarons, comme l'ayant appris du Seigneur, que nous, qui sommes vivants, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil ((1Th 4,15) ». C'est en parlant des fidèles qu'il dit encore: « Ceux qui se seront endormis avec le Christ» (1Th 4,14 1Co 15,18). Ailleurs: « Les morts ressusciteront » (1Th 4,16). Ensuite, ce n'est plus seulement de la résurrection qu'il traite, mais, et de la résurrection, et du degré d'honneur au sein de la gloire. Tous jouiront de la résurrection, dit-il; quant à la gloire, tous n'y participeront pas, mais ceux qui se seront endormis « avec le Christ » (1Th 4,14). Donc l'apôtre, jaloux de les consoler, ne les console pas seulement par la résurrection, mais par tous les honneurs qui les attendent, et par la brièveté du temps qui les en sépare ; ce qu'il fait, parce qu'ils connaissaient le dogme de la (217) Résurrection. La preuve que c'est par tous ces honneurs qu'il les veut consoler, c'est la suite de ses paroles: « Et nous serons toujours avec le Seigneur, et nous serons ravis dans les nuages». ((1Th 4,17) Mais comment les fidèles se sont-ils endormis avec Jésus? C'est-à-dire qu'ils possèdent le Christ en eux. Quant à cette expression, « amènera avec Jésus », c'est pour montrer qu'on les amène de tous les côtés. « Nous vous déclarons », dit l'Apôtre, « comme l'ayant appris du Seigneur ». Sur le point d'annoncer une vérité aussi étrange, il prend les précautions nécessaires pour opérer la persuasion : « Comme l'ayant appris du Seigneur », dit-il; ce qui signifie, nous ne parlons pas de nous-mêmes; nous vous disons ce que le Christ nous a enseigné : « Que nous qui sommes vivants, et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil » : C'est ce qu'expriment ces paroles de la lettre aux Corinthiens : « En un moment, en un clin d'oeil... » (1Co 15,52), où l'apôtre assure la foi à la résurrection par la manière même dont elle doit s'accomplir.

702 2. C'est qu'aussi l'on objectait des difficultés naturelles; alors l'apôtre montre qu'il est aussi facile à Dieu d'enlever les morts que les vivants. Quant à ce mot: « Nous » (1Th 4,15 1Th 4,17), il ne l'applique pas à lui-même, car il ne devait pas vivre jusqu'à l'époque de la résurrection, mais il l'applique aux fidèles; voilà pourquoi il ajoute : « Qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui sont dans le sommeil » (1Th 4,15). C'est comme s'il disait: Ne créez pas des difficultés, lorsque vous entendez dire que les vivants d'alors ne préviendront pas les morts tombés en dissolution, en putréfaction, ceux qui sont morts depuis des milliers d'années; c'est Dieu qui fait tout. Et, comme il lui est facile de faire comparaître ceux qui ont tous leurs membres, il lui est également facile de faire venir ceux qui sont décomposés. Mais il y a des personnes qui ne croient pas à ces choses, dans l'ignorance où elles sont de Dieu. Lequel, dites-moi, est le plus facile de faire venir du néant à l'existence, ou de ressusciter ce qui était décomposé ?

Mais que disent les incrédules? Un tel a souffert un naufrage, et il a été englouti, et, dans la chute qu'il a faite au fond de l'eau, de nombreux poissons l'ont reçu. Et chacun de ces poissons lui a mangé un membre; et ensuite, de ces poissons mêmes, l'un a été pris dans un tel golfe, l'autre, dans tel autre, et celui-ci a été mangé par celui-là, et celui-là par un troisième. Et maintenant ceux qui ont mangé les poissons, par qui l'homme a été dévoré, ont péri; les uns, dans telle contrée; les autres, dans telle autre, et ces mangeurs de poissons ont été mangés des vers : dans cette confusion, dans cette dispersion, le moyen de croire à une résurrection ? Qui rassemblerait cette poussière? A quoi tend ce discours, ô homme, et que signifie cet enchaînement de réflexions frivoles dans un problème inexplicable ? Car, répondez-moi, si cet homme n'était pas tombé dans la mer, si un poisson ne l'avait pas mangé; si ce poisson n'avait pas été lui-même mangé par des hommes sans nombre; si ce mort eùt été déposé, après les funérailles ordinaires, dans un tombeau, à l'abri des vers, hors de toute atteinte nuisible, expliquez encore la résurrection, après la dissolution, expliquez la poussière et la cendre qui se rattachent, pour se coller ensemble ; expliquez d'où peut renaître la fleur de la vie dans un cadavre. N'y a-t-il pas là un mystère inexplicable ? Si ce sont des grecs qui nous opposent ces doutes, nos réponses seront interminables; car enfin, n'ont-ils pas, au milieu d'eux, des penseurs qui donnent des âmes aux plantes, à des arbres, à des chiens? Lequel est le plus facile, dites-moi, de reprendre possession de son corps, ou de revêtir un corps étranger? Il en est d'autres qui parlent d'un feu qui consume tout, et qui croient à la résurrection des vêtements et des chaussures, et on ne les tourne pas en ridicule; d'autres arrivent avec leurs atomes. Quant à ceux-là, nous n'avons rien à leur dire. Mais pour les fidèles, si toutefois il faut appeler fidèles ceux qui nous interrogent, nous leur dirons comme l'apôtre, que c'est de la corruption que vient toute vie, toute plante, tout germe. (1Co 15,36)

Ne voyez-vous pas le figuier? Quel tronc, que de souches et que de feuilles, de rameaux; de bourgeons, de racines, qui se prolongent, qui s'entrelacent; et cet arbre si grand, dont vous voyez la nature, naît de ce grain; jeté de haut en bas, et qui se corrompt et qui meurt; car, s'il ne devient pas poussière et dissolution, rien ne se fera. Expliquez-moi cet effet-; et la vigne, si belle à voir, (218) et dont le fruit est si doux, sort de ce grain d'une forme si laide. Et enfin, répondez-moi, n'est-ce pas de l'eau seulement qui tombe d'en-haut; et comment cette eau, qui est une par sa nature, subit-elle de si nombreuses transformations? Car voilà qui est bien plus merveilleux que la résurrection. Là même germe, même planté, même substance, une grande parenté; ici, dans la pluie, une seule et même qualité, une seule et même nature; comment donc subit-elle de si nombreux changements? La vigne produit du vin, et non-seulement du vin, mais, et des feuilles, et la sève. Et en effet, ce n'est pas seulement la grappe, mais tout le reste, tout ce qu'on voit dans la vigne, qui en tire sa nourriture. Et de même l'olivier produit, avec l'huile, tout ce qui sort de l'olivier; et remarquez cette merveille : ici l'humide, là le sec; ici le doux, là l'aigre; ici l'astringent, là l'amer'; d'où viennent, répondez-moi, tant de changements? Donnez-moi l'explication ; impossible à vous. Et maintenant, considérez-vous vous-mêmes, je vous en prie, car voilà un, sujet qui est plus près de vous. Cette première semence, comment se change-t-elle de manière à former des yeux, des oreilles, des mains, un coeur ? D'où lui viennent tant de formes qui la dessinent? Ne voyez-vous pas, dans le corps, d'innombrables différences de figure, de grandeur, de qualité, de position, de puissance, d'harmonie? Comment des nerfs, des veines, des chairs, des os, des membranes, des artères, des muscles, des cartilages et bien d'autres choses particulières, que les médecins connaissent et dont ils parlent d'une manière exacte, qui sont des attributs de notre nature, comment tout cela vient-il d'une seule et même semence? Cette merveille né vous semble-t-elle pas bien plus complexe, bien plus inexplicable? Comment l'humide et le mou se réunissent-ils de manière à former ce qui est dur et froid, à former un os? de manière à produire le chaud et l'humide, réunis dans le sang? le froid et le mou, réunis dans le nerf? le froid et l'humide, réunis dans l'artère? D'où vient tout cela, répondez-moi? D'où vient que vous ne doutez pas? Ne voyez-vous pas, chaque jour, la résurrection et la mort dans l'écoulement des âges? Où s'en est allée la jeunesse ? D'où est venue la vieillesse? Et comment ce quia vieilli, ce qui ne peut pas se donner la jeunesse à soi-même, enfante-t-il, dans un autre, l'enfance, plus jeune que la jeunesse? Que ce que l'on ne peut se donner à soi-même, on le donne à un autre?

703 3. C'est ce que nous montrent et les arbres et les animaux. Pourtant, ce qu'on donne à un autre, on devrait d'abord se le donner à soi-même; mais c'est là une exigence de la raison humaine : quand Dieu agit, il faut que tout cède. Si ces mystères sont inexplicables, à tel point qu'il n'est rien de plus inexplicable, je ne puis m'empêcher de penser aux insensés dont l'esprit se travaille sur la génération incorporelle du Fils. Nous portons, dans nos mains, des choses mille fois étudiées, que nul ne peut comprendre. Comment donc se travailler ainsi au sujet de cette génération ineffable, inexprimable, répondez-moi? Ne faut-il pas que la pensée succombe à scruter de telles profondeurs? A quels vertiges ne s'expose pas l'esprit qui veut fixer son regard sur ces mystères ? N'éprouvera-t-il pas un éblouissement à le rendre stupide? Eh bien! non, ces esprits sont incorrigibles; ils ont la vigne, ils ont le figuier, dont ils ne peuvent rien dire, et les voilà, sur Dieu, qui se travaillent ; car enfin, répondez-moi, comment ce grain se résout-il en feuilles et en souches,? Comment produit-il ce qui n'était pas, ce qu'on ne voyait pas auparavant en lui? Mais ce n'est pas, me répond-on, un effet du grain; tout ce travail vient de la terre. Eh bien ! alors, comment, sans ce grain, la terre ne produit-elle rien d'elle-même ? Mais ne déraisonnons pas. Ni la terre, ni le grain ne produisent cet effet; c'est l’oeuvre du Seigneur, qui commande à la terre et aux semences. Aussi, tantôt sans aucune semence, tantôt avec des semences, il a produit tout ce qui reçoit la naissance : tantôt il s'est contenté de montrer sa puissance, comme quand il dit « Que la terre produise de l'herbe verte » (Gn 1,11); tantôt, il veut en nous montrant sa puissance, nous instruire, nous enseigner l'activité courageuse qui accepte les labeurs avec joie.

Pourquoi ce discours? Ce n'est pas sans dessein; c'est pour réveiller notre foi à la résurrection. Quand il nous arrivera de vouloir tout comprendre par notre seule raison, si l'intelligence nous est refusée, il faut que nous sachions nous résigner avec douceur, il faut que nous sachions nous abstenir avec sagesse, réprimer nos pensées, nous réfugier dans cette (219) croyance, qu'il n'est rien d'impossible à Dieu, rien pour lui de difficile.

Donc, instruits de ces vérités, mettons un frein à nos pensées, ne franchissons pas nos limites, les bornes imposées à notre connaissance; car, dit l'apôtre, «si quelqu'un se flatte de savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir ». (1Co 8,2) Je ne parle pas de Dieu, dit-il, mais de quelque chose que ce soit. Car, que voulez-vous savoir de la terre? qu'en connaissez-vous, répondez-moi? Sa mesure? sa grandeur? sa position? sa substance? le lieu qu'elle occupe? où elle se tient? sur quoi elle s'appuie? sur tout cela vous serez toujours muet. Qu'elle est froide, sèche et noire, à la bonne heure; mais en dire plus, impossible. Mais de la mer? même embarras pour vous, difficultés inexplicables; attendu que vous ne savez, ni où elle commence, ni où elle s'arrête; sur quoi elle s'appuie; qui en porte le fondement; quel est son lieu; si, après la mer, il y a un continent, ou de l'eau et de l'air; et maintenant, des choses qu'elle renferme que savez-vous? Et de l'air? Et des éléments? Jamais vous n'en pourrez rien dire; je laisse ces sujets. Voulez-vous, parmi les plantes, prendre ce qu'il y a de moins considérable, ce gazon qui ne porte pas de fruit, que nous connaissons tous ; expliquez-m'en la naissance. N'a-t-il pas pour substance de l'eau, de la terre, du fumier ? D'où lui vient sa beauté, son admirable couleur? et d'où vient que cette beauté se flétrit? Ni la terre, ni l'eau n'ont produit cet ouvrage. Ne voyez-vous pas que partout c'est de la foi qu'il nous faut? D'où vient que la terre produit? D'où vient que la terre enfante ? répondez-moi. Impossible à vous ; apprenez, ô homme, par les choses d'en-bas, par tout ce qu'elles contiennent, à ne pas scruter inutilement, curieusement le ciel.

Et si encore vous ne scrutiez que le ciel, et non le Dieu du ciel? Vous ne connaissez pas, répondez-moi, la terre dont vous êtes né, où vous prenez votre nourriture, où vous habitez, que vous foulez aux pieds, sans laquelle vous ne pouvez même pas respirer; et, sur des choses si éloignées de vous, vous exercez votre curiosité? Vraiment l'homme n'est que vanité. Et si l'on vous ordonnait de descendre au fond de l'abîme, de rechercher ce qu'il y a au fond de la mer, vous ne supporteriez pas un pareil ordre; et quand personne ne vous y force, de vous-même, vous voulez embrasser l'abîme qu'il est impossible de sonder? Cessez, je vous en conjure; naviguons à la surface, ne nous mettons pas à nager dans les raisonnements; la fatigue nous prendrait bien vite; nous serions engloutis dans les ondes; servons-nous des divines Ecritures comme d'un navire; déployons les voiles de la foi. Si nous montons sur ce navire-là,nous aurons pour pilote, la parole de Dieu: si au contraire nous nous jetons à la nage au milieu des raisonnements humains, plus d'espoir. Car, pour ceux qui voguent ainsi, où est le pilote? Double danger, absence de navire, absence de pilote. Si la barque est en péril quand il n'y a pas de pilote, du moment qu'il n'y a ni pilote ni barque, quelle peut être l'espérance du salut? Ne nous jetons pas dans un péril manifeste; assurons notre marche en nous suspendant à l'ancre sacrée; c'est ainsi que nous naviguerons jusqu'au port tranquille, avec une riche cargaison, et dans une pleine sécurité, et nous obtiendrons les biens réservés à ceux qui chérissent Dieu, dans le Christ Notre-Seigneur, auquel appartient, ainsi qu'au Père, etc.



Chrysostome sur Thess. 600