Chrysostome, Virginité 37

37 Et si vous désirez aussi des raisons, tout d'abord, interrogez l'opinion publique, et ensuite les données de l'expérience. Sans doute les législateurs ne condamnent-ils pas de tels mariages, ils les permettent même et les autorisent, cependant nombreuses sont les réflexions qu'ils provoquent, de la bouche d'une foule de gens, soit en privé, soit en public: brocards, blâmes, réprobation. Comme à des parjures, tout le monde tourne le dos, c'est le mot, à ces gens-là, personne n'ose s'en faire des amis, ni traiter des affaires avec eux, ni leur accorder la moindre confiance. Quand vous les voyez rejeter si facilement de leur âme le souvenir de leur existence commune, de leur affection, de leur vie familiale et intime, vous voilà paralysés, en quelque sorte, à cette pensée, et vous ne pouvez les aborder d'un coeur tout à fait sincère, car ils sont pour vous l'image de l'inconstance et de la versatilité. Et on ne les réprouve pas seulement pour ce motif, mais pour le caractère fort déplaisant des conséquences pratiques.

Quoi de plus choquant en effet, je te prie, que de voir, au plus profond chagrin, aux gémissements, aux larmes, aux cheveux en désordre, aux sombres vêtements, succéder soudain applaudissements, apprêts de la chambre nuptiale, vacarme tout contraire à ce qui précédait? Ne dirait-on pas des comédiens jouant sur une scène et devenant tantôt ceci, tantôt cela? Au théâtre en effet on peut voir le même acteur tantôt roi, tantôt le dernier des gueux; de même ici, l'homme qui naguère se roulait au pied du tombeau de sa femme, le voilà soudain fiancé; celui qui s'arrachait les cheveux, c'est une couronne à présent qu'il porte sur cette même tête; cet homme abattu et sombre qui, à tout moment, les larmes aux yeux, devant les amis qui le réconfortaient, ne tarissait pas d'éloges sur l'épouse en allée, cet homme qui déclarait la vie intolérable désormais pour lui et s'irritait contre ceux qui voulaient le distraire de son chagrin, souvent au milieu même de son deuil il recommence à se pomponner, à se faire beau; ces yeux naguère encore gonflés de larmes, sourient pour regarder ces mêmes amis, cette bouche adresse à chacun des mots de bienvenue et d'affection, cette bouche qui naguère n'avait pas assez d'anathèmes pour tout cela.

Mais le plus pitoyable de tout est la guerre qu'on suscite à ses enfants, la lionne qu'on installe auprès de ses filles: car voilà ce qu'est toujours une marâtre. De ces unions naissent ces discordes et ces conflits quotidiens, cette étrange et insolite animosité à l'égard de cette femme qui ne fait de mal à personne. Entre vivants on se poursuit de jalousies réciproques, mais avec les morts leurs ennemis eux-mêmes font la paix. Pas ici cependant, l'envie s'attaque à la poussière et à la cendre, c'est une haine indicible à l'égard de la pauvre femme au tombeau, des insultes, des sarcasmes, des accusations contre celle qui a été réduite en poussière, une hostilité implacable pour cette femme qui ne lui a rien fait. Quoi de pire que cette démence, que cette cruauté? Une femme qui n'a rien à reprocher à la disparue, que dis-je, reprocher, elle recueille les fruits de ses labeurs, elle profite de ses biens... et ne cesse de lutter avec son ombre. Et cette malheureuse qui ne lui a rien fait, que souvent même elle n'a jamais vue, elle la crible chaque jour de milliers de sarcasmes, à travers ses enfants elle se venge de celle qui n'est plus, et bien souvent elle arme son mari contre eux quand ses propres efforts sont vains. Et pourtant les hommes regardent tout cela comme très facile à supporter, simplement pour n'avoir pas à endurer la tyrannie de la concupiscence.

La vierge, elle, n'a éprouvé aucun vertige devant ce combat, elle n'a pas esquivé le choc qui paraît si intolérable au commun des mortels; elle a tenu bon, courageusement, et a accepté la bataille que lui imposait la nature. Comment pourrait-on l'admirer comme elle le mérite? Les autres ont besoin même d'un second mariage pour ne pas être consumés, mais elle, sans même en avoir connu un, reste continuellement sainte et indemne. C'est pour cette raison et plus encore à cause des récompenses réservées au veuvage dans les cieux que celui qui porte le Christ parlant en son coeur disait: "Il est bon pour eux de rester en l'état où je suis moi-même". Tu n'as pas eu la force de t'élever jusqu'au plus haut sommet, du moins ne tombe pas du sommet suivant. Que la vierge n'ait sur toi qu'un seul avantage: elle, pas une seule fois la concupiscence ne l'a terrassée; toi, elle t'a d'abord vaincue mais n'a pas eu assez de force pour te garder toujours. Toi, c'est après une défaite que tu as remporté la victoire, sa victoire à elle est pure de toute défaite; touchant le but en même temps que toi, elle ne t'est supérieure qu'au départ.

38 Mais quoi, les gens mariés, Paul les traite avec beaucoup de ménagements: pas de privation sans consentement mutuel, et encore cette privation acceptée d'un commun accord ne doit-elle pas se prolonger; et il autorise même un second mariage, s'ils le désirent, "pour ne pas brûler". Mais à l'égard des vierges, il ne fait preuve d'aucune complaisance de ce genre: aux époux, après un aussi bref répit, il accorde toute liberté à nouveau, mais la vierge n'a pas le plus petit instant pour souffler, il la laisse perpétuellement sur la brèche, debout toujours, criblée par les flèches du désir, il lui refuse même une courte trêve. Pourquoi ne lui dit-il pas, à elle aussi: si elle ne peut se contenir, qu'elle se marie? Parce qu'on ne pourrait non plus dire à l'athlète, quand il a dépouillé ses vêtements, qu'il s'est frotté d'huile, qu'il a pénétré dans le stade et qu'il s'est couvert de poussière: Retire-toi, fuis devant ton adversaire. Désormais pour lui de deux choses l'une: il quittera le stade ou bien ceint de la couronne ou bien après avoir mordu la poussière et la honte au front. Dans le gymnase et dans la palestre, où l'exercice ne met aux prises que des familiers, où l'on se mesure à des amis comme adversaires, l'athlète est libre de se donner ou non du mal; mais quand il est inscrit sur la liste, quand le théâtre est assemblé, que l'agonothète est là, que les spectateurs sont assis, que l'adversaire est introduit et qu'il prend position face à lui, le règlement des jeux ne lui laisse plus le choix.

Eh bien, pour la vierge aussi, tant qu'elle en est à se demander s'il lui faut ou non se marier, le mariage n'offre pas de danger; mais lorsqu'elle a choisi et qu'elle est inscrite au rôle, elle s'est introduite dans le stade. Qui osera, quand le théâtre grouille de monde, quand les anges regardent du haut des cieux, que le Christ est l'agonothète, que le diable est fou de rage, grince des dents, qu'il est empoigné pour la lutte et saisi à bras-le-corps, qui donc osera s'avancer et s'écrier: Fuis devant ton adversaire, renonce aux épreuves, lâche prise, ne renverse pas, ne terrasse pas ton rival, cède-lui la victoire? Et que dis-je, à des vierges? A des veuves même on n'oserait tenir ce langage, mais plutôt celui-ci, terrible: "Si le désir sensuel les a détachées du Christ et qu'elles désirent se remarier, elles seront jugées pour avoir rompu la foi première" (
1Tm 5,11-12).

39 Et pourtant l'apôtre déclare: "Je le dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, il est bon pour eux de rester comme je suis, mais s'ils ne peuvent être continents, qu'ils se remarient". Et encore: "Si le mari vient à mourir, elle est libre d'épouser qui elle voudra, pourvu que ce soit dans le Seigneur."

Comment peut-il châtier une femme qu'il laisse libre, condamner comme illégitime un mariage qu'il dit "dans le Seigneur? - N'aie crainte, il ne s'agit pas du même mariage. Par exemple, quand il dit: "Si la vierge se marie, elle ne pèche pas", il ne parle pas de la jeune fille qui a renoncé au mariage - il est bien évident que celle-là commet un péché et un péché intolérable - mais de la jeune fille qui ne connaît pas encore le mariage, qui n'a pas encore opté pour cette solution ou pour l'autre et reste hésitante entre ces deux partis. De même pour la veuve; là, il veut parler de celle qui se trouve simplement sans mari, qui n'est pas encore ligotée par sa décision sur l'orientation de sa vie, mais qui est libre de choisir cette voie ou l'autre; ici, il parle de la veuve qui n'a plus le pouvoir de se remarier, mais s'est engagée dans les épreuves de la continence.

Il est possible en effet qu'une femme soit veuve sans être admise au titre de veuve, lorsqu'elle n'a pas encore accepté de le rester. De là le mot de Paul: "Pour être admise au rang des veuves, qu'elle soit âgée d'au moins soixante ans et qu'elle ait été l'épouse d'un seul mari". La simple veuve, il l'autorise à se marier si elle le désire, mais celle qui a fait voeu au Seigneur de viduité perpétuelle et qui néanmoins se marie, il la condamne avec rigueur parce qu'elle a foulé aux pieds le pacte conclu avec Dieu. Ce n'est donc pas à celle-ci, mais aux premières qu'il dit: "Si elles ne peuvent garder la continence, qu'elles se marient, car il vaut mieux se marier que brûler". Tu le vois, jamais le mariage n'est loué pour lui-même, mais à cause de la fornication, des tentations et de l'incontinence. Plus haut en effet il emploie tous ces termes; ici, comme il avait adressé de violents reproches, il a recours à des expressions plus voilées pour désigner à nouveau.

Même ici, d'ailleurs, il ne s'est pas retenu au passage de porter un coup à son auditeur. Car il n'a pas dit: si le désir leur fait violence, s'ils sont entraînés, s'ils n'en peuvent mais. Non, rien de pareil, c'est le fait de victimes qui ont droit à l'indulgence. Que dit-il? "Si elles ne peuvent garder la continence", ce qui s'applique à des caractères qui, par mollesse, refusent l'effort. II veut dire en effet par là qu'ayant tout ce qu'il faut pour réussir, ils échouent faute de vouloir se donner du mal. Et pourtant, même ainsi, il ne les châtie pas, il ne les voue pas au supplice, il se borne à les priver d'éloges et la véhémence dont il fait preuve ne dépasse pas le blâme verbal; nulle part il n'est question des enfants à naître, ce bel et noble motif du mariage, mais de feux, d'incontinence, de fornication et de tentation du diable, et c'est pour éviter ces désordres qu'il concède le mariage.

Et qu'importe, me dira-t-on. Tant que le mariage nous soustrait au supplice, nous supporterons d'un coeur léger toutes les condamnations et tous les blâmes, pourvu qu'il nous soit possible seulement de céder aux plaisirs des sens et d'assouvir toutes les fois notre désir. - Eh quoi, mon cher, si ces plaisirs nous sont même interdits, le blâme sera tout notre profit? - Mais comment peuvent-ils être interdits, ces plaisirs, puisque Paul nous dit: "Si elles ne peuvent garder la continence, qu'elles se marient" ?

Oui, mais écoute aussi la suite. Tu as appris qu'il était préférable de se marier que de brûler, tu as approuvé ce qui t'est agréable, tu as loué la permission accordée, tu as admiré l'apôtre pour sa condescendance, eh bien, ne t'arrête pas là, admets également ce qui suit, les deux prescriptions sont du même maître. Qu'ajoute-t-il donc? "Aux gens mariés, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari; si toutefois elle s'en est séparée, qu'elle reste sans se marier ou qu'elle se réconcilie avec son mari; de son côté que le mari ne répudie point sa femme."

40 Mais quoi, si le mari est plein de douceur, et la femme mauvaise, médisante, bavarde, prodigue - maladie commune à toutes les femmes - chargée de mille autres défauts, comment fera-t-il, le pauvre homme, pour supporter tous les jours ce méchant caractère, cet orgueil, cette impudence? Et que se passera-t-il si, au contraire, c'est elle qui est modeste et douce, et s'il est, lui, brutal, dédaigneux, coléreux, le coeur enflé par la fortune ou la puissance, s'il traite sa femme libre comme une esclave, s'il n'est pas mieux disposé envers elle qu'envers les servantes: comment supportera-t-elle une telle contrainte, une telle violence, oui, que se passera-t-il s'il ne cesse de la négliger, et s'il ne démord pas de cette attitude? - Supporte, lui dit l'apôtre, cette servitude; lorsqu'il mourra, alors seulement tu seras libre, mais lui vivant, de deux choses l'une: ou bien mets tout ton zèle à l'éduquer et à le rendre meilleur, ou bien si c'est impossible, soutiens valeureusement cette guerre implacable et ce combat sans trêve.

Et si, un peu plus haut, il disait: "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord", ici, quand il s'agit de la femme séparée, Paul l'invite dorénavant à la continence, même contre son gré: "Qu'elle reste, dit-il, sans se remarier ou qu'elle se réconcilie avec son mari." Tu la vois, prise entre deux feux, ou bien il lui faut maîtriser la violence du désir, ou bien si elle s'y refuse, il lui faut aduler son tyran, s'abandonner à tous ses caprices, qu'il la roue de coups, l'abreuve d'injures, qu'il veuille l'exposer au mépris des domestiques, ou autre chose du même genre.

Les hommes ont inventé tant de moyens pour punir leurs femmes. Et si elle ne peut supporter cette situation, il lui faut observer la continence, une continence stérile; je dis stérile car elle est privée de son principe essentiel: elle n'est pas acceptée par désir de la sainteté mais par ressentiment à l'égard d'un mari. "Qu'elle reste sans se marier, dit l'apôtre, ou qu'elle se réconcilie avec son mari." Oui, mais s'il refuse absolument toute réconciliation? Il est pour toi une autre solution, un autre expédient: attends sa mort.

S'il n'est jamais permis à la vierge de contracter mariage, il n'en est pas de même pour les femmes mariées... lorsque leur mari est décédé. S'il était permis en effet, quand le premier vit encore, de le quitter pour passer à un autre, et puis encore d'aller du second à un troisième, à quoi servirait alors le mariage, les maris s'empruntant les uns aux autres indistinctement leurs épouses, daxis une promiscuité vraiment générale. Comment nos sentiments envers nos compagnons ne seraient-ils pas détruits si aujourd'hui celui-ci, demain celui-là et puis d'autres encore vivaient avec la même femme? Oui, le Seigneur a eu raison d'appeler cette conduite un adultère.

41 Mais pourquoi a-t-il accordé cette permission aux Juifs? Évidemment à cause de leur dureté de coeur, pour éviter que le sang d'un parent n'inondât leurs maisons. Que valait-il mieux, s'il te plaît? Que la femme détestée fût chassée hors de la maison ou qu'elle fût égorgée dedans? C'est ce qu'ils auraient fait, s'ils n'avaient eu le droit de la chasser. C'est pourquoi il est dit: "Si tu la détestes, renvoie-la" (Dt 24,1). Mais lorsqu'il s'adresse à des gens pleins de mesure, auxquels il interdit même la colère, que dit l'apôtre? "Si elle s'en est séparée, qu'elle reste sans se remarier." Tu vois la contrainte, la servitude inévitable, la chaîne qui les rive l'un à l'autre. Oui, le mariage est réellement une chaîne, non seulement par la multitude des soucis et par les tracas quotidiens qu'il entraîne, mais aussi parce qu'il oblige les époux à une soumission réciproque, plus pénible que toute forme de domesticité.

"Que l'homme, est-il dit, ait autorité sur la femme", (Gn 3,16) mais quel est l'avantage de cette suprématie? Car, en retour, Dieu le rend esclave de celle qu'il a sous ses ordres: quel étrange, extraordinaire échange de servitude il a imaginé. Tout comme des esclaves fugitifs que leur maître a chacun couverts de chaînes puis enchaînés ensemble, leurs pieds rivés deux par deux au moyen d'une courte entrave, ne pourraient marcher librement, puisqu'ils sont obligés de se suivre les uns les autres, ainsi les âmes des gens mariés, en plus de leurs soucis personnels, subissent une autre contrainte que leur impose le lien qui les enchaîne l'un à l'autre; elle les serre comme la plus cruelle de toutes les entraves, leur enlève leur liberté à tous deux, parce qu'elle n'accorde pas toute l'autorité exclusivement à l'un, mais qu'elle en partage entre eux la libre disposition. Où sont-ils donc maintenant ceux qui, pour la satisfaction que donne le plaisir, sont prêts à supporter toutes les condamnations ?

Car elle est passablement réduite, la part du plaisir, au milieu des colères et des haines mutuelles qui souvent n'en finissent pas; et puis cette servitude, parce qu'elle oblige l'un des partenaires à supporter, malgré lui, la méchanceté de l'autre, est suffisante pour effacer tous les plaisirs. C'est pour cette raison que le bienheureux Paul, d'abord, se sert de termes énergiques pour réprimer l'emportement des sens: "à cause de la fornication, dit-il, de l'intempérance, des feux du désir", mais quand il s'est rendu compte que cette forme de condamnation avait peu de prise sur la masse des gens, il avance l'argument qui est beaucoup plus efficace pour les dissuader; argument qui avait contraint les disciples à dire: "Il n'est pas bon de se marier", et c'est qu' "aucun des époux n'a pouvoir sur soi". Et Paul ne présente plus cette idée sous la forme d'exhortation ou de conseil, mais comme un ordre et un précepte impératifs. Nous marier, ne pas nous marier, cela dépend de nous; mais la servitude que nous supportons non pas volontiers, mais malgré nous, nous n'y pouvons rien.

Pourquoi cela? du moment que nous l'avons choisie, dès le début, en pleine connaissance de cause, et en sachant exactement ses droits et ses lois, c'est de notre plein gré que nous nous sommes engagés sous ce joug. Ensuite, après avoir parlé de ceux qui vivent avec des épouses incroyantes, après avoir minutieusement exposé toutes les lois du mariage et avoir intercalé son propos sur les serviteurs, qu'il réconforte de manière pertinente en leur disant que l'esclavage dont ils souffrirent n'amoindrit pas leur noblesse spirituelle, il en arrive enfin à son exposé sur la virginité: il le portait en lui depuis longtemps et il avait hâte d'en répandre la semence, il le produit au jour maintenant, quoiqu'il n'ait pas eu la force de s'en taire même en traitant du mariage.

Par touches légères et rares sans doute, il en avait agrémenté son exhortation au mariage; méthode excellente pour prédisposer les oreilles de ses auditeurs, aplanir le chemin de leur pensée et réaliser une parfaite introduction à son sujet. Après son exhortation aux serviteurs, donc: "Vous avez été achetés votre prix, ne vous rendez pas esclaves des hommes" (1Co 7,23), quand il nous a rappelé le bienfait du Seigneur, qu'il a, de la sorte, fait dresser tous les esprits et les a élevés vers le ciel, il aborde enfin le problème de la virginité avec ces mots: "Pour les vierges, je n'ai pas d'ordre du Seigneur, c'est mon avis que je donne, en homme qui doit à la miséricorde du Seigneur d'être fidèle" (1Co 7,25). Or, pour le mariage des fidèles avec des infidèles, tu n'avais pas non plus d'ordre du Seigneur, mais avec une grande autorité tu légiférais en écrivant: "Quant aux autres, c'est moi qui leur dis, non le Seigneur: si un frère a une femme infidèle et qu'elle consente à habiter avec lui, qu'il ne la renvoie point." Pourquoi donc au sujet des vierges ne pas t'exprimer aussi nettement? Parce que, sur ce point, le Christ a clairement signifié sa Volonté, refusant de donner à la chose le caractère obligatoire d'un précepte. Car les mots: "Que celui qui peut comprendre comprenne", impliquent pour l'auditeur la liberté du choix. Aussi, quand il parle de la continence: "Je voudrais, dit l'apôtre, que tous les hommes fussent comme moi", vivant dans la continence, et encore: "Je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves qu'il leur est bon de rester comme moi-même", mais quand il traite de la virginité, nulle part il ne se donne en exemple, il s'exprime avec beaucoup de réserve et une grande circonspection, car lui-même n'a pas toujours observé cette vertus: "Je n'ai pas d'ordre", dit-il.

En laissant d'abord le choix à son auditeur, il se concilie sa bienveillance et alors seulement il formule son conseil. En effet, comme le mot de virginité suggère, sitôt prononcé, l'idée de rudes épreuves, il ne se hâte pas d'y exhorter; il commence par flatter son disciple en lui offrant la possibilité d'y voir un ordre, rend ainsi son âme docile et souple, puis découvre alors sa pensée. Tu as entendu le mot de virginité, mot qui présage bien des peines et des sueurs; n'aie crainte, il ne s'agit pas d'un ordre, il n'est pas question d'un précepte impératif, non: ceux qui embrassent cette vertu volontairement et par choix reçoivent certes en échange les biens qui lui sont propres, elle place sur leur front sa couronne brillante et fleurie; mais ceux qui la repoussent et refusent de l'accueillir, il ne les châtie pas, ne les contraint nullement à le faire contre leur gré.

Au reste ce n'est pas seulement par ce moyen qu'il ôte à son propos tout caractère fâcheux et le rend agréable, mais parce qu'il déclare que cette faveur est imputable non à lui, mais au Christ. Il ne dit pas en effet: "Pour les vierges; je n'ordonne pas", mais: "Je n'ai pas d'ordre." C'est une façon de dire: si, en adressant cette exhortation, j'étais mû par des raisons humaines, il ne faudrait pas avoir confiance; mais puisque telle est la Volonté de Dieu, certain est le gage de liberté. Je suis privé du pouvoir de vous donner un tel ordre, mais si vous voulez m'écouter en tant que votre compagnon au service (du Christ), "je vous donne un avis, dit-il, en homme qui doit à la miséricorde du Seigneur d'être fidèle".

Et il convient ici d'admirer la grande habileté, la sagacité du bienheureux apôtre; comment, pris entre deux nécessités contraires - faire bonne figure pour que son conseil ait chance d'être entendu, et ne pas se vanter puisqu'il a été étranger à cette vertu - il obtient rapidement ce double résultat. Par les mots: "En homme qui doit à la miséricorde du Seigneur", il se fait valoir en quelque sorte, mais en n'y mettant pas plus d'ostentation, il s'abaisse en revanche et s'humilie.

42 Il ne dit pas en effet: "Je vous donne un avis en homme à qui a été confié le message évangélique, qui a été jugé digne d'être le prédicateur des nations, qui a été chargé de votre direction, qui est votre docteur et votre guide." Non, que dit-il? "En homme qui doit à la miséricorde du Seigneur d'être fidèle", invoquant ainsi une raison moins importante. Car n'être que fidèle est de moindre importance qu'être le docteur des fidèles. Et il songe même à s'abaisser d'une autre façon. Laquelle? Il ne dit pas: "En homme fidèle", mais "en homme qui doit à sa miséricorde d'être fidèle". Ne considère pas seulement l'apostolat, la prédication, et l'enseignement comme un effet de la Munificence divine: la foi elle-même m'a été accordée par la Miséricorde du Seigneur. Ce n'est pas parce que j'en étais digne que j'ai été gratifié de la foi, je ne la dois qu'à sa Miséricorde; or, la miséricorde est fille de la grâce, le mérite n'y est pour rien.

Ainsi donc, si Dieu n'avait pas des Entrailles de tendresse, non seulement je ne serais pas apôtre, mais je n'aurais pu même être fidèle. Tu vois les bons sentiments du serviteur et son humilité de coeur. Tu vois comme il ne s'attribue rien de plus que les autres. Et même, ce qu'il a de commun avec ses disciples, la foi, il n'en fait pas son oeuvre, mais l'oeuvre de la miséricorde et de la grâce divines; c'est à peu près, par ces paroles, comme s'il déclarait: Ne dédaignez pas de recevoir de moi un conseil, puisque Dieu même n'a pas dédaigné de m'accorder sa Miséricorde. D'autant plus qu'ici, il s'agit d'un avis, non d'un ordre; je conseille, je ne légifère pas. Or, faire connaître et proposer les pensées utiles qui viennent à l'esprit, aucune loi ne peut l'interdire, surtout lorsque cela n'a lieu qu'à la prière des auditeurs, comme c'est précisément le cas pour vous. "Je pense donc que cet état est bon", dit-il. Tu constates une fois de plus la réserve du propos, d'où est absente toute autorité.

Et pourtant il lui était possible de s'exprimer ainsi: Puisque le Seigneur n'a pas prescrit la virginité, je ne la prescris pas moi non plus. Je vous la conseille cependant et vous exhorte à mettre votre zèle à la pratiquer, car je suis votre apôtre. Comme il le dit précisément un peu plus loin en s'adressant à eux: "Si pour d'autres je ne suis pas apôtre, au moins je le suis pour vous" (
1Co 9,2). Mais ici il n'exprime rien de semblable, ses paroles sont empreintes d'une grande discrétion; au lieu de: Je conseille, il dit: "Je donne un avis"; au lieu de: En tant que docteur, il dit: "En homme qui doit à la Miséricorde du Seigneur d'être fidèle"; et comme si ces termes mêmes n'étaient pas suffisants pour donner de l'humilité à ses propos, dès les premiers mots de son conseil il en réduit encore l'autorité, car il ne l'énonce pas tout simplement mais ajoute une raison: "Je pense, dit-il, que cet état est bon, à cause de la nécessité présente." Or, quand il parlait de la continence, il n'avait ni employé le terme: je pense, ni donné d'explication, il disait simplement: "Il est bon pour eux de rester comme je suis", tandis qu'il écrit ici: "Je pense donc que cet état est bon à cause de la nécessité présente." S'il agit ainsi, ce n'est pas qu'il ait un doute à cet égard - loin de là - mais il entend laisser la décision à l'appréciation de ses auditeurs. Voilà ce que fait le conseiller, il ne tranche pas lui-même en faveur de sa thèse, mais il remet la décision au jugement de son auditoire.

43 Quelle est donc la nécessité dont il parle ici? Est-ce la nécessité physique? Nullement. Tout d'abord, s'il s'agissait de cette nécessité, il serait allé contre ses propres intentions en en faisant mention, puisque ceux qui veulent se marier la foulent aux pieds. En second lieu, il ne l'aurait pas appelée nécessité présente: elle n'est pas née d'aujourd'hui, mais il y a beau temps qu'elle a été implantée dans le genre humain, et autrefois elle était plus violente et indomptable, mais, après la Venue du Christ et les progrès de la vertu, elle est devenue plus traitable; en sorte que ces paroles ne peuvent concerner cette nécessité, mais font allusion à une autre aux mille formes et aux mille visages. Quelle est cette nécessité? L'action pervertissant des choses de ce monde: tel est le désordre, telle est la tyrannie des soucis, telle la multitude des difficultés qui nous assaillent, que l'homme marié est souvent, même contre son gré, contraint au péché et à l'erreur.

44 Autrefois en effet tel n'était pas le degré de vertu qui nous était proposé: on pouvait alors venger un outrage, répondre à l'injure par l'injure, s'intéresser à l'argent, engager sa parole par un serment, arracher oeil pour oeil, haïr son ennemi; il n'était défendu ni de mener une vie de plaisirs, ni de se mettre en colère, ni de renvoyer sa femme pour en prendre une autre. Et ce n'est pas tout: la Loi autorisait même à avoir deux femmes à la fois sous le même toit, et sur ce point comme sur tous les autres, grande alors était son indulgence. Mais après la Venue du Christ, la voie s'est faite beaucoup plus étroite, d'abord parce que cette licence considérable, inouïe, dans tous les domaines que je viens de citer, a été soustraite à la liberté de notre choix, et aussi parce que la femme, qui nous induit souvent et nous contraint à commettre même malgré nous mille péchés, nous la gardons toujours à notre foyer, ou alors nous sommes convaincus d'adultère si nous voulons la renvoyer.

Ce n'est pas pour cette unique raison que la vertu est de pratique difficile, mais parce que, même si notre compagne a un caractère supportable, la foule des soucis dont elle nous entoure, elle ou nos enfants, ne nous donne pas loisir de lever, ne serait-ce qu'un court instant, nos regards vers le ciel: c'est une sorte de tourbillon qui de partout entraîne notre âme et la submerge. Le mari veut-il, par exemple, mener la vie paisible et retirée du simple particulier. Lorsqu'il voit autour de lui des enfants et une femme toujours à court d'argent, même à contrecoeur, il lui faut se lancer dans les flots agités des affaires publiques. Une fois qu'il y est plongé, il est impossible d'énumérer les péchés qu'il sera obligé de commettre en s'abandonnant à la colère, à la violence, aux serments, aux insultes, à l'hypocrisie, agissant souvent par complaisance, souvent par haine. Comment lui est-il possible, ballotté au milieu d'une telle tempête où il cherche la gloire, de ne pas être contaminé sérieusement par la souillure des péchés? Et si l'on examine de près ses affaires domestiques, on les découvrira chargées des mêmes difficultés, de plus grandes encore, à cause de sa femme. Il lui faut être en peine de mille détails sur mille problèmes qui n'existeraient pas pour l'homme ne dépendant que de lui. Et cela, dans le cas où la femme est modeste et douce ! Mais si elle est mauvaise, odieuse, insupportable, nous ne parlerons plus seulement de nécessité, mais de supplice et de châtiment. Comment pourra-t-il donc s'avancer sur le chemin du ciel, sur ce chemin qui réclame des pieds libres d'entraves et légers, une âme dispose et alerte, s'il est écrasé par tant de tracas, si tant de liens lui enserrent les chevilles, s'il est constamment sollicité vers la terre par une telle chaîne, je veux dire la malice de son épouse ?

45 Mais quelle est la sage réponse du commun des mortels à tous ces embarras que nous venons d'énumérer? Eh bien, n'aurait-il pas droit à une plus haute récompense, celui qui malgré une telle contrainte suit le droit chemin? - Comment cela, mon cher, et pourquoi? Parce qu'avec le mariage il se charge d'une plus rude épreuve. - Et qui le contraignait à accepter un tel fardeau? S'il exécutait un ordre en se mariant, si c'était enfreindre la loi que ne pas se marier, ce raisonnement aurait belle apparence; mais si, alors qu'on est libre de ne pas passer sous le joug du mariage, spontanément, sans aucune contrainte, on consent à s'environner de toutes ces difficultés afin d'en rendre plus pesant le combat pour la vertu, cela ne concerne en rien l'Agonothète. Le seul précepte qu'il ait donné, lui, c'est de mener à bien la guerre contre le diable jusqu'à la victoire sur le mal. Mais qu'on obtienne ce résultat dans le mariage et une vie de plaisirs avec ses mille soucis, ou au contraire par l'ascèse, la mortification et sans être en peine d'autre chose, peu lui importe. Le moyen d'obtenir la victoire, la voie qui mène au trophée, c'est, nous dit le Seigneur, celle qui est dégagée de toutes les contingences humaines.

Mais toi, avec une femme, des enfants et tous les tracas qu'ils traînent après eux, tu prétends faire campagne et mener la guerre, en t'imaginant pouvoir obtenir les mêmes résultats que ceux que n'embarrasse aucune de ces entraves, et tu espères, de ce fait, être l'objet d'une plus grande admiration. Aujourd'hui peut-être tu nous taxeras d'orgueil immense si nous te disons l'impossibilité pour toi d'atteindre les mêmes cimes qu'eux; mais finalement, le jour des récompenses te convaincra sans peine que la sécurité est bien préférable à la stérile ambition, et qu'il vaut mieux obéir au Christ qu'à la vanité de ses propres pensées. Car le Christ déclare qu'il ne nous suffit pas, pour être vertueux, de renoncer à tous nos biens si nous ne nous haïssons nous-mêmes; mais toi, enfoncé dans toutes ces contingences, tu prétends pouvoir les surmonter. Eh bien, je l'ai déjà dit, tu découvriras sans peine à ce moment quel obstacle pour parvenir à la vertu sont une femme et les soucis qu'elle procure.

46 Mais alors, dira-t-on, comment Dieu peut-il l'appeler une aide, cette femme qui est une gêne? "Faisons à l'homme, dit Dieu, une aide semblable à lui" (Gn 2,18). Et moi aussi, je te demande: comment peut-elle être une aide, celle qui fit perdre à l'homme la grande sécurité dont il jouissait, qui le chassa de cet admirable séjour du paradis pour le précipiter dans le tumulte de ce monde? Loin de faire oeuvre d'aide, c'est agir en perfide conseiller: "C'est une femme, est-il dit, qui est à l'origine du péché, c'est à cause d'elle que nous mourons tous" (Qo 25,33). Et le bienheureux Paul dit aussi: "Adam n'a pas été trompé, c'est la femme qui, trompée, a été dans la transgression."

Comment peut-elle être une aide, celle qui a placé l'homme sous le joug de la mort? Comment peut-elle être une aide, celle par qui les enfants de Dieu, ou plutôt tous les habitants de la terre en ces temps-là, avec les bêtes, les oiseaux et tous les autres êtres vivants périrent engloutis dans les eaux? N'est-ce pas elle qui allait causer la perte du juste Job, s'il ne s'était montré vraiment un homme? N'a-t-elle pas perdu Samson? N'a-t-elle pas tout fait pour que le peuple hébreu tout entier fût initié au culte de Béelphégor et fût exterminé par les mains de ses frères? Et Achab, qui, surtout, le livra au diable? Et avant lui Salomon, malgré sa haute sagesse et sa renommée? Et aujourd'hui encore, ne convainquent-elles pas bien souvent leurs maris d'offenser Dieu? N'est-ce pas pour cela que ce grand sage nous dit: "Toute méchanceté est bien peu de chose comparée à la méchanceté de la femme" (Qo 25,26).

Comment donc, alors, Dieu a-t-il pu dire à l'homme: "Faisons-lui une aide semblable à lui ?" Car Dieu ne peut mentir. Moi non plus je n'irais pas le prétendre, certes non ! Je veux dire ceci: la femme sans doute a été créée à cette fin et pour ce motif, mais elle n'a pas voulu se maintenir dans sa dignité originelle, pas plus d'ailleurs que son compagnon. Dieu en effet l'avait formé à son image et à sa ressemblance: "Faisons l'homme, est-il dit, à notre image et à notre ressemblance", comme il a dit aussi: "Faisons-lui une aide", mais une fois créé, l'homme a perdu très vite ces deux avantages. Car il ne s'est pas maintenu à son image et à sa ressemblance - l'aurait-il pu, en s'abandonnant à un désir dénaturé, en succombant à la ruse, en ne maîtrisant pas le plaisir? et l'image de Dieu en lui, bien contre son gré, lui fut désormais ravie.

Dieu le priva en effet d'une partie appréciable de sa puissance; cet être que tous redoutaient comme un maître, il en a fait, tel un serviteur ingrat qui a offensé son maître, un objet de mépris pour ses compagnons de servitude. Au commencement, à tous les animaux même il inspirait la crainte; car Dieu les avait tous amenés devant lui et aucun n'avait osé lui faire du mal ni l'attaquer, voyant resplendir en lui l'image de la royauté. Mais quand il eut, par la faute, obscurci ces traits, Dieu le déchut aussi de cette puissance.

Or, si l'homme ne commande plus à tous les êtres sur la terre, s'il en redoute même et craint quelques-uns, cela ne fait pas mentir la parole de Dieu, qui dit: "Et qu'ils aient pouvoir sur les animaux de la terre"; (Gn 1,26) car ce n'est pas la faute de celui qui l'a donné, mais de celui qui l'a reçu si l'homme a été amputé de ce pouvoir. II en est de même des pièges que les femmes tendent à leurs maris, ils n'ébranlent pas la vérité de cette parole: "Faisons à l'homme une aide semblable à lui." La femme a en effet été créée à cette fin, mais elle n'y est pas restée fidèle. D'un autre côté, on peut encore ajouter que l'aide dont elle fait montre concerne l'état de la vie présente, la procréation des enfants, le désir charnel; mais lorsqu'il n'est plus question de cette vie, de procréation ni de concupiscence, n'est-il pas vain, alors, de parler d'aide? Capable d'assistance pour les choses les plus insignifiantes, la femme, quand sa contribution est sollicitée dans les grandes, loin d'être utile a son mari, l'emprisonne dans les soucis.


Chrysostome, Virginité 37