Chrysostome Homélies sur Anne (1S) 300

TROISIÈME HOMÉLIE SUR ANNE ET L'ÉDUCATION DE SAMUEL : QU'IL EST BON D'ENFANTER TARD ; QU'IL EST FUNESTE DE NÉGLIGER SES ENFANTS.

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ANALYSE.

1. Anne exaucée. Profit qu'on peut retirer de son exemple.
2. Piété d'Anne consacrant son lits à Dieu.
3. Comparaison entre son sacrifice d'une part, de l'autre, celui du prêtre et celui d'Abraham. Sa modestie, sa gratitude.
4. Anne bénie du Seigneur : proposée pour modèle aux mères.
5. Parallèle de la cité céleste et des cités mondaines. La confession par la foi et la confession parles oeuvres.

301 1. Si je ne vous parais point monotone et fatigant, je veux revenir sur le même sujet dont je vous ai déjà entretenus l'autre jour, je veux vous ramener auprès d'Anne, et entrer avec vous dans le champ que nous ouvrent les mérites de cette femme : c'est comme une prairie où foisonnent non les roses, ni les fleurs qui passent, mais la prière, la foi, la résignation. Bien plus doux que l'odeur des fleurs printanières, est le parfum de ces vertus, arrosées non par l'eau des sources, mais par des pluies de larmes. Les fontaines rendent moins florissants les jardins désaltérés par elles, que les larmes versées, en humectant l'arbre de prière, ne lui donnent de force pour monter aux sublimes hauteurs : l'exemple d'Anne en est une preuve. Elle parle, et du même élan sa prière monte au ciel et fructifie, en lui donnant le bienheureux Samuel. Ne prenez donc point d'impatience, si nous rentrons dans le même sujet. Car nous ne vous dirons point la même chose, mais des choses nouvelles et inattendues. C'est ainsi qu'un même mets peut paraître sur une table préparé de mille manières différentes. C'est ainsi encore que les orfèvres, d'un seul lingot d'or tirent des bracelets, des colliers, et nombre d'objets divers. La matière est semblable, mais l'art varie, et grâce aux ressources, aux expédients dont il dispose, l'uniformité de la substance qui lui est livrée ne limite en rien son indépendance. S'il en est ainsi des choses du monde, à plus forte raison faut-il en dire autant de la grâce du Saint-Esprit. Ecoutez en quels termes Paul nous atteste la variété, la profusion de formes et d'apparences de. cette, table spirituelle : A l'un est donnée par l'Esprit la parole de sagesse : à un autre la parole de science, à un autre la foi, à un autre la grâce de quérir, les dons d'assistance, de gouvernement, celui des langues reverses. Or, tous ces dons, c'est le seul et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme il veut. (1Co 12,8-11) Voyez-vous quelle variété ? Les fleuves sont nombreux, suivant l'apôtre, mais la source est la même les mets sont variés, mais l'hôte est unique. Ainsi donc, puisqu'il y a tant de variété dans la grâce de l'Esprit, ne nous lassons point. Nous avons vu Anne stérile, nous l'avons vue mère, nous l'avons vue dans les larmes, nous (503) l'avons vue dans la joie; alors nous l'avons plainte :aujourd'hui partageons sa joie. C'est encore un précepte de Paul : Se réjouir avec ceux qui se réjouissent, pleurer avec ceux qui pleurent. Et cette conduite, nous devons la tenir non-seulement à l'égard de nos contemporains, mais encore vis-à-vis des hommes de l'ancien temps. Et qu'on ne vienne pas me dire : Eh ! de quoi peut me servir Anne et son histoire ? En effet les femmes stériles pourront apprendre de là le moyen de devenir mères; et les mères, à leur tour, connaîtront quel est le meilleur moyen d'élever leurs enfants. Et ce ne sont pas seulement les femmes, ce sont encore les hommes qui retireront le plus grand profit de cette histoire en apprenant à traiter doucement leurs femmes, même atteintes de stérilité, ainsi qu'Elcana se comportait avec Anne. Que dis-je? ils en retireront un avantage bien plus grand encore, en apprenant que les parents doivent élever en vue de Dieu tous les enfants qui leur sont nés. Gardons-nous donc, parce que ce récit ne doit nous rapporter ni argent ni lucre, de le juger inutile à écouter: jugeons-le au contraire utile et profitable par cela même qu'il ne nous promet ni or ni argent, mais ce qui est bien préférable, la piété de l'âme, et les trésors des cieux, et qu'il nous enseigne les moyens d'écarter de nous tout péril.

En effet, il est facile, même à des hommes, de faire un présent d'argent; mais corriger la nature, mais dissiper un pareil chagrin, consoler une pareille douleur, relever une âme près de succomber, c'est ce qui n'est possible à aucun homme, mais au seul Maître de la nature. Et toi-même, femme qui m'écoutes, si affligée d'un mal incurable, après avoir in utilementparcouru toute la ville, dépensé de l'argent, consulté beaucoup de médecins, sans trouver aucun soulagement, tu venais à rencontrer une femme atteinte d'abord, puis guérir de la même infirmité, tu ne cesserais de la supplier, de l'exhorter, de la conjurer, jusqu'à ce qu'elle t'eût nommé son libérateur. Et maintenant qu'Anne est sous tes yeux, te racontant son infirmité, t'indiquant le remède, te désignant le médecin sans que tu le lui demandes, sans que tu l'en presses, tu ne t'approcherais pas, tu ne t'emparerais pas du remède, tu n'écouterais point l'histoire dans tous ses détails? Mais, dès lors, quel bien pourra jamais devenir ton partage? On a vu plus d'une fois des gens franchir de vastes mers, s'embarquer dans de longs voyages, prodiguer leur argent, supporter des fatigues pour visiter en pays étranger un médecin qui leur avait été désigné, et cela sans grand espoir d'être débarrassés de leur maladie; et toi, femme, toi qui n'as pas besoin de faire un voyage outre-mer, ni de sortir de ton pays, ni d'affronter aucune épreuve de ce genre (et que dis-je? sortir de ton pays ? tu n'as pas même besoin de franchir le seuil de ta maison), toi donc, qui peux, sans sortir de ta chambre t'aboucher avec le médecin, et, sans recourir à aucun interprète, l'interroger sur tout ce qui t'intéresse (c'est Dieu, est-il écrit, qui s'approche de toi, et Dieu n'est pas loin. (Jr 23,23), tu hésiterais, tu remettrais lit chose à un autre moment ? Et quelle serait ton excuse? quelle indulgence obtiendrais-tu, si, pouvant trouver un remède aisé et tout à fait commode aux maux qui t'affligent, tu montrais de l'insouciance et abandonnais le soin de ton propre salut? Car ce n'est pas seulement la stérilité, ce sont encore tous les maux, soit de l'âme soit du corps, que ce médecin-là peut guérir; il lui suffit de le vouloir. —Et la chose étonnante n'est pas seulement qu'il guérit sans peine, sans voyage, sans dépense, sans interprètes ; c'est encore qu'il guérit sans douleur. — Le fer, le feu, employés parles médecins du monde, sont chez lui hors d'usage; un signe, c'est assez, et toute tristesse, toute douleur, toute souffrance bat en retraite et prend la fuite.

302 2. Ainsi donc point de négligence, point de retard, fussions-nous pauvres et tombés au dernier degré de l'indigence. —Toute dépense est inutile ici, de sorte que nous ne saurions alléguer notre pauvreté. Ce n'est pas de l'argent que le médecin exige pour salaire, mais des larmes, des prières et de la foi. Si tu viens à lui pourvu de ces ressources, tu ne peux manquer d'obtenir tout ce que tu demanderas, et tu t'en retourneras comblé de joie. Bien des preuves le démontrent, mais particulièrement l'exemple d'Anne ; elle n'eut à fournir ni or, ni argent, mais simplement une prière, de la foi, des larmes; et ainsi elle put s'en retourner en emportant ce qu'elle était venue demander. N'allons donc point taxer d'inutilité ce récit. Car, ces choses, au dire de l'apôtre, ont été écrites pour nous être un avertissement, à nous pour qui est venue la fin des temps. (1Co 10,11) — Approchons-nous de la trière de Samuel, (504) apprenons comment fut guérie son infirmité, et ce qu'elle fit alors, après sa guérison, et comment elle usa du présent qu'elle avait reçu de Dieu. Elle s'assit, dit l'historien, et allaita Samuel.

Voyez-vous comment dès lors elle considérait cet enfant, non comme un enfant seulement, mais encore comme une offrande; elle avait deux raisons de l'aimer, l'une de nature, et l'autre de grâce. Il me semble qu'elle respectait son enfant, et cela se conçoit. En effet, ceux qui se proposent de consacrer à Dieu des coupes ou des vases d'or, une fois qu'ils les ont tout prêts entre les mains, et qu'ils les tiennent en réserve chez eux en attendant le jour de la consécration, ne les considèrent plus désormais comme des objets profanes, mais comme des offrandes, et ne se permettent pas même d'y toucher sans motif et sans utilité, comme ils font pour les autres choses de ce genre; Anne, à bien plus forte raison, donnant ses soins à l'enfant dans cette même pensée, tout d'abord, avant de l'introduire dans le temple, l'aimait plus qu'un enfant ordinaire, et le respectait comme une offrande, pensant être sanctifiée par lui; en effet, sa maison était devenue un temple, depuis qu'elle renfermait ce prêtre, ce prophète. Mais sa piété ne se montre point seulement dans sa promesse; elle se révèle encore en ceci, qu'elle n'osa pas entrer dans le temple, avant d'avoir sevré son fils. Elle dit à son mari : Je ne monterai point au temple, jusqu'à ce que l'enfant y monte avec moi. mais lorsque je l'aurai sevré, il sera offert à la vue du Seigneur, et il siégera là pour toujours. (1S 1,22) Voyez-vous? Elle ne jugeait pas prudent de le laisser à la maison et de monter au temple. Après le présent qu'elle avait reçu, elle ne supportait pas la pensée de se montrer sans ce présent; au contraire, lorsqu'elle l'aurait pris avec elle pour l'amener au temple, il devait lui en coûter de redescendre. Voilà pourquoi elle attendit si longtemps pour paraître au temple avec son présent. Alors elle l'amena, elle le laissa . et l'enfant, pas plus qu'elle, ne gémit, en se voyant dérober la mamelle. Vous savez pourtant quelle est la douleur des enfants que l'on sèvre. Mais Samuel ne fut point chagrin en se voyant arracher sa mère; ses regards se reportèrent sur le Maître, à laquelle celle-ci même devait le jour, et la mère de son côté, ne souffrit point d'être séparée de son enfant parce que la grâce intervint pour triompher des attachements naturels, et parce qu'ils se croyaient encore réunis. Ainsi la vigne étend ses rameaux bien loin de la place étroite qui enferme sa tige, sans que cet éloignement empêche la grappe de faire partie du même corps que la racine; la même chose se réalisa pour Anne. De la ville où elle demeura, elle projeta son rameau jusqu'au temple, et suspendit en cet endroit sa grappe mûre et la distance des lieux ne les sépara point, parce que la charité selon Dieu maintenait dans leur union la mère et l'enfant. Grappe mûre, ai-je dit, mûre noir par l'âge, mais par la qualité; pour tous ceux qui montaient au temple, Samuel était un maître de piété profonde. Car si la curiosité les portait à s'enquérir, des circonstances qui avaient environné sa naissance, ils gagnaient à cela une consolation efficace, l'espoir en Dieu. Et personne, à la vue de ce jeune enfant, ne s'en allait en silence; mais tous glorifiaient l'auteur de ce bienfait inespéré. Voilà pourquoi Dieu avait différé l'enfantement; c'était pour rendre cette joie plus profonde, c'était pour jeter sur Anne plus d'éclat. Car ceux qui connaissaient son infortune devenaient des témoins de la grâce que Dieu lui avait faite; de telle sorte que sa longue stérilité servit à la faire mieux connaître de tous, à la rendre un objet d'envie, d'admiration universelles, et à faire adresser, à son sujet, des actions de grâces à Dieu. — Je dis cela pour, que, s'il nous arrive de voir de saintes femmes en état de stérilité, ou en proie à quelque semblable infortune, nous n'éprouvions ni colère, ni amertume, et que nous ne disions pas en nous-mêmes: Pourquoi donc Dieu a-t-il négligé une femme si vertueuse, et ne lui a-t-il point donné d'enfant? Car ce n'est point là le fait de la négligence, mais celui d'une science mieux instruite que nous-mêmes de ce qui nous importe. Anne monta donc au temple, elle introduisit l'agneau dans la crèche, le veau dans l'étable, dans la prairie, la rose sans épines, rose non passagère, mais perpétuellement en fleur, rose capable de s'élever jusqu'au ciel, rose dont l'odeur enivre encore aujourd'hui tous les habitants de la terre. Bien des années se sont succédées, et le parfum de cette vertu ne fait que s'accroître, et la longueur du temps écoulé ne l'a point affaibli. Telle est la nature des choses spirituelles.

303 3. Elle monta donc au temple, afin de transplanter (505) ce glorieux rejeton, et, imiter ces cultivateurs laborieux qui déposent d'abord au sein de la terre des graines de cyprès ou d'autres plantes pareilles, puis, lorsqu'ils voient que la graine se fait arbre, au lieu de laisser la plante au lieu de sa naissance, l'en retirent pour la replacer dans un autre endroit, afin que la terre nouvelle qui l'accueille dans son sein déploie toute sa force, une force intacte pour alimenter la jeune racine. L'enfant dort elle a reçu, contre toute espérance, le germe dans son sein, elle l'arrache de sa maison, pour le planter dans le temple; qu'arrosent d'inépuisables sources spirituelles. Et l'on put voir se réaliser en leur personne cette prédiction du prophète David : Bienheureux l'homme qui n'a pas marché dans le conseil des impies, qui ne s'est pas tenu debout dans la voie des pécheurs ; qui ne s'est pas assis dans la chaire de pestilence, mais sa volonté est dans la loi du Seigneur, et dans sa loi il méditera jour et nuit; et il sera comme le bois planté sur le passage des eaux, lequel donnera son fruit en son temps. (Ps 1,1-3) En effet Samuel n'avait pas fait l'expérience du vice, avant d'en venir trouver le remède: c'est en sortant des langes qu'il s'attacha à la vertu : il ne participa point aux réunions où règne l'iniquité, il ne fréquenta point les conversations pleines d'impiété; dès le premier âge, en quittant le sein de sa mère, il accourut à cette autre mamelle spirituelle. Et de même qu'un arbre continuellement arrosé, s'élève à une grande hauteur; de même il monta promptement au sommet de la vertu, grâce à la divine parole dont son oreille était incessamment abreuvée. Mais voyons comment cette plantation s'opéra. Suivons Anne, entrons dans le temple avec elle. Elle monta avec lui, dit le texte, à Sélom, conduisant un veau de trois ans. Alors un double sacrifice se célèbre: une des victimes est douée de raison, l'autre en est dénuée; l'une est immolée par le prêtre, l'autre consacrée par Anne. Mais non, l'hostie offerte par Anne avait bien plus de prix que celle qui fut immolée par le prêtre. Car Anne était sacrificatrice de ses propres entrailles; c'est le patriarche Abraham qu'elle imitait, c'est contre lui qu'elle prétendit lutter. Mais Abraham recouvra son fils et l'emmena Anne, au contraire, laissa le sien dans le temple pour qu'il y restât toujours. Je me trompe : Abraham lui-même consomma son sacrifice. Ne vous arrêtez point, en effet, à ce qu'il n'égorgea point son fils : songez seulement que dans sa pensée il alla jusqu'au bout. Voyez-vous cette femme en lutte avec un homme? Voyez-vous comment son sexe ne l'empêche point de rivaliser avec le patriarche? Mais regardez la consécration : S'étant approchée du prêtre, elle lui dit : A moi, seigneur. (1S 1,26) Que signifie cette expression, A moi? Cela veut dire : Prête une exacte attention à mes paroles. Comme un long temps s'était écoulé, elle veut lui remettre en mémoire ce qui a été raconté précédemment. De là ce qui suit : A moi, seigneur : ton âme se souvient. Je suis la femme qui s'est arrêtée devant toi en priant le Seigneur au sujet de ce jeune enfant. J'ai prié le Seigneur, et il m'a donné la chose que je lui avais demandée. Et moi je prête cet enfant au Seigneur, afin qu'il serve le Seigneur tous les jours de sa vie. (1S 1,27-28) Elle ne dit pas : je suis la femme que tu as injuriée, que tu as insultée, raillée comme étant dans l'ivresse, comme n'ayant plus l'usage de sa raison; à cause de cela Dieu t'a fait voir que je ne suis point ivre : c'est inconsidérément que tu m'adressais ce reproche. Elle ne profère aucune de ces dures paroles, elle répond au contraire avec une douceur parfaite quoique le tour qu'avaient pris les événements témoignât assez en sa faveur, quoiqu'elle pût reprocher au prêtre de l'avoir accusée à tort et mal à propos, elle n'en fait rien, elle ne parle que de la bonté de Dieu. Voyez que de reconnaissance chez cette servante ! Lorsqu'elle était dans la peine, elle n'avait dévoilé son infortune à personne, elle n'avait pas dit au prêtre : J'ai une rivale, et cette femme qui m'accable d'injures et d'invectives aune troupe d'enfants, tandis que moi qui vis dans la sagesse, je n'ai pu devenir mère jusqu'à ce jour : Dieu a fermé mon sein, et me voyant dans les tribulations, il n'a pas eu pitié de moi. Rien de cela : elle se tait sur la nature de son infortune, et montre seulement qu'elle est dans la peine en disant : Je suis une femme dans l'affliction : et elle n'aurait pas même proféré cette parole si le prêtre ne l'y avait forcée, en soupçonnant qu'elle était ivre. Mais lorsqu'elle est hors de cette épreuve, et que Dieu a exaucé sa prière, alors elle révèle au prêtre ce bienfait, voulant lui faire partager sa reconnaissance, comme autrefois il s'était associé à sa prière : J'ai prié, dit elle, au sujet de ce petit (506) enfant, et le Seigneur m'a donné ce que je lui avais demandé. Et maintenant je le prête au Seigneur. Voyez sa modestie. Ne croyez pas, veut-elle dire, que je fasse une grande, une admirable action, en consacrant mon jeune fils ! je n'ai pas eu l'initiative de ce bien, je ne fais qu'acquitter une dette. J'ai reçu un dépôt : je le rends à celui qui me l'a confié. En disant ces paroles, elle se consacrait elle-même avec son enfant, elle s'enchaînait pour ainsi dire au temple par le lien de son attachement naturel.

304 4. En effet, si à l'endroit où est le trésor de l'homme, là est aussi son coeur, la pensée de la mère était à plus forte raison auprès de son enfant. Et son sein se remplissait d'une nouvelle bénédiction. Car après qu'elle eut dit ces mots, et qu'elle eut prié, écoutez le langage que tint le prêtre à Elcana : Que le Seigneur te rende une nouvelle progéniture issue de cette femme, en échange du prêt que tu as fait au Seigneur. (1S 2,20) Au commencement il ne disait pas : Qu'il te rende, mais bien qu'il t'accorde tout ce que tu lui demandes. Mais lorsqu'elle eut fait de Dieu son débiteur, il dit qu'il te rende, de manière à lui faire concevoir de belles espérances pour l'avenir. En effet, celui qui avait donné sans rien devoir, ne pouvait manquer de rendre après avoir reçu. Le premier enfant dut par conséquent son origine à la prière, les suivants à la bénédiction: et de cette façon tous les rejetons d'Anne furent désormais sanctifiés. Elle n'avait dû qu'à elle-même son premier-né : le second fut dû au concours d'elle-même et du prêtre. Et comme une terre grasse et féconde, après qu'on y a déposé la graine, étale à nos yeux des moissons superbes: de même Anne, ayant reçu avec foi les paroles du prêtre, nous donna d'autres épis florissants, et abrogea l'antique malédiction, en mettant au jour des enfants de prière et de bénédiction. Suivez donc son exemple, femmes qui m'écoutez : Si vous êtes stériles, offrez une telle prière, et sollicitez le prêtre de se charger de votre ambassade. Quand vous aurez accueilli avec foi ses paroles il est impossible que la bénédiction de vos pères n'aboutisse point à un beau fruit mûr. Si vous devenez mère, consacrez, vous aussi, votre enfant. Anne mena le sien au Temple: faites au vôtre en vous-même un temple magnifique. Car vos membres, dit l'apôtre, sont le corps du Christ, et le temple de l'Esprit-Saint qui est en vous. (1Co 6,19) Et ailleurs: J'habiterai en vous-mêmes et je marcherai parmi vous. (2Co 6,16) Ne serait-il pas absurde, quand on répare une maison délabrée qui menace ruine, qu'on dépense de l'argent pour cela, qu'on rassemble des ouvriers, qu'on ne néglige rien, de ne pas accorder la moindre sollicitude à la demeure de Dieu, (car l'âme de l'enfant doit être la demeure de Dieu) ? Prenez garde de vous entendre dire, ce qui fut dit autrefois aux Juifs. Comme au retour de la captivité, ils voyaient leur temple négligé, et qu'ils s'occupaient néanmoins à parer leurs maisons, ils irritèrent Dieu à tel point qu'il envoya son prophète, et les menaça de la famine, et d'une extrême disette des choses nécessaires à la vie: il leur dit aussi la raison de cette menace; la voici : Vous habitez dans des maisons lambrissées, et ma maison est abandonnée. (Ag 1,4) Si la négligence des Juifs à l'égard de ce temple excita à ce point la colère de Dieu, à plus forte raison l'abandon de cet autre temple spirituel est-il fait pour irriter le Maître: en effet ce dernier temple l'emporte d'autant plus sur l'autre en valeur, qu'il offre de plus grands symboles de sanctification. Ne souffrez donc pas que la maison de Dieu devienne une caverne de voleurs, afin de ne pas vous entendre répéter le reproche que le Christ adressa aux Juifs, à savoir: La maison de mon Père est une maison de prière; et vous en avez fait une caverne de voleurs. (Mt 21,13 Lc 19,46) Mais comment cette autre maison devient-elle une caverne de voleurs ? C'est lorsque nous laissons pénétrer et s'acclimater dans les âmes des jeunes gens des appétits mercenaires, serviles, enfin toute espèce de libertinage. En effet les brigands sont moins à craindre que de pareilles pensées, qui asservissent les enfants, les rendent esclaves des passions déraisonnables, leur font sentir de tous côtés de perçants aiguillons, et déchirent leur âme de mille plaies. Songeons donc à cela tous les jours, et, armés du fouet de la raison, chassons de leur coeur toutes les passions de ce genre, afin que nos enfants puissent être admis dans la cité céleste et exercer complètement les fonctions dévolues à ses habitants. N'avez-vous pas vu souvent en ce monde les chefs des Etats, dès que leurs enfants ont quitté la mamelle, en faire des thallophores (1), - 507 - des agonsthètes (1 bis), des gymnasiarques (2), ou des chefs de choeurs (3) ? Faisons de même: dès le premier âge initions les nôtres aux affaires de la cité qui est dans les cieux. Car pour celle de ce monde, elle n'est qu'un sujet de dépense, et ne rapporte aucun profit.

1. On nommait ainsi ceux qui portaient des rameaux d'olivier dans certaines fêtes publiques.
1 bis. Nom de ceux qui présidaient aux jeux publics et décernaient le prix.
2. Directeurs des gymnases où les jeunes gens s'exerçaient.
3. Fonction théâtrale.

305 5. En effet, quel gain peut-on retirer des applaudissements populaires, dis-moi? Le soir venu, tout ce bruit, tout ce tumulte perd aussitôt son charme; l'assemblée une fois séparée, comme des gens qui se sont vus en songe assis à une table somptueuse ; voilà ces hommes sevrés de toute joie : le plaisir que leur causait cette couronne, cette robe magnifique et tout cet appareil, c'est en vain que dès lors, ils le chercheraient en eux-mêmes : tout s'est enfui plus vite que le vent le plus rapide.

Il en est autrement de la cité céleste : sans exiger aucune dépense, elle nous rapporte un profit aussi grand que durable. Là ce ne sont point des gens ivres, c'est. le peuple des anges qui applaudit sans cesse l'homme en charge. Que dis-je? le peuple des anges : le Maître des anges en personne félicitera celui dont je parle et lui donnera son approbation. Or celui que Dieu loue, ce n'est pas un jour, ni deux, ni trois, c'est durant toute l'éternité qu'il triomphe, la couronne au front; et jamais on ne saurait voir la tête d'un tel homme dépouillée de sa gloire. Car la durée de la fête n'est point enfermée là-haut entre les bornes de quelques journées, elle se prolonge sans fin dans l'éternité. — De plus la pauvreté n'est point un empêchement à l'exercice de ces,fonctions : le pauvre même peut s'en acquitter, le pauvre surtout, attendu qu'il est exempt de toutes les pompes mondaines : le nécessaire n'est point d'avoir de l'argent à dépenser, mais de posséder une âme pure et un esprit sage. Tel est l'artisan qui ourdit pour l'âme les vêtements destinés à cette autre vie, qui lui tresse sa couronne. En sorte que, si cette âme n'est point parée des mérites de la vertu, elle n'a nul besoin de beaucoup d'or; comme d'autre part, la pauvreté ne lui portera en rien préjudice, si elle possède le trésor intérieur. Ces fonctions, que non-seulement nos enfants mâles, mais encore nos filles les remplissent. En effet, ce n'est point comme dans la cité terrestre, où les hommes seuls sont admis à ce genre d'offices: la scène dont je parle est ouverte indistinctement aux femmes, aux vieillards, aux jeunes gens, aux esclaves, aux hommes libres. En effet, comme c'est l'âme qui est offerte en spectacle, ni le sexe, ni l'âge, ni le rang, ni rien de pareil, ne peut soulever un obstacle. Par conséquent, je vous exhorte tous, à livrer dès le premier âge vos fils et vos filles aux offices de cette nature, à mettre en réserve pour eux le genre de richesse qui convient à l'organisation d'une cité pareille : au lieu d'enfouir de l'or, d'amasser de l'argent, déposons dans leur âme, sagesse, chasteté, réserve, en un mot toutes les vertus. Car telle est la dépense que cet office réclame. Si donc nous faisons de telles provisions pour nous-mêmes et pour nos enfants, durant la vie présente nous brillerons d'un vif éclat., et dans l'autre monde nous entendrons cette bienheureuse voix par laquelle le Christ proclame tous ceux qui l'ont confessé. Mais cette confession n'est pas seulement la confession par la foi . c'est encore la confession par les oeuvres ; de sorte que, faute de celle-ci, nous risquons d'être punis avec ceux qui nient. Car il y a bien des manières différentes de nier, lesquelles Paul nous indique en disant : Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres. (
Tt 1,36) — Et ailleurs : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il a renié la foi, et il est pire qu'un infidèle. (1Tm 5,8) Enfin, dans un autre endroit : Fuyez l'avarice, qui est une idolâtrie. (Col 3,5) Mais s'il y a tant de manières de nier, il est clair qu'il n'y a pas moins, qu'il y a même beaucoup plus de manières de confesser . faisons en sorte de les pratiquer toutes, afin de jouir, nous aussi, des célestes honneurs, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec lequel, gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


QUATRIÈME HOMÉLIE - CONTRE CEUX QUI DÉSERTENT LA RÉUNION DES FIDÈLES POUR ALLER DANS LES THÉATRES.

— QU'IL EST NON-SEULEMENT PLUS UTILE MAIS ENCORE PLUS AGRÉABLE D'OCCUPER SON TEMPS A L'ÉGLISE QUE DE LE PERDRE AU THÉATRE. — SUR LA SECONDE PARTIE DE LA PRIÈRE D'ANNE : QU'IL FAUT PRIER SANS CESSE, ET EN TOUT LIEU, MÈME SUR LA PLACE PUBLIQUE, MÊME EN ROUTE, MÈME AU LIT.

400
ANALYSE

1. Réprimande à l'adresse des absents. Contraste entre l'empressement avec lequel on court aux jeux du cirque, et la tiédeur qu'on met à se rendre à l'Eglise.
2. Danger des spectacles : qu'ils ont en réalité peu de charmes. Comparaison entre les plaisirs du vice et ceux que procure la vertu.
3. Retour à l'histoire d'Anne. Sa gloire : combien supérieure à la gloire mondaine.
4. Commentaire sur l'expression : Mon Dieu. Rapprochements bibliques.
5. Nécessité des prières fréquentes.
6. Conditions essentielles de la prière dans la nouvelle Loi : qu'elles consistent uniquement dans les dispositions intérieures.

401 1. Je ne sais quel langage tenir aujourd'hui. En effet, quand je vois le délaissement de nos réunions, l'irrévérence, le dédain, le mépris, prodigués aux prophètes, aux apôtres, aux pères par des esclaves dont l'insolence va jusqu'à braver leur Maître, je voudrais censurer; mais, à la place de ceux à qui devraient s'adresser mes accusations, je ne vois ici que vous qui n'avez pas besoin de tels avertissements, ni de telles réprimandes. Néanmoins nous ne saurions nous taire. — En effet, quelque chose de l'indignation que les coupables nous inspirent pourra transpirer au-dehors, si nous lui ouvrons une issue par nos paroles, pet nous les ferons rougir d'eux-mêmes et avoir honte, en déchaînant contre eux autant d'accusateurs que vous êtes de personnes réunies pour m'écouter. S'ils étaient présents, ils ne recevraient qu'une réprimande, la nôtre; mais, parce qu'ils ont voulu se dérober à nos reproches, tout ce que je vais dire trouvera en vous autant d'échos. — Les amis n'agissent point autrement : lorsqu'on ne trouve point ceux auxquels on a des reproches à faire, on s'abouche avec leurs amis pour qu'ils aillent tout leur répéter. Dieu lui-même s'est ainsi comporté : au lieu d'avertir ceux qui avaient péché contre lui, il s'adresse à Jérémie qui était innocent, et lui dit : As-tu vu ce que m'a fait la fille insensée de Juda? (Jr 3,6) (509) Voilà pourquoi, nous aussi, c'est à vous que nous adressons nos censures contre ces hommes, afin qu'en sortant d'ici vous leur fassiez entendre raison. Eh ! qui pourrait tolérer une pareille indifférence? Une fois par semaine nous nous rassemblons en ce lieu, et ils ne se résignent pas même, durant cette journée, à laisser de côté les soucis mondains : qu'on leur en fasse un reproche, aussitôt ils allèguent leur pauvreté, le soin de leur subsistance, leurs occupations pressantes : excuses plus accablantes pour eux que toutes les accusations. En effet, n'est-ce pas porter contre soi la plus terrible des accusations, que de paraître considérer quelque chose comme plus nécessaire et plus urgent que les affaires de Dieu? Oui, quand tout cela serait parfaitement vrai, ce serait, comme je viens de le dire, une accusation, et non une apologie. Mais pour vous prouver que ce sont là de purs prétextes, des subterfuges destinés à déguiser l'indolence, il n'est que faire de mes paroles : la journée de demain suffira pour confondre ceux qui allèguent de pareilles raisons, alors que toute la ville aura émigré vers l'hippodrome, et que les maisons, les places auront été désertées pour ce spectacle interdit. — Ici l'enceinte même de l'église, on peut le voir, n'est pas remplie : mais là-bas, ce n'est point seulement l'hippodrome, ce sont les étages des maisons, les édifices, les toits, les lieux inaccessibles, que sais-je encore? dont s'emparent les curieux. Ni la pauvreté, ni les occupations, ni la maladie, ni l'impotence, ni rien de pareil, ne suffit alors à réprimer cette irrésistible fureur : des vieillards courent là-bas, plus vite que des jeunes gens à la fleur de l'âge, sans respect de leurs cheveux blancs, sans craindre de donner leurs années en spectacle, ni d'exposer la vieillesse même à la risée publique. — Ici, à peine entrés, ils succombent à l'ennui, ils se trouvent incommodés, ils se renversent en arrière pour écouter la divine parole, ils se plaignent du manque de place, de la presse et d'autres gênes semblables. — Là-bas, où leur tête nue est exposée au soleil, foulés, pressés, étouffés dans la cohue, mal menés de toutes façons, on les croirait étendus nonchalamment dans une prairie, tant ils sont heureux. Voilà ce qui corrompt les cités les vices des instituteurs de la jeunesse. — En effet, comment pourras-tu ramener à la sagesse un jeune homme livré aux désordres et au libertinage, lorsque toi-même, vieillard aux cheveux blancs, tu t'oublies dans de pareils divertissements, lorsque, au terme d'une si longue carrière, tu n'es point las encore de ces vilains spectacles? Comment pourras-tu morigéner ton fils, punir les fautes de ton serviteur, comment donner des conseils à ceux qui négligent leurs devoirs. Quand, parvenu à l'extrême vieillesse, tu montres toi-même si peu de retenue? Qu'un jeune homme vienne à offenser un vieillard, aussitôt celui-ci se prévaut de son âge, et trouve mille personnes pour partager son indignation : mais quand il s'agit de former la jeunesse, de devenir pour elle un modèle de vertu, l'âge n'est plus mis en compte, et l'on montre plus de fureur que les jeunes gens mêmes pour se précipiter aux spectacles défendus. Si je parle de la sorte, si je fais le procès aux vieillards, ce n'est point pour décharger les jeunes gens ni pour les justifier, c'est pour préserver, en me servant d'eux, les vieillards eux-mêmes. Car ce qui ne convient pas aux vieillards, convient encore bien moins aux jeunes gens. Pour ceux-là, il est vrai, la risée avec la plus forte part de honte; mais pour ceux-ci, le désastre est plus grand; l'abîme est plus profond, d'autant que chez les jeunes gens les passions sont plus vives, la flamme plus ardente, et que, pour peu que cette flamme reçoive du dehors un aliment, elle a bientôt tout embrasé. Le jeune homme est plus sujet à s'abandonner à la concupiscence et au dérèglement ; aussi a-t-il besoin d'une surveillance plus active, d'un frein plus rigoureux, d'un rempart mieux défendu, d'un préservatif plus infaillible.

402 2. Et ne viens pas me dire, mon cher auditeur, que le spectacle fait plaisir : ce que je voudrais savoir de toi, c'est s'il ne cause pas de dommage en même temps qu'il fait plaisir. —Et pourquoi parler de dommage? Je soutiens qu'il n'y a pas même de plaisir, et vous allez en être convaincu. — En revenant de cette course de chars, abordez ceux qui reviennent de l'église, et tâchez de bien vous assurer lequel est le plus content, de celui qui a écouté les prophètes, qui a eu sa part des bénédictions, qui a profité des instructions, qui a demandé pardon à Dieu de ses péchés, qui a soulagé sa conscience, et qui n'a rien de pareil à se reprocher; ou de vous-même qui avez abandonné votre mère, dédaigné les prophètes, offensé Dieu, pris part aux fêtes du (510) diable, entendu des injures, des invectives, perdu votre temps sans aucun résultat, sans avoir à rapporter chez vous aucun profit, ni mondain ni spirituel. Pour avoir du plaisir, c'est donc ici qu'il faut venir, de préférence à tout autre endroit. De là-bas on rapporte des remords, des reproches de conscience, du repentir, de la honte, de la confusion, des regards humiliés. — Ici, c'est tout le contraire on y gagne le droit de parler avec toute confiance, et de s'entretenir sans crainte avec tout le monde des instructions que l'on a entendues.

En conséquence, lorsque tu arrives sur la place, et que tu vois la foule courir au spectacle, hâte-toi de te réfugier dans l’église, et pour prix d'un moment de constance, tu goûteras longuement les délices de la divine parole. Car si, entraîné par la multitude des curieux, tu les suivais là-bas, après un moment de récréation, tu serais malheureux tout le jour, et encore le jour suivant, et beaucoup d'autres, parce que tu te condamnerais toi-même : tandis que si tu sais un peu te contenir, tu auras du bonheur pour toute la journée. D'ailleurs ce n'est point seulement en ce qui nous importe ici, c'est dans tout le reste que les choses se passent de même. Le vice apporte du plaisir pour un moment et de la peine pour longtemps : la vertu, au contraire, après quelques instants de peines, donne un profit durable que la joie accompagne: Par exemple, on a prié Dieu, on a pleuré, gémi quelque temps en faisant sa prière : une autre personne a passé tout le jour dans la joie, ensuite elle a - fait une aumône, elle a jeûné, elle a fait quelque autre bonne oeuvre, ou encore elle s'est abstenue, :étant offensée, de rendre la pareille. Pour avoir patienté un moment ou maîtrisé votre colère, vous voilà heureux, content au souvenir de vos bonnes actions. Le vice offre,quelque chose de tout à fait contraire : un homme s'est rendu coupable d'insulte, ou il a relevé une offense : quand après cela il rentre chez lui, c'est pour se consumer dans la peine, au souvenir de ces invectives, lesquelles souvent causent de grands dommages. Par conséquent, si vous cherchez du plaisir, Fuyez les concupiscences juvéniles (
2Tm 2,32), pratiquez la tempérance, et prêtez l'oreille à la parole divine. Si nous vous parlons ainsi, c'est pour que vous répétiez nos paroles aux autres, pour que vous les en fatiguiez sans relâche, et que par là vous lés délivriez de toute habitude vicieuse, pour que vous leur persuadiez de se conduire en tout avec sagesse. En effet, ces hommes qui vont au hasard et à l'étourdie ne méritent pas d'éloges, même quand ils se montrent zélés : c'est ce que prouvera notre prochaine réunion. Nous célébrerons alors la sainte Pentecôte : et l'affluence sera telle, que toute cette enceinte ne nous contiendra qu'à peine. Néanmoins, je ne. saurais louer ce concours : car c'est là affaire d'habitude et non de piété. Peut-on trouver rien de plus misérable . que ces hommes, dont la nonchalance prête à tant de reproches, et dont le zèle apparent ne comporte point d'éloges. En effet, celui qui participe à cette divine réunion par zèle, par amour, par sagesse, doit s'y montrer assidu, et non pas s'en éloigner avec ceux que les fêtes seules y attirent, à la façon de ces animaux qui se laissent conduire sans savoir où ils vont.

403 3. Je pourrais prolonger encore ce préambule de mon discours. Mais je n'ignore pas que votre empressement à remplir vos devoirs devance mes instructions, et que, par conséquent, vous saurez dire plus que je n'ai dit moi-même. C'est pourquoi, afin de ne point vous importuner de mes censures à l'adresse de ces hommes, j'omets tout ce qu'il me resterait à dire, et j'arrive à la suite de nos instructions, en revenant à l'histoire d'Anne. Et n'allez point vous étonner de notre persistance à traiter ce sujet. Je ne puis ôter cette femme de ma pensée : tant j'admire la beauté de son âme et ses charmes intérieurs. J'aime ces yeux inondés de larmes pendant la prière et constamment occupés; ces lèvres, cette bouche, non point fardée par je ne sais quelles drogues, mais embellie par la gratitude à l'égard de Dieu telle était cette femme que j'admire parce qu'elle fut sage, mais que j'admire plus encore parce qu'elle était en même temps sage et femme, femme, ai-je dit, c'est-à-dire objet de bien des accusations. De la femme, est-il écrit, est sorti le péché, et c'est par elle que nous sommes tous sujets à la mort. (Qo 25,33) Et ailleurs : Toute malice est petite, comparée à la malice de la femme. (Qo 5,26) Paul dit pareillement : Adam ne fut pas trompé, mais la femme ayant été trompée, tomba en prévarication. (1Tm 2,14). Si je l'admire autant, c'est principalement parce qu'elle échappa à tous ces griefs, qu'elle écarta loin d'elle cette accusation, que (511) faisant partie de ce sexe accusé et décrié, elle se lava de tous ces reproches, et montra par ses actes que les femmes elles-mêmes ne sont point telles par nature, mais bien par choix ou par nonchalance, et qu'il est possible à leur sexe d'atteindre au sommet de la vertu. L'amour-propre et la persévérance sont dans la nature de cet être : de sorte que si la femme se laisse aller au vice, elle fait beaucoup de mal : si au contraire elle s'applique à la vertu, elle sacrifiera sa vie, avant de renoncer à sa résolution.

C'est qu'Anne elle-même triompha de la nature, vainquit ainsi la nécessité, et par l'assiduité de sa prière, fit germer un enfant dans son sein d'abord impuissant. Aussi recourt-elle de nouveau à la prière, même après avoir été exaucée : Mon coeur, dit-elle, s'est affermi dans le Seigneur, ma corne a été exaltée en mon Dieu. (1S 2,1) Vous savez que l'autre jour (1) j'ai dévoilé à votre charité le sens de ces mots : Mon coeur s'est affermi dans le Seigneur: il faut maintenant vous expliquer les paroles qui suivent : après qu'elle a dit : Mon coeur s'est affermi dans le Seigneur, elle ajoute : Ma corne a été exaltée en mon Dieu. Qu'est-ce à dire, ma corne? L'Ecriture fait un usage perpétuel de cette expression, par exemple ici, ma corne a été exaltée (Ps 74,11), et ici encore : La corne de son Christ a été exaltée. (1S 2,10) De quelle corne veut-elle donc parler? Elle entend par ce mot la puissance, la gloire, l'illustration, en vertu d'une comparaison avec certains animaux. En effet pour gloire et pour arme, ceux-ci n'ont reçu de Dieu que la corne, et s'ils viennent à la perdre, ils perdent du même coup presque toute leur force : un taureau sans cornes est comme un soldat désarmé; on s'en rend maître facilement. Anne n'entend donc point autre chose par cette expression : Ma gloire a été exaltée. Et comment a-t-elle été exaltée ? En mon Dieu, dit-elle. Dès lors l'élévation n'est plus dangereuse, car elle a un fondement solide, une racine inébranlable. En effet, la gloire qui vient des hommes reproduit en soi la faiblesse de ceux qui la décernent : aussi est-elle facilement renversée. Il n'en est pas ainsi de celle qui vient de Dieu : celle-là demeure à jamais inébranlable. C'est de là que le Prophète, voulant montrer à la fois la fragilité de l'une et la solidité de l'autre, a dit : Toute chair est du foin, et toute gloire humaine est comme la fleur du foin. Le foin se dessèche et la fleur tombe. (Is 40,6-7) La gloire qui vient de Dieu est autre : mais encore ? La parole de Dieu persiste durant l'éternité. (Is 40,8) Et c'est ce que prouve aussi l'exemple d'Anne. En effet, on oublie les rois, les généraux, les monarques, malgré tous leurs efforts pour immortaliser leur mémoire, malgré les magnifiques tombeaux qu'ils se font bâtir, les statues qu'ils élèvent, les bustes qu'ils érigent en tous lieux, les monuments qu'ils laissent de tout côté en souvenir de leurs succès; et leur nom même n'est plus connu de personne. Mais Anne est célébrée encore aujourd'hui dans tous les endroits de l'univers : allez en Scythie, en Egypte, chez les Indiens, aux extrémités de la terre, partout vous entendrez des bouches vanter ses mérites : partout où luit la lumière du soleil, la gloire d'Anne étend son domaine. Et ce qu'il faut admirer, ce n'est pas seulement qu'Anne soit célébrée dans tous les lieux du monde, c'est encore, qu'après un tel laps de temps, sa réputation, loin de s'éteindre ne fait que prendre de nouvelles forces et un nouvel accroissement; que tous connaissent sa sagesse, sa patience, sa résignation, dans les villes et aux champs, dans les maisons, dans les camps, sur les vaisseaux, dans les boutiques, partout vous entendrez son éloge. Car lorsque Dieu veut glorifier quelqu'un, la mort a beau venir, le temps s'écouler, les accidents survenir, la gloire de ce mortel subsiste et garde éternellement ses fleurs: et nul n'est capable de jeter de l'ombre sur cet éclat. Aussi, comme pour apprendre à tous nos auditeurs qu'il ne faut point mettre son recours dans les choses périssables, mais dans le principe des biens durables et éternels, Anne nous fait connaître celui à qui elle dut sa gloire. Après avoir dit : Mon coeur a été affermi dans le Seigneur, elle ajoute : Ma corne a été exaltée dans le Seigneur : faisant allusion par là à deux biens qui ne se rencontrent pas ordinairement ensemble. J'ai été sauvée de la tempête, dit-elle, j'ai échappé au déshonneur, j'ai trouvé la sécurité, j'ai reçu ma part de gloire. Voilà les deux choses qu'il est rare de trouver réunies. Beaucoup d'hommes vivent à l'abri du danger, mais leur vie n'a rien de glorieux : d'autres au contraire jouissent d'une gloire éclatante, mais ils sont forcés de braver le péril à cause de cette (512) gloire. Par exemple : combien ne voit-on pas de prisonniers, adultères, fourbes, voleurs, sacrilèges ou coupables d'autres crimes pareils, auxquels une grâce royale ouvre les portes de leur cachot ? Ces gens sont exemptés de leur peine, mais leur ignominie subsiste, et la honte continue de s'attacher à leurs pas. D'autres braves soldats, en cherchant une vie glorieuse et brillante, ont reçu mille blessures des ennemis dont ils affrontaient témérairement les coups, et enfin ont succombé à un trépas prématuré : en courant après la gloire, ils ont perdu la sécurité.

1 Dans un sermon qui était le quatrième sur Anne et que nous non plus.


404 4. Anne réunit ces deux avantages : elle jouit de la sécurité et eut la gloire en partage. Il en fut de même des trois jeunes gens (Da 3) : sauvés du feu, ils échappèrent au péril, et se couvrirent de gloire en triomphant, d'une manière surnaturelle, du pouvoir de cet élément. Tels sont les bienfaits de Dieu : ils procurent à la vie en même temps éclat et sécurité : et c'est à ces deux choses qu'Anne faisait allusion en disant : Mon coeur a été affermi dans le Seigneur, ma corne a été exaltée dans mon Dieu. Elle ne dit pas simplement : en Dieu, mais: dans mon Dieu, s'appropriant en quelque sorte le Maître commun de l'univers : et cela, non pour rétrécir l'empire de ce, Maître, mais pour attester son propre amour, et par une expression de tendresse. C'est ainsi qu'en usent généralement ceux qui aiment : ils ne se résignent point à aimer en compagnie de beaucoup d'autres : ils veulent montrer une affection exceptionnelle et propre à eux seuls. C'est le cas de David, lorsqu'il dit : Dieu, mon Dieu, je m'éveille à vous le matin. (Ps 62,1) En effet, après avoir nommé Dieu comme le Maître universel,. il le désigne ensuite par un mot qui indique sa domination particulière sur les saints. Dieu, mon Dieu, dit-il encore, écoutez-moi, pourquoi m'avez-vous abandonné? (Ps 21,1) Et : ailleurs. Je dirai à Dieu : Vous êtes mon protecteur. (Ps 90,2) Ces paroles sont d'une âme fervente,, enflammée, consumée par l'amour. Anne n'agit pas autrement. Mais que les hommes se comportent ainsi, il n'y a rien là d'étonnant. C'est en voyant Dieu faire de même, que vous pourrez être surpris. De même que ceux que j'ai cités ne l'invoquent point en commun avec d'autres, et veulent qu'il soit spécialement leur Dieu : ainsi Dieu lui-même ne se donne point pour être leur Dieu comme celui des autres; mais il prétend être spécialement le leur. De là ces expressions : Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob (Ex 3,6) : loin de resserrer par là les bornes de son empire, il les recule plutôt : car ce n'est pas tant le nombre de ses sujets que leur vertu qui manifeste son pouvoir : il ne se plait pas autant à s'entendre appeler Dieu du ciel, de la terre, de la mer, et de leurs habitants, qu'à s'entendre nommer Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Et ce qui ne se fait pas chez les hommes, se voit, quand il s'agit de Dieu. Entendez-moi bien : chez les hommes les esclaves sont désignés par le nom de leur maître, et l'usage universel est de dire un tel, procureur de telle personne, un tel, intendant de tel général, de tel gouverneur : tandis que personne ne dit un tel, général de ce procureur; au contraire, nous désignons toujours l'inférieur par le nom du supérieur. C'est le, contraire lorsqu'il est question de Dieu. En effet, on ne dit pas seulement Abraham, serviteur de Dieu, mais encore le Dieu d'Abraham, et ainsi le Maître est désigné par lé nom de son esclave. Voilà ce qui étonnait Paul et lui dictait ces mots : C'est pourquoi Dieu n'a pas honte d'être appelé leur Dieu. (He 11,16) Le Maître, fait-il remarquer, n'a pas honte d'être désigné par le nom de ses serviteurs. Pourquoi n'en a-t-il pas honte? Dites-nous-en la raison, afin que nous nous réglions sur ce modèle. Ils étaient étrangers et venus d'un autre pays, dit l'Apôtre. (He 5,13) Eh bien ! c'était un motif pour avoir honte : car les étrangers passent pour obtenir peu de considération en d'égards. Mais ces saints n'étaient point des étrangers, de la manière que nous supposons, mais d'une certaine autre manière, tout à fait inouïe. Nous appelons, quant à nous, étrangers les hommes qui ont quitté leur patrie, et qui sont venus sur une autre terre : mais ceux dont nous parlons ne l'étaient point de cette manière : dédaigneux de l'univers entier, jugeant que la terre était peu de chose, ils élevaient leurs regards vers la cité qui est dans les cieux, non par présomption, mats par magnanimité, non par un fol orgueil, mais par philosophie. Car, après avoir considéré toutes les choses d'ici-bas, et s'être aperçus que tout s'écoule et périt, que rien, en ce monde, ne reste ferme et immuable, ni la richesse, ni la puissance, ni la gloire, ni (513) la vie même, mais que chaque chose a sa fin et court au terme qui lui est assigné en propre, tandis que les choses célestes sont immortelles et impérissables, ils prirent le parti de se rendre étrangers aux choses qui s'écoulent et qui passent, afin de s'attacher à ces autres choses qui demeurent. Ils étaient donc étrangers, non qu'ils fussent sans patrie, mais parce qu'ils soupiraient après la patrie éternelle. Paul lui-même fait allusion à cela dans ces paroles : Ceux qui parlent ainsi montrent qu'ils cherchent une patrie. (He 11,14) Quelle patrie? Dis-moi. Est-ce l'ancienne patrie qu'ils ont quittée? Non, répond-il. S'ils s'étaient souvenus de celle d'où ils sortirent, ils auraient eu certainement le temps d'y retourner. Mais maintenant ils en désirent une meilleure, c'est-à-dire la céleste, dont Dieu est l'architecte et le créateur. Aussi Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu. (He 5,15-16)

405 5. Suivons donc, nous aussi, je vous y convie, l'exemple de ces saints; dédaignons les choses présentes, soupirons après les choses futures, prenons Anne pour institutrice, recourons constamment à Dieu, demandons-lui toutes choses. Car rien ne vaut la prière; c'est elle qui rend possible l'impossible, aisé ce qui est difficile, uni ce qui est hérissé d'obstacles. Le bienheureux David aussi la pratiquait; voilà pourquoi il a dit : Sept fois le jour je vous ai loué au sujet des arrêts de votre justice. (Ps 118,164) Si un roi, un homme accablé de soucis, distrait de toutes parts, invoquait Dieu tant de fois dans la journée, quelle serait notre excuse, notre titre à la miséricorde, à nous qui avons tant de -loisirs, si nous ne prions pas sans cesse, et cela, quand nous devons retirer de là un si grand avantage? Car il est impossible, oui, impossible qu'un homme qui prie avec la ferveur convenable, et qui invoque Dieu sans cesse, tombe jamais dans le péché; comment, je vais le dire. Celui qui a échauffé son coeur, réveillé son âme, qui s'est transporté au ciel, et qui, dans ces dispositions, a invoqué son Maître, qui s'est souvenu de ses péchés, qui en a demandé à Dieu la rémission, qui l'a supplié de lui être favorable et propice, celui-là pour prix du temps passé dans un tel entretien, est délivré de tout souci mondain, il prend des ailes, il s'élève au-dessus des passions humaines; s'il voit son ennemi après avoir prié, il ne voit plus en lui un ennemi ; s'il voit une belle femme, cet objet n'amollira pas son coeur; le feu de la prière encore vivant dans son âme fera fuir loin dé lui toute pensée coupable. Mais comme il est naturel à l'homme de se laisser aller à la négligence, lorsqu'une heure, une seconde, une troisième se seront écoulées depuis ta prière, et que tu verras ta ferveur en voie de s'éteindre insensiblement, hâte-toi de courir de nouveau à la prière, et réchauffe ton coeur refroidi. Si tu te comportes ainsi durant toute la journée, si, parla fréquence de tes prières tu as soin d'en attiédir les intervalles, tu ne donneras pas de prise au démon, ni d'accès dans ta pensée. Quand nous sommes à table et que nous voulons boire, si nous voyons l'eau qui a été chauffée se refroidir, nous la remettons sur le foyer, afin de la réchauffer promptement. Faisons de môme ici, et appliquant notre bouche à la prière, comme sur un lit de charbons, rallumons la piété dans notre coeur. Faisons comme les maçons. Se préparent-ils à bâtir en briques, vu la fragilité de leurs matériaux, ils serrent leur construction entre de longues poutres, et cela, non à de grands intervalles, mais à de très-faibles distances, afin de rendre leur assemblage de briques plus solide, grâce au grand nombre de ces solives. Fais de même, entremêle tous les actes de ta vie mondaine de fréquentes prières, et fortifie ta vie de toutes parts au moyen de ces étais multipliés. Si tu suis mon conseil, c'est en vain désormais que les vents se déchaîneraient en foule, que tu te verrais assailli de tentations, d'angoisses, de pensées importunes, de quelques fléaux que ce soit; rien ne pourra renverser une maison protégée par une telle charpente de prières. Et comment, dira-t-on, un homme du siècle, cloué à un tribunal, pourrait-il prier de trois en trois heures, et s'échapper vers l'église. Cela se peut, et rien n'est plus facile. En effet, s'il n'est pas aisé de courir à l'église, là-bas, debout à la porte, ou cloué à son tribunal, il peut prier; car il n'est pas tant besoin pour cela de paroles que de pensées, ni de mains étendues que d'âme attentive, ni de gestes que de méditation. En effet, si cette même Anne dont je parle, fut exaucée, ce n'est point qu'elle fit retentir une voix forte et éclatante, c'est parce qu'elle poussait de grands cris au fond de son coeur. Sa voix n'était pas entendue, dit l’Ecriture, et Dieu l'entendait. Bien d'autres ont fait de même bien des fois, et tandis que le (514) magistrat, clans l'enceinte, criait, menaçait, s'efforçait, faisait rage, eux, debout devant la porte, après s'être signés et avoir fait une courte prière mentale, rentraient, désarmaient, fléchissaient le juge, et changeaient sa colère en clémence; et ni le lieu, ni le temps, ni le silence n'avaient été des empêchements à leur prière.

406 6. Agis de la sorte ; gémis amèrement, rappelle-toi tes péchés, lève les yeux au ciel, dis en toi-même : Dieu, ayez pitié de moi, et voilà ta prière faite. Car celui qui a dit : Pitié, a fait une confession, a reconnu ses propres péchés; en effet, la pitié est faite pour les pécheurs. Celui qui a dit : pitié pour moi a reçu le pardon de ses fautes ; car celui qui a obtenu pitié n'est point puni. Celui qui a dit : Pitié pour moi, a gagné le royaume des cieux ; car Dieu ne se borne point à exempter du châtiment celui dont il a pitié, il lui accorde en même temps les biens de la vie future.

Gardons-nous donc de prétexter que la maison de prière n'est point dans notre voisinage, car la grâce de l'Esprit a fait de nous-mêmes, tant que nous restons sages, des temples de Dieu; de sorte que, de toutes parts, une grande facilité s'offre à nous. En effet, le culte n'est pas chez nous ce qu'il était précédemment chez les Juifs, abondant en cérémonies visibles, exigeant beaucoup de préparatifs. En ce temps-là, pour prier, il fallait monter au temple, acheter une tourterelle, avoir du bois et du feu sous la main, prendre un couteau, se présenter à l'autel, accomplir beaucoup d'autres prescriptions; ici; rien de pareil; en quelque endroit que vous vous trouviez, vous portez avec vous autel, couteau, victime, étant a la fois vous-même et le prêtre, et la victime, et l'autel. En quelque lieu que vous soyez, vous pouvez donc dresser l'autel, pourvu que vous apportiez à cela une âme bien disposée; pour cela, ni le lieu n'est un obstacle, ni le temps n'est une difficulté; quand, bien même vous ne fléchiriez point les genoux, vous ne vous frapperiez pas la poitrine, vous n'élèveriez point les mains vers le ciel, il suffit que vous ayez montré un coeur fervent ; votre prière est parfaite. Rien n'empêche une femme, en tenant sa quenouille, ou en ourdissant sa toile, d'élever sa pensée vers le ciel, et d'invoquer Dieu avec ferveur; rien n'empêche un homme qui vient sur la place ou voyage seul, de prier attentivement; tel autre, assis dans sa boutique, tout en cousant ses peaux, est libre d'offrir son âme au Maître; l'esclave, au marché, dans ses allées et venues, à la cuisine, s'il ne peut aller à l'église, est libre de faire une prière attentive et ardente. L'endroit ne fait pas honte à Dieu, la seule chose qu'il demande, c'est un coeur fervent et une âme vertueuse. Et, pour que vous voyiez bien que la posture, les lieux, les temps sont choses tout à fait accessoires, et que tout l'essentiel est une disposition généreuse et active de l'âme ; Paul, couché sur le dos dans sa prison (il ne pouvait se tenir debout, car les entraves qui emprisonnaient ses pieds ne le lui permettaient pas), Paul, dis -je, après avoir prié dans cette posture avec ferveur, ébranla sa prison, en agita les fondements, et enchaîna si bien son -geôlier, qu'il l'initia ensuite aux sacrés mystères. De même Ezéchias, non point debout, ni les genoux ployés, mais renversé sur le lit où le retenait la maladie, et tourné vers la muraille, en invoquant Dieu avec ferveur et de saines dispositions, obtint la révocation de l'arrêt porté contre lui, gagna la faveur céleste, et revint à la santé. Et ce ne sont point seulement des saints, de grands hommes, ce sont encore des hommes pervers qui nous fourniraient de pareils exemples. Le voleur, sans se tenir debout dans la maison de prière, sans fléchir les genoux, peut gagner le royaume des cieux par quelques paroles dites du haut de la croix où il était étendu, un autre au fond d'un marais fangeux, un autre dans une fosse pleine d'animaux féroces, un troisième enfin jusque dans le ventre de la baleine, n'ont eu qu'à invoquer Dieu pour échapper à tous les maux qui les menaçaient, et s'attirer les bonnes grâces d'en-haut. Ce n'est pas que je ne vous exhorte à fréquenter assidûment les églises, à prier bien tranquillement chez vous, à fléchir les genoux quand vous le pouvez, à élever les mains au ciel; mais si le temps, le lieu, la foule vous en empêchent, il ne faut pas renoncer pour cela à vos prières habituelles, mais prier et invoquer Dieu de la façon que j'ai exposée à votre charité, persuadés qu'une telle prière ne vous sera pas moins profitable qu'une autre. Ce que j'ai dit n'a point pour but d'exciter vos applaudissements et votre admiration, mais de vous exhorter aux pratiques dont je parle, de vous (515) inviter à entrecouper de prières et d'oraisons le temps de la nuit et celui du jour, et celui même du travail. Si nous gouvernons ainsi notre conduite, nous passerons dans la sécurité la vie présente, et nous obtiendrons le royaume des cieux. Puissions-nous tous y arriver par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ par qui et avec lequel gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome Homélies sur Anne (1S) 300