Chrysostome sur Gn 3900

TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. Quand Abraham eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut

(Gn 17,1)

ANALYSE.

1. Quand Dieu parle et promet, l'homme doit lui accorder tonte confiance. Nous ne devons point mesurer ses oeuvres à notre faiblesse. — 2. Pourquoi Dieu, en temporisant, a-t-il éprouvé Abraham? Comment doit s'entendre ce mot : apparut ? — 3. Etymologie des noms d'Abraham et de Noé. Les infidèles prophétisent. — 4. Raison de la circoncision. Que la circoncision ne confère aucun bien spirituel. — 5. Exhortation.

3901 1. Vous avez vu, mes bien-aimés, qu'il n'y a rien d'inutile dans l'Ecriture sainte, et que nous avons tiré hier un grand profit de l'histoire d'Agar fugitive. Nous, avons connu la grande douceur du patriarche, l'excès de sa continence, le respect qu'il montra à Sara, et l'estime qu'il faisait de la concorde au-dessus de tous les autres biens. Nous avons vu la bonté infinie de Dieu qui, par égard pour le patriarche, non-seulement ramène Agar errant dans le désert où elle s'était enfuie par crainte de sa maîtresse, mais la rend mère d'Ismaël, afin de consoler le juste et de le récompenser de sa patience. Quand Ismaël fut venu au monde, l'Ecriture sainte, voulant nous donner l'âge du Patriarche, et nous indiquer le nombre de ses années, nous dit Quand Ismaël vint au monde, Abram avait quatre-vingt-six ans. (Gn 16) Voyons ici, comme nous le vérifierons par la suite, l'admirable patience du juste, et la bonté inouïe et infinie du Seigneur. Nous en serons convaincus, si nous pouvons calculer l'âge du juste; nous reconnaîtrons que la bonté de Dieu dispose tout en sa faveur et le met à l'épreuve en toute occasion pour mieux faire éclater sa piété. Il prévoyait la reconnaissance de son serviteur, appréciait toute la beauté de son âme et la pureté de cette perle si précieuse, mais il voulait la faire briller maintenant même, devant nos yeux, pour que la vertu du juste laissât à la postérité un modèle à imiter pour notre émulation. Aussi nous dévoile-t-il peu à peu le trésor de vertu de juste, pour que nous apprenions nous-mêmes à ne jamais manquer de confiance dans les prédictions divines, à ne pas nous décourager dans l'attente, mais à mettre moins d'espoir dans les choses que l'on voit et que l'on touche, que dans les choses invisibles, dès que c'est Dieu qui les a promises. Nous comprenons ainsi que les prédictions divines ne peuvent jamais manquer de s'accomplir; si pendant longtemps elles ne se réalisent pas, nous ne devons point nous en embarrasser l'esprit, mais penser à la puissance irrésistible et invincible de celui qui les a faites, et nous dire (265) que tout ce qu'il voudra se fera, puisque tout lui cède et lui obéit. En effet, puisqu'il est le Maître et le Créateur de la nature, il peut aussi nous accorder des choses surnaturelles.

N'allons point mesurer les oeuvres de Dieu à notre faiblesse et nous,tourmenter des lois de la nature; mais, en fidèles serviteurs, reconnaissons le pouvoir immense de Notre-Seigneur, croyons à ses promesses et mettonsn-ous au-dessus de notre faiblesse naturelle pour jouir des faveurs qui nous sont annoncées, mériter sa bienveillance et l'honorer de toutes nos forces. Car le plus grand honneur que nous puissions lui rendre, c'est de nous confier à sa puissance, quand même les yeux de notre chair nous feraient voir le contraire. Et comment s'étonner que le plus grand hommage rendu à Dieu soit de rejeter le doute? Avec nos semblables, lorsqu'ils nous font des promesses sujettes au changement des choses périssables, si nous n'en doutons point, si nous y avons confiance, cette absence de doute, cette confiance sont regardées comme le plus grand honneur que nous puissions leur faire. S'il en est ainsi à l'égard des hommes si changeants et si impuissants, ne devons-nous pas croire bien mieux encore à ce qui nous est annoncé par Dieu, même quand ses promesses ne doivent se réaliser qu'après un long intervalle de temps? Ce n'est pas sans raison que je vous parle ainsi, c'est afin de vous mettre à même, lorsque nous aborderons la lecture d'aujourd'hui, de comprendre comment le bon Dieu, voulant illustrer le patriarche, - exerce sa patience pendant tant d'années durant lesquelles celui-ci ne s'abandonnait point au chagrin, à l'indifférence, au désespoir, mais nourrissait toujours sa piété par son espérance. Or, pour apprécier toute la vertu du patriarche, il est bon de savoir combien il a vécu. C'est ce que nous dit clairement le bienheureux Moïse, inspiré du Saint-Esprit. Que dit-il donc? Quand le juste eut obéi aux ordres de Dieu et quitté Charran pour aller dans la terre de Chanaan, il avait soixante-dix ans. Aussitôt qu'il fut venu dans cette terre, Dieu lui promit qu'il la donnerait tout entière à sa race, laquelle se multiplierait 'au point d'être innombrable comme le sable et les étoiles. Après cette promesse, il arriva au juste bien des aventures, sa descente en Egypte à cause de la famine, l'enlèvement de Sara, suivi aussitôt d'un effet de la divine providence, son retour d'Egypte, la nouvelle insulte que reçoit Sara du roi des Gérariens et le secours que Dieu leur donne encore. Eh bien! le juste voyant que tant d'événements contraires succédaient à cette promesse, n'avait aucune inquiétude et ne se demandait point pourquoi toutes ces assurances ne le préservaient pas de mille contrariétés, et pourquoi il restait si longtemps sans enfants. Rempli de piété, il ne voulait pas soumettre les actions de Dieu à la raison humaine, mais il s'y résignait et acceptait avec plaisir tout ce qui plaisait à Dieu.

3902 2. Dix ans après il regarda Ismaël comme l'enfant pour lequel la prédiction devait s'accomplir. Car le patriarche, à la naissance d'Ismaël, avait quatre-vingt-six ans. Mais le bon Dieu exerce encore sa patience pendant treize ans, jusqu'à l'accomplissement de sa promesse. Il savait, en effet, que, l'or se purifiant avec le temps dans la fournaise, la vertu du juste prenait aussi plus de gloire et d'éclat. Quand Abram eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut de nouveau. Et pourquoi cette longue attente? Pour nous faire connaître, non-seulement la vertu du juste et sa patience, mais aussi la grandeur de la puissance divine. Mais il faut entendre les paroles mêmes de Dieu. Quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut et lui dit : Par ces mots lui apparut, n'entendez rien de matériel, et ne croyez pas que les yeux de la chair puissent voir la puissance divine et immuable, mais considérez tout religieusement. Dieu lui apparut, c'est-à-dire, daigna communiquer avec lui, et le jugea digne de sa providence, en s'abaissant jusqu'à lui parler : Je suis ton Dieu, cherche à me plaire et à être irréprochable; je mettrai mon alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment. Et Abram tomba sur sa face. Quelle reconnaissance de la part du juste, quelle bonté de la part de Dieu ! Je suis ton Dieu. C'est comme s'il disait : c'est moi qui ai veillé sur toi jusqu'à présent; c'est moi qui t'ai amené de ton pays jusqu'ici, qui t'ai soutenu dans tous les temps, et qui t'ai rendu vainqueur de tes ennemis : c'est moi qui ai fait cela ! Il ne dit pas je suis Dieu, mais je suis ton Dieu. Voyez quelle immense bonté ! comme par l'addition de ce mot, il exprime son amour pour le juste ! C'est le Dieu de toute la terre, l'ouvrier dont la main a tout fait, le Créateur du ciel et de la terre, c'est lui-même qui dit . Je suis ton (266) Dieu ! quel honneur pour le juste ! c'est ainsi qu'il parle aux prophètes. Sans douté, alors et maintenant, il est le Seigneur de tous, et néanmoins il daigne se désigner par le nom d'un serviteur, et nous l'entendrons dire encore : Je suis le Dieu d' Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. (Ex 3,6) Aussi les prophètes disent d'ordinaire : Dieu, mon Dieu, non pour restreindre dans les limites de leur propre personne, la domination de Dieu, mais pour montrer jusqu'où allait leur amour. Cela ne doit pas nous étonner de la part des hommes, mais de la part de Dieu lui-même cela peut nous paraître étrange et extraordinaire. N'en soyons pas surpris, mes bien-aimés, mais écoutons les paroles du Prophète : Mieux vaut, un seul homme qui observe la volonté du Seigneur, que mille qui la transgressent (Ec 16,3); écoutons,aussi les paroles de saint Paul : Ils portaient des peaux de brebis, de chèvres, ils étaient indigents, tourmentés, affligés, et le monde n'était pas digne de les posséder. (He 11,37-38)

Ainsi le Prophète dit qu'un seul homme faisant la volonté de Dieu vaut mieux que mille qui s'en écartent, et saint Paul, le docteur de la terre, rappelant tous les hommes de bien dont il connaît les souffrances, dit encore : Le monde n'était pas digne de les posséder. D'un côté il met le monde entier, de l'autre ceux qui souffrent pour nous apprendre toute la puissance de la vertu. Aussi le Créateur dit au patriarche : Je suis ton Dieu; cherche â me plaire et à être irréprochable. Je te tiendrai compte des efforts de ta vertu ; je ferai une alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment. Non-seulement je te multiplierai, mais, abondamment, ce qui indique une grande postérité : ce qu'il avait exprimé antérieurement par la comparaison du sable et des astres, il l'exprime maintenant par ce mot abondamment. Ce serviteur pieux et reconnaissant, voyant que Dieu s'abaissait jusqu'à prendre un soin pareil, fut ému en songeant à la faiblesse de sa nature, à la bonté de Dieu, et à sa puissance infinie. Il tomba sur sa face; ce qui montrait bien toute sa reconnaissance. Une pareille faveur ne lui inspira pas d'arrogante ni d'orgueil, mais une nouvelle humilité Il tomba sur sa face. Telle est la véritable reconnaissance qui honore Dieu d'autant plus qu'elle en est plus favorisée. Il tomba sur sa face. Le juste n'osait plus jeter les yeux sur lui-même et sur la faiblesse de sa nature; il n'osait se relever, mais son abaissement montrait son respect : voyez maintenant combien Dieu l'appréciait. Dieu lui parla, disant : J'ai fait une alliance avec toi et tu seras le père d'une multitude de nations: tu ne t'appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t'ai établi pour être le père de plusieurs peuples, et je te ferai croître : je ferai sortir de toi des nations et même des rois.

3903 3. Considérez, mes bien-aimés, la clarté de ces prédictions faites au juste; voyez que pour les confirmer, il ajoute une lettre à son nom, et dit : Tu seras le père d’une multitude de nations : tu ne t'appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t'ai établi pour être le père de plusieurs peuples. En effet, son premier nom indique ses voyages ( car Abram signifie voyageur, comme le savent ceux qui connaissent l'hébreu); ses parents l'avaient appelé ainsi quand il partit pour la terre de Chanaan. On dira peut-être : ses parents étant infidèles, d'où leur venait cette prescience d'indiquer l'avenir par le nom qu'ils donnaient ? C'est là une ressource de la sagesse de Dieu, qui agit souvent par l'entremise des infidèles et nous en trouvons bien d'autres exemples. Le premier qui nous vient à l'esprit est le nom de Noé. Ce n'est pas sans raison, ni au hasard que ses parents lui avaient donné ce nom; ils présageaient que, dans cinq cents ans, devait venir le déluge. Ce n'est pas que son père fût lui-même un juste parce qu'il a donné ce nom à son fils, car l'Ecriture sainte nous apprend que dans cette génération, Noé seul fut un juste accompli. (Gn 6,9) Si son père Lamech lui avait offert le modèle des vertus, l'Ecriture ne l'aurait point passé sous silence, et n'aurait pas dit : Noé seul était juste. Voulant donner un nom à son fils, il dit : Il s'appellera Noé; il nous donnera le repos après nos travaux et la fatigue de nos mains, sur cette terre que le Seigneur Dieu a maudite. (Gn 5,29) D'où venait, dites-moi, cette prescience d'un avenir si éloigné? Il s'appellera Noé; il nous donnera le repos, Noé, en hébreu, signifie, repos. C'était lui, lorsque la terre serait envahie par le déluge, qui devait seul se sauver et renouveler la race humaine aussi est-il dit : il nous donnera le repos; ce mot de repos signifiant ici le déluge. En effet, la terre était comme fatiguée par la perversité (267) de ses habitants qu'elle supportait avec peine, lorsque le déluge, par la terrible invasion des eaux, mit fin à cette perversité, délivra la terre de la souillure de ses habitants et les punit en lui donnant le repos : Car la mort est le repos pour l'homme. (Jb 3,23) Vous voyez donc que Dieu fait souvent prédire même par les infidèles. Quant au nom que les parents du patriarche lui avaient donné, on en sait la cause dès l'origine, lorsqu'il passa le fleuve pour aller dans une terre étrangère.

Maintenant Dieu lui dit : tes parents t'ont donné ce nom pour présager que tu devais venir ici : j'y ajoute une lettre pour t'apprendre que tu seras père d'une multitude de nations. Voyez quelle précision dans ces paroles. Il ne dit pas de toutes les nations, mais : d'une multitude de nations. Comme d'autres peuples devaient être mis à l'écart, pour que la race du juste eût seule part à son héritage, Dieu dit : Je t'ai établi pour être père dune multitude de nations; connaissant toute ta vertu je me servirai de toi pour instruire le monde: je te multiplierai de plus en plus et je ferai sortir de toi des peuples et même des rois. Arrêtons-nous sur ces paroles, mes bien-aimés. En songeant à l'âge du juste et à son extrême vieillesse, nous admirerons sa foi et la puissance de Dieu d'un homme déjà mort, pour ainsi dire, et impuissant en apparence, qui devait avoir toujours la mort devant les yeux, Dieu prédit qu'il sortira une race innombrable et plusieurs nations, même jusqu'à des rois.

Voyez l'étendue de ces promesses : Je te multiplierai de plus en plus. Ce mot est répété pour indiquer l'immense multitude qui doit naître du juste. Ainsi l'addition d'une lettre est comme une colonne où Dieu inscrit sa promesse, et il dit de nouveau : Je ferai une alliance entre toi et moi, et avec ta postérité après toi dans toutes les générations; comme une alliance éternelle, pour que je sois ton Dieu. Non-seulement je t’accorderai ma protection, mais aussi à ta race et après ta mort. Voyez comme il relève d'esprit du juste en lui promettant qu'il soutiendra toujours ses descendants. Et pourquoi cette alliance? Pour que je sois ton Dieu, et celui de ta race après toi. Ce sera pour toi et ta race le comble de l'honneur. Je te donnerai à toi et à ta race la terre que tu habites, toute la terre de Chanaan, en possession perpétuelle, et je serai leur Dieu. Grâce à ta vertu, tes descendants jouiront de ma providence et je leur donnerai en possession perpétuelle cette terre de Chanaan, et je serai leur Dieu. Que veut dire, je serai leur Dieu? Cela signifie : J'étendrai sur eux mes soins et ma protection et je combattrai toujours avec eux. Seulement tu garderas mon alliance, toi et ta postérité après toi dans toutes les générations. Je ne vous demande rien que l'obéissance et la reconnaissance, et j'accomplirai toutes mes promesses.

3904 4. Voulant se faire un peuple à lui des fils du patriarche et les empêcher de se mêler, après qu'ils se seraient multipliés, aux nations dont ils devaient recueillir l'héritage; voulant aussi éviter ce mélange en Egypte, où, d'après sa prédiction, ils devaient être asservis, il ordonne au juste la circoncision, comme signe de reconnaissance, et lui dit : Voici mon alliance que tu garderas entre moi et toi, ainsi que ta race pendant toutes les générations. Que chaque mâle soit circoncis. Vous circoncirez la chair de votre prépuce. Ensuite pour leur enseigner, ainsi qu'à nous tous, la raison de cet ordre, qui n'avait d'autre cause que de se faire un peuple réservé et mis à part, il dit : Ce sera la marque de l'alliance entre moi et vous. Après cela, il indique le temps où cela doit se faire : Circoncisez le garçon de huit jours, le serviteur né dans la maison, ou l'esclave acheté; en un mot, tous ceux qui sont avec vous recevront cette marque. Celui qui n'aura pas été circoncis dans le temps prescrit périra, parce qu'il aura violé mon alliance.

Voyez la sagesse du Seigneur ! comme il connaissait l'imperfection des hommes à venir, il leur impose comme un frein cette marque de la circoncision, pour dompter leurs mauvais penchants et les empêcher de se mêler aux autres nations. Il connaissait leur penchant au mal, et savait que, malgré une foule d'avertissements, leurs mauvaises passions ne seraient point enchaînées. Aussi, comme souvenir impérissable, il leur imposa ce signe de la circoncision, comme un lien qui les soumît à des lois infranchissables, pour rester fidèles à leur nation et ne jamais se mêler aux autres peuples, afin que la race du patriarche restât pure et reçût l'accomplissement des promesses divines. De même qu'un homme doux et sage qui a une servante portée à désobéir, lui donne l'ordre précis de ne point quitter la maison, et que quelquefois même il l'enchaîne pour contenir son instinct vagabond; de même Dieu, dans sa bonté, leur imposa le signe de la circoncision (268) comme une entrave, afin que cette marque particulière les empêchât d'aller rien chercher chez les autres.

Mais les Juifs ingrats et insensés veulent garder encore la circoncision dont il n'est plus besoin, et montrent ainsi leur puérilité. En effet, pour quelle raison, dites-moi, veulent-ils maintenant être circoncis ? Alors ils avaient reçu ce précepte pour ne pas se mêler aux nations impies, mais maintenant que la grâce de Dieu les a toutes amenées à la lumière de la vérité, à quoi sert la circoncision ? Cet enlèvement d'un morceau de chair peut-il servir à délivrer notre âme? N'ont-ils donc pas compris que si Dieu leur disait : ce sera le signe de l'alliance, il voulait dire que leur faiblesse réclamait une marque particulière? C'est ce qui arrive d'ordinaire dans les choses humaines. Quand nous doutons de quelqu'un, nous réclamons une preuve qui nous assure de sa bonne foi. De même le Tout-Puissant, connaissant l'inconstance de leur esprit, exigea d'eux ce signe, non pour le conserver toujours, mais pour qu'il disparût quand la loi antique aurait pris fin et que ce signe serait devenu inutile. Ceux qui ont réclamé une preuve de bonne foi la laissent de côté quand l'affaire est terminée ; de même ici, cette marque avait été introduite parmi vous pour distinguer la postérité du patriarche ; mais après que ces nations dont vous étiez ainsi séparées ont été, les unes détruites, les autres appelées au grand jour de la vérité, cessez de porter la preuve de votre faiblesse et revenez à votre nature primitive. Songez en effet que cet homme admirable, c'est-à-dire le patriarche, avant d'avoir reçu l'ordre de la circoncision (il était alors âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans), avait été agréable à Dieu et avait été mille fois loué par le Seigneur. Maintenant que les promesses allaient s'accomplir, qu'Isaac allait venir au monde, que la race allait s'accroître et que le patriarche approchait de sa fin, il reçoit le précepte de la circoncision, et lui-même s'y soumet à son âge, afin que son exemple devienne une règle pour ses descendants.

3905 5. Les faits eux-mêmes vous montreront, mes bien-aimés, que cet usage ne sert en rien à l'âme. Que dit Dieu? Le garçon de huit jours sera circoncis. Je crois qu'il a eu deux raisons de prescrire ce terme; l'une parce que, dans un âge si tendre, l'opération est moins douloureuse; l'autre, pour indiquer que ce n'est qu'une marque, sans utilité pour l'âme. L'enfant nouveau-né, qui ne connaît et ne comprend rien, quel avantage peut-il en recevoir? Ce qui peut être bon pour l'âme lui arrive par son propre choix. Ce qui est bon pour l'âme, c'est de préférer la vertu au vice, c'est de ne désirer que le nécessaire, et de distribuer le superflu aux indigents; ce qui est bon pour l'âme, c'est de ne pas s'attacher au présent et même de le mépriser, en pensant toujours à l'avenir. Quel bien peut-il y avoir dans un signe charnel? Mais les Juifs ingrats et insensés, quand la vérité a passé, restent encore dans l'ombre; tandis que le Soleil de la justice s'est levé et a répandu partout ses rayons, ils ne s'éclairent qu'à la lueur de leur lampe; lorsqu'il est temps de goûter des aliments solides, ils se nourrissent encore de lait et ne veulent pas entendre la voix de saint Paul, qui leur dit d'une manière si puissante, au sujet de leur patriarche : Il reçut la marque de la circoncision comme le signe de la justice qu'il avait eue par la foi. (Rm 4,11)

Voyez comme l'Apôtre nous montre que ce n'était qu'un signe, et que cette circoncision montrait que sa foi l'avait justifié. Qu'un juif n'ose pas nous dire: n'est-ce point la circoncision qui l'a justifié? le même saint, élevé par Gamaliel (Ac 22,3) et, connaissant si profondément la loi, lui dira : Ne croyez pas, juifs impudents, que la circoncision fasse quelque chose pour justifier, car, avant ce temps, Abraham crut à Dieu et sa foi lui fut réputée à justice. (Rm 4,3) C'est donc après avoir été justifié par sa foi qu'il reçut la circoncision. Dieu commence par ajouter une lettre à son nom, puis lui ordonne de se circoncire, ce qui montre que le Seigneur l'a adopté pour sa vertu, ainsi que sa postérité. De même que celui qui a acheté un esclave, change souvent son nom et son costume, pour constater qu'il en est le maître et qu'il peut lui commander; de même le Seigneur de toutes choses, voulant distinguer le patriarche des autres hommes, ajoute une lettre à son nom pour faire voir qu'il sera père d'une multitude infinie, puis il le fait circoncire pour le séparer, ainsi que son peuple, des autres nations. Ceux dont l'aveuglement veut encore la conserver, n'écoutent pas ces autres paroles de saint Paul : Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien.. (Ga 5,2) En effet, le Seigneur est (269) venu pour supprimer cette pratique, et la loi étant accomplie, l'observation de la loi doit finir; aussi saint Paul dit-il : Si vous vous justifiez par la loi, vous perdez la grâce. (Ga 5,4) Obéissons donc à ce saint, et ne pratiquons plus la circoncision, car il a dit : Vous avez été circoncis, non point dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair; c'est la circoncision du Christ. (Col 2,11)

Ce signe de la circoncision séparait les Juifs des autres nations, et montrait que Dieu les avait choisis en particulier; de même notre circoncision par le baptême montre mieux la séparation des fidèles et des infidèles. Nous ne sommes point circoncis dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair. Car ce que faisait la circoncision de la chair, le baptême le fait en supprimant nos péchés. Une fois que nous nous en sommes dépouillés et que nous avons revêtu la robe de pureté, persévérons, mes bien-aimés, dans cette pureté, et restons supérieurs aux affections de la chair, en embrassant la vertu. Et nous, qui sommes sous la grâce, prenons pour modèle celui qui a vécu sous la loi et même avant la loi. En dirigeant notre vie d'après la sienne, nous mériterons de nous retrouver dans son sein et de jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit à Abraham : « Sara ta femme ne s'appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. »

4000 (Gn 17,15 Gn 22,1)

ANALYSE.

1. Résumé de l'homélie précédente. Bénédiction de Dieu sur Sara qui se nommera désormais Sarra. — 2. La fidélité d'Abraham amplement récompensée. Naissance miraculeuse d'Isaac nettement prédite. — 3 et 4. Exhortation morale.

4001 1. Nous allons vous présenter les restes de la table d'hier, et terminer aujourd'hui ce que nous avions à dire sur la bénédiction et la promesse dont le Tout-Puissant honora le patriarche. Mais dans ces restes de table ne comprenez point des restes matériels : ceux-ci ne ressemblent en rien à ceux d'un festin spirituel. Les uns, quand ils sont refroidis, n'ont plus 1a même saveur pour les convives, et si on les garde un jour ou deux, ils ne peuvent plus servir. Les autres, lorsqu'on les garde un jour ou deux, et tant qu'on veut, servent toujours aussi bien et donnent autant de plaisir. C'est qu'ils sont divins et spirituels, qu'ils ne souffrent rien du temps, qu'ils deviennent de jour en jour plus agréables et causent plus de joie à ceux qui veulent en profiter. Puisque ces restes ont tant d'efficacité, préparez-vous à là recevoir de tout votre coeur, et nous mêmes, confiants dans leur puissance, offrons-les à votre recueillement.

Mais pour que cette instruction vous paraisse plus claire, il faut vous rappeler celle d'hier pour exposer avec ordre ce que nous devons développer. Nous avons parlé hier du précepte de la circoncision, et ces paroles que (270) Dieu adresse au patriarche : Tout mâle sera circoncis chez vous, et ce sera le signe de l'alliance entre moi et vous. Le garçon de huit jours sera circoncis. Et si quelqu'un n'est pas circoncis, son âme périra, parce qu'il aura violé mon alliance (
Gn 17,10-14). Nous avons terminé là ce que nous avons dit de la circoncision; et, afin de ne pas vous fatiguer l'esprit par trop de paroles, nous ne sommes pas allé plus loin. En effet, notre seule intention n'est pas de parler beaucoup et puis de partir; nous voulons mesurer à vos forces l'instruction contenue dans nos discours, afin que vous rapportiez chez vous quelque fruit de nos paroles. Voici donc les restes de ce discours; nous allons voir, après le précepte de la circoncision, ce que le Dieu de bonté dit au patriarche. Et Dieu dit à Abraham : Sara ta femme ne s'appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom (Gn 17,15). De même qu'en ajoutant une lettre à ton nom, j'ai montré que tu serais père de beaucoup de nations, de même j'ajoute une lettre à celui de Sara, afin de faire voir que le temps approche où les promesses que je t'ai faites autrefois seraient accomplies. Sarra sera son nom. Je la bénirai et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il sera le chef d'une nation, et les rois des nations sortiront de lui (Gn 17,15-16). J'ai ajouté une lettre pour t'apprendre que toutes mes paroles vont se réaliser. Ne te décourage pas en songeant à la faiblesse de la nature, mais considère plutôt jusqu'où va ma puissance et prends confiance à ce que j'ai dit : Je la bénirai et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations, et les rois des nations sortiront de lui.

Une pareille prédiction dépassait la nature humaine; c'était comme si l'on avait promis de faire des hommes avec des pierres. Car ils ne différaient en rien des pierres au point de vue de la génération. La vieillesse du patriarche le rendait presque impuissant et incapable d'avoir des enfants; quant à Sara, outre sa stérilité, elle était beaucoup trop avancée en âge. Mais le juste, lorsqu'il entendit ces paroles, était persuadé que Dieu avait déjà réalisé sa promesse à propos d'Ismaël. En effet, dans ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta race, Dieu n'indiquait pas d'une manière précise le fils que Sara devait avoir, Abraham croyait donc que la promesse était déjà accomplie. Maintenant, quand le Seigneur lui dit : Je bénirai Sarra et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations; puis, de plus : les rois des nations sortiront de lui; ne sachant que dire (car un homme aussi pieux ne pouvait douter des paroles de Dieu ), songeant à sa vieillesse et à la stérilité persistante de Sara, anéanti et stupéfait par la promesse de Dieu, il tomba sur sa face et se mit à rire (Gn 17,17).

4002 2. Devant cette promesse inouïe, devant la puissance de celui qui la faisait, il tomba sur sa face et se mit à rire, c'est-à-dire qu'il fut rempli de joie. Il cherchait dans ses réflexions comment il pouvait s'accorder avec l'ordre des choses humaines qu'un centenaire eût un fils et qu'une femme stérile et nonagénaire devînt tout à coup féconde. Telles étaient ses pensées, mais sa langue n'osait les énoncer; seulement il montra sa reconnaissance en priant pour Ismaël, comme s'il disait : Seigneur, vous m'avez assez consolé et vous avez changé en joie par la naissance d'Ismaël la douleur que j'avais d'être sans postérité. Après sa naissance je n'ai jamais cru ni même imaginé que j'aurais un fils de Sara; elle-même ne s'y attendait pas et en avait abandonné toute espérance, puisqu'elle m'avait donné Agar. Nous avons eu tous deux une grande consolation par la naissance d'Ismaël. Que ce fils, qui m'a été donné par vous, vive devant votre face, et nous aurons assez de bonheur; et sa présence consolera notre vieillesse. Que répond à cela ce Seigneur si bon? Comme il avait éprouvé depuis longtemps la piété du juste et la foi de Sara, comme il voyait qu'ils n'attendaient rien d'eux-mêmes, l'un à cause de sa vieillesse, l'autre à cause de son âge et de sa stérilité, il dit, cela vous paraît complètement impossible: c'est pour cela que j'ai attendu si longtemps; vous saurez ainsi que les faveurs dont je dispose sont bien au-dessus de la nature humaine; tout le monde saura comme vous par ces prodiges que je suis le Maître de la nature, qu'elle obéit à toutes mes volontés et cède à tous mes ordres. Moi qui ai tiré l'être du néant, je puis, à bien plus forte raison, corriger la nature quand elle est imparfaite. Pour te donner confiance, écoute et rassure-toi, reçois un gage certain de ma parole. Voici ta femme Sara, que tu crois incapable d'enfanter à cause de sa stérilité et de sa vieillesse : elle te donnera un fils, et pour que tu n'en doutes pas, je te dirai même son nom d'avance. Ton fils encore à naître s'appellera Isaac. Je ferai alliance avec (271) lui pour toujours et avec sa race après lui. C'est lui que je t'ai promis d'abord et dès le commencement, et c'est en lui que mes promesses seront accomplies. Je te préviens de tout cela, non-seulement parce qu'il doit naître, mais pour que tu saches comment tu l'appelleras et que j'ai fait alliance, non-seulement avec lui, mais avec sa race après lui. Ensuite ce Dieu dont les bienfaits dépassent toujours nos prières, ayant ainsi fortifié l'esprit du juste et l'ayant presque rajeuni par ses promesses, puisqu'il l'avait pour ainsi dire ramené, par ses paroles, de la mort à la vie et même à la fécondité, lui dit pour comble de libéralité: J'accomplirai toutes ces promesses et je t'accorderai en outre ce que tu m'as demandé pour Ismaël, car j'ai entendu ta prière. Je le bénirai ; je l'accroîtrai et le multiplierai de plus en plus. Il engendrera douze nations et je l'établirai sur un grand peuple (Gn 17,20). Puisqu'il est ta race, je l'accroîtrai et je le multiplierai abondamment, au point de faire sortir de lui douze nations. Mais je ferai mon alliance avec Isaac, que Sara t'enfantera â cette même époque, dans un an.

Ici, je vous prie, voyez, mes bien-aimés, comment le juste reçut en un instant la récompense de toute sa vie, et comment fut accompli en lui ce que le Christ disait à ses disciples : Celui qui laissera père, mère, famille et frères en mon nom, recevra le centuple et gagnera la vie éternelle. (Mt 19,29) Songez, je vous prie, à notre juste qui obéit sans retard à l'ordre du Seigneur et préféra une autre terre à sa patrie, voyez comme sa résignation continuelle l'éleva peu à peu au comble de la vertu, comme il devint illustre et célèbre et comment le nombre de ses descendants put être comparé à celui des étoiles. Si l'on pouvait calculer à la rigueur, on trouverait que le juste n'a pas été récompensé cent fois, mais dix mille fois. S'il a été honoré jusqu'à présent de tant de bienfaits, quelle voix pourra jamais raconter ceux qui vont suivre? Le mieux est de le dire; autant que possible, d'un seul mot. Si l'on vous dit que tous les justes, depuis cette époque jusqu'à la nôtre et jusqu'à la consommation des temps, n'ont eu et n'auront d'autre désir que de reposer dans le sein du patriarche, que peut-on dire de plus glorieux pour lui ? Vous avez apprécié sa résignation, sa vertu, sa piété et toute, sa reconnaissance pour les bienfaits du Seigneur. Quand il le fallait, il fit tout ce qui dépendait de lui, il accepta tout de bonne grâce, le plaisir et le déplaisir; aussi le Dieu de bonté lui accorda enfin le premier de tous les biens, celui qu'il désirait par-dessus tout. Remarquez, en effet, qu'il a éprouvé pendant vingt-quatre ans la vertu du juste ! Car lorsqu'il sortit de Charran pour obéir au Seigneur, il avait soixante-quinze ans, et maintenant, quand Dieu lui parla encore, il ne lui fallait qu'un an pour être centenaire.

4003 3. Que cette histoire, mes bien-aimés, nous apprenne à être toujours résignés, et à ne jamais nous laisser abattre ni décourager par les épreuves de la vertu ; comprenons par là toute la bonté et la générosité du Seigneur qui, pour une petite offrande, nous accorde une grande récompense, non-seulement par les biens immortels de l'avenir, mais en nous comblant de ses faveurs pour soulager notre faiblesse dans ce monde. Ainsi notre patriarche, pendant cet espace de temps, eut sans doute à supporter de rudes épreuves, mais ses adversités étaient toujours entremêlées de moments heureux. Car le Tout-Puissant, indulgent pour notre faiblesse, ne nous abandonne pas au milieu des adversités qu'il nous serait impossible de supporter; il se bâte de venir à notre secours, il ranime notre courage et rappelle notre raison ; de même il ne nous laisse pas trop longtemps dans la prospérité qui nous rendrait négligents et favoriserait nos mauvaises inclinations. En effet, la nature humaine, au milieu de la prospérité, s'oublie quelquefois, et sort des bornes qui lui conviennent; aussi notre Père qui nous aime, tantôt nous favorise et tantôt nous éprouve, afin de veiller,de toute manière à notre salut. De même qu'un médecin, lorsqu'il soigne un malade, ne le soumet pas toujours à la diète et ne lui laisse pas toujours satisfaire sa faim, de peur que son avidité n'augmente sa fièvre ou que la privation ne l'affaiblisse; il ménage les forces du malade, et il emploie tout son art à lui être utile. C'est ainsi que le bon Dieu, sachant ce qui convient à chacun de nous, tantôt nous fait jouir de la prospérité, tantôt nous soumet à des épreuves pour nous exercer à la vertu. Ceux dont le mérite est déjà digne d'éloges brillent d'un nouvel éclat au milieu des épreuves et reçoivent une nouvelle grâce d'en-haut; en même temps les pécheurs qui acceptent de bon coeur ces épreuves, sont délivrés du fardeau de leurs péchés, et obtiennent leur pardon. Aussi (272) je vous en supplie, connaissant l'intelligence et la sagesse du médecin de nos âmes, ne discutons jamais les soins qu'il nous donne. Si notre esprit ne peut les comprendre, c'est une raison de plus pour admirer les desseins de Dieu et de glorifier le Seigneur, dont notre raison et la pensée humaine ne peut apprécier la sagesse. Nous ne savons pas aussi bien que lui ce qui nous convient; nous ne veillons pas à notre salut comme il y veille lui-même, car il fait tous ses efforts pour nous attirer à la vertu et nous sauver des mains du démon. S'il voit que la prospérité ne nous est pas avantageuse, il fait comme un bon médecin qui nous soigne dans l'obésité produite par notre gourmandise et qui nous guérit par la sobriété. De même cet admirable médecin de nos âmes permet que nous soyons un peu éprouvés pour nous faire comprendre les dangers de la prospérité, mais quand il voit que nous sommes revenus à la santé, il nous délivre de nos épreuves et nous accorde ses faveurs avec abondance. Si donc des personnes vertueuses sont soumises à quelques épreuves, qu'elles ne s'en troublent pas, mais qu'elles en conçoivent une meilleure espérance, et qu'elles les regardent comme l'origine de couronnes et de récompenses nouvelles. Si des pécheurs tombent dans l'adversité qu'ils ne se révoltent point, sachant que les péchés sont purifiés par le malheur, pourvu qu'on accepte tout de bonne grâce. En effet, un serviteur reconnaissant doit remercier son maître, non-seulement quand il en reçoit tout à souhait, mais aussi dans les privations. C'est ainsi que le patriarche devint illustre et fut honoré de la faveur de Dieu qui lui prodigua des bienfaits au-dessus de la nature humaine.

4004 4. Il faut maintenant reprendre la suite de notre discours et remarquer l'obéissance du juste . qui exécuta l'ordre de Dieu sans en rechercher la raison et sans en demander la cause, comme font tant d'insensés qui discutent les oeuvres de Dieu, ét disent pourquoi ceci ? pourquoi cela? à quoi sert ceci, à quoi sert cela? Tel n'était pas le juste; comme un serviteur dévoué, il accomplit l'ordre sans chercher au delà, vous allez encore le voir par ce qui suit. Après que le Seigneur lui eut fait la promesse et eut achevé de lui parler, le juste fit aussitôt ce qui lui était commandé, et cette marque exigée par Dieu, c'est-à-dire la circoncision, il la fit aussitôt subir à Ismaël et à tous les serviteurs nés à la maison ou achetés à l'étranger. Lui-même fut circoncis. Il avait quatre-vingt-dix-neuf ans, quand il coupa la chair de son prépuce. Ismaël avait alors treize ans. Ce n'est pas sans raison que l'Ecriture rapporte ici le nombre de ses années; c'est pour montrer la grande obéissance du juste qui était alors dans l'extrême vieillesse et qui supporta volontiers la douleur pour accomplir l'ordre de Dieu; aussi on compte non-seulement lui, mais Ismaël et tous ses serviteurs; l'opération dut être pénible. Ce n'est pas la même chose, . mes bien-aimés, de couper une chair saine et une chair malade; quand les médecins coupent un membre malade la douleur n'est pas si grande, car ce membre, déjà mort pour ainsi dire, n'a plus qu'un reste de sensibilité au moment de l'amputation. Or, ce vieillard si avancé en âge, car il touchait à ses cent ans, supporta volontiers cette douleur, afin d'obéir à Dieu; en même temps il disposa son fils et ses serviteurs à montrer sans hésitation la même obéissance. Voyez, quelle vertu chez cet homme, et comme il engage toute sa maison à suivre ses traces. Ce que je disais hier, je le répète aujourd'hui; à partir de ce moment Dieu voulut que cette opération fût pratiquée sur les enfants en bas-âge, afin qu'elle fût moins douloureuse.

Considérez, mes bien-aimés, la bonté de Dieu et son ineffable bienfaisance à notre égard. Cette circoncision entraînait de la douleur et de la gêne; du reste elle n'avait d'autre avantage que de faire reconnaître ceux qui l'avaient reçue et de les séparer des autres na.. tions. Notre circoncision, je veux dire la grâce du baptême, nous guérit sans douleur et nous procure des biens innombrables; elle nous remplit de la grâce du Saint-Esprit et peut se faire à toutes les époques. On peut pratiquer dans l'enfance, dans l'âge mûr et dans la vieillesse cette circoncision immatérielle et inoffensive qui nous délivre de nos péchés et nous fait obtenir la rémission de ceux de toute notre vie.. Le bon Dieu, voyant l'excès de notre faiblesse, et reconnaissant que nos maux incurables réclamaient un remède héroïque, ainsi qu'une suprême indulgence, prit soin de notre salut et nous accorda de laver ainsi nos péchés et de régénérer notre âme ; par là, nous dépouillons le vieil homme, c'est-à-dire les oeuvres du mal, et nous revêtons l'homme nouveau, en marchant dans la route de la vertu. Mais, je vous en conjure, ne restons pas inférieurs (273) aux Juifs, ingrats et insensés. Ceux-ci, ayant reçu la marque de la circoncision, avaient grand soin de ne pas ressembler aux autres nations; du moins de ne pas avoir- de relations avec elles; car, quant à l'impiété, ils les dépassaient quelquefois. Pour nous, quand nous avons reçu le baptême, au lieu de circoncision, veillons avec soin sur notre conduite. Sans doute nous pouvons nous mêler aux infidèles, mais en restant- fidèles à nos vertus, et nous ne devons communiquer avec eux que pour les attirer à la piété et afin que l'exemple de nos bonnes oeuvres soit un enseignement pour eux. Aussi le Tout-Puissant a permis ce mélange des bons et des méchants, des hommes pieux et des impies, afin que les méchants profitent avec les bons et que les impies soient amenés à la piété; car Dieu n'a rien tant à coeur que le salut de notre âme. Aussi, je vous en conjure, ne négligeons pas notre salut, ni celui du prochain; faisons tout ce qui dépend de nous pour que notre conduite plaise à Dieu; quant au prochain, faisons tellement éclater notre vertu que, même en gardant le silence, notre exemple soit une leçon pour tous ceux qui peuvent nous voir. Si nous sommes vertueux, nous en retirerons un grand avantage, et en même temps nous serons utiles aux infidèles ; de même, si nous négligeons notre conduite, nous en serons sévèrement punis, et nous deviendrons pour les autres une occasion de scandale. Ainsi, lorsque nous pratiquons la vertu, nous en sommes deux fois récompensés par Dieu, d'abord pour notre compte et ensuite à cause de ceux que nous engageons à la pratiquer aussi; de même, si nous faisons le mal, nous serons punis, non-seulement pour nos propres péchés, mais pour ceux où nous entraînons les autres. A Dieu ne plaise qu'aucune des personnes présentes se trouve dans cette situation; mais réglons notre conduite de manière à édifier ceux qui nous voient, afin de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ et mériter ses biens infinis ; puisse-t-il en être ainsi pour nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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QUARANTE-UNIÈME HOMÉLIE. « Dieu apparut à Abraham, près du chêne de Mambré, lorsqu’il était assis à la porte de sa tente à midi. »


Chrysostome sur Gn 3900