Bernard Amour de Dieu 8014

CHAPITRE V. Obligation d'aimer Dieu, particulièrement pour les chrétiens.

8014 14. Quand on pense à tout cela, on comprend facilement pourquoi on doit aimer Dieu et quels droits il a à notre amour. S'agit-il de l'infidèle? comme il ne connaît pas Dieu le Fils, il est dans la même ignorance sur le Père et sur le Saint-Esprit; et de même qu'il ne rend pas gloire au Fils, il ne saurait glorifier le Père qui l'a envoyé ni le Saint-Esprit qui est un don du Fils; il tonnait Dieu moins que nous, il n'est donc pas étonnant qu'il l'aime moins; toutefois il n'ignore pas qu'il se doit tout entier à celui dont il sait qu'il a reçu l'existence. Mais que sera-ce pour moi? car je ne puis l'ignorer, non-seulement Dieu m'a donné l'être sans que je l'eusse mérité; non-seulement il pourvoit avec largesse à mes besoins, il me console avec bonté et me gouverne avec sollicitude, mais encore il est l'auteur de ma rédemption et de mon salut éternel; il est pour moi un trésor et la source de la gloire. Nous lisons en effet; «On trouve en lui une miséricorde abondante (Ps 129,7),» et . «Il est entré une fois dans le Saint des saints, Après avoir acquis par l'effusion de son sang une rédemption éternelle (),» - «Il nous garde, comme il est écrit; il n'abandonnera pas, mais il conservera éternellement ses saints (Ps 36,18).» Il nous enrichit; il est dit, en effet: «On versera dans votre sein une bonne mesure, bien pressée, bien entassée, qui se répandra par-dessus les bords (Lc 7,38).» Et ailleurs encore: «L'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a point entendu, le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (1Co 2,9).» Il nous comble de gloire; car, suivant l'Apôtre: «Nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps, maintenant vil et abject, et le rendra pareil au sien qui est plein d'éclat (Ph 3,21),» et encore: «Les souffrances de la vie présente sont hors de proportion avec la gloire qui éclatera un jour en nous (Rm 8,18).» Et ce moment si court, si fugitif des afflictions de la vie actuelle produit en nous; si au lieu d'arrêter nos regards sur les choses visibles nous les reportons sur celles qui sont invisibles, le poids d'une éternité de gloire incomparable (2Co 4,17).»
8015 15. Que rendrai-je donc au Seigneur pour tout cela? La raison et la justice naturelle me font une obligation pressante de me donner tout entier à celui de qui j'ai reçu tout ce que je suis, et de consacrer tout mon être à l'aimer. La foi me dit aussi d'avoir pour lui un amour d'autant plus grand que je comprends mieux combien je dois l'estimer plus que moi-même, car si je tiens de sa munificence tout ce que je suis, je lui dois aussi le don de lui-même. Enfin le jour de la foi chrétienne n'avait pas lui encore, un Dieu ne s'était pas encore montré revêtu de notre chair, il n'était ni mort sur la croix, ni descendu dans le sépulcre, ni remonté vers son Père; il n'avait, dis-je, pas encore fait éclater toute l'étendue de son amour pour nous, de cet amour dont je me suis complu à vous parler plus haut, que déjà l'homme avait reçu l'ordre d'aimer le Seigneur son Dieu, de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, c'est-à-dire de tout son être, de tout l'amour dont il est capable, en tant qu'il est une créature douée de force et d'intelligence. Ce n'était certes pas une injustice, de la part de Dieu, de réclamer son oeuvre et ses dons. Pourquoi en effet l'ouvrage n'aimerait-il pas celui qui l'a fait, s'il en a reçu le pouvoir d'aimer, et, pourquoi ne l'aimerait-il pas de toutes ses forces s'il n'a reçu que de lui toutes celles qu'il a? Ajoutez à cela qu'il a été tiré du néant sans aucun mérite antérieur, pour être ensuite élevé en dignité; l'obligation d'aimer Dieu vous en paraîtra d'autant plus évidente et ses droits à notre amour d'autant plus fondés. D'ailleurs, n'a-t-il pas mis le comble à ses bienfaits et à ses miséricordes, lorsqu'il nous a sauvés, quand nous étions tombés au rang des animaux (Ps 48,13)? En effet, par le péché nous étions déchus du rang honorable qui était le nôtre, pour devenir semblables au boeuf qui broute dans les champs, et aux animaux privés de la raison. Si donc je me dois tout entier à mon Créateur, que ne dois-je pas de plus à mon Réparateur, et à un tel réparateur? Il lui fut beaucoup moins facile de me réparer que de me créer; car, pour donner l'être non-seulement à moi, mais encore à tout ce qui existe, l'Ecriture rapporte «qu'il n'eut qu'à parler et tout fut fait (Ps 148,5).» Mais pour réparer l'être qu'il m'avait, d'un seul mot, donné si complet, que de paroles il a dû prononcer, que de merveilles il a dû opérer, que de traitements cruels, ce n'est pas assez dire, que de traitements indignes il lui a fallu souffrir! «Que rendrai-je donc au Seigneur, en reconnaissance de tout ce qu'il a fait pour moi (Ps 115,12)?» Quand il m'a créé, il m'a donné à moi-même; mais il m'a rendu à moi-même quand il s'est donné à moi; donné d'abord, rendu ensuite, je me dois donc pour moi et je me dois deux fois. Mais que rendrai-je à Dieu pour lui? Car si je pouvais me donner mille fois, que serait-ce en comparaison de Dieu?



CHAPITRE VI. Récapitulation sommaire des chapitres précédents.

8016 16. Reconnaissez donc d'abord dans quelle mesure Dieu mérite d'être aimé, ou plutôt, comprenez qu'il doit l'être sans mesure. En effet, pour me résumer en peu de mots, il nous a aimés le premier, lui si grand, nous si petits; il nous aimés avec excès, tels que nous sommes, et avant tout mérite de notre part; voilà pourquoi j'ai dit, en commençant, que la mesure de notre amour pour Dieu est d'excéder toute mesure; d'ailleurs, puisque l'objet de notre amour est immense, infini (car Dieu est tel), quels doivent être, je le demande, le terme et la mesure de notre amour pour lui? De plus, notre amour n'est pas gratuit; c'est le payement d'une dette que nous avons contractée. Enfin, quand c'est l'Être immense et éternel, l'amour même par excellence, quand c'est un Dieu dont la grandeur est sans bornes, la sagesse incommensurable, la paix au-dessus de tout sentiment et de toute pensée; quand, dis-je, c'est un tel Dieu qui nous aime, garderons-nous à son égard quelque mesure dans notre amour? Je vous aimerai donc, Seigneur, vous qui êtes ma force et mon appui, mon refuge et mon salut, vous qui êtes pour moi tout ce qui peut se dire de plus désirable et de plus aimable. Mon Dieu et mon soutien, je vous aimerai de toutes mes forces non pas autant que vous le méritez, mais certainement autant que je le pourrai, si je ne le puis autant que je le dois, car il m'est impossible de vous aimer plus que de toutes mes forces. Je ne vous aimerai davantage qu'après que vous m'aurez fait la grâce de le pouvoir, et ce ne sera pas encore vous aimer comme vous le méritez. Vos yeux voient toute mon insuffisance, mais je sais que vous inscrivez, dans votre livre de vie,tous ceux qui font ce qu'ils peuvent, lors même qu'ils ne peuvent tout ce qu'ils doivent. J'en ai dit assez, si je ne me trompe, pour montrer comment Dieu doit être aimé, et par quels bienfaits il a mérité notre amour. Je dis par quels bienfaits, car pour leur excellence, qui pourrait la comprendre, qui pourrait l'exprimer, qui pourrait la sentir?



CHAPITRE VII. Avantages et récompense de l'amour de Dieu. Les choses de la terre ne peuvent satisfaire le coeur de l'homme.

8017 17. Voyons maintenant quel avantage il y a pour nous dans l'amour de Dieu. Oui, voyons, mais que rapport y a-t-il entre ce que nous verrons et ce qui est? Pourtant, il ne faut pas le passer sous silence, bien que notre regard ne puisse embrasser toute la vérité. Nous nous sommes demandé plus haut pour quel motif et dans quel mesure il faut aimer ré Dieu, et nous avons dit que cette question, pour quels motifs faut-il l'aimer, se présente sous deux points de vue, car on peut l'entendre de cette manière, quels droits Dieu a-t-il à notre amour; ou de cette autre, quel avantage trouvons-nous à l'aimer? Nous avons parlé, du mieux que nous avons pu, sinon d'une manière digne de Dieu, des droits qu'il possède à notre amour: nous ferons de même pour les avantages que nous trouvons dans cet amour; car si nous devons aimer Dieu, sans nous préoccuper de la récompense, nous n'en sommes pourtant pas moins récompensés pour l'avoir aimé. La vraie charité ne peut demeurer sans salaire, et pourtant elle n'est point mercenaire, car elle ne recherche pas son intérêt (1Co 13,5); l'amour est un mouvement de l'âme et non pas un contrat; il ne s'acquiert point en vertu d'une convention, et n'acquiert rien non plus par cette voie; il est tout spontané dans ses mouvements et il nous rend semblables à lui: enfin le véritable amour trouve sa satisfaction en lui-même. Sa récompense est dans l'objet aimé; car, quel que soit l'objet qu'on paraisse aimer, si on l'aime en vue d'un autre, c'est véritablement cet autre qu'on aime et non pas celui dont le coeur se sert pour l'atteindre. C'est ainsi que saint Paul ne prêche pas l'Évangile, pour se procurer de quoi manger, mais il mange afin de pouvoir prêcher l'Évangile; car ce qu'il aime, ce n'est pas la nourriture qu'il prend, mais l'Évangile qu'il annonce (1Co 9,18). Le véritable amour ne recherche point de récompense, mais il en mérite une; il est bien certain qu'on ne propose point à celui qui aime de le récompenser de son amour, mais il mérite d'être récompensé et il le sera s'il continue d'aimer. Enfin, dans un ordre de choses moins élevé, on excite à les faire, par les promesses de récompenses, non pas ceux qui s'y portent d'eux-mêmes, mais seulement ceux qui ne s'y prêtent qu'avec peine. A qui la pensée est-elle jamais venue d'offrir à quelqu'un une récompense pour lui faire faire ce qu'il brûle de faire? Assurément, on ne donne pas de l'argent à un homme mourant de faim et de soif, pour l'engager à manger ou à boire, non plus qu'à une véritable mère, pour lui faire allaiter le fruit de ses entrailles, et on n'emploie ni prières ni promesses, pour engager quelqu'un à entourer sa vigne d'une haie, à remuer la terre au pied de ses arbres ou à relever le pignon de sa maison. A bien plus forte raison, celui qui aime Dieu n'a-t-il pas besoin d'y être excité par l'appas d'une récompense qui n'est pas Dieu lui-même; autrement, ce ne serait pas Dieu qu'il aimerait, ce serait la récompense.
8018 18. Il est dans la nature de tout être raisonnable de désirer, chacun selon sa pente et sa manière de voir, ce qui lui semble mieux que ce qu'il possède, et de n'être jamais satisfait d'une chose qui manque précisément de ce qu'il voudrait trouver en elle. Citons des exemples: Si un homme qui possède une belle femme, en voit une plus belle, son coeur la désire, son regard la convoite; s'il a un habit précieux il en désire un plus somptueux encore; et quelques richesses qu'il ait, il porte en vie à ceux qui sont plus riches que. lui. Ne voit-on pas tous les jours des hommes riches en terres et en propriétés acheter de nouveaux champs, et, dans leurs convoitises sans fin reculer continuellement les bornes de leurs domaines? Ceux qui habitent dans des demeures royales, dans de vastes palais, ne cessent d'ajouter tous les jours de nouveaux édifices aux anciens; poussés par une curiosité inquiète, ils ne font qu'édifier et détruire, changer les ronds en carrés. Si nous passons aux hommes qui sont comblés d'honneurs, ne les voyons-nous pas constamment aspirer de toutes leurs forces et avec une ambition de plus en plus difficile à satisfaire, à s'élever plus encore? Il n'y a pas de fin à tout cela, parce que dans toutes ces choses, on ne saurait trouver un point qui fût proprement le plus élevé et le meilleur. Mais faut-il s'étonner que ceux qui ne peuvent s'arrêter tant qu'ils ne possèdent pas ce qu'il y a de plus grand et de plus parfait, ne soient jamais satisfaits de ce qui est moins bon et moins élevé? mais ce que je trouve insensé au delà de toute expression, c'est qu'on désire toujours des choses qui ne sauraient jamais, je ne dis pas satisfaire, mais simplement endormir nos convoitises. Quoi qu'on possède, on n'en désire pas moins ce qu'on n'a pas encore, et c'est toujours après ce qui nous manque que nous soupirons davantage. Aussi qu'arrive-t-il de là? C'est que notre coeur, en cédant aux charmes variés et trompeurs du siècle, se fatigue inutilement dans sa course et n'arrive point à se rassasier; il est toujours affamé et ne compte pour rien ce qu'il a consommé en comparaison de ce qui lui reste encore à manger; il est bien plus tourmenté par le désir de ce qui lui manque que satisfait de ce qu'il possède. On ne peut tout avoir, et le peu qu'on a, on ne l'acquiert qu'au prix du travail, on n'en jouit qu'avec crainte, et l'on a la douloureuse certitude de le perdre un jour, bien qu'on ignore quel sera ce jour. Voilà donc la voie que suit une volonté pervertie qui tend vers le souverain bien; c'est en suivant cette direction, qu'elle se hâte d'atteindre ce qui doit la satisfaire; ou plutôt, c'est dans ces détours que la vanité se joue d'elle-même et que l'iniquité se trompe. Si on veut ainsi atteindre au but qu'on se propose et acquérir enfin ce dont la possession met le comble à tous les voeux, pourquoi chercher de tant d'autres côtés? C'est s'écarter du droit chemin, et la mort arrivera bien avant qu'on ait atteint le but désiré.
8019 19. C'est dans tous ces détours que s'égarent les impies qui cherchent, par un mouvement naturel, à satisfaire leur appétit et négligent, comme des insensés, les moyens d'arriver à leurs fins; je veux dire, à être consommés et non pas consumés. Or, ils se consument en de vains efforts et n'arrivent pas à un bonheur consommé; car, ils sont plus épris des créatures que du Créateur, et, ils s'adressent à elles toutes et les essayent les unes après les autres, avant de songer à essayer du Seigneur qui les a toutes faites. C'est là qu'ils en viendraient bien certainement, s'ils pouvaient un jour arriver au terme de leurs voeux, c'est-à-dire à posséder l'univers entier, moins celui qui en est l'auteur, et cela se ferait en vertu même de la loi de leurs convoitises, qui leur fait oublier ce qu'ils ont, pour aspirer après ce qui leur manque; maîtres de tout ce qui est dans le ciel et sur la terre, ils ne tarderaient pas à trouver cela insuffisant et ils rechercheraient enfin celui qui leur manque encore pour qu'ils aient tout, c'est-à-dire Dieu lui-même. Arrivés là, ils goûteraient enfin le repos; car, si on ne peut le trouver en deçà de ce terme, on ne saurait non plus éprouver le besoin d'aller au delà; quiconque s'y trouverait ne pourrait donc manquer de s'écrier: «Mon bonheur c'est d'être attaché à Dieu (Ps 72,28):» ou bien, «Qu'y a-t-il pour moi dans le ciel, et que désirai-je sur la terre, hors de vous, ô mon Dieu (Ps 72,25)?» et encore: «Seigneur, vous êtes le Dieu de mon coeur, et mon partage pour l'éternité Ps 72,26).» Voilà donc, ainsi que je l'ai dit plus haut, comment on arriverait au souverain bien, si on pouvait d'abord goûter de tous les biens qui se trouvent moindres que lui.
8020 20. Mais il est absolument impossible de procéder de cette manière, la vie est trop courte pour cela, les forces nous manquent et le nombre de ceux qui partagent notre sort est trop considérable. Aussi, quiconque veut essayer de toutes les créatures, prend-il une peine inutile, car dans la longue voie où il s'engage, il ne saurait arriver au terme et goûter à tout ce qui peut exciter ses convoitises. Pourquoi ne pas faire tous ces essais en esprit, plutôt qu'en réalité? ce serait plus facile et plus avantageux; l'esprit a reçu une activité et une perspicacité plus grandes que le coeur, précisément afin de pouvoir le devancer en tout, et pour que le coeur n'ait pas l'imprudence de s'attacher à ce que l'esprit qui va plus vite que lui n'a pas commencé par trouver utile. C'est pour cela, selon moi, qu'il est écrit: «Eprouvez tout et ne retenez que ce qui est bon (1Th 5,21),» afin que le premier prépare le terrain à l'autre, et que le coeur ne s'attache qu'en conséquence du jugement que l'esprit aura porté. On ne peut autrement s'élever jusqu'au sommet de la montagne du Seigneur (Ps 23,3) et se reposer dans son sanctuaire, car c'est en vain qu'on possède une âme, c'est-à-dire une âme raisonnable, puisqu'à l'exemple des bêtes on l'abandonne à l'impulsion venue des sens, pendant que la raison se tait et n'oppose aucune résistance. Ceux dont la raison n'éclaire point la marche, n'en courent pas moins, mais ils sont hors de la voie, et, en dépit du conseil de l'Apôtre, ils ne courent pas de manière à remporter le prix (1Co 9,24); en effet, quand pourraient-ils l'obtenir, s'ils n'en veulent qu'après avoir obtenu tout le reste? C'est prendre une voie bien détournée et s'engager dans un circuit sans fin que de vouloir essayer de tout en commençant par le commencement.
8021 21. Ce n'est pas ainsi que procède le juste. Frappé du blâme adressé à la multitude de ceux qui se sont engagés dans ces détours, car le chemin qui conduit à la mort est large et fréquenté par la foule, il préfère la voie royale qui ne s'écarte ni à gauche ni à droite, selon ces paroles du Prophète; «le sentier du juste est droit, et le chemin qu'il suit est sans détours (Is 26,7).» Il prend en effet la voie la plus courte, pour éviter sagement les longs et inutiles détours, et il goûte un mot aussi simple que simplifiant, ne point désirer ce qu'on voit, vendre ce qu'on a et le donner aux pauvres car bienheureux sont certainement les pauvres, puisque le royaume, des cieux est à eux (Mt 5,3); il sait bien que tous ceux qui courent dans le stade n'arrivent pas au même rang (1Co 9,24). Enfin le Seigneur connaît et approuve la voie que suit le juste (Ps 1,6), il tonnait aussi celle du pécheur qui ne peut que périr; l'un est plus heureux dans sa médiocrité que l'autre au milieu de ses immenses richesses (Ps 36,16), car, le Sage l'a dit et l'insensé l'a éprouvé «ceux qui aiment l'argent n'en ont jamais assez (Qo 5,9), ceux-là seuls qui ont faim et soif de la justice sont certains d'être rassasiés un jour (Mt 5,6);» un esprit raisonnable fait de la justice son aliment vital et naturel, quant à l'argent, l'âme ne s'en nourrit pas plus que le corps de l'air du temps. Si on voyait un homme, que la faim dévore, humer l'air à pleine bouche, en aspirer les bouffées à longs traits, pour se rassasier, on le regarderait comme un fou; ainsi en est-il de ceux qui pensent rassasier l'âme, quand ils ne font que la gonfler par toutes les choses corporelles qu'ils lui donnent en effet, qu'importent ces choses-là pour un esprit? Il ne s'en nourrit pas plus que le corps des choses spirituelles. O mon âme, bénis le Seigneur qui te comble de biens et remplit tous tes voeux (Ps 102,1); il te prodigue ses biens, et, en même temps, il t'excite au bien, il te fixe dans le bien. Il te prévient, il te soutient, il te comble; il allume les désirs en toi, et l'objet, pour lequel il les enflamme, c'est lui-même.
8022 22. Je l'ai dit, le motif de l'amour de Dieu c'est Dieu même, et j'ai eu raison de le dire, il est en effet la cause en même temps efficiente et finale de notre amour. Car c'est lui qui fait naître l'occasion de l'amour, lui qui en allume les ardeurs et lut encore qui en comble les désirs. Il fait que nous l'aimions, ou plutôt, il est tel qu'il ne peut point ne pas être l'objet de notre amour; il l'est aussi de notre espérance: si nous ne comptions avoir le bonheur de l'aimer un jour, nous l'aimerions maintenant en vain. Son amour prépare et récompense le nôtre. Dans sa bonté excessive il commence par nous prévenir, puis il réclame de nous un bien juste retour, et, dans l'avenir, il nous réserve les plus douces espérances. Il est riche pour tous ceux qui l'invoquent; néanmoins, ,dans toute sa richesse, il n'a rien qui vaille mieux que lui. Il est le terme de nos mérites et notre récompense, il est l'aliment des âmes saintes et la rançon de celles qui sont captives. Si vous êtes déjà pour l'âme qui vous cherche (Lm 3,25), une source de félicité, qu'êtes-vous donc, Seigneur, pour celle qui vous a trouvé? Mais ce qui doit paraître étrange, c'est qu'on ne saurait vous chercher si déjà on ne vous a trouvé, si bien que vous voulez qu'on vous trouve pour qu'on vous cherche et qu'on vous cherche afin qu'on vous trouve: mais si on peut vous chercher et vous trouver, nul ne peut vous prévenir; car, si nous disons: «Dès le matin ma prière vous préviendra, Seigneur (Ps 87,14),» il n'en est pas moins certain qu'elle serait bien tiède, si votre inspiration, ô mon Dieu, ne commençait par la prévenir elle-même. Nous avons dit la consommation de l'amour ale Dieu, disons maintenant quels en sont les commencements.




CHAPITRE VIII. Nous commençons par nous aimer pour nous-mêmes; c'est, pour nous, le premier degré de l'amour.

8023 23. L'amour est une des quatre (a) affections naturelles que tout le es monde tonnait et qu'il est par conséquent inutile de nommer. Or ce qui est naturel et ce qui serait juste, ce serait avant tout d'aimer l'auteur de la nature: aussi le premier et le plus grand commandement est-il celui-ci: «Vous aimerez le Seigneur votre Dieu (Mt 22,37).» Mais la nature est trop molle et trop faible pour un tel précepte, aussi commence-t-elle par s'aimer elle-même; c'est cet amour qu'on appelle charnel, et dont l'homme s'aime avant toute autre chose et pour lui, ainsi qu'il est écrit: «Ce n'est pas le spirituel mais le charnel qui commence (1Co 15,46).» Ce n'est pas en vertu d'un précepte que les choses se passent de la sorte, c'est le fait de la nature. En effet, vit-on jamais quelqu'un haïr sa propre chair (Ep 5,29)? Mais si cet amour glisse trop sur sa pente, comme cela arrive ordinairement, s'il se répand un peu trop, s'il sort du lit de la nécessité et s'épanche au loin dans les champs de la volupté, comme un fleuve dont les eaux se gonflent et débordent; aussitôt s'élève pour le contenir, la digue du précepte qui nous ordonne «d'aimer le prochain comme nous-mêmes (Mt 22,27).» Quoi de plus juste, en effet, que celui qui partage notre nature, en partage aussi les sentiments dont elle est la source commune? Si donc il en coûte trop à un homme de songer, je ne dis pas aux besoins de ses frères, mais à leurs plaisirs, qu'il se modère lui-même à l'endroit des siens propres; autrement il se mettra dans son tort. Qu'il pense à lui tant qu'il le voudra, pourvu qu'il soit pour autrui ce qu'il est pour lui-même. Tels sont, ô homme, le frein et la juste mesure que t'impose la loi de ton être et de ta conscience afin que tu ne t'emportes pas au gré de tes convoitises et que tu ne courres pas à ta perte (Si 18,30), en mettant les biens de la nature au service des ennemis de ton âme, c'est-à-dire de tes passions. Il vaut bien mieux que tu les fasses partager à ton semblable, c'est-à-dire à ton prochain, qu'à ton ennemi. Mais si, d'après le conseil du Sage (Ibidem), l'homme renonce à ses passions, se contente, suivant la doctrine de l'Apôtre, de la nourriture et du vêtement (1Tm 6,8), et se résigne volontiers à moins aimer les choses de la chair qui combattent contre l'esprit (), il n'aura pas de peine, je pense, à donner à

a Saint Bernard, avec les anciens et les auteurs profanes, ne reconnaît, en plusieurs endroit de ses écrits, que quatre affections principales, l'amour, la crainte, la joie et la tristesse. Voir le sermon II du mercredi des Cendres, n. 3, et passim.

son semblable ce qu'il refuse à l'ennemi de son âme. Son amour se trouvera maintenu dans les limites de la justice et de la modération, dès l'instant où il consacrera aux besoins de ses frères tout ce qu'il refuse à ses propres passions. C'est ainsi que l'amour personnel devient un amour fraternel, en se répandant au dehors.
8024 24. Mais si, pendant qu'on partage avec le prochain, on vient soi-même à manquer du nécessaire, que faut-il faire? Rien autre chose que prier avec confiance celui qui donne à tous libéralement, sans jamais reprocher ses dons (Jc 1,5), qui ouvre une main généreuse et remplit de ses biens tous les êtres vivants (Ps 144,16); car on ne peut douter que celui qui ne refuse pas même le superflu à la plupart des hommes, ne vienne volontiers en aide à ceux qui sont dans le besoin. Car il a dit: «Commencez par rechercher le royaume de Dieu et sa justice, ensuite tout le reste vous sera donné comme par surcroît (Lc 12,31), u il s'est ainsi engagé à donner le nécessaire à celui qui restreint son superflu et aime son prochain; c'est en effet chercher d'abord le royaume de Dieu et implorer son secours contre la tyrannie du péché que de supporter le joug de la pureté et de la sobriété, plutôt que de permettre au péché de régner dans notre corps périssable. Or c'est justice encore de partager ce qu'on a reçu des biens de la nature avec ceux dont on partage déjà la nature elle-même.
8025 25. Mais, pour que notre amour du prochain soit irréprochable, il faut que Dieu s'y trouve mêlé; est-il en effet possible d'aimer le prochain comme il faut, si ce n'est en Dieu? Or, quiconque n'a polir Dieu aucun amour, ne saurait aimer rien en Dieu; il faut donc commencer par aimer Dieu, si on veut aimer le prochain en lui, en sorte que Dieu qui est l'auteur de tous les autres biens l'est aussi de notre amour pour lui, voici comment non-seulement il a créé la nature, mais encore comment il la soutient, car elle est telle, qu'après avoir reçu l'existence, elle a besoin encore que celui qui la lui a donnée la lui conserve; si elle ne peut être que par lui, elle ne peut subsister sans lui. C'est pour que nous en soyons bien convaincus et que nous ne nous attribuions pas avec orgueil les biens dont nous lui sommes redevables, que le créateur, par un dessein profond et salutaire, a voulu que nous fussions sujets à la tribulation: de cette manière, si nous faiblissons, Dieu vient à notre secours, et sauvés par Dieu, nous lui rendons l'honneur qui lui convient. C'est ce qu'il dit lui-même: «Invoquez mon secours au jour de l'épreuve; je vous en tirerai et vous me glorifierez (Ps 49,15).» Voilà comment il se fait que l'homme animal et charnel, qui ne savait d'abord que s'aimer lui-même, commence ensuite, mais pour lui encore, à aimer Dieu, en voyant, par sa propre expérience, que tout son pouvoir, du moins pour le bien, il le tient de lui et que sans lui il ne peut absolument rien:



CHAPITRE IX. Second et troisième degrés de l'amour.

8026 26. L'homme ressent donc déjà de l'amour pour Dieu, mais il ne l'aime encore que pour soi et non pas pour Dieu. Néanmoins, il y a quelque sagesse à lui de savoir ce dont il est capable par lui-même et ce qu'il ne peut faire sans l'aide de Dieu, et de se conserver irréprochable aux yeux de celui qui lui conserve toute sa puissance intacte. Mais que le cortége des tribulations fonde sur lui et l'oblige souvent à recourir à Dieu, s'il en reçoit chaque fois un secours qui le délivre, ne faudra-t-il pas qu'il ait un coeur de marbre ou de bronze pour ne pas être touché, toutes les fois qu'il aura été secouru, de la bonté de son libérateur et pour ne pas commencer à l'aimer pour lui-même, non plus seulement pour soi. Car la fréquence des épreuves nous oblige à recourir fréquemment à Dieu, or il est impossible de revenir souvent à lui, sans le goûter et impossible de le goûter, sans reconnaître combien il est doux. Aussi arrive-t-il bientôt que nous sommes portés à l'aimer comme il faut, beaucoup plus à cause de la douceur que nous trouvons en lui, qu'à cause de notre propre intérêt, en sorte qu'à l'exemple des Samaritains disant à la femme qui leur avait annoncé l'arrivée du Seigneur parmi eux, «Maintenant ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons en lui, mais parce que nous l'avons entendu nous-mêmes et que nous savons qu'il est le Sauveur du monde (Jn 4,42).» Nous disons aussi à notre chair, maintenant ce n'est plus à cause de toi que nous aimons le Seigneur, mais c'est parce que nous avons goûté nous-mêmes et nous avons reconnu combien il est doux. Les nécessités de la chair sont une sorte de langage qui proclame dans des transports de joie et de bonheur, les bienfaits dont, par expérience, elle a reconnu la grandeur. Quand nous en sommes arrivés là, il n'est plus difficile d'accomplir le précepte d'aimer le prochain comme nous-mêmes: car, si nous aimons Dieu véritablement, nous aimons aussi ce qui est à lui, notre amour est chaste et nous n'avons pas de peine à nous soumettre au précepte dont il est dit «qu'il rend chaste notre coeur par l'obéissance et par l'amour ();» il est juste et nous accomplissons volontiers un si juste commandement; enfin, il est plein de charme et d'intérêt, parce qu'il est tout à fait désintéressé. C'est donc un amour plein de chasteté, puisqu'il ne se manifeste ni par les gestes ni par les paroles, mais par les oeuvres et par la vérité; c'est un amour plein de justice, car il rend autant qu'il reçoit. Quiconque aime de cet amour-là, aime tout autant qu'il est aimé et ne recherche plus à son tour que les intérêts de Jésus-Christ, non pas les siens propres, de même que Jésus a recherché les nôtres ou plutôt nous a recherchés nous-mêmes. Voilà l'amour de celui qui dit: «Chantez les louanges du Seigneur, car il est bon (Ps 117,1).» Celui qui loue le Seigneur, non pas parce qu'il est bon pour lui, mais simplement parce qu'il est bon, aime véritablement Dieu pour Dieu et non pour lui. Il n'en est pas ainsi de celui dont il est écrit: «Il vous louera, quand vous lui aurez fait du bien (Ps 48,19).» Le troisième degré de l'amour est donc d'aimer Dieu pour lui.



CHAPITRE X. Le quatrième degré de l'amour est de ne plus s'aimer que pour Dieu.

8027 27. Heureux celui qui a pu monter jusqu'au quatrième degré de l'amour et qui en est arrivé à ne plus s'aimer que pour Dieu. Votre justice, Seigneur, est aussi élevée que les plus hautes montagnes (Ps 35,7); il en est de même de ce quatrième amour, c'est un mont très-élevé, une montagne grasse et fertile (Ps 67,16); quel homme pourra la gravir (Ps 23,3)? Qui me donnera les ailes de la colombe, afin que je puisse voler à son sommet et m'y reposer (Ps 51,5)? C'est un endroit paisible, c'est la demeure de Sion (Ps 75,3). Ah! que mon exil est long! (Ps 119,5). Quand donc la chair et le sang, la boue et la poussière dont je suis fait s'élèveront-ils jusque-là? Quand donc, enivrée de l'amour de Dieu, mon âme s'oubliant elle-même et ne s'estimant pas plus qu'un vase brisé, s'élancera-t-elle vers Dieu, se perdra-t-elle en lui et, ne faisant plus qu'un seul et même esprit avec lui (2Co 6,17), quand pourra-t-elle s'écrier: «Ma chair et mon coeur sont tombés en défaillance, Seigneur, Dieu de mon coeur et mon partage pour l'éternité (Ps 72,26)?» Saint et heureux, m'écrierai-je, celui qui a pu quelquefois, rarement, une seule fois même, éprouver quelque chose de semblable durant cette vie mortelle, quand même il ne l'aurait ressenti qu'une minute, un seul instant et comme à la dérobée! car ce n'est pas un bonheur humain, mais c'est déjà la vie éternelle que de se perdre soi-même en quelque sorte, comme si on n'existait plus, de n'avoir plus le sentiment de son être, d'être vide de soi et presque réduit à rien; s'il arrive à quelque mortel de s'élever jusque-là, même comme en passant, ainsi que nous le disions, l'espace d'une seconde, et pour ainsi dire à la dérobée, ce siècle méchant e semble en être jaloux et vient troubler son bonheur; ce corps de mort le sollicite à descendre, les soucis et les nécessités de la vie pèsent sur lui de tout leur poids, la corruption de la chair refuse de le soutenir, et, par-dessus tout, l'amour de ses semblables le rappelle avec la plus grande violence et le force, hélas! à revenir, à retomber en lui-même et à s'écrier . «Seigneur, je souffre des maux d'une violence extrême, répondez pour moi (Is 38,14);» ou bien encore: «Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort (Rm 7,24)!»
8028 28. L'Ecriture disant que Dieu a tout fait pour lui, il faut que les créatures se conforment et se rangent, au moins quelquefois, à la pensée de leur auteur. Nous devons donc entrer aussi dans ce sentiment et u nous en rapporter tout entiers à lui, à son bon plaisir, non pas au nôtre, avec tout ce qui est, aussi bien que ce qui a été, puisqu'il a voulu que rien ne fùt que pour lui. Nous trouverons notre félicité beaucoup moins dans l'apaisement de nos besoins et dans les biens qui nous seront échus que dans l'accomplissement de sa volonté en nous; c'est d'ailleurs ce que nous lui demandons tous les jours en disant: «Que votre volonté se fasse sur la terre comme au ciel (Mt 6,10).» O pur et saint amour! O douce et sainte affection! ô soumission de l'âme entière et désintéressée! d'autant plus entière et plus désintéressée qu'elle est exempte de tout retour sur soi-même, d'autant plus tendre et plus douce que tout ce que l'âme éprouve alors est divin. En arriver là, c'est être déifié. De même qu'une petite goutte d'eau mêlée â une grande quantité de vin semble disparaître en prenant le goàt et la couleur de ce liquide; de même encore que, dans la fournaise où il est plongé, le fer semble perdre sa nature et se changer en feu; ou bien comme l'air pénétré par les rayons du soleil se change en lumière et semble plutôt éclairer qu'être éclairé lui-même: ainsi en est-il chez les saints de tous leurs sentiments humains; il semble qu'ils se fondent et s'écoulent dans la volonté de Dieu. Autrement s'il restait encore quelque chose de l'homme dans l'homme, comment se pourrait-il que Dieu fût tout en tous? Sans doute, la nature humaine ne se dissoudra pas; mais elle sera autrement belle, autrement glorieuse et puissante. Quand cela sera-t-il? A qui sera-t-il donné de le voir et de l'éprouver? Quand irai-je et paraîtrai je devant la face de Dieu (Ps 41,2)? Seigneur, mon Dieu, mon coeur vous a parlé, mes yeux vous ont cherché; je m'efforcerai, Seigneur, de contempler votre visage (Ps 26,8). Me sera-t-il donné de voir votre saint temple?
8029 29. Pour moi, je ne crois pas qu'on puisse observer parfaitement ce précepte: «Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur, a de toute votre âme et de toutes vos forces (Mt 22,37),» tant que le n coeur est obligé de s'occuper du corps, que l'âme n'est pas dispensée de veiller à le conserver plein de vie et de sensibilité dans l'état présent, et que son énergie, délivrée de toutes nos misères, ne s'appuie pas sur la force même de Dieu, car elle ne saurait (a) s'appliquer à Dieu et ne contempler que sa face divine, tant qu'elle doit veiller sur ce corps fragile et malheureux et lui donner ses soins. Qu'elle n'espère donc atteindre à ce troisième degré de l'amour ou plutôt en être elle-même atteinte, que lorsqu'elle aura revêtu un corps spirituel et immortel, pur et calme, obéissant et soumis en toutes choses à l'esprit, ce qui ne peut être l'oeuvre que de la puissance de Dieu en faveur de qui il lui plaît et non pas celle de l'industrie d'un homme. Je dis donc que notre âme arrivera facilement à ce degré suprême de l'amour, quand les misères ou les charmes de la chair ne feront plus obstacle à sa marche rapide et empressée vers la joie qu'elle doit trouver dans le Seigneur. Faut-il croire cependant que les saints martyrs, avant même que leur âme eût quitté leurs corps victorieux, ont goûté, au moins en partie, ce bonheur? Il est certain, en tout cas, qu'un immense amour ravissait leur âme, pour leur donner la force d'exposer leur vie et de mépriser les tourments Comme ils le faisaient. Néanmoins, on ne peut douter que les affreux supplices qu'ils ont soufferts, n'aient altéré, sinon détruit, la joie de leur âme.

a Il ne faut pas conclure de ces paroles qu'on ne saurait accomplir le précepte qui nous prescrit la fin même et la perfection de l'amour où nous devons tendre sans cesse, mais où nous ne sommes point tenus d'arriver dès maintenant, comme on le voit dans les notes de Horstius. Ce qui nous est prescrit en cette vie, ce n'est donc pas la perfection absolue de l'amour, maïs le désir de cette perfection. En sorte que, autant que la faiblesse humaine le permet, nous ne soyons constamment occupés que de la pensée, de l'amour, de l'union et de la volonté de Dieu.





Bernard Amour de Dieu 8014