Bernard - le chant 14008

14008 8. Il y a donc trois raisons qui ont fait donner dix sons au chant; l'autorité du psautier, l'égalité d'étendue pour chacun et la nécessité de la notation. Voilà pourquoi les musiciens ont regardé ces dix sons comme la plénitude même de la progression musicale, ce qui leur fit étendre la disposition des finales pour qu'il y en ait une pour chaque son, du G grec jusqu'aux deux ee, sans cela la formule des sons serait incomplète et ne permettrait pas à toua les tous leur entier développement. Dans leur progression, ces dix sons donnent naissance aux tons authentes et aux tons plagaux. On appelle authentes les tous majeurs, le premier, le troisième, le cinquième et le septième qui se refusent à baisser ou à descendre vers les sons graves, et qui se distinguent par des bonds légers et un mouvement vif et modulent sur la quinte et au dessus. Ces tons descendent d'une lettre au dessous de leur finale et montent de huit, ce qui fait leur dix sons. Les tons plagaux sont mineurs, ce sont le second, le quatrième, le sixième et le huitième; ils montent rarement à la quinte qu'ils dépassent plus rarement encore, ils aiment mieux moduler lentement au-dessous. Ces tons montent de cinq lettres et descendent de quatre au-dessous de leurs finales qui semblent tenir le milieu de leur étendue; par cet arrangement aussi beau que rationnel, ils descendent vers le grave d'autant de sans au dessous des authentes que ceux-ci s'élèvent au dessus d'eux. Ainsi les tons plagaux ne peuvent s'élever au dessus de la sixte, et les authentes ne peuvent descendre de plus d'un son au dessous de leur finale. C'est donc un véritable non-sens que de faire monter un ton plagal jusqu'à l'octave, et de faire descendre un authente à la quinte ou même à la quarte. En effet, pourquoi composer de ces chants qui descendent trop bas pour être notés, et beaucoup trop aussi pour qu'on puisse les chanter, qui font varier les lignes, torturent les organes de la voix, passent aux extrêmes, et tantôt s'élèvent jusqu'aux nues, tantôt descendent au fond des abîmes Y Aussi au dire de Guy d'Arezzo, c'est pour empêcher qu'on ne compose de tels chants, qu'il a été décidé que chacun des quatre diodes, c'est-à-dire le proto, le deuto, le trito et le tetarto serait subdivisé en deux tons, l'authente et le plagal, et tellement réglé que les chants élevés seraient dans les tons aigus et les graves dans les tons graves. Car ces sortes de chants dont nous parlons plus haut, étant en partie graves et plains et en partie élevés et aigus, un verset et un psaume entonnés sur un seul et même ton ne peuvent pas se plier convenablement à des tons différents, puisque si on le fait descendre au grave, il ne peut plus s'accorder avec les sons aigus, et si on le fait monter à l'aigu, il n'est plus d'accord avec les sons graves. Guy d'Arezzo recommande encore d'éviter l'abus du grave et de l'aigu dans les antiennes et les répons dont le chant doit se rapporter à celui des psaumes et des versets. Car le chant étant commun et double, tandis que le verset et le saeculorum sont dans un ton authente ou plagal seulement, ces derniers ne peuvent se raccorder convenablement à ce chant, attendu qu'il y en a plusieurs où le grave et l'aigu sont tellement confondus, qu'on ne saurait dire s'ils sont plutôt authentes que plagaux.
14009 9. Ainsi, comme la nature elle-même, par les limites infranchissables qu'elle a tracées, empêche qu'on ne puisse trouver plus de quatre manières de chant qui comprennent huit modes par la disposition ascendante des tons authentes, et descendante des tons plagaux; mais si les tons authentes et les plagaux, pris deux à deux, appartiennent à la même manière de chant, ils diffèrent entre eux d'abord par la progression, car l'un descend au grave quand l'autre s'élève vers l'aigu, puis par la composition qui est vive pour les tons ascendants, c'est-à-dire pour tous les tons authentes et grave pour les descendants, c'est-à-dire pour les plagaux.
14010 10. Pour les distinguer entre eux, on a inventé les neumes qui s'ajoutent à la fin de chaque antienne. Quelques auteurs les nomment slives; les Grecs les désignent parles mots Hoa nocane et Nocais et autres mots semblables qui ne présentent aucun sens, il est vrai, mais qui, par la diversité et la différence des sons, rappellent à l'oreille aussi bien qu'à l'esprit l'admirable variété des tons. Ils rendent donc si bien, par ce moyen, la manière et la composition de leurs modes que, lorsque ces mots sont une fois bien gravés dans la mémoire on distingue facilement, à l'oreille seule, après un peu d'exercice les tons auxquels ils conviennent. Chaque neume doit être propre et suffisant à son mode; il est suffisant, quand il s'adapte bien à toutes les finales de son ton. et propre, quand il ne convient qu'à ces finales, il est clair qu'ils ne répondraient point au besoin qui les a fait inventer, qui est de distinguer les modes entre eux, s'ils ne convenaient point à toutes et aux seules finales de chaque mode. Ils doivent donc rendre la manière et la forme tant commune que propre de leur mode; la manière, par leur disposition, et la forme par la composition. Je passe, sans m'y arrêter, les neumes des tons plagaux qui semblent, en effet, parfaitement inventés de manière à suffire à tous et à leurs seuls modes et je ferai remarquer que les neumes des tons authentes ont été mal inventés ou se sont altérés depuis qu'on les a trouvés, à l'exception de celui du premier ton. Ainsi, le neume du cinquième ton est mal trouvé, puisqu'il n'est ni suffisant ni spécial à son mode. En effet, il procède par deux tons suivis d'un demi-ton en montant et ne peut se terminer qu'accidentellement en F, puisqu'il a sa finale normale en C; il ne suffit donc point à son mode, car il doit s'adapter naturellement à ses deux finales, sans le secours du B mol qui n'a pas été du tout inventé pour distinguer les propriétés des tons. N'est-il pas absurde en effet, qu'un chant ne puisse recevoir son neume, dans les lettres dans lesquelles il est écrit tout entier puisque le neume est destiné à montrer la nature d'un morceau de chant? Or, c'est précisément ce qui se produit dans les chants qui procèdent par le triton en montant. De plus, ce neume n'est point spécial à son mode, puisque naturellement et proprement il finit en C, qui est la finale de la quatrième manière de chant. Jetez un coup d'oeil sur le neume du septième ton, et comparez-le avec celui du cinquième, vous trouverez qu'ils ont la même composition et la même disposition, en sorte que celui-ci peut aussi bien convenir au septième que celui-là au cinquième et réciproquement; j'en conclus que le neume du septième ton est mal trouvé, puisqu'il peut également s'adapter à la finale de la troisième manière. Mais je trouve encore quelque chose à reprendre dans ces deux neumes; en effet, l'un et l'autre procèdent en montant par un ton et un demi-ton et font une pause sur la quarte, comme il arrive dans le neume du huitième ton qui est un ton plagal; ils ne rendent donc l'un et l'autre ni la composition commune des tons authentes, ni la composition propre à un authente en particulier, et ne peuvent pas non plus être attribués avec raison au huitième ton qui est plagal. Voilà pourquoi on les a changés tous les deux, de manière qu'ils fussent l'un et l'autre propres et suffisants chacun à leur mode sans le secours d'une ritournelle inutile, Le neume du troisième ton était également insuffisant parce qu'il ne pouvait convenir aux authentes qui peuvent se terminer en B carre, on a donc supprimé dans ce neume, le demi-ton qui se trouve au dessous de la sixte. Toutes ces propriétés sont absolument nécessaires pour distingueur les tons authentes de leurs tons plagaux. Ainsi, l'antienne, Lex per Moysen data est, qui ne monte qu'une fois à la quinte et le reste du temps se continue au-dessous, serait tout entière dans un ton plagal, si elle n'avait la composition propre de son ton authente qu'on retrouve dans son neume qui descend d'un ton au dessous de la finale pour remonter d'une quarte composée de deux tons suivis d'un demi-ton, puis va à la quinte par deux tons pleins et revient par certaines modulations intermédiaires à sa finale. Si on parcourt telle antienne qu'on voudra du premier ton, on retrouvera cette composition presque dans toutes. On peut faire la même remarque sur les neumes des autres tons authentes. Il faut se donner bien de garde, si on veut arriver à reconnaître parfaitement les chants et à les distinguer les uns des autres, de supprimer ces neumes sous prétexte d'abréger, car l'avantage qu'on voudrait obtenir en abrégeant le chant serait loin d'égaler les inconvénients qui résulteraient de cette suppression.
14011 11. Telles sont, entre autres, les principales raisons qui nous ont fait corriger l'antiphonier reçu par toutes les Églises; nous avons eu beaucoup plus à coeur de tenir compte de la nature que de l'usage reçu. D'ailleurs, nous avons été poussés à ce travail non par la présomption mais par l'obéissance; si donc on nous reproche d'avoir fait un antiphonier particulier qui ne ressemble point aux autres antiphoniers, nous nous consolerons en pensant qua c'est la raison toute seule qui rend le nôtre différent de tous les autres, tandis que ce qui met de la différence entre tous les autres antiphoniers, c'est le hasard ou quelque chose qui ne vaut pas mieux que le hasard, mais non point la raison. Car, bien que tous antiphoniers se ressemblent en ce que tous sont fautifs, pourtant, dans les choses où ils pourraient très-bien se ressembler, ils diffèrent tellement qu'il n'y a pas deux provinces dont les antiphoniers soient semblables. Aussi, y a-t-il lieu de se demander avec étonnement, comment il se fait que les antiphoniers fautifs et vicieux sont d'une autorité plus grande et d'un usage plus répandu que ceux qui sont bons et réguliers. En effet, pour ne parler que des Églises qui sont de la même province que nous, prenez l'antiphonier de Reims et comparez-le à celui de Beauvais, d'Amiens ou de Soissons, qui sont à notre porte, si on peut parler ainsi, et je vous engage à rendre grâce à Dieu, si vous en trouvez deux pareils.

Nous ne voulons point laisser ignorer à la postérité qu'il y a plusieurs choses que nous avons laissées dans l'ancien antiphonier. par ordre de nos Seigneurs et Pères: sans être absolument intolérables, elles pourraient néanmoins être beaucoup mieux. Il y en a deux pourtant que nous avons laissées sans les corriger, quoiqu'il y eût lieu de le faire, ce sont le mètre du quatrième ton et celui du septième; nous les avons corrigés dans le graduel, mais, à cause de l'usage de l'antiphonier, nous n'avons pas pu leur faire subir toutes les corrections dont ils étaient susceptibles, nous en fûmes encore empêchés par nos pères, sur l'ordre et avec la bénédiction desquels nous avons exécuté tout le reste de notre mieux. Quant aux mètres susdits, il est facile de comprendre en quoi ils pèchent; le chant des psaumes sur le quatrième ton ne peut, à cause du mètre s'adapter à aucune antienne finissant en B carré, et le mètre du septième se repose sur une lettre, sur laquelle ce ton ne commence jamais, ce qui est contre les règles dans toute espèce de tons, car tout ton doit faire les pauses sur les lettres par lequelles il commence le plus ordinairement.

FIN DES TRAITÉS.




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