Sales: Amour de Dieu 12900

CHAPITRE IX. De quelques autres moyens pour appliquer plus particulièrement nos oeuvres à l’amour de Dieu.

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Quand les paonnesses (2) couvent en des lieux bien blancs, les poulets sont aussi tout blancs et quand nos intentions sont en l’amour de Dieu, lorsque nous projetons quelque bonne oeuvre, ou que nous nous jetons en quelque vocation, toutes les actions qui s’en suivent prennent leur valeur et tirent leur noblesse de la dilection de laquelle elles ont leur origine; car qui ne voit que les actions qui sont propres à ma vocation, ou requises à mon dessein, dépendent de cette première élection et résolution que j’ai faite?

Mais, Théotime, il ne se faut pas arrêter là; ains pour faire un excellent progrès en la dévotion, il faut none seulement au commencement de notre conversion, et puis tous les ans destiner notre vie et toutes nos actions à Dieu; mais aussi il les lui faut offrir tous les jours, selon l’exercice

(1) Pour ce regard, sur ce point.(2) Paonnesses, paonnes.

du matin que nous avons enseigné à Philothée: car en ce renouvellement journalier de notre oblation, nous répandons sur nos actions la vigueur et vertu de la dilection par une nouvelle application de notre coeur à la gloire divine, au moyen de quoi il est toujours plus sanctifié.

Outre cela, appliquons cent et cent fois le jour notre vie au divin amour par la pratique des oraisons jaculatoires, élévations de coeur et retraites spirituelles; car ces saints exercices lançant et jetant continuellement nos esprits en Dieu, y portent ensuite toutes nos actions. Et comme se pourrait-il faire, je vous prie, qu’une âme laquelle à tous moments s’élance en la divine bonté, et soupire incessamment des paroles de dilection pour tenir toujours son coeur dans le sein de ce Père céleste, ne fût pas estimée faire toutes ses bonnes actions en Dieu et pour Dieu?

Celle qui dit: Hé! Seigneur, je suis vôtre (1) : Mon bien-aimé est tout mien, et moi je suis toute sienne (2): Mon Dieu, vous êtes mon tout: O Jésus, vous êtes ma vie: Hé! qui me fera la grâce que je meure à moi-même, afin que je ne vive qu’à vous? O aimer! ô s’acheminer! ô mourir à soi-même ! ô vivre à Dieu! ô être en Dieu! O Dieu! ce qui n’est pas vous-même ne m’est rien : celle-là, dis-je, ne dédie-t-elle pas continuellement ses actions au céleste époux? O que bienheureuse est l’âme qui a une fois bien fait le dépouillement et la parfaite résignation de soi-même entre les mains de Dieu, dont nous avons parlé ci-dessus! car par après elle n’a à faire qu’un

(1)
Ps 118,94(2) Ct 2,16

petit soupir et regard en Dieu pour renouveler et confirmer son dépouillement, sa résignation et son oblation., avec la protestation qu’elle ne veut rien que Dieu et pour Dieu, et qu’elle ne s’aime, ni chose du monde, qu’en Dieu, et pour l’amour de Dieu.

Or, cet exercice de continuelles aspirations est donc fort propre pour appliquer toutes nos oeuvres à la dilection, mais principalement il suffit très abondamment pour les menues et ordinaires actions de notre vie car quant aux oeuvres relevées et de conséquence, il est expédient, pour faire un profit d’importance, d’user de la méthode suivante, ainsi que j’ai déjà touché ailleurs.

Élevons en ces occurrences nos coeurs et nos esprits en Dieu, enfonçons notre considération et étendons notre pensée dans la très sainte et glorieuse éternité ; voyons qu’en icelle la divine bonté nous ch,érissait tendrement, destinant pour notre salut tous les moyens convenables à notre progrès en sa dilection,. et particulièrement la commodité de faire le bien qui se présente alors à nous, ou de souffrir le mal qui nous arrive. Cela fait, déployant, s’il faut ainsi dire, et élevant le bras de notre consentement, embrassons chèrement, ardemment et très amoureusement, soit le bien qui se présente à. faire, soit le mal qu’il nous faut souffrir, en considération de ce que Dieu l’a voulu éternellement, pour lui complaire et obéir à sa providence.

Voyez le grand saint Charles, lorsque la peste attaqua son diocèse. Il releva son courage en Dieu, et regarda attentivement qu’en l’éternité de la providence divine ce fléau était préparé et destiné à son peuple, et que emmi ce fléau, cette même providence avait ordonné qu’il eût un soin très amoureux de servir, soulager et assister cordialement les affligés, puisqu’en cette occasion il se trouvait le père spirituel, pasteur et évêque de cette province-là. C’est pourquoi se représentant la grandeur des peines, travaux et hasards qu’il lui serait force (1) de subir pour ce sujet, il s’immola en esprit au bon plaisir de Dieu, et baisant tendrement cette croix, il s’écria du fond de son coeur, à l’imitation de saint André : Je te salue, ô croix précieuse! Je te salue, ô tribulation bienheureuse ! O affliction sainte, que tu es aimable, puisque tu es issue du sein aimable de ce Père d’éternelle miséricorde, qui t’a voulue de toute éternité, et t’a destinée pour ce cher peuple et pour mai! O croix ! mon coeur te veut, puisque celui de mon Dieu t’a voulue. O croix! Mon âme te chérit et t’embrasse de toute sa dilection.

En cette sorte devons-nous entreprendre les plus grandes affaires et les plus âpres tribulations qui nous puissent arriver. Nais quand elles seront de longue haleine, il faudra de temps en temps, et fort souvent répéter cet exercice, pour continuer plus utilement notre union à la volonté et bon plaisir de Dieu, prononçant cette briève, mais toute divine protestation de son Fils: Oui, ô Père éternel ! je le veux de tout mon coeur, parce qu’ainsi a-t-il été agréable devant vous (2). O Dieu ! Théotime, que de trésors en cette pratique!

(1) Il lui serait force, qu’il serait forcé.(2) Mt 11,26


CHAPITRE X Exhortation au sacrifice que nous devons faire à Dieu de notre franc arbitre (1).

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J’ajoute au sacrifice de saint Charles celui du grand patriarche Abraham, comme une vive image du plus fort et loyal amour qu’on puisse imaginer en créature quelconque.

Il sacrifia certes toutes ses plus fortes affections naturelles qu’il pouvait avoir, lorsque oyant la voix de Dieu qui lui disait: Sors de ton pays et de ta parenté, et de la maison de ton père, et viens au pays que je te montrerai (2), il sortit soudain, et se mit promptement en chemin, sans savoir où il irait (3). Le doux amour de la patrie, la suavité de la conversation des proches, les délices de la maison paternelle ne l’ébranlèrent point : il part hardiment et ardemment, et va où il plaira à Dieu de le conduire. Quelle abnégation, Théotime! quel renoncement! On ne peut aimer Dieu parfaitement, si l’on ne quitte les affections aux choses périssables.

Mais ceci n’est rien en comparaison de ce qu’il fit par après, quand Dieu l’appelant par deux fois, et ayant vu sa promptitude à répondre, il lui dit : Prends Isaac ton enfant unique, lequel tu aimes, et va en la terre de vision, où tu l’offriras en holocauste sur l’un des monts que je te montrerai (4); car voilà ce grand homme qui part soudain avec ce tant aimé et tant aimable fils, fait trois

(1) Franc arbitre, libre arbitre, liberté.(2)
Gn 12,1(3) He 11,18(4) Gn 22,1-2 et seq.

journées de chemin, arrive au pied de la montagne, laisse là ses valets et l’âne, charge son fils Isaac du bois requis à l’holocauste, se réservant de porter lui-même le glaive et le feu ; et comme il va montant, ce cher enfant lui dit: Mon père? et il lui répond : Que veux-tu, mon fus ? Voici, dit l’enfant, voici te bois et le feu, mais où est la victime de l’holocauste ? A quoi le père répond : Dieu se pourvoira de la victime de l’holocauste, mon enfant. Et tandis, ils arrivent sur le mont destiné, où soudain Abraham construit un autel, arrange le bois sur icelui, lie son Isaac et le colloque sur le bûcher, il l’étend sa main droite, empoigne, et tire à soi le glaive, il hausse le bras, et comme il est près de décharger le coup pour immoler cet enfant, l’ange crie d’en haut: Abraham, Abraham! qui répond: Me voici; et l’ange lui dit: Ne tue pas l’enfant, c’en est assez; maintenant je connais que tu crains Dieu, et n’as pas épargné ton fils pour l’amour de moi. Sur cela, Isaac est délié, Abraham prend un bélier qu’il voit pris par les cornes aux ronces d’un buisson, et l’immole.

Théotime, qui voit la femme de son prochain pour la convoiter, il a déjà adultéré en son coeur (1): et qui lie son fils pour l’immoler, il l’a déjà sacrifié en son coeur. Eh ! voyez donc, de grâce, quel holocauste ce saint homme fit en, son coeur. Sacrifice incomparable! sacrifice qu’on ne peut assez estimer! sacrifice qu’on ne peut assez louer ! O Dieu! qui saurait discerner quelle des deux dilections fut la plus grande, ou celle d’Abraham qui, pour plaire à Dieu, immole cet enfant tant aimable; ou celle de cet enfant qui, pour plaire à

(1) Mt 5,23

Dieu, veut bien être immolé, et pour cela se laisser lier et étendre sur le bois, et, comme un doux agnelet, attend paisiblement le coup de mort de la chère main de son bon père?

Pour moi, je préfère le père en la longanimité: mais aussi je donne hardiment le prix de la magnanimité au fils. Car d’un côté c’est voirement une merveille, mais non pas si grande, de voir qu’Abraham déjà vieil et consommé en la science d’aimer Dieu, et fortifié de la récente vision et parole divine, fasse ce dernier effort de loyauté et dilection envers un maître duquel il avait si souvent senti et savouré la suavité et providence. Mais de voir Isaac au printemps de son âge, encore tout novice et apprenti en l’art d’aimer son Dieu, s’offrir sur la seule parole de son père au glaive et au feu, pour être un holocauste d’obéissance à la divine volonté : c’est chose qui surpasse toute admiration.

D’autre part néanmoins, ne voyez-vous pas, Théotime, qu’Abraham remâche et roule plus de trois jours dans son âme l’amère pensée et résolution de cet âpre sacrifice? N’avez-vous point de pitié de son coeur paternel, quand montant seul avec son fils, cet enfant, plus simple qu’une colombe, lui disait : Mon Père, où est la victime? et qu’il lui répondait: Dieu y pourvoira, mon fils. Ne pensez-vous point que la douceur de cet enfant, portant le bois sur ses épaules et l’entassant par après sur l’autel, fit fondre en tendreté (1) les entrailles de ce père? O coeur que les anges admirent, et que Dieu magnifie! Hé, Seigneur Jésus, quand sera-ce donc que vous ayant sacrifié tout

(1) Tendreté, tendresse.

ce que nous avons, nous vous immolerons tout ce que nous sommes? Quand vous offrirons-nous en holocauste notre franc arbitre, unique enfant de notre esprit? Quand sera-ce que noue le lierons et étendrons sur le bûcher de voire croix, de vos épines, de votre lance, afin que, comme une brebiette, il soit victime agréable de votre non plaisir, pour mourir et brûler du feu et du glaive de votre saint amour?

O franc arbitre de mon coeur! que ce vous sera chose bonne d’être lié et étendu sur la croix du divin Sauveur! Que ce vous est chose désirable de mourir à vous-même, pour ardre (1) à jamais en holocauste au Seigneur! Théotime, notre franc arbitre n’est jamais si franc que quand il est esclave de la volonté de Dieu, comme il n’est jamais si serf que quand il sert à notre propre volonté: jamais il n’a tant de vie que quand il meurt à soi-même, et jamais il n’a tant de mort que quand il vit à soi.

Nous avons la liberté de faire le bien et le mal: mais de choisir le mal, ce n’est pas user, ains abuser de cette liberté. Renonçons à cette mal. heureuse liberté et assujettissons pour jamais notre franc arbitre au parti de l’amour céleste ; rendons-nous esclaves de la dilection, de laquelle les serfs sont plus heureux que les rois. Que si jamais notre âme voulait employer sa liberté contre nos résolutions de servir Dieu éternellement et sans réserve, ô alors, pour Dieu, sacrifions ce franc arbitre, et le faisons mourir à soi, afin qu’il vive à Dieu. Qui le voudra garder pour l’amour propre en ce monde, le perdra pour

(1) Ardre, brûler, du latin ardere.

l’amour éternel en l’autre; et qui le perdra pour l’amour de Dieu en ce monde, il le conservera (1) pour le même amour en l’autre. Qui lui donnera la liberté en ce monde, l’aura serf et esclave en l’autre; et qui l’asservira à la croix en ce monde, l’aura libre en l’autre, où étant abîmé en la jouissance de la divine bonté, sa liberté se trouvera convertie en amour, et l’amour en liberté, mais liberté de douceur infinie: sans effort, sans peine et sans répugnance quelconque, lions aimerons invariablement à jamais le Créateur et Sauveur de nos âmes.


CHAPITRE XI Des motifs que nous avons pour le saint amour

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Saint Bonaventure, le père Louis de Grenade, le père Louis du Pont, F. Diègue de Stella, ont suffisamment discouru sur ce sujet: je me contenterai de marquer seulement les points que j’en ai touchés en ce Traité.

La bonté divine considérée en elle-même n’est pas seulement le premier motif de tous, mais le plus noble et le plus puissant: car c’est celui qui ravit les bienheureux, et comble leur félicité. Comme peut-on avoir un coeur, et n’aimer pas une si infinie bonté? Or ce sujet est aucunement (2) proposé aux chapitres IX et II, du second livre, et dès le chapitre VIII du troisième livre jusqu’à la fin, et au chapitre II du livre dixième.

Le second motif est celui de la providence naturelle de Dieu envers nous, de la création et conservation, selon que nous disons au chapitre III, du second livre.


(1)
Mc 8,35(2) Aucunement, absolument ou en quelque façon.

Le troisième motif est celui de la providence surnaturelle de Dieu envers nous, et de la rédemption qu’il nous a préparée, ainsi qu’il est expliqué aux chapitres IV, V, VI et VII du second livre.

Le quatrième motif, c’est de considérer comme Dieu pratique cette providence et rédemption, fournissant à un chacun toutes les grâces et assistances requises à notre salut; de quoi nous traitons au second livre dès le chapitre VIII, et au livre troisième dès le commencement jusqu’au chapitre VI.

Le cinquième motif est la gloire éternelle que la divine bonté nous a destinée, qui est le comble des bienfaits de Dieu envers nous, dont il est aucunement discouru dès le chapitre IX, jusqu’à la fin du livre troisième.


CHAPITRE XII Méthode très utile pour employer ces motifs.

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Or, pour recevoir de ces motifs une profonde et puissante chaleur de dilection, il faut: 1° qu’après en avoir considéré l’un en général, nous l’appliquions en particulier à nous-mêmes. Par exemple: O qu’aimable est ce grand Dieu, qui par son infinie bonté a donné son Fils en rédemption pour tout le monde! hélas! oui, pour tous en général, mais en particulier encore pour moi qui suis le premier des pécheurs (
1Tm 1,16). Ah ! il m’a aimé; je dis, il m’a aimé, moi; mais je dis moi-même tel que je suis, et s’est livré à la passion pour moi (Ga 2,10).

2° Il faut considérer les bénéfices divins en leur origine première et éternelle. O Dieu! mon Théotime, quelle assez digne dilection pourrions-nous avoir pour l’infinie bonté de notre Créateur, qui de toute éternité a projeté de nous créer, conserver, gouverner, racheter, sauver et glorifier tous en général et en particulier! Eh! qui étais-je, lorsque je n’étais pas? moi, dis-je, qui étant maintenant quelque chose, ne suis rien qu’un simple chétif vermisseau de terre? et cependant Dieu dès l’abîme de son éternité pensait pour moi des pensées de bénédiction (1) ! Il méditait et désignait, ains déterminait l’heure de ma naissance, de mon baptême, de toutes les inspirations qu’il me donnerait, et en sommes tous les bienfaits qu’il me ferait et offrirait. Hélas! y a-t-il une douceur pareille à cette douceur?

3° Il faut considérer les bienfaits divins en leur seconde source méritoire. Car ne savez-vous pas, Théotime, que le grand prêtre de la loi portait sur ses épaules et sur sa poitrine les noms des enfants d’Israël, c’est-à-dire, des pierres précieuses, esquelles les noms des chefs d’Israël étaient gravés? Hé! voyez Jésus, notre grand évêque (2), et regardez-le dès l’instant de sa conception, considérez qu’il nous portait sur ses épaules, acceptait a charge de nous racheter par sa mort, et la mort de la croix (3). O Théotime, Théotime! cette âme du Sauveur nous connaissait tous par nom et par surnom; biais surtout au jour de sa passion, lorsqu’il offrait ses larmes, ses prières, son sang et sa vie pour tous, il lançait en particulier pour vous ces pensées de dilection: Hélas ! ô mon Père éternel, je prends à moi et me charge de tous les

(1) Jr 29,11(2) 1P 2,25(3) Ph 2,8

péchés du pauvre Théotime, pour souffrir les tourments et la mort, afin qu’il en demeure quitte et qu’il ne périsse point, mais qu’il vive. Que je meure, pourvu qu’il vive; que je sois crucifié, pourvu qu’il soit glorifié. O amour souverain du coeur de Jésus! quel coeur te bénira jamais assez dévotement!

Ainsi, dedans sa poitrine maternelle, son coeur divin prévoyait, disposait, méritait, impétrait (1) tous les bienfaits que nous avons, non seulement en général pour tous, mais en particulier pour un chacun; et ses mamelles de douceur nous préparaient le lait de ses mouvements, de ses inspirations et des suavités par lesquelles il tire, conduit et nourrit nos coeurs à la vie éternelle. Les bienfaits ne nous échauffent point, si nous ne regardons la volonté éternelle qui les nous destine, et le coeur du Sauveur qui les nous a mérités par tant de peines, et surtout en sa mort et passion.

(1) Impétrait, obtenait.


CHAPITRE XIII. Que le mont Calvaire est la vraie académie de la dilection.

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Or, enfin, pour conclusion, la mort et la passion de notre Seigneur est le motif le plus doux et le plus violent qui puisse animer nos coeurs en cette vie mortelle; et c’est la vérité, que les abeilles (
Jdt 14,8) mystiques font leur plus excellent miel dans les plaies de ce lion de la tribu de Juda (Ap 5,5) égorgé, mis en pièces et déchiré sur le mont un Calvaire: et les enfants de la croix le glorifient en leur admirable problème (1) que le monde n’entend pas: de la mort qui dévore tout, est sortie la viande de notre consolation; et de la mort plus forte que tout, est issue la douceur du miel de notre amour (Jdt 14,13-14). O Jésus mon Sauveur! que votre mort est amiable, puisqu’elle est le souverain effet de votre amour!

Aussi là-haut en la gloire céleste, après le motif de la bonté divine connue et considérée en elle-même, celui de la mort du Sauveur sera le plus puissant pour ravir les esprits bienheureux en la dilection de Dieu; en signe de quoi, en la transfiguration, qui fut un échantillon de la gloire, Moïse et Élie parlaient avec notre Seigneur de l’excés qu’il devait accomplir en Jérusalem (Lc 9,31). Mais de quel excès, sinon de cet excès d’amour par lequel la vie fut ravie à l’amant pour être donnée à la bien-aimée? Si que (4) au cantique éternel je m’imagine qu’on répétera à tous moments cette joyeuse acclamation:

Vive Jésus, duquel la mort
Montra combien l’amour est fort!

Théotime, le mont Calvaire est le mont des amants. Tout amour qui ne prend son origine de la passion du Sauveur est frivole et périlleux. Malheureuse est la mort sans l’amour du Sauveur : malheureux est l’amour sans la mort du Sauveur. L’amour et la mort sont tellement mêlés ensemble en la passion du Sauveur, qu’on ne peut avoir au coeur l’un sans l’autre. Sur le Calvaire, on ne peut avoir la vie sans l’amour, ni l’amour sans la mort du Rédempteur. Mais hors de là tout est ou mort éternelle, ou amour éternel; et toute la sagesse chrétienne consiste à bien choisir; et pour vous aider à cela, j’ai dressé cet écrit, mon Théotime


Il faut choisir, ô mortel,
En cette vie mortelle,

Ou bien l’amour éternel,
Ou bien la mort éternelle;
L’ordonnance du grand Dieu
Ne laisse point de milieu.

O amour éternel! mon âme vous requiert et vous choisit éternellement. Hé! venez, Saint-Esprit, et enflammez nos coeurs de votre dilection. Ou aimer ou mourir: mourir et aimer. Mourir à tout autre amour, pour vivre à celui de Jésus, afin que nous ne mourions point éternellement; ains que vivant en votre amour éternel, ô Sauveur de nos âmes, nous chantions éternellement: Vive Jésus! j’aime Jésus. Vive Jésus que j’aime! J’aime Jésus qui vit et règne ès siècles des siècles

Amen.

Ces choses, Théotime, qui, par la grâce et faveur de la charité, ont été écrites à votre charité, puissent tellement s’arrêter en votre coeur, que cette charité trouve en vous le fruit des saintes oeuvres, non les feuilles des louanges. Amen. Dieu soit béni! Je ferme donc ainsi tout ce Traité par ces paroles par lesquelles saint Augustin finit un sermon admirable de la charité, qu’il fit devant une illustre assemblée.


FIN DU DOUZIÈME LIVRE ET DE TOUT LE TRAITÉ.

Fin du Traité de l’Amour de Dieu de saint François de Sales.


(1) Problème, énigme; allusion à celle que Samson proposait aux Philistins.
(4) Si que, tellement que.



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