F de Sales, Entretiens 22

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DIEU SOIT BÉNI!

VINGT-ET-UNIÈME ENTRETIEN SUR LE SUJET DE LA PRÉTENTION (1) QUE NOUS DEVONS AVOIR POUR ENTRER EN LA RELIGION (2)

1.but
2. Cet entretien fut fait à Paris, en 1619, comme on peut le voir plus loin, p. 453.

La question que notre Mère fait de vous déclarer, mes chères Filles, la prétention que vous devez avoir en entrant en Religion, est bien la plus importante, la plus nécessaire et la plus utile qui se puisse faire.

Plusieurs entrent en Religion, mes chères Filles, qui ne savent pas pourquoi. Elles viendront à une grille ou à un parloir, et elles y verront des Religieuses avec un voile sur la tête, un visage si serein, tenant bonne mine, bien modestes, fort contentes à leur avis, et soudain elles penseront en elles-mêmes : Mon Dieu, qu’il fait bon là, allons-y; aussi bien le monde nous fait mauvaise mine ; nous n’y rencontrons point nos prétentions 3. — Une autre dira : Mon Dieu, que l’on chante bien là-dedans ! cela est si beau de bien chanter! — Elles ont raison d’y venir afin que l’on écoute leur belle voix, car peut-être que si elles étaient chez elles, elles chanteraient en une salle où personne ne les écouterait, et ne prendrait-on point garde si elles chanteraient bien ou non; mais dans un choeur, chacun les entend et les remarque, ce leur semble. — Les autres viennent en Religion pour y rencontrer et y trouver une grande paix, des consolations et toutes sortes de contentement et douceurs intérieures, disant en elles-mêmes : Mon Dieu, que les Religieuses sont heureuses ! elles sont hors du bruit de père et de mère qui ne font autre chose que de crier; on ne saurait rien faire qui les contente, c’est toujours à recommencer avec eux. Notre-Seigneur promet à ceux qui quittent le monde pour son service beaucoup de consolations; allons donc en Religion.

Voilà, mes très chères Filles, trois sortes de prétentions qui ne valent rien pour entrer en la Religion qui est la maison de Dieu. Il faut nécessairement que ce soit Dieu qui bâtisse la ville ou cité Ps 126,1, ou autrement, bien qu’elle fut bâtie, il la faudrait ruiner. Je veux croire, mes chères Filles, que vos prétentions sont tout autres, et partant que vous avez toutes bon coeur, et Dieu vous bénira.

Il me vient en l’esprit deux similitudes pour vous donner à entendre sur quoi et comment votre prétention doit être fondée pour être solide, mais je me contenterai de vous en expliquer une qui me suffira. Posez le cas qu’un architecte veuille bâtir une maison ; il fait deux choses: premièrement, il considère si son bâtiment doit servir pour quelque particulier, ou bien pour un prince ou un roi, à cause qu’il faut qu’il y procède de différente manière ; puis il calcule à loisir si ses moyens sont bâtants 4 pour cela, car s’il se voulait mêler de bâtir une haute tour et qu’il n’eût pas de quoi fournir à la dépense, on se moquerait de lui d’avoir commencé une chose de laquelle il ne pourrait pas sortir à son honneur Lc 14,28-30; puis il faut qu’il se résolve de faire ruiner le vieil 5 bâtiment qui est en la place de celui qu’il veut édifier de nouveau.

Nous voulons faire un grand bâtiment, mes chères Filles, qui est d’édifier et loger Dieu chez nous et nous rendre son temple vivant, et partant, considérons bien mûrement si nous avons suffisamment du courage et de la résolution pour nous ruiner nous-mêmes et nous crucifier, où plutôt, pour permettre à Dieu même de nous ruiner et crucifier, afin qu’il nous réédifie pour être le temple vivant de sa divine Majesté 1Co 3,16-17 Ep 2,21-22. Je dis donc, mes chères Filles, que notre unique prétention doit être de nous unir à Dieu comme Jésus-Christ Notre-Seigneur s’est uni à Dieu son Père, qui a été en mourant sur la croix; car je n’entends pas vous parler de cette union générale qui se fait par le Baptême, où les chrétiens s’unissent à Dieu en prenant ce divin caractère du christianisme, qui les oblige à garder les Commandements de Dieu et de l’Eglise, à s’exercer aux bonnes oeuvres, pratiquer les vertus de foi, espérance et charité qui rendent leur union valable, et peuvent prétendre justement au Paradis, où ils s’uniront à la souveraine Bonté comme à leur Dieu par les moyens susdits. Ils ne sont pas obligés à davantage 6, d’autant qu’ils ont atteint leur but, qui est de s’unir avec Dieu par la voie générale et spacieuse des Commandements de Dieu bien observés.

Mais quant à vous, mes chères Filles, il n’en va pas ainsi; car outre cette commune obligation que nous avons en tant que chrétiens, Dieu vous ayant choisies pour être ses épouses, il faut savoir comment, les conditions nécessaires pour être Religieuse et que c’est qu’être Religieuse. C’est être reliée à Dieu par la continuelle mortification de nous-mêmes, et ne vivre que pour Dieu : notre propre coeur servant toujours à sa Majesté, nos yeux, notre langue, nos mains et tout le reste, continuellement, sans aucune réserve. La Religion nous fournit des moyens tous propres à cet effet, qui sont l’oraison, les lectures, silence, retraite intérieure, par des élévations continuelles à Notre-Seigneur; et parce que nous ne saurions arriver à cela que par une continuelle pratique de mortification de toutes nos passions, inclinations, humeurs et aversions, nous sommes obligés de veiller continuellement sur nous-mêmes afin de faire mourir tout cela. Sachez, mes Filles, que si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeurera tout seul ; mais s’il pourrit, il rapportera au centuple Jn 12,24-25; la très sainte parole de Notre-Seigneur y est toute claire, l’ayant prononcée de sa propre bouche. Par conséquent, vous qui prétendez à l’habit, et vous autres qui êtes déjà coiffées, mes chères Filles, qui prétendez à la sainte Profession, regardez bien plus d’une fois si vous avez assez de résolution pour mourir à vous-mêmes. Pesez bien le tout; le temps est encore assez long pour y penser avant que vos voiles soient teints en noir; car je vous déclare que qui veut vivre selon la nature (je ne vous veux point flatter) il faut qu’il demeure au monde, et ceux qui sont déterminés de vivre selon la grâce, qu’ils viennent demeurer en la Religion, laquelle n’est autre chose qu’une école de la mortification et de l’abnégation de soi-même. C’est pour cela qu’elle vous fournit de plusieurs outils de mortification, tant intérieurs qu’extérieurs.

Mais, mon Dieu ! ce me direz-vous, ce n’est pas cela que je cherche ; je pensais qu’il suffisait pour être bonne Religieuse d’avoir désir de bien faire l’oraison, avoir des visions et révélations, voir des Anges en forme humaine, être ravie en extase, aimer bien la lecture des bons livres. Quoi ? j’étais si vertueuse, si mortifiée au monde, et si humble que chacun m’admirait. N’était-ce pas être bien humble et vertueuse que de parler si doucement à ses compagnes des choses de dévotion, raconter les sermons, et étant chez soi, traiter doucement avec ceux du logis, surtout quand ils ne nous contredisaient point ? — Certes, mes Filles, cela était bon pour le monde, mais la Religion veut que l’on fasse des oeuvres dignes de sa vocation Ep 4,1. c’est-à-dire, mourir à soi-même en toutes choses, tant à ce qui est bon à notre avis, qu’aux choses mauvaises et inutiles. Pensez-vous que ces bons Religieux du désert, qui sont parvenus à une si grande union avec Dieu, y soient arrivés en suivant leurs inclinations ? Certes, nenni; ils se sont mortifiés aux choses les plus saintes, et bien qu’ils eussent grand goût à chanter les divins cantiques, ils ne le faisaient pas pour se contenter eux-mêmes. Nullement; au contraire, ils se privaient volontairement de ces plaisirs, quoique bons et licites, pour s’adonner à des oeuvres de travail et de peine.

Oh! non, ma chère fille, quand votre Règle dit que l’on demandera les livres à l’heure assignée, elle n’entend pas que l’on demande ceux qui nous contentent le plus pour cela; nullement, ce n’est point son intention, ni moins des autres exercices. Une Soeur se sentira, ce lui semble, fort attirée à faire l’oraison, à dire l’Office, à être en retraite, et on lui dit: Ma Soeur, allez à la cuisine, ou bien à faire telle ou telle chose. Ne vous semble-t-il pas que ce soit une mauvaise nouvelle pour une fille bien dévote?

Je reviens toujours, mes chères Filles, à ce que nous avons déjà souventes fois dit: il faut mourir afin que Dieu vive en vous Ga 2,20 car il est impossible d’acquérir l’union de notre âme avec Dieu par aucun autre moyen que par la mortification. Ces paroles sont dures : Il faut mourir, mais elles sont suivies d’une grande douceur: c’est afin d’être unies à Dieu par cette mort. Vous devez savoir que nulle personne sage ne met point le vin nouveau dans un vaisseau vieil Mt 9,17 ; la liqueur du divin amour ne peut entrer où le vieil Adam règne, il faut de nécessité le détruire. — Mais comment me détruire? — Comment, ma chère fille? par l’observance ponctuelle de vos Constitutions. Je vous puis assurer de la part de Dieu que si vous êtes fidèles à faire ce qu’elles vous enseignent, vous parviendrez sans doute au but que vous devez prétendre, qui est de vous unir à Dieu. Remarquez que je dis qu’il faut faire, car on n’acquiert pas la perfection en croisant les bras; il faut travailler à bon escient à se dompter soi-même et à vivre selon la raison, la Règle et l’obéissance, et non pas selon les inclinations que nous avons apportées du monde. La Religion tolère bien que vous apportiez vos mauvaises habitudes, passions et inclinations, mais non pas que vous viviez selon icelles. Elle vous donne des Règles pour servir à vos coeurs de pressoirs, pour en faire sortir tout ce qui est contraire à Dieu : vivez donc courageusement selon icelles et vous serez bienheureuses.

Mais, me dira quelqu’une, mon Dieu! comment ferai-je ? car je n’ai point l’esprit de la Règle. — Certes, ma chère fille, facilement je vous crois, d’autant que c’est chose qui ne s’apporte point du monde à la Religion. Et je vous dirai bien plus: étant dans 9 Paris où toutes choses se trouvent plus qu’en nulle ville du monde, et principalement étant au Palais, j’ai pris garde que l’on y vendait des gants lavés 10, des panaches, des étuis et autres gentillesses ; mais je n’ai point vu vendre d’esprit de la Règle, tant de celle d’ici que des autres Religions. C’est pour vous dire, mes chères Filles, que l’esprit de la Règle ne s’acquiert qu’en pratiquant fidèlement la Règle. Je vous en dis de même de la sainte humilité et douceur, qui sont les fondements de cette Congrégation : Dieu nous les donnera infailliblement, pourvu que nous ayons bon coeur 11 et fassions notre possible pour les acquérir. Bienheureuses serions-nous, si un quart d’heure avant que de 12 mourir nous nous trouvions revêtues de cette robe composée de ces deux vertus! Toute notre vie sera bien employée si nous l’occupons à y coudre tantôt une pièce et tantôt une autre; car ce saint habit ne se fait pas avec une pièce seule, il est requis qu’il y en ait plusieurs, c’est-à-dire, plusieurs actes de ces vertus réitérés.

Vous me dites, ma Mère, que nos Soeurs ont bonne volonté, mais que la force leur manque pour faire ce qu’elles voudraient, et qu’elles ressentent à 13 leurs passions si fortes qu’elles craignent bien de commencer à marcher. — Oh! courage, mes chères Filles ! Je vous ai dit plusieurs fois que la Religion est une école où l’on apprend sa leçon : le maître ne requiert pas toujours que l’écolier sache sa leçon sans faillir, il suffit qu’il ait attention de faire son possible pour l’apprendre. Faisons ainsi ce que nous pourrons, Dieu se contentera et nos Supérieurs aussi. N’avez-vous point vu ceux qui apprennent à tirer des armes ? ils tombent souvent, et de même en font ceux qui apprennent à monter à cheval : mais ils ne se tiennent pas pourtant pour vaincus, car autre chose est d’être quelquefois abattus, et autre chose d’être vaincus, Vos passions quelquefois vous font tête, et pour cela vous direz: Je ne suis pas propre 14 pour la Religion parce que j’ai des passions. — Non, mes chères Filles, il n’en va pas ainsi. La Religion ne fait pas grand triomphe de façonner un esprit doux et une âme tranquille en soi-même, mais elle estime grandement de réduire à la vertu les âmes fortes en leurs inclinations ; car ces âmes-là, si elles sont fidèles, elles passeront les autres, acquérant par la pointe de l’épée ce que les autres ont sans peine.

On ne requiert pas de vous que vous n’ayez point de passions; il n’est pas en votre pouvoir, et Dieu veut que vous les sentiez jusques à la mort pour votre plus grand mérite; ni même il ne veut pas qu’elles soient peu fortes, car ce serait dire qu’une âme mal habituée 15 ne peut être propre pour le service de Dieu. Le monde se trompe en cette pensée, car Dieu ne rejette rien où la malice ne se rencontre point; car, dites-moi je vous prie, que peut mais une âme de ce qu’elle est de telle ou de telle température 16, ou sujette à telle ou telle passion ? Le tout gît donc aux actes que nous faisons par ce mouvement, lequel dépend de notre volonté, le péché étant si volontaire que sans notre consentement il n’y a point de péché. Posez le cas que la colère me surprenne. Je lui dirai : Tourne, retourne, crève si tu veux; si ne ferai-je rien en ta faveur, non pas seulement prononcer une parole selon ton mouvement. Dieu nous a laissé ce pouvoir ; autrement, en nous demandant la perfection, ce serait nous obliger à chose impossible, et partant injustice, laquelle ne se peut rencontrer en Dieu. A ce propos il me vient en pensée de vous raconter une petite histoire qui vous est propre 17. Lorsque Moïse descendit de la montagne en laquelle il venait de parler à Dieu, il vit le peuple qui adorait un veau d’or qu’ils avaient fait durant son absence. Epris 18 d’une juste colère et du zèle de la gloire de Dieu, il dit à son frère Aaron en se tournant du côté des Lévites: S’il y a quelqu’un qui tienne le parti de Dieu, qu’il prenne l’épée en main pour tuer tout ce qui se présentera à lui, sans épargner ni père, ni mère, ni frères, ni soeurs; qu’il mette tout à mort. Les Lévites donc prirent l’épée en main et le plus brave était celui qui en tua le plus Ex 32,26-28. De même, mes chères Filles, prenez l’épée de la mortification en main pour tuer et anéantir vos passions, et celle qui en aura le plus à tuer sera la plus vaillante, pourvu qu’elle veuille coopérer à la grâce. Ces deux jeunes âmes que voici devant moi, dont l’une n’a que quinze ans et l’autre seize, elles ont peu à tuer; aussi leurs esprits ne sont pas quasi nés; mais ces grandes âmes qui ont expérimenté plusieurs choses et ont goûté des douceurs du Paradis, c’est à elles à qui appartient de bien tuer et vaincre leurs passions.

Pour celles que vous dites, ma Mère, qui ont de si grands désirs de leur perfection qu’elles veulent passer 19 toutes les autres en vertu, elles font bien de consoler, par ces véhéments désirs, un peu leur amour-propre, mais elles feront prou de suivre la Communauté en bien gardant les Règles, car c’est la droite voie pour arriver à Dieu. Vous êtes bien heureuses, mes chères Filles, plus que nous autres qui sommes au monde; lorsque nous demandons le chemin, l’un nous dit: C’est à droite, et l’autre: C’est à gauche, et enfin, le plus souvent on nous trompe; mais vous autres, vous n’avez à faire qu’à vous laisser porter. Vous ressemblez à ceux qui navigent 20 sur mer: la barque les porte, et ils demeurent là-dedans sans soin 21 en se reposant ils marchent, et n’ont que faire de s’enquérir s’ils sont bien en leur chemin. Cela est du devoir des nautonniers qui, voyant toujours la belle étoile, savent qu’ils sont en bonne voie et disent aux autres qui sont en la barque: Courage, vous êtes en bon chemin.

Suivez sans crainte cette belle étoile et boussole divine, mes chères Filles, car c’est Notre-Seigneur la barque, ce sont vos Règles; ceux qui la conduisent et qui en sont les nautonniers sont les Supérieurs, qui pour l’ordinaire et assez souvent disent: Marchez, mes chères Soeurs, par l’observance ponctuelle de vos Règles et Constitutions, et vous arriverez heureusement à Dieu ; elles vous conduiront sûrement. Mais remarquez que je vous dis: Marchez par l’observance ponctuelle et fidèle, car qui négligera sa voie sera tué, dit Salomon Pr 19,16.

Si vous faites ce qui vous est enseigné, mes chères Filles, vous serez très heureuses, vous vivrez contentes, et expérimenterez dès ce monde les faveurs du Paradis, au moins par-petits échantillons. Mais prenez garde que s’il vous vient 22 quelque goût intérieur et caresse de Notre-Seigneur de ne vous y pas attacher; c’est comme un peu d’anis confit que l’apothicaire 23 céleste met sur la portion amère de la mortification qu’il faut que vous avaliez pour votre santé; et bien que le malade prenne de la main de l’apothicaire ces grains sucrés, il faut par nécessité qu’il ressente par après les amertumes de la purgation.

Vous voyez donc bien clairement quelle est la prétention que vous devez avoir pour être dignes épouses de Notre-Seigneur, et pour vous rendre capables de l’épouser sur le mont de Calvaire. Vivez donc toute votre vie et formez toutes vos actions selon icelles, et Dieu vous bénira. Tout notre bonheur consiste en la persévérance, c’est pourquoi je vous y exhorte, mes très chères Filles, de tout mon coeur, et prie la divine Bonté qu’il vous comble de ses grâces et de son divin amour en ce monde, et nous fasse assurer 24 de sa gloire en l’autre. Amen.

Ma Mère, j’ai déjà répondu ailleurs à votre demande; à savoir mon 25, si l’on doit demander congé de communier ou faire des mortifications plus que la Communauté. Si j’étais Religieuse, je pense que je ne demanderais point du tout de singularités : ni à communier, ni à porter la haire, le cilice, la ceinture et faire des jeûnes extraordinaires, la discipline ni aucune autre chose, me contentant en tout de suivre la Communauté. Si j’étais robuste, je ne mangerais pas quatre fois le jour; mais si l’on me le faisait faire, je le ferais et je ne dirais rien. Si au contraire j’étais débile et que l’on ne me fît manger qu’une fois le jour, je ne mangerais qu’une fois le jour, sans m’amuser à penser si je serais débile ou fort. Je veux peu de chose; ce que je veux, je le veux pour Dieu ; je n’ai presque point de désirs, mais si j’étais à renaître je n’en aurais ou n’en voudrais point avoir du tout. Si Dieu venait à moi pour me favoriser du sentiment de sa présence, j’irais aussi à lui pour l’accepter et correspondre à sa grâce ; mais s’il ne voulait pas venir à moi, je me tiendrais là et n’irais pas à lui : je veux dire, je ne rechercherais pas d’avoir ce sentiment de sa présence, ains me contenterais de la simple appréhension 26 de la foi.

3. ce que nous prétendons 4. suffisants 5. vieux — 6. faire davantage 7. dans le — 8. fournit 9. à — 10. gants musqués 11. courage — 12. avant de — 13. sentent 14. apte, faite — 15. qui a de mauvaises habitudes — 16. tempérament 17. vous convient — 18. saisi — 19. outrepasser 20. naviguent — 21. souci 22. arrive — 23. pharmacien — 24. nous donne l’assurance — 25. à savoir 26. action de saisir par l’esprit



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DIEU SOIT BÉNI! 27

27. Le « vingt-uniesme Entretien, Sur le document de ne rien demander, ne rien refuser », est un texte composé de fragments du dernier Entretien fait à Lyon en 1622, et de deux Sermons. Nous le supprimons donc ici, et nous donnons ci-après, p. 463, le texte authentique de l’Entretien.


VINGT-DEUXIÈME ENTRETIEN - DES CINQ DEGRÉS D’HUMILITÉ

Le premier degré de l’humilité c’est la connaissance de soi-même, c’est-à-dire lorsque, par le témoignage de notre propre conscience et par la lumière que Dieu répand dans notre esprit, nous connaissons que nous ne sommes rien que pauvreté, que misère et abjection. Cette humilité ici, si elle ne passe pas plus avant, elle n’est pas grande chose, et en effet elle est fort commune; car il se trouve peu de personnes qui vivent avec tant d’aveuglement qu’ils ne connaissent assez clairement leur vileté, pour peu de considération qu’ils fassent; mais néanmoins, si bien ils sont contraints de se voir pour ce qu’ils sont, ils seraient extrêmement marris si quelque autre les tenait pour tels. C’est pourquoi il ne faut pas s’arrêter là, ains passer au second degré, qui est la reconnaissance; car il y a différence entre connaître une chose et la reconnaître.

La reconnaissance donc, c’est de dire et publier, quand il en est besoin, ce que nous connaissons de nous; mais cela s’entend de le dire avec un vrai sentiment de notre néant, car il s’en trouve une infinité qui ne font autre chose que s’humilier en paroles. Parlez à une femme la plus vaine du monde, à un courtisan de même humeur, dites-leur voir 1 : Mon Dieu, que vous êtes brave 2

1. dites-leur — 2. accompli, parfait

que vous avez de mérites! je ne vois rien qui approche de votre perfection. — O Jésus, vous répondront-ils, excusez-moi, je ne vaux rien et ne suis que la misère même et imperfection; mais cependant ils sont extrêmement aises de s’entendre louer, et encore plus si vous le croyez comme vous le dites. Voilà donc comme ces termes d’humilité ne sont que sur le bout des lèvres et ne partent nullement de l’intime du coeur; car si vous les preniez au mot sur leurs fausses humiliations, ils s’en offenseraient et voudraient que tout sur-le-champ on leur fît réparation d’honneur. Or, de tels humbles Dieu nous en défende.

Le troisième degré est d’avouer et confesser notre vileté et abjection quand les autres la découvrent : car souventes fois nous disons bien nous-mêmes que nous sommes pervers et misérables, mais nous ne voudrions pas qu’un autre nous devançât en cette déclaration ; et si on le fait, non seulement nous n’y prenons pas plaisir, mais de plus nous nous en piquons, ce qui est une vraie marque que notre humilité n’est pas parfaite ni de la fine 3. Il faut donc avouer franchement et dire : Vous avez raison, vous me connaissez extrêmement bien. Et ce degré ici est déjà fort bon.

Le quatrième c’est d’aimer le mépris et se réjouir quand on nous déprime et avilit; car, quelle apparence de tromper l’esprit d’autrui ? il n’est pas raisonnable. Puisque nous avouons que nous ne sommes rien, il faut être bien aises

3. plus délicate

que l’on le croie, que l’on le dise et que l’on nous traite comme vils et misérables.

Le cinquième, qui est le dernier et le plus parfait de tous les degrés d’humilité, c’est non seulement d’aimer le mépris, mais de le désirer, de le rechercher et s’y complaire pour l’amour de Dieu: et ceux qui parviennent ici sont bien heureux, mais le nombre en est fort petit. Notre-Seigneur le veuille accroître de vingt-cinq ou trente filles qui lui soient dédiées en cette petite Congrégation. Ainsi soit-il.



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DERNIER ENTRETIEN

DE NOTRE TRÈS SAINT ET BIENHEUREUX PÈRE SUR PLUSIEURS QUESTIONS QUE NOS CHÈRES SOEURS DE LYON LUI FIRENT DEUX JOURS AVANT SA BIENHEUREUSE MORT, LE JOUR DE SAINT ETIENNE 1622

Comme il entra, il dit : « Bonsoir, mes chères Filles, je viens ici pour vous dire le dernier adieu et m’entretenir un peu avec vous, parce que la Cour et le monde me dérobent le reste. Enfin, mes chères Filles, il s’en faut aller ; je viens finir la consolation que j’ai reçue jusques à présent avec vous : qu’avons nous à dire? Rien plus 1, sans doute. Il est vrai que les filles ont toujours beaucoup de répliques. Il est mieux de parler à Dieu qu’aux hommes. » Notre Mère lui dit: « Monseigneur, nous voulons parler à vous afin d’apprendre à parler à Dieu. » — « L’amour-propre, » dit-il, « se sert de ce prétexte-là. Ne faisons point de préface, et vous asseyez, je vous prie, car nos Soeurs sont incommodées. »

On lui demanda si ce n’était pas mieux et plus simple de regarder les vertus de Dieu que non pas celles des Supérieures et des Soeurs.— Il répondit que non, que cela n’était pas contraire à la simplicité et qu’il était bon de le faire ; mais que, qui voudrait regarder leurs vertus pour

1. rien de plus

éplucher 2 celles qui sont plus vertueuses que les autres, ou afin de censurer et murmurer de leurs vertus pour y trouver à redire, ce serait là oit il y aurait du mal. « De les regarder afin de les imiter et en tirer de l’édification, or cela est autre chose ; si vous regardez leurs vertus avec une grande charité pour les imiter, vous ferez bien. Les vertus de Dieu, en tant que 3 Dieu, sont si excellentes, que pour satisfaire à notre faiblesse il s’est voulu faire homme pour nous montrer l’exemple de ce que nous devons faire, afin que nous le puissions imiter. C’est une bonne chose de regarder et se représenter les exemples des Saints afin de les imiter, et surtout du Roi des Saints, Notre-Seigneur et Rédempteur. Il est écrit que saint Antoine passa toute l’année de son noviciat à considérer les vertus de ses Frères et, comme une soigneuse abeille, cueillait sur chaque fleur d’icelles le miel qui lui était nécessaire. L’amour de Dieu est inséparable d’avec l’amour du prochain, et il est toujours mieux de regarder les vertus de Notre-Seigneur. »

« Monseigneur, » lui dit-on, « il y a des filles qui s’amusent tant à regarder les vertus des Supérieures qu’elles sont toujours après à les louer et applaudir. » — « Quoi, » dit-il, « fait-on cela céans? » — « Oui, Monseigneur, il y en a trois ou quatre qui font cela coutumièrement 4.» — « Ma fille, vous ne devez pas souffrir cela. Quand les inférieures connaissent que la Supérieure est un peu vaine et qu’elle se plaît à être louée et aimée, elles la rouent plutôt afin que la Supérieure les

2. examiner par le menu — 3. comme —4. ordinairement

aime que non pas pour autre fin; mais si elles voyaient que la Supérieure rechignât et fît mauvaise mine quand elles la louent, elles ne seraient pas si promptes à le faire. » — « Que faut-il donc faire, Monseigneur, quand on nous loue ? » « Il s’en faut aller à Dieu et les laisser là ; mais pour les inférieures, quand la Supérieure loue quelques bonnes actions qu’elles ont faites, il ne faut pas qu’elles s’en aillent, il est quelquefois nécessaire de le faire ; mais pour les Supérieures, elles ne doivent pas permettre cela en façon quelconque. Mais il ne s’en faut pas étonner, parce que là où il y a amas de filles, il y a aussi amas de louanges et flatteries. »

« Vous demandez si ce n’est pas une grande faiblesse de désirer les charges et de se mettre en peine quand on ne nous en donne point ? — De les désirer, cela est bien mal, comme aussi de s’en mettre en peine ; c’est une faiblesse que d’amuser son esprit à cela, surtout quand elles sont honorables. Nous sommes si aises d’avoir quelque charge pour surexceller par dessus les 5 autres, comme d’être Supérieure ou Assistante, afin de faire voir là son bel esprit, car ma Soeur ordonne et dispose si bien !nous sommes si aises de faire voir que nous savons fort bien ordonner. » — « Mais, » dit-on, « si j’étais Supérieure, je pratiquerais tant la vertu, l’humilité, la charité. » — « Oui, ma Soeur, notre amour-propre aime tant que l’on voie la beauté de notre esprit: Ma Soeur est si douce quand elle est élevée par dessus les 6 autres et que personne ne lui dit rien

5. exceller au-dessus des — 6. au-dessus des

tout le monde remarque sa vertu. Il n’y a nul doute que l’on ne nourrisse bien son amour-propre là-dedans. Le désir des charges est fort commun, mais il n’y a point de mal quand il est hors de notre volonté : il se faut moquer de tout cela. Ce n’est pas en Religion que l’on doit chercher et désirer les charges honorables ; les mondains et ceux qui sont à la Cour ne font autre chose que de courir après les dignités et prééminences, aussi la Cour n’est faite que pour cela mais quand cela arrive en Religion, c’est signe 7 que l’on n’est pas encore bien dénué ni mortifié.

« Il faut bien prendre garde qu’il y a des âmes qui ont si grand peur que le désir des charges entre en leur esprit, qu’elles sont toujours en appréhension et inquiétude, et n’ont jamais l’esprit tranquille ni reposé ; car pendant qu’elles s’amusent à l’appréhension, elles tiennent leur coeur ouvert, et le diable y jette par ce moyen la tentation dedans. Elles ressemblent à ceux qui ont peur des larrons : ils sortent dehors et laissent la porte ouverte, et ce pendant 8 les larrons entrent et font ce qu’ils veulent. Il ne se faut pas mettre en peine quand nous sentirons des désirs en nous ; tant que nous vivrons, notre nature nous les produira. Il ne faut non plus craindre qu’il nous en vienne, pourvu que nous tenions toujours notre volonté supérieure ferme en Dieu et au lieu de nous amuser à de vaines craintes, il nous faut tenir notre coeur en Dieu et nous unir à lui: car enfin il ne faut rien désirer ni rien refuser, mais se laisser entre les bras de la

7. preuve — 8. pendant ce temps

Providence divine, sans s’amuser à aucun désir, sinon en ce que Dieu veut faire de nous. Saint Paul pratiqua excellemment cet abandonnement 9 au même instant de sa conversion; quand Notre-Seigneur l’eut aveuglé, il dit tout promptement: Seigneur, que vous plaît-il que je fasse a ? et demeura indifférent à tout ce que Dieu ordonnerait de lui. Toute notre perfection dépend de ce point.

« Il ne faut donc pas désirer les charges honorables, cela empêche grandement l’union de notre âme avec Dieu qui se plaît en la bassesse et humilité. » — « Monseigneur, ce n’est pas seulement des charges honorables, mais de toutes autres. » — « Saint Paul nous défend de désirer des charges relevées et des prééminences. De désirer les basses, cela est encore passable ; néanmoins ce désir est suspect, car saint Paul écrivant à un sien disciple lui défend entre autres choses de ne point occuper son coeur à aucun vain désir b, tant il avait de connaissance de ce défaut, et que cela retarde notre avancement. »

« Vous demandez si on ne peut pas désirer des charges basses, parce qu’elles sont pénibles, et semble qu’il y ait plus à faire pour Dieu et plus de mérite que de demeurer en sa cellule. » — « Oui, ma fille, car David disait c qu’il aimait mieux être abject en la maison du Seigneur que d’être grand parmi les pécheurs, et disait : Il est bon, Seigneur, que vous m’ayez humilié, afin d’apprendre vos justifications d . Or néanmoins, ce désir

a. Ac 9,6.— b. 2Tm 2,22.— e. Ps 83,11. — d. Ps 118,71.

9. abandon

est fort suspect, comme pouvant être une cogitation 10 humaine. Que savez-vous si après avoir désiré ces charges basses et humbles vous aurez la force d’agréer les abjections et humiliations qui s’y rencontreront ? il vous pourrait venir beaucoup de dégoût et d’amertume de l’humiliation. Que si peut-être vous vous sentez la force de souffrir la mortification et humiliation, vous ne savez si vous l’aurez toujours. Il faut tenir le désir des charges, tant des unes que des autres, honorables et abjectes, pour tentation ; car il est toujours mieux de ne rien désirer, mais de se tenir prête pour faire l’obéissance. Il vaut mieux être en sa cellule par obéissance, faisant un petit ouvrage, ou lisant, ou faisant que sais-je moi quoi ; et si on le fait avec plus d’amour que celle qui est à la cuisine, qui a beaucoup de peine et se brûle les yeux, si elle le fait avec moins d’amour, l’autre a plus de mérite : car ce n’est pas par la multiplicité de nos oeuvres que nous plaisons à Dieu, mais par l’amour avec lequel nous les faisons.

« Et ne faut point faire ces jugements, où il y a plus de mérite; pour nous autres il n’y faut point regarder, et je n’aime point cela de vouloir toujours regarder au mérite, car les Filles de Sainte-Marie ne doivent faire leurs actions que pour la plus grande gloire de Dieu. Si nous pouvions servir Dieu sans mériter, ce qui ne se peut, nous devrions désirer de le faire. Il est à craindre qu’en voulant choisir où il y a plus de mérite, nous ne donnions le change à notre esprit. C’est

10. pensée

une façon de parler des chasseurs, que quand les chiens ont le sentiment diverti 11 et rempli de divers goûts, ils perdent facilement la mutte 12 »

« Ce n’est pas cela que je veux dire, Monseigneur, de regarder où il y a plus de mérite, mais seulement parce qu’aux charges pénibles il semble qu’il y ait plus à faire pour Dieu que d’être en sa cellule. » — « Ce n’est pas par la grandeur de nos actions que nous plaisons à Dieu, comme j’ai déjà dit, mais par l’amour avec lequel nous les faisons ; car une Soeur qui sera en sa cellule, ne faisant qu’un petit ouvrage, méritera plus qu?une autre qui aura bien de la peine, si elle le fait avec moins d’amour. C’est l’amour qui donne la perfection et le prix à nos oeuvres. Je vous dis bien plus : voilà une personne qui souffre le martyre pour Dieu avec une once d’amour, elle mérite beaucoup, car on ne saurait donner davantage que sa vie ; mais une autre personne qui ne souffrira qu’une chiquenaude avec deux onces d’amour aura beaucoup plus de mérite, parce que c’est la charité et l’amour qui donne le prix à tout. Vous savez que la contemplation est meilleure que l’action et vie active ; mais si en la vie active il s’y trouve plus d’union, elle est meilleure. Que si une Soeur étant en la cuisine, tenant la poêle sur le feu, a plus d’amour et de charité que l’autre, le feu matériel ne le lui ôtera point, au contraire, il lui aidera à être plus agréable à Dieu. Il arrive assez souvent qu’on est aussi uni à Dieu par l’action que dans la solitude; mais enfin je reviens toujours:

où il y a plus d’amour, il y a plus de perfection.

11. détourné — 12. meule

« C’est le meilleur de ne rien désirer et ne rien refuser. Tous ces désirs mie proviennent que de la nature et ne servent que d’inquiétude aux esprits et à contenter notre amour-propre, sous le prétexte de faire beaucoup pour Dieu. Que si vous êtes bien aise, par lâcheté de courage, de coudre en votre cellule afin de n’avoir pas tant de peine, ce désir n’a pas une bonne fin. Il ne faut pas désirer sa cellule quand on n’y peut pas être, mais faire ce que l’on fait pour Dieu, et retrancher de son esprit tous ces désirs. O mon Dieu, quand sera-ce que nos Soeurs n’auront plus tant de désirs, et qu’elles -s’amuseront à faire et à ne rien vouloir que ce que Dieu veut, la volonté duquel nous est signifiée par nos Règles et Supérieurs!

« Vous demandez si quand on ne se sent pas la force de faire une charge avec douceur d’esprit, parce que l’on y a beaucoup de répugnance, s’il faudrait le dire à la Supérieure, ou l’accepter tout simplement ? — Oh ! non, ma chère fille, il ne le faut pas dire, car cela serait contraire à la simplicité. Je ne dis pas qu’absolument l’on n’en parle point, mais qu’il est plus parfait de n’en rien dire et se mettre en l’exercice. Il est dangereux que l’amour-propre nous le fasse dire, de crainte que nous avons de ne la pas bien faire, pour nous excuser quand nous viendrons à y manquer, afin que l’on en soit averti; cela est bien dangereux et suspect. Bien que nous le fassions sous prétexte d’humilité, il ne l’est nullement ; au contraire, cela est contre l’humilité. Si l’on me donnait des charges honorables ou abjectes, je les prendrais et les recevrais avec humilité sans en dire un seul mot, ni n’en parlerais en façon quelconque, sinon que l’on m’en interrogeât ; car alors je dirais simplement la vérité, comme je me sentirais, sans autre chose.

« Mais vous demandez s’il ne faut pas dire les mouvements de son coeur en rendant compte à la Supérieure. — Or, la reddition de compte c’est autre chose. Oui, il les faut dire tout simplement; mais pour toutes ces petites choses qui passent par l’esprit sans s’y arrêter, je trouverais meilleur que l’on passât tout cela entre Dieu et soi, parce qu’il n’est pas digne d’attention. Mais si cela s’arrête en l’esprit et qu’il nous fasse faire quelque faute, c’est cela qu’il faut dire. Si chacun voulait choisir en Religion les charges à sa fantaisie, que serait-ce sinon faire chacun sa volonté? Que nous doit-il importer d’avoir de la peine aux charges, puisqu’elles nous sont imposées par nos Supérieures qui nous représentent Dieu ? David disait e : J’ai été fait comme une bête de charge pour porter les commandements du Seigneur; en quoi il nous fait bien voir la soumission que nous devons toujours avoir en tout ce qui nous est ordonné de Dieu et de nos Supérieurs.

« Vous demandez si les désirs, quoique involontaires, ne nous retardent pas beaucoup en la perfection ? — Oh ! non, ma chère fille, notre nature nous les produira toujours; les désirs, pensées et mouvements involontaires ne nous peuvent point nuire en la perfection. Nous le voyons bien en saint Paul, lequel étant tenté de

e. Ps 72,23.

l’aiguillon de la chair, ce mouvement le pressant fort, il demanda par trois fois à Dieu d’en être délivré; et lors il ouït Notre-Seigneur qui lui dit : « Paul, ma grâce le suffit, la vertu se perfectionne en l’infirmité f ; et lors il demeura tranquille et paisible en sa peine et tentation. Que nous doit-il soucier 13 si nous sentons de la peine, pourvu que nous fassions notre devoir? Laissons aboyer ce mâtin contre la lune, il ne nous peut rien faire si nous ne voulons. Notre-Seigneur nous en a voulu donner l’exemple au jardin des Olives, voulant sentir des mouvements contraires à sa partie supérieure; bien que sa volonté fût conforme à celle de son Père éternel, il ne laissait pas de ressentir 14 Mais il y a cette différence entre Notre-Seigneur et nous, que volontairement il voulait ressentir pour l’amour de nous, s’en pouvant exempter en tant que Dieu; mais nous ne le pouvons, encore qu’il soit contraire à notre volonté.

« Vois demandez s’il ne serait pas mieux de se divertir simplement, que de contester avec son esprit et s’opiniâtrer à vouloir rejeter la tentation. — Qui en doute, ma chère fille, qu’il ne vaille mieux parler à Notre-Seigneur en se divertissant simplement, que de disputer et s’opiniâtrer avec le diable ? La simplicité est toujours préférable en tout. Par exemple : si le désir me venait d’être Pape et que la papauté m’occupât l’esprit, je ne ferais que m’en rire et me divertirais en pensant qu’il fait bon en la vie éternelle, que Dieu est

f. 2Co 12,7-9.

13. importer — 14. sentir

aimable, que ceux qui sont au Ciel sont heureux de jouir de lui ; et ainsi faisant, je me divertirais généreusement et noblement, car lorsque le diable me mettrait dans l’esprit le désir de la papauté, je parlerais à Dieu de sa Bonté, et choses semblables.

« Vous demandez s’il ne faudrait point recevoir de scrupule quand on n’aurait point fait attention un jour ou deux à la rejeter, étant ainsi occupée en Dieu, sans faire attention à s’en divertir ? — Qui en doute, ma chère fille, qu’il ne soit mieux de se tenir ainsi en la présence de Dieu, plutôt que de tant fléchir et réfléchir sur ce qui se passe dedans nous et autour de nous ? — Vous demandez si on se sentait un grand scrupule, ne pouvant accoiser 15 son esprit, à cause que ces désirs et -tentations ont tant duré, si on s’en pourrait confesser? — Vous le pouvez si vous voulez, et dire : Je m’accuse d’avoir eu deux ou trois jours une tentation de vanité que je suis en doute de n’avoir pas rejetée. »

« Vous dites, Monseigneur, qu’il ne faut rien désirer; mais ne faut-il pas désirer l’amour de Dieu et l’humilité ? car Notre-Seigneur a dit : « Demandez et il vous sera donné, heurtez et il vous sera ouvert g .» — « O ma fille, quand je dis qu’il ne faut rien désirer ni demander, j’entends pour les choses de la terre, car pour ce qui est des vertus nous les pouvons demander. Quand nous demandons l’amour de Dieu et la charité nous y comprenons l’humilité et toutes les vertus,

g. Mt 7,7 Lc 11,9.

15. tranquilliser

car elles ne sont point séparées les unes des autres. »

L’on demande si une Novice, d’abord qu’elle entre dans la Maison se jetait dans cette indifférence de ne rien désirer ni refuser, s’il n’y aurait point à craindre que ce fût plutôt par lâcheté et négligence d’esprit qu’autrement, et si elle ne ferait pas mieux de s’adonner à l’humilité et autres vertus qui lui sont nécessaires ? — « Oh ! non, ma chère fille, si elle était conduite par ce chemin il n’y aurait rien à craindre, car ne désirant que l’amour de Dieu elle pratiquerait toutes les vertus et tout ce qui est nécessaire pour plaire à Dieu car l’amour de Dieu surpasse toutes les vertus. Plût à Dieu qu’il y en eût plusieurs qui fussent conduites par cette voie, car n’ayant rien dans l’esprit que ce seul désir de plaire à Dieu, elles feraient toutes choses avec perfection, sans se mettre -en peine dé ce qu’on penserait d’elles. »

L’on demande si ce n’est pas une marque que nous suivons notre sentiment 16 de laisser de se mettre proche d’une Soeur à la récréation, quand elle nous a avertie.— « Ce serait apertement 17 nourrir son sentiment que de le faire. Pour les larmes, il y a des naturels qui ne s’en peuvent pas empêcher, et nous sommes quelquefois si aises de pleurer, surtout quand on nous change de Supérieure, pour montrer que ma Soeur une telle n’est pas dénaturée 18 et qu’elle le ressent bien. Cela fait si grand bien à l’amour-propre, afin que l’on connaisse que nous leur sommes bien obligées. Enfin ce ne sont que faiblesses de filles. »

16. ressentiment — 17. ouvertement — 18. insensible

« Vous demandez comme il faut faire pour se bien confesser. — Que voulez-vous que je vous die ? Vous le savez déjà tant; mais j’aime bien pourtant que l’on me fasse ces demandes ici, La Confession est une chose grandement importante; trois choses y sont nécessaires. La première, d’y aller purement pour s’unir à Dieu par le moyen de la grâce que l’on reçoit en ce Sacrement. Les Religieux ont en cela un grand avantage par dessus les mondains, étant hors des occasions de ces grandes désunions, parce qu’il n’y a que le péché mortel qui nous désunisse de Dieu. Les péchés véniels ne nous en désunissent pas, ains ils font une petite ouverture entre Dieu et l’âme ; et par la vertu de ce Sacrement, nous réunissons notre âme à Dieu et la remettons en son premier état.

« La seconde et troisième condition, c’est d’y aller purement et charitablement; au lieu de faire cela, l’on y porte bien souvent des âmes toutes embrouillées et embarrassées, qui fait qu’elles ne savent pas bonnement ce qu’elles veulent dire : ce qui est de grande importance, car elles mettent en peine les confesseurs parce qu’ils ne les peuvent pas entendre, ni comprendre ce qu’elles veulent dire, et au lieu de se confesser de leurs péchés, elles pèchent pour l’ordinaire en se confessant. Il se commet en confession quatre grands manquements : le premier, c’est d’y aller pour se décharger et soulager, plutôt que pour plaire à Dieu et s’unir à lui. Il nous semble que nous avons l’esprit si content quand nous nous sommes bien déchargés, et pensons que cela suffit, comme si notre paix et repos dépendait de cela. En ces décharges 19 qui tirent à la longue devant le confesseur, il est dangereux que nous ne mêlions les défauts des autres avec les nôtres, ce qu’il ne faut point faire. C’est ici où il est dangereux de faillir et où les péchés se commettent pour l’ordinaire en confession.

« Le deuxième manquement, c’est qu’ils vont dire de beaux discours et agencements de belles paroles, racontent de grandes histoires pour se faire estimer, faisant semblant d’exagérer leurs fautes par leurs beaux discours, et d’une grosse faute ou d’un gros péché, ils le diront en telle sorte qu’il semblera bien petit ; et faisant ainsi, ils ne donnent pas connaissance au confesseur de l’état de leur âme.

« Le troisième manquement, c’est qu’ils y vont avec tant de finesse et de couverture 20», qu’au lieu de s’accuser ils s’excusent par une grande recherche d’eux-mêmes, craignant qu’on ne voie leurs fautes: cela est très pernicieux 21, qui le voudrait faire volontairement.

« Le quatrième manquement, c’est qu’il y en a qui se satisfont à exagérer leurs fautes, et d’une petite faute ils en font une très grande. L’un et l’autre de ces manquements est très grand. Je voudrais que l’on die simplement et franchement les choses comme elles sont. Il faut aller à la Confession purement pour nous unir à Dieu, avec une vraie détestation de ses péchés et une volonté ferme et entière de s’amender, moyennant sa grâce. »

19. action de se décharger — 20. mots couverts — 21. pour celui

L’on demande si les Soeurs doivent discerner les petites obéissances d’avec les grandes et si on doit s’accuser en ces termes : Mon Père, je m’accuse de quoi j’ai fait une désobéissance en chose d’importance, ou en chose légère, ou s’il faut dire la chose tout simplement comme elle est ; et si l’on doit discerner les obéissances de la Règle et des Constitutions, parce qu’il y en a qui nous sont conseillées seulement, et d’autres qui nous sont commandées absolument. — « Ma fille, votre demande est de très grande importance ; les confessions doivent être tellement nettes et entières que rien plus 22, je n’ai jamais approuvé qu’on y fût avec un esprit embrouillé ; il faut dire les choses comme elles sont. Vous mettez les confesseurs en peine, ils ne vous entendent pas, et pensent que les petites fautes soient quelques grandes choses. Si votre désobéissance est grande en elle-même, dites-la comme elle est, tout simplement. Pour ce qui regarde les petits manquements, c’est autre chose, car disant au confesseur : Je m’accuse de quoi j’ai manqué à deux obéissances légères et de peu d’importance, cela le tient en repos, sachant que ce n’est pas grande chose.

« Il faut bien considérer les circonstances de tant de petits manquements, car la Règle et les Constitutions n’obligent nullement à péché d’elles-mêmes : ce n’est donc pas la Règle ni les Constitutions qui font le péché, mais les circonstances et les mouvements qui, en toute autre occurrence, le causeraient. Comme par exemple : la cloche nous appelle le matin, qui est la voix de Dieu,

22. qu’on ne puisse exiger rien de plus

et je demeure un quart d’heure après qu’elle aura sonné ; qui ne voit qu’en cela ce n’est pas la Règle ni les Constitutions qui nous font faire le péché (car c’est un péché véniel, cela), mais le mouvement de paresse par lequel nous désobéissons ? Et pour la Règle, ma fille, il n’y a nul doute que les fautes que l’on fait contre ne soient plus grandes que celles que l’on fait contre les Constitutions; car les Règles sont les fondements de la Religion, et les Constitutions ne sont que des marques et des traces pour nous faire mieux observer la Règle. Et pour les choses qui nous sont conseillées ès Règles et Constitutions il n’est point besoin de s’en confesser, car il n’y a point de péché ; mais pourtant, la circonstance pourrait être telle en chose de conseil qu’elle serait péché, comme le mépris et autre chose. Le mépris nous fait faire beaucoup de mal.

« Dites-vous, ma fille, si à la récréation on a suivi quelque passion et fait quelque chose en suite d’icelle, comme de contester en quelque chose légère et de récréation, sans s’en apercevoir qu’après que cela est fait, s’il y a matière de confession ? — Oh! non, ma fille, il n’y en a point en ce qui se fait par surprise et simple récréation mais si vous ne vous soumettez pas intérieurement, il s’en faut confesser. Aux manquements qui se font contre la Règle par surprise, il n’y a point de péché, non plus qu’en ceux qui se font par surprise de nos passions. Il n’y a que la volonté déterminée qui fasse le péché. »

L’on demande si, en l’examen, il ne faut pas distinguer les péchés véniels d’avec les imperfections. « Il n’y a point de doute, ma chère fille, qu’il ne soit très bon de le faire pour ceux qui le savent. Mais de deux cents il n’y en a pas deux qui le sachent faire, les plus saints mêmes y sont bien empêchés 23 ce qui est cause qu’on apporte de grands embarras et un amas d’imperfections en la confession, sans distinguer nullement le péché d’avec l’imperfection ; cela met bien souvent les confesseurs en peine, car il faut qu’ils distinguent pour voir s’il y a péché, et par conséquent matière d’absolution. Je vous dirai sur ce sujet ce qui m’arriva un jour en confessant la bienheureuse Soeur Marie de l’Incarnation étant dans le monde. Après l’avoir confessée deux ou trois fois, elle s’accusa à moi de plusieurs imperfections ; et ayant tout dit, je lui dis que je ne lui pouvais pas donner l’absolution parce qu’en ce dont elle s’accusait il n’y avait pas matière d’absolution : ce qui l’étonna grandement, parce qu’elle n’avait jamais fait cette distinction du péché d’avec l’imperfection. Voyant cela, je lui fis ajouter un péché qu’elle avait fait autrefois, ce que vous faites vous autres. Elle me remercia de la connaissance que je lui avais donnée de ce que jusques alors elle avait ignoré. Vous voyez donc combien cela est difficile, car bien que cette âme fût fort éclairée, elle était néanmoins demeurée si longtemps en cette ignorance. Il n’est pas néanmoins nécessaire de faire ce discernement quand on ne le sait pas faire, puisque cette grande servante de Dieu ne laissait pas d’être sainte. Il est toutefois bon de le faire quand on le peut.

23. embarrassés

« Vous demandez que c’est que péché véniel et imperfection. Le péché véniel dépend de notre volonté, et où il n’y a point de volonté il n’y a point de péché. Par exemple : si je venais céans demander la Supérieure, et que je lui dise que je la viens voir de la part de la Princesse qui la salue, et chose semblable, et que de tout cela il n’en fût rien, et que seulement j’eusse fait cet agencement en mon esprit, cela n’est pas de grande importance; mais je l’aurais fait volontairement, c’est cela qui fait le péché véniel. Et l’imperfection est quand nous faisons quelque faute par surprise, sans volonté délibérée ; comme par exemple, si je fais un conte à la récréation, et que dans mon discours 24 il s’y glisse quelques paroles qui ne soient pas du tout 25 véritables, ne m’en apercevant point qu’après qu’il serait fait, cela n’est point péché, mais imperfection, et n’ai nullement besoin de m’en confesser. Toutefois, n’ayant rien autre on le pourrait faire ; mais il faut toujours dire un péché que l’on a fait au monde, parce que vous n’auriez pas matière d’absolution. »

L’on demande « si, sachant véritablement que l’on a des péchés véniels, l’on peut s’approcher de la sainte Communion sans se confesser; parce que, Monseigneur, vous avez dit qu’ils font une petite séparation entre Dieu et l’âme. » Il répond « O Jésus, oui, ma fille, sinon que par humilité vous vous en voulussiez priver. » — « Ne pourrait-on pas demander de se confesser hors de la Communauté ? » — « Si c’est un jour que la Communauté se doive confesser, vous le pouvez

24. récit — 25. tout à fait

demander; si on ne vous le permet pas, demeurez en paix, sinon que votre conscience vous remorde trop 26: alors vous vous en pouvez priver avec congé. Mais je n’approuve point que l’on se confesse outre les jours que 27 la Communauté le fait, parce que cela ne peut donner que des soupçons aux autres que l’on n fait quelque grande chose. »

Une Soeur réplique s si ayant lu quelque chose d’utile pour une Soeur qui aurait fait quelque manquement de quoi notre lecture traiterait, et que l’on dît sa lecture pour l’amour d’elle, s’il y aurait du mal à le faire ? » — « Si vous le faisiez par un grand zèle de profiter à cette Soeur-là, il n’y aurait point de mal. Nous devons aider notre prochain en tout ce qui nous est possible, et même les avertissements sont ordonnés pour cela céans. Il me souvient à ce propos d’Arsénius, lequel commettait cette petite immodestie que vous savez ; et de vrai 28, la douceur avec laquelle ces saints Pères le reprirent est admirable, et fait bien voir comme l’on doit faire la correction doucement, particulièrement aux vieilles personnes.

« Si une Soeur ne s’amende point de témoigner son aversion, elle perd le mérite et la suavité de la bonne conversation, et elle ne rend pas son devoir à la Communauté.

« Vous demandez ce qu’il faut faire quand la Supérieure dit quelque chose que l’on n’a pas fait. » — « A cela je vous réponds, ma chère fille, qu’il faut faire deux pratiques de vertu. Quand

26. cause trop de remords — 27. en dehors des fours où — 28. à la vérité

la Supérieure dit: Dites-moi, ma Soeur, vous avez fait une telle chose ? Si vous ne l’avez pas fait, il faut répondre simplement et humblement la vérité ; si elle vous réitère que vous l’avez fait, faites deux actes, l’un de soumission et l’autre d’abjection, parce que l’on croit que vous avez manqué. »

L’on demande « si l’on doit s’empresser de faire prendre quelque chose à la Supérieure quand on pense qu’elle en a besoin, ou bien si on doit se tenir en repos, pensant qu’elle a assez l’esprit de la Règle pour demander ce qu’elle 29 aura besoin et nécessité. » — « A cela je réponds, ma chère fille, qu’il y a deux sortes de Supérieures : les unes qui sont grandement rigides et austères pour elles-mêmes, et pour celles-ci il ne faut pas attendre qu’elles le demandent, mais les prévenir quelquefois avec discrétion. Mais je vous dirai bien que les Supérieures se sentent obligées à une sainte austérité en l’observance de la Règle ; cela les rend plus retenues. Les autres sont trop tendres et trop libres 30, et prennent fort volontiers leurs soulagements ; pour celles-ci il ne les faut point presser, il suffit bien qu’on leur donne ce qu’elles demandent. Je vous dirai qu’entre tous les Saints qui sont au Ciel il y en a bien peu qui aient toujours donné droit au blanc des vertus; les uns ont excédé du côté de l’austérité, il y en a bien peu qui se soient tenus invariablement dans les bornes de la sainte médiocrité. Ainsi il y a bien peu de Supérieures qui se tiennent si justes dans ce milieu; les unes sont trop rigides et les autres trop flexibles.

29. ce dont elle — 30. prennent trop de liberté

« J’ai remarqué en toutes nos Maisons, que nos Filles ne font point de différence entre Dieu et le sentiment de Dieu, entre la foi et le sentiment de la foi; ce qui est un très grand défaut et une. ignorance. Il leur semble que quand elles ne sentent pas Dieu, elles ne sont pas en sa présence. Comme par exemple, une personne ira souffrir le martyre pour Dieu, et néanmoins elle ne pensera pas en lui pendant ce temps-là, sinon en sa peine; et quoiqu’elle n’ait point le sentiment de la foi, elle ne laisse pas de mériter en faveur de sa première résolution et fait un acte de grand amour.

« Nous n’avons rien à désirer que l’union de notre âme avec Dieu. Vous êtes bien heureuses vous autres d’être en Religion; vos Règles et tous vos exercices vous portent continuellement à cela, vous n’avez qu’à faire, sans vous amuser aux désirs. »

Comme il vit les flambeaux allumés pour le reconduire, il dit avec étonnement à ses gens « Hé! que voulez-vous faire, vous autres? je passerais bien ici toute la nuit sans y penser. Il s’en faut donc aller; voici l’obéissance qui m’appelle. A Dieu, mes chères Filles; je vous emporte toutes dans mon coeur, et je vous le laisse pour gage de mon amitié. »

Lors notre Mère le supplia très humblement de nous dire ce qu’il désirait qui nous demeurât plus avant gravé en l’esprit. Il répondit: « Que voulez-vous que je vous die, ma chère fille? je vous ai tout dit en ces deux paroles : Ne désirez rien et ne refusez rien ; je ne sais que vous dire autre 31. Voyez-vous le petit Jésus dans la crèche ? il reçoit toutes les injures du temps, le froid et tout ce que son Père éternel permet lui arriver 32. Il ne refuse point les petits soulagements que sa Mère lui donne, il n'est pas écrit qu'il étendit jamais ses mains pour avoir les mamelles de sa Mère, mais laissait tout cela à son soin et pré- voyance. Ainsi, nous ne devons rien désirer ni rien refuser, souffrant tout ce que Dieu nous envoiera 33, le froid et les injures du temps. »

On lui demanda s'il ne se fallait point chauffer ; il répondit: « Quand le feu est fait, l'on voit bien que c'est l'intention de l'obéissance que l'on se chauffe, pourvu que ce ne soit pas avec tant et de si grands empressements. »

31. d'autre — 32 qu'il lui arrive . — 33. enverra




F de Sales, Entretiens 22