François S.: avis, sermons 215

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IDEM 1609-1612 (XXVI, 352)

En quoi consiste la simplicité. - Qui ne cherche que Dieu le trouve toujours. - Il faut le chercher par le chemin qu'il nous a marqué. - Ce n'est pas " nostre mal qui nous fait mal ", c'est l'amour-propre. - L'homme simple ne se trouble point. - Exercice d'union à la volonté de Dieu pour le matin, et " acte de reunion " à multiplier dans la journée. - Ne faire aucun acte de piété par manière d'acquit. - Mieux vaut n'entendre qu'une Messe, mais avec attention, que plusieurs avec irrévérence. - Conseil de saint François de Sales aux personnes très occupées. - L'égalité d'esprit est l'un des plus beaux ornements de la vie chrétienne. - Tâcher de l'acquérir en demandant le secours du Saint-Esprit et en se tenant en garde contre la langue.
Nostre Seigneur desire de vous, ma tres chere Fille, une grande simplicité spirituelle et une grande prudence : la simplicité de la colombe et la prudence du serpent (Mt 10,16). Or, la simplicité de la colombe consiste a ne vouloir qu'une seule chose, comme fit cette corneille changee en blanche colombe, je veux dire Magdeleine convertie, qui pour tout ne cherche que son Maistre. Tout ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien ; son coeur n'est point sujet au change, car elle rencontre les Anges, elle les quitte sans s'arrester avec eux, pour chercher son Bienaymé crucifié (Jn 20,12). Helas, mais helas ! que faites vous, ma chere Magdeleine ? vous laisses des Anges glorieux pour chercher un mort crucifié, En somme, elle ne cherche que son Maistre.
Ma tres chere Fille, le premier point de la simplicité de l'ame amante gist a ne chercher, a ne vouloir que Dieu. O si nous ne cherchions que cela, que nous serions heureux, car nous le trouverions tous-jours en le cherchant et le chercherions en le treuvant ; nous croiserions d'heure en heure au desir de le treuver, et le trouverions en la perseverance de le desirer. Mais, ce me dires vous, que desiray je sinon luy ? - Escoutes, ma Fille, et consideres le premier point de la simplicité celeste, qui consiste a ne chercher Dieu que par le chemin qu'il nous a marqué ; car qui ne veut pas aller par ou Dieu le conduit ne le treuvera jamais, d'autant qu'il ne le cherche pas simplement. - Et quel est le chemin qu'il vous a marqué, ma tres chere Fille ? Celuy auquel vous estes ; et croyes moy, Dieu conduisit les enfans d'Israel par la voye du desert pierreux, espineux et raboteux. O qu'heureux furent ceux qui ne murmurerent point, car jamais rien ne leur manqua ! O que malheureux furent ceux qui murmurerent, car ilz furent piqués du serpent (Nb 21,5) et eurent, mille angoisses.
Ne gromellons point dans nos coeurs, disant que nostre condition est insupportable. O combien de gens changeroyent volontier la leur a la nostre ! Ce n'est pas tant nostre mal qui nous fait mal, comme c'est nostre amour propre qui s'aigrit et inquiete a tout ce qu'il a a contre coeur. Le saint homme Job est moins inquiet entre les incomparables travaux sur son fumier (Jb 2,7), que le roy Achab sur son lit au milieu de son palais (1R 21,4), et que les mauvais Israelites entre les delices de la manne (Nb 11,4). L'hiver nous nous plaignons du froid et l'esté du chaud ; les mouches nous mettent en peyne sur le chemin ; en fin il n'y a que l'homme simple qui ne se trouble point, car il ne cherche que Dieu par le chemin auquel il est. Nous avons passé plusieurs jours d'extreme ennuy du tems que nous n'estions pas tant a Dieu que nous devions estre, mays nous y remédierons, moyennant son ayde, et commencerons ainsy : Premierement, le matin, prosternee devant. sa face et l'adorant profondément, vous jetteres vostre pensee a luy et considereres l'éternelle volonté qu'il a d'estre aymé de vous et d'estre uni par charité a vostre coeur, lequel donq vous eslanceres en cette souveraine Bonté et entre les bras aymables de cette sainte volonté. Vous unires la vostre avec icelle de toutes vos forces, par telles ou semblables protestations intérieures : Ouy, mon Dieu, mon ame se sousmet a vostre volonté et veut a jamais demeurer inseparablement unie et sujette a vostre intention. O Seigneur, que je sois donq sauvee, puisque telle est vostre volonté. Que je face a jamais vostre volonté et non la mienne (Lc 22,42). Vous estes le Dieu de mon coeur (Ps 72,26): qu'a jamais mon coeur soit dedié a l'obéissance du vostre, mon Dieu !
Secondement. Cet acte d'union a la volonté de Dieu estant fait au commencement de la journee, il faut souvent faire l'acte de reunion. Je dis de tems en tems, ou plustost de moment en moment, par des fréquentes eslevations de coeur en Dieu et par maniere de repetitions et confirmations de l'union des-ja faitte, comme disant interieurement - Ouy, Seigneur, je demeureray a jamais jointe et unie a vostre sainte volonté. O Seigneur, de grace, que ma volonté soit éternellement et inseparablement vostre. Mesme on peut repeter cet acte de reunion sans rien dire, faysant le signe de la Croix sur le coeur, ou levant les yeux au ciel, ou bien prononçant le sacré nom de JESUS. Et semble bon encores de faire cet acte de reunion au commencement de toutes les prieres qui se prattiquent parmy la journee, comme oyant la sainte Messe, au Benedicite et Graces de table, aux Ave de midi et du soir, apres l'examen, et particulièrement avant la confession, parce qu'il faut prendre soigneusement garde de ne faire aucun acte de pieté par maniere d'acquit, ains avec une serieuse et veritable affection.
Et en suite de cela, il est a noter que nous ne sommes pas obligés sous peyne de peché mortel ni mesme veniel d'ouyr la Messe, si ce n'est les jours de festes et Dimanche, non plus que d'ouyr les prieres extraordinaires du soir ; nous ne sommes point obligés d'ouyr Vespres ni de dire le Benedicite entrant a table, ni Graces en sortant, sous peyne de peché, et pourtant, quand nous faysons ces actes de religion et de devotion, nous sommes obligés de les faire sérieusement et avec reverence. Il vaudroit mieux n'ouyr qu'une Messe et l'ouyr reveremment, que d'en ouyr plusieurs ayant l'esprit distrait, sans attention ni reverence, n'estant pas loysible d'omettre le respect es exercices de religion, pour petitz qu'ilz soyent. C'est pourquoy, ceux qui sont sujetz a beaucoup d'occupations, je leur conseille de faire leurs exercices spirituels courtement, affin qu'ilz les puissent faire plus attentivement, s'y adonnant avec l'esgalité de l'esprit, qui est un des plus illustres ornemens de la vie chrestienne et un des plus aymables moyens pour acquerir et conserver la grace de Dieu, et mesme de bien edifier le prochain ; n'y ayant rien aussi qui detraque tant le bon estat du coeur, ni qui rende plus malaysee la conversation humaine que la bigearrerie de l'ame.
C'est une des plus blasmables conditions des créatures que d'estre immortifiees, c'est a dire d'estre sujettes a estre de différente humeur : tantost chagrine, melancholique, tantost colere, tantost rieux, tantost serieux, tantost censeur ; comme au contraire, c'est une inestimable perfection que d'avoir une humeur douce, esgale et qui face bon rencontre a quelqu'heure et a quelque tems que ce soit. Bien qu'il soit vray qu'il est presque impossible de conserver tous-jours si exactement cet advis parmy l'embarras de cette vie mortelle ; mais du moins il faut tascher d'acquérir ce bien nompareil de l'esgalité, et quand on s'apperçoit d'estre hors du train de la tranquillité, il faut avant toutes choses se mettre en devoir de corriger l'humeur et action contraire, s'humiliant devant le Saint Esprit et demandant son secours, ernpeschant du moinsque, pendant le trouble, la passion ne s'evapore par la langue, ni par les assautz extérieurs.
L'esprit de paix et de tranquillité, suavité et d'esgalité, c'est l'esprit de Dieu et d'édification que je vous souhaite de tout mon coeur, et qu'il demeure a jamais avec vous. Ainsy soit il.

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, nd Il 3.

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MADAME DE LA FOREST, soeur de Mme de la Fléchère, ABBAYE DE BONS, octobre 1608-1610 (XXVI,486)

Une excommunication qui, peut-être, reste sans effet. - Quand nous commettons des fautes, les réparer par l'humilité, et nous abîmer dans la confiance en Dieu et la défiance de nous-mêmes. - Soumission amoureuse à l'Abbesse du monastère ; ne pas la regarder " comme mauvaise, mais comme malade ". - Nos Supérieurs sont les officiers de Dieu. - Vaincre ses répugnances en témoignant à l'Abbesse une vraie charité.
Madame,
Je suis marry que je ne puis vous escrire plus souvent et qu'encor, quand je le fay, mes lettres tardent tant en chemin. La derniere que j'ay receu de vostre part me fait voir vostr'esprit en estonnement pour l'excommunication jettee contre vous de la part de M. vostre Superieur ; sur quoy j'ay a vous dire deux choses. L'une, que vostre droitt'intention et la bonté de vostre cause rend la faute, sil y en a, bien fort legere; l'excommunication aussi n'a peut estre pas esté effectuelle. L'autre, que quand en vraye verité vous auries fait la plus grande faute du monde, il faudroit s'en resoudre et accoyser par une grande humilité et sousmission a la miséricorde de Dieu, sans se descourager nullement, ni entrer en aucune sorte de regret. Car enfin, ma chere Fille, ce n'est pas grand merveille que nous facions des fautes ou bien que nous n'en facions pas. Mon Dieu, il me semble que c'est alhors que nous devons nous abismer tant plus en une entiere et [très] soüefve... (?)... confiance en sa divine bonté, et en [une] douce et paysible desfiance de nous mesme. C'est pourquoy je vous prie de ne plus permettre a ces tristes suggestions de l'ennemi qu'elles troublent vostre coeur, lequel ayant imploré la miséricorde de Dieu, ne doit pas moins estre asseuré et consolé qu'auparavant.
Quant a la difficulté que vous aves de vous humilier et sousmettre a vostre Abbesse ( cf XIV,204,206), je vous conseille de la vaincre en toutes les façons quil vous sera possible. Ouy, tandis qu'elle tient cette place-la, ou dignement ou indignement que ce soit, il faut luy rendre le devoir non seulement exactement, mais encor amoureusement. Et en cela il se faut surmonter et domter vostre coeur, lequel sans doute est incliné a l'indignation, et faut l'incliner a la compassion ; et tant plus vostre Abbesse aura de misere, tant plus faut il luy avoir de commisération. Ce n'est rien, ma chere Fille, d'obeir a des Superieurs aggreables; le fait de la vraye obéissance c'est d'obeir aux desaggreables et, comme dit l'Apostre (1P 2,18), aux discoles. Dieu aura infiniment aggreable cette violence que vous vous feres pour faire le tout amoureusement, car c'est l'importance. Il vous faut regarder cette Abbesse non point comme mauvaise, mais comme malade, et comme saint François, sainte Catherine de Sienne et plusieurs autres Saintz baysans et servant les ladres, ne les ont pas baysé comme ladres, mais comme membres de Nostre Seigneur, en les considérant en luy et luy en eux, aussi ne devons nous pas considérer nos Superieurs comme pecheurs, mais comm'officiers de Dieu, re- gardant Dieu en eux et eux en Dieu, car encor que leur personne ne fut pas en Dieu, leur office néanmoins y est. Ma chere Fille, vous voyla en une occasion laquelle vous doit estre plus pretieuse que l'or, car en icelle vous pouves exercer les grandes résignations, les fortz renoncemens et les vives douceurs si souvent promises et desirees pour l'amour de Dieu.
Mais sur ce que vous me demandes de la hantise et familiarité que vous deves rendre a vostre Abbesse, je respons qu'attendu le peu de proffit que vous y pouves faire, ainsy que vous me dites, il suffira que vous luy rendies franche ment, humblement, promptement et amoureusement les devoirs communs. Mais néanmoins, par ce que vous n'aves pas tant de difficulté a cette conversation la pour l'inutilité qui y est que pour la répugnance intérieure, je vous conseille de vous violenter le plus que vous pourres a la voir quelquefois sans nécessité et luy tesmoigner une vraye charité, d'autant qu'encor que tout cela luy fut inutile, il ne le sera pas a vous qui domteres vostre courage et mangeres le pain cuit sous la cendre (1R 17,13 1R 19,6) et bayseres la croix.
Madame vostre Seur, ma chere fille, rn'escrivit hier que Monsieur de Cisteaux (XIV,81) vous avoit envoyé quelque sorte de consolation sur ce sujet, en quoy j'ay eu ma part.
J'ay receu le poulet d'Inde, lequel vous ne devies nullement m'envoyer.
Nostre Seigneur soit tous-jours au milieu de vostre esprit, et je suis en luy, Madame, Vostre tres affectionné et tres [asseuré serviteur.
F. E. de Geneve.
Revu sur une copie de l'Autographe conservé chez les Révérendes Mères Ursulines de Québec (Canada).

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Mémorial pour bien faire la confession

adressé au Duc de Bellegarde
24 août 1613 (XXVI, 244 - cf Avis aux Confesseurs, OEA XXIII, 285)
Estant a genoux devant vostre confesseur en la contenance la plus humble quil vous sera possible, vous vous representeres que vous faictes ceste action devant Nostre Seigneur crucifié; lequel vous prepare le pardon et l'absoulution avec une douceur de miséricorde incomparable. Et partant, avec une sainte confusion accompagnée neantmoins d'une confiance tres grande, vous vous accuseres selon les advis suyvantz.
Il se faut accuser non seulement du genre du peché que l'on a commis, mais aussy de l'espece : donc, il ne suffit pas de dire que l'on a esté homicide, luxurieux ou larron, mais il faut encore nommer l'espece de l'homicide, de la luxure et du larcin que l'on a commis. Par exemple : si l'homicide a esté commis en la personne du pere ou de la mere, il le faut exprimer, car cela s'appelle parricide; si l'homicide a esté commis en lieu sacré, c'est sacrilège ; si on a tué une personne sacree, c'est un parricide spirituel. De mesme au genre du peché de luxure, il y a bien de la différence entre les especes d'iceluy : car desfleurer une vierge, c'est un stupre ; cognoistre une femme mariee, c'est adultere ; et ainsy des autres pechés.
2e Advis
Non seulement on se doit accuser des especes des pechés que l'on a commis, mais aussy du nombre d'iceux, disant combien de foys on a commis tel ou tel peché, au plus pres que l'on peut, selon la souvenance que l'on a ; et si l'on n'a pas souvenance de la quantité des pechés, il suffit de dire combien plus ou moins environ ; que si mesme on ne peut bonnement se resoudre de l'environ, il suffit de dire combien de temps on a perseveré au peché et si on y est fort addonné. Or, la nécessité de dire au plus pres que l'on peut la quantité des pechés mortelz est essentiellement requise pour faire une bonne confession, d'autant que pour absoudre le pecheur de ses pechés, il faut avoir cognoissance de l'estat de sa conscience ; mais on ne peut cognoistre l'estat d'une ame si on ne sçait a peu pres la quantité des pechés qu'elle a commis : car, quelle apparence y auroit il d'avoir en esgale considération une femme, par exemple, qui n'auroit offencé de son corps qu'une seule foys, comme la sainte penitente Aglaë, et celle qui auroit offencé peut estre dix mille fois, comme on peut croire de sainte Pelagienne, de sainte Marie AEgytiaque et de sainte Magdelaine ?

3e Advis
Il se faut encor accuser de la diversité des degrés qui se retreuve en chasque espece de peché ; car tout ainsy quil y a divers degrés en chasque vertu par lesquels passant de l'un a l'autre on arrive a la vertu heroique ou angélique, aussy [y] a il divers degrés au peché par lesquelz on descend jusques au peché diabolique. Par exemple, il y a bien de la différence entre le corroux et injurier, frapper du poing, ou avec un baston, ou avec l'espee et tuer, qui sont des divers degrés du peché de collere ; de mesme, il y a bien a dire entre le regard charnel, l'attouchement deshonneste et la conjonction luxurieuse, qui sont divers degrés d'un mesme peché, Il est vray que celuy qui a confessé une action mauvaise n'a pas besoing de dire les autres actions qui sont ordinairement requises pour faire celle la : ainsy, celuy qui s'est accusé d'avoir commis adultere une fois n'est point obligé de dire les baisers et attouchemens quil a faict parmy cela, car cela s'entend asses sans qu'on le die, et l'accusation de telle chose est comprise en la confession de l'acte principal duquel les autres ne sont que les accessoires.

4e Advis
Or,entre les degrés du peché, il faut prendre garde a celle (sic) qui multiplie ou redouble la malice du peché en une seule action . comme, par exemple, celuy qui derobe un escu fait un peché ; celuy qui en derobe deux tout a la fois ne fait aussy qu'un peché, mais toutesfois la malice de ce second peché est deux fois aussy grande comme celle du premier. De mesme il se peut faire qu'avec un mauvais exemple on scandalisera une seule personne, et qu'avec un autre mauvais exemple de mesme espece on scandalisera trente ou quarante personnes. et qui ne void que la malice de ce second peché est beaucoup plus grande que celle du premier ? Ainsy, sy l'un tue une fille et l'autre tue une femme enceinte, ilz n'ont chacun fait qu'un seul coup ; mays l'un neammoins, en un seul peché, a fait deux homicides, et par conséquent son peché, quoy qu'il ne soit qu'un quant a l'acte, a neammoins double malice. C'est pourquoy il faut particulariser, tant qu'il se peut bonnement faire, la qualité de l'objet ou de la matiere par le moyen delaquelle la malice du peché peut croistre ou descroistre; car il ne suffiroit pas a celuy qui auroit empoisonné un flaccon de vin, de dire qu'il a empoisonné du vin pour faire mourir des personnes, mais fandroit dire combien de personnes ; car encor que l'empoisonnement se fist par une seule action, neammoins il se terminerait a la mort de plusieurs personnes, et bien que l'action fust unique, la nuysance neammoins seroit de grande quantité.

5e Advis
Le desir est un degré du peché, et la résolution d'exequuter en est un autre dont il se faut confesser, bien que par appres on ne vienne point a l'exequution ; car qui desire et beaucoup plus qui se resoult de pecher, il a formé le peché dans son coeur, suyvant le dire de Nostre Seigneur : Qui regardera la lemme pour la convoiter, il a desja adulteré en son coeur (Mt 5,28), et s'il n'a pas peché par effet, il a peché par affection. Mais cela s'entend des desirs qui sont formés, et non pas de certaine sorte de mouvemens intérieurs qui, de sursaut, a l'improuveüe et sans nostre consentement, passent par nostre coeur, pendant lesquelz mesmement, qui nous interrogeroit sy nous voudrions les choses ausquelles ces mouvemens semblent nous porter, nous dirions indubitablement que non ; car par la on void bien que ces desirs sont des actions de nostre nature et non pas de nostre franc arbitre.

6e Advis
Il se faut encor accuser des mauvaises pensées quand, avec une volontaire complaisance au peché, nous nous y arrestons, car elles sont un degré du peché, encor bien qu'elles n'ayent esté suyvies ny du desir, ny de la resolution. Par exemple, celuy qui prend plaisir a penser en soy mesme a tuer, ruiner et maltraitter son ennemy, encor qu'il ne desire point d'en venir aux effetz, neammoins, sil a volontairement et a son escient pris délectation et resjouissance en telles imaginations et pensées, il s'en doit accuser rigoureusement; comm'aussy celuy qui, pour prendre plaisir, s'amuse a penser, imaginer et se représenter les voluptés charnelles, car il peche intérieurement contre la chasteté, d'autant qu'encor qu'il n'ait pas voulu appliquer son cors au peché, il y a neammoins appliqué son coeur et son ame. Or, le peché consiste plus a l'application du coeur qu'a celle du cors, et il n'est nullement loisible de prendre a son escient plaisir et contentement au peché ny par les actions du cors, ny par celles du coeur.

7e Advis
Encor faut il prendre garde, pour se bien confesser, a certaines actions qui comprennent en elles plusieurs especes de pechés enveloppés l'un dans l'autre : comme, par exemple, celuy qui feroit tuer le mary pour jouïr de la femme, comme David (2S 11,15), feroit trois sortes de peché tout ensemble, car il commettroit scandale, homicide et adultaire ; ainsy, celuy qui battroit un valet, et en le battant se representeroit par imagination le plaisir quil prendrait a battre le maistre, feroit ensemblement deux pechés, l'un de coeur et l'autre de cors ; et celuy qui ayant accointance a une fille s'imaginerait, pour prendre plaisir, une femme mariee quil auroit desiré, feroit du cors un stupre, et du coeur un adultaire. Il y a mesme certaines actions lesquelles semblent estre meslées de peché mortel et de veniel, esquelles quelquefois on est grandement trompé, comme, par exemple, une personne grandement en cholere aura voulu donner un grand coup a quelqu'un qui, gauchissant, se sera eschappé ; et par ce que l'effect de sa mauvaise volonté ne sera pas ensuivy, il tiendra l'offence pour petite, bien que réellement son intention de frapper rudement la fasse fort grande. Ainsy, celuy là ne se confesserait pas bien qui ayant derobé une bourse en laquelle il n'y avoit que demy douzaine de jettons lesquels il pensoit estre des escus, ne s'accuserait que d'a'voir dërobé des jettons ; car encor qu'en effet il n'ayt derobé que des jettons, en affection neammoins il a derobé des escus.
8e Advis du tems que l'on ademeuré en chaque action du peché (manque)
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DES PECHÉS CONTRE LE PREMIER COMMANDEMENT DU DECALOGUE

En ce premier commandement il nous est ordonné de servir, honnorer et aymer Dieu selon les reigles de la vraye relligion ; les especes de peché qui se commettent contre ce commandement sont :
1. Premierement : le blasphème, qui n'est autre chose qu'une mesdisance de la divine Majesté faite par mauvaise affection ; comme quand on dit que Dieu n'est pas bon, qu'il n'est pas juste, qu'on le renie, qu'on le maugrée, qu'on le despite et, enfin finale, toutes fois et quantes que volontairement et a nostre escient nous parlons de Dieu incivilement, ainsy que l'on fait quand on dit : Aussy vray comme Dieu est ; un tel est vilain comme Dieu est noble ; Dieu ne se soucie pas de ce que nous faisons ; laissons Dieu en Paradis et demeurons icy ; et semblables impertinences.
C'est aussy un'espece de blasphème de mesdire des Saintz ou parler incivilement d'eux et des choses sacrées : comme, par exemple, emprunter les paroles de l'Escriture par gausserie, risée et deshonnesteté.
2. La seconde espece des pechés contre ce commandement, c'est l'impieté, qui consiste és actions par lesquelles nous voulons deshonnorer Dieu on les choses sacrées : comme font ceux qui employent les Sacremens, le saint Cresme, les paroles sacrées pour des charmes, ou qui les foulent par desdain, rompent les images, ruinent les autelz, les reliques et semblables choses.
3. La troysiesme espece, c'est la superstition, comm'est idolatrer, c'est a dire adorer comme Dieu ce qui n'est point Dieu ; user de magie, c'est a dire emploier le diable pour quelqu'operation, soit qu'on l'employe ouvertement, comme font ceux qui ont fait convention avec luy et les sorciers, soit qu'on l'employe tacitement par paroles et caracteres inconneus, ou paroles et caractères connus, mais appliqués faussement et vainement ; item, aller aux devins,et, en somme, faire ou dire quelque chose pour obtenir quoy que ce soit du malin esprit ou de ceux qui dépendent de luy.
4. Violer les voeux que l'on a fait, ou bien faire des mauvais voeux : comme par exemple, de tuer quelcun, ou de ne faire pas quelque bien.
5. Tenter Dieu, c'est a dire vouloir espreuver et essaier si Dieu est bon, juste ou puissant, soit expressément, comme faisaient les Juifz demandant des miracles a Nostre Seigneur sans nécessité ny raison quelconque, soit tacitement, comme font ceux qui, sans nécessité ny occasion, mesprisent les moyens ordinaires que Dieu nous a donné pour faire les choses, pretendantz que Dieu en fournira d'extra-ordinaires, et ceux qui, sans nécessité, se mettent en des dangers eminentz, presumans que Dieu les en doive delivrer.
Les pechés suivans sont aussi contre ce commandement :
Douter de la foy. Se desfier de son salut ou de son amendement et remission des pechés ; ou bien, au contraire, proesumer d'obtenir le salut sans s'amender, ou penser avoir l'amendement sans penitence, ou la penitence sans prier, s'humilier et se disposer a l'avoir. Mettre son coeur és choses creés en telle sorte qu'on oublie le Createur.
Dire des mauvaises parolles contre Dieu, les Saintz et l'Esglise; disputer curieusement et temerairement des choses de la foy ; disputer on faire des persuasions que les commandemens de Dieu n'obligent pas les personnes, qu'il ne faut pas craindre de les rompre, et semblables choses que des jeunes gens font quelquefois, ou pour pervertir l'esprit des filles, ou pour faire les gallans en matiere du peché de la chair. Se plaindre de Dieu, blaspherner, invoquer le diable ou pour soy, ou contre soy, ou contre les autres, comme font ceux qui dient : je voudrois que le diable me guerise d'une telle maladie, ou me rompist le col, ou me fist avoir telle chose; le diable t'emporte ; le diable m'emporte ; et semblables choses.
Emploier les enchanteurs et les assister. Ouîr les heretiques en leurs preches, prieres et assemblées; avoir leurs livres et tous livres faitz pour deviner. Faire des irreverences dedans les esglises, comme muguetter, cajoller, pavonner, reiller, tenir des contenances inciviles et arrogantes, empescher les autres de prier, et semblables discourtoisies et meseances spirituelles.
Outre cela, on peche contre ce commandement : laissant de servir Dieu quand l'occasion le requiert, pour respect humain. Ne sçavoir pas les choses requises au bon chrestien, comme sa creance, le Patenostre, la Salutation angélique, les Commandementz de Dieu et de l'Esglise. Ne prier pas Dieu le soir et le mattin, ne faire point l'honneur et la reverence deüe aux choses sacrées, ne benir ou faire benir la table, ne dire ou faire dire Graces appres le repas.

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PECHES CONTRE LE SECOND COMMANDEMENT

1. Jurer sans discrétion par le nom de Dieu, ou des Saintz et des autres créatures quelconques entant qu'elles dépendent de Dieu et se rapportent a iceluy : comme font ceux qui jurent a tous propos, autant pour chose de peu d'importance comme pour chose de grande importance ; car ceux cy exposent le sacré nom de Dieu et prennent a tesmoin sa divine Majesté vaniement (sic), frivolement et contemptiblement, sans jugement ny discernement quelconque.
2. Jurer contre la justice, c'est a dire contre la raison comme font ceux qui jurent de faire le mal ou de ne faire pas le bien ; car c'est mespriser grandement Dieu que de l'appeller a tesmoin d'une action mauvaise, comme fit Herodes, jurant de faire trancher la teste a saint Jean Baptiste (Mt 14,7), auquel sont semblables ceux qui jurent de battre, de couper le nez, de ruiner, de tuer et autres.
3. Jurer pour le mensonge ; qui est parjurer.
4. Procurer ou donner occasion aux autres de jurer sans nécessité, contre raison, et de parjurer.

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PECHÉS CONTRE LE 3e COMMANDEMENT

1. Travailler les festes a quelqu'oeuvre servile, ou estre cause que l'on travaille, sans evidente nécessité et congé des Superieurs ecclésiastiques.
2. Obmettre d'ouïr la sainte Messe les jours de festes et Dimanches; ou bien l'oüir, mais sans attention, avec irreverence et incivilité. Ne point avoir soin que les serviteurs et autres domestiques oyent la Messe esditz jours de festes. Frapper, battre, paillarder et faire telles dissolutions és lieux sacrés.
Or, quant a la chasse ou tournois loisibles et autres exercices appertenentz principalement a la noblesse, ilz ne sont pas prohibés es jours de festes en qualité d'oeuvre servile, et partant, la Messe estant oüye, on peut loisiblement s'y appliquer esditz jours de festes ; mays ce seroit neammoins un'irreverence trop grande d'y vacquer és grands jours solennels esquelz, tant qu'il est possible, un chacun doit assister non seulement a la Messe, mais aux autres services chrestiens. Et seroit aussy une chose messeante et abuser de l'institution des festes, de faire profession et mestier ordïnaire d'emploier les tems sacrés en telles occupations.

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PECHÉS CONTRE LE 4e COMMANDEMENT

Desirer la mort ou quelque mal au pere et a la mere naturelle, aux supérieurs civilz et politiques qui tiennent lieu de pere en la république, et aux supérieurs ecclésiastiques qui tiennent lieu de peres en l'Église. Se resoudre de ne point leur obeir et d'user de mespris envers eux. Ne tenir comte d'eux en son coeur. juger temerairement de leurs deportementz et de leurs intentions; ou bien, au contraire, les affectionner tant les uns et les autres que, pour leur respect, on soit disposé d'offencer Dieu. Parler mal des peres, meres, supérieurs, tant temporels que spirituels; les contreroller, censurer et se plaindre d'eux mal a propos; leur faire des répliques hautaines, fascheuses et piquantes; les provoquer a ire volontairement et a son escient. Depiter contr'eux. Leur defaillir en leurs nécessités, ne les consolant pas ny secourant selon son pouvoir.
Item, les peres, meres et supérieurs des maisons, villes et républiques offencent Dieu contre ce commandement, traittans indignernent et outrageusement leurs femmes, enfans, sujetz et inférieurs; n'aiant pas soin de les advancer en la vertu ; ne les assistant pas és choses requises, selon leur pouvoir; les scandalisant par mauvais exemple.
Enfin, les enfans, héritiers et légataires qui n'accomplissent pas les volontés de leurs bienfacteurs, dont ilz sont chargés.

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PECHES CONTRE LE 5e COMMANDEMENT

Prendre plaisir és cogitations de vengeance et s'y entretenir volontairement pour s'y complaire. Desirer la mort ou quelque mal notable au prochain ou a soy mesme, par hayne et malveillance. (Je dis par hayne, parce que de desirer la mort ou a soy ou au prochain pour la gloire de Dieu, pour son salut et pour autres telles bonnes occasions, quand la hayne de la personne ne s'y mesle point, il n'y a pas peché.) Hair quelcun ; desirer de s'en venger; se resjouir du mal d'autruy ; se contrister de son bien; se mutiner contre luy et ne luy vouloir point parler a cett'intention. Infamer et injurier le prochain ; le maudire, le mes- priser, conseiller ou inciter a luy faire du mal.
Tuer ou battre ; susciter des inimitiées ; provoquer aux querelles et notamment aux duelz. Se courroucer et entrer en grand'ire. Ne vouloir pardonner l'injure ny remettre l'offence a celuy qui est prest de faire satisfaction; persequuter le prochain par menées, proces ou autre moyen. Prendre plaisir a faire battre les uns contre les autres, comm'on fait souventefois des laquais, gojatz et autres semblables sortes de gens. Donner ou faire donner la couverte aux pauvres gens et insensés ; piquer et harier les folz, user de cruauté envers eux. S'exposer temerairement aux dangers et inconveniens. Procurer la sterilité ou avorternent des femmes. Estre dur et cruel envers les pauvres; les laisser perir ou souffrir des grandes nécessités, quand on les peut secourir. Laisser les innocens a la mercy de l'injustice, quand, par voye legitime et juste, on les peut garantir.
C'est encor peché contre ce commandement de tuer l'ame du prochain, la provoquant a peché, ou bien de luy nuire spirituellement, la destournant des bonnes oeuvres ou l'empescher malicieusement de bien faire C'est aussi peché de ne l'aider pas au bien, la conseillant, admonestant et corrigeant quand on le peut bonnement faire.

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PECHES CONTRE LE6e COMMANDEMENT

Avoir des pensées deshonnestes et les entretenir volontairement pour se complaire en la délectation sensuelle qui en peut naistre. Desirer les actions deshonnestes. Dire des parolles ou chanter des chansons lascives, principalement quand c'est a mauvaise intention. Se loüer, venter et glorifier du peché de la chair; dire des parolles en faveur d'iceluy ; l'excuser et amoindrir son enormité. Avoir des livres et images lubriques. Regarder impudiquement les personnes. Envoyer des dons, faire des promesses, escrire des pouletz, envoier des messages, prendre ou donner des assignations, et toutes autres sortes de poursuittes qui se font en intention d'impudicité. Muguetter, cajoller, donner de l'amour, et toutes sortes d'amourettes, bien que d'abord il ne semble pas que l'intention soit tout a fait charnelle. Faire des attouchemens deshonnestes sur soy ou sur autruy, avec intention de plaisir sensuel. Se provoquer, soy mesme on autruy, a pollution ; faire la fornication, c'est a dire avoir compaignie des femmes non vierges, non mariées, non sacrées et non parentes. Faire l'adultaire, qui se commet lorsque l'une des parties ou toutes deux sont mariées. Faire le stupre, c'est a dire desfleurer une vierge consentante. Faire le violement, c'est a dire prendre une femme ou une fille par force. Faire l'inceste, c'est a dire avoir accointance avec une parente ou alliée, tant spirituellement que temporellement ; je dis spirituellement, a cause des comperes, commeres, parrains, marraines, fileulz et fileules. Faire le sacrilège, c'est a dire avoir connaissance des personnes sacrées a Dieu, comme prestres, Religieux et Religieuses, ou bien faire l'exces de paillardise en lieu sacré. Faire le vice exécrable de Sodome, c'est a dire commettre l'acte charnel avec un autre de son propre sexe, ou bien avec une personne de sexe different, mais usant des endroitz non dediés a la generation. Et enfin, employant ou les bëstes ou le diable, qui sont les deux plus malheureux exces de tous.
Ce commandement aussi s'estend a ce que les personnes mariées s'entrerendent fidellement l'un a l'autre le devoir nuptial, usant de l'acte que Dieu a beny en faveur du mariage et selon rayson, tant pour la generation que pour la conservation de l'amitiée et complaisance requise entre les mariés; se ressouvenons qu'ilz sont hommes raisonnables et chrestiens, et qu'ilz doivent posseder les cors l'un de l'autre en sanctification, avec honneur (1Th 4,4), amour et dilection, et tous-jours dans les bornes que la nature a prescrites.


François S.: avis, sermons 215