F. de Sales, Lettres 64

64 Il l'informe de ce qui est nécessaire pour l'établissement, la propagation et la conservation de la foi catholique dans les bailliages du Chablais, où il était alors en mission.



Du Chablais, septembre 1596 (éd. d'Annecy: Thonon, 29 décembre 1595).

Monseigneur,

Puisqu'il plait à votre altesse de savoir quels moyens j'estimerais être les plus preignants pour la réduction de ces peuples à la foi catholique, comme j'ai appris de M. d'Avully, auquel il vous a plu d'en écrire, je vous dirai purement et fidèlement ce qu'il m'en semble.

Voici la seconde année que, par votre bon plaisir et le commandement de monseigneur le révérendissime évêque de Genève, quelques bons personnages et moi avons prêché ici à Thonon et es Allinges.

Il est du tout nécessaire qu'il y ait un revenu assuré et infaillible pour l'entretenement de quelque bon nombre de prédicateurs, puisque pour croire il faut ouïr, et Von ne peut pas ouïr sans prêcheur (
Rm 10,15); et que ceux qui viendront ici pour prêcher doivent être désoccupés de tout autre soin que de porter la parole de Dieu : à faute de quoi, voici la seconde année que l'on prêche ici à Thonon sans beaucoup de fruit, tant parce que les habitants ne peuvent croire que ce soit par l'aveu et le bon plaisir de votre altesse, ne nous voyant entretenir que du jour à (ajournée, que parce qu'on n'a pu attirer nombre suffisant d'hommes à cette sainte besogne, pour n'avoir où les retirer ni les moyens de les y nourrir, même que la dépense qui s'y est faite jusqu'à présent n'a encore été payée ; à quoi pourraient suffire les pensions qu'on employait avant ces guerres à l'entretenement de vingt et tant de ministres huguenots qui prêchaient en ce duché, s'il plaisait à votre altesse de commander qu'avec une prompte exécution elles y fussent appliquées.

Encore serait-il nécessaire de faire redresser quelques églises en quelques lieux qui seraient jugés plus à propos, avec les autels bien proprement parés ; qu'on y célébrât les offices décemment, et avec toutes les solennités requises à la majesté du service divin, même avec les orgues ou autres choses semblables, pour apprivoiser les habitants à l'exercice de la religion catholique ; et en ces lieux-là établir lieu compétent pour les curés qui en auraient charge, ne pouvant les prêcheurs demeurer fermes en aucun lieu, mais devant courir de côté et d'autre pour l'instruction de tout le duché, et même des deux autres bailliages, s'il y échait.

Mais surtout il faudrait qu'au plus tôt on dressât l'autel, et lit-on parer l'église en cette ville et la paroisse des Allinges, et qu'on y logeât des prêtres pour y administrer les sacrements, y ayant en l'un et l'autre lieu bon nombre de catholiques, et plusieurs autres prêts à se convertir quand ils verraient bon ordre en cette affaire, qui, faute de secours, se perdent bien souvent ; et puis, de main en main, à même qu'on jugera convenable,, faudra ainsi par toutes les paroisses remettre l'exercice de la foi catholique, et y colloquer des pasteurs.

Et parce qu'on prêcherait pour néant, surtout en cette ville, si les habitants fuyaient les prêcheurs et la prédication, comme ils ont fait ci-devant, et ne veulent prêter l'oreille à l'instruction, ni conférer avec ceux qui viendront, je crois, monseigneur, que, s'il plaît à votre altesse faire écrire une lettre au corps de cette ville, et de commander à l'un de messieurs les sénateurs de Savoie de venir ici faire assembler le conseil général des bourgeois de cette ville, et, en pleine assemblée, en habit de magistrat, les inviter de la part de votre altesse, de se laisser instruire [à sonder et à considérer attentivement les raisons que leur proposent les prédicateurs ], à revenir au giron de l'Église, duquel par force ils ont été arrachés par les Bernais, en termes qui ressentent et la charité et l'autorité d'un très-bon prince, comme est votre altesse, envers un peuple dévoyé, ce leur sera une douce, violence qui les contraindra de subir librement le saint joug de votre zèle. Cette bonté et autorité, ce me semble, fera une bien grande ouverture à leur obstination, et mettra les voisins en admiration de la suavité de votre domination ; et pour cette négociation je tiens la dévotion et la suffisance de M. le sénateur Favre pour extrêmement sortable.

M. d'Àvully aussi, avec son exemple, et la sollicitation familière qu'il pourrait faire vers les particuliers, aidera beaucoup à l'oeuvre ; ce que je crois qu'il fera volontiers, selon la bonne volonté et disposition qu'il a, en laquelle je l'ai toujours vu dès le commencement que je vins à Gex.

Outre cela, il serait bon de former une compagnie de gendarmes ou de cavalerie, pour y engager la jeunesse, pourvu que cette troupe fût religieuse et conduite suivant la piété chrétienne. Cela ne serait pas inutile pour encourager nos frères errants à embrasser notre religion ; et, en cas d'obstination de la part des officiers de justice, il faudrait priver de toutes sortes d'offices ceux qui persisteraient dans leur créance.

Mais qui ajouterait à tout ceci un collège de jésuites en cette ville, ferait ressentir à tout le voisinage, qui quant à la religion est quasi tout confondu, un grand bien.

Reste, monseigneur, que je remercie de tout mon coeur notre Sauveur, qui vous présente de si grandes occasions, et donne de si ardents désirs de lui faire tels services, pour lesquels il vous a fait naître prince et maître des peuples. Il y a de la dépense à faire en cette poursuite ; mais c'est le suprême gracie de l'aumône chrétienne que de procurer le salut des aines.

Le glorieux martyr saint Maurice, auquel vous portez tant d'honneur, demandera vengeance à son maître contre ceux, quels qu'ils soient, qui empêcheront et retarderont l'établissement de la foi catholique en ces contrées, qu'il a arrosées de ses sueurs et de son sang, pour le témoignage de cette même foi ; au contraire attirera par ses prières la bénédiction du Père céleste à quiconque l'avancera, et particulièrement sur votre altesse, qui en est la cause principale et universelle, pour la prospérité de laquelle je prie ordinairement Dieu, comme je dois, puisque j'ai ce bien d'être né et nourri, ainsi que je vivrai et mourrai, s'il plaît à la divine bonté, monseigneur, votre, etc.




LETTRE XIX.

S. S. LE PAPE CLÉMENT VIII, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.) Il le félicite sur ses travaux apostoliques.



Rome, 1er octobre 1596.

Dilecte fili, salutem et apostolicam benedictionem.

Narravit nobis vir religiosus fràter Spiritus, ex ordine capucinorum, verbi Dei concionator, de tuâ pietate et zelo divini honoris, quod pergratum nobis accidit. Idem autem quaedam nostro nomme tibi exponet, quae ad Dei gloriam pertinent, quseque nobis cordisunt maxime. Tu fidem illi cumulatam habebis, perindè ac nobis ipsis ; eamque diligentiam adhibebis, quam à tuâ pru-dentià et devotione ergà nos atque hanc sahetam sedem expectamus ; tibique paterne benedicimus.

Datum Romoe, apud Sanctum-Marcum, sub an-nullo piscatoris, die prima octobris millesimo quingentesimo nonagesimo sexto, pontificatus nostri anno quinto.



Sylvius Antonianus.

Cher et bien-aimé fils, salut et bénédiction apostolique.

Frère Esprit, religieux et prédicateur de l'ordre des capucins, nous a fait le récit de votre piété et du zèle que vous faites paraître pour la gloire de Dieu, ce qui nous a été fort agréable. Le même vous fera part, en notre nom, de quelques affaires qui regardent cette même gloire, et que nous avons fort à coeur (1). Vous ajouterez foi à ses paroles, comme vous feriez à l'égard de nous-mêmes; et vous apporterez à ce qu'il vous proposera la diligence que nous nous promettons de votre prudence et de votre affection pour nous et pour le Saint-Siège. Nous vous donnons, en attendant, notre bénédiction paternelle.

Donné à Rome, au palais de Saint-Marc, sous l'anneau du pêcheur, le premier jour d'octobre 1S96, la cinquième année de notre pontificat.



(I) Sa sainteté désirait que notre saint travaillât à la conversion de l'hérésiarque Théodore de Bèze, successeur de Calvin à Genève.




LETTRE XX.

LE DUC DE SAVOIE, AUX HABITANS DE LA VILLE DE THONON.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il les engage à écouter les prédicateurs catholiques, et à se laisser instruire dans la foi de l'Église romaine.

9 décembre 1596.

Charles-Emmanuel, parla grâce de Dieu, duc de Savoie, à nos bien-aimés et féaux les syndics et bourgeois de notre ville de Thonon. Nous avons appris avec un grand contentement que vous avez ouï les prédicateurs de la parole de Dieu et de notre sincère foi catholique, que vous avez eu continuellement depuis quelques mois. Or, espérant que cette commodité vous ouvrira le chemin de votre salut, avec le même zèle que nous vous avons procuré ce bien, nous vous exhortons aussi d'en bien user : et vous en userez bien, si vous prenez garde aux raisons qui vous seront exposées, si vous les pesez également, et si vous proposez les difficultés qui vous surviendront aux prédicateurs ; car nous n'avons rien tant à souhait, ni qui nous soit plus agréable, que quand nous entendons que vous profitez en la sainte religion catholique. Ainsi Dieu vous ait en sa garde.




LETTRE XXI, AU DUC DE SAVOIE CHARLES-EMMANUEL.

82
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il se plaint de la résistance des habitants de Thonon aux ordres contenus dans la lettre précédente.

Vers le 15 décembre 1596 (éd. Annecy: Thonon, 21 décembre 1596).

Monseigneur, En attendant la volonté de votre altesse pour la restitution de la religion catholique en ce duché de Chablais, j'avais résolu d'ériger un autel en l'église de Saint-Hippolyte, dans laquelle il y a plus de deux ans que je proche continuellement, afin d'y pouvoir célébrer le très-saint sacrifice de la messe, ces fêtes prochaines de la Nativité de notre Seigneur. Mais les syndics de la ville s'y sont opposés, je ne sais pas avec quel fondement, puisqu'en ce faisant on ne viole point le traité de Nyon ; et encore qu'on le violerait, je ne vois pas qu'ils y aient rien à connaître. On ne leur fait point de tort quand on tâche de les remettre doucement et volontairement en leur premier état, duquel ils avaient été démis par force. Pourquoi ne retourneront-ils au giron de leur mère, toutes fois et quantes qu'ils voudront ? De moi, monseigneur, je porte la croix blanche imprimée sur mon coeur, et suis porté d'un zèle très-ardent pour le service de votre altesse. C'est pourquoi je dis librement et hardiment ce que je pense. Il importe beaucoup qu'en observant les articles du traité de Nyon, et laissant la liberté de conscience à ces peuples, vous favorisiez principalement et absolument les catholiques. De là est, monseigneur, qu'il serait nécessaire que votre altesse commandât à ses sujets qu'ils eussent à ouïr les prédicateurs catholiques, et défendit que personne n'eût à troubler ceux qui, selon la raison et votre exemple, embrassent et tâchent d'étendre la vraie foi. Par ce moyen, monseigneur, vous serez en estime d'un bon et prudent prince, aussi bien chez vos ennemis que chez, vos amis ; et je ne vois rien qui puisse retarder la sollicitation de ce bien, ni rien qui ne la rende admirable et aimable, voire même aux plus obstinés. Cependant j'attends avec impatience votre réponse, et ne cesse point de prier Dieu qu'il conserve longuement votre altesse, de laquelle je suis, etc.






LETTRE XXII.

LE DUC DE SAVOIE, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée de la vie du Saint, pai- Ch.-Aug. de Sales.)

Réponse à la lettre précédente.

Turin, le 7 janvier 1597.

Révérend, cher, bien-aimé et féal, en réponse de celle que vous nous avez écrite, nous vous disons que nous trouvons bon que vous ayez fait dresser un autel en l'église de Saint-Hippolyte, comme aussi les autres bonnes oeuvres que vous y faites à la louange de Dieu et extirpation des hérésies ; et nous déplaît des oppositions que l'on vous a faites, mais que néanmoins vous avez surmontées, ainsi que vous nous écrivez : à quoi vous continuerez avec la dextérité et prudence que vous savez être bien convenable Nous écrivons au sieur de Lambert (1), afin qu'il secoure le ministre (2) qui veut se catholiser, ainsi qu'il a déjà fait ; et à tant nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

De Turin, le sept janvier, mil cinq cent nonante-sept.

Signé, le duc de Savoie, Charles-Emmanuel,, El plus bas, Ripa.


(1) Le sieur de Lambert était gouverneur du Chablais.
(2) Ministre que S. François de Sales avait fait recommander par le nonce du pape, pour sa subsistance honnête.





LETTRE XXIII,

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PAPE CLÉMENT VI", AU NOM DES HABITANTS DE THONON.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Ils déclarent le reconnoitre pour le souverain pasteur de l'Église.


Avant le 4 février 159".

Quod nos, oves non ita pridem errantes, pater sanctissime, nunc autem ad caulas. Chtïsti reversas, tantà sollicitudine et charitate tua sanctitas complectatur, sicuti ex litteris amantissimorum nostri virorum qui in Urbe versantur, ac prxsertitn ex archiepiscopi Viennensis ad nos adventu,, cognovimus. Illud ipsum est procul dubio, quod ab iis qui nos per Evangelium Clnisto genuerunt statim initio audivimus, unum esse nimirum in terris pastorem maximum, cui sic absolutè, sic indistincte suas oves Christus. commiserit, ut planum sit non aliquas désignasse sed assignasse omnes, cuique proindè pfceler instantia quotidiana, sollicitudo, sit omnium Ecclesiarum.

Principatum namque apostolici sacerdotii et zelum tali çongruentem fastigio in beatitudine tua agnoscimus; quam proptereà Pétri, cujus tenet sedem, vices etiam in eo vel maxime sûsti-nere laetamur, quôd ovibus non prteesse tantum, sed praesertim prodesse velle videamus; omnibus sanè, nobis autem seorsum quàm impensissimè \ qui ob id, ad pedes beatitudinis. tuce provoluti, gracias agimus quanta? possumus maximas, pre-camurque ut ea bénéficia, quibus jam nostram liane provinciam nosque auctiores facere animo destinavit apostolico, pergat promovere, neve suam clementiam ullo unquàm tempore nobis deesse patiatur. Sic enim fiet ut, quemadmo-durn munere, sic immortalibus meritis sit bea-tissima. Ità Deus immortalis sanctitatem tuam quàm diutisslmè Ecclesiae suoe servet incolumem!



Nous avons appris, très-saint père, par les lettres de nos amis qui demeurent à Rome, et principalement par M. l'archevêque de Vienne, qui vient d'arriver ici, que nous, qui étions il n'y a pas longtemps des brebis égarées, et qui sommes heureusement rentrés dans le bercail de Jésus-Christ, ayons le bonheur d'être les objets de votre sollicitude et de votre charité. Sans doute il n'en faut pas chercher d'autres causes que celles que nous font entendre, dès le commencement, ceux qui nous ont engendrés à Jésus-Christ par l'Évangile ; c'est qu'il n'y a qu'un souverain pasteur sur la terre, auquel notre Seigneur a confié le soin de ses brebis, si absolument et si indistinctement, qu'il est évident qu'il n'en a pas désigné quelques-unes en particulier, mais qu'il les lui a recommandées toutes, et qui, outre les affaires qui l’accablent tous les jours, étend sa sollicitude à toutes les Eglises du monde (2Co 28,2).

En effet, nous reconnaissons dans votre "béatitude la principauté du sacerdoce apostolique et le zèle qui convient à l'éminence de cette dignité, et nous nous réjouissons de ce qu'elle imite si parfaitement le glorieux saint Pierre, dont elle occupe le siège, en ce qu'elle ne veut pas seulement présider à son troupeau, mais surtout lui être utile. Il est vrai que vos bienfaits se répandent sur tous vos enfants, mais il n'y a personne qui ressente plus que nous les effets de votre bonté paternelle. C'est pourquoi tous tant que nous sommes, nous nous prosternons aux pieds de votre sainteté pour la, remercier de tout notre pouvoir, et pour la supplier très-humblement de continuer, et à nous et à toute cette province, ses insignes bienfaits qui partent d'un esprit vraiment apostolique, et de ne point souffrir que sa charité paternelle, dont nous n'avons jamais eu plus, de besoin qu'à présent, vienne à nous manquer. Par ce moyen, très-saint père, vous serez aussi heureux par les mérites immortels que vous acquerrez, que vous l'êtes par la prérogative de votre dignité. C'est aussi ce qui nous fait souhaiter que Dieu conserve très-long-temps à son Église votre sainteté dans une santé parfaite.






LETTRE XXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A SON EXCELLENCE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE BARY,

NONCE DE SA SAINTETÉ A TURIN.

Il l'informe de la situation du Chablais, des progrès qu'y avait faits l'hérésie, de ses travaux pour l'extirper, et des moyens qu'il croit propres à en accélérer le succès.



Le 19 février 1597.

Monseigneur,

Nous devons, tous tant que nous sommes de Savoyards, et moi en particulier, remercier Dieu et nous réjouir de l'heureux choix que sa sainteté a fait de votre excellence pour résidera en qualité de nonce apostolique auprès de son altesse, puisque nos pauvres Églises, dans l'affliction où elles se trouvent, ne pouvaient souhaiter un protecteur et un médecin plus rempli de zèle, de prudence et de compassion que vous.

Que les autres s'expriment à leur façon, pour moi je dirai que les afflictions et les plaies de ces Églises de Savoie demandaient un protecteur et nn médecin qui fût non-seulement rempli de capacité et doué d'une prudence singulière, mais qui fût encore plein de zèle et de tendresse; et tel est celui que Dieu nous a donné pour résider comme nonce apostolique auprès de son altesse sérénissime le duc de Savoie.

Votre excellence, dans la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire, et que j'ai reçue depuis peu, montre bien avec quelle ardeur elle est disposée à secourir cette province affligée, en daignant m'écrire et traiter si familièrement avec moi, qui ne suis qu'une personne privée et indigne de son attention.

Que si votre excellence a conçu de moi une idée plus avantageuse par ce qu'elle aura pu entendre dire à son altesse sérénissime, toujours portée à croire le bien, cela m'engagera à redoubler mes efforts pour tâcher de répondre à la bonne opinion qu'ont de moi mes deux supérieurs. Je n'ai en moi rien qui la justifie, cette bonne opinion, si ce n'est un désir sincère de servir l'Église, et d'obéir avec toute la promptitude imaginable aux ordres de mes supérieurs, et en particulier à ceux de votre excellence.

Pour commencer par ce qu'elle m'ordonne dans sa lettre, je lui donnerai, le plus souvent qu'il me sera possible, des fidèles avis sur ce que je jugerai digne de parvenir à sa connaissance et à celle de sa sainteté pour l'avantage spirituel de la Savoie. Il suffit pour le présent que je lui fasse

le récit des occupations auxquelles il a plu à monseigneur l’évêque de Genève de m'appliquer depuis un an et demi.

Une partie de ce diocèse de Genève fut saisi par ceux de Berne, qui se l'approprièrent; elle demeura dans l'hérésie durant soixante ans ; mais ayant, les dernières années, été réduite par le sort des armes, au pouvoir de son altesse sérénissime, du patrimoine duquel elle faisait autrefois une partie, plusieurs de ses habitants, plutôt effrayés par le bruit des bombes et des arquebuses, que touchés des prédications qui s'y faisaient par l'ordre de monseigneur l'évoque, rentrèrent dans le sein de la sainte Église romaine. Ces provinces ayant ensuite été infestées par les courses des Genevois et des François, ils retournèrent à leur bourbier.

Son altesse sérénissime et monseigneur l'évêque voulant remédier à ce mal, je fus envoyé, par ordre dudit seigneur évêque, non comme un médecin capable de guérir une si grande maladie, mais en qualité de surveillant, pour voir quels médecins et quels remèdes il faudrait employer. Ayant alors envie de profiter de la conjoncture favorable, et y étant d'ailleurs invité par le peu de catholiques qui restaient, je commençai à faire quelques prédications avec, quelque espérance d'en retirer beaucoup de fruit. Depuis ce temps-là, soit le plus souvent moi-même, soit, dans d'autres occasions différentes, tant les chanoines de la cathédrale que les curés de ce diocèse, nous n'avons manqué de prêcher les fêtes, sinon deux fois qu'il nous fut impossible de le faire.

Et, quoique la crainte des hérétiques nos voisins ait mis grand obstacle au succès de notre entreprise, nous ne laissons pas de continuer et de retirer toujours quelques fruits par la conversion de quelques personnes, parmi lesquelles il y en a deux qui étaient très-opiniâtrement attachées à leurs erreurs.

La nouvelle qui se répand touchant la paix nous donne lieu d'espérer que nous sommes à la veille de recueillir enfin ce que nous avons semé jusqu'ici, afin que les saints désirs de son altesse sérénissime aient leur effet.

Dans les articles que je lui ai envoyés, je lui donne avis d'une démarche que je crois nécessaire ; ce serait de trouver moyen de faire entrer avez sûreté plusieurs prédicateurs qui puissent répandre la parole de Dieu en différents lieux de cette province hérétique.

Il faudrait aussi y faire venir des prêtres pour administrer les sacrements dans les paroisses nouvellement converties, les prédicateurs ne pouvant se fixer à un lieu particulier, mais devant être libres pour courir où le besoin des peuples les appelle.

Mais surtout dans ce lieu de Thonon -qui est le centre-général de la province, il faut au plus tôt rétablir les autels, et donner aux églises des ornements pour la décence du service divin, des orgues, et autres choses semblables.

Il faudrait encore pourvoir à quatre ou cinq paroisses qui ont déjà demandé des prêtres poulies desservir.

Et si son altesse commandait au gouverneur de la province de favoriser les nouveaux convertis, inviter les plus obstinés par de bons traitements, et, sur leur refus, de-les priver de tout office et de tout honneur public ; de plus, si en particulier elle donnait ordre à un des premiers sénateurs de Savoie de venir à Thonon pour engager les habitants à se convertir, ce ne serait pas un petit secours pour nous.

L'essentiel consiste à ouvrir les accès nécessaires, parce que s'il y a dans ce pays plusieurs bénéfices, ils sont entre les mains de diverses personnes qui sont la plupart chevaliers de Saint-Maurice ou de Saint-Lazare; mais le service de Dieu, en sa sainte Église, et celui de son altesse sérénissime, demandent qu'on pense d'abord à rétablir solidement la sainte religion, laissant là tout le reste.




LETTRE XXY-

S. FRANÇOIS DE SALES, AU PAPE CLÉMENT VIII.

95
(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il lui rend compte de sa conférence avec Théodore de Bèze, et du jugement qu'il fait sur ce ministre. Il propose ce qu'il croit pouvoir contribuer â sa conversion.



Après le 8 avril 159".

Beatissime Pater

Cum anno proeterito de Theodoiï Bezoe, pri-marii inter calvinianos hoerctici, ad Ecclesiam ca-tholicam reditu et conversione, tum pater Spiri-tus, Balmensis, ex ordine capucinorum, insignis et probitate et doctrinâ çoncionator, tum etiam ego ipso, multorum non levibus permoti sermor nibus, benè sperare coapissemus, ne in re tam desiderendâ aut industria nostra aut adminicula caitera desiderentur, ità inter nos conventum fuit, uti scilicet ille quidem, qui per ea tempéra ad capitulum (quod vocant) générale sui ordinis Roma; indictum, properabat, de re totâ coram beatitudine tuà dissereret ; peteretque ne, si ru-morem sequatur eventus, redeunti haeresiarchae ;q>ostolica providentia desit.

Mihi verô ea contigit cura uti, quàm diligen-tissimè et caiitissimè fieri qucat, intimos Bcza: sensus aliquà accepta (ut fil) occasione commodâ, ipsiusmetoredetegeremac explicarem. Id autem ut facerem, varia praetexens negotia, srepius Ge-nevam eam ob causam ingressussum; sed nullus mihi patuit aditus ad hominis quem quoerebam privata et seercta colloquia, proeterquàm hoc ulti-mo tertio Paschatis die, cum et solum et satis primo accessu facilem iiiveni. Sed tandem ali-quando postquàm, extorquendai illius animi sen-tentiae gratià, omnem, quoad per me fleri potuit, movisscm lapidem, lapideum tamen cor ejus immotum adhuc, aut sanè non onininô conversum deprehendiinveterarum scilicet dierum malorum.

Quâclere totâ beatitudinem tuam monuisse debui, ne vel minus diligens videar, vel minus obediens mandatis quoe mihi sanctitatis tuoe lit-teris et patris Spiritus sermone sunt exposita. Meum vero de domine illo judiciuin est, si paulô frequentior, tutior ac commodior ad ejus colloquia pateret àccessus, forsitan fore ut redu-catur ad caulas Dominijscd praecipuè si, quod speramus, beatitudine tuà annuente, Genevoe instituatur cum ministris disputatio. Atque quidem, beatissime pater, in rebus arduis et magni momenti etiam periculum fecisse opéra; pretium est.

Veruin, quandô per bèatitudinis tuoe clemen-tiam licet, omittendum non duxi quin eam cer-tiorem faciam, undequaquè passim finitimos Gcnevcnsium populos, hactenus in hoeresim abduc-tos, ditionum Gexcnsis et Galliardcnsis, ritûsquo et ici catholieoe restitutionem demississimé pos-tularc, quo deinceps càtholicam vitam agere q'ueant, atque quotidianam plurimorum inter eos audiri querimoniam, qui, catholici cum sint, Genevensis reipublica; tyrannide prohibeantur ritu cath'olico vivere; cum alioquin Genevenses, non suo, sed christiànissimi Francorum régis no-mine, in ejusmodi populos imperium ac viin exerecant ; neque probabile sit ejus tyrannidis, quà conscientiîe catholicorurn opprimantur, cons-cium essé regem, qui tantâ contentione càtholicam communionem nuper obtinuit.

Quare credibilc admodum est, si à beatitudine tuà bis de rebus rex ipsé admoneatur, fore uti quamprimum longé rectius res se habeat. Quin etiam,. si paulô pressius idem ipse réx à Gene-vensi republicà contenderet ut libertas ( quam vocant) cemscientise intrà civitatis ipsius Genevensis înoenia permittatur, sperandum esset rem eam, quà vix âlia magis hisce témporibusoptanda occurrit, felicem habituram eventum.

Hoec ità, beatissime pater, fusius explicare sum ausuSj'quôd non sim nescius quàm fldei ac disciplinac christianoe instaurandae clementia tua libenter incumbat, et absentia non iiisi per prsesentés possit agnoscere.





Très-saint Père,

Cette année dernière, le père Esprit de Baumes, docte et dévot prédicateur de l'ordre des capucins, et moi, ayant commencé à bien espérer de la conversion de Théodore de Bèze, qui est le chef entre les hérétiques calvinistes, et ce, sur le rapport d'un grand nombre de personnes bien sensées, afin que dans une affaire si désirable, il ne manquât rien, ni du côté de notre industrie, ni de la part des autres moyens, nous convînmes entre nous que lui, qui pour lors s'en allait à Rome pour le chapitre général de son ordre, en traiterait amplement avec votre sainteté, et lui demanderait ce qui serait nécessaire pour cela, afin que, si les bruits qui courent sont suivis de l'événement, la bonté de votre sainteté, qui pourvoit aux besoins de tous, ne manque point à ce pauvre hérétique.

Or, j'ai été chargé d'apprendre ses sentiments de sa propre bouche à la première occasion favorable, et de le faire avec le plus de soin et de prudence qu'il me serait possible. Pour cet effet, je suis allé fort souvent à Genève, sous prétexte de plusieurs affaires différentes ; mais je n'ai jamais pu trouver le moyen de parler à cet homme en particulier, quoique je le cherchasse exactement ; ce n'est que la troisième fête de Pâques que je l'ai trouvé seul, et assez facile pour une première entrevue. Mais après que j'eus fait tout mon possible, et que je n'eus rien oublié pour tirer de lui son sentiment, je vis que son coeur n'avait point encore été ému, mais qu'il était tout de pierre, ou du moins qu'il n'était point du tout converti, sa malice étant invétérée par une longue suite d'années passées dans le vice.

J'ai dû avertir votre sainteté de toute cette affaire, pour ne pas paraître manquer à l'exactitude et à l'obéissance que je dois aux commandements que j'ai reçus d'elle par son bref et par la bouche du père Esprit.

Le jugement que je fais de cet homme, est tel que je pense que si l'on peut lui parler un peu plus fréquemment, plus sûrement et plus commodément, peut-être il reviendra au bercail de Jésus-Christ ; principalement si, comme nous l'espérons, on peut, avec le consentement de votre sainteté, établir dans Genève une dispute avec les ministres. Et certes, très-saint père, dans les choses difficiles et de grande importance, il est quelquefois nécessaire de hasarder.

Mais puisque la clémence de votre sainteté me

donne toute liberté de l'instruire, je crois que je ne dois point oublier de lui dire que les peuples voisins de Genève, des pays de Gex et de Gaillard, qui ont été jusqu'à présent hérétiques, demandent avec instance et humilité d'être admis de nouveau à la profession de la religion catholique, et que plusieurs ne cessent de se plaindre de ce qu'ils en sont empêchés par la tyrannie de la république de Genève, quoiqu'ils soient véritablement catholiques; vu que d'ailleurs les Genevois n'exercent point sur eux leur empire en leur propre nom, mais au nom du roi très-chrétien. Il n'est point probable que sa majesté consente à cette tyrannie, elle qui n'a obtenu qu'après bien des désirs et des demandes réitérées, la communion catholique il y a fort peu de temps.

C'est pourquoi il est à croire que dans peu de temps les affaires en iront mieux, si le roi en est sollicité par votre sainteté. De plus, s'il plaisait à sa majesté exiger de la république de Genève que la liberté de conscience fût permise dans cette ville, il y aurait espérance que cette chose, qui est la seule désirable dans ce misérable temps, réussirait heureusement.

J'ai pris la hardiesse, très-saint père, de m'expliquer ainsi avec étendue, parce que je n'ignore point combien votre clémence s'applique volontiers à penser sérieusement aux moyens de rétablir la foi et la discipline chrétienne, et qu'elle ne peut connaître les choses éloignées d'elle, sinon par ceux qui sont sur les lieux. J'ai l'honneur d'être, avec un très-profond respect, très-saint père, etc.




LETTRE XXVI.

LE PAPE CLÉMENT VIII, A S. FRANÇOIS DE SALES.

( Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Sa Sainteté loue la diligence de S. François dans l'affaire et dans la conversion de Bèze, et l'exhorte à la persévérance.



Dilecte flll, salutem et apostolicam benedic-tionem.

Fidei catholicoe studium j et zelum salutis ani-marum, servo Dei et in sortem Domini vocato plané dignum, in tuis litteris perspeximus; et quid hactenus egeris in negotio illo, de perdit;'» ove ad Christi ovile réducendà, cognovimus.

Tuam, fili, diligentiam et sedulitatem in Domino commendamus ; et quamvis ea res, cujus felicem exitum valdè optamus, non mediocrem, ut scribis, difficultatem habeat, quia tamen Dei opus est, cujus gloriam quaerimus, et cujus misericordiâ atque auxilio nitimur, te proptereà magnoperè hortamur, ne eam curam deseras, neve cesses quod semel inchoasti, Dei adjutrice gratià, ur-gere. Speramus enim qiiôd labor tuus non erit inanis in Domino.

Quod ad populos illos attinet, quos catholicae religionis restitutionem avide expetere significas, id quidem perjucundum nobis accidit, et eâ de re scribemus in eam sententiam qnam res postulat et tu admones. Tu intereà quod potes praesta, Deo juvante ; et nos tibi paterne benedicimus.

Dàtum Romae, apud Sanctum-Petrum, sub an-nulo piscatoris, die vigesimà nonà maii, anno millesimo quingentesimo nonagesimo septimo, pontiflcatus nostri anno sexto.

Sylvius Antonianus.



Bien-aimé fils, salut et bénédiction apostolique.

Nous avons pleinement reconnu dans Vos lettres le zèle que vous avez pour la foi catholique et pour le salut des âmes, lequel zèle assurément est digne d'un serviteur de Dieu, qui est appelé à l'héritage du Seigneur; et nous avons vu ce que vous avez fait jusqu'à présent pour ramener au bercail de Jésus-Christ la brebis perdue, et comment vous vous êtes comporté dans cette affaire.

Nous louons grandement, mon fils, et nous approuvons le soin que vous avez apporté. Nous désirons ardemment que cette entreprise ait une heureuse issue ; et quoiqu'elle soit très-difficile, comme vous nous le mandez, néanmoins, parce que c'est une oeuvre de Dieu, dont nous cherchons la gloire, et sur la miséricorde et le secours duquel nous nous appuyons, nous vous exhortons bien fort à ne point abandonner le soin de cette affaire, et à ne point cesser de poursuivre vivement, avec le secours de la grâce, ce que vous avez commencé ; et nous espérons que votre travail ne sera pas vain dans le Seigneur (1Co 15,58).

Quant à ce qui concerne ces peuples, qui, suivant l'avis que vous nous en donnez, désirent avec ardeur le rétablissement de la religion catholique en leur pays (2), certes, cela nous a été fort agréable ; et nous ne manquerons pas d'écrire sur ce sujet, selon que la chose le requiert et les avis que vous nous donnez. Cependant faites de votre part tout ce qui vous sera possible avec la grâce de Dieu. Nous vous donnons notre bénédiction paternelle.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, sous l'anneau du pêcheur, le 29 mai 1397, et la sixième année de notre pontificat.

Sylvius Antonianus.



(2) Les habitants des bailliages de Gex et de Gaillard.






LETTRE XXVII. M. DE GRANIER, ÉVÊQUE DE GENÈVE, AU PAPE CLÉMENT VIII.

2102
F. de Sales, Lettres 64