F. de Sales, Lettres 2006

LETTRE DCXGVI, A UNE DAME.

2006
Le Saint la console sur la mort de son fils, qui était en bas âge. - Garnier lettre 283

Madame, Dieu vous a visitée pour preuve de votre constance et fidélité. L'homme n'est en ce monde que comme un arbre planté de la main du créateur, cultivé par sa sagesse, arrosé du sang de Jésus-Christ, afin qu'il porte des fruits (cf.
Ps 1,3 Ps 91,14 Jr 17,8) propres au goût du maître, qui désire être servi en ceci principalement, que de plein gré nous nous laissions gouverner à sa providence, qui mène les volontaires, et traîne à force les réfractaires.

Madame, vous êtes sa fille, vous protestez tous les jours et le priez que sa volonté s'accomplisse en la terre comme au ciel (Mt 6,10) ; que vous reste-t-il à faire, qu’à vous résoudre courageusement à consoler monsieur votre époux, et à vous conduire en ce pèlerinage par les voies qu'il plaira à la majesté divine de vous tracer?

Lui vous doit être pour fils, pour père, pour mère, pour frère, pour tout, en la présence duquel si vous vivez toujours en innocence au moyen de la grâce, vous obtiendrez un jour le paradis auquel règne cette âme bienheureuse de ce petit innocent, auquel je porte plus d'envie que de compassion, sachant qu'il voit la face de Dieu, comme fait son ange qui avait été commis à sa tutelle (cf. Mt 18,10). Attendant donc ce bonheur de le voir un jour en cette félicité éternelle, je prie Dieu pour votre confort d'aussi bon coeur que je suis votre, etc.



LETTRE DCXCVII, A UNE DAME.

2011
Il console la même personne sur la mort de sa soeur. - Garnier lettre 284

Voilà donc, ma chère fille, comme rang à rang nous passons le fleuve du Jourdain pour entrer en la terre de promission où Dieu nous appelle les uns après les autres. O vive Jésus? il n'y a pas de quoi en ce monde pour faire souhaiter que les amis y demeurent beaucoup.

Je connaissais cette bonne soeur défunte, non-seulement de vue extérieure, mais encore par quelque communication de son âme qu'elle me fit en ma visite; et n'y a environ qu'une année que je lui envoyai l'habit du tiers ordre des carmes, qu'elle m'avait mandé requérir pour sa dévotion ; et à sa réception elle fit une confession générale à un homme fort capable, qui me l'écrivit ou me le dit, je le sais bien.

Hé bien, ma chère fille, n'était-ce pas une disposition que là bonté de Dieu faisait en elle, pour la tirer une année après à soi ? Gloire soit donc au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit (2). Oui, très-chère fille, pleurez un peu sur cette trépassée ; car notre Seigneur pleura bien un peu sur son cher Lazare (
Jn 11,35-36). Mais que ce ne soient pas des larmes de regret, mais d'une simple compassion chrétienne, et d'un coeur qui, comme celui de S. Joseph (Gn 43,30 Gn 45,2 Gn 46,29), pleure de tendreté, et non pas de fierté comme celui d'Esaü (Gn 27,34-38). C'est en ces occasions èsquelles avec un saint amour il faut souëvement acquiescer au bon plaisir du doux Jésus.

Mais dites-moi, ma fille, et nous, quand irons-nous en cette patrie qui nous attend? Hélas! nous voici à la surveille de notre départ, et nous pleurons ceux qui y sont allez ! Bon présage pour cette âme, qu'elle ait souffert beaucoup d'afflictions ; car ayant été couronnée d'épines, il faut croire qu'elle aura la couronne de roses. Qu'elle aille donc cette bonne soeur, qu'elle aille posséder son éternel repos au giron de la miséricorde de Dieu.

Que si mes prières lui peuvent accélérer ce bien, je les lui promets de bon coeur ; et si je pouvais tenir son rang en votre amitié, je vous le demanderais de bon coeur aussi : au moins me permettez-vous que je tienne celui que j'y ai, et qu'à mesure que ces parents temporels vous vont manquant, l'affection plus que paternelle que je vous porte et que je vous ai dédiée fort fidèlement s'agrandisse en tendreté et ardeur sainte.

Prenez, ma fille, les bandelettes de notre Seigneur, ou son suaire duquel il fut enveloppé au sépulcre, et essuyez vos larmes avec cela. Vraiment je pleure aussi bien moi en telles occasions, et mon coeur de pierre ès.choscs célestes jette des eaux pour ces sujets ; mais Dieu soit loué toujours doucement, et pour vous parler, comme à ma chère fille, toujours avec un grand sentiment d'amoureuse dilection envers la providence de Dieu : car depuis que notre Seigneur a aimé la mort, et qu'il a donné sa mort pour objet à notre amour, je ne puis vouloir mal à la mort ni de mes soeurs, ni de personne, pourvu qu'elle se fasse en l'amour de cette mort sacrée de mon Sauveur. Qu'a jamais il vive et règne en nos coeurs ! Amen. Je suis en lui très-véritablement tout vôtre.

(2) Gloria Patri, et Filio, et Spiritui Sancto. Doxologie ECCLÉSIASTIQUE.



LETTRE DCXCVIII, A UNE DAME. Même sujet que la précédente.

2008
cf.
2007 - Garnier lettre 285

Or sus, ma chère fille, il faut donc bien reprendre courage après cette secousse. Hélas! ce sont des accidents naturels que l'apoplexie et chute de catarrhe ; et notre Seigneur voyant arriver notre fin nous prépare doucement par ses inspirations afin que nous ne soyons pas surpris, ainsi qu'il a fait à cette bonne soeur. Je ne m'étonne point que vous ayez été étonnée, et que vous n'ayez pas sitôt su retrouver votre coeur pour le reporter à son Sauveur.

O Dieu ! ma chère fille, il le faut bien préparer à mieux faire, pour la première occasion qui se présentera ; car à mesure que nous voyons ce monde, et les biens que nous y avons, se rompre devant nos yeux, il faut recourir plus ardemment à notre Seigneur, et avouer que nous avons tort de loger nos espérances, et espérer nos contentements ailleurs qu'en lui et en l'éternité qu'il nous a destinée. Il faut que je dise ce petit mot de confiance. Il n'y a homme au monde, qui ait le coeur plus tendre et affectionné aux amitiés que moi, et qui ait le ressentiment plus vif aux séparations. Néanmoins je tiens pour si peu de chose cette vanité de vie que nous menons, que jamais je ne me retourne à Dieu avec plus de sentiment d'amour que quand il m'a frappé, ou quand il a permis que je sois frappé. Ma fille, portons bien nos pensées au ciel, et nous serons fort exempts des accidents de la terre. Cette bonne soeur avait bien prié Dieu : sur cela elle a été ravie devant lui. Il faut espérer que c'a été pour son mieux que notre Seigneur en ait ainsi disposé. Demeurons en paix en attendant qu'il dispose de nous. Ma fille, tenez peu de compte de ce monde, sinon en tant qu'il nous sert de planche pour passer à l'autre meilleur ; et je suis tout vôtre en celui qui se rendit tout nôtre, mourant sur l'arbre de la croix.



LETTRE DCXCIX, A UNE DAME.

2007
Le Saint la fortifie de nouveau sur le même sujet. - Garnier lettre 286

Hélas ! ma chère fille, nous sommes misérables de savoir par tant d'expériences combien cette vie est mortelle; et de nous affliger néanmoins si fort, quand ou nous, ou les nôtres, passons de la vie à la mort. Dieu soit au milieu de votre coeur, ma fille, et vous soit unique et parfait consolateur en cet inopiné accident de cette bonne et vertueuse soeur, laquelle, sans aucun ébranlement précédent de sa santé, est tombée en un moment à la mort, mais comme nous devons espérer, entre les mains de la: miséricorde de son Sauveur. O Dieu ! qu'il fait bon mourir, puisqu'il le faut, autour de ces bonnes fêtes ! car on se prépare par les sacrements à l'avantage.

Vous seriez trop téméraire, ma très-chère fille, si vous prétendiez d'être exempte des secousses que l'inconstance de cette vie donne de temps en temps aux hommes. Je veux bien que vous pleuriez pour cette perte, car c'est la raison : mais je désire bien aussi que vous ne pleuriez pas désordonnément, et qu'en cette occasion vous témoigniez que vous avez déjà tant profité en la vertu, que vous avez plus de fondement sur l'éternité que sur l'image de ce monde (
1Co 7,31).

Voyez cette si soudaine mort qui n'a pas donné le loisir à la défunte de dire les adieux d'honneur à ceux qu'elle chérissait : et en espérant qu'elle est passée en la grâce de notre Seigneur, disons nos adieux de bonne heure, renonçant affectionnément au monde et à toute sa vanité ; et colloquons nos coeurs en la bienheureuse éternité qui nous attend. Hé! ma pauvre fille, mon coeur compatit au vôtre, et le conjure d'être tout à celui qui le ressuscitera de mort à vie, et qui nous a préparé ses éternelles bénédictions. Qu'à jamais son saint nom soit béni ! Je suis en lui vôtre tout entièrement.




LETTRE DCC.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN AMI.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville d'Angers.)

Le Saint le console sur la mort d'une personne qui lui était chère. - Garnier lettre 288

Monsieur, ces quatre lignes vous assureront que j'ai autant participé à votre déplaisir qu'ami que vous puissiez avoir, et ai infiniment regretté la perte du bon exemple de vertu que cette chère âme donnait en sa famille et en son voisinage : et quant à moi, qui l'estimais et avais une particulière dilection pour elle, je n'ai pas manqué ni ne manquerai de la recommander souvent à notre Seigneur, comme aussi tout ce qu'elle a laissé de plus cher en ce misérable monde. Que si je pouvais par quelque bonne rencontre vous témoigner en effet ce que je vous suis, vous auriez grand sujet de vous assurer de la véritable profession que je fais d'être, monsieur, votre, etc.


LETTRE DCCI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE.

Le partage des enfants de Dieu en cette vie est la souffrance. - Garnier lettre 289

Ma, très-chère fille, certes, s'il se pouvait, je voudrais tous les jours recevoir des nouvelles de votre âme, et tous les jours vous en donner de la mienne; car je m'imagine que vous ne vivez guère sans afflictions : si est-ce que par sentiment de mon coeur, je connais que le vôtre serait aucunement soulagé par le commerce spirituel qu!il pourrait avoir avec le mien, selon qu'il a plu à Dieu de me donner une affection toute singulière pour vous chérir de toutes mes forces...

Ma très chère fille, vous savez très-bien que Dieu réserve le partage de ses enfants pour la vie future, et que, pour celle-ci, il ne donne ordinairement à.ses mieux aimés que l'honneur de souffrir beaucoup, et de porter leur croix après lui. Je vois votre coeur assis et affermi sur cette vérité ; c'est pourquoi, bien que, d'un côté, je ne puisse pas m'empêcher de compatir, avec vous, puisque véritablement vous êtes ma fille, d'autre part, je nie glorifie en la croix de notre Seigneur, puisque vous êtes si heureuse que d'.y participer ; et ne cesserai jamais de prier le Saint-Esprit qu'il établisse, de plus, en plus le vôtre en son obéissance très-pure et très-saint amour. ,

Faites-moi ce bien, ma très-chère fille, que par la première bonne commodité qui se présentera je puisse savoir quelque chose de l'état de votre coeur, et de toute votre chère petite troupe des petits enfants que Dieu vous, a donnés, afin que vous fussiez leur [mère selon l'esprit encore] plus que vous né l'êtes selon le corps, et de notre frère N. et de notre soeur N., et surtout de la bonne mademoiselle votre mère ; et suis très-invariablement votre, etc.




LETTRE DCCII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Sur la fête de la naissance de notre Seigneur. - Garnier lettre 292

Le grand petit enfant de Bethléem soit à jamais les délices et les amours de notre coeur, ma très-chère mère ma fille. Hélas ! comme il est beau, ce pauvre petit poupon! Il me semble que je vois Salomon sur son grand trône d'ivoire, doré et ouvragé, qui n'eut point d'égal es royaumes, comme dit l'Écriture : et ce roi n'eut point de pair en gloire ni en magnificence. Mais j'aime cent fois mieux voir le cher petit enfançon en la crèche, que de voir tous les rois eu leurs trônes.

Mais si je le vois sur les genoux de sa sacrée mère ou entre ses bras, ayant sa petite bouchette comme un petit bouton de roses, attachée au lit de ses saintes mamelles, ô Dieu ! je le trouve plus magnifique en ce trône, non-seulement que Salomon dans le sien d'ivoire, mais que jamais même ce fils éternel du père ne le fut au ciel ; car si bien le ciel a plus d'être visible, la sainte Vierge a plus de vertus et perfections invisibles ; et une goutte du lait qui flue virginalement de ses sacrés sucherons vaut mieux que toutes les affluences des deux. Le grand S. Joseph nous fasse part de sa consolation; la souveraine mère de son amour ; et l'enfant veuille à jamais répandre dans notre coeur ses mérites !

Je vous prie, reposez le plus doucement que vous pourrez auprès du petit céleste enfant : il ne laissera pas d'aimer votre coeur bien-aimé tel que vous l'avez, sans tendreté et sans sentiment. Voyez-vous pas qu'il reçoit l'haleine de ce gros boeuf et de cet âne qui n'ont sentiment ni mouvement quelconque ; comme ne recevra-t-il pas les inspirations de notre pauvre coeur, lequel, quoique non tendrement, pour le présent, solidement néanmoins et fermement, se sacrifie à ses pieds pour être à jamais serviteur inviolable du sien, et de celui de sa sainte mère, et du grand gouverneur, du petit roi.

Ma très-chère mère, c'est la vérité, j'ai une lumière toute particulière qui me fait voir que l'unité de notre coeur est un ouvrage de ce grand unisseur (1); et partant je veux désormais non-seulement aimer, mais chérir et honorer cette vérité, comme sacrée.

La joie et consolation du fils et de la mère soient à jamais l'allégresse de notre aine! Je viens de prêcher tout revêtu de la main de ma tant aimable et amiable mère, et j'en ai été bien aise. Hélas! ma très-chère mère m'a fait tout couvrir de Jesui Maria. Que ce doux Jésus et cette sacrée Marie me la conservent longuement, et tout le vêtement nuptial de son coeur! Amen. Votre, etc.



(1) C'est un terme que le Saint a inventé pour imiter les artistes, comme on dit brunisscur, finisseur, garnisseur, etc.






LETTRE DCCIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Sur la naissance de notre Seigneur. - Garnier lettre 293

Hé, vrai Jésus ! Que cette nuit est douce, ma très-chère fille ! Les cieux, chante l'Église, distillent de toutes parts le miel (2) ; et moi, je pense que ces divins anges qui résonnent en l'air leur admirable cantique, viennent pour recueillir ce miel céleste sur les lis, où il se trouve sur la poitrine de la très-douce Vierge et de S. Joseph. J'ai peur, ma chère fille; que ces divins esprits ne se méprennent entre le lait qui sort des mamelles virginales, [et le miel du ciel, qui est abouché sur ces mamelles. Quelle douceur de voir le miel sucer le lait!

Mais je vous prie, ma chère fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons anges de vous et de moi se trouvèrent en la chère troupe de musiciens célestes qui chantèrent en cette nuit! O Dieu! s'il leur plaisait d'entonner derechef aux oreilles de notre coeur cette même céleste chanson, quelle joie! quelle jubilation! Je les en supplie, afin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux coeurs de bonne volonté (Lc 2,14).

Revenant donc d'entre les sacrés mystères, je donne ainsi le bonjour à ma chère fille : car je crois que les pasteurs encore, après avoir adoré le céleste poupon que le ciel même leur avait annoncé, se reposèrent un peu. Mais, ô Dieu! que de suavité, comme je pense, à leur sommeil ! il leur était avis qu'ils oyaient toujours la sacrée mélodie des anges qui les avaient salués si excellemment de leur cantique, et qu'ils voyaient le cher enfant et la mère qu'ils avaient visités.

Que donnerions-nous à notre petit roi, que nous n'ayons reçu de lui et de sa divine libéralité? Or sus, je lui donnerai donc à la sainte grand'messe la très-uniquement fille bien-aimée qu'il m'a donnée. Hé ! Sauveur de nos âmes, rcndez-la toute d'or en charité, toute de myrrhe en mortification, toute d'encens en oraison ; et puis recevez-la entre les bras de votre sainte protection, et que votre coeur dise au sien : Je suis ton salut au siècle des siècles (Ps 34). Amen. Votre, etc.


(2) Hodie per totum mundum melliflui facti sunt coeli. 2° Répons du premier nocturne de l'office de la nuit de Noël.




LETTRE DCCIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Sur la naissance du divin Sauveur. - Garnier lettre 294 plus complète

(Me trouvant dans ces bonnes fêtes environné de mille affaires, il ne m'est presque pas bien possible de vous aller visiter, ma très-chère fille. Je l'eusse pourtant fait de bon cœur pour vous entretenir toutes de quelques considérations sur le saint Mystère que nous célébrons ; mais,)

Ma chère fille, rien ne vous manquera, puisque vous serez en la présence de cet enfant sacré, duquel vous tiendrez l'idée en votre mémoire et imagination, comme si vous le voyiez naître dans la pauvre petite crèche de Bethléem.

Mon Dieu ! que cette naissance fait naître de saintes affections dedans nos coeurs, ains surtout de la parfaite abnégation des biens, des pompes, des soûlas de ce monde! Je ne sais, mais je ne trouve point de mystère qui mêle si suavement la tendreté avec l'austérité, l'amour avec la rigueur, la douceur avec l'âpreté. Jamais on ne vit un plus pauvre ni un plus heureux accouchement, ni jamais une si somptueuse, et si contente accouchée.

Certes, qui accouche du fils de Dieu n'a que faire de mendier du monde des consolations extérieures. Sainte Paule (1) aima mieux aussi vivre hospitalière en Bethléem que de demeurer riche dame à Rome, lui étant avis que jour et nuit elle oyait en son cher hôpital les cris enfantins du Sauveur en la crèche, ou, comme parlait S. François, du cher enfant de Bethléem, qui l'incitait au mépris des grandeurs et affections mondaines, et l'appelait au très-saint amour de l'abjection.

Ce cher petit Sauveur le sait bien, ma très-chère fille, que dès ce matin mon coeur crie et réclame Jésus pour le vôtre. Oui, très-doux Jésus, baume précieux qui donne toute suavité aux anges et aux hommes, entrez, possédez l'âme do cette chère fille ; qu'elle jouisse pleinement de ces afflictions, afin que l'odeur de ce lieu parfumé rejaillisse en toutes ses actions.

Hélas! ma fille, vous m'êtes toute chère, parce que vous n'avez rien de cher que Jésus, et qu'en lui et par lui je sais bien que je vous suis bien cher : que je le sois donc encore plus cette année, mais surtout que Jésus le soit de plus en plus, jusques a la très-sainte éternité. Amen. Votre, etc.



(1) Sainte Paule, illustre dame romaine, abandonna Rome pour se retirer à Bethléem. « En entrant dans la grotte où notre Rédempteur a voulu naître, « dit S. Jérôme, elle assurait en ma présence qu'elle « voyait des yeux de la foi l'enfant Jésus, nouvellecement enveloppé de langes dans la crèche, et les mages qui l'adoraient : et, mêlant, dans la joie extraordinaire qu'elle sentait en son âme, des larmes de joie, elle disait : «Je vous salue, Bethléem (maison du pain), où naquit le pain vivant qui est descendu du ciel. »

Après avoir parcouru tous les lieux consacrés par les mystères de la vie et de la mort du Sauveur, elle revint à Bethléem, où elle fixa son séjour. Elle y fit bâtir un monastère et un hôpital, dans la même rue où S. Joseph et la Vierge ne trouvèrent point une hôtellerie où l'on voulût les recevoir, pour y loger les pèlerins qui venaient alors de toute part visiter la terre sainte. Elle était si humble, que ceux qui ne la connaissaient que par sa réputation de piété avaient peine à croire, lorsqu'on la leur montrait, que ce fût cette célèbre Paule.

Elle fonda aussi trois monastères de religieuses, et mourut si pauvre qu'elle ne laissa rien à sa fille Eustochium.

S. Jérôme fit son épitaphe, dont voici la substance : « Ci-gît celle qui, du côté de son père, était issue du roi Agamemnon, et, du côté de sa mère, descendait des Scipions et des Gracques, nommée Paule. Elle était mère de la sainte vierge Eustochium, et la première du sénat romain, et elle vint à Bethléem imiter la pauvreté de Jésus-Christ. » Sur la porte de la grotte il mit ces mots : « Voici la sépulture de sainte Paule, qui laissa dans Rome ses enfants, ses parents et ses richesses pour l'amour de Jésus-Christ. Son corps est demeuré en terre, et son âme est allée au ciel. » Cette sainte mourut le 26 janvier 401.



LETTRE DCCV, A UNE RELIGIEUSE.

1502
Sur la venue de Jésus-Christ.

Paris, vers le 6 janvier 1619

1. Et croyez-moi bien aussi, ma chère fille, que ce m'est une fort particulière consolation de recevoir de vos lettres, et de vous envoyer les miennes. ...

Vous êtes bien, ma chère fille, auprès de cette crèche sacrée, en laquelle le Sauveur de nos âmes nous enseigne tarit de vertus par son silence : mais qu'est-ce qu'il ne nous dit pas en se taisant? Son petit coeur pantelant d'amour pour nous devrait bien enflammer le nôtre. Mais voyez combien amoureusement il a écrit votre nom dans le fond de son divin coeur, qui palpite là sur la paille, pour la passion affectueuse qu'il a de votre avancement, et ne jette pas un seul soupir devant son père, auquel vous n'ayez part, ni un seul trait d'esprit que pour votre bonheur.

L'aimant attire le fer, l'ambre attire la paille et le foin ; ou que nous soyons fer par dureté, ou que nous soyons paille par imbécillité, nous nous devons joindre à ce souverain petit poupon qui, est un vrai tire-coeur. Oui, m'a fille, ne retournons point en la région de laquelle nous sommes sortis (cf.
Mt 2,12), laissons pour jamais l'Arabie et la Chaldée, et demeurons aux pieds de ce Sauveur ; disons avec la céleste épouse : J'ai trouvé celui que mon coeur aime, je le tiens, et ne l'abandonnerai (Ct 3,4).

2. Hélas! ma chère fille, l'envie que vous me portez (2) procède-t-elle de ce que je prêche au monde les louanges de Dieu ? 0 que c'est quelquefois un grand contentement au coeur de publier la bonté de ce qu'on aime ! Mais si vous désirez de prêcher avec moi, je vous en prie, faites-le, ma fille, toujours priant Dieu qu'il me donne des paroles selon son coeur et selon vos souhaits. Combien de fois arrive-t-il que nous disons de bonnes choses parce que quelque bonne âme nous les impètre ! Ne prêche-t-elle pas assez, et avec cet avantagé que, ne sachant rien, elle ne s'enfle point ?

Nous ressemblons aux orgues, où celui qui met le souffle fait en vérité le tout, et n'emporte point la louange. Aspirez donc souvent pour moi, ma fille, et vous prêcherez avec moi ; et moi, croyez-moi, je joins mon âme à la vôtre tous les jours par le lieu du très-saint sacrement, que je ne reçois point qu'avec vous et pour vous. Faites donc, ma fille, faites mille fois le jour ces saintes aspirations à Dieu, protestant que vous êtes toute totalement à jamais et éternellement sienne. Vive Jésus ! car c'est notre vie (cf. Ph 1,21). Qu'à jamais son saint amour vive et règne dans nos coeurs !


(2) La religieuse à qui le Saint écrit lui avait sans doute mandé qu'elle lui portait envie, parce qu'il annonçait aux âmes les vérités du salut, et les gagnait à Dieu.




LETTRE DCCVL

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE (DAME) RELIGIEUSE.

Sur la naissance de notre Seigneur. - Garnier lettre 296 complétée

Vous pouvez penser, ma très-chère fille, comme mon âme qui aime extrêmement la vôtre, s'imagine toujours de vous pouvoir écrire ; car en vérité j'ai un plaisir fort grand, quand je puis entretenir mon esprit avec le vôtre. Mais ...

ces grandes fêtes nous imposent silence, d'autant que d'elles-mêmes elles retentissent et parlent divinement du mystère qu'elles nous représentent. Je ne sais certes que dire autour de ce divin enfant : car il ne dit mot, et son coeur, plein de ferveur pour les nôtres, ne se déclare point qu'avec des plaintes, des larmes et des douces oeillades ; sa sacrée mère se tait presque toujours, et admire ce qu'on lui dit. Mon Dieu! que ce silence me dit de grandes choses! Il m'apprend à faire la vraie oraison mentale ; il m'apprend la ferveur amoureuse d'un coeur qui est saisi d'affections, que nourrissent ces douces pensées, et qui a peur d'en perdre la suavité, s'il les prononce.

Tenez-vous auprès de cette mère cependant, et ne l'abandonnez pas d'un seul moment, tandis qu'elle part de Nazareth et qu'elle va en Bethléem : tandis que, sans empressement, mais non pas sans ses ardents mouvements, elle attend d'heure, à autre de voir éclos de son sacré ventre le bel oiseau de Paradis. Hélas ! ma chère fille, vous la verrez, cette belle dame, cette heureuse fille de Sion, que, telle qu'elle est, mère du roi de gloire, elle va mendiant l'hospitalité en Bethléem; elle n'en a nulle sorte de honte, ains elle s'honore de cette sacrée et bienheureuse nécessité'.

Je vous promets qu'en cette messe de la minuit, en laquelle il me semblera voir une crèche sur l'autel, et le divin poupon faisant ses doux yeux, pleins de larmes plus précieuses que des perles, je l'offrirai à Dieu son père avec le congé de sa mère, et le demanderai pour vous, afin qu'il soit à jamais le coeur de votre coeur et l'unique époux de votre âme. O ma fille! tenez bien ce divin enfant entre vos bras, et lui donnez vos mamelles ; il mange le lait de l'humilité et de la "douceur cordiale.

Mon Dieu ! que ce mystère est doux ! le premier ravissement de notre S. Bernard fut d'une vision d'icelui, et, p;ir ce moyen, il rendit son coeur et sa bouche pleins du lait de la sainte Vierge, et des larmes de ce doux petit enfant. Sitôt que vous verrez le grand petit enfant né en votre âme, dites-lui fermement que je lui sacrifie la mienne avec la vôtre éternellement. Amen.




LETTRE DCCV1I.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME VEUVE.

Sur la fête de la Circoncision. - Garnier, lettre 298

Ma fille, je suis, tellement pressé que je n'ai loisir de vous écrire sinon le grand mot de notre salut, Jésus. Oui, ma fille, que puissions-nous, au moins une fois, prononcer ce nom sacré de notre coeur,! O quel baume il répandrait en toutes les puissances de notre esprit ! Que nous serions heureux, ma fille, de n'avoir en l'entendement que Jésus, que Jésus en l'imagination ! Jésus serait partout en nous ; et nous partout en lui. Essayons-nous-en, ma très-chère fille ; prononçons le souvent comme nous pourrons; que si bien pour le présent ce ne sera qu'en bégayant, à la fin-néanmoins nous pourrons le bien prononcer.

Mais qu'est-ce que le bien prononcer, ce sacré nom ? car vous me dites que je vous parle clair.

Hélas ! ma fille, je n 3 sais pas ; mais je sais seulement que pour le bien exprimer il faut avoir une langue toute de feu; c'est-à-dire, qu'il faut que ce soit par le seul amour divin, qui sans autre exprime Jésus en notre vie, en l'imprimant dans le fond de notre coeur. Mais courage, ma fille; sans doute nous aimerons Dieu, car il nous aime. Tenez-vous joyeuse pour cela, et ne permettez point à votre âme de se troubler d'aucune chose. Je suis, ma chère fille, je suis en "ce même Jésus, votre, etc.




LETTRE DCCVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION. I

Souhaits de bonne, année. - Garnier, lettre 299

Ma chère fille, quand l'Écriture sainte veut parler d'une personne bonne, douce, innocente et dédiée à Dieu, elle dit : C'est un fils ou une fille d'un an (1S 13,1). Hélas ! ma fille, si nous n'avons pas correspondu ci-devant à l'amour de ce gracieux Sauveur par une sainte et inséparable union de nos affections à sa sainte volonté, faisons maintenant en sorte qu'au bout de cette année nous puissions être appelés enfants d'un an.

Je disois hier, ma chère fille (car je vous yeux faire part de nos prédications), que quand Dieu voulut prendre en sa sauvegarde les enfants des Israélites, afin que l'ange exterminateur ne les tuât comme il faisait ceux des Égyptiens, il ordonna que leurs portes fussent enduites et marquées du sang de l'agneau pascal, et qu'ainsi sa divine majesté marquait du sang de sa circoncision la porte et l'entrée de cette année sur nous, afin qu'en icelle l'exterminateur de nos enfants n'eût aucun pouvoir sur eux. Or vous savez qui sont vos enfants : car je parle de ceux du coeur, nos bons propos, nos bons désirs, nos amours divins.

Je l'espère, ma chère fille, que nous serons inviolablement fidèles à ce Sauveur, et que ces années suivantes nous serons comme les années fertiles de Joseph, lequel, par le moyen du ménage qu'il fit en icellcs, serendit vice-roi d'Egypte ; car nous ménagerons si bien nos ans, nos mois, nos semaines, nos jours, nos heures, nos moments, que le tout s'employant selon l'amour de Dieu, nous sera profitable à la vie éternelle pour régner avec les saints. Mais n'est-ce pas donc, ma fille ? dorénavant nous ne serons plus ces vieux nous-mêmes que nous avons été ci-devant, nous serons des autres nous-mêmes qui, sans exception, sans réserve, sans condition, serons à jamais sacrifiés à Dieu et à son amour; et, comme des petits phénix, nous serons renouvelés en ce feu de la dilection divine, pour laquelle, avec un irréconciliable divorce, nous avons pour jamais abandonné et rejeté le monde et toute sorte de vanité.

Nos petites colères, nos petits chagrins, ces petits frissonnements de coeur, sont des restes de nos maladies, que le souverain médecin nous laisse afin que nous craignions la rechute, que nous nous humilions et demeurions en une sincère soumission. Nous irons néanmoins nous établissant de jour en jour, et ces petites altérations s'affaibliront, Dieu aidant. Ayez courage, ma fille, car ce petit Jésus vous aime bien. Je suis en lui tout vôtre.






LETTRE DCCIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CBlANïAL.

Souhaits de bonne année, et considérations sur la manière de prononcer le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. - Garnier, lettre 300

O Jésus ! remplissez notre coeur du baume sacré de votre nom divin, afin que la suavité de son odeur se dilate en tous nos sens, et se répande en toutes nos actions. Mais pour rendre ce coeur capable de recevoir une si douce liqueur, circoncisez-le, et retranchez d'icelui tout ce qui peut être désagréable à vos saints yeux. O nom glorieux, que la bouche du père céleste a nommé éternellement, soyez à jamais la superscription de notre âme, afin que, comme vous êtes Sauveur, elle soit éternellement sauvée! O vierge sainte, qui, la première de toute la nature humaine, avez prononcé ce nom de salut, inspirez-nous la façon de le prononcer ainsi qu'il est convenable, afin que tout respire en nous le salut que votre ventre nous a porté.

Ma très-chère fille, il faillait écrire la première lettre de cette année à notre Seigneur et à Notre-Dame ; et voici la seconde par laquelle, ô ma fille, je vous donne le bon an, et dédie notre coeur à la divine bonté. Que puissions-nous tellement vivre cette année, qu'elle nous serve de fondement pour l'année éternelle ! Du moins ce matin sur le réveil j'ai crié à vos oreilles : Vive Jésus! et eusse bien voulu épandre cette huile sacrée sur toute la face de la terre.

Quand un baume est bien fermé dans une fiole, nul ne sait discerner quelle liqueur c'est, sinon celui qui l'y a mise; mais quand on a ouvert la, fiole, et qu'on en a répandu quelques gouttes, chacun dit: C'est du baume. Ma chère fille, notre cher petit Jésus était tout plein du baume de salut ; mais on ne le connaissait pas jusqu'à tant qu'avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair; et lors on a connu qu'il est tout baume et huile répandue, et que c'est le baume de salut. C'est pourquoi S. Joseph et Notre-Dame, puis tout le voisinage, commencent à crier : Jésus, qui signifie Sauveur.

Plaise à ce divin poupon de tremper nos coeurs dans son sang, et les parfumer de son saint nom, afin que les roses des bons désirs que nous avons conçus, soient toutes pourprées de sa teinture, et toutes odorantes de son onguent ! Mon Dieu! ma fille, que cette circoncision est à propos de nos petits mais grands renoncements ! car c'est proprement une circoncision spirituelle. Votre très-affectionné, etc.




LETTRE DCÇX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Souhaits de nouvelle année. - Garnier, lettre 301

Vous serez la première, ma très-chère et très-bonne mère, qui recevrez de mes écrits, cette année nouvelle. La raison certes le veut bien, qu'après avoir fait hommage au père et à la mère célestes, je le rende aussi a la seule mère que leurs majestés m'ont donnée pour cette vie. Bonne et très-sainte année à ma très-chère mère de la part de son fils, qui lui souhaite l'abondance de la grâce du père éternel, de la paix du fils circoncis, et de la consolation du Saint-Esprit, dédiant avec ce même coeur de ma très-chère mère le mien comme le sien à la gloire de la divine bonté, et lui consacrant tous les moments de cette nouvelle année, pour faire une entière circoncision de ce même coeur, et l'appliquer à recevoir purement et parfaitement l'amour sacre que le céleste et divin nom de Jésus nous annonce écrit en son sang sur la sainte humanité du Sauveur.

Je ne me puis promettre de vous voir avant mercredi', sinon de cette vue perpétuelle de laquelle mon âme regarde et garde la vôtre chèrement dans le fond de notre coeur. Ah ! mon Dieu ma chère mère, que je désire d'amour divin à ce coeur, que je lui souhaite de bénédictions! Baisons mille fois les pieds de ce Sauveur, et disons-lui : Mon coeur, ô mon Dieu, vous proteste; ma face vous désire : Ah! Seigneur, ma face recherche votre face (Ps 27,8). C'est-à-dire, ma chère mère, tenons nos yeux en Jésus-Christ, pour le considérer, notre bouche pour le louer ; et qu'enfin tout notre visage ne respire que d'agréer à celui de notre cher Jésus : Jésus pour lequel il nous faut humilier, entreprendre, travailler, souffrir, et devenir, comme dit S. Paul, des brebis conduites à la boucherie (Ps 44,23 Rm 8,36), quand il plairait à sa divine majesté de nous rendre déshonorables pour son honneur et gloire.

Or sus, bonne et très-sainte année à ma très-chère mère, toute parfumée du nom de Jésus, toute détrempée de son sacré sang. Que nul jour de cette année, ains que nulle année ni nul jour de plusieurs années, que je supplie Dieu vouloir donner à ma très-chère mère, ne se passe qu'il ne soit arrosé de la vertu de ce sang, et ne reçoive la douceur du vent de ce nom qui répand le comble de toute suavité. Amen.

Ainsi puisse ce nom sacré remplir de son agréable son toute la congrégation de nos soeurs, et les gouttes de sang du petit Sauveur se convertir en un fleuve de sainteté, qui réjouisse et rende fertiles tous les coeurs de cette chère troupe, et surtout celui de ma très-chère mère, que le mien aime comme soi-même ! Vive Jésus ! vive son sang, vive Marie ! vive son flanc, duquel Jésus a pris son sang !




LETTRE DCCXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Considérations sur la fête de la Conception de la sainte Vierge, et sur une chape qu'il avait reçue. - Garnier, lettre 302

0 vraiment elle est belle en extrémité, la chape (1) que la plus chère mère qui vive envoie à son très-cher père : car elle est- toute au nom de Jésus et de Marie, et représenté parfaitement le ciel des bienheureux, où Jésus est le soleil, et Marie la lune, luminaire présent à toutes les étoiles de cette sainte habitation; car Jésus y est tout à tous ; et n'y a point d'étoile en ce jour céleste, en laquelle il ne soit représenté comme en un miroir ; et les phi redoublés signifient, comme lettres capitales, la philothie et la philanthropie, l'amour de Dieu et l'amour du prochain ; et les SS fermées avec leurs flèches qui montent d'un côté et descendent de l'autre démontrent l'exercice de ces divins amours, dont l'un remonte en Dieu, et fait des philothées; l'autre descend au prochain, et fait des philanthropes, qui est l'unique bien de la charité qui nous rend vrais serviteurs et servantes de la divine majesté : surtout le Saint-Esprit influe et fait paraitre une grande variété^ de fleurs et de toutes sortes, de vertus.

Bénie soit à jamais la chère main de la mère qui a su si bien faire ce bel ouvrage! Que cette main soit propre à faire des choses fortes, et tout également à manier le fuseau (Pr 31,21). Qu'elle soit ornée de l'anneau de fidélité, et son bras du bracelet de charité : que la dextre du Sauveur soit à jamais jointe à elle, et qu'elle paroisse pleine au jour du jugement ; qu'à jamais le coeur qui l'anime soit revêtu de Jésus, de Marie, de philothie, de philanthropie, de sainteté, d'étoiles, de dards volants du céleste amour, et de toutes sortes de vertus florissantes ; que le Saint-Esprit la rayonne en tout temps. Bonsoir, ma très-chère fille, ma mère.

Mais il faut encore dire ceci. Il est écrit de la femme forte, que tous ses gens ont double vêlement (Pr 31,21) : l'un, je pense, pour les fêtes, l'autre pour les jours ouvriers ; et me voilà revêtu d'une chape admirable pour les fêtes ; chape belle et de couleur de la résurrection, et d'une robe encore pour tous les jours, de la couleur de la robe que notre Seigneur porta sur le moment de la passion. Dieu notre Seigneur vous habille de sa passion et de sa gloire. Je ferai pour votre fille de Sainte-Catherine tout ce qu'il me sera possible; et croyez moi, je le ferai encore plus doucement, parce que vous le désirez : car j'ai une extrême suavité à faire votre volonté. Hélas ! quel coeur devrions-nous avoir à fa.ire celle du Créateur très-aimé, puisque nous en avons tant pour la créature aimée et unie en lui !

Oui, ma très-chère mère, remettez bien votre coeur entre les mains de notre chère maîtresse, qui sera conçue ce soir en la commémoration que nous en ferons, et je Je lui demanderai; car, ma chère mère, je suis bien résolu de ne vouloir plus de coeur que celui qu'elle me donnera, cette douce mère des coeurs, cette mère du saint amour, cette mère du coeur des coeurs. Ah ! Dieu, que j'ai grand désir de tenir les yeux sur cette belle étoile en notre navigation! Bonjour, ma très-chère mère ; soyez toute joyeuse sur l'occasion de cette fête venante. Jésus soit notre coeur. Amen.



(1) Il s'agit d'une chape blanche, brodée avec soin par madame de Chantal, et qu'elle avait donnée au Saint.




LETTRE DCCXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE RELIGIEUSE BERNARDINE, SA COUSINE.

Sur la fête de l'Epiphanie. - Garnier, lettre 303

Notre Seigneur vous aime, ma chère fille, et vous aime tendrement. Que s'il ne vous fait pas sentir la douceur de son saint amour, c'est pour vous rendre plus humble et plus abjecte à vos yeux; mais ne laissez pas pour cela de recourir à sa sainte débonnaireté en toute confiance, surtout maintenant en ce temps auquel nous te nous représentons comme il était petit enfant en Bethléem. Car, mon Dieu! ma chère fille, pourquoi prend-il cette douce et aimable condition de petit enfant, sinon pour nous provoquer à l'aimer confidemment, et à nous confier amoureusement en lui?

Demeurez bien près de la crèche, cette sainte octave des rois. Si vous aimez les richesses, vous y trouverez l'or que les rois y ont laissé : si vous aimez la fumée des honneurs, vous y trouverez celle de l'encens; et si vous aimez les délicatesses des sens, sentez-y la myrrhe odorante qui parfume toute l’étable. Soyez riche en amour pour ce cher Sauveur, honorable en la privauté que vous prétendrez avec lui par l'oraison, et toute délicieuse en la joie de sentir en vous les saintes inspirations et affections d'être très-uniquement sienne. Pour vos» petites colères, elles passeront; ou, si elles ne passent pas, ce sera pour votre exercice et mortification.

Enfin, ma chère cousine, puisque, sans réserve, vous voulez être toute pour Dieu, ne tenez point votre coeur en peine; et, entre toutes les sécheresses qui vous peuvent arriver, soyez ferme à demeurer entre les bras de la miséricorde divine.

Et pour ces appréhensions qui vous arrivent, c'est l'ennemi qui, vous voyant à cette heure toute résolue de vivre en notre Seigneur sans réserve et sans exception, fera toutes sortes d'efforts pour vous incommoder, et rendre dure la voie de la sainte dévotion.- Or il faut que vous au contraire étendiez votre coeur par une fréquente répétition de votre protestation que vous ne vous relâcherez jamais, que vous persévérerez en votre fidélité, que vous aimez mieux les rigueurs du service de Dieu que les douceurs du service du monde., que jamais vous n'abandonnerez votre époux.

Gardez bien, ma chère fille, de quitter la sainte oraison; car vous feriez le jeu de votre adversaire : mais continuez constamment en ce saint exercice, et attendez que notre Seigneur vous parle, car il vous dira un jour des paroles de paix et de consolation ; et lors vous connaîtrez que votre peine aura été bien employée, et votre patience utile.

Bonsoir, ma très-chère fille, glorifiez-vous d'être toute pour Dieu, et protestez toujours d'être toute sienne. Dites souvent que vive Jésus.



LETTRE DCCXIII, A UNE RELIGIEUSE BERNARDINE DE L'ABBBAYE SAINTE CATHERINE, SA COUSINE.

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F. de Sales, Lettres 2006