F. de Sales, Lettres 1554


LETTRE CCCCVIII.

CERTIFICAT DE VIE ET DE MOEURS, DONNÉ PAR LE SAINT A UN GENTILHOMME.

(Tirée de la maison professe des Jésuites, rue Saint-Antoine.)

Paris, 11 septembre 1619. Francisons de Sales, Dei et apostolicae sedis gratia episcopus et princeps Gebennensis : Notum facimus et testamur dilectum nobis in Christo, nobilem virum, D. Guillelmum de Bernard toto biennio in civitate Annessiassenci, in quâ residentia ecclesioe nostra est, vixisse, omniaque munera catholica; pietatis quàm accuratissimè obiissc, quemadmodum par erat ab eo expectare, qui à parentibus (quos olim de facie et moribus cogno-vimus) piissimis originém traxit, et ab incunabulis in domo catholicissimi principis ducis Namurcii educatus fuit, ut et nunc eidem a cubiculo inservit iuter primarios ejus domesticos. In quorum fidem.... et signavimus, et sigillum nostrum im-primi mandavimus.



Nous, François de Sales, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège apostolique, évêque et prince de Genève, Faisons savoir et certifions que notre bien-aimé en Jésus-Christ, noble homme, le sieur Guillaume de Bernard, a demeuré pendant deux années entières dans la ville d'Annecy, lieu de notre résidence et de celle de notre Église; qu'il y a rempli exactement tous les devoirs de la piété et de la religion catholique, comme il était juste de l'attendre d'un homme qui a pris naissance de parents très-pieux, connus de nous très-particulièrement, et qui a été élevé dès le berceau dans la maison de M. le duc de Nemours, prince très-catholique, dont il est aujourd'hui gentilhomme delà chambre. En foi de quoi, pour favoriser son désir, nous lui avons donné par écrit ce témoignage signé de notre main, auquel nous avons fait apposer le sceau de nos armes.




LETTRE COCCIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME LE LOUP DE MONTFANT (i).

(1) Charlotte de Beaufoit de Camillac, épouse de Gaspard le Loup de Montfant, et mère de madame la comtesse d'Alet, qui a été religieuse de la Visitation, et fondatrice du monastère de Montferrant.


Il s'agit d'une veuve qui voulait entrer en religion. Le Saint, consulté par la mère de cette veuve, pour savoir si cette vocation lui paraissait véritable, répond affirmativement.


Avant le 12 septembre 1619.

Madame, les plus courtes réponses sont ordinairement les meilleures ; et avec cela, pressé de mon départ de cette cour, et du désir de dépêcher votre homme, qui me conjure ardemment de ne le point retenir davantage. Or, je ne dirai rien des titres d'honneur et de faveur dont vous êtes-si libérale envers moi, sinon que je ne cesserai jamais de vous souhaiter toute sorte de bonne consolation et quelque digne occasion de vous témoigner combien je vous honore.

Je ne vous dirai donc pas autre chose sur le dessein que madame N., votre fille, a de se retirer dans le monastère, si que je crois fermement que c'est une véritable inspiration divine, ne voyant tout-à-fait aucune raison contraire, puisque, grâces à Dieu, elle a de si justes et dignes garants de la personne et des biens de ses enfants, pourvu qu'il vous plaise et à monsieur de vous charger de cette peine ; et afin qu'il vous plaise, ( je ne veux point user de longs discours, ains seulement dire que si vous le faites vous ferez une chose infiniment agréable à Dieu ; car cela suffit - à une aine généreuse pour lui faire prendre toutes sortes de résolutions.

Je vois bien qu'il y a plusieurs répliques à ce que je dis ; mais je crois bien aussi qu'en ces occurrences il n'est pas question de contester et de disputer, ains de considérer les maximes de l'Évangile, qui sans doute nous conduisent au parfait dépouillement, et au mépris de la sagesse temporelle, qui ne s'arrête à la sagesse de la vertu qui requiert l'excellence et l'éminence de l'amour céleste.

Mais, madame, si cette chère fille de votre coeur s'arrête dans les bornes que votre autorité, lui préfixe, de n'être au monastère que comme fondatrice sans changement d'habit ni de condition extérieure, je ne crois pas que la plus sage sagesse humaine puisse sagement gronder, ni, je m'assure, probablement murmurer. Car, présupposée la charité de monsieur votre mari et la vôtre envers vos petits, pour avoir soin d'eux et de leurs affaires, et assurer madame votre fille pour avoir la commodité de vivre plus parfaitement sous l'ombre de la croix ; que peut-on dire autre chose sinon que Dieu a donné l'inspiration à la fille de se retirer, et au père et à la mère de lui en donner les moyens ? Je sais qu'à faire ces grandes et héroïques vertus il y a de l'effort ; mais c'est aussi de là où elles tirent leur plus grande gloire.

Vous me marquez, madame, un défaut de cette fille, qui est qu'elle jure sans équivoque; à quoi, ce me dites-vous, vous ne vous entendez point. C'est une des plus aimables conditions que vous puissiez jamais avoir, je le confesse; mais il faut ajouter une autre grandement précieuse, qui est de ne point user de votre autorité maternelle contre cet esprit, qui, pour éviter le coup, se dérobe plutôt que de parer.

Mais quant à moi, madame, je vous proteste que je n'use point d'équivoque- quand je vous promets en bonne foi que de mon côté je ne consentirai point que madame N. prenne l'habit de la Visitation, que quand, par une véritable attestation, j'aurai été assuré de votre consentement. De cela je vous prie de le bien croire, je vous en donne ma parole plus clairement. Je n'ai nulle autorité sur les monastères de la Visitation qui sont hors de mon diocèse, de sorte que je ne puis m'obliger, sinon à ne point consentir, ains à faire tout ce que je pourrai, non point par autorité, mais par crédit que j'espère d'avoir envers les supérieures de ces monastères, et particulièrement avec madame N., de laquelle je suis grandement certain qu'elle suivra en cela ma direction; et, partant, madame, je vous donne derechef assurance de ce que dessus, et signe exprès sur la promesse que je vous en fais.




LETTRE CCCCX, A LA MÈRE ANGÉLIQUE, DE PORT-ROYAL.

1529
Amitié forte et sainte du saint prélat. Il parle de son départ de Paris, en 1619, qui était prochain, mais encore incertain. Il la porte à répondre aux desseins de Dieu, qui voulait l'employer à des choses importantes. Au sujet d'un livre qu'on lui portait, il soutient qu'on peut passer un jour sans pécher même véniellement, et qu'il en a même l'expérience. Il lui conseille de ne point se charger de trop d'austérités, mais d'aller au port royal de la vie religieuse, par l'amour de Dieu et du prochain, l'humilité, la douceur, etc.

Paris, 15-20 juin 1619.

1. Il n'y aura donc plus en moi de monsieur pour vous, ni en vous de madame pour moi ; les anciens cordiaux et charitables noms de père et de fille sont plus chrétiens, plus doux, et d'une plus grande force pour témoigner la dilection sacrée que notre Seigneur a voulu être entre nous. Je dis ainsi hardiment que Dieu a voulu être en nous, parce que je le sens puissamment, et ne crois pas que ce sentiment puisse venir d'ailleurs. Et de plus je connais qu'il m'est profitable, et qu'il m'encourage à mieux faire : c'est pourquoi je le conserverai soigneusement. De vous dire que vous en fassiez de même, je ne le ferai pas ; car s'il plaît à Dieu, il vous l'inspirera, et je ne puis douter qu'il ne le fasse.

Or sus donc, ma très-chère fille, si c'est la vérité que je suis meshui en si grande incertitude du temps de mon départ, que je n'ose plus me promettre la consolation de vous revoir de mes yeux mortels : mais si j'en ai le loisir, je le ferai très-affectueusement ; et si je crois que votre coeur bien-aimé en doive recevoir quelque notable utilité, je ferai tout ce que je pourrai pour cela.

2. Cependant, ma très-chère fille, souvenez-vous de ce que je vous ni dit : Dieu a jeté les yeux sur vous pour se servir de vous en choses de conséquence, et vous tirer à une excellente sorte de vie. Portez donc respect à son élection, et suivez fidèlement son intention. Animez continuellement votre courage d'humilité, c'est-à-dire, votre misère, et lé désir d'être humble ; animez-les de confiance en Dieu, en sorte que votre courage soit humble, et votre humilité courageuse.

Parsemez toutes les pièces de votre conversation, tant intérieure qu'extérieure, de sincérité, douceur et allégresse, suivant l'avis de l'apôtre: Réjouissez-vous toujours en notre Seigneur ; je vous dis derechef, réjouissez-vous. Que votre modestie soit connue à tous les hommes (
Ph 4,4-8). Et s'il est possible soyez égale en humeur, et que toutes vos actions se ressentent de la résolution que vous avez faite d'aimer constamment l'amour de Dieu.

3. Ce bon porteur, que j'aime cordialement parce qu'il est tout vôtre, vous porte le livre du père dom Sens, général des feuillants, où il y a une grande et profonde doctrine spirituelle, pleine de maximes très-importantes. S'il vous semblait qu'il vous portât hors de la sainte allégresse que je vous conseille si fort, croyez que ce n’est point sa prétention, mais seulement de rendre sérieuse et grave cette joie, comme il faut aussi qu'elle soit : et quand je dis grave, je.ne dis pas morne, ni affectée, ni sombre, ni dédaigneuse, ni altière, mais je veux dire sainte et charitable.

Le bon père (2) a une opinion fondée en sa vertu et humilité, qu'on ne puisse pas passer un jour sans péché véniel dont- on se puisse accuser en confession. Mais l'expérience en ceci m'a fait voir le contraire : car j'ai-vu plusieurs âmes bien examinées - ne dire rien que je puisse remarquer être péché, et entre autres l'heureuse servante de Dieu, mademoiselle Acarie. Je ne dis pas que peut-être il ne se passât quelques coulpes vénielles ; mais je dis qu'elle ne les pouvait remarquer en son examen, ni moi reconnaitre en sa confession, et que partant j'avais raison de lui faire répéter l'accusation de quelque coulpe ancienne.

Vous ne direz point ceci à personne (1), s'il vous plaît, ma très-chère fille ; car je révère si hautement ce bon père, et tout ce qu'il dit, que je ne voudrais pas qu'on sût qu'en ceci même je me retirasse de lui. Outre que je ne sais pas comme il aura touché cet article, ne l'ayant pas lu en son livre, que je n'ai point vu encore; ains seulement le lui ayant ouï dire, et que je parle à votre coeur confidemment;

4. Ne vous chargez pas de trop de veilles ni d'austérités, et croyez-moi, ma très-chère fille ; car j'entends bien ce que je dis en ceci. Mais allez au port royal de la vie religieuse par le chemin royal de la dilection de Dieu et du prochain, de l'humilité et de la débonnaireté.

(2) [ Si jamais vous m'écrivez des nouvelles de votre coeur, vous n'avez pas besoin de vous signer, ni de marquer le lieu d'où vous m'écrirez, ni de parler de vous ; ains seulement de la fille que je vous ai recommandée. Je ne sais pourquoi je vous écris si largement, c'est mon coeur qui ne se lasse pas de parler au vôtre ; mais il faut que je finisse pour entrer au bain, puisque je suis entre les mains du médecin. ] Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, ma très-chère fille, et je suis de tout le mien invariablement (3) votre père et serviteur.


(2) C'est le père dom Sens.
(1) La précaution que prend le Saint pour ne condamner personne, et sa délicatesse de conscience, sont à remarquer.
(2) Ce qui est entre deux crochets n'est point dans l'édition de 1817.
(3) Un des exemplaires qui ont paru antérieurement, porte : Votre très-humble et très-affectionné frère et serviteur.




LETTRE CCCCXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE ANGÉLIQUE DE PORT-ROYAL.

Nos misères spirituelles ne sont point à craindre tant que nous ne les aimons pas.

Avant le 12 septembre 1619.

Ce n'est pas écrire que d'écrire si peu, ma très-chère fille ; mais c'est pourtant faire en partie ce que l'on doit quand on fait ce que l'on peut. J'ai dit à M. Michel Fabre (4), mon assistant continuel, que, s'il se pouvait, il vous allât voir de ma part : car si je pouvais j'irais moi-même, et m'en estimerais plus heureux, ayant toujours une très - singulière complaisance et consolation à seulement penser que vous êtes ma très-chère fille ; et imaginez-vous que M. ayant demeuré ici huit jours, ce n'a pas été saris faire mention de vous', mais non pas, certes, assez selon mon gré. Or, je ne crains point toutes ces misères dont vous m'écrivez que vous êtes accablée, tandis que, comme vous faites et ferez toujours, vous ne les aimerez pas et ne les nourrirez pas : car petit à petit votre esprit se fortifiera contre votre sens, la grâce contre la nature, vos résolutions sacrées contré vos indignations.

Envoyez-moi bien de vos nouvelles, ma trop-chère fille, et né vous mettez point en dés pensées pour me faire des exhortations à ne point m'incommoder pour vous répondre: car je vous assure que je né m'incommode point, àins je m'accommode grandement quand le loisir me le permet.

A la première occasion, j'écrirai à la chère soeur Catherine de Gênes, qui m'est, je vous assure, toute chèrement chère : la pauvre fille, hélas!, elle est du vrai monastère de là croix et volonté, de-Dieu. Ma très-chère, fille, Dieu m'a rendu vôtre, et je le serai invariablement à jamais et tout-à-fait sans réserve; il est vrai, ma très-chère fille, je le suis plus qu'il ne se peut dire.


(4) Aumônier de M. l'évêque de Genève.




LETTRE CCCCXII, À UNE DAME.

1533
(Tirée du monastère de la Visitat., rue du Bac.)

Le Saint rend-réponse à une dame qui avait demandé de faire quelque séjour à la Visitation de la rue Saint-Antoine, à Paris; il lui dit qu'il y avait des difficultés, parce que M. l'archevêque de Paris avait défendu les entrées dans le monastère, à moins que ce ne-fût pour être religieuse.



Paris, juin 1619 (Avant le 12 septembre 1619)

Madame, j'ai promis à madame Goulay de vous tenir avertie de ce que j'aurais fait en son affaire, et je tiens parole. Je n'ai encore rien su apprendre; distinctement de la résolution prise par messieurs du conseil de monseigneur le cardinal de Retz. Je crois néanmoins que je le saurai ce soir, ayant supplié M. de Pierrevint, son vicaire général, de m'en éclaircir.

Mais pourtant les soeurs de la Visitation disent qu'elles se sont aperçues que ledit conseil ne trouve nullement convenable qu'elles reçoivent cette bonne dame, parce que leur monastère est tout composé de novices, et si récent en cette ville, que la réputation en est délicate, comme regardé curieusement en ce commencement, et regardé de beaucoup d'esprits fort tendres; que de plus ledit conseil a mis en considération que mondit seigneur le cardinal avait toujours déclaré qu'il ne souffrirait jamais qu'on y entrât, sinon pour y vouloir demeurer tout-à-fait : qu'ensuite de cela il fut conclu qu’on ne la recevrait point pour quelque temps; mais que si elle était bien tendre, et qu'elle voulût être religieuse à bon escient, on la pourrait recevoir. Comme vous me dites, vous l'aimez : qu'on aurait bien éprouvé sa vocation ; et qu'une des bonnes marques serait qu'elle se contentât daller pour quelque temps en quelqu'un des monastères de France, pour ensuite revenir ici. Voilà en substance ce que j'en appris hier de la mère supérieure, laquelle me nomma son auteur bien digne de foi; mais parce qu'il n'est pas du conseil, je m'adressai hier à M. de Pierrevint, qui, je m'assure, me donnera plus de clarté.

Cependant, madame, vous jugerez que si là chose est telle, je ne dois rien dire sur ces messieurs, étant les interprètes du prélat; et n'étant ici qu'en attente de mon départ, je dois en tout et partout suivre leurs sentiments, outré que ce seul bruit donne tant d'appréhensions à ces soeurs, que s'il est vrai, je n'oserais leur persuader une réception de laquelle elles auraient tant de dégoût. Vous ménagerez, s'il vous plaît cet avis, en attendant celui que je vous donnerai soudain que j'aurai reçu réponse de monsieur le grand-vicaire; et tenez-moi, je vous en supplié, madame, pour votre bien humble, etc.



LETTRE CCCCXIII, A LA MÈRE ANGÉLIQUE DE PORT-ROYAL.

1555
Le Saint lui donne avis de son départ de Paris. Il la rassure sur la crainte qu'elle avait que sa ferveur ne durit pas. Il lui recommande d'éviter les paroles injurieuses, de modérer ses vivacités, etc. Il l'encourage à souffrir avec patience les épreuves que Dieu lui envoie, et lui donne des conseils pour en profiter.


Paris, le 12 septembre 1619.

1. Je pars enfin demain matin, ma très chère fille, puisque telle est la volonté de celui auquel nous sommes, nous vivons et nous-mourons (
Ac 17,28).

O qu'il soit loué, ce grand Dieu éternel, pour les miséricordes qu'il exerce envers nous. Votre consolation console mon coeur qur est si fort uni-avec le vôtre que rien ne sera jamais reçu en l'un, que l'autre n'y ait sa part, aïns le tout, puisqu'on vérité ils sont en communauté, ce me semble, parfaite ; et qu'il me soit loisible d'user du langage de la primitive Église, un coeur et une ame (Ac 4,32).

Ceci était écrit quand j'ai reçu votre seconde lettre; mais je poursuis à vous répondre à la première.

2. J'espère que Dieu vous fortifiera de plus en plus: et à la pensée ou plutôt tentation de tristesse sur la crainte que votre ferveur et attention présente, ne durera pas, répondez une fois pour toutes, que ceux qui se confient en Dieu ne sont jamais confondus (Si 2,11) ; et que tant selon l'esprit et selon le corps et le temporel vous avez-jeté votre soin sur le Seigneur, et il vous nourrira (Ps 55,23). Servons bien Dieu aujourd'hui, demain Dieu y pourvoira. Chaque jour doit porter son souci (Mt 6,34). N'ayez point de souci du lendemain; car Dieu qui règne aujourd'hui régnera demain. Si sa bonté eût pensé, ou pour mieux dire connu que Vous eussiez besoin d'une assistance plus présente que celle que je vous puisse rendre de si loin, il vous en eût donné, et vous en donnera toujours, quand il sera requis de suppléer au manquement de la mienne. Demeurez en paix, ma très-chère fille. Dieu opère de loin el de près, et appelle les choses éloignées au service de ceux qui le servent (Rm 4,17), sans les approcher, absent de corps, présent d'esprit (1Co 5,3), dit l'apôtre.

3. J'espère que j'entendrai bien ce que vous me direz de votre oraison, en laquelle pourtant je ne désire- pas que vous soyez curieuse de regarder votre procédé et façon de faire car il suffit que tout bonnement vous m'en fassiez savoir la mutation plus remarquable, selon que vous en avez souvenance après l'avoir faite. Je trouve bon que vous écriviez selon les occurrences, pour m'envoyer par après selon que vous estimerez être convenable, sans crainte de m'ennuyer ; car vous ne m'ennuierez jamais.

4. Prenez garde, ma très-chère fille, à ces mots de sot et de sotte, et souvenez-vous de la parole de notre Seigneur : qui dira à son frère: Raca (qui est une parole qui ne veut rien dire, ains témoigne seulement quelque indignation), il sera coupable de conseil (Mt 5,22) ; c'est-à-dire, on délibérera comme il faudra le châtier. Apprivoisez petit à petit la vivacité de votre esprit à la patience, douceur, et affabilité parmi les niaiseries, enfances, et imperfections féminines des soeurs qui sont tendres sur elles-mêmes, et sujettes à tracasser autour des oreilles des mères. Ne vous glorifiez point en l'affection des pères qui sont en terre, et de terre, mais en celle du Père céleste qui vous a aimée, et donné sa vie pour vous.

Dormez bien: petit à petit vous reviendrez aux six heures, puisque vous le désirez. Ranger peu* travailler beaucoup, avoir beaucoup de tracas d'esprit, et refuser le dormir au corps,  c'est vouloir tirer beaucoup de service d'un cheval qui est efflanqué, et sans le faire repaître.

5. Pour la seconde lettre : Ne fallait-il pas que vous fussiez éprouvée en ce commencement de plus grandes prétentions ? Or sus, il n'y a rien en cela que des traits de la providence do Dieu, qui a abandonné cette pauvre créature, afin de faire que ses péchés soient plus fortement châtiés, et que par ce moyen elle revienne à soi et à Dieu, duquel il y a si longtemps qu'elle s'est, départie. J'eusse voulu que vous ne vous fussiez pas raillée et moquée de ces gens-là ; mais qu'avec une modeste simplicité vous les eussiez édifiés par la compassion dont ils sont dignes, selon que notre Seigneur vous a enseigné en sa passion : néanmoins Dieu soit béni de quoi encore la chose est ainsi passée avec tant d'édification des autres prochains, selon que le bon M. du V. écrit.

6. Ma très-chère fille, je vous dis adieu, et conjure votre coeur de croire que jamais le mien ne se séparera de lui : il est impossible; ce que Die» unit est-inséparable. Tenez votre courage haut élevé en cette éternelle Providence, qui vous a nommée par votre nom, et vous porte gravée en sa poitrine maternellement paternelle, et en cette grandeur, de confiance et de courage. Pratiquez soigneusement l'humilité et débonnaireté : ainsi soit-il. Je suis incomparablement vôtre, ma très-chère fille. Demeurez en Dieu. Amen. Je pars un peu plus à la hâte, parce que la R. désire que je lui fasse la réponse avant mon retour. Ce qui n'est point Dieu doit être peu en notre estime. Dieu soit votre protection. Amen.



LETTRE CCCCXIV, A MADAME DE CHANTAL.

1557
(Tirée du monastère de la Visitation du faubourg Saint-Jacques.)

Il lui donne des nouvelles de son voyage.


Tours, 18 septembre 1619.

Ma très-chère mère, voilà votre bon monsieur le collatéral (1) qui vous va revoir, pour soudain nous venir rencontrer en chemin. Je lui porte envie ; et si j'étais aussi gaillard que lui pour courir la poste, je ne sais si je ne ferais point comme lui. Je ne vous écrirai guère, car je n'en puis plus du grand tracas que nous avons fait. Seulement je vous supplie de faire tenir les lettres ci-jointes où elles s'adressent, et de joindre à celle de madame Godeau une copie de l'exercice ; car je n'en ai su faire aucune pendant le chemin, que j'ai eu assez à faire à; écrire toutes ces lettres que pour bonne considération j'ai voulu faire. Nous partons samedi, et allons droit à Bourges; puis à Moulins, de sorte que nous verrons toutes nos soeurs.

La reine mère m'a fait caresse ; et si, je n'en suis point plus glorieux pour cela : la vue de ces grandeurs du monde me Tait paraitre plus grande la grandeur des vertus chrétiennes, et me fait estimer davantage leur mépris. Quelle différence, ma très-chère mère, entre cette assemblée de divers prétendants, car la cour est cela, et n'est que cela; et l'assemblée des dames religieuses qui n'ont point de prétentions qu'au ciel! O si nous savions en quoi consiste le vrai bien !

Or sus.je vous écrirai de Bourges, et de Moulins, et de Rouanne, et.de Lyon, et toujours, Dieu aidant, que je me porte bien. Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur, ma très-chère mère, et très-uniquement chère mère. -Je salue nos soeurs, et suis vôtre de la façon que Dieu sait.



(I) Collatéral signifie conseiller ou assesseur. On présume que celui dont il s'agit ici est Antoine Favre, qui vint en France avec le cardinal de Savoie, pour lui servir de conseil avec le saint prélat, et qui apparemment retourna de Tours à Paris pour quelque affaire qui était survenue, et devait venir rejoindre son ami.



LETTRE CCCCXV, A LA MÈRE ANGÉLIQUE ARNAULD, ABBESSE DE PORT-ROYAL, ALORS A MAUBUISSON.

1558
Mépris du Saint pour les grandeurs mondâmes : préférence qu'il donne à l'état ecclésiastique et à l'état religieux sur toutes les concluions du siècle! Il lui marque son empressement pour voir M. d'Andilly, son frère, qui était à Tours à la suite du roi. Son dégoût de la cour. Son affection pour cette abbesse et pour ses soeurs.


Tours, jeudi 19 septembre 1619 (l)

Le second jour se passe, ma très-chère fille, de notre arrivée en ce lieu: et je n’ai encore su voir M. d'Andilly, quoique je l'aie désiré ; ce serai Dieu aidant, demain ; mais en attendant faut-il pas que mon coeur salue le vôtre.

Je sus à mon départ de Paris que vous étiez rentrée dans Maubuisson avec votre petite chère troupe; mais je n'ai pas pu savoir si vous aviez trouvé vos papiers, vos meubles de dévotion, et votre argenterie sacrée : car celle qui s'est elle-même dérobée à Dieu, pourquoi ne déroberait-elle pas toute autre chose.

Or sus, ma très-chère fille, parmi toutes ces grandeurs de la cour (où il faut que je vous dise que je suis fort caressé) je n'estime rien tant que notre condition ecclésiastique. O Dieu ! que c'est bien autre chose de voir un train d'avettes qui toutes concourent à fournir une ruche de miel; et un amas de guêpes qui sont acharnées sur un corps mort, pour parler honnêtement.

Je vous écrirai avant mon départ de ce lieu, après que j'aurai vu ce cher frère ; et croyez-moi, ma très-chère fille, mon âme se console a vous écrire tant il est vrai que Dieu veut que mon âme regarde là vôtre, la chérisse, et soit parfaitement vôtre, Je salue les chères soeurs Catherine, Agnès, Marie et Anne, et notre bonne scculière.qui m'est si chère, ma soeur Catherine de Gênes. En somme, mon coeur se retourne à tous moments de votre côté, et ne cesse point de répandre des souhaits pour votre avancement au pur et courageux, mais humble et doux amour divin. François, évêque de Genève.



(1) L'événement dont il est fait mention, dans cette lettre est raconté avec beaucoup de détails par, J. Racine dans son Histoire de Port-Royal. (Voyez tome VI, page 256 et suivantes, Paris, H. Agasse 1807.)
Cependant il faut remarquer qu'il le place en l'année 1618, et que cette lettre, insérée dans un recueil imprimé en 1697 (Lettre aux religieuses de la Visitation du monastère de Paris, etc. ; voyez', pour le détail du titre, la note de la lettre du 5 septembre 1019), y est portée à la date du 19 septembre 1619.
Il est facile de se convaincre qu'elle n'a pu être écrite qu'à cette dernière époque, car elle est datée de Tours; or la visite de S. François de Sales à Maubuisson n'a pu avoir lieu en 1618, comme l'indique Racine, puisque S. François de Sales ne vint en France qu'en 1619; c'est donc dans cette année 1619 qu'il faut placer la visite dont S. François de Sales honora cette abbaye. Il y fut conduit le 3 avril par M. de Bonneuil, introducteur des ambassadeurs, pour y donner la confirmation à sa fille religieuse des Clairets, que la mère Angélique Arnauld avait reçue, à Maubuisson avec vingt-huit ou trente religieuses, qu'elle emmena depuis à l’abbaye de Port-Royal quand elle y retourna. Ce fut alors que se formèrent entre lui et la mère Angélique les noeuds de cette sainte amitié dont on trouvera preuve dans les lettres 404, 416, 422, 437, 453 et 496 de ce recueil.



LETTRE CCCCXVI, A LA MÈRE ANGÉLIQUE ARNAULD, ABBESSE DE PORT-ROYAL.

1561
Pour avoir part à la gloire de Jésus-Christ, il faut avoir part à ses souffrances'.



22 septembre 1619.

A mesure que je m'éloigne de vous, ma très-chère fille, selon les lieux, je me sens: intérieurement de plus en plus joint et uni à votre coeur selon l'esprit, et cbnriois bien par là que c'est le bon plaisir de Dieu, que nous ayons ce sentiment de véritable et sincère dilection. J'ai vu enfin monsieur votre frère (i), que je proteste être l'un des aimables personnages que j'aie vus jamais, pour la bonté et piété de coeur que Dieu lui a donnée. Le jour précédent il avait eu l'avis du départ de son pauvre petit François, et néanmoins son esprit était en une tranquillité parfaite], et avec un certain repos en la volonté de Dieu, qu'autre que Dieu même ne peut lui avoir donné.

J'avais écrit jusqu'ici, ma très-chère fille, quand j'ai été emporté du traças à.la cour, et après dîné, j'ai reçu ce cher frère toujours plus ferme de courage, quoiqu'attendri jusqu'aux yeux sur la maladie de nos soeurs Catherine de Gênes et Marie.

O ma fille! Dieu me soit en aide: à peu que je ne lui aie dit les paroles de cet ancien prophète : Ile! comment, Seigneur, vous affligez donc encore ces filles, qui pour l'amour de vous m'ont repu et nourri (
1R 17,2) ? Mais non, ma fille toute très chère, j'aime mieux avec l'autre prophète dire : Je suis muet sous vos verges et n'ouvre nullement ma bouche; car c'est vous qui faites cela (Ps 38,10). En somme, il sera, toujours vrai que ceux qui prétendent d'avoir part avec Jésus glorifié, doivent premièrement avoir part avec Jésus crucifié (Rm 7,17). Or sus, ma fille, tenez votre courage haut élevé en Dieu, en sa providence, en l'éternité. Amen.

Je suis ce que ce même Dieu veut et sait que je suis pour vous, et je ne le saurais mieux dire qu'ainsi: Je vous écrirai à toutes rencontrés, estimant qu'en contentant mon âme leri cela, je le ferai selon le gré de la vôtre, que je prie notre Seigneur de rendre, tonte sainte. Amen.



(l) M.d'Andilly
(2) C'est le prophète Élie. Voyet, dans le trait d'histoire suivant, le passage latin. « Élie ayant été nourri à Sàreptà; dans le temps « d'une famine, par une veuve pleine de foi, qui lui fit un pain du peu qui lui restait de farine, et « devait mourir de faim ensuite sans un miracle, «la Providence fit ce miracle en sa faveur, et la farine ne diminua point, pendant touille temps que dura la famine. Mais Dieu voulant de nouveau éprouver la foi de sa servante, permit que son fils unique, qui lui était très-cher, lui fût enlevé par la mort. Alors, pleine de confiance dans l'intercession du prophète, elle vint lui en faire ses plaintes. » Elie, touché de compassion, adressa à Dieu ces paroles, dont notre saint prélat s'est servi : Seigneur mon Dieu, avez-vous ainsi obligé cette bonne veuve qui a soin de me nourrir, jusqu'à faire mourir son fils ? Domine Déus meus, etiànirie viduâm apud quàm ego utcumque sustenter, afflixisti? (). « Le fruit de cette prière, » et de la foi de cette pauvre femme, fut la résurrection de l'enfant. »





lettre CCCCXVII, A M. ARNAULD LE PÈRE.

1563
Il le console sur quelques sujets d'affliction, lui témoigne son affection toute particulière pour lui et pour toute sa famille bénie de Dieu, l'exhorte à se ménager et modérer son travail.'


Amboise, 22 septembre l619.

Monsieur, je vous regarde de bien loin, selon le corps, mais de bien près selon l'esprit /'éf vois votre coeur paternel affligé de plusieurs accidents survenus depuis mon départ. Mais je vois encore, ce me semble, que Dieu, votre bon ange, votre prudence et votre courage, vous soulagent et fortifient parmi toutes ces secousses.- Vous savez trop bien la condition de cette misérable vie, que nous menons en ce monde, pour être étonné des événements qui y arrivent de diverses sortes. Que vous- puisse donc dire en cette occasion.?: Laissons prendre à Dieu ce qu'il lui plaît, et le remercions de ce qu'il nous laisse, et encore plus de ce qu'il nous rendra le tout avec une usure non pareille, au jour auquel nous verrons sa face. J'ai et aurai à jamais part à vos contentements et à vos déplaisirs, puisque je suis inséparable d'affection, d'avec, vous et votre famille bénite de Dieu, laquelle, en la personne de M. d'Audilly et de moi, vous conjure d'avoir bien soin de votre personne pour ne point tant travailler désormais, qu'à mesure que l'âge décline vous devez vous soulager par un, juste repos, vous ferez incomparablement plus en dix ans de labeur modéré, qu'en un ou deux de peine excessive. il faut, certes, diminuer la chargé à mesure que le temps amoindrit les forces. Me promettant que vous prendrez en bonne part, cette cordiale remontrance, je vous supplie, monsieur, de bien persévérer à m'aimer, comme sans fui je serai votre, etc.




LETTRE CCCCXVIII. A MERE ROSSET, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION DE BOURGES.

1565
Avis à une supérieure sur ses devoirs.

2 octobre 1619.

Ma très-chère fille,

2. gardez-vous bien de tomber en aucun découragement, pour voir quelque petite murmuration, ou quelque sorte de répréhension qui vous soit faite. Non, ma très-chère fille ; car je vous assure que le métier de reprendre est fort aisé, et celui de faire mieux difficile. Il ne faut guère de capacité pour trouver les défauts, et ce qu'il y a à redire en ceux qui gouvernent, ou en leur gouvernement : et quand on nous reprend, ou qu'on nous veut marquer nos imperfections en la conduite, nous devons tout doucement tout ouïr, et puis proposer cela à Dieu, et nous en conseiller avec nos aides ou coadjutrices; et après cela faire ce qui est estimé à propos, avec une sainte confiance que la divine Providence réduira tout à sa gloire.

3. Ne soyez pas prompte à promettre ; mais demandez du loisir pour vous résoudre es choses de quelque conséquence. Cela est propre pour bien assurer nos affaires, et pour nourrir l'humilité. S. Bernard écrivant à l'un de mes prédécesseurs, Arducius, évêque de Genève: Fais, dit-il, toutes choses avec conseil de peu de gens qui soient paisibles, sages et bons:

4. Faites si suavement cela, que vos inférieures ne prennent point occasion de perdre le respect qui est du à votre charge, ni de penser que vous ayez besoin d'elles pour gouverner : faites leur connaître doucement, sans le dire, que vous faites ainsi pour suivre la règle de la modestie et humilité, et ce qui est porté par les constitutions. Car, voyez-vous, ma très-chère fille, il faut, tant qu'il est possible, faire que le respect de nos inférieurs envers nous ne diminue point l'amour, et que l'amour ne diminue point le respect; ;u,:

5. Ne vous troublez point d'étre un peu contrariée par cette-bonne âme de dehors.-; mais passez outre en paix, ou ià faire selon son avis es choses esquelles, il n'y a point de danger de la contenter, ou à faire autrement quand la plus grande gloire de Dieu le requerra ; et alors il faut, le plus dextrement qu'on pourra la gagner ; afin qu'elle le trouve bon.

S'il y a quelque soeur qui ne vous craigne pas avec assez de respect, faites-le lui savoir par celles des autres que vous jugerez là plus propice à cela; non comme de votre part, mais comme de la sienne ; et afin qu'en toute façon, votre douceur ne ressemble point à la timidité, et ne soit point traitée comme cela ; quand vous verriez une soeur qui ferait profession de n'observer pas ce respect, il faudrait doucement et à part vous-même lui remontrer qu'elle doit honorer votre office, et coopérer avec les autres à conserver en dignité la charge qui lie toute la congrégation en un corps et un esprit.

Or sus, ma très-chère fille, tenez-vous bien toute à Dieu., et soyez humblement courageuse pour son service; et recommandez-lui souvent mon âme, qui de toutes ses affections chérit très-parfaitement la vôtre, et lui souhaite mille et mille bénédictions.

Quand je vous dis ne montrez pas cette lettre, je veux dire ne la montrez pas indifféremment ; car si c'est votre consolation de la montrer à quelqu'une j-je le veux bien. Votre; etc.,




F. de Sales, Lettres 1554