F. de Sales, Lettres 1549

LETTRE DLXXII, A MADAME DE CHANTAL.

1549
(Communiquée par M. l'abbé Couturier, supérieur général du séminaire de Saint-Sulpice.)

Le Saint l'engage à recevoir pour novice, mademoiselle du Plessis, nièce de M. de Marillac'.

Paris, 20 aout 1619

Dieu soit loué, ma très-chère mère ! Non, ne dites pas encore l'office ; mais si pouvez bien descendre pour la messe', je le veux bien ; et tenez-vous assise le plus que vous pourrez, en lieu où ce grand vent qui tire dans le choeur ne vous frappe point.

Je me prépare pour le sermon avec beaucoup de désir, non toutefois sans défiance de bien rendre ce devoir à ce grand saint, bien que je veuille que ce soit lui-même qui fasse le sermon, toutes les conceptions d'icelui étant tirées de lui-même.

Hier madame la présidente Amelot m'amena mademoiselle du Plessis, nièce de M. de Marillac, et me pria que j'intercédasse pour elle afin que l'on pût avoir résolution demain. Elle m'assura que les soeurs carmélites l'aimaient et chérissaient grandement, et ne l'ont rejetée pour autre occasion que pour son incommodité corporelle.

Il me semble que ce soit une bonne fille, et si je mets en quelque considération qu'elle est de bon lieu et bien apparentée; elle a deux cents livres annuelles à perpétuité, c'est-à-dire, qui demeureront à la maison, et ce qu'il faut pour l'entrée.

Elles reviendront demain, pour savoir la réponse, et, en cas qu'on la reçoive, quand on la mettra au premier essai. Madame Amelot est si vertueuse, que, comme je crois, elle parle sincèrement des qualités de la fille. Bonjour, ma très-chère mère; je suis incessamment vôtre.




LETTRE DLXXII1.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL;

(Communiquée par les dames de Miramion.)

Le Saint lui recommande de ne point jeûner dans sa maladie.



Je trouve certes encore meilleure la méthode que vous dites, d'écrire au père de Mouchi tout nùment votre pensée; ma très-chère fille, car après cela il n'y aura rien à dire.

Ce bon frère qui est ici ne partira que jeudi ; car tout aujourd'hui j'ai été tant tracassé qu'il n'est pas possible de plus.

Ne jeûnez pas, ma très-chère fille, ni notre fille de Brechard ; car quant à vous, je me souviendrai bien, après que vous serez bravement guérie, de vous faire jeûner un samedi en échange.

Envoyez-moi votre soeur Françon (1), que nous confesserons ce soir. Parlez amiablement, mais gravement, au bon enfant M. de Grenier, lequel, j'espère, fera quelque chose de bon.

Notre cher neveu (2) a certain désir de ne retourner pas voir le père ; mais je ne vois point d'apparence.

Il faut bien tout cet hiver pour la digestion de notre résolution.

Au demeurant, je me suis trouvé ce matin avec une si parfaite douceur et tranquillité d'esprit, sans aucun sentiment de l'étonnement que mon coeur avait eu, que j'ai connu clairement que la venue de Notre-Dame s'approchait, par un pressentiment de sa douce lumière.

J'ai envie.de vous parler un peu bien à loisir de cela : cependant bonsoir, ma très-chère fille ma soeur. Faites bien la cour à cette céleste pouponne qui nous arrive, et lui demandez sa grâce pour impétrer celle de son fils. Jamais je n'eus tant de sainte affection que j'en ai pour votre âme et notre très-unique coeur.



(1) Mademoiselle Françoise Rabutin, seconde fille de madame de Chantal, qui épousa depuis M. de Toulongeon ; elle demeurait dans le couvent avec sa mère, qui prenait soin de son éducation.

(2) Ce pourrait bien être Charles Auguste de Sales, fils de Louis, comte de Sales ; car ce jeune homme aimait beaucoup la solitude.




LETTRE DLXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monast. de la Visitât, de Saint-Jacques.) Il lui souhaite un heureus voyage.

Voici le souhait de votre père, ma très-chère fille : Dieu soit avec vous au chemin par lequel vous irez ; Dieu vous tienne toujours vêtue de la robe de sa charité ; Dieu vous nourrisse du pain céleste de ses consolations ; Dieu vous ramène saine et sauve en la maison de votre père ; Dieu soit à jamais votre Dieu, ma chère mère ! Ce sont les bénédictions que Jacob se souhaitait (Gn 28,20-21), quand il partit de Béthel, et ce sont celles-là que je me souhaite à moi-même (2), ma très-chère et très-unique fille, à votre départ de ce lieu, où vous demeurez en partant, et d'où vous partez en demeurant.

Allez en paix, ma très-chère fille, allez en paix où Dieu vous appelle ; demeurez en paix, mais demeurez en la sainte paix de Dieu, où il vous tient et arrête ici : les âmes que Dieu a rendues tout une sont inséparables; car qui peut séparer ce que Dieu a joint (Mt 19,6) ? Non, ni la mort ni chose quelconque ne nous séparera jamais de l'unité qui est en Jésus-Christ (Rm 8,38-39), qui vive à jamais en notre coeur. Amen.



(2) Il paraît difficile de comprendre que S. François se souhaite à lui-même les bénédictions qu'il dirige à madame de Chantal, et de savoir comme elle peut demeurer en partant, et partir en demeurant, si l'on ne savait que quand il parlait de lui et d'elle, c'était presque toujours comme d'une personne unique, dont lui faisait une partie et elle l'autre. Ainsi il ne pouvait rien souhaiter pour elle qu'il ne le fit aussi pour lui; et quand elle partait pour une partie d'elle-même, elle restait pour l'autre.




LETTRE DLXXV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du second monastère de la Visitation de la ville de Rennes.)

Le Saint témoigne sa tendresse paternelle à ses religieuses.



Ma soeur Aimée-Jacqueline, qui est ici, et qui me vient de baiser la main de votre part, veut que je commence cette lettre par sa salutation ; et je le veux bien, ma très-chère mère, car l'amour ne va pas toujours en ordre ; autrement notre Seigneur cilt commencé le soin qu'il cut.cn sa passion par sa mère et son bien-aimé saint Jean, dont je viens de parler à Sainte-Claire, sur le sujet de notre grand S. Joseph, duquel j'ai fait le sermon, et dit bien de bonnes choses, mais non pas avec la ferveur que j'ai toujours en parlant de cet admirable papa et notre maître. M.Michel m'a dit en sortant que je n'avais presque jamais mon esprit là comme à la Visitation. Hélas ! ce n'est pas que je n'aie de fort bons désirs de bien servir cette bonne compagnie de servantes de Dieu ; mais il faut que la divine providence, qui m'a dédié à notre chère congrégation, me donne quelques particuliers mouvements quand je la sers.

O que Dieu est admirable, ma très-chère mère, et que nous sommes bien heureux d'avoir un grand désir de le servir ! Ce matin, en revenant du sermon, j'ai vu ma soeur Marie-Madelaine, que je n'avois encore pas saluée de votre part. Elle m'a fait une grande fête, et en peu de paroles elle m'a fort contentée, me disant qu'elle voulait devenir une femme forte et de courage contre tous ces petits attendrissements sur elle-même, dont elle est souvent touchée. J'ai aussi vu la petite soeur Paule-Hiéronyme, qui a reçu une joie incroyable de votre salutation, et a dit qu'elle était notre Eustochium. Notre assistante fait bien aussi. En somme, je me contente bien de toute cette chère troupe, que j'irai entretenir en commun l'un des jours de la semaine prochaine, puisque ma mère me l'a ordonné, au rapport de ma soeur Jeanne-Charlotte, etc.




LETTRE DLXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Dijon.)

Lé Saint, étant près de s'absenter pour huit jours, lui en donne avis pour la consoler de son absence.

Au demeurant, ma très chère mère, demeurez avec la paix et consolation de notre Seigneur, et, moyennant sa grâce, dans huit jours au tin plus tard je serai ici ; d'où pourtant je ne penserai jamais sortir, tant que Dieu m'y tiendra en moi-même. Vous-même, ma très-chère mère, savez bien que la sainte unité que Dieu a faite est forte plus que toute séparation, et que les distances des lieux n'ont point de pouvoir sur elle. Ainsi Dieu vous bénisse à jamais de son saint amour. C'est un coeur qu'il nous a fait, unique en esprit et envie. Bonjour, ma très-chère mère ; conservez-moi, je vous supplie, et je vous conserverai bien, Dieu aidant.




LETTRE DLXXVIL

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Metz.)

Le Saint l'exhorte à se tenir toujours unie à Dieu.

Le billet d'hier, ainsi entrecoupé, annonce bien quelle était mon âme. Hé ! vive Jésus ! mon âme vivra. M. d'Alincourt soupa hier céans, et y demeura jusqu'à près d'onze heures, résolu de venir au sermon ce matin, que nous ne pensions être qu'un sermon particulier. Ce soir je serai auprès de vous et de nos soeurs, marri plus qu'il ne se peut dire que mon loisir s'en aille ainsi.

Pour Dieu, ma très-chère mère, tenons notre coeur en l'unité inséparablement présent à soi-même, puisque l'extraordinaire unité dont Dieu l'a doué peut bien faire ce tout, et que la nécessité du service de sa gloire requiert que nous employions cette grâce à cela. O Seigneur, à qui tout est présent, donnez à notre esprit une telle présence de soi-même, comme vous lui avez donné une unité ; afin qu'il vive autant consolé qu'il est requis pour vous bien servir en votre présence. Seigneur, en la cime de soi-même. Vive Jésus ! Amen. Je m'en vais faire un sermon d'amour le plus ardent que je pourrai.






LETTRE DLXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de La Flèche.)

Il l'avertit du départ d'un cordelier, etc.

Ma, très-chère mère, avec mille bonsoirs, je vous avertis du départ du père cordelier, qui sera demain une heure avant le jour. Si vous avez écrit, je ferai le mémorial ; mais en attendant', conservez vous, je vous en supplie, ma très-chère et très-bonne mère, que je verrai demain, Dieu aidant. Bonsoir, ma très-chère mère. Notre Seigneur soit à jamais au milieu de notre coeur ! Amen.




LETTRE DLXXIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Grenoble.)

Le Saint lui laisse la liberté de recevoir des filles qui sortaient de chez les capucines, quoiqu'elles n'eussent pas l'âge compétent. Il lui parle ensuite des sorties de ces filles.



Pensez comme je vous écris, ma très-chère mère; hier, jour de la mort de notre vie, au re-tourdes ténèbres je trouvai vos lettres ; ce matin, jour de la sépulture, tout en allant faire les ordres pour sept à huit personnes de qualité en notre chapelle de la Visitation.

1° Pour ma très-chère soeur M. S. Elisabeth, je ne désapprouve pas son voyage, ni ne l'approuve; mais il serait inutile que je commette quelqu'un pour ouïr les témoins, et recevoir authentiquement leurs dépositions; et non-seulement les témoins, mais madame du Paraclet et ses religieuses : or, il faut que je fasse cela avec conseil et beaucoup de soin ; cependant nous penserons s'il sera expédient qu'elle-même y aille ; il faut en tenir secrète la délibération.

Si monseigneur l'archevêque vient, on pourra bien dispenser pour l'âge en la réception de ces demoiselles, en la contemplation des mères, qui pourront tenir place d'une partie de la résolution que l'âge ne permet pas aux filles. En somme, il faudra fort condescendre aux volontés de monseigneur l'archevêque, pourvu que l'on trouve moyen d'éviter la conséquence ; car c'est une règle très-salutaire que celle-là, de ne recevoir point avant l'âge compétent, pour ôter toute excuse au repentir, s'il en venait.

Toutes ces âmes seront bonnes, si elles sont courageuses, et M. Colin et tout ; mais pour me charger de soin quelconque d'affaires, hélas ! vous savez comme moi-même, quel homme je suis pour cela ; c'est-à-dire que je ne suis pas homme pour cela. Vous pouvez toujours répondre pour moi sans scrupule ; car il se trouvera toujours que ce sera moi qui aurai répondu. Vous êtes, et d'esprit, et de volonté, et de tout, une même chose avec moi ; vous savez ce que je puis, que je veux, et que je-souhaite : ne me renvoyez donc rien, mais répondez hardiment. On peut faire venir les demoiselles des capucines pour essayer, et, étant trouvées propres, ne les point renvoyer; car il n'y a pas grand hasard de les tenir en leur habit.

Monseigneur l'archevêque venant, humiliez-vous fort cordialement pour moi, comme moi-même ; et l'assurez fort de l'estime, amour et révérence que j'ai à sa personne.

Prenez garde à retenir la liberté des sorties extraordinaires, entre lesquelles les jubilés,.... la visite des proches malades, oui même de quelque signalé bienfaiteur ou grand ami de la maison, et même de quelque sermon, comme celui de la passion, doivent, ce me semble, être réservés, et toutes autres occasions èsquelles la communauté des soeurs, avec l'avis du père spirituel, trouveront que ce serait à propos ; car il faut réduire la pratique des sorties à la seule bienséance et modestie que la religion, jointe à la condition du sujet, requiert ; car ainsi en fait-on es congrégations d'Italie.

Hélas! ma chère mère, il faut que je finisse. Nos soeurs ne savent pas que j'écris ; car c'est par la voie de Chambéri. Elles ont madame de Châteaufort, madame, la baronne de Chatelard, et madame de la Flechère, la veuve, trois bonnes et braves hôtesses, dont la première parle fort de revenir un jour de tout, et l'autre est mariée, mais une perle; son mari est fils du baron de la Serraz ; fille de madame Mont-Saint-Jean.

Hier je fis le sermon de la passion en deux heures et demie ; nos hommes disent que c'est chose extraordinaire. Ma très-chère mère, j'ai tant prié Dieu pour vous, et le ferai encore. Tout m'annonce le bien de notre indivisible unité. O Seigneur Jésus, vivez à jamais, régnez, et à jamais soyez béni dans notre unique coeur! Amen.




LETTRE DLXXX,

OU COPIE D'UN PETIT IMPRIMÉ.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CllANTAL.

(Tirée du monastère de la Visitation de la rue Saint-Antoine.)

Avis de notre saint fondateur à notre digne mère, copié sur l'original écrit de la main de cette sainte fondatrice, dans le propre livre de ses constitutions, qui est précieusement gardé en notre second monastère de Rennes.

Je désire que vous soyez extrêmement petite et basse à vos yeux, douce et condescendante comme une colombe ; que vous aimiez, votre abjection et la pratiquiez fidèlement. Employez de bon coeur toutes les occasions qui vous arriveront pour cela. Ne soyez pas prompte à parler, ains répondez tardivement, humblement, doucement, et dites

beaucoup en vous taisant par modestie et égalité. Supportez et excusez fort le prochain ; avec grande douceur de coeur.

Ne philosophez point sur les contradictions qui vous arrivent; ne les regardez point, mais Dieu en toutes choses, sans nulle exception; acquiescez à tous ses ordres très-simplement.

Faites toutes choses pour Dieu, unissant ou continuant votre union par de simples regards ou écoulements de votre coeur en lui.

Ne vous empressez de rien, faites toutes choses tranquillement en esprit de repos; pour chose que ce soit, ne perdez votre paix intérieure, quand bien tout bouleverserait : car qu'est-ce que toutes les choses de cette vie, en comparaison de la paix du coeur ?

Recommandez toutes choses à Dieu, et vous tenez coi et en repos dans le sein de la paternelle providence.

En toutes sortes d'événements soyez fidèlement invariable en cette résolution de demeurer en une très-simple unité, et unique simplicité de l'adhérence à Dieu, par un amour du soin éternel que la divine Providence a pour vous. Quand vous trouverez votre esprit hors de là, ramenez-l'y doucement et très-simplement.

Demeurez/invariable en la très-sainte nudité d'esprit, sans vous revêtir jamais d'aucuns soins, désirs, affections ni prétentions quelconques, sous quelque prétexte que ce soit.

Notre Seigneur vous aime, il vous veut toute-sienne. N'ayez plus d'autres bras pour vous porter que les siens, ni d'autre sein pour vous reposer que le sien et sa divine Providence. N'étendez votre vue ailleurs, et n'arrêtez votre esprit qu'en lui seul.

Tenez votre volonté si intimement unie à la sienne, que rien ne soit entre deux ; oubliez tout le reste, ne vous y amusant plus, car Dieu a convoité votre beauté et simplicité.

Prenez bon courage, et vous tenez humblement rabaissée devant la divine Majesté ; ne désirez rien que le pur amour de notre Seigneur.

Ne refusez rien, pour pénible qu'il soit; revêtez-vous de notre Seigneur crucifié; aimez-le en ses souffrances, et faites des oraisons jaculatoires là-dessus.

Faites bien ceci, ma très-chère mère, ma vraie fille ; mon âme et mon esprit vous bénit de toute son affection ; et Jésus-Christ soit celui qui fasse en nous, de nous et par nous, et pour lui, sa très-sainte volonté ! Amen.

J'ai, grâces à Dieu, les yeux fixés sur cette éternelle Providence, de laquelle les décrets seront à jamais les lois de mon coeur.




ORAISON A NOTRE SAINT FONDATEUR,

Composée par notre digne mère, et écrite de sa propre main dans le même livre.

 0 très-heureux saint François de Sales! vraiment très-saint serviteur de Dieu, le cher et très-assuré guide de mon âme, le don précieux de mon Dieu, mon vrai père, dis-je, mon très doux maître /maintenant mon fidèle avocat, regardez nos nécessités, et le coeur que Dieu a joint au vôtre ; ne permettez pas qu'il en soit jamais désuni ; car souvenez-vous que vous m'avez promis que cette union serait éternelle. Faites donc, mon père très-vénérable, par vos saintes intercessions, que je sois fidèle à l'observation des choses que vous m'avez enseignées, que je parvienne à cette souveraine unité dont vous jouissez si glorieusement ; enfin qu'avec vous je puisse fin la compagnie de la glorieuse Vierge et des saints, louer, bénir, aimer éternellement le souverain bien-aimé de nos âmes : ce que je vous demande non-seulement pour moi, mais pour tous les enfants de la sainte Église, et en particulier pour celle de la chère congrégation que vous avez engendrée en notre Seigneur, et dont vous faisiez mémoire en vos saintes prières pendant votre pèlerinage.

Vous voyez, ô mon père très-saint, les désirs de mon âme ; je ne vous les exprimerai pas. Vous savez en quelle vénération vous m'êtes; vous voyez mes larmes et mes sentiments, et la con-fiance-parfaite que je veux avoir en votre sainte protection. Mon père, mon maître et mon saint, souvenez-vous que mon Dieu m'a donnée à vous, et vous à moi. Ayez donc un continuel soin de moi, je vous en prie, afin que j'accomplisse parfaitement la volonté de mon Dieu, sans réserve. Ainsi soit-il *.



* Notre vénérable mère Claude-Agnès de La Roche, quatrième religieuse de l'ordre, se séparant de nôtre digne mère de Chantal pour diverses fondations qui devaient l'éloigner pour toujours de cette sainte fondatrice, en reçut entre autres marques de sa tendre affection, le livre de ses constitutions qu'elle portait sur elle, d'où ce que dessus a été tiré, et que ladite mère de La Roche, mourant dans notre premier monastère de Rennes en 1650, laissa à notre chère, soeur Marie-Françoise Louvel, son infirmière, venue depuis en qualité d'assistante à la fondation de ce second monastère, où ce précieux volume est gardé comme une relique.






COPIE D'UN CAHIER (1) DE PLUSIEURS DEMANDES.

FAITES PAR MADAME DE CHANTAL A SON BIENHEUREUX PERE.

Elle les écrivait de sa main, et laissait de la place pour les réponses. Elle commence ainsi :

(1) Ce cahier est inséré dans un recueil des Ëpltres spirituelles de madame Jeanne-Françoise Frémiot, baronne de Chantal, fondatrice et première supérieure de la Visitation Sainte-Marie, 1 vol. hi-<\20, à Lyon, chez. Vincent de Coeursilly, 1644; et chez Antoine Cellier, 1666, page 889; il nous a été communiqué par la dame de la Visitation de Paris.

Au nom de Jésus et de Marie.

Premièrement, tu dois demander à ton très-cher seigneur s'il trouvera à propos que tu renouvelles tous les ans, aux reconfirmations, entre ses mains, tes voeux, ton abandonnement général et remise de toi-même entre les mains de Dieu ; qu'il spécifie particulièrement ce qu'il jugera qui te touche le plus, pour en faire cet abandonnement parfait et sans exception, en sorte que je puisse vraiment dire: « Je vis, non pas moi ; mais Jésus-Christ vit en moi (Ga 2,29). » Que, pour parvenir là, ton bon seigneur ne t'épargne point, et qu'il ne permette que tu fasses aucune réserve, ni de peu ni de prou;(qu'il te marque les exercices et pratiques journalières requises pour cela, afin qu'en vérité et réellement l'abandonnement soit parfait.

Réponse. Je réponds, au nom de notre Seigneur et de Notre-Dame, qu'il sera bon, ma très-chère fille, que toutes les années vous fassie, le renouvellement proposé, et que vous rafraîchissiez le parfait abandonnement de vous-même entre les mains de Dieu. Pour cela, je ne vous épargnerai point; et vous retrancherez les paroles superflues qui regardent l'amour, quoique juste, de toutes les créatures, notamment des parents, des maisons, des pays, et surtout du père, et tant qu'il se pourra les longues pensées de toutes ces choses-là, sinon es occasions èsquelles le devoir oblige d'ordonner ou procurer les affaires requises, afin de parfaitement pratiquer cette parole : « Ois, ma fille, et entends, et penche ton oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père (Ps 44,11). » Devant dîner, devant souper, et le soir en allant vous coucher, examinez si, selon vos actions du temps présent, vous pouvez dire sincèrement : « Je vis moi, mais non pas moi ; ains Jésus-Christ vit en moi (Ga 2,29). »

Demande. Si l'âme, étant ainsi remise, ne se doit pas, tant qu'il sera possible, oublier de toutes choses pour le continuel souvenir de Dieu, et en lui seul se reposer par une vraie et entière confiance?

Réponse. Oui, vous devez oublier ce qui n'est pas de Dieu et pour Dieu, et demeurer totalement en paix sous la conduite de Dieu.

Demande. Si l'âme ne doit pas, spécialement en l'oraison, s'essayer d'arrêter toutes sortes de discours ; et, au lieu de regarder ce qu'elle a fait, ce qu'elle fera, ou qu'elle fait, regarder Dieu, et ainsi simplifier son esprit et le vider de tout et de tous soins de soi-même, demeurant en cette simple vue de Dieu et de son néant, toute abandonnée à la sainte volonté de notre Seigneur, dans les effets de laquelle il faut demeurer contente et tranquille, sans se remuer nullement pour faire des actes de l'entendement ni de la volonté. Je dis même qu'en la pratique des vertus, et aux fautes et chutes, il ne faut bouger de là, ce me; semble ; car notre Seigneur met en l'âme les sentiments qu'il faut, et l'éclairé là parfaitement ; je dis pour tout, et mieux mille fois qu'elle ne pourrait être par tous ses discours et imaginations. Vous me direz : Pourquoi sortez-vous donc de là? O Dieu! c'est mon malheur, et malgré moi; car l'expérience m'a appris que cela est fort nuisible : mais je ne suis pas maîtresse de mon esprit, lequel sans mon congé veut tout voir et ménager. C'est pourquoi je demande à mon très-cher Seigneur l'aide de la sainte obéissance pour arrêter ce- misérable coureur, car il m'est avis qu'il craindra le commandement absolu.

Réponse. Puisque-notre Seigneur, dès il y a si longtemps, vous a attirée en cette sorte d'oraison, vous ayant fait goûter les fruits tant désirables qui en proviennent, et connaître la nuisance de la méthode contraire, demeurez ferme ; et, avec la plus grande douceur que vous pourrez, ramenez votre esprit à cette unité, et à cette simplicité de présence et d'abandonnement en Dieu ; et d'autant que votre esprit désire que j'emploie l'obéissance, je lui dis ainsi : Mon cher esprit, pourquoi voulez-vous pratiquer la partie de Marthe en l'oraison, puisque Dieu vous fait entendre qu'il veut que vous exerciez celle de Marie ? Je vous commande donc que simplement vous demeuriez ou en Dieu ou auprès de Dieu, sans vous essayer d'y rien faire, et sans vous enquérir de lui de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous excitera. Ne retournez nullement sur vous-même, ains soyez là près de lui.

Demande. Je retourne donc demander à mon très-cher père, si l'âme étant ainsi remise, ne doit pas demeurer toute reposée en son Dieu, lui laissant le soin de ce qui la regarde, tant intérieurement qu'extérieurement, et, demeurant comme vous dites, dans sa providence et sa volonté, sans soin, sans attention, sans élection, sans désir quelconque, sinon que notre Seigneur fasse en elle, d'elle, et par elle, sa très-sainte volonté, sans aucun empêchement ni résistance de sa part ? 0 Dieu ! qui me donnera cette grâce que seule je vous, demande, sinon vous, bon Jésus, par les prières de votre bon serviteur ?

Réponse. Dieu vous soit propice, ma très-chère fille ! l'enfant qui est entre les bras de sa mère n'a besoin que de la laisser faire et de s'attacher à son cou.

Demande. Si notre Seigneur n'a pas un soin tout particulier d'ordonner tout ce qui est requis et nécessaire à cette âme ainsi remise?

Réponse. Les personnes de cette condition lui sont chères comme la prunelle de son oeil.

Demande. Si elle ne doit pas recevoir toutes choses de sa main, je dis tout, jusqu'aux moindres petites, et lui demander aussi conseil de tout? -

Réponse. Pour cela, Dieu veut que nous soyons comme un petit enfant. Il faut seulement prendre garde de ne pas faire des attentions superflues, s'enquérant de la volonté de Dieu, en toutes les particularités des actions, menues, ordinaires et non considérables.

Demande: Si ce ne sera pas un bon exercice de se rendre attentive sans attention pénible, de demeurer tranquillement dans la volonté de Dieu, en tant de petites occasions qui nous contrarient et voudraient nous fâcher ? car pour les grosses on la voit de loin, comme d'être détournée -de cette consolation, qui semble être utile ou nécessaire, être empêchée de faire une bonne action, une mortification, ceci ou cela, quel qu'il soit, qui semble être bon, et, au lieu, être divertie par, des choses inutiles et dangereuses, et quelquefois mauvaises.

Réponse. Ne consentant point aux choses mauvaises, l'indifférence pour le reste doit être pratiquée en toute rencontre, sous la conduite de la providence de Dieu.

Demande. De se rendre fidèle et prompte à l'observance et obéissance des règles, quand le signe se fait. Il y a tant d'occasions de petites mortifications! cela surprend au milieu d'un compte, de quelque action : on peine de se déprendre ; il ne faut plus faire que trois points pour achever l'ouvrage, une lettre à former, se chauffer un peu ; que sais-je ?

Réponse. Oui, il est bon de ne s'attacher à rien i tant qu'aux règles, de sorte que s'il n'y a quelque signalée occasion, allez où la règle vous tire, et la rendez plus forte que tous ces menus attraits.

Demande. De se laisser gouverner absolument pour ce qui est du corps, recevant simplement tout ce qui nous est donné ou fait, bien ou mal; accepter ce qui sera de trop, selon notre jugement, sans en rien dire, ni témoigner nulle sorte de désagrément ; prendre les soulagements du dormir, reposer, chauffer, de l'exemption de quelque exercice pénible, ou de mortification, dire à la bonne foi ce que l'on peut faire ; que si l'on insiste, céder sans rien dire. Ce point est grand et difficile pour moi.

Réponse. Il faut dire à la bonne foi ce que l'on sent, maison telle sorte que cela n'ôte pas le courage de répliquer à ceux qui ont soin de nous ; au reste, de se rendre si parfaitement maniable, c'est ce que je désire bien fort de votre coeur.

Demande. De se porter avec grande douceur à la volonté des soeurs, et de toute autre, sitôt qu'on la connaitra, encore que l'on pût facilement s'en détourner et examiner ; ceci est un peu difficile, et pour ne rien laisser à soi-même; car combien de fois voudrait-on un peu de solitude, de repos, de temps pour soi ? cependant on voit une soeur qui s'approche, qui désirerait ce quart d'heure pour elle, une parole, une visite, etc.

Réponse. Il faut prendre le temps convenable pour soi, et cela fait regagner l'occasion de servir les désirs des soeurs.

Demande. "Voilà ce qui m'est venu en vue : il me semble que je pourrais m'exercer et mortifier. Mon très-cher Seigneur l'approuvera, s'il le trouve à propos, et ordonnera ce qu'il lui plaira, et, mon Dieu m'aidant, je lui obéirai.

Réponse. Faites-le, et vous vivrez. Amen.

Demande. Je demande, pour l'amour de Dieu, de l'aide pour m'humilier. Je pense à me rendre exacte à ne jamais rien dire dont il me puisse venir quelque gloire ou estime.

Réponse. Sans doute, qui parle peu de soi-même fait extrêmement bien ; car, soit que nous en parlions en nous excusant, soit en nous accusant, soit en nous louant, soit en nous méprisant, nous verrons que toujours notre parole sert d'amorce à la vanité. Si donc quelque grande charité ne nous attire à parler de nous et de nos appartenances, nous nous en devons taire.

Le livre de l'amour de Dieu, ma très-chère fille, est fait particulièrement pour vous ; c'est pourquoi vous pouvez, ains devez avec amour pratiquer les enseignements que vous y avez trouvés.

La grâce de Dieu soit avec notre esprit à jamais. Amen; Amen.



Demande. Je ne veux oublier ceci, parce que souvent j'en ai été en peine. Tous les prédicateurs et les bons livres enseignent qu'il faut considérer et méditer les bienfaits de notre Seigneur, sa grandeur, notre rédemption, spécialement quand la sainte Église nous les représente. Cependant l'âme qui est en l'état ci-dessus, voulant s'essayer de le faire, ne le peut en façon quelconque, d'où souvent elle se peine beaucoup. Mais il me semble néanmoins qu'elle le fait en une manière fort excellente, qui est un simple ressouvenir ou représentation fort délicate du mystère, avec des affections fort douces et savoureuses. Monseigneur l'entendra mieux que je ne pourrai le dire : mais aussi quelquefois on se trouve durant la mémoire de ses bénéfices en quelque occasion où il serait requis de discourir, comme quand on en veut faire des confessions ou renouvellements, qu'il faut avoir de la contrition ; cependant l'âme demeure sans lumières, sèche et sans sentiments; ce qui donne une grande peine.

Réponse. Que l'âme s'arrête aux mystères, en la façon d'oraison que notre Seigneur lui a donnée; car les prédicateurs et livres spirituels ne l'entendent pas autrement. Et quant à la contrition, elle est fort bonne, sèche et aride ; car c'est une action de la partie supérieure et suprême de l'âme.




LETTRE DLXXXI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAt.

(Tirée du monastère de la Visitation de la ville de Rouen.)

Témoignages d'amitié du Saint à la bienheureuse mère de Chantal, qui avait la fièvre, et à qui il annonce la réussite d'un mariage.

Vraiment le serein d'hier, ni le vent ne m'ont fait aucun ennui, ma très-chère mère ; mais oui-bien l'accablement d'aujourd'hui, qui m'a empêché d'aller saluer votre cher coeur en présence, nonobstant le juste empressement du mien ; je veux dire de vous aller voir moi-même qui en avais tant de désir. Or sus, il n'y a remède, c'a été le béni mariage de demoiselle de Chabannes, qui enfin réussira, comme je pense. Conservez-vous bien parmi cette fièvre salutaire. O ! Dieu vous conserve ! ma très-chère mère, et vous comble de bénédictions partout où vous êtes, et moi aussi. Vive Jésus. Amen.




LETTRE DLXXXII.

MADAME DE CHANTAL, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée des lettres de madame de Chantal.)

* Elle le prie de lui continuer sa conduite pour la perfection.

Monseigneur, priez fort pour moi, afin qu'il me retire de ces fâcheuses affaires. Ce qui me console parmi tant de travail, c'est que cela est pour la gloire de Dieu, et qu'enfin après avoir bien travaillé, nous irons jouir du repos éternel, moyennant la grâce du divin Sauveur, que je prie soigneusement pour la perfection de notre coeur.

Souvenez-vous, mon père, qu'il y a aujourd'hui sept ans que notre Seigneur remplit votre esprit de mille saintes affections, pour le bonheur et la perfection de ma pauvre âme. Je vous dirai que dès hier elle est demeurée remplie d'un sentiment si extraordinaire de la perfection, que si cela dure il me consumera.

Mon Dieu ! mon unique père, rendez-moi, par vos prières et votre conduite, toute à ce Seigneur que nous adorons, révérons, et aimons parfaitement. O que je veux lui être fidèle! il m'est impossible d'exprimer ce que je-sens; aussi ne ferais-je que le diminuer par mes paroles ; c'est un ouvrage fait de la main de Dieu: Nous voyons tous les jours clairement abonder ses miséricordes sur nous : c'est pourquoi, nous devons tous les jours nous rendre plus fidèles. Pour cela, je consacre de nouveau mon âme à votre volonté et obéissance. Dans ce désir, je vais recevoir mon Dieu, dans le: quel je demeure, monseigneur, etc.




LETTRE DLXXXIII.

MADAME DE CHANTAL, A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée des lettres de madame de Chantal.)

Elle prie le Saint de consoler l'archevêque de Bourges, son frère, de ce qu'on le retirait de son archevêché.



Mon très-unique père, priez bien Dieu pour monseigneur de Bourges, et faites prier nos soeurs. Je crois que cet orage se convertira à la gloire de Dieu : cela n'est rien en comparaison de la passion de notre Seigneur. Je supplie sa divine majesté de lui donner tout ce qui sera à sa gloire, à laquelle j'ai consacré tout moi-même. Son médecin demeura mort quand on lui vint dire ce changement que l'on avait fait de l'archevêché de monseigneur de Bourges avec monsieur IN. Il ne se peut dire l'affection que tous ceux de Bourges portent à notre bon archevêque, qui a ressenti ce coup, mais dans sa bonté ordinaire. Vous le connaissez; croyez que cela fera bien du tort aux pauvres et a beau-: coup de maisons religieuses, où il faisait de grandes charités. Nos soeurs en avaient leur bonne part, car il les aime fort, et leur faisait beaucoup de bien. Si vous pouvez lui écrire un mot sur ce sujet, cela le consolera tout-à-fait. Le doux Jésus remplisse notre coeur de l'amour très-pur du sien, et nous fasse éternellement reposer en lui. Amen.




LETTRE DLXXXIV.

MADAME DE CHANTAL, A S. FRANÇOIS DE SALES,

(Tirée des lettres de madame de Chantal.)

Elle s'explique sur un accident qui lui était arrivé , pour prévenir l'alarme qu'on pourrait donner au Saint.

Mon très-honoré seigneur et unique père, je supplie mon Dieu de remplir votre âme de tout soi-même et de ses très-chères bénédictions, surtout de celle de l'amour très-pur de Jésus. Mais afin que l'on ne vous donne point l'alarme, je vous dirai, moi-même que ce matin je me suis trouvée fort mal. Après dîner il m'a pris des tremblements, je suis demeurée comme morte; mais à présent je me porte fort bien, Dieu merci. Ne soyez point en peine, pour l'amour de ce grand Dieu, que mon âme aime, adore, et désire servir avec un coeur uniquement unique, et parfaitement pur. Mon père, demain en tenant ce divin Sauveur, faites qu'il me donne sa grâce si abondamment, qu'à jamais nous l'adorions, le servions, et l'aimions parfaitement. Je sens une extrême consolation quand je sais que vous travaillez après ce divin ouvrage de l'Amour divin, amour après lequel je soupire, mais d'une ardeur véhémente. Hé, mon Dieu ! quand sera-ce que nous nous en verrons tous abîmés ! J'ai vu la bonne tante : oh ! que c'est une vénérable dame ! croyez que je me porte bien : vous savez que je ne voudrais pas mentira mon escient. Vive Jésus, et sa très-sainte mère. Amen. Monseigneur, votre très-humble, très-obéissante et indigne fille, etc.




LETTRE DLXXXV.

MADAME DE CHANTAL, À S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée des lettres de madame de Chantal.)

Elle est fâchée qu'on détourne le Saint d'écrire son Traité de l'Amour divin.

Monseigneur, je prie notre Seigneur qu'il vive, à jamais glorieux au milieu de votre coeur parmi ces fâcheuses affaires; ce que je crois qu'il fera sans doute, et qu'il vous portera à une excellente sainteté. Mon Dieu ! que nous avons d'occasions de mérite ! Je suis très-mortifiée quand je sais que l'on vous détourne d'écrire le livre de Y Amour divin, amour que mon coeur désire toujours plus ardemment. J'ai un grand désir d'accomplir la volonté de Dieu ; c'est pourquoi je vous prie de nouveau de me marquer tout ce qu'il faut que je fasse pour cela ; car j'ai des mouvements que je ne puis exprimer, et une certaine joie qui dit à mon âme que ce grand Dieu me conduira, et me rendra capable de son amour, encore que je voie l'inhabileté de mon âme. Priez-le qu'il me donne la force de faire ce qu'il requiert de moi. Je vous demande votre sainte bénédiction. Dieu vous conserve toujours dans son amour.




LETTRE DLXXXVI.

MADAME DE CHANTAI., A S. FRANÇOIS DE SALES.

(Tirée des lettres de madame de Chantal.)

Elle parle au Saint d'une grande tribulation intérieure qui l'affligeait, et lui en demande le remède.

Je vous écris, et je ne puis m'en empêcher, car je me trouve au matin plus ennuyée de moi qu'à l'ordinaire. Je vois que je chancelle à tout propos dans l'angoisse de mon esprit,- qui m'est causée par ma difformité, intérieure, laquelle est bien si grande, que je vous assure, mon bon seigneur et très-unique père, que je me perds quasi en cet abîme de misère.

La présence de mon Dieu, qui autrefois me donnait des contentements indicibles, me fait maintenant trembler de tout mon corps, et frissonner de crainte. Il me semble que cet oeil divin, que j'adore de toute la soumission de mon coeur, perce mon âme d'outre en outre, et regarde avec indignation toutes mes oeuvres, mes pensées et mes paroles, ce qui mè tient dans une telle détresse de coeur, que la mort même ne me semble point si pénible à supporter, et je m'imagine que toutes choses ont pouvoir de me nuire. Je crains tout, j'appréhende tout, non que je craigne que l'on nuise à moi, comme à moi, mais je crains de déplaire à mon Dieu.

Oh ! qu'il me semble que son assistance s'est éloignée de moi ! Cela m'a fait passer cette nuit dans de grandes amertumes, et je n'ai fait autre chose que de dire : mon Dieu, mon Dieu, hélas! Pourquoi me délaissez-vous ? Je vous appartiens, faites de moi comme d'une chose qui est à vous.

Au point du jour Dieu m'a fait goûter, mais presque imperceptiblement, une petite lumière, en la très-haute et suprême pointe de mon esprit; tout le reste de mon âme et ses facultés n'en ont point joui : mais elle n'a duré environ qu'un demi

Ave Maria, et mon trouble s'est rejeté tout à corps perdu sûr moi, et m'a tout offusquée et obscurcie.

Nonobstant la longueur de cette déréliction, mon très-cher seigneur, j'ai dit, mais sans sentiment : Oui, Seigneur, ce qui vous agréera, faites-le, je Je veux ; anéantissez-moi, j'en suis contente ; accablez-moi, je le veux bien ; arrachez, coupez, brûlez tout ce qui vous plaira; oui, je suis à vous.

Dieu m'a appris qu'il ne fait pas grand état de la foi, quand on en a l'expérience par les sens et les sentiments ; c'est pourquoi contre mes contrariétés je ne veux point de sentiment. Non, je n'en veux point, puisque mon Dieu me suffit, j'espère en lui, nonobstant mon infinie misère ; j'espère qu'il me supportera encore : "enfin que sa volonté soit faite.

Voilà mon foible coeur entre vos mains, mon vrai père et seigneur ; vous lui donnerez, s'il vous plaît, la médecine qu'il doit prendre.






LETTRE DXXXVII,

OU COPIE D'UN MANUSCRIT.

(Tirée du monastère de la Visitation de la rue Saint-Antoine.)

Avis que le Saint a laissé aux supérieures de l'institut pour leur conduite, et sur le prix et le mérite de la supériorité bien exercée.


 Puisque c'est le haut point de la perfection Chrétienne de conduire les âmes à Dieu, l'aimant qui a attiré Jésus-Christ du ciel en terre pour y travailler et consommer son oeuvre dans la mort et par la croix, il est aisé de juger que celles qu'il emploie à cette fonction se doivent tenir bien honorées, s'en acquittant avec un soin digne des épouses de celui qui a été crucifié et est mort comme un roi d'amour, couronné d'épines parmi la troupe de ses élus, les encourageant à la guerre spirituelle qu'il faut soutenir ici-bas, pour arriver à la céleste patrie promise à ses enfants.

Ainsi, mes chères filles, celles que Dieu appelle à la conduite des âmes, se doivent tenir dans leurs ruches mystiques, où sont assemblées les abeilles célestes, pour ménager le miel des saintes, vertus ; et la supérieure, qui est entre elles comme leur roi, doit être soigneuse de s'y rendre présente, pour leur apprendre la façon de le former et conserver ; mais il faut travailler cette oeuvre et cette sainte besogne avec une entière soumission à la sainte Providence, et un parfait encouragement à se bien exercer à l'humilité, douceur et débonnaireté de coeur, qui sont les deux chères vertus que notre Seigneur recommandent aux apôtres destinés à la supériorité de l'univers, puisant dans le sein du Père céleste les moyens convenables à cet emploi.

Car ce n'est pas de votre lait, ni de vos mamelles, tue vous nourrissez les enfants de Dieu ; c'est du lait des mamelles du divin époux, ne faisant autre chose que les leur montrer, et dire : Prenez, sucez, tirez, vivez, et il vous secondera de son secours, et fera votre besogne avec vous, si vous faites la sienne avec lui : or, la sienne est la sanctification et la perfection des âmes, pour lesquelles il n'a pas trouvé juste de fuir le labeur requis à la glorification du nom de son père.

Travaillez-y donc humblement, simplement, et confidemment : il ne vous en arrivera jamais aucune distraction qui vous soit nuisible ; car ce divin maître, qui vous emploie à cet ouvrage, s'est obligé de vous prêter sa très-sainte main en toutes les occasions de votre office, pourvu que vous correspondiez de votre part, par une très-humble et courageuse confiance en sa bonté. «Il appelle « à son service les choses qui ne sont point, « comme celles qui sont, et se sert du rien comme « de beaucoup pour la gloire de son nom. »

C'est pourquoi vous devez faire de votre propre abjection la chaire et la chaîne de votre supériorité, vous rendant en votre néant vaillamment humble et humblement vaillante en celui qui fit le grand coup de sa toute puissance en l'humilité de sa croix.

Il vous a destiné un secours, un aide, et une grâce très-suffisante et abondante pour votre soutien et appui. Pensez-vous qu'un si bon père comme Dieu voulût vous rendre nourrice de ces filles, sans vous donner abondance de lait, de beurre, et de miel ? Le Seigneur a mis dans vos bras et sur votre giron ces âmes, pour les rendre dignes d'être ses vraies épouses, en leur apprenant à regarder seulement ses yeux divins, à perdre petit à petit les pensées que la nature leur suggérera d'elle-même, pour les faire penser uniquement en lui. Une fille destinée au gouvernement d'un monastère est chargée d'une grande et importante affaire, surtout quand c'est pour fonder et établir. Mais Dieu étend son bras tout-puissant à mesure de l'oeuvre qu'il imposent lui prépare de grandes bénédictions pour cultiver et gouverner la sacrée pépinière.

Vous êtes les mères, les nourrices, et les dames d'atour de ces filles du roi. Quelle dignité a cette dignité! Quelle récompense, si vous faites cela avec l'amour et les mamelles de mères ! C'est une couronne que vous vous façonnez, et dont vous jouirez dans la félicité. Mais Dieu veut que vous la portiez toute dans votre coeur en cette vie, et puis il la mettra sur votre tête en l'autre. Les épouses anciennement ne portaient point de couronnes et de chapeaux de fleurs, qu'elles n'eussent elles-mêmes liées et agencées ensemble. Ne plaignez point, mes chères filles, la perte de vos commodités spirituelles, et des contentements particuliers que vous recevriez en vos dévotions, pour bien cultiver ces chères plantes ; ne vous lassant nullement d'être mères, quoique les travaux et les soucis de la maternité soient grands : car Dieu vous en récompensera au jour de vos noces éternelles, vous couronnant de lui-même, puisqu'il est la couronne de ses saints.




SUITE DU MÊME SUJET,

Où le Saint enseigne les moyens de se bien acquitter de cet office.

Puisque vous tenez, mes chères filles, la place de Dieu dans la conduite des âmes, vous devez être fort jalouses de vous y conformer, observer ses voies, et non les vôtres, soutenant fortement son attrait dans chacune, en leur aidant à le suivre avec humilité et soumission, non à leur façon, mais à celle de Dieu, que vous connaitrez mieux qu'elles, tant que l'amour - propre ne sera pas anéanti ; car il fait souvent prendre le change, et tourner l'attrait divin à nos manières et suites de nos inclinations.

Portez toujours à cet effet sur vos lèvres, et par vos langues, le feu que votre ardent époux a apporté en terre dans leurs coeurs, à ce qu'il consomme tout l'homme extérieur, et en réforme un intérieur tout pur, tout amoureux, tout simple, et tout fort à bien soutenir les épreuves et exercices que son amour lui suggérera en leur faveur, pour les purifier, perfectionner et sanctifier ; et, afin de les y animer, montrez-leur qu'il n'est pas des rosiers spirituels comme des matériels : en ceux-ci les épines durent, et les roses passent ; en ceux-là les épines passeront, et les roses demeureront : qu'elles n'ont des coeurs que pour être les enfants de Dieu, en l'aimant, le bénissant, et le servant fidèlement en cette vie mortelle ; et qu'il les a unis ensemble, afin qu'ils soient extraordinairement braves, hardis, courageux, constants, et soigneux d'entreprendre et d'accomplir les grandes et difficiles oeuvres.

Car regardant meshui vos maisons comme la pépinière de plusieurs autres, il faut y enraciner les grandes et parfaites vertus d'une dévotion mâle, forte et généreuse, de l'abnégation de l'amour-propre, l'amour de son abjection, la mortification des sens, et la sincère direction ; leur ôtant cette petite douilletterie et mollesse qui trouble le repos, et fait excuser et flatter les humeurs et inclinations, à quoi serviront les changements continuels que l'on exerce en votre ordre, môme des rangs, cellules, et officeries dans l'année, pour les affranchir d'être attachées à cet emploi ou à cet autre, et de l'imperfection d'une vaine et jalouse imitation, et les affermir à ne vouloir pas faire tout ce que les autres font, ains seulement tout ce que leurs supérieures leur-ordonneront, les faisant marcher dans cette unique et simple prétention de servir la divine majesté d'une même volonté, même entreprise, même projet, afin que notre Seigneur et sa très-sainte mère en soient glorifiés.

Mais si quelques-unes se rendaient contraires à cette conduite, vous pourriez, prenant sujet de les y exercer, leur faire voir leur ignorance, leur peu de raison et de jugement, de s'amuser aux présomptions et fausses imaginations que produit la nature dépravée, combien l'esprit humain est opposé à Dieu; dont les secrets ne sont révélés qu'aux humbles ; qu'il n'est pas question, en la religion de philosophes et de beaux-esprits, mais de grâces et de vertus, non pour en discourir, mais pour les pratiquer humblement, leur faisant faire et ordonnant les choses difficiles à faire et comprendre, et qui soient humiliantes, pour les détacher insensiblement d'elles-mêmes, et les engager à une humble et parfaite soumission à l'ordre des supérieures, lesquelles aussi doivent avoir une grande discrétion à bien observer le temps, les circonstances et les personnes.

Car c'est une chose bien dure, de se sentir détruire et mortifier en toute rencontre : néanmoins l'adresse d'une suave et charitable mère fait avaler les pilules amères avec le lait d'une sainte amitié, montrant continuellement à ses filles une poitrine spirituelle pleine de bonnes vues et de joyeux et gracieux abords, afin qu'elles y accourent en gaité, et se laissent tourner par ce moyen comme des boules de cire, qui s'amolliront sans doute au feu de cette ardente charité. Je ne dis pas qu'elles soient flatteuses, mais douces, amiables, et affables, aimant leurs soeurs d'un amour cordial, maternel, nourricier et pastoral, se faisant toutes, à toutes, mères à toutes, secourables à toutes, la joie de toutes, qui sont les seules conditions qui suffisent, et sans lesquelles rien ne suffit

Tenez la balance droite entre vos filles, et que les dons naturels ne vous fassent point distribuer iniquement vos affections et vos bons offices. Combien y a-t-il de personnes maussades extérieurement, qui sont très-agréables aux yeux de Dieu ? La beauté, bonne grâce, bien parler, donnent souvent de grands attraits aux personnes qui vivent encore selon leurs inclinations; et la charité regarde la vraie vertu et la beauté intérieure, et se répand cordialement sur toutes sans particularité.

Ne vous étonnez point de vous voir contrôlées en votre gouvernement : vous devez doucement tout ouïr, et puis le proposer à Dieu, et vous en conseiller avec vos coadjutrices ; après quoi faire ce qui est estimé à propos, et avec une sainte confiance que la divine Providence réduira tout à sa gloire. Mais faites cela si suavement, que vos inférieures ne prennent point occasion de perdre le respect qui est dû à vos charges, ni de penser que vous avez besoin d'elles pour gouverner, ains pour suivre la règle de la modestie, humilité, et ce qui est porté par les constitutions. Car, voyez-vous, il faut, autant qu'il est possible, faire que le respect de nos inférieures envers nous, ne diminue point l'amour, ni l'amour ne diminue point le respect ; et si quelque soeur ne vous craignait et traitait pas avec assez de respect, remontrez-lui à part qu'elle doit honorer votre office, et coopérer avec les autres à conserver en dignité la charge qui lie toute la congrégation en un corps et en un esprit.

Tenez bon pour l'étroite observance des règles, pour la bienséance de vos personnes et de vos maisons. Faites observer un grand respect aux lieux et aux choses sacrées. Ne disputez point du plus ou moins du temporel, puisque cela est plus conforme à la douceur que notre Seigneur enseigne à ses enfants. -L'esprit de Dieu est généreux; ce que l'on gagnerait en ce rencontre, on le perdrait de réputation : enfin la paix est une sainte marchandise, qui mérite d'être achetée chèrement. Conservez la douceur avec l'égalité d'humeur et suavité de coeur entre les tracas et la multiplicité des affaires. Chacun attend de vous le bon exemple joint à une charitable débonnaireté ; parce qu'à cette vertu, comme à l'huile de la lampe, tient la flamme du bon exemple, n'y ayant rien qui édifie tant que la charitable débonnaireté.

Servez-vous volontiers des conseils lorsqu'ils ne seront point contraires au projet que nous avons résolu de suivre en tout l'esprit d'une suave douceur, et de penser plus à l'intérieur des âmes qu'à l'extérieur : car enfin, la beauté des filles du roi est au dedans (Ps 45,14), qu'il faut que les supérieures cultivent, si elles n'ont elles-mêmes ce soin, crainte qu'elles ne s'y endorment dans leur chemin, et ne laissent éteindre leurs lampes par négligence ; car il leur serait dit indubitablement comme aux vierges folles se présentant pour entrer au festin nuptial : Je ne vous connais point (Mt 25,12). Ne me dites point que vous êtes imbéciles ; la charité, qui est la robe nuptiale, couvrira tout. Les personnes qui sont en cet état, excitent ceux qui les connaissent à un saint support, et donnent même une tendresse de dilection particulière pour elles, pourvu qu'elles témoignent de porter dévotement et amiablement leur croix.

Je vous recommande à Dieu pour obtenir ses saintes grâces dans vos conduites, afin que, tout à son gré et par vos mains, il façonne les âmes, ou par le marteau, ou par le ciseau, ou par le pinceau, pour les former toutes selon son bon plaisir, vous donnant à ce dessein des coeurs de pères, solides, fermes, et constants, sans omettre les tendresses de mères, qui font désirer les douceurs aux enfants suivant l'ordre divin,, qui gouverne tout avec une force toute suave et une suavité toute forte.




LETTRE DLXXXVIII,

OU COPIE D'UN MANUSCRIT.

(Tirée du monastère de la Visitation de la rue Saint-Antoine.;

Copie de quelques avis spirituels donnés par le Saint à la mère Claude-Agnès Joly de La Roche, neuvième religieuse de l'ordre de la Visitation Sainte--Marie, et première supérieure du monastère de Rennes, écrits par elle-même, dans un petit livre pour son usage particulier. Elle commence ainsi :



Recueil des avis particuliers que monseigneur m'a donnés pour mon amendement.

J'ai jugé qu'il vous serait extrêmement utile de tâcher de tenir votre âme en paix et en tranquillité ; et pour cela il faut que le matin en vous levant vous commenciez cet exercice, faisant vos actions tout doucement, pensant à ce que vous avez à faire dans l'exercice du matin, prenant garde de ne point laisser épancher votre esprit le long de la journée : observez toujours si vous êtes en cet état de tranquillité ; et sitôt que vous vous en trouverez dehors, ayez un grand soin de vous y remettre, et cela sans discours ni effort.

Je ne veux pas dire pourtant que vous vous bandiez continuellement l'esprit pour vous tenir en cette paix ; car il faut que tout ceci se fasse avec une simplicité de coeur tout amoureuse, vous tenant auprès de notre Seigneur comme un petit enfant auprès de son père ; et quand il vous arrivera de faire des fautes, quelles qu'elles soient, demandez-en pardon tout doucement à notre Seigneur, en lui disant que vous êtes bien assurée qu'il vous aime bien, et qu'il vous pardonnera; et cela toujours simplement et doucement.

Ceci doit être votre exercice continuel ; car cette simplicité de coeur vous empêchera de penser distinctement; car nous ne sommes pas maîtres de nos pensées, pour n'en avoir que celles que nous voulons, qu'à ce que vous aurez à faire et a ce qui vous est marqué, sans épancher votre âme, ni à vouloir, ni à désirer autre chose; et fera que toutes ces prétentions de plaire, et ces contraintes de déplaire à notre mère, s'évanouiront, réservant le seul désir de plaide à Dieu, qui est et sera l'unique objet de notre âme.

Lorsqu'il vous arrivera de faire quelque chose qui pourrait fâcher ou mal édifier les soeurs, si c'était chose d'une grande importance, excusez-vous, en disant que vous n'avez pas eu mauvaise intention, s'il est vrai; mais si c'est chose légère et qui ne tire point de conséquence, ne vous excusez point, observant toujours de faire cela avec douceur et tranquillité d'esprit, comme aussi de recevoir les avertissements.

Et si bien votre partie inférieure s'émeut et se trouble, ne vous en mettez pas en peine, tâchant à garder la paix emmi la guerre ; car peut-être ne sera-t-il jamais en votre pouvoir de n'avoir pas du sentiment étant reprise ; mais vous savez très-bien que-les sentiments, non plus que toute autre tentation, ne nous rendent pas moins agréables à Dieu, pourvu que nous n'y consentions pas.

Vous vous trompez en croyant que vous devriez faire des actes vifs, pour vous défaire de ces sentiments et troubles de la partie inférieure; c'est au contraire, il n'en faut faire nul état, mais passer simplement chemin, sans les regarder seulement. Que s'ils vous importunent trop, il faut se moquer de tout cela, comme serait de leur faire la moue ; et cela par un simple regard de la partie supérieure; après quoi il n'y faut plus penser, quoi qu'ils veuillent dire.

Et tout de même en est - il des pensées de jalousie ou d'envie, et môme de ces attendrissements que vous avez sur vos commodités corporelles, et semblables tricheries, qui vont ordinairement roulant autour de nos esprits, retranchant à votre âme tout autre soin que celui de se tenir en paix et en tranquillité, je dis même celui de votre propre perfection ; car je remarque que ce trop grand soin de vous perfectionner vous nuit beaucoup, d'autant que dès qu'il vous arrive de faire des fautes, vous vous en inquiétez, parce qu'il vous semble que c'est toujours, contre la prétention que vous avez de vous amender.

Tout de même, si l'on vous montre quelque défaut en vous, vous entrez en découragement; et tout ceci, il ne le faut plus faire, ains vous affermir à cela, de ne point vous laisser troubler pour quoi que ce soit. Que si néanmoins il vous arrive de le faire, nonobstant votre résolution, ne vous fâchez pas pourtant ; ains remettez-vous en tranquillité tout aussitôt que vous vous en apercevrez, et toujours de la même façon que je vous ai dit, tout simplement, sans effort ni secousse d'esprit.

Et ne pensez pas que ceci soit un exercice de quelques jours ; oh ! non, car il y faut bien du temps et du soin pour parvenir à cette paix. Il est vrai pourtant que, si vous vous y rendez fidèle, notre Seigneur bénira votre travail. Sa bonté vous attire à cet exercice, c'est une chose tout assurée, c'est pourquoi vous êtes grandement obligée à vous y rendre fidèle, pour correspondre à sa volonté : il vous sera difficile, d'autant que vous avez l'esprit vif, et qu'il s'arrête et s'amuse à chaque objet qu'il rencontre ; mais la difficulté ne vous doit pas faire entrer en découragement, pensant de ne pouvoir parvenir au but de votre prétention. Faites tout bonnement et tout simplement ce que vous pourrez, sans vous mettre en peine d'autre chose.

Et tout de même, quand vous arrêtez quelque chose qui ne sera bien pris selon votre intention, passez outre, pensant à ce que vous avez à faire. Regardez notre Seigneur, et tâchez'.d'aller au Dieu de toutes choses, multipliant le plus que vous pourrez les oraisons jaculatoires, les vues intérieures, les retours, les élans fervents de votre esprit en Dieu, et je vous assure que ceci vous sera fort utile.

Dieu vous veut toute et sans aucune réserve, et toute fine, nue, et dépouillée ; c'est pourquoi il faut que vous ayez grand soin de vous défaire de votre propre volonté ; car il n'y a que cela seul qui vous nuise, d'autant que vous l'avez toujours extrêmement forte, et vous êtes fort attachée à vouloir ce que vous voulez.

Embrassez donc bien fidèlement cet exercice, puisque je vous le dis avec la charité de Dieu et la connaissance que j'ai de votre nécessité, qui est que vous regardiez la providence de Dieu aux contradictions qui vous seront faites, Dieu les permettant afin de vous détacher de toutes choses, pour vous mieux serrer à sa bonté, et unir à lui; car je sais qu'il veut que vous soyez sienne, mais d'une façon toute particulière.

Rendez-vous donc bien indifférente, si on vous accordera, ou non, ce que vous demanderez,. et ne laissez pas de demander toujours avec confiance ; et demeurez en l'indifférence d'avoir des biens spirituels, ou non ; et quand vous sentirez que la confiance vous manque, pour recourir à notre Seigneur, à cause de la multitude de vos imperfections, faites alors jouer la partie supérieure de votre âme, disant des paroles de confiance et d'amour à notre Seigneur, avec le.plus de ferveur, et le plus fréquemment qu'Use pourra.

Ayez un grand soin de ne vous point troubler lorsque vous aurez fait quelque faute, ni de vous laisser aller à des attendrissements sur vous-même, car tout cela ne vient que d'orgueil ; mais humiliez-vous promptement devant Dieu, et que ce soit d'une humilité douce et amoureuse, qui vous porte à la confiance de recourir soudain à sa bonté, vous assurant qu'elle vous aidera pour vous amender.

Je ne veux plus que vous soyez si tendre, ains que comme une fille forte vous serviez Dieu avec un grand courage, ne regardant que lui seul ; et partant, quand ces pensées, si l'on vous aime ou non, vous arrivent, ne les regardez pas seulement, vous assurant que l'on vous aimera toujours autant que Dieu le voudra ; et que cela vous suffise, que la volonté de Dieu s'accomplisse en vous, qui êtes obligée d'une obligation particulière de vous perfectionner ; car Dieu veut se servir de vous. Faites-le donc, et pour cela tâchez à fort aimer votre propre abjection, laquelle vous empêchera de vous troubler de vos défauts.

Prenez soin de tenir votre esprit en paix et occupé des choses hautes, le tirant fidèlement de l'attention que vous faites sur vous-même, principalement quand, vous avez du chagrin et que vous n'avez point de courage. Occupez-vous à dire à. notre Seigneur que vous en voulez avoir, et que vous ne consentirez jamais à ce que le chagrin vous suggère ; vous feriez encore mieux de vous divertir, faisant accroire à votre esprit qu'il n'en a point, n'en faisant non plus d'état que si vous ne sentiez point l'effort de cette passion.

Plus vous vous sentez pauvre et destituée de toutes sortes devenus, ayez de plus grandes prétentions de bien faire. Ne vous étonnez point des mauvais sentiments que vous avez, pour grands qu'ils soient, mais ayez soin en ce temps-là de multiplier les oraisons jaculatoires, et retours de votre esprit en Dieu ; et, comme vous avez une grande nécessité de la douceur et de l'humilité, prenez soin de mettre fort souvent emmi la journée votre coeur en la posture d'une humble douceur.

Et quand vous serez reprise ou corrigée de quelque chose, essayez-vous tout doucement d'aimer la correction, et ne vous fâchez pas si la partie inférieure s'émeut; mais faites régner la partie supérieure, afin que vous fassiez ce que l'on veut de vous en cette occasion.

Ne soyez point tant amie de votre paix que, quand on vous Votera par quelque commandement, ou correction, ou contradiction, vous en demeuriez troublée ; car cette paix qui ne veut point être agitée est recherchée par l'amour-propre.

Or, maintenant je vous dis que vous ayez un soin très-particulier de vous rendre égale en vos humeurs, sans jamais laisser paraitre en votre extérieur aucun changement.

Quelle apparence y a-t-il de montrer ainsi vos imperfections, puisque cela empêche que Dieu ne soit servi de vous ainsi qu'il le désire? Cette égalité de votre maintien extérieur manque à l'accomplissement des talents que Dieu vous a donnés. Considérez donc souvent quel déplaisir ce vous sera et ce vous doit être, de voir que vous manquez de correspondre à la volonté de Dieu, puisqu'il a laissé à votre pouvoir d'acquérir cela, qui doit perfectionner et accomplir votre talent.

Travaillez fidèlement pour cela ; bandez toutes les forces de votre esprit pour l'acquérir, et prenez garde que la mortification reluise en votre extérieur; en sorte que les séculiers trouvent plus de sujet de l'observer, que non pas de bonne mine ni de bonne façon.

Vous devez avoir un très-grand soin de vous pencher toute du côté de l'humilité, puisque vous avez une si grande inclination à l'orgueil et à la propre estime. Ne doutez point qu'ayant acquis cette vertu vous n'ayez quand et quand toutes celles dont vous avez nécessité. Approfondissez-vous fort souvent en l'abîme de votre néant devant notre Seigneur et devant Notre-Dame. Mais ressouvenez-vous de ce que j'ai dit en l'entretien de l'humilité; et toutes fois et quantes qu'elle ne produit pas ce fruit, elle est suspecte et indubitablement fausse. Anéantissez-vous en la connaissance de votre petitesse ; mais soudain après relevez votre esprit, pour considérer ce que Dieu veut de vous.

Avis pour la charge de supérieure.

Dieu veut que vous le serviez en la conduite des aines, puisqu'il a arrangé les choses comme elles le sont, et qu'il vous a donné la capacité de gouverner les autres.

Faites une très-grande estime du ministère à quoi vous êtes appelée ; et pour le bien faire, tous les jours en vous réveillant ne manquez jamais de dire cette parole que S. Bernard disait si souvent : Qu'es tu venu faire céans (1)? Qu'est-ce que Dieu veut de toi? Puis soudain après abandonnez-vous totalement à sa divine volonté; afin qu'il fasse de vous et en vous tout ce qu'il lui plaira, sans aucune réserve.

(1) Bernarde, ad quid venisti ?


Ayez une dévotion particulière à Notre-Dame et votre bon ange; puis, ma fille, souvenez-vous qu'il faut avoir plus d'humilité pour commander que non pas pour obéir. Mais prenez garde aussi de ne pas tant subtiliser sur tout ce que vous ferez. Ayez une droite intention de faire tout pour Dieu et pour son honneur et gloire, et vous détournez de tout ce que la partie inférieure de votre âme voudra faire : laissez-la tracasser tant qu'elle voudra autour de votre esprit, sans combattre nullement tous ses assauts, ni môme regarder ce qu'elle fait ou ce qu'elle veut dire ; ains tenez-vous ferme en la partie supérieure de votre âme, et en cette résolution de ne vouloir rien faire que pour Dieu, et qui lui soit agréable.

De plus, il faut que vous fassiez grande attention sur cette parole que j'ai mise dans les constitutions, savoir que la supérieure n'est pas tant pour les fortes que pour les faibles, bien qu'il faille avoir soin de toutes, afin que les plus avancées ne retournent point en arrière. Ayez à coeur le support des filles imparfaites qui seront en votre charge ; ne faites jamais de l'étonnée, quelque sorte de tentation ou d'imperfection qu'elles vous découvrent; ains tâchez à leur donner confiance à vous bien dire tout ce qui les exercera.

Soyez grandement tendre à l'égard des plus imparfaites, pour les aider à faire grand profit de leur imperfection. Ressouvenez-vous qu'une âme grandement impure peut parvenir à une parfaite pureté, étant bien aidée. Dieu vous en ayant donné la charge et le moyen, par sa grâce, de le pouvoir faire, appliquez-vous soigneusement aie faire pour son honneur et gloire. Remarquez que celles qui ont le plus de mauvaises inclinations, sont celles qui peuvent parvenir à une plus grande perfection. Gardez-vous de faire des affections particulières.

Ne vous étonnez nullement de voir en vous beaucoup de fort mauvaises inclinations, puisque, par la bonté de Dieu, vous avez une volonté supérieure, qui peut être régente au-dessus de tout cela.

Prenez un grand soin de maintenir votre extérieur en une sainte égalité. Que si vous avez quelque peine dans l'esprit, qu'elle ne paroisse point au dehors. Maintenez-vous dans une contenance grave, mais douce et humble, sans jamais être légère, principalement avec des jeunes gens.

Voilà, ce me semble, ce à quoi il faut que vous preniez garde, pour rendre à Dieu le service qu'il a désiré de vous. Mais je désire grandement que vous fassiez attention fort souvent sur l'importance de la charge que vous aurez, non-seulement d'être supérieure, mais d'être au lieu que vous serez. La gloire de Dieu est jointe à ceci, et la connaissance de votre institut; c'est pourquoi il faut que vous releviez fort votre courage, en lui faisant entendre l'importance de ce à quoi vous êtes appelée.

Anéantissez-vous fort profondément en vous-même, de voir que Dieu veuille se servir de votre petitesse pour lui faire un service de si grande importance. Reconnaissez-vous fort honorée de cet honneur, et vous en allez courageusement supplier Notre-Dame qu'il lui plaise vous offrir à son fils, comme une créature tout absolument abandonnée à sa divine bonté, vous résolvant que moyennant sa grâce vous vivrez désormais d'une vie toute nouvelle, faisant maintenant un renouvellement parfait de toute votre âme, détestant pour jamais votre vie passée, avec toutes vos. vieilles habitudes. Allez donc, ma chère fille, pleine de confiance qu'après avoir fait cet acte parfait du saint abandonnement de vous-même entre les bras de la très-sainte Vierge, pour vous consacrer et sacrifier derechef au service de l'amour de son fils, elle vous gardera tout le temps de votre vie en sa protection, et vous présentera derechef à sa bonté à l'heure de votre mort.

Maintenant je vous dis : Ne parlez que le moins qu'il se pourra de vous-même; mais ceci, je le dis tout de bon, retenez-le bien, et faites-y attention. Si vous êtes, imparfaite, humiliez-vous au fond de votre coeur, et n'en parlez point ; car cela n'est que l'orgueil, qui fait que vous pensez en dire beaucoup, afin que l'on n'en trouve pas tant que vous dites. Parlez peu de vous, mais je dis peu.

Ayez un grand soin de maintenir votre extérieur parmi vos filles en telle médiocrité entre la gravité, et la douceur, et l'humilité, que l'on reconnaisse que si bien vous les aimez tendrement, que vous êtes aussi la supérieure; car il ne faut pas que l'affabilité empêche l'exercice de l'autorité. J'approuve fort que les supérieures soient supérieures, se faisant obéir, pourvu que la modestie et le support soient observés.

Ayez envers les séculiers une sainte gravité ; car tandis que vous êtes jeune, il faut observer soigneusement cela. Que votre rire soit modéré, et même envers les femmes, avec lesquelles on peut avoir un peu plus d'affabilité et de cordialité.

Il ne faut pas entendre par cette gravité, qu'il faille être sévère ou renfrognée ; car il faut conserver toujours une gracieuse sérénité devant les jeunes gens, quoique de profession ecclésiastique. Ayez pour l'ordinaire vos yeux rabaissés, et soyez courte "en paroles avec telles gens, observant toujours de profiter à leurs âmes, en faisant voir la perfection de votre institut. Je ne dis pas la vôtre, ains celle de votre institut, non en paroles, que fort simplement, ne le louant que comme on parle un chacun de soi-même, ou de ses parents, c'est-à-dire courtement et simplement.

Louez grandement les autres ordres et religions, et le vôtre au-dessous des autres choses, bien que vous ne deviez pas cacher que vous vivez paisiblement, et disant, quand l'occasion s'en présente, Je bien qui se fait simplement.

Faites toujours grand cas des soeurs carmélites, et vous entretenez en leur amitié partout où vous serez, témoignant toujours que vous en faites grande estime, et que vous les aimez chèrement.

Entretenez-vous fort avec les pères jésuites, et communiquez volontiers avec eux, comme aussi les pères de l'Oratoire et les pères minimes ; prenez conseil d'eux tous où vous en aurez besoin, et particulièrement des pères jésuites.

Ne soyez pas du tout tant retenue à relever les voiles, comme les soeurs carmélites, mais pourtant usez de discrétion pour cela, faisant voir, quand vous le lèverez, que c'est pour gratifier ceux qui vous parlent, observant de ne guère vous avancer des treillis, ni moins d'y passer les mains, que pour certaines personnes de qualité qui le désirent.

Pour ce qui est de l'oraison, il faut que vous observiez de faire que les sujets sur quoi on la fera soient sur la mort, vie et passion de notre Seigneur ; car c'est une chose fort rare que l'on ne puisse profiter sur la considération de ce que notre Seigneur a fait. Enfin, c'est le maître souverain que le Père éternel a envoyé au monde pour nous enseigner ce que nous devons faire : et partant, outre l'obligation que nous avons de nous former sur ce divin modèle, pour ce sujet, nous devons grandement être excités à considérer ses oeuvres pour les imiter, parce que c'est une des plus excellentes intentions que nous puissions avoir, pour tout ce que nous avons à faire, et que nous faisons, que de les faire parce que notre Seigneur lésa faites, c'est-à-dire, pratiquer les vertus, parce que notre Seigneur les a pratiquées, et comme il les a pratiquées.

Ce que pour bien comprendre il faut fidèlement peser, voir, et considérer dans ce, parce que notre père l'a fait en telle façon, je le veux faire, en enclosant l'amour envers notre divin Sauveur et père très-aimable; car l'enfant qui aime bien son bon père, a une grande affection de se rendre fort conforme à ses humeurs, et de l'imiter en tout ce qu'il fait.

Il se peut faire pourtant, qu'il y ait certaines âmes exceptées, lesquelles ne peuvent s'arrêter, ni occuper leur esprit sur aucun mystère; elles sont attirées à une certaine simplicité devant Dieu, toute douce, qui les tient en cette simplicité, sans autre considération que de savoir qu'elles sont devant Dieu, et qu'il est tout leur bien, demeurant ainsi utilement. Cela est bon ; mais il me semble qu'il est assez clairement dit dans le livre de L’Amour de Dieu, où vous pourrez avoir recours, si vous en avez besoin, et aux autres qui traitent de l'oraison.

Mais, généralement parlant, il faut faire que, toutes les filles, tant qu'il se peut, se tiennent en l'état et méthode d'oraison qui est la plus sûre, qui est celle qui tend à la réformation de vie et changements de moeurs, qui est celle que nous disions premièrement qui se fait autour des mystères de la vie et de la mort de notre Seigneur.

Et il ne faut pas toujours croire les jeunes filles qui ne font que d'entrer en religion, quand elles disent qu'elles ont de si grandes choses ; car bien souvent ce n'est que tromperie et amusement. C'est pourquoi il faut les mettre au train et aux mêmes exercices que les autres, car, si elles ont une bonne oraison, elles seront bien aises d'être humiliées, et de se soumettre à la conduite de ceux qui ont du pouvoir sur elles. Il y a tout à craindre en ces manières d'oraisons relevées ; mais l'on peut marcher en assurance dans la plus commune, qui est de s'appliquer tout à la bonne foi autour de notre maître, pour apprendre ce qu'il veut que nous fassions.

La supérieure peut en quelque grande et signalée occasion, faire faire deux ou trois jours de jeûne à la communauté, ou bien seulement aux filles qui sont plus robustes ; faire quelque discipline plus librement que de jeûner; car c'est une mortification qui ne nuit point à la santé, et partant, toutes la peuvent faire en la sorte qu'on la fait céans. Mais il faut toujours observer de n'introduire point les austérités en vos maisons ; car ce serait changer votre institut, qui est principalement pour les infirmes.

La supérieure doit sans doute de temps en temps visiter les cellules des soeurs, pour empêcher qu'elles n'aient rien en propre ; mais pourtant il faut faire cela si discrètement, que les soeurs ne puissent point avoir de juste raison de penser que la supérieure ait quelque défiance de leur fidélité, soit en cela, soit en autre chose ; car il le faut toujours observer discrètement, ne les tenant ni trop resserrées ni trop en liberté ; car vous ne sauriez croire combien c'est une chose nécessaire de se tenir en cet entre-deux.

Pour moi, j'approuverais fort que vous ne fissiez rien que de suivre simplement la communauté en toutes choses, soit aux mortifications ou en quoi que ce soit. Il me semble que ce devrait être la pratique principale d'une supérieure, que d'aller devant ses filles en cette simplicité, que de rien faire ni de plus ni de moins qu'elles font.

Car cela fait qu'elle est grandement aimée, et qu'elle tient merveilleusement l'esprit de ses filles en paix. J'ai grandement envie que l'histoire de Jacob soit toujours devant vos yeux, afin de faire comme lui, qui ne voulait pas seulement s'accommoder au pas de ses enfants, mais encore à ceux-là même de ses agnelets.

Et quant à ce qui est de la communion, je voudrais que l'on suivit l'avis des confesseurs; quand vous avez envie de communier quelquefois extraordinairement, que vous prissiez leurs-avis. Pour communier une fois toutes les semaines de plus que la communauté, vous le pouvez bien faire, et à votre tour comme les autres ; et même pour communier plus souvent extraordinairement, vous ferez ce que ceux qui auront soin de vous trouveront bon, car il leur faut laisser conduire cela. Il sera bon, ma chère fille, que vous vous assujettissiez à rendre compte tous les mois, ou les deux ou trois mois, si vous voulez, au confesseur extraordinaire, ou même au confesseur ordinaire, s'il est capable, ou tel autre que vous jugerez ; car c'est un grand bien que de ne rien faire que par l'avis d'autrui.

Il ne me semble pas que vous deviez maintenant faire plus d'attention sur aucune autre pratique, que sur celle de la très-sainte charité à l'endroit du prochain, en le supportant doucement, et le servant amoureusement ; mais en sorte que vous observiez toujours de conserver l'autorité et gravité de supérieure, accompagnée d'une sainte humilité. Quand vous aurez jugé que quelque chose se doit faire, marchez sûrement et sans rien craindre, regardant Dieu le plus souvent que vous pourrez : je ne dis pas que vous soyez toujours attentive à la présence de Dieu, mais que vous multipliiez le plus qu'il se pourra les retours de votre esprit en Dieu : c'est ce dernier point que de tout mon coeur j'ai promis à mon Dieu de pratiquer fidèlement, moyennant sa grâce, ayant pris Notre-Dame protectrice de cette mienne résolution.


Ce qui suit fut écrit de la propre main du Saint, dans le livre de la mère Claude-Agnès Joly delà Roche, lorsqu'elle vint en France pour la fondation du monastère d'Orléans.


Allez, ma très-chère fille, Dieu vous sera propice : trois vertus vous sont chèrement recommandées, la débonnaireté très-humble, l'humilité très-courageuse, la parfaite confiance à la providence de Dieu ; car quant à l'égalité de l'esprit, et même du maintien extérieur, ce n'est pas une vertu particulière', mais l'ornement intérieur et extérieur de l'épouse du Sauveur. Vivez donc ainsi tout en Dieu et pour Dieu, et que sa bonté soit à jamais votre repos. Amen.

Faites cela, ma très-chère fille ; à Dieu soit la louange de l'exercice que la Providence vous donne par cette affliction de maladie, que vous rendrez sainte, moyennant sa sainte grâce. Car comme vous ne serez jamais épouse de Jésus-Christ glorifié, que vous ne l'ayez été premièrement de Jésus-Christ crucifié ; et vous ne jouirez jamais du lit nuptial de son amour triomphant, que vous n'ayez senti l'amour affligeant du lit de la sainte croix.

Cependant nous prierons Dieu qu'il soit toujours votre force et votre courage en la souffrance, comme votre modestie, douceur et humilité en ses consolations.




LETTRE DLXXXIX. sur la vocation à l'état religieux

(Tirée de la vie du Saint, par le père Jean de Saint-François.)


La bonne vocation n'est autre chose qu'une ferme et constante volonté que la personne appelée a de vouloir servir Dieu en la manière et aux lieux auxquels sa divine majesté l'a appelée : cela est la meilleure marque que l'on puisse avoir pour connaître quand une vocation est bonne. Non qu'il soit nécessaire que telle âme fasse dès le commencement tout ce qu'il faut faire en sa vocation, avec une fermeté et constance si grande, qu'elle soit exempte de toute répugnance, difficulté ou dégoût en ce qui est de sa vocation, ni moins encore que cette fermeté et constance soit telle qu'elle la rende exempte de faire des fautes, ni pour cela elle soit si ferme qu'elle ne vienne jamais à chanceler, ni varier à l'entreprise qu'elle a faite de pratiquer les moyens qui la peuvent conduire à la perfection, attendu que tous les hommes sont sujets à telle passion, à changement, à vicissitudes, et que ce n'est que par ses divers mouvements et accidents qu'il faut juger, la volonté demeurant ferme au point de ne quitter le bien qu'elle a embrassé, encore qu'elle sente quelque dégoût et refroidissement.

Tellement que pour, avoir une marque d'une bonne vocation, il ne faut point une constance sensible, mais qui soit effective. Pour savoir si Dieu veut qu'on soit religieux ou religieuse, il ne faut pas attendre qu'il nous parle sensiblement, ou qu'il nous envoie un ange du ciel pour nous signifier sa volonté; ni moins est-il besoin d'avoir des révélations sur ce sujet. Il ne faut non plus l'examen de dix ou douze docteurs de la Sorbonne pour examiner si l'inspiration est bonne ou mauvaise, et s'il faut la suivre ou non; mais il faut bien cultiver et correspondre au premier mouvement, et puis ne se mettre point en peine s'il vient des dégoûts et des refroidissements sur cela.

Car si on tâche toujours à tenir sa volonté bien ferme à rechercher le bien que Dieu nous montre, il ne manquera pas de faire réussir le tout à sa gloire. De quelque part que vienne le motif de la vocation, il suffit, pourvu qu'on ait senti l'inspiration, ou le mouvement dans le coeur, pour la recherche du bien auquel on se sent appelé, et que l'on demeure ferme et constant dans cette recherche, quoique ce soit avec dégoût et refroidissement.

Et en cela on doit avoir un grand soin d'aimer les âmes, et leur apprendre à ne se point étonner de ces changements et de ces vicissitudes, et les encourager à demeurer fermes parmi eux, en leur disant qu'elles ne se doivent pas mettre en peine de ces sentiments sensibles, ni les examiner tant; et elles se doivent contenter de cette constante volonté, qui parmi tout cela ne perd point l'affection de son premier dessein ; qu'elles soient seulement soigneuses de le bien cultiver, et de correspondre à ce premier mouvement, sans se soucier de quel côté il vient ; vu que notre Dieu a plusieurs moyens d'appeler ses serviteurs et ses servantes à son service; qu'il se sert ores des prédications, ores de la lecture des bons livres, ores des ennuis, des désastres, des afflictions et des traverses qui nous surviennent, ou le monde qui nous donne sujet de nous dépiter contre lui et de l'abandonner; que de toutes ces sortes il en est réussi de grands serviteurs et servantes de Dieu.

D'autres encore viennent en religion à cause de quelque défaut naturel qui est en leur corps, comme pour être boiteux, borgnes et laids ; d'autres y sont portés par leurs pères et mères, pour avancer leurs autres enfants par cette décharge : mais Dieu bien souvent fait voir la grandeur de sa clémence et miséricorde, en se servant de telles intentions, qui d'elles-mêmes ne sont nullement bonnes, pour faire de telles personnes de grands serviteurs de sa divine majesté.

En somme, il fait entrer en son festin les boiteux et les aveugles, pour nous faire voir qu'il ne sert de rien d'avoir des yeux et deux jambes pour aller en paradis. Plusieurs de ceux qui sont venus en religion de cette sorte, ont fait de grands fruits, et persévéré fidèlement en leur vocation. D'autres qui ont été bien appelés, n'y ont pas néanmoins persévéré ; mais après avoir demeuré quelque temps, ils ont tout quitté. Dont nous avons l'exemple de Judas, de la bonne vocation duquel nous ne pouvons pas douter, puisque notre Seigneur même l'avait choisi et appelé comme les autres, et qu'il ne se pouvait tromper en le choisissant, car il avait le discernement des esprits.

C'est une chose certaine que quand Dieu appelle quelqu'un par prudence et providence divine, il s'oblige de fournir tous les aides requis pour le rendre parfait en sa vocation. Quand il appelle quelqu'un au christianisme, il s'oblige à lui fournir tout ce qui est requis pour être bon chrétien. Tout de même, quand il appelle quelqu'un pour être prêtre ou évêque, religieux ou religieuse, il s'oblige en même temps à lui fournir tous les moyens requis pour être parfait en sa vocation.

En quoi toutefois il ne faut pas penser que ce soit nous qui l'obligions à ce faire, en nous faisant prêtre ou religieux, vu qu'on ne saurait obliger notre Seigneur que comme on s'oblige soi-même par soi-même, provoqué par son infinie bonté et miséricorde ; tellement qu'en me faisant religieux, notre Seigneur est obligé de me fournir tout ce qu'il faut que j'aie pour être bon religieux, non point par devoir, mais par sa miséricorde et providence infinie : or la divine majesté ne manque jamais de soin et de providence touchant tout ceci.

Et pour nous le mieux faire croire, elle s'y est obligée, en sorte qu'il ne faut jamais entrer en opinion qu'il y ait de sa faute quand nous ne réussissons pas bien; non qu'il ne donne aussi quelquefois les mêmes aides et secours à ceux-là même qu'il n'a point appelés, tant est grande sa miséricorde et sa libéralité.

Et si bien il donne toutes les conditions requises pour être parfait en la vocation où il nous appelle, ce n'est pas à dire qu'il nous les donne tout à coup, en telle sorte que ceux qu'il a appelés soient parfaits tout à l'instant de leur entrée dans leur vocation : car les religions ne seraient point nommées des hôpitaux comme dans l'antiquité. Elles étaient ainsi nommées, et les religieux, du mot grec espaÂreuïai (Thérapeutes), qui veut dire guérisseurs dans les hôpitaux, pour se guérir les uns les autres. Il ne faut donc pas penser qu'en entrant en religion, on soit parfait tout promptement, mais oui bien qu'on y vient pour tendre à la perfection,

Ce ne sont donc point les mines tristes ni les faces pleureuses, ni les personnes soupireuses qui sont toujours les mieux appelées ; ni ceux qui mangent plus de crucifix, qui ne veulent pas bouger des églises, et qui sont toujours dans les hôpitaux ; ni encore ceux qui commencent avec grande ferveur. Il ne faut point regarder ni les larmes des pleureux ni les soupirs des soupireux, ni les mines des cérémonies extérieures, pour connaître ceux qui sont bien appelés ; mais ceux qui ont une volonté ferme et constante de vouloir guérir, et qui pour cela travaillent avec fidélité pour recouvrer la santé spirituelle. Il ne faut pas aussi tenir pour marque d'une bonne vocation les ferveurs qui font qu'on ne se contente point dans sa vocation, mais qu'on s'amuse à quelques désirs qui sont pour l'ordinaire vains, mais apparents d'une plus grande sainteté de vie ; car pendent qu’on s'amuse à rechercher ce qui bien souvent n'est pas, on ne fait pas ce qui nous peut rendre parfaits en celle que nous avons embrassée.



LETTRE DXC. sur la réception et la probation des filles.

(Tirée de la vie du Saint, par D. Jean S. François.)


Pour l'état de postulante.

Quant à la première réception dans le monastère en habit séculier, comme on ne pourrait pas beaucoup les connaître, à cause de leur bonne mine que toutes y apportent, et qu'elles se montrent en paroles aussi promptes que S. Jacques et S. Jean à boire le calice de notre Seigneur, ainsi on ne les peut bonnement éconduire. Et en effet, on n'y doit pas faire trop grand égard pour les recevoir. Et tout ce qu'on peut faire, c'est qu'on peut observer leur façon, et par la conversation qu'on a avec elles, reconnaître quelque chose de leur intérieur.

Pour ce qui est de la santé corporelle et autres infirmités de corps, on n'y doit point faire ou fort peu de considération ; d'autant que dans la Visitation on peut y recevoir les infirmes et les imbéciles, comme les fortes et les robustes ; et elle a été en partie faite pour elles, pourvu que ce ne soient des infirmités si pressantes qu'elles les rendent tout-à-fait incapables d'observer la régle, et inhabiles à faire ce qui est de leur vocation.


Pour la prise d'habit ou vêture.

Quant à recevoir les filles à l'habit et au noviciat, on doit y apporter d'autant plus de difficulté et de considération, qu'on a eu plus de moyens de remarquer leurs humeurs, actions et habitudes. Pour être encore tendres, ou colères, ou sujettes à telle autre passion, cela ne doit point empêcher qu'elles soient admises au noviciat, pourvu qu'elles y aient une bonne volonté de s'amender, de se soumettre, et de se servir des médecines et médicaments propres à leur guérison; et, bien qu'elles y aient de la répugnance, ou qu'elles les prennent avec difficulté grande, cela ne veut rien dire, pourvu qu'elles ne laissent point d'en user; ni encore qu'elles aient la nature rude et grossière, pour avoir été mal nourries et mal civilisées, cela ne doit point empêcher leur réception : car, bien qu'elles aient plus de peine et difficulté que les autres qui ont le naturel plus doux et plus traitable, si toutefois elles veulent bien être guéries, et témoignent une volonté ferme à vouloir recevoir la guérison, quoi qu'il leur coûte, à celles-là il ne faut pas refuser la voix, nonobstant leur chute : car ces personnes-là, après un long travail, font de grands fruits en la religion, et deviennent grandes servantes de Dieu, et acquièrent une vertu forte et solide ; car la grâce de Dieu supplée au défaut, et d'ordinaire où il y a moins de la nature, il y a plus de la grâce.


Pour la profession.

Quant à ce qui est de recevoir les filles à la profession; il est requis une plus grande considération : il faut observer trois choses.

La première, que les filles soient saines, non de corps, mais de coeur et d'esprit; c'est-à-dire, qu'elles aient le coeur bien disposé à vivre dans une entière souplesse et soumission.

La seconde, qu'elles aient l'esprit bon, non pas de ces grands esprits, qui sont pour l'ordinaire vains et pleins de suffisance, et qui étant au monde étaient des boutiques de vanité et viennent en religion, non pas pour s'humilier, mais comme si elles y venaient faire des leçons de philosophie et théologie, voulant tout conduire et gouverner. A celles-là il faut y prendre garde de fort près. Mais un esprit bon est un esprit médiocre, qui n'est ni trop grand ni trop petit ; celles-ci sont à estimer, parce que ces esprits-là font toujours beaucoup, sans pourtant qu'ils le sachent : ils s'appliquent à faire et s'adonnent aux vertus solides : ils sont traitables, et on n’a pas beaucoup de peine à les conduire, car facilement ils comprennent.

La troisième chose qu'il faut observer, c'est si cette fille a bien travaillé dans son année de noviciat ; si elle a bien souffert et profité des médecines qu'on lui a données, propres à la rendre quitte de son mal ; si elle a bien fait valoir les résolutions qu'elle fit en entrant en religion, et depuis en son noviciat, de changer et amender ses mauvaises habitudes, humeurs, et inclinations. Si l'on voit qu'elle persévère fidèlement en sa résolution, et que sa volonté demeure ferme et constante pour continuer, ayant remarqué qu'elle se soit appliquée à se réformer et se former selon les règles et constitutions; si cette volonté lui dure toujours, voire de vouloir toujours mieux faire, c'est une bonne conduite pour être reçue : encore que par ci, par-là, elle ne laisse pas de faire de grandes fautes, et même assez souvent, cela ne la doit point faire refuser.

Car, quoiqu'en l'année de son noviciat elle ait dû travailler à la réformation de ses moeurs et habitudes, ce n'est pas à dire pour cela qu'elle ne doive point faire de chutes, ni qu'à la fin de son année elle doive être parfaite ; ainsi que les apôtres, encore qu'ils fussent bien appelés et qu'ils eussent longtemps travaillé en la réformation de leur vie, ne laissaient pas de faire des fautes, et non-seulement en la première année, mais encore en la seconde et en la troisième.




LETTRE DXCI, A UNE RELIGIEUSE, SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Annecy.

Le Saint lui indique la manière de distinguer les fausses révélations d'avec les bonnes. Le Saint propose ensuite les remèdes à ces illusions, il parle après cela de la vocation d'une demoiselle que ses parents avoient obligée de renoncer à un mariage, et qui, pour cette raison, avait pris le parti du couvent. Il dit qu'on peut être appelé de Dieu en bien des manières différentes ; qu'il y a bien peu de vocations pures ; comment on peut connaitre si une vocation est bonne.



Puisque je n'ai su plus tôt, ma très-chère fille, je répondrai maintenant aux deux points principaux pour lesquels vous m'avez ci devant écrit]

En tout ce que j'ai vu de cette fille, je ne trouve rien qui ne me fasse penser qu'elle ne soit fort bonne fille, et que partant il la faut aimer et chérir de fort bon coeur ; mais quant à ses visions, révélations et prédictions, elles me sont infiniment suspectes, comme inutiles, vaines et indignes de considération : car d'un côté elles sont si fréquentes, que la seule fréquence et multitude les rend dignes de soupçon ; d'autre part, elles portent des manifestations de certaines choses que Dieu déclare fort rarement, comme l'assurance du salut éternel, la confirmation en grâce, le degré de sainteté de plusieurs personnes, et cent autres choses pareilles qui ne servent tout-à-fait à rien, de sorte que S. Grégoire ayant été interrogé par une dame d'honneur de l'impératrice, qui s'appelait Grégoire, sur l'état de son futur salut, il lui répondit : Votre douceur, ma fille, me demande une chose qui est également et difficile et inutile. Or, de dire qu'à l'avenir on connaitra pourquoi ces révélations se font, c'est un prétexte que celui qui les fait prend pour éviter le blâme des inutilités de telles choses.

Il y a plus : que quand Dieu se veut servir des révélations qu'il donne aux créatures, il fait précéder ordinairement ou des miracles véritables, ou une sainteté très-particulière en ceux qui les reçoivent. Ainsi le malin esprit, quand il veut notablement tromper quelque personne, avant que de lui faire faire des révélations fausses, il lui fait faire des présages faux, et lui fait tenir un train de vie faussement sainte.

"Il y eut, du temps de la bienheureuse soeur Marie de l'Incarnation, une fille de bas lieu, qui fut trompée d'une tromperie la plus extraordinaire qu'il est possible d'imaginer. L'ennemi, en forme de notre Seigneur, dit fort longtemps ses heures avec elle, avec un chant si mélodieux qu'il la ravissait perpétuellement. Il la communiait fort souvent sous l'apparence d'une nuée argentine et resplendissante, dedans laquelle il faisait venir une fausse hostie dans sa bouche : il la faisait vivre sans manger chose quelconque. Quand elle portait l'aumône à la porte, il multipliait le pain dans son tablier, de sorte que si elle ne portait du pain que pour trois pauvres, et il s'en trouvait trente, il y avait pour donner à tous très largement, et du pain fort délicieux, duquel son confesseur même, qui était d'un ordre très réformé, envoyait ça et là parmi ses amis spirituels, par dévotion.

Cette fille avait tant de révélations, qu'enfin cela la rendit suspecte envers les gens d'esprit. Elle en eut une extrêmement dangereuse, par laquelle il fut trouvé bon de faire essai de la sainteté de cette créature, et pour cela on la mit avec la bienheureuse soeur Marie de l'Incarnation, lors encore mariée, où étant chambrière, et traitée un peu durement par feu M. Acarie, on découvrit que cette fille n'était nullement sainte, et que sa douceur et humilité extérieure n'était autre chose qu'une dorure extérieure que l'ennemi employait pour faire prendre les pilules de son illusion, et enfin on découvrit qu'il n'y avait chose du monde en elle, qu'un amas de visions fausses; et quant à elle, on connut bien que non-seulement elle ne trompait pas malicieusement le monde, mais qu'elle était la première trompée, n'y ayant de son côté aucune autre sorte de faute, sinon la complaisance qu'elle prenait à s'imaginer qu'elle était sainte, et la contribution qu'elle faisait de quelques simulations et duplicités pour maintenir la réputation de sa vaine sainteté. Et tout ceci m'a été raconté par la bienheureuse soeur Marie de l'Incarnation.

Voyez, je vous prie, ma très-chère fille, l'astuce et finesse de l'ennemi, et combien ces choses extraordinaires sont dignes de soupçon : néanmoins, comme je vous ai dit, il ne faut pas maltraiter cette pauvre fille, laquelle, comme je crois, n'a point d'autre coulpe en son affaire, que celle du vain amusement qu'elle prend en ses vaines imaginations.

 Seulement, ma très-chère soeur, il lui faut témoigner une totale négligence, et un parfait mépris de toutes ses révélations et visions, tout ainsi que si elle racontait des songes ou des rêveries d’une fièvre chaude, sans s'amuser à les réfuter ni combattre, ains au contraire, quand elle en veut parler, il faut lui donner le change, c'est-à-dire, changer de propos, et lui parler des solides vertus et perfections de la vie religieuse, et particulièrement de la simplicité de la foi, par laquelle les saints ont marché, sans visions ni révélations particulières quelconques, se contentant de croire fermement à la révélation de l'Écriture sainte, et de la doctrine apostolique et ecclésiastique.

Inculquant bien souvent la sentence de notre Seigneur, qu'il y aura plusieurs faiseurs de miracles et plusieurs prophètes auxquels il dira à la fin du monde : « Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité : je ne vous connais point (Mt 7,22-23). » Mais pour l'ordinaire il faut dire à cette fille : Parlons de notre leçon que notre Seigneur nous a commandé d'apprendre, disant : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,20). » Et en somme, il faut témoigner un mépris absolu de toutes ces révélations.

Et quant au bon père qui semble les approuver, il ne faut pas le rejeter ni disputer contre lui, ains seulement témoigner, que pour éprouver tout ce trafic de révélations, il semble bon de les mépriser et n'en tenir compte. Voilà donc mon avis pour le présent quant à ce point. Or, quant à la vocation de cette demoiselle, je la tiens pour bonne, bien qu'elle soit mêlée de plusieurs imperfections du côté de son esprit, et qu'il serait désirable qu'elle fût venue à Dieu simplement et purement, pour le bien qu'il y a d'être tout-à-fait à lui. Mais Dieu ne tire pas avec égalité de motifs tous ceux qu'il appelle à soi; ains il s'en trouve peu qui viennent tout-à-fait à son service, seulement pour être siens, et le servir.

Entre les filles desquelles la conversion est illustre en l'Évangile, il n'y eut que la Madeleine qui vint par amour et avec amour : l'adultère y vint par confusion, publique, comme la Samaritaine par confusion particulière : la Chananée vint pour être soulagée en son affliction temporelle : S. Paul, premier ermite, âgé de quinze ans, se retira dans sa spélonque pour éviter la persécution; S. Ignace de Loyola par la tribulation, et cent autres.

Il ne faut pas vouloir que tous commencent par la perfection : il importe peu comme l'on commence, pourvu que l'on soit bien résolu de bien poursuivre et de bien finir. Certes, Léa entra fortuitement et contre la civilité dans le lit de Jacob destiné à Rachel ; mais elle s'y comporta si bien, si chastement et si amoureusement, qu'elle eut la bénédiction d'être la grand'mère de notre Seigneur. Ceux qui furent contraints d'entrer au festin nuptial de l'Évangile ne laissèrent pas de bien manger et de bien boire.

Il faut regarder principalement les dispositions de ceux qui viennent à la religion pour la suite et persévérance ; car il y a des âmes lesquelles n'y entreraient point si le monde leur faisait bon visage, et que l'on voit néanmoins être bien disposées à véritablement mépriser la vanité du siècle. Il est tout certain, ainsi qu'en raconte l'histoire, que cette pauvre fille de laquelle nous parlons n'avait pas assez de générosité pour quitter l'amour de celui qui la recherchait en mariage, si la contradiction de ses parents ne l'y eût contrainte: mais il n'importe, pourvu qu'elle ait assez d'entendement et de valeur pour connaitre que la nécessité qui lui est imposée par ses parents vaut mieux cent mille fois que le libre usage de sa volonté et de sa fantaisie (lisez en Platus, De Fêlai religieux, chap-56, la réponse qu'il a faite à ceux qui disent qu'ils ne peuvent connaître s'ils sont appelés de Dieu), et qu'enfin elle puisse bien dire : Je perdais ma liberté, si je n'eusse perdu ma liberté.

Or, ma très-chère fille, le moyen d'aider cet esprit, pour lui faire connaître son bonheur, c'est de le conduire le plus doucement que l'on pourra aux exercices de l'oraison et des vertus, de lui témoigner un grand amour de votre part et de toutes nos soeurs, satisfaire nul semblant de l'imperfection du motif par lequel elle est entrée, de ne point lui parler avec mépris de la personne qu'elle a aimée; que si elle en parle, il faut renvoyer le propos à Dieu, comme serait de lui dire: Dieu le conduira par le chemin qu'il sait être le plus convenable.

Vous me demandez si on pourra permettre l'entrevue entre eux deux. Je dis qu'à mon avis il ne faut pas reconduire tout-à-fait, si elle est grandement désirée: mais pour le commencement il faut gauchir et biaiser le refus; puis quand vous reconnaîtrez que la fille est bien résolue au parti bienheureux de l'amour de Dieu, vous pourrez permettre deux ou trois entrevues, pourvu qu'ils permettent la présence de deux ou trois témoins ; et si vous en êtes l'une, il faut avec dextérité les aider à se dire adieu, et à louer leurs intentions passées, leur donner le change, et dire qu'ils sont bien heureux de s'être arrêtés au chemin dans lequel la raison les a conduits, et qu'une once du pur amour divin qu'ils se porteront l'un à l'autre désormais, vaut mieux que cent mille livres de l'amour par lequel ils avaient commencé leurs affections.

Il y a une bonne histoire a ce propos es Confessions de S. Jugustm (1), de deux gentilshommes qui avaient épousé deux demoiselles, qui, après avoir renoncé aux prétentions des noces, se firent, à l'imitation les uns des autres, tous quatre religieux.

(1) Liv. VIII, chap. 6.


Et ainsi, sans faire semblant de craindre par trop leurs entrevues, il faut petit à petit les conduire de la voie de l'amour en celle d'une sainte et pure dilection. Si cette fille a l'esprit conditionné, comme l'on m'a dit de votre part, je m'assure que bientôt elle se trouvera toute transformée, et qu'elle admirera la douceur avec laquelle notre Seigneur l'attire en son lit nuptial, parmi tant de fleurs et de fruits odorants tout-à-fait célestes.

Quant à ce que le monde dira de cette vocation, il n'y faut faire nulle sorte de réflexion; car ce n'est pas aussi pour lui qu'on l'accepte. Je fais réponse à cette âme selon mon sentiment ; vous la ménagerez comme vous verrez le mieux à faire.

Quant à mademoiselle N., je dis de même qu'il la faut laisser venir, bien que le choix du lieu témoigne quelque imperfection de tendreté ou de motif mêlé parmi sa vocation ; comme réciproquement il y en peut avoir en l'aversion que notre soeur S. de N. a par aventure de la voir venir de deçà : mais gardez-vous bien de lui dire cette mauvaise pensée qui me vient à l'esprit ; car, au reste, c'est une bien brave soeur, que j'aime parfaitement, parce que, comme je m'assure, elle ne vit pas selon ses sentiments, ses aversions et inclinations, qui lui font désirer l'éclat et la gloire de son monastère, ains plutôt selon l'esprit de la croix de notre Seigneur, qui lui fait perpétuellement renoncer aux saillies de l'amour-propre,

J'avais oublié de vous dire que les visions et révélations de cette fille ne doivent pas être trouvées étranges, parce que la facilité et tendreté de l'imagination des filles les rend beaucoup plus susceptibles de ces illusions que les hommes : c'est pourquoi leur sexe est plus adonné à la créance des songes, à la crainte des péchés, et à la crédulité des superstitions. Il leur est souvent avis qu'elles voient ce qu'elles ne voient pas, qu'elles oient ce qu'elles n'oient pas, et qu'elles sentent ce qu'elles ne sentent point. Plaisante histoire d'une de mes parentes, de laquelle le mari étant mort en Piémont, s'étant imaginée qu'il l'avait laissée grosse, elle demeura en cette imaginaire grossesse quatorze mois, avec des imaginaires douleurs et des imaginaires sentiments des mouvements de l'enfant, et à la fin écria tout un jour et toute une nuit parmi des tranchées imaginaires d'un imaginaire enfantement; et qui l'eût crue à son serment, elle eût été mère sans faire aucun enfant.

Il faut donc traiter cet esprit-là avec le mépris de ces imaginations, mais un mépris doux et sérieux, et non point moqueur ni dédaigneux. Il se peut bien faire que le malin esprit ait quelque part en ces illusions ; mais je crois plutôt qu'il laisse agir l'imagination sans y coopérer par de simples suggestions. La similitude apportée pour l'explication du mystère de la sainte Trinité est bien jolie, mais elle n'est pas hors de la capacité d'un esprit qui se complaît en ses propres imaginations.




LETTRE DXCII.

(Tirée de la vie du Saint, par le père D. Jean S. François.)

Avis du Saint sur l'humilité du coeur et sur les ravissements, etc.

Nous ne devons pas désirer des choses extraordinaires, comme, par exemple, que Dieu nous fasse comme à Ste Catherine de Sienne, nous arrachant le coeur, et en son lieu qu'il nous donne le sien précieux ; mais nous devons souhaiter que nos pauvres coeurs ne vivent plus désormais que sous l'obéissance du coeur de ce Sauveur ; ce sera bien assez pour imiter en ce fait Ste Catherine : en cette sorte nous serons doux, humbles et charitables. Et puisque le coeur de notre Seigneur n'a point de loi plus affectionnée que la douceur, l'humilité et charité, il faut bien tenir ferme en nous ces chères vertus, la douceur envers le prochain et la très-aimable humilité envers Dieu. La vraie sainteté git en la dilection de Dieu, et non pas à faire des niaiseries d'imaginations, de ravissements, qui nourrissent l'amour-propre, dissipent l'obéissance et l'humilité : vouloir faire les extatiques, c'est un abus. Mais venons à l'exercice de la vraie et véritable douceur et soumission, au renoncement de soi-même, à la souplesse de coeur, à l'amour de l'abjection, à la condescendance aux intentions d'autrui; c'est cela qui est la vraie et plus aimable extase des serviteurs de Dieu.




SUITE DU MÊME SUJET.

Quand on voit une personne qui en l'oraison a des ravissements par lesquels elle sort et monte au-dessus de soi-même en Dieu, et néanmoins n'a point d'extases en sa vie, c'est-à-dire ne fait point une vie relevée et attachée à Dieu, par abnégation des convoitises mondaines et mortifications de volontés et inclinations naturelles, par une intérieure douceur, simplicité, humilité, et surtout par une continuelle charité, croyez que tous ces ravissements sont grandement douteux et périlleux ; ce sont des ravissements propres à faire admirer les hommes, mais non pas à les sanctifier. Car quel bien peut avoir une âme d'être ravie à Dieu par l'oraison, si en sa conversation et en sa vie elle est ravie des affections terrestres, basses et naturelles? Etre au-dessus de soi-même en l'oraison, et au-dessous de soi en la vie et en l'opération ; être angélique en la méditation, et bestial en la conversation, c'est clocher de part et d'autre, c'est jurer en Dieu et jurer en Melchom : et, en somme, c'est une vraie marque que de tels ravissements et de telles extases ne sont que des amusements et des tromperies du malin esprit.

Bienheureux sont ceux qui vivent d'une vie surhumaine, extatique, relevée au-dessus d'eux-mêmes, quoiqu'ils ne soient point ravis au-dessus d'eux-mêmes en l'oraison. Plusieurs saints sont au ciel, qui ne furent jamais en extase ou ravissement de contemplation ; car combien de martyrs et de grands saints et saintes voyons-nous dans l'histoire n'avoir jamais eu en l'oraison d'autre privilège que celui de la dévotion et ferveur ! Mais il n'y eut jamais de saint qui n'ait eu l'extase et le ravissement de la vie et de l'opération, se surmontant soi-même et ses inclinations naturelles. En effet, on a vu en notre âge plusieurs personnes qui croyaient elles-mêmes, et chacun avec elles, qu'elles fussent fort souvent ravies divinement en extases; et enfin on découvrait toutefois que ce n'étaient qu'illusions et amusements diaboliques.



LETTRE DXCIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE FAVRE-

Le Saint blâme l'attachement de quelques religieuses à leurs emplois, et l'inconstance d'une autre qui ne se plaisait pas dans le lieu où elle était.

Je ne puis penser, ma très-chère fille, que monseigneur l'archevêque (1) apporte aucun surcroît de lois à votre maison, puisqu'il a vu que celles qu'on a pratiquées sont, grâces à Dieu, bien reçues. Que s'il lui plaisait de faire quelque notable changement, il le faudrait supplier qu'il lui plût de rendre ses ordonnances compatibles à la sainte correspondance que ces maisons doivent avoir toutes ensemble en la forme de vivre; à quoi ces messieurs que vous savez vous assisteront de leurs remontrances et intercessions.

Car, à la vérité, ce serait chose, à mon avis, de mauvaise édification, de séparer et disjoindre l'esprit que Dieu a voulu être un en toutes ces maisons. Mais j'espère en notre Seigneur qu'il vous donnera la bouche et la sagesse convenable en cette occasion (Lc 21,15), pour répondre saintement, humblement et doucement. Vivez toute en cette sacrée confiance, ma très-chère fille.

J'écrivis l'autre jour à nos soeurs de Valence ; et la chère petite douce fondatrice est bien heureuse d'avoir à souffrir quelque chose pour notre Seigneur, qui, ayant fondé l'Église militante et triomphante sur la croix, favorise toujours ceux qui endurent la croix ; et puisque cette petite créature doit demeurer peu en ce monde, il est bon que son loisir soit employé à la souffrance.

J'admire ces bonnes soeurs qui s'affectionnent si fort à leurs charges. Quelle pitié, ma très-chère fille ! Qui n'affectionne que le maître le sert gaiement, et presque également en toutes charges. Je pense que ces filles ainsi faites n'eussent pas été bonnes pour célébrer le mystère d'aujourd'hui (5) : car si Notre-Dame leur eût donné notre Seigneur entre leurs bras, jamais elles ne l'eussent voulu rendre ; mais S. Siméon témoigne bien que, selon son nom (4), il avait la parfaite obéissance, recevant cette douce charge si doucement, et la rendant si joyeusement.



(1) M. l'archevêque de Lyon.

(3) La Présentation de notre Seigneur au temple.

(4) Siméon est un nom qui, en notre langue, signifie une personne qui écoute, une personne obéissante.

J'admire bien encore cette autre soeur qui ne se peut plaire où elle est. Ceux qui ont la santé forte ne sont point sujets à l'air ; mais il y en a qui ne peuvent subsister qu'en changeant de climat. Quand sera ce que nous ne chercherons que Dieu ! O que nous serons heureux quand nous serons arrivés à ce point-là ! car partout nous aurons ce que nous chercherons, et chercherons partout ce que nous aurons. Dieu vous fasse de plus en plus prospérer en son pur amour, ma très-chère fille, avec toutes vos chères soeurs, que je salue, etc.




LETTRE DXCIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE FAVRE;

SOUS LE NOM 1)'UKK DAME.

Le Saint l'encourage à faire un bon usage de ses infirmités et traverses.

Ma très-chère fille, je ne vous puis dire autre-chose sur ce que vous m'écrivez, sinon que Dieu fera plus que les hommes.ne peuvent penser pour cette congrégation, spirituellement et temporellement ; et n'en avons-nous pas d'assez bons gages jusqu'à présent?

Ma très-chère fille, votre coeur tient un rang dans le mien, qui me fait faire sans cesse mille souhaits pour votre consolation et prospérité intérieure. Eh ! mon Dieu, puisque vous avez tiré ce coeur de ma grande fille à vous, perfectionnez-le en votre saint amour. Il le fera, ma fille vraiment chère et bien-aimée, n'en doutez point; mais recueillez souvent les saintes affections et résolutions que nous avons prises.

Ne vous troublez aucunement de vos infirmités, qui ne vous sont données que pour vous affermir. Je compatis grandement à votre peine, quoique je ne doute pas qu'elle ne soit agréable à votre esprit : qu'il l'accepte, comme venant de ce Père céleste, lequel donne les tribulations avec un amour nonpareil aux enfants de sa providence. Souffrez toute votre fièvre en Dieu, et la souffrance vous sera heureuse, ma très-chère grande fille.

Je désire que le zèle de la plus grande gloire de Dieu arde et règne continuellement en votre coeur, et qu'en toute occasion il paroisse par modestie, douceur, humilité et dévotion. Croyez-moi, ma très-chère fille, je vous chéris très-précieusement, et ne manque deux fois le jour de faire oraison spéciale à votre intention. Oh ! que cet amour est doux, qui nous fait aspirer les uns pour les autres au ciel ? Dieu vous bénisse à jamais, ma très-chère fille !




LETTRE DXCV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Les surprises des passions sont inévitables en cette vie. L'amour-propre ne meurt jamais. Vertu de l'indifférence dont la partie sensible de notre âme est incapable. Manière de remédier aux fautes contre l'indifférence.

Oh ! je vois, ma très-chère fille, dedans votre lettre, un grand sujet, de bénir Dieu pour votre aine, en laquelle il tient la sainte indifférence en effet, quoique non pas en sentiment.

Ce n'est rien, ma très-chère fille, que tout ce que vous me dites de vos petites saillies.

Ces petites surprises de passions sont inévitables en cette vie mortelle ; car pour cela le grand apôtre crie au ciel : Hélas ! pauvre homme que je suis (Rm 7,22-23) ! je sens deux hommes en moi, le vieil et le nouveau ; deux lois, la loi des sens et la loi de l'esprit ; deux opérations, de la nature et de la grâce : Eh! qui me délivrera du corps de celle mort? Ma fille, l'amour-propre ne meurt jamais qu'avec nos corps ; il faut toujours sentir ses attaques sensibles ou ses pratiques secrètes, tandis que nous sommes en cet exil ; il suffit que nous ne consentions pas d'un consentement voulu, délibéré, arrêté et entretenu ; et cette vertu de l'indifférence est si excellente, que notre vieil homme, et là portion sensible, et la nature humaine, selon ses facultés naturelles, n'en fut pas capable, non pas même en notre Seigneur, qui, comme enfant d'Adam, quoique étant absent de tout péché et de toutes les appartenances d'icelui en sa portion sensible, et selon ses facultés humaines, n'était nullement indifférent, ains désira ne point mourir en la croix; l'indifférence étant toute réservée, et l'exercice d'icelle, à l'esprit, à la portion suprême, aux facultés embrasées de la grâce, et en somme, à lui-même, selon qu'il était le nouvel homme. Or sus, demeurez donc en paix.

Quand il nous arrive de violer les lois de l'indifférence es choses indifférentes, ou par les soudaines saillies de l'amour-propre et de nos passions, prosternons soudainement, sitôt que nous pouvons, notre coeur devant Dieu, et disons en esprit de confiance et d'humilité : Seigneur, miséricorde! car je suis infirme (Ps 6,3). B elevons-nous en paix et tranquillité, et renouons le filet de notre indifférence ; puis continuons notre ouvrage.

Il ne faut pas ni rompre les cordes, ni quitter le luth, quand on s'aperçoit du désaccord ; il faut prêter l'oreille pour voir d'où vient le détraquement, et doucement tendre la corde ou la relâcher, selon que l'art le requiert.

Demeurez en paix, ma très-chère fille, et écrivez-moi confidemment, quand vous estimerez que ce soit votre consolation : je vous répondrai toujours fidèlement et avec un plaisir particulier, votre âme m'étant chère comme la mienne propre.




LETTRE DXCVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION:

Il faut demeurer en paix en la disposition de la providence divine, sans faire trop de réflexions sur notre incapacité.



Que dirai-je à cette chère fille, qui m'est si fort à coeur? Vivez toute en notre Seigneur, ma très-chère fille; et croyez que pour lui la sainte amitié que je vous porte vit fort entièrement et immortellement en mon esprit. Qu'à jamais puissions-nous périr en nous-mêmes, pour nous retrouver tous en notre Seigneur !

Or sus, vous avez vu que la divine providence a bien disposé, et très-favorablement pour vous, sur la réception de mademoiselle C. Si cette même providence établit une maison à N., elle vous fera voir de même que nous ne savons guère, et que notre prudence doit demeurer doucement en paix, et faire hommage à la divine disposition qui fait tout réussir au bien des siens (Rm 8,28). Oh! que ses cogitations sont différentes des nôtres, et ses voies inconnues à nos sentiments (Is 55,9 Rm 11,53).

Non, ne craignez pas que vos sentiments me fassent rien faire ; car encore que je vous chéris très-parfaitement toutes, si est-ce que je sais bien que vos sentiments ne sont pas vous-mêmes, encore qu'ils soient en vous. Je vous ai assez bien entendue sur votre oraison ; ne vous mettez point sur l'examen pointilleux de ce que vous y faites ; ce que je vous en dis suffira pour le présent.

Demeurez en paix, ne permettez plus tant à votre esprit de faire des réflexions sur votre misère et sur votre capacité; car à quoi est bon tout cela ? Dépendez-vous pas de la providence de Dieu en tout et partout ? Or celui qui habite dans le séjour du Seigneur demeurera en sa protection (Ps 90). N'épiez pas si parfaitement les sentiments de votre aine"; méprisez-les, ne les craignez point, et relevez souvent votre coeur en une absolue confiance en celui qui vous a appelée dans le sein de sa dilection.




LETTRE DXCVII.

(Tirée du monastère de la Visitation de la rue Saint-Antoine.)

H ne faut pas recevoir à la profession avant l'âge compètent. Des sorties hors du monastère.



Qu'on ne reçoive pas avant l'âge. Quant à celles que les pères capucins présentent, il y a moins de hasard, parce qu'on en sera quitte, les gardant quelque temps en leurs habits mondains ; et cela tiendra lieu de première vue.

Je disois, quant aux sorties extraordinaires, qu'il y fallait enfermer les visites des proches parents malades de maladies de conséquence, la visite des églises es jubilés généraux, et de venir à certains sermons célèbres, comme de la passion, et toutes autres occurrences que la congrégation des soeurs, avec l'avis du père spirituel, jugerait dignes de sortir pour quelques insignes charités, comme d'aller visiter quelque insigne bienfaitrice et amie.



LETTRE DXCVin.


S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Les religieuses de la Visitation peuvent faire entrer chez elles leurs bienfaitrices ; elles ne doivent point en bannir les filles qui, ayant failli, se repentent véritablement.

Je ne trouve nul inconvénient qu'on reçoive madame de N, et telle autre bienfaitrice, surtout quand elles ne veulent plus sortir du monastère, ou que du moins elles en veulent sortir peu souvent ; car en cela il n'y a rien de contraire à la bienséance.

Je ne crois pas que les monastères de la Visitation doivent éconduire toutes les filles repentantes. Il faut modérer la prudence par la douceur, et la douceur par la prudence ; il y a quelquefois tant à gagner es âmes pénitentes, qu'on ne leur doit rien refuser.

Il me semble que les balustres doivent être à la grille du choeur comme à celle du parloir.

Je pense qu'oui, ma très-chère mère; qu'il faudra dire qu'avec un peu de loisir on pourra pourvoir à Marseille.

Nos soeurs vous auront écrit que l'on a envoyé des soeurs à Belley, et je vous dis que dans peu de temps il en faudra pour Chambéri.

Madame la duchesse de Mantoue a de grands désirs pour l'avancement de notre institution, c'est une très-digne princesse, et ses soeurs aussi. Notre soeur N. m'écrivit que quelques religieuses, bonnes servantes de Dieu, la contrarient à découvert. Je lui ai écrit un billet, qu'elle demeure en paix. Je ne laisserai jamais sortir de mon esprit, Dieu aidant, cette maxime, «qu'il « ne faut nullement vivre selon la prudence humaine, mais selon la foi de l'Évangile. Ne vous « défendez point, mes très-chers (Rm 12,19), dit S. Paul. « Il faut combattre le mal par le bien (Rm 12,21), l'aigreur par la douceur, et demeurer en paix. » Et ne commettez jamais cette faute, de mépriser la sainteté d'un ordre ni d'une personne pour la faute qui s'y commet sous l'erreur d'un zèle immodéré. Ma très-chère mère, Dieu soit à jamais votre unique dilection.




LETTRE DXCIX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Les religieuses doivent être soumises à la juridiction des évêques.


Ma très-chère mère, je vois des gens de qualité qui pensent grandement, et jugent qu'il faudra que les monastères soient sous l'autorité des ordinaires, à la vieille mode rétablie presque par toute l'Italie, ou sous l'autorité des religieux, selon l'usage introduit dès il y a quatre ou cinq cents ans, observé presque en toute la France.

Pour moi, ma très-chère mère, je vous confesse franchement que je ne puis me ranger pour le présent à l'opinion de ceux qui veulent que les monastères des filles soient soumis aux religieux, et surtout de même ordre, suivant en cela l'instinct du Saint-Siège, qui, où il peut bonnement le faire, empêche cette soumission. Ce n'est pas que cela ne se soit fait et ne se fasse encore à présent louablement en plusieurs lieux ; mais c'est qu'il serait encore plus louable s'il se faisait autrement : sur quoi il y aurait plusieurs choses à dire.

De plus, il me semble qu'il n'y a non plus d'inconvénients que le pape exempte les filles d'un institut de la juridiction des religieux du même institut, qu'il y en a eu à exempter les monastères de la juridiction ordinaire, qui avait une si excellente origine et une si longue possession.

Et enfin il me semble que véritablement le pape a soumis en effet ces bonnes religieuses de France au gouvernement de ces messieurs ; et m'est avis que ces bonnes filles ne savent ce qu'elles veulent, si elles veulent attirer sur elles la supériorité des religieux, lesquels, à la vérité sont des excellents serviteurs de Dieu ; mais c'est une chose toujours dure pour les filles, que d'être gouvernées par les ordres, qui ont coutume de leur ôter la sainte liberté de l'esprit. O ma très chère mère ! Je salue votre coeur qui m'est précieux comme le mien propre. Vive Jésus,




LETTRE DC.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Eloge de la soeur assistante d'un monastère de la Visitation. On peut recevoir, contre le sentiment de la prudence humaine, une fille qui, ayant un caractère vicieux, se comporte par l'esprit de la grâce, et fait violence à la nature.



Ma très-chère mère, enfin Dieu a voulu que ma soeur N. soit demeurée assistante par la pluralité des voix, et il veut toujours le mieux; car c'est une bonne femme sage, constante et véritable servante de notre Seigneur ; un peu sèche et froide de visage, mais bonne de coeur, courte en paroles, mais moelleuse. Nous ne faisons guère de préface elle et moi, ni d'appendices non plus.

Mais il faut que je vous dise que votre soeur N. est une fille tout-à-fait admirable en paroles, en maintien, en effet ; car tout cela respire la vertu et piété.

Je suis tout-à-fait de votre avis et de celui de notre bon père N., pour ma soeur N. Qu'une fille soit de tant mauvais naturel qu'on voudra, mais quand elle agit en ses essentiels déportements par la grâce, et non par la nature, selon la grâce, et non selon la nature, elle est digne d'être recueillie avec amour et respect, comme temple du Saint-Esprit, loup par nature, mais brebis par grâce. O ma mère ! je crains souverainement la prudence naturelle au discernement des choses de la grâce : et si la prudence du serpent n'est détrempée en la simplicité de la colombe du St-Esprit, elle est tout-à-fait vénéneuse.

J'admire ces bons pères qui croient qu'on doive ajouter que l'on fait voeu aux supérieurs : s'ils voyaient la profession des bénédictins, qui est la profession des plus anciens et peuplés monastères, ils auraient donc bien à discourir ; car il n'y est fait mention quelconque, ni des supérieurs, ni des voeux de chasteté, pauvreté et obéissance, ains seulement de stabilité au monastère, et delà conversion des moeurs selon la règle de saint Benoit. Qui promet l'obéissance selon les constitutions de Sainte-Marie, promet l'obéissance et l'observance des voeux à l'église et aux supérieurs de la congrégation au monastère. En somme, il faut demeurer en paix ; car qui voudra hieshui ouïr tout se qui se dira, aura fort à faire.




LETTRE DCI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE FAVRE.

Le Saint l'instruit des avis qu'elle doit donner aux postulantes avant leur vêture.

Je vous seconderai le plus doucement qu'il me sera possible, ma très-chère fille, en votre juste intention ; bien qu'entre nous il n'y a ni second ni premier, ains une simple unité. J'ai pensé que peut-être il serait à propos demain, qu'avant de venir à la sainte messe, vous fissiez appeler toutes vos filles vers vous, et puis que vous fissiez venir les deux qui doivent être reçues, et qu'en présence des autres vous leur disiez trois ou quatre paroles en ce sens :

Avertissements aux postulantes de la Visitation de Sainte-Marie, que les supérieures peuvent leur donner avant la messe devant toute la communauté, le jour qu'elles prennent l'habit.

Vous nous avez demandé d'être reçues entre nous pour y servir Dieu en unité de même esprit et de même volonté; et, espérant en la bonté divine que vous vous rendrez bien affectionnées à ce dessein, nous sommes pour vous recevoir ce matin au nombre de nos soeurs novices, pour, selon l'avancement que vous ferez en la vertu, vous recevoir par après à la profession, dans le temps que nous aviserons. Mais, avant que de passer plus outre, pensez derechef bien en vous-mêmes à l'importance de ce que vous entreprenez ; car il serait bien mieux de n'entrer pas parmi nous, qu'après y être entrées donner quelque occasion de n'être pas reçues à la profession : que si vous avez bonne volonté, vous devez espérer que Dieu vous favorisera.

Or, entrant céans, sachez que nous ne vous y recevons que pour vous enseigner tant que nous pourrons, par exemples et avertissements, à crucifier votre corps par la mortification de vos sens et appétits de vos passions, humeurs et inclinations, et propre volonté; en sorte que tout cela soit désormais sujet à la loi de Dieu et aux règles de cette congrégation.

Et à cet effet, nous avons commis la peine et le soin particulier de vous exercer et instruire, à ma soeur de Brechart ci-présente, à laquelle partant vous serez obéissante, et l'écouterez avec respect et tel honneur, qu'on connaisse que ce n'est pas pour la créature que vous vous soumettez à la créature, mais pour l'amour du Créateur, que vous reconnaissez en la créature ; et quand nous commettrions une autre, quelle qu'elle fût, pour être votre maîtresse, vous devriez lui obéir avec toute humilité pour la même raison, sans regarder en )a face de celle qui gouvernera, mais en la face de Dieu qui l'a ainsi ordonné.

Vous entrerez donc dans cette école de notre congrégation, pour apprendre à bien porter la croix de notre Seigneur par abnégation, renoncement de vous-mêmes, résignation de vos volontés, mortification de vos sens ; et moi je vous chérirai cordialement, comme votre soeur, mère, et servante : toutes nos soeurs vous tiendront pour leurs soeurs très-aimées.

Cependant vous aurez ma soeur de Brechart pour maîtresse, à laquelle vous obéirez, et suivrez ses avertissements avec humilité, sincérité et simplicité, que notre Seigneur requiert en toutes celles qui se rangeront en cette congrégation.

Vous vous tromperiez bien, si vous pensiez être venues, pour avoir plus grand repos qu'au monde ; par, au contraire, nous ne sommes ici assemblées que pour travailler diligemment à déraciner nos mauvaises inclinations, corriger nos défauts, acquérir les vertus. Mais bienheureux est le travail qui nous donnera le repos éternel.

Suite de la lettre.

Or je dis pas, ma très-chère fille, que vous disiez ni ces paroles, ni tout ceci ; mais ce que vous verrez à propos, plus pour l'édification et réveil des autres que pour celles-ci.

Je trouverais encore bon qu'après que vous aurez tiré quelque promesse d'elles, qu'elles se comporteront bien, vous ajoutassiez :



Continuation des avis.

Bénies seront celles qui vous donneront bon exemple, et qui vous consoleront dans votre entreprise. Amen.

Conclusion de la lettre.

Voilà ce que j'ai pensé, de quoi vous pourrez vous servir, si vous l'estimez à propos. Bonsoir, ma très-chère mère, ma fille vraiment. Vive Jésus et Marie. Amen.




LETTRE DCII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MERE FAVflE.

(Tirée du monàst, de la ville de Grenoble.)

Il lui envoie une lettre de recommandation pour l'évêque de Clermont, et lui apprend, quelques nouvelles de sa congrégation, de sa famille, et de quelques autres personnes.

Ma très-chère fille, voilà une lettre pour monseigneur de Clermont, puisque vous l'avez voulu, et je dis ainsi, parce que n'ayant pas l'honneur d'être connu de ce prélat, je ne pense pas que ma lettre puisse ajouter aucun degré de chaleur à son saint zèle.

Je crois que vous pourrez rester encore là quelques mois, ne voyant encore rien de prêt à Turin, quoique monseigneur le prince persévère à dire que tout se fera. Au contraire, la signora dona G-enevra, lassée de tant de remises, viendra peut-être ici commencer son noviciat. Vous savez la bonne troupe qui est proche d'ici, où nous avons encore la soeur Peronne-Marie, qui est en vérité une très-excellente fille. Elle partira demain pour retourner à Grenoble, d'où elle avait amené une rare fille pour faire le nombre nécessaire pour Nevers, Orléans et Paris.

Je loue Dieu que votre arrivée en ce pays-là a été accueillie avec tant de joie, et j'espère que la suite sera toujours correspondante ; car les amis de Dieu sont trop plus honorés (Ps 138,17).

Vous avez en ce pays-là le bon père Théodose, capucin, mon grand ami, à qui j'écrirai au premier jour; et le bon père Anselme de Rome, qui m'aime incomparablement, et qui demeure à Riom, et je m'assure qu'il vous ira voir.



Notre bon monsieur le premier est presque tout-à-fait remis, et attendons qu'il nous assigne le temps pour venir ici à la récréation, et faire le baptême du petit Charles-Chrétien. Madame notre présidente ma nièce est une vraie soeur de la Visitation du dehors.

J'attends la consécration de mon frère pour me préparer au voyage mais avant mon départ vous aurez une fois de. mes nouvelles.

Tout à vous, etc.




LETTRE DCIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION. ,

Choix de jeunes filles destinées pour être envoyées en France. Une supérieure de la Visitation ayant consulté le Saint à l'égard d'une fille qui avait une conduite extraordinaire, il répond qu'il faut l'examiner de près et avec loisir, et l'éprouver par des emplois vils. Quand la présence du père spirituel est nécessaire pour les contrats. Il faut faire un juste choix des livres qu'il convient de faire lire à la communauté. On doit parler avec retenue des voies par lesquelles Dieu nous conduit. En quel cas les saillies de l'amour-propre ne sont pas dangereuses. Pourquoi Dieu nous laisse nos mauvaises inclinations. Il ne veut pas d'empressement dans son service.

Voilà que dès avant-hier, nous sommes dans le choix des filles qu'il faut envoyer en France, ma très-chère fille? Et notre mère m'écrit que vous lui en donnerez une, et la maison de Lyon une autre, qui, avec les huit que nous en fournirons, feront le nombre qu'elle désire. Mais je ne sais pas encore comme nous ferons pour aller prendre la vôtre. Or, on y pensera; et cependant parmi ce tracas, je vous réponds, ma très-chère fille, le plus courtement que je pourrai.

Je vois en cette soeur (Anne-Marie), je ne sais quoi de bien bon, et qui me plait. Il y a un peu d'extraordinaire qui doit être considéré sans empressement, afin qu'il n'y arrive point de surprise, ni du côté de la nature qui se flatte souvent par l'imagination, ni du côté de l'ennemi lui nous divertit souvent des exercices de la solide vertu, pour nous occuper en ces actions spécieuses. Il ne faut pas trouver étrange qu'elle ne soit pas si exacte à faire ce qu'elle fait : car cela arrive souvent aux personnes qui :sont attachées à l'intérieur, et ne se peuvent tout-à-coup, si bien ranger en toutes choses ; de sorte qu]en un mot il faut empocher qu'elle ne fasse grand cas de ces vues, de ces sentiments et douleurs, ains que, sans faire beaucoup de réflexion sur tout cela, elle fasse en simplicité les choses auxquelles on l'emploie. On là pourra retirer de la cuisine, après qu'elle y aura encore servi quelque temps. O que cette cuisine est excellente et aimable, parce qu'elle est vile et abjecte !

On peut retirer les soeurs du choeur au rang des associées, et les associées au rang de celles du choeur, quand la raison le requiert, ainsi qu'il est dit des soeurs domestiques (1) au premier chapitre des constitutions.

(I) Des soeurs converses.



Si je vais à Rome, je m'essaierai de servir madame de Sautereau en son désir.

De savoir quand es contrats il est requis que le père spirituel soit présent ou non, cela dépend de la nature des contrats; car il y en a où cela est requis, et des autres où cela n'est pas requis, comme l'évêque en quelques contrats a besoin de la présence de son chapitre, en des autres non. C'est aux gens d'intelligence de marquer cela es occasions; car on n'en saurait faire une règle générale.

Il y a quelquefois de l'incommodité ; mais on ne saurait comme l'ôter, sans tomber en une plus grande. Que M. Dutine se nomme votre père spirituel, ou non, dans les contrats, cela ne fait ni froid, ni chaud ; car ce nom là se peut entendre en diverses sortes.

On peut lire le livre de la Volonté de Dieu jusques au dernier, qui, étant assez intelligible, pourrait être entendu mal à propos par l'imagination des lectrices, lesquelles, désirant ces unions, s'imagineraient aisément de les avoir, ne sachant seulement pas ce que c'est.

J'ai vu des femmes religieuses, non pas de la Visitation, qui, ayant lu les livres de la mère Thérèse, trouvaient pour leur compte qu'elles avaient tout autant de perfections et d'actions d'esprit comme elle, bien qu'elles en fussent bien éloignées, tant l'amour-propre nous trompe. Cette parole, « Notre Seigneur souffre en moi telle ou telle chose », est tout-à-fait extraordinaire ; et bien que notre Seigneur ait dit quelquefois qu'il souffrait en la personne des siens pour les honorer, si est-ce que nous ne devons parler si avantageusement de nous-mêmes ; car notre Seigneur ne souit're qu'en la personne de ses amis et serviteurs fidèles; et de nous vanter- où prêcher pour tels, il y a un peu de présomption ; souvent l'amour-propre est bien aise de s'en faire accroire.

Quand le médecin doit entrer dans le monastère pour quelque malade, il suffit qu'il ait licence au commencement par écrit, et elle durera jusqu'à la fin de la maladie; le charpentier et le maçon, jusqu'à la fin de l'oeuvre pour laquelle il entre.

Votre chemin est très-bon, ma très-chère fille; et n'y a rien à dire, sinon que vous allez trop considérant vos pas, crainte de choir. Vous faites trop de réflexion sur les saillies de votre amour-propre, qui sont sans doute fréquentes, mais qui ne seront jamais dangereuses, tandis, que tranquillement, sans vous ennuyer de leur importunité, ni vous étonner, de leur multitude, vous direz non. Marchez simplement, ne désirez pas tant le repos de l'esprit, et vous en aurez davantage.

De quoi vous mettez-vous en peine ? Dieu est bon, il voit bien qui vous êtes: vos inclinations ne vous sauraient nuire, pour mauvaises qu'elles soient, puisqu'elles ne vous sont laissées que pour exercer votre volonté supérieure à faire une union à celle de Dieu plus avantageuse. Tenez vos yeux haut élevés, ma très-chère fille, par une parfaite confiance en la bonté de Dieu. Ne vous empressez point pour lui; car il a dit à Marthe (Lc 10,41) qu'il ne le voulait pas, ou du moins qu'il trouvait meilleur qu'on n'eût point d'empressement, non pas même à bien faire.

N'examinez pas tant votre amé de ses progrès. Ne veuillez pas être si parfaite, mais à la bonne foi faites votre vie dans vos exercices, et dans les actions qui vous occurrent de temps en temps. Ne soyez point soigneuse du lendemain. Quant à votre chemin, Dieu qui vous a conduite jusqu'à présent, vous conduira jusqu'à la fin. Demeurez tout-à-fait en paix, sur la sainte et amoureuse confiance que vous devez avoir en la douceur de la providence céleste.

Priez toujours bien dévotement notre-Seigneur pour moi qui ne cesse de vous souhaiter la suavité de son saint amour, et en icelui celle de la dilection bienheureuse du prochain, que cette souveraine majesté aime tant. Je m'imagine que vous êtes là en ce bel air, où vous regardez comme d'un saint ermitage le monde qui est en bas, et voyez-le ciel, auquel vous aspirez, à découvert. Je vous assure, m'a très-chère fille, que je suis grandement vôtre, et crois que vous faites bien de vivre totalement dans le giron de la Providence divine, hors de laquelle tout n'est qu'affliction vaine et inutile.

Dieu soit à jamais au milieu de votre coeur. Amen.




LETTRE DCIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA-MÈRE FAVRE.

Le Saint lui témoigne son chagrin sur quelque contre temps arrivé aux filles de Sainte-Marie. Il respecte les personnes qui en étaient cause. Il ne veut pas qu'on suive le mouvement de la sagesse mondaine, mais l'esprit de l'Évangile.

Ma très-chère fille, cette brouillerie me tient en peiné jusqu'à ce que je sache qu'elle soit accoisée. L'ennemi qui a vu que c'était tout de bon que ce petit institut s'augmentait pour la gloire de Dieu, a suscité cette bourrasque, et encore une autre contradiction, de la part de certaines servantes de Dieu que j'honore infiniment, et crois que leur rare piété ne leur permettra pas de vivre longuement sans se remettre sur le train d'une pure et simple dilection de Dieu et du prochain.

Sa divine bonté nous veuille à jamais défendre de la prudence et sagesse, et des saillies de l'esprit humain, et nous fasse tout-à-fait vivre eu la suite de l'esprit du saint Évangile, qui est simple, doux, amiable, humble, et qui aime le bien en tous, pour tous et partout où il est, et qu'il nous fait tellement aimer notre vocation, que nous n'en aimons pas moins les autres, ce qui nous fait parler avec véritable sentiment d'honneur, de respect et d'amour, de tout ce que Dieu veut être en son Église pour le bien de ses enfants et pour son service. Ce grand Dieu vive à jamais en votre âme, ma très-chère fille, et je salue toutes nos chères soeurs.


LETTRE DCV, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION, QUI ALLAIT ÉTABLIR UN MONASTERE CE SON ORDRE.

(Communiquée par M. Techener, libr.-édit.)

Le Saint l'encourage par la vue de l'excellence de cet emploi, ensuite il lui donne les avis dont elle a besoin. Il lui recommande une parfaite confiance en Dieu, une grande humilité, l'obéissance, la simplicité, la charité, la douceur, la paix intérieure, l'égalité d’humeur, la justice, la prudence, la fidélité à la grâce.


Le service que vous ailes rendre à notre Seigneur et à la très-glorieuse mère est apostolique: car vous ailes assembler, ma très-chère fille, plusieurs âmes en une congrégation, pour les conduire comme une nouvelle bande à la guerre spirituelle contre le monde, le diable et la chair, en faveur de la gloire de Dieu ; ou plutôt vous ailes former un nouvel essein d'abeilles, qui en une nouvelle ruche fera le raesnage du divin amour plus délicieux que le miel. Or, ailes donq toutes courageuses en une parfaite confiance sur la bonté de celui qui vous appelle à cette sainte besognê. Quand est-ce qu'aucun espéra en Dieu, et qu'il fut confus (Si 2,11) ?

La défiance que vous avez de vous-même est bonne, tandis qu'elle servira de fondement à la confiance que vous devez avoir en Dieu ; mais si jamais elle vous portait quelque découragement, inquiétude, chagrin et mélancolie, je vous conjure de la rejeter comme la tentation des tentations, et ne permettes jamais à vostre esprit de disputer et répliquer en faveur de l'inquiétude ou de l'abattement de coeur auquel vous vous sentirez penchée. Car cette simple vertu est toute certaine, que Dieu permet arriver beaucoup de difficultés à ceux qui entreprennent son service, mais jamais pourtant il ne les laisse tomber sous le faix tandis qu'ils se confient en luy. C'est en un mot le grand mot de votre affaire, de ne jamais employer votre esprit pour disputet; en faveur de la tentation du découragement, sous quel prétexte que ce soit, non pas même quand ce serait sous le spécieux prétexte de l'humilité.

L'humilité, ma très-chère fille, faict refus des charges, mais elle n'opiniastré pas le refus, et étant employée par ceux qui ont le pouvoir, elle ne discourt plus sur son indignité quant à cela, ains croit tout, espère tout, supporte tout avec la charité; elle est toujours simple. La sainte humilité est grande partisane de l'obéissance : et comme elle n'ose jamais penser de pouvoir chose quelconque, elle pense aussi toujours que l'obéissance peut tout ; et comme la vraie simplicité refuse humblement les charges, la vraie humilité les exerce simplement.

Votre corps est imbécile ; mais la charité, qui est la robe nuptiale, couvrira tout cela, Une personne imbécile excite à un saint support tous ceux qui la connaissent, et donne même une tendreté de dilection particulière, pourvu qu'elle témoigne de porter dévotement et amiablement sa croix.

Il faut être également franche à prendre et demander les remèdes, comme douce et courageuse à supporter le mal. Qui peut conserver la douceur emmi les douleurs et allangourissemens, et la paix entre le tracas et multiplicité d'affaires, il est presque parfait : et, bien qu'il se trouve peu de gens es religions même, qui aient atteint à ce degré de bonheur, si est-ce qu'il y en a pourtant, et y en a eu en tout temps, et faut aspirer à ce haut point. Chacun presque a de l'aisance à garder certaines vertus, et de la difficulté à garder les autres, et chacun dispute pour la vertu qu'il observe aisément, et tâche d'exagérer les difficultés des vertus qui lui sont malaisées. Il y avait dix Vierges, et il n'y en avait que cinq qui eussent l'huile de la douceur miséricordieuse et débonnaireté. Cette égalité d'humeur, cette douceur et suavité de coeur, est plus rare que la parfaite chasteté, mais elle n'en est que plus désirable : je la vous recommande, ma très-chère fille, parce qu'à icelle, comme à l'huile de la lampe, tient la flamme du bon exemple, n'y ayant rien qui édifie tant que la charitable débonnaireté.

ïenes bien la balance droite entre vos filles, à ce que les dons naturels ne vous fassent point distribuer iniquement vos affections et vos bons offices. Combien y a-t-il de personnes maussades extérieurement qui sont très-agréables aux yeux de Dieu ! La beauté, la bonne grâce, le bien parler, donnent souvent des grands attraits aux personnes qui vivent encore selon les inclinations ; la charité regarde la vraye vertu et la beauté cordiale, et se répand sur tous sans partialité.

Ailes donq, ma chère fille, à l'oeuvré pour laquelle Dieu vous a élue : il sera à votre dextre, afin que nulle difficulté ne vous esbranle ; il vous tiendra de sa main, afin que vous suiviez sa voie. Ayes un courage, non-seulement grand, mais de grande haleine et de grande durée ; et; pour l'avoir, demandes-le souvent à celui qui seul peut le donner, et il le vous donnera, si en simplicité de coeur vous correspondes à sa grâce.

L'amour et paix et consolation du Saint-Esprit soit à jamais en votre âme! Amen. Vous estes, ma fille, et d'une dilection paternelles je vous donne la sainte bénédiction de Dieu. Bénie soyez-vous, en allant, en demeurant, eu servant Dieu, en servant le prochain, et vous humiliant jusque dans votre néant en vous relevant jusque dedans votre tout; et Dieu soit très-uniquement votre tout, ma très-chère fille ! Amen.




LETTRE DCVI.

s. françois de sales, a une supérieure de la Visitation:

Les religieuses d'un institut ne doivent pas mépriser celles d'un autre ordre. Il faut travailler à acquérir l'humilité, dont le démon est l'ennemi, et supporter avec douceur d'être méprisé des autres.

Ma fille, gardez-vous bien de correspondre en sorte quelconque à ces bonnes soeurs, ni à leur fondatrice, sinon par une très-invariable humilité, douceur et naïveté de coeur. « Ne vous défendez nullement, ma très-chère fille (Rm 12,19) ; «ce sont les propres paroles du Saint-Esprit, écrites par S. Paul. Il y a quelquefois des tentations humaines parmi les serviteurs et servantes de Dieu : si nous sommes animés de là dilection nous les supporterons en paix.

Si ces bonnes âmes méprisent notre institut, parce qu’il leur semble moindre que le leur, elles contreviennent à la charité, éh laquelle les fortes ne méprisent point les faibles; ni lés grandes les petites. Il est vrai, elles sont plus que vous : mais les séraphins méprisent-ils les petits anges? et au ciel, où est l'image sur laquelle nous nous devons former, les grands saints méprisent-ils les moindres? mais après tout cela; en somme; qui plus aimera sera le plus aimé, et qui aura le plus aimé sera le plus glorifié. Aimez bien Dieu; et pour l'amour de Dieu toutes créatures, notamment celles qui vous mépriseront ; et ne vous mettez point en peiné.

Le malin esprit fait des efforts, parce qu'il voit que ce petit institut est utile au service et à la gloire de Dieu ; et il le hait particulièrement, parce qu'il est petit et le moindre de tous : car cet esprit est arrogant, et hait la petitesse, parce qu'elle sert à l'humilité, lui qui a toujours aimé la hauteur, la fierté et l'arrogance, et qui, pour n'avoir pas voulu demeurer en sa petitesse, a perdu sa grandeur. Travaillez en l'humilité, en l'abjection ; laissez dire et faire. Si Dieu ne bâtit là maison, eh vain travailleront ceux qui l'édifient (Ps 127,1) ; et si Dieu la bâtit, en vain travailleront ceux qui la veulent détruire. Dieu sait quand et de quelles âmes il remplira votre monastère. Demeurez en paix ; et je suis votre, etc.






LETTRE DCTII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Le saint lui écrit au sujet d'une fille qui, dans un monastère de Sainte-Marie, voulait faire plus d'oraison que la communauté. Il fait voir que son institut est une école de vertu qui conduit toutes les filles qui y entrent à la perfection, par des moyens dont le plus convenable est la parfaite obéissance et la mort de la propre volonté, à laquelle la dévotion même doit être soumise.

Ma très-chère fille, je vous dirai sur la difficulté qu'a cette bonne fille, qu'elle se trompe grandement si elle croit que l'oraison la perfectionne sans l'obéissance, laquelle est la chère vertu de l'Époux ; en laquelle, par laquelle et pour laquelle il à voulu mourir. Nous savons par les histoires et par expérience que plusieurs religieux et autres ont été saints sans l'oraison mentale; mais sans l'obéissance, nul.

C'est bien fait, ma très-chère fille ; il ne faut point.de réserve ni de condition; car qui recevrait des âmes en cette sorte, la congrégation se verrait toute pleine du plus fin et par conséquent du plus dangereux amour-propre qui soit au monde : l'une mettrait en condition de communier tous les jours, l'autre d'ouïr trois messes, l'autre de faire quatre heures d'oraison, l'autre de servir toujours les malades; et, parce moyen, chacune suivrait son humeur ou sa présomption, en lieu de suivre notre Seigneur crucifié.

Il faut que celles qui entreront sachent que la congrégation n'est laite que pour servir d'école et de conduite à la perfection, et que l'on y acheminera toutes les filles par les moyens les plus convenables, et que les plus convenables seront ceux qu'elles ne choisiront point. Qui se gouverne soi-même, dit S. Bernard, il a un grand fou pour- gouverneur. Qu'elle demeure donc en paix entre les bras de sa mère, qui la portera et la mènera par le bon chemin.

Il faut aimer l'oraison, mais il la faut aimer pour l'amour de Dieu. Or, qui l'aime pour l'amour de Dieu n'en veut qu'autant que Dieu lui en veut donner ; et Dieu n'en veut donner qu'autant que l'obéissance permet. Si donc cette fille (que j'aime néanmoins bien fort, pour le bien que vous m'en dites) se veut perfectionner à sa guise, il la faut remettre à elle-même ; mais je ne crois pas, si elle est bien dévote, et qu'elle ait le vrai esprit d'oraison, qu'elle ne se soumette à la pure obéissance. Elle est trop prévoyante de dire que, pour un peu de temps, elle s'accommodera à ne faire que demi-heure, mais pour toujours, qu'il lui fâcherait.

La vraie servante de Dieu n'est point soigneuse du lendemain : elle fait fidèlement ce qu'il désire aujourd’hui, demain elle fera ce qu'il désirera ; et, passé demain, ce qu'il désirera, sans dire ni ceci ni cela. C'est ainsi qu'il faut unir sa volonté, non au moyen de servir Dieu, mais à son service et à son bon plaisir. Ne soyez point soigneuse du lendemain, et ne dites point: Que mangerons-nous? ni, De quoi nous vêtirons-nous ? ni, De quoi vivrons-nous ? Votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela : cherchez seulement le règne de Dieu, et toutes choses vous seront données (Mt 6,31-33). Cela s'entend du spirituel comme du temporel.

Que donc cette fille prenne un coeur d'enfant, une volonté de cire, et au esprit nu et dépouillé de toutes sortes d'affections, hormis de celle d'aimer Dieu ; et quant aux moyens de l'aimer, ils lui doivent être indifférents.

Vivez doucement et saintement entre les peines que vous avez sous votre charge, ma très-chère fille, toute bien aimée ; et je prie Dieu qu'il soit la vie de votre âme. Amen.




LETTRE DCVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A LA MÈRE FAVRE.

Les personnes qui vivent en communauté ne doivent pas ambitionner de faire tout ce que font les autres, excepté ce qui est de règle, mais se conduire chacune selon la mesure de sa grâce et la direction des personnes chargées de la conduire.

Ma très-chère grande fille, selon mon avis il n'y aura point d'inconvénient de laisser communier cette bonne soeur ; ains il faut, s'il est possible, arracher aux soeurs de la congrégation cette imperfection ordinaire aux femmes et filles, de la vaine et jalouse imitation. Il les faut affermir, s'il est possible, à ne vouloir pas toutes faire tout ce que les autres font, ains seulement à vouloir tout ce que les autres veulent; c'est-à-dire à ne faire pas toutes les mêmes exercices, fors ceux de la règle.

Ains que chacune marche selon le don de Dieu ; mais que toutes aient cette unique et simple prétention de servir Dieu, ayant ainsi toutes une même volonté, une môme entreprise, un même projet, avec une grande résignation d'y parvenir, une chacune selon les moyens que la supérieure et le père spirituel jugeront expédients ; en sorte que celles qui communient plus souvent n'estiment pas moins les autres qu'elles, puisqu'on s'approche maintes fois plus près de notre Seigneur en s'en retirant avec humilité, qu'en s'en approchant selon notre goût propre ; et que celles qui ne communient pas si souvent ne se laissent point emporter à la vaine émulation.

Il est vrai qu'il ne faut pas permettre que la règle soit outrepassée, sinon rarement, et pour des sujets pareils à celui-ci. Ma très-chère fille, que nous serons heureux si nous sommes fidèles ! Mon âme salue cordialement votre esprit, que Dieu bénisse de sa très-sainte main! Amen.



LETTRE DCIX, A LA MERE DE CHANTAL A BOURGES (fragment).

1514
F. de Sales, Lettres 1549