Sales, Controverses 320

ARTICLE PREMIER

DU NOM DE PURGATOIRE

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Nous soutenons donques que l’on peut prier pour les fidèles trépassés, et que les prières et bonnes actions des vivants les soulagent beaucoup, et leur sont profitables; parce que tous ceux qui meurent en la grâce de Dieu, et par conséquent du nombre des élus, ne vont pas tous du premier abord en Paradis, mays plusieurs vont au Purgatoire où ilz souffrent une peine temporelle, a la délivrance de laquelle nos prières et bonnes actions peuvent aider et servir. Et voyci le gros de notre difficulté. Nous sommes d’accord que le Sang de notre Rédempteur est le vray purgatoire des âmes, car en celuy-ci sont nettoyées toutes les âmes du monde; dont saint Pol parle aux hébreux " purgationem peccatorum facientem : les tribulations aussi sont certains purgatoires, par lesquelles nos âmes sont rendues pures, comme l’or est affiné en la fournaise. La pénitence et contrition est encoresun certain purgatoire, dont David dict au psaume 50 " asperges me Domine, hyssopo et mundabor : on saÿe bien aussi que le Baptesme par lequel nos péchés sont lavés, peut estre appelé purgatoire, et tout ce qui sert a la purgation de nos offenses. Mays ici, nous appelons Purgatoire, un lieu dans lequel, apres ceste vie, les âmes qui partent de ce monde avant d’estre complètement purifiées des souillures qu’elles ont contractées, ne pouvant rien entrer en Paradis qui ne soit pur et net, sont arrêtées pour y estre nettoyées et purifiées. Que si l’on veut savoir pourquoy ce lieu est plutost simplement appelé Purgatoire que les autres moyens de purgation rappelés ci-dessus, on répondra que c’est parce qu’en ce lieu-la, on n’y faict autre que la purgation des tâches qui sont restées au partir de ce monde, et qu’au Baptesme, pénitence, tribulations et autres, non seulement l’âme s’épure de ses imperfections, mays s’enrichit encoresde plusieurs grâces et perfections; qui a faict laisser le nom de Purgatoire a ce lieu de l’autre siècle, lequel, a proprement parler, n’est autre que pour la purification des âmes. Et quant au Sang de Nostre Seigneur, nous reconnaissons tellement la vertu de celuy-ci, que nous protestons par toutes nos prières que la purgation des âmes, soit en ce monde, soit en l’autre, ne se faict que par son application; plus jaloux de l’honneur dû a ceste précieuse médecine que ceux qui, pour la priser en méprisent le saint usage. Donques par le Purgatoire, nous entendons un lieu où les âmes, pour un temps, sont purgées des tâches et imperfections qu’elles emportent de ceste vie mortelle.



ARTICLE II

DE CEUX QUI ONT NIE LE PURGATOIRE, ET DES MOYENS DE LE PROUVER

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Ce n’est pas une opinion reçue a la volée que l’article du Purgatoire : il y a longtemps que l’Eglise a soutenu ceste créance envers tous et contre tous. Et il semble que le premier a l’avoir combattu semble l’hérétique Arius, ainsi qu’en témoignent saint Augustin, saint Epiphane et Socrates. Apres vinrent certaines gens qui s’appelaient Apostoliques du temps de saint Bernard, puis les Pétrobusiens, il y a environ 500 ans qui niaient encore ce mesme article, comme écrit saint Bernard, et Pierre de Cluny. Ceste mesme opinion des Pétrobusiens fut suivie par les Vaudois, en l’année 1170, et quelques grecs furent soupçonnés en cet endroit, de quoy ilz se justifièrent au Concile de Florence, et en leur apologie présentée au Concile de Bâle.

Enfin, Luther, Zwingli, Calvin et ceux de leur parti ont tout nié du Purgatoire, car bien que Luther, in Disputatione Lipsica, dict quil croyaÿe fermement quil y avoit un Purgatoire, si ce n’est qu ‘apres il s’en dédict dans le livre De abroganda missa privata. Enfin, c’est l’ordinaire de toutes les factions de notre âge de se moquer du Purgatoire, et mépriser les prières pour les trépassés, mays l’Eglise Catholique s’est opposée vivement a ces derniers, avec l’Escriture Sainte en main, de laquelle nos prédécesseurs ont tiré plusieurs belles raysons.

Car elle a prouvé que les aumônes, prières, et autres saintes actions pouvaient soulager les trépassés; donques, il s’ensuit quil y a un Purgatoire, car ceux de l’Enfer ne peuvent avoir aucun secours en leurs peines; en Paradis, tout bien y étant, nous ne pouvons rien apporter pour ceux qui y sont déja. C’est donques pour ceux qui sont dans un troisième lieu que nous appelons Purgatoire. Elle a prouvé qu’en l’autre monde, quelques défunts étaient délivrés de leurs peines et péchés; ce qui ne pouvaÿe se faire ni en Enfer, ni en Paradis, il s’ensuit quil y a un Purgatoire. Elle a prouvé que plusieurs âmes avant d’arriver en Paradis passaient par un lieu de peine, qui ne peut estre que le Purgatoire. Prouvant que des âmes sous terre rendaient honneur et révérence a Nostre Seigneur, elle a prouvé l’existence du Purgatoire, puysque cela ne se peu penser des pauvres misérables qui sont en Enfer. Par plusieurs autres passages, avec diversité de conséquences toutes neanmoins bien a propos, en quoy l’on doit d’autant plus déférer a nos Docteurs, que les passages quilz allèguent maintenant on été apportés a ce propos par ces grands anciens Peres, sans que pour défendre cet article, nous soyons allés forger de nouvelles interprétations, ce qui montre assez la candeur avec laquelle nous cheminons en besogne, la où nos accusateurs tirent des conséquences de l’Escriture qui n’ont jamays été pensées auparavant, ainsi sont mises tant de frais en œuvre pour combattre l’Eglise.

Or, nos raysons seront en cet ordre : 1. Nous cotterons les passages de l’Escriture, puis des Conciles en 2., en 3. Des Peres anciens; en 4. De toutes sortes d’auteurs, apres quoy nous amènerons les arguments de partie contraire, lesquels nous monstrerons ne pas estre de mise; ainsi nous conclurons pour la créance de l’Eglise.

Restera que le lecteur laisse a part sa propre passion, pense attentivement au mérite de nos probations, et se jette aux pieds de la Divine Bonté, criant en toute humilité avec David " da mihi intellectum et scrutabor legem tuam, et custodiam illam in toto corde meo ", et alors, je ne doute point quil ne revienne dans le giron de sa grande Mère, l’Eglise Catholique.


ARTICLE III

DE QUELQUES PASSAGES DE L’ESCRITURE DANS LESQUELS IL AŸE PARLE DE PURGATION APRES CESTE VIE

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Ce premier argument est invincible : il y a un temps et un lieu de purgation pour les âmes apres ceste vie mortelle; donques il y a un Purgatoire, puysque l’Enfer ne peut apporter aucune purgation, et le Paradis ne peut recevoir aucune chose qui aÿe besoin de purgation. Or quil y aÿe un lieu et un temps de purgation apres ceste vie, voyci de quoy: Au psaume 65. Ce lieu est apporté en preuve du Purgatoire par Origène, humilia 25 in numéros, et par saint Ambroise sur le psaume 36, et au sermon 3 sur le psaume 118, où il expose par l’eau, le Baptesme, et par le feu, le Purgatoire. En Isaïe au chap 4: " purgavit Dominus etc. ". ceste purgation faicte en esprit de jugement et de brûlement est entendue de Purgatoire par saint Augustin in " la cité de Dieu, Chap. 25 ". Et de faict, les paroles précédentes favorisent ceste interprétation, dans lesquelles il aÿe parlé du salut des hommes, et puis a la fin du chapitre, où il est parlé du repos des heureux, dont ce qui est dict : " purgavit Dominus sordes ", se doit entendre de la purgation nécessaire pour ce salut. Et parce que ceste purgation est dicte se devoir faire en esprit et de brûlement, elle ne peut s’interpréter bonnement que du Purgatoire et du feu de celuy-ci.

En Michee, au chap. 7 " ne laetaris, inimica mea, super me quia cecidi. Consurgam cum sedero in tenebris, etc. ". ce lieu estoit déja en train de prouver l’existence du Purgatoire parmi les catholiques du temps de Saint Jérôme, ainsi que le mesme saint Jérôme témoigne sur le dernier chapitre d’Isaïe. En Zacharie 9 : " tu autem in sanguine testamenti tui, eduxisti vinctos tuos de lacu in quo non est aqua ". Le lac duquel sont tirés ces prisonniers n’est que le Purgatoire, duquel Nostre Seigneur les délivre.

ARTICLE IV

D’UN AUTRE PASSAGE DU NOUVEAU TESTAMENT SUR CE SUJET

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En la première des Corinthiens: " Dies Domini declarabit quia in igne revelabitur, etc. ". on a toujours tenu ce passage-ci pour l’un des plus illustres et difficiles de toute l’Escriture. Or, en celuy-ci, comme il est aisé de voir a qui regarde de pres tout le chapitre, l’Apôtre use de deux similitudes : la première est d’un architecte qui fonde une mayson précieuse et de matiere solide sur un roc, la seconde est de celuy qui sur un mesme fondement dresse une mayson d’ais, de cannes et de chaume. Imaginons maintenant que le feu se déclare en l’une d’elles;celle qui est en matiere solide sera hors de danger, mays l’autre sera réduite en cendres; que si l’architecte est dans la première, il sera sain et sauf; s’il est dans la seconde, s’il veut s’échapper, il lui faudra passer a travers le feu et la flamme, et se sauvera tellement, quil portera les marques d’avoir été au feu.

Le fondement en ceste similitude est Nostre Seigneur Jésus-Christ, dont saint Pol dict " ego plantavi ", et " ego ut sapiens architectures fundamentum posui , et puis apres " fundamentum enim aliud nemo ponere etc. ". les architectes sont les docteurs et praedicateurs de l’Evangile; comme l’on peut connaître considérant attentivement les paroles de tout ce chapitre, et comme l’interprètent saint Ambroise et Sédule sue ce lieu. Le jour du seigneur dont il est parlé s’entend comme le jour du jugement, lequel en l’Escriture Sainte a coutume d’estre appelé jour du Seigneur. Car c’est a ceste journée-la que se déclareront toutes les actions du Monde; enfin quand l’Apôtre dict " quia in igne revelatur ", il montre assez quil s’agit du jour du Jugement. Le feu par lequel l’architecte se sauve ne peut s’entendre que du feu du Purgatoire, car quand l’Apôtre dict quil se sauvera par le feu, et quil parle seulement de celuy qui a édifié sur du bois, la canne, le chaume, il montre ne parler que du feu qui praecedera le jour du jugement, puysque par celuy-ci, passeront non seulement ceux qui auront bâti sur des matieres légères, ou encoressur de l’or, l’argent, etc.

Toute ceste interprétation, outre qu’elle s’apparente très bien avec le texte, est encorestrès authentique pour avoir été suivie par les anciens Peres, saint Cyprien, saint Jérôme ou encore saint Ambroise. On dira qu’en ceste interprétation, il y a de l’équivoque et du malsain, en ce que le feu dont il est parlé est pris pour le feu du Purgatoire, pour celuy qui praecedera le jour du Jugement.

On répond que c’est une élégante façon de parler par la confrontation des deux feux, car voyci le sens de la sentence : le jour du Seigneur sera éclairé par le feu qui le praecedera, et comme ce jour-la sera éclairé par le feu, ainsi ce mesme jour par le Jugement éclaircira le mérite et le défaut de chaque œuvre; et comme chaque œuvre sera éclaircie, ainsi les ouvriers qui auront œuvré avec imperfections seront sauvés par le feu du Purgatoire. Mays outre cela, quand nous dirons que saint Pol use diversement d’un mesme mot en un mesme passage et ce ne seraÿe pas chose nouvelle, car il en use de pareille manière en d’autres lieux, mays quil en use si proprement que cela sert d’ornements a son langage, comme en l’épître 2 aux Corinthiens, la où qui ne voit que " peccatum " pour la première foys se prend a proprement parler pour l’iniquité, et la seconde foys au figuré, pour celuy qui porte la peine du péché ?

On dira encoresquil n’est pas dict quil sera sauvé par le feu, mays comme par le feu, et que partant, on ne peut pas conclure le feu du Purgatoire en vérité. Je réponds quil y a de la similitude en ce passage, car l’Apôtre veut dire que celuy dont les œuvres ne sont pas du tout solides, sera sauvé comme l’architecte qui s’échappe du feu ne laissant pas pour cela de passer par le feu, mays un feu d’autre calibre que n’est le feu qui brûle en ce monde.

Il suffit que de ce passage, on conclut ouvertement, que plusieurs qui prendront ossession du Royaume du Paradis passeront par le feu : or, ce ne sera pas le feu d’Enfer, ni le feu qui praecedera le jugement; ce sera donques le feu du Purgatoire. Le passage est difficile et malaisé, mays bien considéré, il nous faict une conclusion manifeste pour notre prétention.

Et voyla quant aux lieux par lesquels on peut remarquer qu’apres ceste vie, il y a un temps et un lieu de purgation.


ARTICLE V

DE QUELQUES AUTRES LIEUX PAR LESQUELS LA PRIERE, L’AUMÔNE, ET LES SAINTES ACTIONS POUR LES TREPASSES SONT AUTORISEES

325 Le 2ème argument que nous tirons de la sainte parole pour le Purgatoire est tiré du chap. 12 des Macchabées, la où la Sainte Escriture rapporte que Judas Macchabée envoya a Jérusalem 12.000 drachmes d’argent pour faire des sacrifices pour les morts et apres elle ajoute " sancta ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, etc. "; car voyci notre discours : c’est chose sainte et profitable de prier pour les morts affin quilz soient délivrés de leurs péchés, donques apres la mort, il y a encoresun temps et un lieu pour la rémission des péchés; or, ce lieu ne peut estre ni le Paradis, ni l’Enfer; donques, il s’agit bien du Purgatoire.

Cet argument est si bien faict, que pour y répondre nos adversaires nient l’authorité du Livre des Macchabées et le tiennent pour apocryphe.

Mays a la vérité, ce n’est que faute d’autre réponse; car ce Livre a été tenu pour authentique et sacré par le Concile de Carthage au canon 47, et par Innocent, et par Saint Augustin, ainsi que plusieurs autres Peres. De sorte que vouloir nier l’authorité du Livre, c’est nier l’authorité de l’antiquité. On saÿe bien tout ce qu’on apporte pour le prétexte de ceste négation, qui ne faict pour la pluspart que monstrer la difficulté qui réside dans les Escritures, mays non leur fausseté. Seulement, il me semble nécessaire de répondre a une ou deux objections quilz font. La première, c’est quilz disent la prière avoir été faicte pour monstrer la bonne affection quilz aviaent a l’égard des défunts, non pas quilz pensent que les défunts en aient besoin; ce que l’Escriture contredict par les paroles " ut a peccatis solvantur ". Ilz objectent que c’est une erreur manifeste de prier pour la résurrection des morts avant le jugement, car c’est présupposer ou que les âmes ressuscitent et par conséquent meurent, ou que les corps ne ressuscitent pas si ce n’est par l’entremise des prières et bonnes actions des vivants, qui seraÿe contre l’article du Credo " credo resurrectionem mortuorum ". Or, que ces erreurs soient présupposées en ce lieu des Macchabées, il apparaît par ces paroles "nisi enim eos qui ceciderant resurrecturos speraret , etc. "; on répond que c’est en cet endroit quilz ne prient pas pour la résurrection ni de l’âme, ni du corps, mays seulement pour la délivrance des âmes; en quoy, ilz présupposent l’immortalité de l’âme, car s’ilz eussent cru que l’âme fut morte avec le corps, ilz n’eussent point pris de soin de leur délivrance; et parce que parmi les juifs, la croyance de l’immortalité de l’âme et de la résurrection des corps étaient tellement jointes ensembles que qui niaÿe l’une, niaÿe l’autre. Pour monstrer que Judas Macchabée croyaÿe en l’immortalité de l’âme, il dict quil croyaÿe a la résurrection des corps: voyci comment l’Apôtre prouve l’immortalité de l’âme par la résurrection des corps; il y a au chap.1 des Corinthiens " quid mihi prodest si mortui non resurgunt ? Etc. " or, il ne s’ensuivrayt aucunement quil fallut s’abandonner ainsi, encoresquil n’y eut point de résurrection, car l’âme qui demeureraÿe en ceste souffrance, souffriraÿe la peine due aux péchés, et recevrayt des vertus; saint Pol donques en cet endroit nous montre la résurrection des morts pour l’immortalité de l’âme, parce que de ce temps-la, qui croyaÿe l’un, croyaÿe l’autre.

Il n’y a donques point lieu de refuser le témoignage des Macchabées en preuve d’une juste croyance; que si a tout rompre, nous le voulonsprendre comme témoignage d’un simple mays grave historiographe, ce qu’on ne peut nous refuser au moins faudra t-il confesser que l’ancienne synagogue croyaÿe au Purgatoire, puysque toute ceste armée-la fut si prompte a prier pour les défunts.

Et a la vérité, nous avons les marques de ceste devostion en d’autres passages de l’Escriture, qui nous doit faciliter la réception de celuy que nous venons d’alléguer; en Tobie au chap.4 " panem tuum et vinum tuum super sepulturam justi constitui et noli ex eo manducare et bibere cum peccatoribus "; certes ce vin et ce pain ne se mettaient pour autre sur la sépulture sinon pour les pauvres, affin que l’âme du défunt en fut aidée, comme disent communément les interprètes sur ce passage. Peut-estre quilz diront que ce Livre est apocryphe, mays toute l’Antiquité l’a toujours tenu en crédict; et pour vray, la coutume de mettre la viande pour les pauvres en sépultures est très ancienne, mesme en l’Eglise catholique car saint Chrysostome qui vivaÿe il y a plus de 1.200 ans en l’homélie 32 sur le chap.9 de saint Mathieu, en parle de ceste façon : " cur post mortem tuorum pauperes convocas ? Etc. " Mays que penserions-nous des jeûnes et austérités que pratiquaient lesanciens apres la mort de leurs amis ? Ceux de Jabes Galaad, apres la mort de Saül jeûnèrent 7 jours, autant en firent David, Jonathan et ceux de sa suite. On ne pourraÿe penser que ce ne fut pour secourir les âmes des défunts, car a quel autre propos peut -on rapporter le jeûne de 7 jours ? Aussi David jeûna et pria pour son Filz malade, lequel étant mort, parce quil mourraÿe enfant et innocent n’avoit besoin d’aide, et partant il cessa de jeûner. Bède, il y a plus de 700 ans, interpréta ainsi la fin du 1er Livre des Rois. De sorte qu’en l’ancienne Eglise, la coutume estoit déja entre les saintes personnes d’aider par les prières et saintes actions les âmes des trépassés, qui suppose clairement la foy d’un Purgatoire.

Et c’est de ceste coutume que parle tout ouvertement saint Pol dans le chap.1 des Corinthiens, l’allèguant comme louable et bonne. Ce lieu montre bien entendu très clairement la coutume de la primitive Eglise de jeûner, prier, veiller pour les âmes des trépassés: car, premièrement, dans ces Escritures, estre baptisé se prend fort souvent pour les afflictions et pénitences, comme en saint Luc au chap.12, ou Nostre Seigneur appelle Baptesme ses peines et afflictions. Voyci donques le sens de ceste écriture : si les morts ne ressuscitent point pourquoy se met-on en peine en priant et jeûnant pour les morts ? Et aussi ceste sentence de saint Pol ressemble a celle des Macchabées : "superflum est et vanum orare pro mortuis , si mortui non resurgunt ". Qu’on me tourne ce texte dans tous les sens , en autant d’interprétations que l’on voudra, quil n’y en aura pas une qui joigne bien a la Sainte Lettre que celle-ci. Ni ne faudraÿe dire que le Baptesme dont parle saint Pol seraÿe seulement un Baptesme de tristesses et de larmes, non de jeûnes prières et autres actions, car avec ceste intelligence sa conclusion seraÿe très mauvaise : il veut conclure que si les morts ne ressuscitent point, et si l’âme est mortelle, qu’en vain l’on s’afflige pour les morts; mays, je vous prie, n’auroit-on pas plus de tristesse pour la mort des amis s’ilz ne ressuscitent point, perdant toute espérance de jamays les revoir, que s’ilz ressuscitent ? Il entend donques des afflictions volontaires que l’on faisaÿe pour impétrer le repos des morts, lesquels on prattiqueraÿe sans doute en vain si les âmes étaient mortelles, ou que les morts ne ressuscitaient pas; en quoy, il faut se souvenir de ce qui a été dict plus haut, que l’article de la résurrection des morts et celuy de l’immortalité de l’âme étaient connexes, que celuy qui confessaÿe l’un, confessaÿe l’autre. Il apparaît donques par ces paroles de saint Pol que la prière, jeûne et autres saintes afflictions, se faisaient louablement pour les défunts; or, ce n’étaient pas pour ceux du Paradis qui n’en avaient besoin, ni pour ceux de l’Enfer qui n’en pouvaient recevoir le fruit; c’estoit donques pour ceux du Purgatoire; ainsi l’a exposé saint Ephrem et les Peres qui ont débattu avec les Pétrobusiens. Autant on peut en déduire de ce que disoit le bon Larron a Nostre Seigneur " mémento mei dum veneris in regnum tu "; car pourquoy se seraÿe-il recommandé, lui qui allaÿe mourir, s’il n’avoit cru que les âmes apres la mort pouvaient estre secourues et aidées ? Saint Augustin tire de ce passage que quelques péchés sont pardonnés en l’autre monde.



ARTICLE VI

DE QUELQUES LIEUX DE L’ESCRITURE PAR LESQUELS IL EST PROUVE QUE QUELQUES PECHES PEUVENT ETRE PARDONNES EN L’AUTRE MONDE

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Il y a quelques péchés qui peuvent estre pardonnés en l’autre monde; ce n’est ni en Enfer, ni au Ciel, c’est donques au Purgatoire. Or, quil y aÿe des péchés qui se pardonnent en l’autre monde, nous le prouvons premièrement, par le passage de saint Matthieu au chap.12, ou Nostre Seigneur dict quil y a un péché qui ne peut estre pardonné ni en ce siècle ni en l’autre; donques, il y a des péchés qui peuvent estre remis en l’autre siècle, car s’il n’y avoit point de péchés qui peuvent estre remis en l’autre siècle, il n’estoit pas nécessaire d’attribuer ceste propriété a une sorte de péché de ne pouvoir estre remis en l’autre siècle, ainsi suffisaÿe-il de dire quil ne pouvaÿe estre remis en ce monde. Certes, quand Nostre Seigneur eut dict a Pilate, " regnum meum non est de hoc mundo ", Pilate fit ceste conclusion " es-tu Roi ? " , laquelle fut trouvée bonne par Nostre Seigneur qui y consentit; ainsi quand il dict quil y a un péché qui ne peut estre pardonné en l’autre siècle, il s’ensuit très bien donques quil y en a d’autres qui peuvent estre pardonnés. Ilz voudront dire que ces paroles ne veulent dire autre chose, sinon in aeternam, ou nunquam. Cela va bien mays notre rayson ne perd rien de sa fermeté pour cela: car ou saint Mathieu a bien exprimé l’intention de Nostre Seigneur, ou non. On n’oseraÿe dire que non, et s’il l’a bien exprimée, il s’ensuit toujours quil y a des péchés qui peuvent estre remis en l’autre siècle, puysque Nostre Seigneur a dict quil y en a un qui ne pouvaÿe l’estre. Mays de grâce si saint Pierre avoit dict " non lavabis mihi pedes in hoc saeculo ne que in alio ", n’auroit-il pas parlé faussement, puisqu’en l’autre monde, ilz ne peuvent estre lavés ? Aussi, dict-il in aeternam. Il ne faut donques pas croire que saint Mathieu eut exprimé l’intention de Nostre Seigneur par les paroles précitées, si en l’autre monde, il ne peut y avoir de rémission. On se moqueraÿe de celuy qui diraÿe, je ne me marierai ni en ce monde, ni en l’autre, comme s’il entendaÿe qu’en l’autre monde l’on peut se marier. Qui dict donques d’un péché ne peut se remettre ni en ce siècle, ni en l’autre, présuppose qu’on puisse avoir rémission de quelques péchés en ce monde, et en l’autre également. Je sais bien que nos adversaires essaient par diverses interprétations de parer a cecoup-la, mays il est si bien porté quilz ne peuvent s’échapper. Et de vray, il vaut bien mieux avec les Peres entendre correctement, et avec toute la révérence que l’on peut, les paroles de Nostre Seigneur Jésus Christ, que pour fonder une nouvelle doctrine les rendre grossières et mal agencées. Tous les saints qui ont écrit contre les Pétrobusiens, se sont servis de ce passage avec notre intention, avec tant d’assurance que saint Bernard pour déclarer ceste vérité n’en apporte point d’autre, tant il faict état de celuy-ci.

En saint Mathieu et en saint Luc, " esto consentiens adversario tuo cito, dum es eum eo in via, etc. ". Origène, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Jérôme disent que le chemin dont il est parlé, n’est autre que le passage de ceste vie. L’adversaire sera notre propre conscience, qui combat toujours contre nous et pour nous, c’est a dire quil résiste toujours a nos mauvaises inclinations et a notre vieil Adam pour notre Salut comme l’exposent les saints que j’ai évoqués. Le juge est sans doute Nostre Seigneur. La prison pareillement, l’Enfer ou le lieu des peines de l’autre monde auquel comme en une grande geôle, il y a plusieurs demeures, l’une pour ceux qui sont damnés, qui est comme pour les criminels, l’autre qui est pour ceux qui sont en Purgatoire. Le quatrain dont il est dict " non exies inde donec reddas novissimum quadrantem, sont les petitz péchés et d’infirmité, comme le quatrain est la moindre monnaie que l’on peut devoir. Maintenant, considérons un peu où se doit faire ceste reddiction dont parle Nostre Seigneur. Et 1èrement, nous trouvons des très anciens Peres qui ont dict que c’estoit en Purgatoire. Quand il est dict " donec solvas ultimum quadrantem ", n’est-il pas présupposé que l’on puisse payer, et qu’on puisse tellement diminuer la dette quil n’en reste plus que le dernier liard ? Que si, comme il est dict au psaume " sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos, etc. ", il s’ensuit très bien " ergo aliquante ponet inimicos scabellum pedum ", ainsi disant " non exies inde donec radas ", il montre que " aliquando reddet vel reddere potest "; qui ne voit qu’en saint Luc, la comparayson est tirée non d’un homicide, ou de quelque criminel qui ne peut avoir espérance de son salut, mays d’un débiteur qui est mis en prison jusqu’au paiement, lequel étant faict, incontinent, il est mis dehors ? Voyci donques l’intention de Nostre Seigneur : que pendant que nous sommes en ce monde, nous tâchions par la pénitence et ses fruits de payer selon la puissance que nous en avons par le Sang du Rédempteur, la peine a laquelle nos péchés nous ont obligés; puysque si nous attendons la mort, nous n’en aurons pas si bon compte au Purgatoire, où nous serons traÿeé a la rigueur; Tout ceci semble avoir été dict par Nostre Seigneur, mesme en saint Mathieu au chap.5. Dans celuy-ci, il s’agit de la peine que l’on doit recevoir par le jugement de Dieu, comme il apparaît dans ces paroles " reus erit gehennae ignis "; et neanmoins, il n’y a que la troisième sorte d’offense qui soit punie par l’Enfer; donques au jugement de Dieu, apres ceste vie, il y a des autres peines qui ne sont pas éternelles, ni infernales; ce sont les peines du Purgatoire. On peut dire que ces peines se souffriront en ce monde, mays saint Augustin et les autres Peres l’entendent pour l’autre monde. Et puis ne peut-il pas se faire qu’un homme meurt sur la première ou seconde offense de laquelle, il est parlé ici et la, ou paiera-t-il les peines dues a son offense ? Ou si vous voulez quil ne les paie point, quel lieu lui donnerez-vous pour sa retraÿee apres ce monde ? Vous ne lui donnerez pas l’Enfer, a moins de vouloir ajouter a la sentence de Nostre Seigneur, qui ne donnent l’Enfer qu’a ceux qui auront commis la troisième offense; le loger en Paradis, vous ne le devez faire, parce que la nature de ce lieu céleste rejette toute sorte d’imperfection; n’alléguez pas ici la miséricorde du juge car il déclare en cet endroit vouloir user encoresde justice : faictes donques comme les anciens Peres, et dictes quil y a un lieu où elles seront purgées , puis s’en iront en Paradis. En saint Luc au chap.16, il est écrit " facite vobis amicos de mammona iniquitatis, ut cum defeceritis recipiant vos in aeternam tabernacula defaillir ", qu’est-ce autre que mourir ? Et les amis, que sont-ilz d’autre que les saints ? Les exégètes l’entendent tous ainsi. Il s’ensuit deux choses : que les saints peuvent aider les trépassés et que les trépassés peuvent estre aidés des saints; car a quel autre propos, peut-on entendre ces paroles " facite amis qui recipiant ? "; il ne peut s’entendre de l’aumône, car souvent l’aumône est bonne et sainte, et toutefoys ne nous acquiert pas des amis qui puissent nous recevoir en " d’éternels tabernacles ", comme quand elle est faicte a des personnes mauvaises avec droite et sainte intention. Ainsi, est exposé ce passage par saint Ambroise, et par saint Augustin, au chap.27 de la Cité de Dieu, mays la parabole dont use Nostre Seigneur est trop claire pour nous laisser douter de ceste interprétation, car la similitude est prise d’un économe, qui étant démis de ses fonctions et demandant secours a ses amis, Nostre Seigneur le compare a la mort, et le secours demandé aux amis, a l’aide que l’on reçoit apres la mort, de ceux auxquels on a faict l’aumône; ceste aide ne se peut recevoir en Paradis ou en Enfer; c’est donques par ceux qui sont en Purgatoire.

ARTICLE VII

DE QUELQUES AUTRES LIEUX DESQUELS PAR DIVERSITE DE CONSEQUENCES, ON CONCLUT LA VERITE DU PURGATOIRE

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Saint Pol aux philippiens dict de telles paroles " ut in nomine Jesu omne genu flegmatique, coelestium, terrestrium et infernorum ". Aux cieux, on trouve assez de genoux qui fléchissent au nom du Rédempteur, sut terre, l’on en trouve beaucoup dans l’Eglise militante; mays en Enfer, où en trouvera-t-on ? David se défie d’y en trouver aucun quand il dict " in inferno autem quis confitebitur tibi ? " et encoresce que chante David ailleurs " peccatori autem dixit Deus etc. ", car si Dieu ne veut recevoir de louanges du pécheur obstiné, comment permettraÿe-il a ces misérables damnés d’entreprendre ce saint office ? Saint Augustin faict grand cas de ce lieu par ce propos rapporté au chap.33 de la Genèse. Il y a un semblable passage en l’Apocalypse " quis dignus apperire liberum et solvere septem signacula ejus ? Et nemo inventus est , neque in cœlo, neque in terrae, neque subtus terram ". Ne constitue-t-il pas ici une Eglise en laquelle Dieu soit loué sous terre ? Et que peut-elle estre sinon le Purgatoire ?



ARTICLE VIII

DES CONCILES QUI ONT RECU LE PURGATOIRE COMME ARTICLE DE FOY

328 Arius comme je l’ai dict auparavant commença a prescher contre les catholiques, disant les prières quilz faisaient pour les morts estre superstitieuses; il y a encoresdes sectaires a notre époque sur ce point. Nostre Seigneur nous donne la règle en son évangile comme l’on doit se comporter en pareilles occasions. " si peccaverit in te frater tuus, etc. ". Ecoutons donques ce que l’Eglise nous enseigne a cet endroit : en Afrique, au concile de Carthage, en Espagne au concile Bracarense, en France au concile de Chalon, etc., et en tous ces conciles, vous verrez que l’Eglise tient pour authentique la prière pour les trépassés, et par conséquent le Purgatoire. Et apres, ce qu’elle avoit défini par parties, elle l’a défini en son corps général au concile de Latran sous Innocent III, au concile de Florence, et finalement au concile de Trente.

Mays quelle plus sainte résolution de l’Eglise voudraÿe-on avoir que celle qui est couchée en toutes ses messes ? Regardez les liturgies de Saint Jacques, Saint Basile, Saint Chrysostome, de Saint Ambroise, desquelles se servent encorestous les chrétiens orientaux, vous y verrez la commémoration pour les morts comme elle se voit, a peu de choses pres, en la nôtre. Quoy ? Si Pierre Martyr, l’un des habiles qui a suivi le parti adverse, sur le chap. 3 de la 1ère lettre aux Corinthiens, confesse que toute l’Eglise a suivi ceste opinion, je n’ai plus a faire de m’amuser sur ceste preuve. Il dict qu’elle a erré et faillit; ah, qui croiraÿe cela ? " quis es tu qui judicas Ecclesiam Dei ? etc. ". et si l’Eglise peut errer, et vous , Pierre Martyr, pourriez-vous ne pas errer ? Sans doute, et c’est pourquoy je croirai que vous avez erré et non l’Eglise.


ARTICLE IX

DES PERES ANCIENS

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C’est une belle chose et pleine de consolation, de voir le beau rapport que l’Eglise présente a avec l’ancienne, particulièrement en la croyance : disons ce qui faict notre propos sur le Purgatoire. Tous les anciens Peres l’ont cru et attesté que c’estoit la foy apostolique. Voyci les auteurs que nous en avons: entre les disciples des Apostres, saint Clément et saint Denis, apres saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire Nyssene, Tertullien, Cyprien, Jérôme, Augustin etc.c’est a dire toute l’antiquité, mesme devant 1200 ans que tous ces Peres ont vécu; desquels, il m’eût été très aisé d’apporter quelques témoignages qui sont recueillis dans les livres de nos catholiques, comme dans le Catéchisme de Canisius. Mays sur tous qui voudra voir au long et fidèlement cités le passages des Peres anciens, quil prenne en main l’œuvre de Canisius.

Mays certes, Calvin nous délivre de ceste peine, car il écrit " ante 1300 annos usu receptum fuit ut precationes fierent pro defunctis " , et ajoute ensuite " se omnes, fateor, in errorem abrepti fuerunt ".

Nous n’avons donques que faire de chercher le nom et le lieu des anciens Peres pour prouver le Purgatoire, puysque pour se mettre en compte, Calvin les tient pour zéro. Quelle apparence y-a-t-il qu’un seul Calvin soit infaillible et que l’Antiquité tout entière aÿe failli ? On dict que les anciens Peres ont cru au Purgatoire pour s’accommoder au vulgaire : belle excuse; n’estoit-ce pas aux Peres d’ôter toute erreur du Peuple, s’ilz l’y voyaient adhérer, et non l’y entretenir et y condescendre ? Ceste excuse ne faict donques qu’accuser les anciens. Mays comment est-ce que les Peres n’ont pas cru a bon escient le Purgatoire, puysque Arius, comme je l’ai dict auparavant, a été tenu pour hérétique parce quil le niaÿe ? C’est pitié de voir l’audace avec laquelle Calvin traÿee saint Augustin parce quil fit prier et pria pour sa mère sainte Monique, et pour tout prétexte, apporte que saint Augustin semble douter du feu du Purgatoire.

Mays ceci ne change rien a notre propos, car il est vray que saint Augustin dict qu’on peut douter du feu et de la qualité de celuy-ci, mays non du Purgatoire : or, soit que la purgation se fasse par le feu ou autrement, soit que le feu aÿe mesme qualité que celuy de l’Enfer ou non, il est avéré quil y a un Purgatoire et une purgation. Il ne met donques pas en doute le Purgatoire, mays la qualité de celuy-ci. Ce que ne nieront jamays ceux qui ont lu le Livre de la Cité et celuy " de cura pro mortuis agenda ", et en mille autres lieux. Voyla donques comme nous sommes au chemin des saints et des anciens Peres quand a cet article du Purgatoire.


Sales, Controverses 320