F. de Sales, Lettres 1356

LETTRE DCCXCII, A LA MÈRE FAVRE,

1356 SUPÉRIEURE DES FILLES DE LA VISITATION A LYON, FILLE DU PRÉSIDENT FAVRE, AMI DU SAINT.

Sur le même sujet.

Annecy, 12 septembre 1617.

Vous vous imaginerez bien de quelle sorte nous avons été touchés ces jours passés, ma très-chère fille. Ce n'était pas là madame de Torens que vous avez vue, quoique celle-là fût fort aimable : c'était une madame de Torens, toute dédiée à Dieu, toute relevée au dessein de ne vivre qu'à Dieu, toute pleine de clartés es choses spirituelles, et de la connaissance de Dieu et de soi-même, et telle que l'on pouvait espérer que dans quelque «temps elle serait une autre notre mère (la mère de Chantal).

Je ne vous dirai rien de sa fin très-sainte. Entre ceux qui la virent, il y en eut qui le jour suivant vinrent me demander congé de l'invoquer, et d'autres qui vinrent renouveler leurs propos, émus du spectacle de cette mort toute pleine de douleur extrême, et douleur toute parsemée de vive Jésus ; Seigneur Jésus, tirez-moi à vous (
Ct 1,3). O passion et mort de mon Sauveur, je vous embrasse, je vous aime, je vous adore, vous êtes mon espérance. Vive Jésus et Marie, que j'aime plus que ma vie. Et cela prononcé si suavement que merveille. Or sus, ma très-chère fille, il m'a fait grand bien de vous dire ces quatre mots, qui font un échantillon de la piété de cette mort. Elle est morte soeur et fille.de la Visitation. Je suis infiniment votre, etc.




LETTRE DCCXCIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Le Saint l'exhorte à la douceur, à la simplicité, et à ne pas se décourager pour ses imperfections.

12 septembre 1617.

J'ai vraiment été malade, ma très-chère fille, et bien malade, mais sans péril. Qu'eussiez-vous fait de plus, sachant le mal que j'avais? Car, comme je vois, vous priez toujours notre Seigneur pour moi, qui réciproquement ne manque jamais à vous faire part des chétives oraisons et de la très-sainte messe que je célèbre. Je vais encore un peu traînant, et ne suis pas si parfaitetement remis, que je ne porte les marques du mal passé : je le suis toutefois assez pour faire mes exercices ordinaires.

Tenez ferme, ma chère fille, entreprenez d'être parfaitement le pins que vous pourrez, servante de Dieu, selon les avis du Livre ; car ce sera bien suffisamment pour attirer plus de perfection encore que je n'en ai pas su enseigner. Ayez soin de la douceur. Je ne vous dis pas que vous aimiez ce que vous devez aimer, car je sais que vous le faites : mais je vous dis que vous soyez égale, patiente et douce. Réprimez les sallics de votre naturel un peu trop vif et ardent.

Je ne sais quel mécontentement vous pouvez avoir de vos confessions : car vous les faites très-bien. Or sus, demeurez en paix devant notre Seigneur, qui vous aime, il y a longtemps, vous donnant sa très-sainte crainte et le désir de son amour. Que si vous n'avez pas bien correspondu jusqu'à présent, il y a bon remède : car il faut bien correspondre dorénavant. "Vos misères et infirmités ne vous doivent pas étonner : Dieu en a bien vu d'autres, et sa miséricorde ne rejette pas les misérables, ains s'exerce â leur faire du bien, faisant le sujet de sa gloire uur leur abjection.

Je voudrais avoir un bon marteau pour émousser la pointe de votre esprit, qui est trop subtil es pensées à votre avancement. Je vous ai dit si souvent qu'il faut aller à la bonne foi en la dévotion, et comme l'on dit, à la grosse mode (1). Si vous faites bien, louez Dieu : si vous faites mal, humiliez-vous. Je s lis bien que faire mal de guet-apens, vous ne le voulez pas : les autres maux ne servent qu'à nous humilier.

Ne craignez donc plus, et ne soyez plus à picoter sur votre chère conscience; car vous savez bien qu'après vos diligences il ne vous reste plus rien à faire auprès de notre Seigneur, qu'à réclamer son amour qui ne désire de vous que le vôtre.

Faites ainsi, ma très-chère fille, et cultivez soigneusement la douceur et l'humilité intérieure. Je fais incessamment mille souhaits de bénédiction sur vous ; et surtout que vous soyez humble, douce et toute sucrée ; e". que vous fassiez profit de vos peines, les acceptant amoureusement pour l'amour de celui qui, pour l'amour de vous, en a tant souffert. Je suis, ma très-chère fille, en lui, etc.


(1). Grosso modo.



LETTRE DCCXCIV, A M. JEAN DE LACURNE.

1375
Il fait l'éloge des pères barnabites, et l'énumération des fonctions auxquelles ils sont propres.

Annecy, 6 novembre 1617.

Monsieur,

1. je n'ai point reçu de vos lettres depuis qu'il vous plut me faire savoir que vous désiriez des miennes pour ces messieurs en recommandation de vos droits ; et je vous prie de croire que je vous ai néanmoins écrit plus d'une fois depuis, et que je suis marri quand je sais que vos adresses me manquent ; car je fais beaucoup d'état de vous écrire, en quoi je prends ordinairement et trouve une particulière consolation.

2. Mais disons un mot de nos pères barnabites, puisque je suis pressé, et ne puis pas m'étendre. Ce sont des gens de fort solide piété, doux et gracieux incomparablement, qui travaillent incessamment pour le salut du prochain; en quoi ils se rendent admirables également et infatigables.

Une chose leur manque, que nous supportons facilement, qui est qu'encore qu'ils aient d'excellents prédicateurs, nous ne pouvons pas encore jouir de leurs talents en cela, d'autant qu'ils n'ont pas encore un usage parfait du langage français, mais seulement autant qu'il faut pour se faire entendre es catéchismes, petites exhortations et conversations spirituelles ; mais ils la vont acquérant tous les jours, et il est arrivé encore Ces jours passés un malheur en la perte qu'ils ont faite d'un père parisien qui décéda.

3. Pour moi, je pense qu'ils feront un jour de grands services à la France ; car ils ne font pas seulement profit en l'instruction de la jeunesse (aussi n'est-il pas si requis, où les pères jésuites font si excellemment bien), mais ils chantent au choeur, confessent, catéchisent, et vont même aux villages où ils sont envoyés prêchant ; et, en somme, font tout ce qui se peut dire, et fort cordialement, et ne demandent pas beaucoup pour leur entretien. Voilà ce que je vous puis dire, et qui me ferait désirer leur introduction es lieux où les jésuites ne sont pas. Votre prudence discernera ce qui se pourra faire pour les attirer en votre Autunais.

4. Je vois cependant madame votre femme, que je chéris à la vérité très-cordialement, sur la croix, entre les clous et les épines de plusieurs tribulations, qu'elle sent et que vous ressentez. Que vous dirais-je sur cela, mon très-cher frère ? Interrogez souvent le coeur de notre Seigneur, d'où cette affection procède, et il vous fera savoir qu'elle a son origine dans le divin amour. C'est bien fait de jeter notre pensée sur la justice qui nous pu-1 nit ; mais c'est mieux fait encore de bénir la miséricorde qui nous exerce.

5. Toute cette année nous avons vécu parmi les adversités ; et je crois que vous aurez su le trépas inopiné de mon frère et de ma soeur, que j'appelle inopiné; car qui l'eût pensé? mais trépas très-heureux, pour le genre de mort, et la sainteté du passage; car particulièrement ma chère petite soeur lit son départ avec tant de gaieté et de suavité, qu'un médecin, qui la vit mourir, médit que, si les anges étaient mortels, ils désireraient cette sorte de mort. Mais en somme, que pouvons-nous dire en toutes ces occurrences ? Il est mieux de ne rien dire que ce qui est écrit : Obmutui, et non aperui os meum, quoniam (Domine) tu fecisti (
Ps 39,10 - 1) ; et à la vérité, pour parler coeur à coeur avec vous, je n'ai presque jamais osé ajouter ce qui suit : Amove à me plagas tuas (Ps 39,11). Je prierai Dieu qu'il sanctifie sa volonté ; qu'il soit votre consolation et de madame, que je vous prie trouver bon que je nomme ma chère fille. Sic state in Domino, charissimi (Ph 4,1), et diligentem diligite. Je suis, monsieur, votre, etc.


(1) vous, Seigneur, qui m'avez fait porter le coup de cette affliction. Saint François de Sales prononça ces mêmes paroles à la mort de sa mère.



LETTRE DCCXCV, A MADAME DE CHAILLOT.

1383
Le Saint la félicite sur son heureux mariage.

Grenoble, 27 décembre 1617.


Mademoiselle (3),

1. les marques d'une vraie vertu et piété que j'ai vues en votre âme, et l'estime que je fais de votre mérite, ne permettront jamais que je cesse de vous honorer et chérir parfaitement. C'est pourquoi, bien que par les projets de l'année passée, je devais m'imaginer que vous n'étiez plus ici, si est-ce que je n'ai pu m'empêcher que d'abord mon coeur ne vous cherchât autour de madame votre mère, et je ne vous ai cherchée que pour premièrement me réjouir avec vous de votre heureux mariage : car on m'en dit beaucoup de bien ; que vous avez tant de contentement, et que vous en rendez tant ; que monsieur votre mari est si vertueux, et que le lien d'une sainte et forte amitié vous tient unis ensemble ; en somme, que vous avez toute occasion de louer Dieu, qui vous a fait rencontrer si favorablement le soin de monsieur votre père et de madame votre mère
1395 .

Et puis, me ressouvenant que vous avez été un peu ma fille spirituelle, je vous supplie de vivre bien conformément à la grâce que notre Seigneur vous a faite, et de correspondre fidèlement à la lumière qu'il vous a envoyée par tant d'instruction qu'il vous a fait donner.

2. Souvenez-vous, mademoiselle, de vivre tous les jours en humilité, afin que Dieu vous bénisse en toute votre maison, puisqu'il est certain que Dieu résiste aux superbes et vains, et donne aux humbles sa grâce (Jc 4,6). Rien ne vous honorera tant que cette humilité ; car Dieu exalte les humbles (Lc 1,52). Elle vous acquerrera toutes sortes de bénédictions.

Souvenez-vous encore de bien employer le temps ; il n'y a rien qui fasse tant arriver d'honneur, de réputation et de bonheur sur nous, que de ne point s'amuser.

3. Je ne vous dis rien de la sainte dévotion, qui est désirable en tout temps et en tous lieux ; car, comme vous savez, parmi les joies et contentements elle modère nos esprits ; entre les adversités elle nous sert de refuge et nous délasse ; et quoi qu’il nous arrive, elle nous fait bénir Dieu, qui est meilleur que tout ce qu'on peut désirer. Elle rend la jeunesse et plus sage et plus aimable, et la vieillesse moins insupportable et ennuyeuse.

"Voyez, je vous supplie, ce que j'ai marqué au livre de L’Introduction à la vie dévote, de la douceur et suavité que l'on doit soigneusement nourrir au mariage ; et pour bien apprendre à pratiquer les enseignements que vous y trouverez, il faut commencer dès maintenant d'en essayer en faisant faire l'exercice du matin et du soir; et quand vous serez quelquefois en prières, priez, je vous supplie, un peu pour moi, qui de tout mon coeur vous souhaite et à monsieur votre mari, que je veux honorer de toute ma force, mille et mille bénédictions, demeurant, mademoiselle, votre, etc.

(3) On appelait alors mademoiselle les femmes mariées, même dans les familles nobles, qui n'avaient pas de grandes terres ou de grandes charges.



LETTRE DCCXCYI, A MADAME DE GRANIEU.

1445
Le Saint lui promet deux de ses portraits qu'elle lui avait demandés. Il lui donne des conseils sur l'oraison, et l'exhorte à s'acquitter fidèlement de ses devoirs domestiques.

Annecy, (20) 8 juin 1618.

1. Par cette si assurée commodité, je vous dirai, ma très-chère fille, que notre mère (la mère de Chantal) dit la vérité. Je suis extrêmement accablé, non tant d'affaires comme d'empêchements dont je ne me puis déprendre. Néanmoins je ne voudrais certes pas, ma très-chère fille, que pour cela vous laissassiez de m'écrire quand il vous plaira : car la réception de vos lettrés me délasse et me récrée beaucoup. Seulement faut-il que vous me soyez un peu bonne en m'excusant, quand je serai un peu tardif à répondre ; puisque je vous puis assurer que ce ne sera jamais que par nécessité que je différerai, mon esprit prenant bien plaisir à visiter le vôtre,

Je ne vous saurais rien refuser, ma très-chère fille ; et partant, les deux portraits que vous désirez se feront (
1453 ,2). Que n'ai-je désiré de conserver l'image de notre Père céleste en mon âme, avec l'intégrité de sa ressemblance (cf. Gn 1,26-27)! Ma très-chère fille, vous m'aiderez bien à demander la grâce qu'elle soit réparée en moi.

2. Votre sorte d'oraison est très-bonne, ains beaucoup meilleure que si vous y faisiez des considérations et discours; puisque les considérations ct les discours ne servent que pour exciter les affections: de sorte que s'il plait à Dieu de nous donner les affections sans discours ni considérations, ce nous est une grande grâce. Le secret des secrets en l'oraison, c'est de suivre les attraits en simplicité de coeur. Prenez la peine de lire, ou de vous faire lire, si vos yeux ne peuvent fournir à cela, le septième livre du Traité de l'amour de Dieu, et vous y trouverez tout ce qui vous sera nécessaire de connaitre de l'oraison.

Je me ressouviens fort bien qu'un jour en la confession vous me dites comme vous faisiez, et je vous dis que cela allait fort bien ; et qu'encore qu'il fallût porter un point, si toutefois Dieu vous tirait à quelques affections, soudain que vous seriez en sa présence, il ne fallait point s'attacher an point, ains suivre lVTectibn; et quand elle sera plus simple et plus tranquille, elle sera meilleure ; car elle attache plus fortement l'esprit à son objet.

Mais, ma très-chère fille, étant une fois résolue de cela, ne vous amusez point, au temps de l'oraison, à vouloir savoir ce que vous faites, et comme vous priez : car la meilleure prière ou oraison, c'est celle qui nous tient si bien employés en Dieu, que nous ne pensons pas en nous-mêmes ni en ce que nous faisons. En somme, il faut aller là simplement, à la bonne foi et sans art, pour être auprès de Dieu, pour l'aimer, pour s'unir à lui. Le vrai amour n'a guère de méthode.

3. Demeurez en paix, ma très-chère fille, marchez fidèlement au chemin auquel Dieu vous a mise : ayez bien soin de cintenter saintement celui qu'il vous a associé 1430 ; et comme une petite mouche à miel, en faisant soigneusement le miel de la sacrée dévotion, faites encore bien la cire de vos affaires domestiques : car si l'un est doux au goût de notre Seigneur, qui étant en ce monde, mangea le beurre et le miel (Is 7,15) ; l'autre aussi est à son honneur, puisqu'il sert à faire les cierges allumés de l'édification du prochain.

Dieu, qui vous a prise par la main, vous conduise (cf. Ps 73,24 Ps 139,10), ma très-chère fille, que je chéris tendrement, et plus que paternellement votre aine et votre coeur, que Dieu veuille de plus en plus rendre sien. Amen. Vive Jésus.

(...)


LETTRE DCCXCVII, A MADAME DE VEYSSILIEU.

1506
Félicitation pour le rétablissement de la santé de son père. Exhortation de s'abandonner à la Providence.

Paris, 16 janvier 1619.

1. Il me semble, ma très-chère fille, que votre coeur est tellement assuré de l'invariable affliction que j'ai pour lui, qu'il ne saurait meshui plus en douter : ce que Dieu fait est bien fait. Que si j'ai tardé à vous écrire, attribuez-le, je vous prie, à ce tracas insupportable, parmi lequel il faut faire plus qu'on ne peut et qu'on ne veut ; et ne faire pas ce que l'on veut encore que l'on ne peut.

J'ai bien appréhendé ci-devant que la maladie de monsieur votre père ne vous tint en peine ; mais maintenant que, grâces à Dieu, il reprend forces et santé, je suis bien fort soulagé de ce côté-là.

O Dieu, ma très-chère fille, que c'est une leçon digne d'être bien entendue, que cette vie ne nous est donnée que pour acquérir l'éternelle ! Faute de cette connaissance, nous établissons nos affections en ce qui est de ce monde dans lequel nous passons ; et quand il le faut quitter, nous sommes tout étonnés et effrayés.

2. Croyez-moi, ma très-chère fille, pour vivre content au pèlerinage, il faut tenir présente à nos yeux l'espérance de l'arrivée en notre patrie, où éternellement nous arrêterons; et cependant croire fermement, car il est vrai, que Dieu, qui nous appelle à soi, regarde comme nous y allons, et ne permettra jamais que rien nous avienne que pour notre plus grand bien : il sait qui nous sommes, et nous tendra sa main paternelle es mauvais pas, afin que rien ne nous arrête.

Mais pour bien juger de cette grâce, il faut avoir une entière confiance en lui.

3. Ne prévenez point les accidents de cette vie par appréhension, ains prévenez-les par une parfaite espérance, qu'à mesure qu'ils arriveront, Dieu, à qui vous êtes, vous délivrera : il vous a gardée jusqu'à présent ; tenez-vous seulement bien à la main de sa providence, et il vous assistera en toutes occasions; et où vous ne pourrez marcher, il vous portera (cf.
Dt 1,31). Que devez-vous craindre, ma très-chère fille, étant à Dieu, qui nous a si fortement assuré qu'à ceux qui l'aiment tout revient à bonheur (Rm 8,28) ? Ne pensez point à ce qui vous arrivera demain (cf. Mt 6,34); car le même Père éternel qui a soin aujourd'hui de vous en aura soin demain et toujours : ou il ne vous donnera pas de mal, ou, s'il vous en donne, il vous donnera un courage invincible pour le supporter.

Demeurez en paix, ma très-chère fille : ôtez de votre imagination ce qui vous peut troubler, et dites souvent à notre Seigneur : O Dieu ! vous êtes mon Dieu (Ps 30,15), et je me confierai en vous (Ps 17,3 Ps 24,2), vous m'assisterez, et serez mon refuge (Ps 40,2), et je ne craindrai rien ; car non-seulement vous êtes avec moi (Ps 22,4), mais vous êtes en moi, et moi en vous (Jn 15,4). Que peut craindre l'enfant dans les bras d'un tel père? Soyez bien un enfant, ma très-chère fille : comme vous savez, les enfants ne pensent pas à tant d'affaires : ils ont qui y pense pour eux : ils sont seulement trop forts, s'ils demeurent avec leur père. Faites donc bien, ma très-chère fille, et vous serez eh paix.



LETTRE DCCXCVIII, A MADAME ANGELIQUE ARNAULD, ABBESSE DE PORT ROYAL.

1517
Exhortation à la confiance en la divine Providence, et à la constance dans les tracas domestiques.

Paris, 26 avril 1619.

1. Madame, ce me sera toujours une fort particulière consolation quand j'aurai le bonheur de recevoir de vos lettres : car en vérité je vous chéris: et honore parfaitement, puisqu'il a plu à notre Seigneur de me faire voir votre coeur, et au milieu d'icelui le sacré désir d'aimer invariablement cette divine bonté, en comparaison de laquelle, comme il n'y a rien de bon, aussi n'y a-t-il rien d'aimable.

Mais croyez bien, ma très-chère fille, car je ne puis empêcher mon coeur de pousser ce mot cordial, croyez, je vous supplie, que si mes souhaits sont exaucés, vous ferez un continuel progrès en cette sainte dilection : car je n'oublierai jamais d'en supplier Dieu, et de lui offrir plusieurs sacrifices à cette intention. Mais il faut dire quelque chose sur votre lettre.

2. Vous voyez comme la Providence céleste est douce envers vous, et qu'elle ne diffère son secours que pour provoquer votre confiance. L'enfant ne périra jamais, qui demeurera entre les bras d'un père qui est tout-puissant. Si notre Dieu ne nous donne pas toujours ce que nous lui demandons, c'est pour nous retenir auprès de lui, et nous donner sujet de le presser et contraindre par une amoureuse violence, ainsi qu'il fit voir en Emmaüs, avec ces deux pèlerins, avec lesquels il n'arrêta que sur la fin de la journée, et bien tard, quand ils le forcèrent (cf.
Lc 24,29). En somme, il est gracieux et débonnaire ; car soudain que nous nous humilions sous sa volonté, il s'accommode à la nôtre.

Tâchez donc, ma très-chère fille, à fortifier de plus en plus votre confiance en cette sainte Providence, et l'adorez fréquemment en vos retraites spirituelles, et par ces regards intérieurs dont nous parlons en la pratique (1).

Je loue Dieu que vous soyez plus constante, nonobstant vos perpétuels tracas domestiques, parmi lesquels il faut faire valoir votre dilection, comme le courage es batailles.

3. Madame de Chantal est ici avec sa petite troupe. Le vingt-huitième avril, elles commenceront à chanter les offices en public, ayant trouvé beaucoup plus de faveur en l'âme de monsieur le cardinal, que les premières apparences ne promettaient.

Je ne manquerai pas d'imprimer un singulier amour pour votre personne, en cette congrégation, spécialement au coeur de madame de Chantal; vous assurant que je désire grandement que vous soyez toute comblée de cette pure charité, qui vous rende à jamais agréable à Dieu, et à toutes les créatures qui le servent. Ainsi soit-il. Et je suis sans fin, votre, etc.

(1) C'est apparemment quelque pratique de piété que le saint évêque avait donnée à part à la dame à qui il écrit.



LETTRE DCCXCIX, A UN GENTILHOMME.

1536
On ne peut avoir la véritable intelligence de l'Écriture sainte hors de l'Église.


2 juillet 1619.

Monsieur,

2. il est fort vrai que l'Écriture sacrée contient avec beaucoup de clarté la doctrine requise pour votre salut, et ne pensez jamais le contraire.

Il est encore vrai que c'est une très-bonne méthode d'interpréter l'Écriture sacrée, de conférer les passages d'icelles les uns avec les autres, et réduire le tout à l'analogie de la foi, et cela aussi l'ai-je toujours dit.

2. Mais toutefois je ne laisse pas de croire fort assurément, et de dire constamment, que nonobstant cette admirable et aimable clarté de l'Écriture es choses nécessaires à salut, l'esprit humain ne trouve pas toujours le vrai sens d'icelle, ains peut errer, et d'effet erre très-souvent en l'intelligence des passages les plus clairs et les plus nécessaires à l'établissement de la foi.

Témoins les erreurs luthériennes, les livres calvinistes qui, sous la conduite des Pères (l) de la prétendue réformation, demeurent en une contention irréconciliable sur l'intelligence des paroles de l'institution de l'Eucharistie ; et se vantant l'un et l'autre parti d'avoir soigneusement et fidèlement examiné le sens de ces paroles par le rapport de la conférence des autres passages de l'Écriture, et le tout ajusté à l'analogie de la foi, demeurent néanmoins contraires <en l'intelligence des paroles de si grande importance.

3. L'Écriture est donc claire es paroles ; mais l'esprit de l'homme est obscur, et comme une chouette ne peut voir cette clarté.

La méthode susmentionnée est très-bonne ; mais l'esprit-humain n'en sait pas user. C'est l'esprit de Dieu, monsieur, qui nous en donne le vrai sens, et ne le donne qu'il son Église, colonne et appui de vérité (
1Tm 3,15); Église par le ministère de laquelle ce divin esprit garde et maintient sa vérité, c'est-à-dire le vrai sens ce sa parole ; et l'Église, qui seule a l'infaillible assistance de l'esprit de vérité (Jn 16,17), pour bien, duement, et infailliblement trouver la vérité en la parole de Dieu. Si que, qui cherche la vérité de cette céleste parole hors de l'Église qui en est la gardienne, ne la trouve jamais : et qui la veut savoir autrement que par son ministère, en lieu de la vérité, il n'épousera que la vanité ; et en lieu de la certaine clarté de la parole sacrée, il suivra les illusions de ce faux ange, qui se transfigure en ange de lumière (2Co 11,14).

Ainsi firent jadis tous hs hérétiques, qui tous ont eu prétexte de mieux entendre l'Écriture, et de vouloir réformer l'Église, cherchant en vain la vérité hors du sein de l'épouse à laquelle l'époux céleste l'avait confiée, comme à une fidèle dépositaire et gardienne, qui la distribuerait aux chers enfants du lit nuptial, qui est et sera à jamais sans macule.

C'est donc cela que je vous dis en substance, monsieur, qui n'est ni de loin ni de près contraire à la doctrine des saints Pères allégués par monsieur de Mornay (2), au livie qu'il vous plut m'envoyer hier an soir, et que je vous renvoie ce matin, avec remerciement et protestation que je désirerai continuellement de pouvoir, par quelque heureuse occasion, témoigner, monsieur, que je suis votre, etc.


(1) Les prétendus réformés appelaient ainsi le chef de leur parti, comme les catholiques disent les Pères de l'Église.
(2) Philippe de Mornay, seigneur du Plessis-Marly, embrassa la religion protestante à l'âge de neuf ou dix ans:
Le roi Henri IV, qui l'avait attiré à sa cour, le fit gouverneur de Saumur et conseiller d'état; il en reçut aussi des services importants. Après la conversion du roi, le sieur le Mornay se retira de la cour. Alors il fit sur l'Eucharistie un grand ouvrage qui le rendit considérable parmi ceux de son parti, et qui fut le sujet de la conférence de Fontainebleau, l'an 1600, entre le cardinal du Perron et le sieur du Plessis. Celui-ci mérita par là, et par les services qu'il rendit aux protestants, de porter parmi eux le titre de pape des huguenots. Il composa aussi un traité de la vérité de la religion chrétienne ; un livre intitulé, Le maître d'iniquité, etc., etc. Le roi Louis XIII lui ôta le gouvernement de Saumur, et il se retira dans la baronnie de La Forêt, qui lui appartenait, où il mourut le 11 novembre 1623.




LETTRE DCCC, A UNE DAME.

1550
Consolation sur la mort de son fils. Exemple de la sainte Vierge au pied de la croix.

Paris, le 23 août 1619.

Ayant su votre situation, ma très-chère fille, mon âme en a été touchée de la mesure de l'amour cordial que Dieu m'a donné pour vous ; car je vous vois, ce me semble, grandement assaillie de déplaisir, comme une mère qui est séparée de son fils unique, et certes bien aimable.

Je ne doute pas pourtant que vous ne pensiez bien, et ne soyez très-assurée que cette séparation ne soit pas de longue durée, puisque tous nous allons à grands pas où ce fils se retrouve entre les bras, comme nous devons espérer, de la miséricorde de Dieu. C'est pourquoi vous devez mitiger et adoucir, tant qu'il vous sera possible, par la raison, la douleur que la nature vous donne.

Mais je vous parle trop réservément, ma très-chère fille. Il y a si longtemps que vous avez désiré de servir Dieu, et que vous êtes apprise à l'école de la croix, que non-seulement vous acceptez celle-ci patiemment, mais je m'assure, doucement et amoureusement, en considération de celui qui porta la sienne jusqu'à la mort, et de celle qui n'ayant qu'un fils, mais fils d'amour incomparable, le vit mourir sur la croix avec des yeux pleins de larmes, et un coeur plein de douleur, mais de douleur suave et douce, en faveur de votre salut et de celui de tout le monde.

Enfin, ma très-chère fille, vous voilà dépouillée et dénuée du vêtement le plus précieux que vous eussiez. Bénissez le nom de Dieu, qui vous l'avait donné, et l'a repris (cf.
Jb 1,21), et sa divine majesté vous tiendra lieu d'enfants. Pour moi, j'ai déjà prié Dieu pour ce défunt, et continuerai selon le grand désir que j'ai à votre âme, laquelle je prie la bonté éternelle de notre Seigneur vouloir remplir la bénédiction, et je suis sans réserve tout vôtre, ma très-chère fille, et votre, etc.




LETTRE DCCCI, A MADAME LE MAISTRE.

1562
Consolations sur la mort de son neveu.

Amboise, 22 septembre 1619.

Que vous dirai-je, ma fille, vous voyant parmi cette amertume ? O courage, je vous prie ; l'époux que vous avez choisi, dès que vous fûtes séparée de celui qu'on vous avait choisi, est un faisceau de myrrhe (
Ct 1,13): quiconque l'aime, ne peut n'aimer pas l'amertume ; et ceux qu'il favorise de son plus étroit amour, sont toujours piqués de tribulations. Comme pouvait-on serrer sur la poitrine notre Seigneur crucifié, sans que les clous et les épines qui le transpercent, ne vous percent ?

O le brave et bon frère que vous avez ici ! Hélas ! le départ de son pauvre petit François ne l'a touché que comme un père qui voit partir son fils de sa maison, et s'éloigner de lui pour approcher un grand roi, et recevoir ses faveurs. Voilà certes comme il faut vivre en cette vie si pleine d'inconstances et d'événements divers. Mais quand ce frère a su votre maladie, et celle de notre soeur Marie, son coeur s'est attendri, et son sentiment a paru sur ses yeux ; et toutefois il demeure ferme et sans trouble, tant il est vertueux et vertueusement chrétien.

Et moi, ma très-chère fille, j'espère que Dieu ayant reçu en sacrifice de suavité l'acquiescement de ce père et le vôtre, et celui du grand-père et de la grand'mère, et des tantes, il ne permettra pas que la tribulation fasse plus de progrès : ainsi je l'en supplie, et qu'il vous fasse sainte.

Le grand S. Maurice, patron de la Touraine, dont-on fait aujourd'hui la fête, vit tuer toute sa chère légion devant ses yeux ; et on peut dire qu'il soufrait autant de fois le martyre du coeur, comme il vit martyriser et meurtrir. Quand pour l'amour de Dieu nous voyons mourir, acquiesçons à la mort de ceux que nous chérissons. Or sus, que puis-je dire davantage? Celle qui vit mourir le plus aimable fils de tous les fils, vous enverra les consolations qui vous seront convenables, et à monsieur votre père, et à mademoiselle votre mère.

Je porte au milieu de mon coeur la mémoire de mademoiselle N. votre chère cousine et ma très-chère fille, et voudrais bien lui écrire ; mais je ne puis parmi ces tintamarres de cette presse, qui à peine m'a pu permettre de vous écrire ces lignes. Saluez-la chèrement de ma part, je vous supplie, et l'assurez que je ne passerai pas Bourges, où nous nous acheminons demain matin, sans que je lui envoie une de mes lettres. Aimez cette chère âme, et l'appuyez de votre conversation : afin que, selon ses inclinations bonnes et vertueuses, elle serve Dieu de mieux en mieux.

Je n'écris point non plus à mademoiselle votre mère, car je sais bien qu'elle se contente que ce soit à vous, à qui je dis que je suis finalement votre serviteur très-simple. Ma très-chère fille, demeurez ferme et forte en l'amour de notre Seigneur, qui m'a rendu, sans que jamais je varie, parfaitement tout vôtre.




LETTRE DCCCII, A UNE DAME.

1578

Sur la mort de son fils.

Annecy, 2 décembre 1619.

Le père confesseur de Sainte-Claire de Grenoble me vient de dire que vous avez été extrêmement malade, ma très-chère fille, après que vous avez vu passer le cher N.,et guéri d'une grande infirmité. Je vois parmi tout cela votre coeur bien-aimé, qui, avec une grande soumission à la divine Providence, dit que tout cela est bon (cf.
Si 39,21), puisque la main paternelle de cette suprême bonté a donné tous ces coups.

O que cet enfant est heureux d'être volé au ciel, comme un petit ange, avant que d'avoir presque touché la terre ! Quel gage avez-vous là-haut, ma très-chère fille ! Mais vous aurez, je m'assure, traité coeur à coeur avec notre Sauveur, de cette affaire ; et il aura déjà saintement accoisé la tendreté naturelle de votre maternité, et vous aurez déjà plusieurs fois prononcé, de tout votre coeur, la protestation filiale que notre Seigneur nous a enseignée : Oui, Père éternel ; car ainsi vous a-t-il plu de faire, et il est bon qu'il soit ainsi (Mt 11,26).

O ma fille, si vous avez fait comme cela, vous êtes heureusement morte en ce divin Sauveur avec cet enfant, et votre vie est cachée avec lui en Dieu ; et quand le Sauveur paraîtra, qui est votre vie, alors vous paraîtrez avec lui en gloire (Col 3,4-5). C'est la façon de parler du Saint-Esprit en l'Écriture.

Nous pâtissons, nous souffrons, nous mourons avec ceux que nous aimons, par la dilection qui nous tient à eux ; et quand ils souffrent et meurent en notre Seigneur, et que nous acquiesçons en patience à leurs souffrances et trépas pour l'amour de celui qui, pour notre amour, a voulu souffrir et mourir, nous souffrons et mourons avec eux : tout cela bien ramassé, ma très-chère fille, sont des richesses spirituelles incomparables; et nous les connaîtrons un jour, quand, pour ces légers travaux, nous verrons des récompenses éternelles.

Cependant, ma très-chère fille, puisque vous avez été volontiers malade, tandis que Dieu a voulu que vous le fussiez, guérissez ainsi maintenant de bon coeur, puisqu'il veut que vous guérissiez. Aussi je le supplie continuellement, ma très-chère fille, que nous soyons à lui, sans réserve ni exception, en santé et en maladie, en tribulation et en prospérité, en la vie et en la mort, au trépas et à l'éternité. Je salue votre coeur filial, et suis votre, etc.




F. de Sales, Lettres 1356