Sales, Controverses 213


ARTICLE IV

PREMIERE VIOLATION DES SAINTES ESCRITURES FAITTE PAR LES REFORMATEURS, RETRANCHANS PLUSIEURS PIECES D’ICELLES

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Voyla les Livres sacrés et canoniques, que l’Eglise a receu et reconneu unanimement des douze centz ans en ça : et avec quell’authorité ont osé ces nouveuax reformateurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de la Bible ? Ilz ont raclé une partie d’Hester, Baruch, Thobie, Judith, la Sapience, l’Ecclesiastique, les Maccabees ; qui leur a dict que ces Livres ne sont pas legitimes et recevables ? pourquoy desmembrent ilz ainsy ce sacré cors des Escritures ?

Voicy leurs principales raysons, ainsy que j’ay peu recueillir de la vielle praeface, faicte devant les Livres praetenduz apocriphes imprimés a Neuf chastel, de la traduction de Pierre Robert, autrement Olivetanus, parent et amy de Calvin, et encores de la plus nouvelle, faitte sur les mesmes Livres par les professeurs et pasteurs pretenduz de l’eglise de Geneve, l’an 1588. 1. " Ilz ne se trouvent ni en Ebreu ni en Caldee, esquelles langues jadis ont estés escritz (fors a l’adventure le Livre de Sapience), dont grande difficulté seroit de les restituer. " 2. " Ilz ne sont point receuz comme legitimes des Ebreux " ; 3. " ni de toute l’Eglise. " 4. Saint Hierosme dict quilz ne sont point estimés " idoines " pour " corroborer l’authorité des doctrines ecclesiastiques. " (Praefat in lib Salom, Ad Chromat et Heliodor) 5. Le Droit Canon "en profere son jugement (Can Sta Romana Dist XV decreti Ia pars) 6. et la Glose (Can Canones Dist XVI), " qui dict qu’on les lit mais non point en general, comme si elle vouloit dire que genralement par tout ne soyent point approuvés. " 7. " Ilz ont estés corrompuz et falsifiés ", comme dict Eusebe (L 4, c 22) ; 8. " notamment les Macchabees ", 9. et specialement le second, que saint Hierosme dict " n’avoir trouvé en Ebreu " (In Prologo galeato, ad libros Sam et Mal). Voyla les raysons d’Olivetanus. 10. Il y a en iceux " plusieurs choses fauses ", dict la nouvelle praeface. Voyons maintenant ce que valent ces belles recherches.

1. Et quand a la premiere : estes vous d’avis den e recevoir pas ces Livres par ce quilz ne se trouvent pas en Hebreu ou Caldee ? receves donques Tobie, car saint Hierosme atteste quil l’a traduit de Caldee en latin, en l’epistre que vous cités vous mesmes (Epistola ad Chromatium et Heliodorum (Praefat in Tobium)) , qui me fait croire que vous n’estes guere gens a la bonne foy ; et Judith, pourquoy non ? qui a aussi bien esté escrit en Caldee, comme dict le mesme saint Hierosme, au Prologue ; et si saint Hierosme dict quil n’a peu trouver le 2. des Macchabees en Hebreu, qu’en peut mais le premier ? receves-le tousjours a bon conte, nous traitterons par apres du second. Ainsy vous diray je de l’Ecclesiastique, que saint hiérosme a eu et trouvé en Hebreu, comme il dict en sa praeface sur les Livres de Salomon. Puys donques que vous rejettes esgalement ces Livres escritz en Hebreu et Caldee avec les autres qui ne sont pas escritz en mesme langage, il vous faut chercher un autre praetexte que celuy que vous aves allegué, pour racler ces Livres du canon : quand vous dittes que vous les rejettes par ce quilz ne sont escritz ni en Hebreu ni en Caldee, ce n’est pas cela, car vous ne rejetteries pas, a ce conte, Tobie, Judith, le premier des Macchabees, l’Ecclesiastique, qui sont escritz ou en Hebreu ou en Caldee. Mays parlons maintenant pour les autres livres, qui sont escritz en autre langage que celuy que vous voules. Ou trouves vous que la regle de bien recevoir les Saintes Escritures soyt, qu’elles soyent escrittes en ces langages la plustost qu’en Grec ou Latin ? vous dittes quil ne faut rien recevoir en matiere de religion que ce qui est escrit, et apportes en vostre belle preface le dire des jurisconsultes : Eribescimus sine lege loqui ; vous semble il pas que la dispute qui se faict sur la validité ou invalidité des escritures soyt une des plus importantes en matiere de religion ? sus donques, ou dmeurés honteux, ou produises la Sainte Escriture pour la negative que vous soustenés : certes, le Saint Esprit se declaire aussi bien en Grec qu’en Caldee.

On auroit, dittes vous, " grande difficulté de les restituer ", puys qu’on ne les a pas en leur langue originaire. Est ce cela qui vous fasche ? Mais pour Dieu, dittes moy, qui vous a dict quilz sont perduz, corrompuz ou alterés, pour avoir besoin de restitution ? Vous praesupposes peut estre que ceux qui les auront traduitz sur l’originaire auront mal traduit, et vous voudries avoir l’original pour les collationner et les juger. Laissés vous donq entendre, et dittes quilz sont apocriphes par ce que vous n’en pouves pas estre vous mesme le traducteur sur l’original, et que vous ne vosu pouves fier au jugement du traducteur : il ni aura donq rien d’asseuré que ce que vous aures conterollé ? monstres moy ceste regle d’asseurance en l’Escriture. Plus, estes vous bien asseuré d’avoir les textes hebreux des Livres du premier rang ainsy purs et netz comm’ilz estoyent au tems des Apostres et des 70 ? Gardes de mesprendre ; certes, vous ne les suives pas tousjours, et ne sçauries en bonne conscience : monstres moy encor cecy en la Saint’Escriture. Voyla donques vostre premiere rayson bien desraysonnable.

2. Quand a ce que vous dittes que ces Livres que vous appelles apocriphes ne sont point receuz par les Hebreux, vous ne dittes rien de nouveau ni d’important ; saint Augustin proteste bien haut : " Libros Machabeorum non Judaei sed Ecclesia Catholica pro canonicis habet : Non les Juifz, mais l’Eglise Catholique tient les Livres des Macchabees pour canoniques. " (l 18 c 36 Cité) Dieu merci, nous ne sommes pas des Juifz, nous sommes Catholiques : monstres moy par l’Escriture que l’Eglise Chrestienne n’aye pas autant de pouvoir pour authoriser les Livres sacrés qu’en avoit la Mosaique : il ni a en cela ni Escriture ni raison qui le monstre.

3. Oüy, mais toute l’Eglise mesme ne les reçoit pas, dites vous. Et de quell’eglise entendes vous ? certes, l’Eglise Catholique, qui est la seule vraye, les reçoit, comme saint Augustin vient de vous attester maintenant, et le repete encores ailleurs : le Concile de Carthage, celuy de Trulles, 6. general, celuy de Florence, et cent autheurs anciens, en sont tesmoins irreprochables et saint Hierosme nommement, qui atteste du livre de Judith qui fut receu au Concile premier de Nicee. Peut estre voules vous dire qu’anciennement quelques Catholiques douteront de leur authorité ; c’est selon la division que j’ay faitte ci-dessus : mais quoy pour cela ? le doute de ceux la a il peu empecher la resolution de leurs successeurs ? est ce a dire que si on n’est pas tout au premier coup resolu, il faille tousjours demeurer en bransle, incertain et irresolu ? A l’on pas esté pour un tems incertain de l’Apocalipse et d’Ester ? Vous ne l’oseries nier, j’ay de trop bons tesmoins ; d’Ester, saint Athanase et saint Gregoire Nazianzene, de l’Apocalipse, le Concile de Laodicee : et neanmoins vous les receves ; ou receves-les tous, puysqu’ilz sont d’esgale condition , ou n’en receves point, par mesme rayson. Mays, au nom de Dieu, quelle humeur vous prend-il d’alleguer icy l’Eglise, l’authorité delaquelle vous tenes cent fois plus incertaine que ces Livres mesme, et que vous dittes avoir esté fautifve, inconstante, voire apocriphe, si apocriphe veut dire caché ; vous ne la prises que pour la mespriser et la faire paroistre inconstante, ores advouant ores desavouant ces Livres. Mais il y a bien a dire entre douter d’une chose si ell’est recevable, et la rejetter : le doute n’empeche pas la resolution suivante, ains en est un praellable ; rejetter praesuppose resolution. Estre inconstant ce n’est pas changer un doute en resolution, mais ouy bien changer de resolution en doute ; ce n’est pas instabilité de s’affermir apres l’esbranlement, mays ouy bien de s’esbranler apres l’affermissement. L’Eglise donques, ayant pour un tems laissés ces Livres en doute, en fin les a receu en resolution authentique ; et vous voules que de ceste resolution elle retourne au doute. C’est le propre de l’heresie et non de l’Eglise de proufiter ainsy de mal en pis (2 Tim 3, 13) ; mays de ceci ailleurs.

4. Quand a saint Hiérosme que vous allegués, ce n’est rien a propos, puysque de son tems l’Eglise n’avoit encor pas pris la resolution qu’ell’a prise despuys, touchant la canonisation de ces Livres, hormis pour celuy de Judith.

5. Et le canon Sancta Romana, qui est de Gelaise premier, je crois que vous l’aves rencontré a tastons, car il est tout contre vous ; puysque, censurant les Livres apocriphes, il n’en nomme pas un de ceux que nous recevons, ains au contraire atteste que Tobie et les Maccabees estoyent receuz publiquement en l’Eglise.

6. Et la pauvre Glosse ne merite pas que vous la glossies ainsy, puysqu’elle dict clairement (Can Canones dist 16 decreti Ia Pars)) que " ces Livres sont leuz, mais non peut estre generalement ". Ce " peut estre " la garde de mentir, et vous l’aves oublié ; et si elle met en conte ces Livres icy dont est question, comm’apocriphes, c’est parce qu’elle croyoit que apocriphe, volut dire, n’avoir point de certain autheur, et partant y enroolle comm’apocriphe le Livre des Juges : et sa sentence n’est pas si authentique qu’elle passe en chose jugee ; en fin, ce n’est qu’une glosse.

7. Et ces falsifications que vous allegues ne sont en point de façon suffisantes pour abolir l’authorité de ces Livres, par ce qu’ilz ont esté justifiés et espurés de toute corruption avant que l’Eglise les receut. Certes, tous les Livres de la Saint’Escriture ont esté corrompuz par les anciens ennemis de l’Eglise, mais, par la providence de Dieu, ilz sont demeurés francz et netz en la main de l’Eglise comm’un sacré depost, et jamais on n’a peu gaster tant d’exemplaires quil n’en soit asses demeuré pour restaurer les autres.

8. Mays vous voules sur tout que les Maccabees nous tumbe des mains, quand vous dittes qu’ilz ont estés corrompuz ; or, puysque vous n’avances qu’une simple affirmation, je n’y pareray que par une simple negation.

9. Saint Hiérosme dict qu’il n’a sceu trouver le 2. en Hebreu ; et bien, que le premier y soit ; le second n’est que comme une epistre que les Anciens d’Israel envoyerent aux freres Juifz qui estoyent hors la Judee, et si ell’est escrite au langage le plus conneu et commun de ce tems-la, s’ensuit-il qu’elle ne soit pas recevable ? Les Aegyptiens avoyent en usage le langage grec beaucoup plus que l’hebreu, comme monstra bien Ptolemee quand il procura la version des 72 ; voyla pourquoy ce 2. Livre des Maccabees, qui estoit comme une epistre ou commentaire envoyé pour la consolation des Juifz qui habitoyent en Egipte, a esté escrit en Grec plus tost qu’en Hebreu.

10. Reste que les nouveaux praefaceurs monstrent ces fausetés desquelles ilz accusent ces Livres, ce qu’a la verité ilz ne feront jamais ; mays je les voys venir : ilz produiront l’intercession des Saintz, la priere pour les trepassés, le franc arbitre, l’honneur des reliques et semblables pointz, qui sont expressement confirmés es Livres des Maccabees, en l’Ecclesiastique et autres Livres quilz praetendent apocriphes. Prenes garde, pour Dieu, que vostre jugement ne vous trompe ; pourquoy, je vous prie, apelles vous faucetés ce que totue l’antiquité a tenu pour articles de foy ? que ne censures vous doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, receuz de si long tems, par ce quilz ne secondent pas a vos humeurs ? parce que vous ne voules pas croire ce que les Livres enseignent, vous les condamnes ; et que ne condamnes vous plustost vostre temerité, qui se rend incredule a leurs enseignemens ?

Voyla, ce me semble, toutes vos raysons esvanouÿes, et n’ensçauries produire d’autres ; mays nous sçaurons bien dire, que sil est ainsy loysible indifferemment de rejetter ou revoquer en doute l’authorité des Escritures desquelles on a douté pieça, quoy que l’Eglise en aÿe determiné, il faudra rejetter ou douter d’une grande partie du Viel et du Nouveau Testament. Ce n’est donq pas un petit gain a l’ennemy du Christianisme, d’avoir de plein sault raclé en la Sainte Escriture tant de nobles parties. Passons outre.


ARTICLE V

SECONDE VIOLATION DES ESCRITURES

PAR LA REGLE QUE LES REFORMEURS PRODUISENT POUR DISCERNER LES LIVRES SACRES D’AVEC LES AUTRES ET DE QUELQUES MENUS RETRANCHEMENS D’ICEUX QUI S’EN ENSUIVENT

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Le marchand rusé tient en monstre les moindres pieces de sa boutique, et les offre les premieres aux acheteurs, pour essayer s’il les pourra deduire et vendre a quelque niais. Les raysons que les reformeurs ont avancees au chapitre precedent ne sont que biffes, comme nous avons veu, desquelles on se sert comme d’amusement, pour voir si quelque simple et foible cervelle s’en voudroit contenter : et de faict, quand on vient au joindre, ilz confessent que ni l’authorité de l’Eglise, ni de saint Hierosme, ni de la Glosse, ni du Caldee, ni de l’Hebreu, n’est pas cause suffisante pour recevoir ou rejetter quelque escriture. Voicy leur protestation en la Confession de foy presentee au Roy de France par les François pretendus reformés : apres qu’ilz ont mis en liste, en l’Article troisiesme, les Livres qu’ilz veulent recevoir, ilz escrivent ainsy en l’Article quatriesme : " Nous connoissons ces Livres estre canoniques et regle tres certaine de nostre foy, non tant par le comun accord et consentement de l’Eglise, que par le tesmoignange et persuasion interieure du Saint Esprit, qui nous les faict discerner d’avec les autres livres ecclesiastiques. Quittans donques le champ des raysons precedentes pour se mettre a couvert, ilz se jettent dans l’interieure, secrette et invisible persuasion qu’ilz estiment estre faicte en eux par le Saint Esprit.

Or, a la verité, c’est bien procedé a eux de ne vouloir s’appuyer en cest article sur le commun accord et consentement de l’Eglise ; puysque ce commun accord a canonisé l’Ecclesiastique, les Livres des Macchabees, tout autant et aussitost que l’Apocalipse, et neantmoins ilz veulent recevoir celuy ci et rejetter ceux la : Judith, authorisé par le grand premier et irreprochable Concile de Nicee, est biffé par les reformeurs ; ilz ont donques rayson de confesser qu’en la reception des Livres canoniques, ilz ne reçoivent point l’accord et consentement de l’Eglise, qui ne fut onques plus grand ni solemnel qu’en ce premier Concile. Mais pour Dieu, voyes la ruse. " Nous connoissons ", disent ilz, " ces Livres estre canoniques, non tant par le commun accord de l’Eglise " : a les ouÿr parler, ne diries vous pas qu’au moins en quelque façon ilz se laissent guider a l’Eglise ? Leur parler n’est pas franc : il semble qu’ilz ne refusent pas du tout credit au commun accord des Chrestiens, mais que seulement ilz ne le reçoivent pas a mesme degré que leur persuasion interieure, et neantmoins ilz n’en tiennent aucun conte ; mais ilz vont ainsy retenus en leur langage pour ne paroistre pas du tout incivilz et desraysonnables. Car, je vous prie, s’ilz deferoient tant soit peu a l’authorité ecclesiastique, pourquoy recevroient ilz plustost l’Apocalipse que Judith ou les Macchabees, desquelz saint Augustin et saint Hierosme nous sont fideles tesmoins qu’ilz ont esté receuz unanimement de toute l’Eglise Catholique ? et les Conciles de Carthage, Trulles, de Florence, nous en asseurent. Pourquoy disent ilz donques, qu’ilz ne reçoivent pas les Livres sacrés " tant par le commun accord de l’Eglise que par l’interieure persuasion " ? puysque le commun accord de l’Eglise n’y a ni rang ni lieu. C’est leur coustume, quand ilz veulent produire quelque opinion estrange, de ne parler pas clair et net, pour laisser a penser aux lecteurs quelque chose de mieux.

Maintenant, voyons quelle regle ilz ont pour discerner les Livres canoniques d’avec les autres ecclesiastiques : " le tesmoignage ", disent ilz, " et persuasion interieure du Saint Esprit ". O Dieu, quelle cachette, quel brouillart, quelle nuict ; ne nous voyla pas bien esclaircis en un si important et grave different ? On demande comme l’on peut connoistre les Livres canoniques, on voudroit bien avoir quelque regle pour les discerner, et l’on nous produit ce qui se passe en l’interieur de l’ame, que personne ne voit, personne ne connoit, sinon l’ame mesme et son Createur.

1. monstres moy clairement que ces inspirations et persuasions que vous pretendes sont du saint et non du faint esprit ; qui ne sçait que l’esprit de tenebres comparoit bien souvent en habit de lumiere ?
2. Monstres moy clayrement que, lhors que vous me dites que telle et telle inspiration se passe en vostre conscience, vous ne mentes point, vous ne me trompes point. Vous dites que vous sentes ceste persuasion en vous, mais pourquoy suis je obligé de vous croire ? vostre parole est elle si puissante, que je sois forcé sous son authorité de croire que vous penses et sentes ce que vous dites ? je veux vous tenir pour gens de bien, mais quand il s’agit des fondemens de ma foy, comme est de recevoir ou rejetter les Escrotures ecclesiastiques, je ne trouve ni vos pensees ni vos paroles asses fermes pour me servir de base.
3. Cest esprit faict il ses persuasions indifferemment a chacun, ou seulement a quelques uns en particulier ? si a chacun, et que veut dire que tant de milliades de Catholiques ne s’en sont jamais aperceuz, ni tant de femmes, de laboureurs et autres parmi vous ? si c’est a quelques uns en particulier, monstres les moy, je vosu prie, et pourquoy a ceux la plus tost qu’aux autres ? quelle marque me les fera connoistre et trier de la presse du rste des hommes ? Me faudra il croire au prmier qui dira d’en estre ? ce seroit trop nous mettre a l’abandon et a la mercy des seducteurs : monstres moy donques quelque regle infaillible pour connoistre ces inspirés et persuadés, ou me permettes que je n’en croye pas un.
4. Mays en conscience, vous semble il que l’interieure persuasion soit un moyen suffisant pour discerner les Saintes Escritures, et mettre les peuples hors de doute ? Que veut donq dire que Luther racle l’Epistre de saint Jaques, laquelle Calvin reçoit ? accordes un peu , je vous prie, cest esprit et sa persuasion, qui persuade a l’un de rejetter ce qu’il persuade a l’autre de recevoir. Vous dires peut estre que Luther se trompe, il en dira tout autant de vous ; a qui croire ? Luther se moque de l’Ecclesiaste, il tient Job pour fable ; luy opposeres vous vostre persuasion ? il vous opposera la sienne : ainsy cest esprit, se combattant soy mesme, ne vous laissera autre resolution que de vous bien opiniastrer de part et d’autre.
5. Puys, quelle rayson y a il que le Saint Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire a des je ne sçay qui, a Luther, a Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l’Eglise toute entiere ? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connoissance des vrays Livres sacrés ne soit un don du Saint Esprit, mays nous disons que le Saint Esprit la donne aux particuliers par l’entremise de l’Eglise. Certes, quand Dieu auroit revelé mille fois une chose a quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquast tellement que nous ne puissions plus revoquer en doute sa fidelité ; mays nous ne voyons rien de tel en vos reformeurs. En un mot, c’est a l’Eglise generale que le Saint Esprit addresse immediatement ses inspirations et persuasions, puys, par la praedication de l’Eglise, il les communique aux particuliers ; c’est l’Espouse en laquelle le laict est engendré, puys les enfans le succent de ses mammelles : mays vous voules, au rebours, que Dieu inspire aux particuliers, et par leur moyen a l’Eglise, que les enfans reçoivent le laict, et que la mere soit nourrie a leurs tetins ; chose absurde.
Or, si l’Escriture n’est violeee et sa majesté lezee par l’establissement de ces interieures et particulieres inspirations, jamais elle ne fut ni ne sera violëe ; car ainsy la porte est ouverte a chacun de recevoir ou rejetter des Escritures ce que bon luy semblera. Hé de grace, pourquoy permettra on plus tost a Calvin de racler la Sapience ou les Maccabees, qu’a Luther de lever l’Epistre de saint Jaques ou l’Apocalipse, ou a Castalio, le Cantique des Cantiques, ou aux Anabaptistes, l’Evangile de saint Marc, ou a un autre, la Genese et l’Exode ? si tous protestent de l’interieure revelation, pourquoy croira l’on plustost l’un que l’autre ? Ainsy ceste Regle sacree, sous praetexte du Saint Esprit demeurera desreglee, par la temerité de chaque seducteur.Connoises, je vous prie, le stratageme. On a levé tout’authorité a la Tradition, a l’Eglise, aux Conciles ; que demeure il plus ? l’Escriture. L’ennemy est fin ; s’il la vouloit arracher tout a coup il donneroit l’alarme ; il establit un moyen certain et infallible pour la lever piece a piece tout bellement, c’est ceste opinion de l’interieure inspiration, par laquelle chacun peut recevoir ou rejetter ce que bon luy semble : et de faict, voyes un peu le progres de ce dessein. Calvin oste et racle du canon, Baruch, Tobie, Judith, la Sapience, l’Ecclesiastique, les Maccabees : Luther leve l’Epistre de saint Jaques, de saint Jude, la 2. de saint Pierre, la 2. et 3. de saint Jan, l’Epistr’aux Hebreux ; il se mocque de l’Ecclesiaste, et tient Job pour fable. En Daniel, Calvin a biffé le cantique des trois enfans, l’histoire de Susane et celle du dragon de Bel ; item, une grande partie d’Hester. En l’Exode on a levé, a Geneve et ailleurs parmi ces reformeurs, le 22. verset du 2d chapitre, lequel est de telle substance que ni les 70 ni les autres traducteurs ne l’auroyent jamais escrit sil n’eut esté es originaux. De Beze met en doute l’histoire de l’adultere, en l’Evangile de saint Jan (saint Augustin advise que pieça les ennemis du Christianisme l’avoyent raÿé de leurs livres, mais non pas de tous, comme dict saint Hierosme). Es misterieuses parolles de l’Eucharistie, ne veut on pas esbranler l’authorité de ces motz, Qui pro vobis funditur (Luc 22, 20), par ce que le texte grec monstre clairement que ce qui estoit au calice n’estoit pas vin, mais le sang du Sauveur ? comme qui diroit en françois, Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera respandue pour vous ; car en ceste façon de parler, ce qui est en la coupe doit estre le vray sang, non le vin, puysque le vin n’a pas esté respandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut estre versee qu’a rayson de ce qu’elle contient. Qui est le couteau avec lequel on a faict tant de retranchemens ? l’opinion de ces inspirations particulieres ; qu’est ce qui faict si hardis vos reformeurs a racler, l’un ceste piece, l’autre celle la, et l’autre un’autre ? le pretexte de ces interieures persuasions de l’esprit, qui les rend sauverains, chacun chez soy, au jugement de la validité ou invalidité des Escritures.Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste : " Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicae Ecclesiae commoveret authoritas : Je ne croirois pas a l’Evangile si l’authorité de l’Eglise Catholique ne m’esmouvoit " ; et ailleurs : " Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctae Ecclesiae Catholicae tradit authoritas : Nous recevons le Viel et le Nouveau Testament au nombre de Livres que l’authorité de la saint’Eglise Catholique propose. " Le Saint Esprit peut inspirer que bon luy semble, mays quand a l’establissement de la foy publique et generale des fideles, il ne nous addresse qu’a l’Eglise ; c’est a elle de proposer quelles sont les vrayes Escritures, et quelles non : non qu’elle puysse donner verité ou certitude a l’Escriture, mays elle peut bien nous faire certains et asseurés de la certitude d’icelle. L’Eglise ne sçauroit rendre un livre canonique sil ne l’est, mais elle peut bien le faire reconnoistre pour tel, non pas changeant la substance du livre, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tout’asseuree de ce dont ell’estoit douteuse. Que si jamais nostre Redempteur defend son Eglise contre les portes d’enfer, si jamais le Saint Esprit l’inspire et conduit, c’est en ceste occasion ; car ce seroit bien la laisser du tout et au besoin, sil la laissoit en ce cas duquel depend le gros de nostre religion. Pour vray, nous serions tres mal asseurés si nous appyions nostre foy sur ces particulieres inspirations interieures, que nous ne sçavons si elles sont ou furent jamais que par le tesmoigange de certains particuliers ; et supposé qu’elles soyent ou ayent esté, nous ne sçavons si elles sont du vray ou faux esprit ; et supposé qu’elles soyent du vray esprit, nous ne sçavons si ceux qui les recitent les recitent fidellement ou non, puys qu’ilz n’ont aucune marque d’infallibilité. Nous meriterions d’estre abismés, si nous nous jettions hors le navire de la publique sentence de l’Eglise, pour voguer dans le miserabl’esquif de ces persuasions particulieres, nouvelles, discordantes ; nostre foy ne seroit plus Catholique, ains particuliere.Mais avant que je parte d’icy, je vous prie, reformeurs, dittesm oy ou vous aves pris le canon des Escritures que vous suives. Vous ne l’aves pas pris des Juifz, car les Livres Evangeliques n’y seroyent pas, ni du Concile de Laodicee, car l’Apocalipse n’y seroit pas, ni du Concile de Cartage ou de Florence, car l’Ecclesiastique et les Maccabees y seroyent ; ou l’aves vous donq pris ? Pour vray, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous ; l’Eglise ne vit onques canon des Escritures ou il n’y eut ou plus ou moins qu’au vostre : quelle apparence i a il que le Saint Esprit se soit recelé a toute l’antiquité, et qu’appres 1500 il ait descouvert a certains particuliers le roolle des vrayes Escritures ? Pour nous, nous suyvons exactement la liste du Concile Laodicean, avec l’addition faitte au Concile de Cartage et de Florence ; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles, pour suivre les persuasions des particuliers.Voyla donq la fontaine et la source de toute la violation qu’on a faict de ceste sainte Regle ; c’est quand on s’est imaginé de ne la recevoir qu’a la mesure et regle des inspirations que chacun croit et pense sentir.

ARTICLE VI COMBIEN LA MAJESTE DES SAINTES ESCRITURES A ESTE VIOLEE

ES INTERPRETATIONS ET VERSIONS DES HAERETIQUES
216 Affin que les religionnaires de ce tems desreglassent du tout ceste premiere et tressainte Regle de nostre foy, ilz ne sont pas contentés de l’accourcir et defaire de tant de belles pieces, mays l’ont contournee et detournee chacun a sa poste, et au lieu d’adjuster leur sçavoir a ceste regle, ilz l’ont reglëe elle mesme a l’esquerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande. L’Eglise avoit genralement receu, il y a plus de mill’ans, la version latine que l’Eglise Catholique produit, saint Hierosme, tant sçavant homme, en estoit l’autheur ou le correcteur ; quand voicy en nostr’aage s’eslever un espais brouillart de l’esprit de tournoyement (Is 19, 14), lequel a tellement esblouy ces regrateurs de vielles opinions qui ont couru cy devant, que chacun a voulu tourner, qui d’un costé qui d’autre, et chacun au biais de son jugement, ceste sainte sacrëe Escriture de Dieu : en quoy, qui ne voit la prophanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservoit le precieux basme de la doctrine Evangelique ? Car, n’eust ce pas esté prophaner l’Arche de l’alliance, si quelqu’un eust voulu maintenir qu’un chacun la pouvoit prendre, la porter chez soy et la demonter toute et depecer, puys lui bailler telle forme qu’il eust voulu, pourveu quil y eust quelque apparence d’Arche ? et qu’est ce autre chose soustenir que l’on peut prendre les Escritures, les tourner et accomoder chacun selon sa suffisance ? Et neanmoins, des lors qu’on asseure que l’edition ordinaire de l’Eglise est si difforme quil la faut rebastir tout a neuf, et qu’un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte a la temerité : car si Luther l’ose faire, et pourquoy non Erasme ? et si Erasme, pourquoy non Calvin ou Melancthon ? pourquoy non Henricus Mercerus, Sebastien Castalio, Beze, et le reste du monde ? pourveu qu’on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq motz d’Hebreu, au pres de quelques bons Tresors de l’une et l’autre langue. Et comme se peuvent faire tant de versions, par si differentes cervelles, sans la totale eversion de la sincerité de l’Escriture ?Que dites vous ? que l’edition ordinaire est corrompue ? Nous avoüons que les transcriveurs et les imprimeurs y ont layssé couler certains aequivoques, de fort peu d’importance (si toutefois il y a rien en l’Escriture qui puysse estre dict de peu d’importance), lesquelz le Concile de trente (sess IV) commande estre levés, et que d’ores en avant on prene garde a la faire imprimer le plus correctement quil sera possible ; au reste, il n’y a rien qui ny soit tres sortable au sens du Saint Esprit qui en est l’autheur : comme ont monstré ci devant tant de doctes gens des nostres (Genbrard, in praef Psalt et in Psalt ; Titelman in Prol Apologetico ; Toletan, in I pag Apol. ; Belarminus (Controv De Verbo Dei, l 2, c 9-14), et alii) , qui se sont opposés a la temerité de ces nouveuax formateurs de religion, que ce seroit perdre tems d’en vouloir parler davantage ; outre ce que ce seroit folie a moy de vouloir parler de la naifveté des traductions, qui ne sceuz jamais bonnement lire avec les pointz en l’une des langues necessaires a ceste connoisance, et ne suys guere plus sçavant en l’autre. Mays quoy ? qu’aves vous faict de mieux ? chacun a prisé la sienne, chacun a mesprisé celle d’autruy ; on a tournaïllé tant qu’on a voulu, mays personne ne se conte de la version de son compaignon : qu’est ce autre chose que renverser la majesté de l’Escriture, et la mettre en mespris vers les peuples, qui pensent que ceste diversité d’editions vienne plutost de l’incertitude de l’Escriture que de la bigarrure des traducteurs ? bigarrure laquelle seule nous doit mettre en asseurance de l’ancienne traduction, laquelle, comme dict le Concile, l’Eglise a si longuement, si constamment et si unanimement approuvëe.ARTICLE VIIDE LA PROPHANATION ES VERSIONS VULGAIRESQue sil en va ainsy des versions latines, combien est grand le mespris et prophanation qui s’est faict es versions françoises, alemandes, polonnoises et autres langues : et neanmoins voicy un des plus pregnans artifices que l’ennemi du Christianisme et d’unité ait employé en nostr’aage pour attirer les peuples a ses cordelles ; il connoissoit la curiosité des hommes, et combien chacun prise son jugement propre, et partant il a induict tous les sectaires a traduire les Saintes Escritures, chacun en la langue de la province ou il se cantonne, et a maintenir ceste non jamais ouÿe opinion, que chacun estoit capable d’entendre les Escritures, que tous les devoyent lire, et que les offices publiques se devoyent celebrer et chanter en la langue vulgaire de chaque province.Mays qui ne voit le stratageme ? il ni a rien au monde qui passant par plusieurs mains ne s’altere et perde son premier lustre . Le vin qu’on a beaucoup versé et reversé s’esvente et perd sa force, la cire estant maniee change couleur, la monoÿe en perd ses caracteres ; croyes aussy que l’Escriture Sainte, passant par tant de divers verseurs, en tant de versions et reversions, ne peut qu’elle ne s’altere. Que si aux versions latines il y a tant de varieté d’opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et materneeles d’un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller. C’est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés que par ceux de leur province mesme ; chaque province n’a pas tant d’yeux clairvoyans comme la France et l’Allemaigne. " Sçavons nous bien ", dict un docte prophane, " qu’en Baisque et en Bretaigne il y ait des juges asses pour establir cette traduction faicte en leur langue ? l’Eglise universelle n’a point de plus ardu jugement a faire " (Montaigne, l 1 c 56). C’est l’intention de Satan de croompre l’integrité de cest testament ; il sçait ce quil importe de troubler la fontaine et de l’empoysonner, c’est gaster toute la troupe aegalement.Mays disons candidement ; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes les langues (Act 2, 9-11) ? et que veut dire quilz n’escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu’en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l’Evangile de saint Matthieu(praefat. In Math), en Latin, et en Grec, comm’on tient des autres Evangiles ; qui furent les trois langues choysies (Ex pontificali Damasi, in vita Petri (Concilia an 43) ; Hilar, Praef in Psalmos § 15), des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la praedication du Crucifix ? Ne proterent ilz pas l’Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d’autre langage que ces trois la ? si avoit la verité (Act 2, 11), et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz : qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l’imitation des Apostres ? Dequoy nous avons une notable trace et piste en l’Evangile : car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David ; bendictus qui venit in nomine Domini ; osanna in excelsis (Mat 21, 9) ; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe que c’estoit la mesme parole du peuple : or est il que Osanna, ou bien Osianna (l’un vaut l’autre, disent les doctes en la langue (Genbrard, in Psal. 117, 24), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117. Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l’Hebreu n’estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu’on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l’Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n’estre pas hebraiques pures mais siriaques, quoy qu’elles soient appellees hebraiques par ce que c’estoit le langage vulgaire des Hebreux de la captivité de Babiloyne . Laquelle, outre le grand poids qu’elle doit avoir pour contrebalancer a toutes nos curiosités, a une rayson que je teins pour tres bonne ; c’est que ces autres langues ne sont point reglëes, mays dville en ville se changent en accens, en frases et en paroles, elles se changent de sayson en sayson, et de siecle en siecle. Qu’on prenne en main les Memoyres du sire de Joinville, ou encores celles de Philippe de Commines ; on verra que nous avons du tout changé leur langage : qui neantmoins devoient être des plus politz de leur tems, estans tous deux nourris en court.




Sales, Controverses 213