Bernard sermons 2011

QUATRIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Le remède se trouve dans la main gauche du Très-Haut, et sa droite est pleine de délices.

1. La coutume de notre ordre n'exige point de sermon aujourd'hui; néanmoins, comme la célébration des messes doit nous prendre demain plus de temps qu'à l'ordinaire, et nous en laisser trop peu pour un sermon d'une certaine étendue, j'ai pensé que je devais préparer dés aujourd'hui vos coeurs à cette grande solennité, surtout en considérant la profondeur et l'incompréhensible hauteur de ce mystère, qu'on pourrait comparer à une source d'eau vive, qui serait d'autant plus abondante qu'on y puise davantage, en sorte qu'on ne saurait l'épuiser. D'ailleurs, je connais toutes vos tribulations pour Jésus-Christ, Dieu inouïe ! une Vierge enfante et reste immaculée après son enfantement, possédant ainsi la fécondité du sexe et l'intégrité de la chair; la joie de la mère et l'honneur de la vierge. J'attends maintenant, avec confiance, la gloire promise de mon incorruptibilité dans ma chair, puisqu'il a conservé cette incorruptibilité dans sa mère. Il sera facile en effet, à celui qui laissa sa Mère immaculée dans l'enfantement, de me rendre incorruptible en me ressuscitant.

5. Mais il y a de plus grandes richesses encore et une gloire plus complète que ces richesses et cette gloire-là. C'est une femme devenue mère sans rien perdre de sa virginité, et un fils exempt de toute souillure du péché. Si la malédiction d'Eve n'atteint point cette mère, l'enfant, né d'elle, échappe aussi au sort commun de tous ceux dont le Prophète a dit : « Nul n'est exempt de souillure, pas même l'enfant qui n'a encore vécu qu'un jour sur la terre (Jb 15,14). » Voilà cet enfant sans souillure, seul vrai entre tous les hommes, disons mieux, la Vérité même. «Voilà l'Agneau sans tache, l'Agneau qui ôte les péchés du monde (Jn 1,29). » Qui est-ce qui peut, en effet, mieux ôter les péchés du monde que celui en qui il n'y a point place pour le péché? Oui, celui-là peut me purifier qui est lui-même exempt de toute souillure. Que sa main, la seule que la poussière n'ait point salie. vienne enlever la boue dont mes yeux sont couverts; puisqu'il n'a point de poutre dans l'oeil, qu'il vienne ôter la paille qui se trouve dans le mien; bien plus, comme il n'a pas même le plus petit grain dé poussière dans le sien, qu'il débarrasse le mien de la poutre qui l'offusque.

6. Nous avons vu quelles sont ces richesses de salut et de vie, nous avons vu sa gloire, la gloire qui convient au Fils unique du Père. Si vous me demandez de quel Père, je vous répondrai par ces mots « Il sera appelé le Fils du Très-Haut (Lc 1,32). » Tout le monde sait quel est ce Très-Haut, mais pour qu'il ne reste aucun doute sur ce point, l'ange Gabriel dit lui-même à Marie : «Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Lc 35): » O fruit véritablement saint, Seigneur, vous ne souffrirez point que votre saint, qui a exempté sa mère de toute corruption, éprouve lui-même la corruption (Ps 15,10). Les miracles s'accroissent, les richesses se multiplient, les trésors s'ouvrent. Celle qui enfante est mère et vierge, celui qui est enfanté est Dieu et homme. Maïs les choses saintes seront-elles données aux chiens et les perlés jetées aux pourceaux? Cachons notre trésor dans le champ et renfermons notre argent dans notre bourse. Que les fiançailles de la mère dérobent aux regards une conception à laquelle l'homme demeure étranger, que le vagissement et les cris de l'enfant nouveau-né donnent le change sur cet enfantement sans douleur; voilez, ô Marie, voilez l'éclat de ce soleil levant; déposez votre enfant dans une crèche, enveloppez-le de langes, car ces langes sont eux-mêmes toute notre richesse. En effet, les langes du Sauveur sont plus précieux que la pourpre, cette crèche est plus glorieuse que les trônes dorés des rois, la pauvreté de Jésus-Christ plus riche que toutes les richesses et que tous les trésors. Où trouver, en effet, quelque chose de plus riche et de plus précieux que l'humilité qui sert à acheter le ciel et à acquérir la grâce? car il est écrit : « Bien heureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux leur appartient (Mt 5,3), et l'Apôtre nous assure que « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jc 4,6). » Vous voyez combien l'humilité nous est recommandée dans la naissance du Sauveur qui, en venant au monde, s'est anéanti lui-même, a pris la forme et la nature de serviteur, et a passé pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors.

2012 7. Mais voulez-vous des richesses plus précieuses et utile gloire plus excellente encore? Vous avez sa charité dans sa passion.; car « personne ne peut avoir un, plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jn 15,13). » Ces richesses de salut et cette gloire ce sont le précieux sang par lequel nous avons été rachetés, et la croix du Seigneur dans laquelle nous mettons toute notre gloire, comme l'Apôtre qui disait : « Pour moi, Dieu me préserve de me glorifier en quoi que ce soit, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Ga 6,14), » et qui s'écriait encore : « Je n'ai point fait profession de savoir autre chose, parmi vous, que Jésus-Christ crucifié (1Co 2,2). » La gauche de Dieu c'est donc Jésus-Christ, mais Jésus crucifié, et la droite c'est encore Jésus-Christ, mais Jésus glorifié : a Je ne connais, disait-il, que Jésus et Jésus crucifié. » Peut-être bien est-ce nous qui sommes nous-mêmes la croix de Jésus, à laquelle on rapporte qu'il a été attaché, car l'homme représente en lui la forme de la croix, comme on peut le voir lorsqu'il étend les bras. En effet, le Christ dit par la bouche du Psalmiste : « Je me trouve plongé dans le limon de l'abîme (Ps 68,3). » Or, évidemment ce limon n'est autre chose que nous-mêmes, attendu que nous avons été faits de limon; mais celui qui a servi à nous faire était le limon du paradis terrestre, et maintenant nous sommes le limon de l'abîme. «Je suis plongé, » dit-il, non pas j'ai passé par le limon où j'en suis sorti. « Je suis avec vous jusqu'à la consommation, du siècle (). » Attendu qu'il est Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. Il est donc avec nous, mais par sa main gauche. Ainsi voyons-nous qu'autrefois, quand Thamar enfanta, Zara la première montra, hors du sein de sa mère, une main à laquelle fut lié un fil d'écarlate, symbole de la passion du Seigneur.

8. Nous tenons donc maintenant la main gauche, mais il nous faut encore crier : « Seigneur, tendez votre droite à l’ouvrage de vos mains (Jb 14,15), » car « elle est pleine de délices pour nous jusqu'à la fin des siècles (Ps 15,12). » Seigneur, tendez-nous la main droite et cela nous suffit. « La gloire et les richesses sont dans sa demeure, dit le Psalmiste (Ps 111,3), » sans doute dans la demeure de celui qui craint le Seigneur; mais dans la vôtre, Seigneur, qu'y a-t-il? Des actions de grâces et des paroles de louanges. « Bienheureux, en effet, sont ceux qui demeurent dans votre maison, etc. (Ps 83,5). « Car l'oeil n'a point vu l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (1Co 2,9). » C'est une lumière inaccessible, une paix qui surpasse tout sentiment, une source qui, au lieu de jaillir en haut, jaillit en bas. L'oeil de l'homme n'a point vu la lumière inaccessible, et son oreille n'a point entendu la paix incompréhensible. Il est vrai, les pieds de ceux qui portent la bonne nouvelle de la paix sont beaux (Rm 10,15), mais quoique leur, voix ait retenti dans le monde entier, cependant bien loin de faire entendre aux oreilles des hommes cette paix qui surpasse tout sentiment, ils n'ont pas pu l'entendre. En effet, saint Paul lui-même dit : «Mes frères, je ne crois pas l'avoir comprise (Ph 3,13). La foi vient de ce qu'on a entendu, et on a entendu, parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée (Rm 10,17) ; » remarquez, la foi non la vue; la promesse non le don de la paix. Il y a bien une paix dès maintenant sur la terre pour les hommes de bonne volonté; mais qu'est-ce que cette paix-là comparée à la plénitude et à la surexcellence de cette autre paix? Voilà pourquoi le Seigneur a dit lui-même : « Je vous laisse, je vous donne ma paix (Jn 14,27), » comme s'il avait dit Vous n'êtes pas encore capables dé goûter ma paix, cette paix qui surpasse tout sentiment et qui est une paix dans la paix même. Voilà pourquoi je vous donne la patrie de la paix et vous laisse, en attendant, le chemin de la paix.

9. Mais pourquoi ces paroles : « Le coeur de l'homme n'a point conçu? » Sans doute, c'est parce que c'est une source qui ne jaillit point en haut. Nous savons, en effet, qu'il est dans la nature des sources d'aimer le creux des vallées et de fuir les hauteurs escarpées ides montagnes, selon ce qui est écrit : «Vous conduisez les fontaines dans les vallées et vous faites couler les eaux entre les montagnes (Ps 103,10). » Voilà pourquoi je rappelle si souvent à vos charités que « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jc 4,6). » Les sources ne remontent point, de quelque lieu qu'elles jaillissent. On pourrait croire à la première vue que, suivant cette règle, les voies de la grâce ne sont point fermées à l'orgueil, d'autant plus que le premier orgueilleux que l'Ecriture appelle le roi des enfants de l'orgueil n'a point dit, selon les Saintes Lettres : Je serai plus haut, mais « je serai semblable au Très-Haut (Is 14,14). » Cependant l'Apôtre n'a point avancé un mensonge quand il a dit : « Il s'élève au-dessus de tout ce qui est cru et adoré comme Dieu (2Th 2,4). » L'homme ne peut entendre cette parole sans frémir d'horreur. Plaise à Dieu que son âme frémisse d'une égale horreur à ces pensées et à ces sentiments mauvais. Car je vous dis, moi aussi, que non-seulement le démon mais tout orgueilleux s'élève au-dessus de Dieu même. En effet, Dieu veut qu'on fasse sa volonté, et l'orgueilleux veut aussi qu'on fasse la sienne; il vous semble que jusque-là les choses sont égales, mais remarquez combien les rapports sont disproportionnés. Dieu, il est vrai, veut que sa volonté soit faite, mais seulement dans les choses que la raison approuve; l'orgueilleux, au contraire, veut que la sienne se fasse, qu'elle soit conforme ou non à la raison. Voyez-vous comme il se tient sur les hauteurs et comment les ruisseaux de la grâce ne peuvent remonter jusqu'à lui? « Si vous ne vous convertissez, dit le Sauveur, et si vous ne devenez comme un petit enfant. — Il voulait parler de lui en qui habite et d'où s'épanche la plénitude de toutes les grâces, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Mt 18,3). » Creusez donc des canaux, aplanissez ces montagnes de pensées terrestres et orgueilleuses, devenez semblables au Fils de l'homme, non point au premier homme, attendu que la source de la grâce ne saurait remonter jusque dans le coeur de l'homme charnel et terrestre; purifiez aussi votre oeil, si vous voulez voir la plus pure des lumières; inclinez votre oreille à l'obéissance si vous voulez parvenir un jour au repos éternel et à la paix dans la paix. C'est une lumière à cause. de sa sérénité; c'est une paix pour sa tranquillité et une source pour son éternel épanchement. La source ce sera le Père, de qui naît le Fils et procède le Saint-Esprit; la lumière ce sera le Fils qui est la splendeur de la vie éternelle, la vraie lumière éclairant tout homme venant en ce monde: la paix ce sera le Saint-Esprit qui se repose sur les coeurs humbles et pacifiques. Mais si je parle ainsi ce n'est point pour dire que ces choses soient propres à chacune des trois personnes de la Trinité; car le Père est aussi lumière, puisque le Fils est lumière de lumière; le Fils est aussi paix, car il est notre paix celui qui a réuni les deux en un; le Saint-Esprit également est une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle.

10. Mais quand y arriverons-nous? Seigneur, quand me remplirez-vous de la joie de voir votre face? Nous nous réjouissons déjà en vous parce que vous nous avez visités comme un soleil levant qui nous vient du haut des cieux; nous nous réjouissons de nouveau dans la bienheureuse espérance de votre second avènement. Mais quand goûterons-nous la plénitude de la joie, non par un effet de notre souvenir, mais par suite de votre présence ? Non dans le bonheur de l'attente, mais dans le charme de la claire vue? « Que votre modestie, disait l'Apôtre, soit connue de tous les hommes, le Seigneur est proche (Ph 4,5). » N'est-il pas juste, en effet, que notre modestie soit connue comme celle du Seigneur l'est de tous les hommes? Est-il rien de plus inconvenant que de voir l'homme agir sans modestie, l'homme, dis-je, qui rie peut ignorer sa faiblesse, quand le Seigneur de majesté s'est montré modeste au milieu des hommes? « Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29), » afin que votre modestie puisse aussi être connue des autres. Par ces paroles qui suivent, « le Seigneur est proche, » il faut entendre sa main droite, attendu que lorsqu'il parle de sa gauche il dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (Mt 28,20). » Oui,mes frères, le Seigneur est proche, ne vous mettez plus en peine de rien; il est là tout prêt et ne peut tarder à paraître. Ne vous laissez aller ni à la fatigue ni à la défaillance; cherchez-le pendant qu'on peut encore le trouver, invoquez-le tandis qu'il n'est pas loin. « Le Seigneur est tout près des coeurs qui sont dans les épreuves et la tribulation (Ps 32,19). » Il est tout proche de ceux qui l'attendent, mais de ceux qui l'attendent en vérité. D'ailleurs, voulez-vous savoir combien il est proche, écoutez les chants de l'Épouse quand elle parle de l'Époux : «Le voici, dit-elle,, qui se tient derrière la muraille (Ct 2,9). » Or, par cette muraille c'est votre corps qu'il faut entendre, car il n'y a que lui qui vous empêche de le voir, quoiqu'il soit près de vous. Aussi saint Paul s'écriait-il : «Je voudrais être débarrassé des liens de ce corps et me trouver avec le Christ (Ph 1,23). » Ailleurs il disait en gémissant « Malheureux homme que je suis, qui donc me délivrera de ce corps de mort (Rm 7,24).» Tel aussi le Psalmiste s'écriait : » Tirez mon âme de sa poison. afin que je bénisse votre nom (Ps 141,8). »




2013

CINQUIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL.

Sur ces paroles : « Sanctifiez-vous, aujourd'hui et tenez-vous prêts; car demain vous verrez la majesté de Dieu en vous.

1. Sur le point de célébrer l'ineffable mystère de la naissance de Notre-Seigneur, c'est avec raison que nous sommes avertis, mes frères, de nous sanctifier et de nous tenir tout prêts. Car c'est le Saint des saints qui approche, c'est celui qui a dit : « Soyez saints parce que je suis saint, moi qui suis le Seigneur votre Dieu (Lv 19,1). » Autrement comment le saint pourrait-il être, donné aux chiens et les perles jetées aux pourceaux, s'ils ne commencent point à se purifier les uns de leurs iniquités et les autres de leurs criminelles voluptés, pour fuir ensuite, avec toute la sollicitude possible, les premiers leur vomissement, et les seconds leur bauge fangeuse? Jadis les Israélites charnels, pour participer aux choses saintes, commençaient par se purifier selon la chair, par diverses ablutions, par des offrandes et par des sacrifices qui n'avaient point la vertu de, purifier la conscience, esclave du péché. Mais toutes ces purifications ont fait leur temps, car elles ne devaient durer que jusqu'aux jours de la délivrance qui sont arrivés maintenant. C'est donc bien à propos qu'on nous fait un devoir d'une justification parfaite, d'une purification intérieure, d'une pureté toute spirituelle, selon ces paroles du Seigneur ; « Bienheureux sont ceux qui ont le eceur pur parce qu'ils verront Dieu (Mt 5,8). » C'est dans ce but que nous vivons, mes frères,, c'est pour cela que nous sommes nés, pour cela que nous avons été appelés, pour cela enfin que le jour d'aujourd'hui a lui sur nos têtes. Il n'y avait que nuit et ténèbres dans le monde entier avant le lever de la lumière véritable, avant la naissance du Christ. Bien plus, chacun de nous était aussi dans les ténèbres de la nuit avant sa conversion et sa régénération intérieure.

2. N'est-il pas vrai que la face de la terre était plongée dans la nuit la plus sombre et dans les plus épaisses ténèbres, alors que nos pères adoraient des dieux fabriqués de leurs mains, et, par une sacrilège folie, décernaient les honneurs divins à des divinités de pierre ou de bois? Et nous-mêmes n'étions-nous point dans les plus profondes ténèbres quand nous vivions dans le siècle, comme si nous n'avions point eu de Dieu, quand nous étions traînés à la remorque de toutes nos passions, attirés par tous les appâts de la chair et soumis en esclaves à tous les désirs du siècle; quand nos membres donnaient des armes au péché, et que l'iniquité passée était pour nous un pas vers une iniquité nouvelle; quand enfin nous étions adonnés aux oeuvres de ténèbres dont nous rougissons à présent? Or, l'Apôtre a dit : « Ceux qui dorment, dorment pendant la nuit, et ceux qui s'enivrent le font aussi la nuit (1Th 5,7). » Vous avez été tels autrefois, mais vous avez secoué votre sommeil, mais vous vous êtes sanctifiés, si toutefois vous êtes des enfants de lumière, des fils du jour, non de la nuit ni des ténèbres. En effet, le héraut du jour a dit : « Soyez sobres et vigilants (PET 5,8) : » et, en parlant aux Juifs des autres apôtres, le jour de la Pentecôte, il leur demandait: «Comment ceux-ci pouvaient être ivres puisqu'on n'était encore qu'à la troisième heure du jour (Ac 2,15). » Au langage de Pierre se rapporte ce que disait son collègue en apostolat: «La nuit est avancée et le jour approche. Quittons donc les oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière, puis marchons avec bienséance et honnêteté, comme on doit marcher durant le jour (Rm 13,12). » Renonçons, dit-il, aux oeuvres des ténèbres, c'est-à-dire au sommeil et à l'ivresse, car, ainsi que je l'ai dit plus haut, ceux qui dorment, dorment pendant la nuit et ceux qui s'enivrent le font aussi durant la nuit, cessons de dormir puisque le jour est levé, et marchons comme on doit marcher dans le jour, c'est-à-dire avec honnêteté, non point comme des gens que l'ivresse fait chanceler. Apercevez-vous un homme dont l'âme, engourdie pour le bien, sommeille? Il est encore plongé dans les ténèbres. En apercevez-vous un autre enivré d'absinthe s'élever au-dessus de ce qu'il doit dans les sentiments qu'il a de lui-même, dont l'oeil n'est jamais rassasié de ce qu'il a vu, ni l'oreille satisfaite de ce qu'elle a entendu, qui éprouve pour l'argent, et pour ce qui y ressemble, une faim insatiable et une soif aussi longue que celle de l'hydropique? C'est un enfant de ténèbres, un fils de la nuit. D'ailleurs, ces deux vices vont rarement l'un sans l'autre, car l'Ecriture a dit : « L'homme oisif est rempli de désirs, c'est-à-dire, tout homme qui sommeille est plongé dans l'ivresse. Sanctifions-nous donc aujourd'hui et tenons-nous prêts, mais aujourd'hui même, en secouant le sommeil de la nuit; dissipons aussi, car le jour a lui, l'ivresse de la nuit, pour nous sanctifier, et mettons un frein à la fureur des mauvais désirs. Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux mots : Nous éloigner du mal et faire le bien.

2014 3. Mais il faut que ce soit aujourd'hui, car le jour de demain ne se passera ni en sanctification ni en préparation, mais sera pris tout entier par la vision de la majesté de Dieu. « Demain, est-il dit, vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous. » C'est ce que dit aussi le patriarche Jacob quand il s'écrie: « Demain mon innocence me rendra témoignage devant vous (Gn 30,33). » Aujourd'hui on pratique le justice, mais demain elle doit rendre témoignage pour nous; aujourd'hui on la cultive trais demain elle doit porter des fruits. Comment d'ailleurs pourrait-on moissonner là où on n'a point semé? Aussi celui qui maintenant méprise la sainteté, ne verra point alors la majesté; celui pour qui le soleil de justice ne se sera point levé, ne verra point non plus le soleil de gloire se lever à ses yeux, et le joui de demain ne luira pas pour lui, si le jour d'aujourd'hui a été pour lui sans lumière, car celui qui aujourd'hui a été fait notre justice, par Dieu le Père, est le même qui demain apparaîtra comme notre vie, afin que nous soyons avec lui dans la gloire. S'il naît aujourd'hui tout petit enfant, c'est afin que nul n'ose s'enorgueillir, mais que nous nous convertissions et devenions aussi nous-mêmes comme de petits enfants. Demain donc se montrera le grand Dieu, le Seigneur digne de toutes louanges, afin que nous recevions aussi louanges et grandeur le jour où chacun recevra de Dieu la gloire qu'il mérite. Ainsi le jour de demain glorifiera ceux que le jour d'aujourd'hui aura justifiés, et la vision de la majesté divine succédera à la consommation de la sainteté. Or, ce n'est pas d'une vaine vision qu'il est ici question, puisqu'elle consiste dans la similitude; en effet, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est; voilà pourquoi il est dit non pas seulement, « vous verrez la majesté de Dieu, » mais, « vous la verrez en vous. » C'est qu'en effet si aujourd'hui nous ne nous voyons en lui que comme dans un miroir, parce que maintenant c'est lui qui reçoit de nous, demain nous le verrons en nous, parce que c'est nous qui recevrons de lui, quand il se montrera à nous et nous attirera: à lui. C'est là ce qu'il a promis de nous servir en passant (Lc 12,37); mais en attendant nous recevons de sa plénitude non pas gloire pour gloire, j'en conviens, mais grâce pour grâce, selon ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur nous donnera la grâce et la. gloire (Ps 83,13). » Gardez-vous donc bien de faire peu de cas du premier de ces dons, si vous désirez recevoir le second, de dédaigner les. premiers morceaux, si vous voulez goûter aux suivants, et de refuser de prendre ce qu'on vous sert, pour le plateau sur lequel on vous le sert. Car notre pacifique Sauveur s'est fait plateau incorruptible en se donnant un corps inaccessible à la corruption, dans lequel il nous servît les mets du salut. Il est dit, en effet : « Vous ne souffrirez point que votre Saint éprouve la corruption (Ps 15,11). » Or il est certainement question en cet endroit de celui dont parlait Gabriel quand il disait à Marie : « Le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Lc 1,35). »

4. Soyons donc sanctifiés aujourd'hui par ce Saint-là, afin que nous voyions sa majesté lorsque le jour aura lui; car il n'y a encore que le jour de la sanctification, le jour du salut qui a lui pour nous, non point le jour de gloire et de félicité. D'ailleurs, tant qu'il n'est encore question que de la passion du Saint des saints qui souffrit le jour du Parasceve, c'est-à-dire le jour de la préparation, il est juste qu'on nous dise à tous : « Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts. » Oui, sanctifiez-vous en marchant tous les jours de vertu en vertu, et tenez-vous prêts à persévérer. Mais en quoi nous sanctifierons-nous? J'ai lu de quelqu'un, dans l'Ecriture, que le Seigneur « l'a sanctifié dans sa foi et dans sa douceur (Qo 45,4). » Il est, en effet, aussi impossible de plaire aux hommes sans la douceur que d'être agréable à Dieu sans la foi. Il est donc bien à propos que nous soyons avertis de nous tenir prêts dans les choses par lesquelles nous plairons à Dieu dont nous devons voir la majesté et mutuellement à nous autres hommes aussi, afin que nous la voyions en nous tous également. Nous devons donc faire provision de vertus, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes pour être agréables en même temps à notre Roi et à nos concitoyens qui sont aussi nos compagnons d'exil.

5. Mais ce qu'il faut chercher avant tout, c'est la foi dont il est dit « Il a purifié leur coeur par la foi (Ac 15,9). » En effet, bienheureux ceux qui ont le coeur pur parce qu'ils verront Dieu (Mt 5,8). Abandonnez-vous donc à Dieu, confiez-vous à lui, jetez en lui toutes vos pensées, il vous nourrira et vous pourrez vous écrier : «Le Seigneur prend soin de moi (Ps 29,18). » Voilà ce que ne goûtent point ceux qui aiment leur propre personne, ces demi-savants toujours inquiets pour eux-mêmes, qui accomplissent tous les désirs de la chair, et sont sourds à la voix de celui quia dit: « Jetez dans son sein toutes vos inquiétudes et vos peines parce qu'il a soin de vous (1P 5,7). » Car mettre la confiance en soi, ce n'est pas de la confiance, c'est de la trahison, avoir foi en soi, c'est se défier, non se confier. Le vrai fidèle est celui qui ne croit point en soi, n'espère point en soi, est à ses yeux comme un vase fêlé, et perd son âme; mais de manière à la garder pour l'éternité. Or, il n'y a qu'un coeur plein d'humilité qui puisse faire cela, qui empêche l'âme fidèle de compter sur soi, et la force à se quitter elle-même pour s'élever enfin comme du désert, appuyée sur son bien-aimé et par conséquent inondée de délices.

2015 6. Mais pour que notre sanctification soit parfaite, il faut encore que nous apprenions du Saint des saints la mansuétude et la grâce de la vie en commun, selon ces propres paroles du maître : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29). » Qu'est-ce qui nous empêche de dire que celui qui est doux, plein de mansuétude et de miséricorde, qui s'est fait enfin tout à tous, qui répand sur tous ses semblables l'huile de sa douceur et de sa mansuétude, dont il est lui-même si pénétré, si arrosé et si ruisselant, qu'il semble la laisser couler de tout son être, est effectivement inondé de délices? Heureux celui qui s'est préparé par cette double sanctification, et peut dire : « Mon coeur est tout prêt, Seigneur, mon coeur est tout prêt (Ps 56,8). » Il a en effet produit aujourd'hui son fruit dans la sanctification, et demain il aura pour fin la vie éternelle, car il verra la majesté de Dieu, ce qui n'est autre chose que posséder la vie éternelle, selon ce mot de la vérité même : « La vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable et Jésus-Christ que vous avez envoyé (Jn 17,3). » Le juste juge lui donnera ce jour-là une couronne de justice que nulle antre ne remplacera plus jamais. Il verra alors et nagera dans la joie, il sera dans l'admiration et son coeur se dilatera de bonheur. Mais jusqu'où se dilatera-t-il ?Jusques au point de voir la majesté de Dieu: en soi. Ne pensez pas, mes frères, qu'il me soit possible de vous expliquer cette promesse par des paroles.

7. Sanctifiez-vous donc aujourd'hui et tenez-vous prêts, demain vous verrez et vous serez dans la joie, mais ans une joie qui remplira tout votre coeur. En effet que ne pourrait remplir une pareille majesté? Elle le remplira donc par dessus les bords au point de le faire déborder lorsque « on versera dans votre sein une bonne mesure, bien pressée et bien entassée, qui se répandra par-dessus les bords (Lc 6,36). » La mesure sera tellement comble qu'elle surpassera en hauteur, non-seulement vos mérites, mais nos veaux mêmes, car Dieu peut faire bien plus que nous ne saurions comprendre et espérer. En effet, tous nos veaux semblent se rapporter à ces trois choses : l'honnête, l'utile et l'agréable; oui, là se bornent tous nos désirs; voilà ce que nous souhaitons tous avoir, avec cette seule différence que les .uns désirent plus une chose et les autres une autre. Ainsi, tel homme est tellement adonné au plaisir qu'il ne songe même plus ni à ce qui est honnête, ni à ce qui est utile; tel autre, au contraire, est si avide de biens qu'il ne voit ni ce qui est honnête, ni même ce qui est agréable; et ce troisième, se mettant aussi peu en peine de l'utile que de l'agréable, ne songe avant tout qu'à ce qui lui fait honneur. Tous ces veaux n'ont rien de répréhensible, et si nous recherchions l'objet de ces désirs en Dieu, nous l'y trouverions certainement, attendu que là où ils sont en effet, ils ne font qu'un; car le souverain bien n'est autre chose que ce qui est souverainement honnête, utile et agréable. Or, c'est là précisément, autant toutefois que notre esprit peut le comprendre, l'objet de notre attente et la promesse qui nous est faite de voir la majesté de Dieu en nous, en sorte que Dieu sera tout en tous, c'est-à-dire sera tout à la fois pour nous, l'agréable, l'utile et l'honnête.





2016

SIXIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. L'Annonciation de Jésus-Christ.

1. Nous avons entendu un mot plein de grâce,une parole vraiment digne d'être bien reçue : «Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. n Mon âme s'est fondue d'aise en l'entendant, mon coeur est embrasé dans ma poitrine, il a hâte de vous faire part de son bonheur et de son allégresse, et de répondre ainsi à vos désirs habituels. Jésus signifie Sauveur: Est-il rien de plus nécessaire qu'un Sauveur à des hommes qui sont perdus, de plus désirable à des gens dans le malheur et de plus utile à quiconque est dans un état désespéré. En effet, sans lui d'où attendre le salut, ou plutôt comment en concevoir même la plus faible espérance sous la loi du péché, dans ce corps de mort, dans ces jours mauvais et dans ce séjour d'affliction, si elle ne renaît inopinément pour nous ? Ainsi peut-être désirez-vous faire votre salut, mais, pénétrés de la gravité du mal qui vous ronge et de votre délicatesse, vous avez peur que le remède soit trop pénible à supporter. Ne craignez plus, le Christ est on ne peut plus doux et aimable, il est plein de miséricorde, et Dieu l'a sacré d'une huile de joie en une manière plus excellente que tous ceux qui participeront à sa gloire, c'est-à-dire que ceux qui recevront au moins une partie de sa plénitude, sinon la plénitude même de l'huile de son sacre. Mais en m'entendant dire qu'il est doux, n'allez pas croire qu'il est inefficace, car le Sauveur est en même temps le Fils de Dieu. Or, tel Père tel Fils, il n'a qu'à vouloir pour pouvoir. Ou bien peut-être encore à ce mot d'un Sauveur aussi utile qu'aimable, murmurez-vous je ne sais quoi et parlez-vous de condescendance. Pour ce qui vous regarde, vous êtes heureux d'avoir un Sauveur, parce que vous êtes cloués par la paralysie sur votre grabat, ou même étendus à demi-mort au milieu de la route qui va de Jérusalem à Jéricho; vous vous sentez même d'autant plus heureux que ce médecin est doux, ne fait point usage de médecines difficiles à prendre ; autrement, peut-être auriez-vous mieux aimé demeurer toujours malades que de vous voir guérir en peu de temps, mais à condition de suivre un traitement bien pénible. Car il y en a beaucoup de nos jours qui périssent parce qu'ils fuient le médecin; ils ne le connaissent que sous le nom de Jésus, mais ne savent point qu'il est le Christ et ne jugent de la difficulté du remède qui leur est préparé que par le sentiment qu'ils ont du nombre et de la malignité des maladies dont ils sont atteints.

2. Mais si vous êtes sûr d'avoir un Sauveur et si vous savez en même temps qu'il est Christ, et ne se sert point de caustique, mais de baume, non du feu, mais de l'huile; je crois qu'il peut encore y avoir une préoccupation dans l'esprit d'une créature de noble origine, c'est que peut-être, ce qu'à Dieu ne plaise, la personne de ce Sauveur ne soit pas digne d'elle. Mais je ne puis croire que vous soyez assez ambitieux, assez vaniteux, ni assez soucieux du point d'honneur pour ne vouloir point au besoin être guéri, même par un de vos compagnons d'esclavage s'il pouvait vous rendre la santé. Si c'était un ange, un archange ou quelqu'un des esprits célestes d'un, rang plus élevé encore, peut-être votre vanité ne trouverait-elle plus rien à dire. Recevez donc ce Sauveur avec d'autant plus d'empressement que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, a reçu un nom plus grand que tous les autres noms. Voyez, en effet, si ce ne sont pas là les trois choses que l'ange qui parla aux bergers de Bethléem, leur recommande clairement, quand, en leur annonçant la bonne et grande nouvelle, il leur dit : «Il vous est né aujourd'hui un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur (Lc 2,11).» Réjouissons-nous donc, mes frères, félicitons-nous vivement de cette naissance, que signalent d'une manière si éclatante à nos yeux, l'utilité que nous en tirons pour notre salut, la douceur du remède qui consiste en une onction et la majesté du Fils même de Dieu, et qui nous donne tout ce que nous pouvons souhaiter le plus ardemment, l'utile, l'agréable et l'honnête. Oui, réjouissons-nous, vous dis-je, repassons en nous-mêmes et redisons-nous mutuellement cette suave parole, ce mot plein de' douceur : «Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda.


Bernard sermons 2011