Augustin heptateuque 7050

7050 50. Jg 13,4 Recommandation de l'ange à la mère de Samson. - On peut chercher pourquoi, annonçant un fils à la mère de Samson, qui était stérile, l'ange lui dit: «Et maintenant garde-toi de boire ni vin ni bière, et de manger rien d'impur.» Pourquoi rien d'impur? si ce n'est peut-être que le relâchement de la discipline qui avait commencé en Israël, en était venu même au point qu'on mangeait les animaux défendus (Dt 14,3-19)? Comment le peuple n'aurait-il pas été fortement enclin à ces violations, lui qui prévariquait au point d'adorer les idoles?

7051 51. Jg 13,6 Sur les questions que la mère de Samson fit à l'ange. - La mère de Samson, racontant à son mari comment l'Ange lui avait annoncé la naissance d'un fils, dit: «Et je lui demandais d'où il était, et il ne me dit pas son nom;» sur quoi on peut demander si elle parlait suivant la vérité, car on ne lit rien de semblable dans le discours que l'ange lui tint. Mais il faut comprendre. que l'Ecriture supplée dans un endroit ce qu'elle a tu dans un autre. Elle ne dit pas: Je lui ai demandé son nom, et il ne me la point fait connaître, mais: Je lui ai demandé «d'où il était,» ce qui ne paraît pas s'accorder avec ce quelle ajoute: «Et il ne m'a point fait connaître son nom.» En effet, elle n'avait point demandé son nom à celui qu'elle prenait pour un homme, mais son endroit ou sa ville. Elle l'appela un homme de Dieu, semblable à un ange, il est vrai, par son extérieur, son maintien, à cause de l'éclat qu'elle lui vit, ainsi qu'elle le raconta. Mais si on ponctue la phrase de cette sorte: «Je lui demandais d'où il était, et son nom» (sous entendu: je lui demandais) et qu'ensuite on ajoute: « il ne me le fit pas connaître,» alors il n'y a plus de difficulté: cette parole: « il ne me le fit pas connaître,» se rapporte aux deux objets de la question; c'est-à-dire: il ne me fit connaître ni son nom, ni d'où il était.


7052 52. Jg 13,5-7 Samson, appelé Nazaréen. - On ne lit pas non plus que l'Ange ait prononcé cette parole que cette même femme rapporte lui avoir été dite par lui: «Cet enfant sera Nazaréen de Dieu, depuis sa naissance jusqu'au jour de sa mort.» Et d'un autre côté, elle ne rapporte pas ces autres paroles que l'Ecriture cite comme lui ayant été dites: «Il commencera la délivrance d'Israël des mains des Philistins.» Ainsi elle supprime quelque chose de ce qu'elle a entendu; et cependant il ne faut pas croire quelle ait rapporté ce qui ne lui aurait point été dit; mais plutôt que l'Ecriture n'a point rapporté toutes les paroles de l'Ange en racontant son entretien avec la mère de Samson. Il est dit que cet enfant sera Nazaréen «depuis sa naissance jusqu'au jour de sa mort,» parce que ceux qui faisaient un voeu temporaire, conformément aux prescriptions de l'Ecriture données par Moïse (Nb 6,2-21), étaient dans la Loi, appelés Nazaréens. C'est pourquoi il est ordonné touchant celui-ci, que le fer ne passera point sur sa tète, et qu'il ne boira ni vin ni liqueur fermentée. En effet Samson garda toute sa vie cette observance, que ceux qui portaient le nom de Nazaréens gardaient à certains jours pour acquitter leur voeu.


7053 53. Jg 13,15-16. Sur l'entretien de Manué avec l'ange. - Cette parole de l'Ecriture «Parce que Manué ne connut point que c'était un Ange de Dieu,» montre que l'épouse de Manué prit elle-même cet ange pour un homme. Quand donc il lui dit: «Souffre que nous te fassions violence, et que nous offrions en la présence un chevreau des chèvres,» il l'invite comme s'il était un homme, mais il l'invite à participer avec lui à la victime d'un sacrifice. Cette expression: offrir un chevreau des chèvres, ne s'emploie, en effet, que pour désigner un sacrifice. L'Ange répond: «Si tu me fais violence, je ne mangerai point de tes pains,» ce qui montre qu'il avait été invité à un repas. Il ajoute ensuite: «Et si tu fais un holocauste, tu l'offriras au Seigneur.» Cette parole: «Si tu fais un holocauste,» répond évidemment à ce que Manué avait dit: «Souffre qu'en ta présence nous offrions un chevreau des chèvres.» Toute espèce de sacrifice n'était point un holocauste: on ne mangeait point de l'holocauste; il était entièrement consumé par le feu; c'est pour cela qu'on l'appelait holocauste. L'Ange, qui ne pouvait manger, conseilla qu'on fit plutôt un sacrifice d'holocauste, non à lui toutefois, mais au Seigneur, surtout, parce que le peuple d'Israël, en ce temps là, était dans l'usage de sacrifier à tous les faux dieux, et avait mérité par cette offense que le Seigneur le livrât à ses ennemis pendant quarante ans.


7054 54. Jg 13,16-23 Manué prit-il l'ange pour Dieu lui-même? - Lorsque l'ange se fut fait connaître à Manué et à son épouse, après l'entretien qu'il eut avec eux, Manué dit à sa femme: «Nous mourrons de mort, parce que nous avons vu le Seigneur;» selon ce qui est écrit dans la Loi: «Personne ne peut voir ma face et vivre? (Ex 33,20)». Comment entendre ces paroles? - Ils croyaient donc avoir vu Dieu avec leurs yeux mortels; quand par un grand miracle celui qui venait de leur parler sous la forme d'un homme, avait paru debout au milieu du feu du sacrifice. Mais est-ce Dieu qu'ils reconnaissaient dans là personne d'un Ange; où bien regardaient-ils l'ange comme étant Dieu lui-même? Voici, en effet, le récit de l'Ecriture: «Et Manué prit un chevreau des chèvres, et fit un sacrifice: il l'offrit sur une pierre au Seigneur opérant des merveilles, et Manué et son épouse étaient dans l'attente. Et pendant que la flamme s'élevait au-dessus de l'autel vers le ciel, l'Ange du Seigneur s'éleva dans la flamme. Et Manué et son épouse étaient dans l'attente: et ils tombèrent la face contre terre. Et l'Ange du Seigneur cessa d'apparaître à Manué et à son épouse. Alors Manué connut que c'était l'Ange du Seigneur. Et Manué dit à son épouse: Nous mourrons de mort parce que nous avons vu Dieu.» Comme il ne dit pas: Nous mourrons parce que nous avons vu l'Ange du Seigneur mais parce que «nous avons vu Dieu,» la question est de savoir s'ils reconnaissaient Dieu agissant dans un ange, ou s'ils appelaient Dieu l'Ange lui-même. - Cette dernière supposition, qu'ils auraient cru Dieu celui qui était un Ange, n'est pas admissible; l'Ecriture dit très-ouvertement: «Alors Manué connut que c'était l'ange du Seigneur.» Mais pourquoi craignait-il la mort? L'Ecriture n'avait point dit dans l'Exode Quiconque aura vu la face d'un ange ne pourra vivre; mais Dieu parlant lui-même avait dit: «ma face.» Manué ayant reconnu Dieu dans la personne de l'ange avait-il été troublé jusqu'à redouter la mort? Quant à la réponse que lui fit son épouse: «Si le Seigneur avait voulu nous faire mourir, il n'aurait point agréé de notre main le sacrifice et l'holocauste, il ne nous aurait pas manifesté toutes ces choses, il ne nous aurait pas fait entendre tous ces secrets,» dit-elle que selon eux l'ange lui-même agréait le sacrifice, parce qu'ils le virent debout au milieu des flammes de l'autel? ou bien comprirent-ils par là que le Seigneur agréait l'holocauste, l'ange agissant de la sorte pour faire voir qu'il était un ange? - Quoiqu'il en soit, ce messager céleste avait dit auparavant: «Si vous faites un holocauste, vous l'offrirez au Seigneur;» c'est-à-dire: non pas à moi, mais au Seigneur. L'Ange donc se tenant debout au milieu de la flamme de l'autel signifiait que l'Ange du grand conseil ayant pris la forme de l'esclave (Is 9,6); c'est-à-dire, l'humanité, ne recevrait point le sacrifice, mais serait lui-même la victime.


7055 55. Jg 15,6 Jg 15,45 Sens de ces paroles: la jambe sur la cuisse. - Pourquoi est-il dit que: «Samson frappa les étrangers, la jambe sur la cuisse?» Oui à la jambe sur la cuisse? la jambe n'est au-dessous de la cuisse que depuis le genou jusqu'au talon. Si l'Ecriture a voulu marquer l'endroit du corps où ils furent frappés par Samson, pense-t-on que tous ceux qui furent blessés le furent au même endroit? Si cela était vraisemblable peut-être pourrions-nous supposer que Samson s'était servi de la jambe de quelque animal en guise de bâton, et qu'il les aurait frappés sur les cuisses, comme il est écrit qu'il tua mille hommes avec une mâchoire d'âne. Mais on ne peut croire que dans la lutte il se soit essayé à ne les frapper qu'au même endroit. L'Ecriture ne dit pas du reste qu'il les frappa sur la cuisse avec un tibia, mais qu'il les frappa «la jambe sur la cuisse.» L'obscurité du sens provient de l'emploi d'une locution inusitée. Cette façon de parler signifie qu'il les frappa d'une manière tout à fait étonnante; c'est-à-dire, que saisis d'étonnement et de stupeur ils mirent la jambe sur la cuisse, ou une jambe sur l'autre, comme font ceux qui sont frappés d'une grande stupeur. C'est comme si l'on disait: il les frappa la main à la mâchoire, c'est-à-dire, d'une si grande plaie que dans leur étonnement ils réfléchissaient tristement la joue appuyée sur la main. C'est le sens qui ressort de la version faite sur l'hébreu; on y lit: «Il les frappa d'une grande plaie, tellement que saisis d'étonnement ils mirent la jambe sur la cuisse.» C'est comme si l'on disait: le tibia sur la cuisse: le tibia ou la jambe, c'est la même chose.


7056 56. Jg 15,12 L'usage seul peut apprendre le sens d'une locution. - Quel est le sens de cette parole de Samson aux hommes de Juda «Faites-moi serment que vous ne me tuerez pas, et livrez-moi à eux, de peur que vous ne veniez à ma rencontre?» Quelques uns ont interprété ainsi cette locution: de peur que vous ne veniez contre-moi. Samson leur demandait par là qu'ils ne le tuassent point; ce sens ressort de ce qu'on lit au livre des Rois . Salomon ordonne qu'un homme soit mis à mort et il dit: «Va, cours à sa rencontre (1).» Ce qui fait que nous ne comprenons pas, c'est que cette locution n'est pas en usage parmi nous. Ainsi les autorités militaires disent: va, allège-le, ce qui signifie mets-le à mort. Mais qui pourrait comprendre le sens de cette locution, si l'usage n'en avait donné la connaissance? C'est ainsi que vulgairement on dit parmi nous: il l'a raccourci, ce qui signifie: il l'a mis à mort. Personne ne comprend, sinon celui à qui l'usage a révélé le sens de cette façon de dire. Ainsi en est-il de toutes les locutions: elles ont une énergie qui ne peut être comprise, comme les langues elles-mêmes, qu'en les entendant, ou en les étudiant.

1 1R 2,29

Cette traduction est l'oeuvre de M. l'abbé POGNON.


Augustin heptateuque 7050