Augustin, 83 questions - 62. - Sur ces paroles de l'Évangile: «Jésus baptisait plus que Jean quoique Jésus ne baptisât point, mais ses disciples (Jn 4,1-2).»

62. - Sur ces paroles de l'Évangile: «Jésus baptisait plus que Jean quoique Jésus ne baptisât point, mais ses disciples (Jn 4,1-2).»


Jn 4,1-2

On demande si ceux qui reçurent le baptême dans le temps où le Seigneur baptisa] par ses disciples plus que Jean recevaient aussi le Saint-Esprit. Car en un autre endroit de l'Évangile il est dit: «L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (6).» A cela il y aurait une réponse très-facile: c'est que le Seigneur, qui rendait la vie, pouvait permettre qu'aucun d'eux ne mourût avant d'avoir reçu le Saint-Esprit après sa glorification, c'est-à-dire après sa résurrection et son ascension au ciel. Mais aussitôt vient en pensée le souvenir du larron, à qui il fut dit: «En vérité je te le déclare, tu seras aujourd'hui avec moi en paradis,» et qui n'avait cependant pas reçu le baptême (7). Il est vrai que Corneille et ceux des Gentils qui avaient cru comme lui, reçurent le Saint-Esprit, même avant d'être baptisés (8). Cependant je ne vois pas comment le larron aurait pu dire, sans le secours du Saint-Esprit: «Seigneur, souvenez-vous de

5 - 6 Jn 7,39 - 7 Rét. l. I. ch. 26. - Ac 10,44-47

moi quand vous serez arrivé dans votre royaume (1):» car, suivant l'Apôtre: «Nul ne peut dire Seigneur Jésus que par l'Esprit-Saint (2).» Le Seigneur lui-même a fait voir là résultat de cette foi, en disant: «En vérité je te le déclare: tu seras aujourd'hui avec moi en paradis.» Conséquemment, de même que par l'effet de la bonté ineffable et de la justice de Dieu, maître absolu de toutes choses, ce larron, à raison de sa foi, a été censé recevoir le baptême dans son âme restée libre, puisqu'il ne le pouvait dans son corps crucifié: ainsi l'Esprit-Saint était donné d'une manière invisible avant la glorification du Seigneur, et le fut ensuite plus ostensiblement après la manifestation de là divinité. Et c'est le sens de ces paroles: «L'Esprit n'avait pas encore été donné,» c'est-à-dire n'avait pas encore apparu de manière à forcer tout le monde à le reconnaître. De même le Seigneur n'avait point encore été glorifié devant les hommes, et pourtant sa gloire éternelle n'a jamais cessé d'exister. De même encore son apparition dans la chair a été appelée son avènement; quoiqu'il soit venu où il était déjà: «puisqu'il est venu chez lui,» et qu'il était dans le monde, et que le monde a été fait par lui (3).» Donc comme, par l'avènement du Seigneur, on entend sa manifestation dans la chair, bien qu'avant cette manifestation il eût parlé lui-même par tous les saints prophètes, en qualité de Verbe de Dieu et de Sagesse de Dieu: ainsi par l'arrivée de l'Esprit-Saint, on entend cette manifestation visible aux yeux du corps, qui eut lieu quand il descendit sur les apôtres en forme de langues de feu, et qu'ils commencèrent à parler diverses langues (4). En effet si l'Esprit-Saint n'était pas dans l'homme avant la glorification visible du Seigneur, comment David a-t-il pu dire:, «Ne retirez point de moi votre Esprit-Saint (5)?» Comment Elisabeth et Zacharie son époux ont-ils été inspirés de l'esprit prophétique? comment Anne et Siméon ont-ils été remplis de ce même Esprit, car il est écrit de tous qu'ils furent remplis de l'Esprit-Saint pour dire ce que nous lisons dans l'Évangile (6)?

1 Lc 23,43-42 - 2 1Co 12,3 - 3 Jn 1,10-11 - 4 Ac 2,3-4 - 5 Ps 50,13 - 6 Lc 1,41-45 Lc 1,60-79 Lc 2,25-38

Or, si Dieu opère tantôt en secret, tantôt ostensiblement par quelque créature visible, c'est là l'affaire de sa Providence, qui règle toutes ses actions avec un ordre admirable et en distinguant parfaitement les lieux et les temps, vu que la divinité elle-même n'est contenue nulle part, ne change point de place et ne subit en aucune façon les variations du temps. Et de même que le Seigneur possédait certainement le Saint-Esprit dans la nature humaine qu'il avait revêtue, lorsqu'il vint à Jean pour être baptisé, et que cependant, après son baptême, on vit l'Esprit-Saint descendre sur lui en forme de colombe (1); ainsi faut-il penser que tous les saints ont pu recevoir invisiblement le Saint-Esprit, même avant son arrivée éclatante et visible. On n'en doit pas moins croire que par cette manifestation visible appelée son avènement, l'Esprit-Saint a répandu, d'une manière ineffable et en plus grande abondance, dans tes cours des hommes, la plénitude dé ses dons.


63. - Du Verbe.

«Au commencement était le Verbe (2).» Le mot grec logos, signifie en latin raison et parole. Mais ici il signifie plutôt parole, pour exprimer non-seulement le rapport du Fils au Père; mais encore celui de la puissance créatrice aux ouvres qui ont été faites par le Verbe. Or la raison s'appelle toujours raison, même quand elle n'agit pas.


64. - De la Samaritaine.

1. Les mystères évangéliques renfermés dans les paroles et dans les actes de Notre- Seigneur Jésus-Christ, ne sont pas compris de tout le monde; quelques-uns, pour vouloir les expliquer avec trop peu d'attention et trop peu de réserve, en font souvent sortir la mort au lieu de la vie et l'erreur au lieu de la vérité. Tel est, entre autres, le passage où il est écrit que le Seigneur vint, à la sixième heure du jour, au puits de Jacob; que fatigué de la marche, il s'assit, demanda à boire à une femme samaritaine; et autres détails qui prêtent matière à discussion et à études. Sur quoi il faut d'abord poser en principe que, dans les saintes Ecritures, on doit user de la plus grande circonspection pour que l'explication des mystères divins qu'elles contiennent soit conforme à la foi.
2. C'est donc à la sixième heure que Notre-Seigneur vint au puits. Ce puits me représente une ténébreuse profondeur et j'y vois la partie inférieure de ce monde, c'est-à-dire la terre où le Seigneur Jésus est venu à la sixième heure, c'est-à-dire au sixième âge du genre humain, celui du vieil homme dont on nous ordonne de nous dépouiller, afin de revêtir le nouveau qui a été créé selon Dieu (3). En effet la vieillesse est le sixième âge, puisque le premier est celui du berceau; le second, l'enfance; le troisième, l'adolescence;

1 Mt 3,13-16 - 2 Jn 1,1 - 2 Ep 4,22-24

le quatrième, la jeunesse; le cinquième, l'âge mûr. Ainsi la vie du vieil homme, selon la chair et dans le cours du temps se termine à la vieillesse ou au sixième âgé. C'est, comme je l'ai dit, pendant cette vieillesse du genre humain que le Seigneur nous est arrivé et comme créateur et comme Réparateur; afin d'établir en lui, par la mort du vieil homme, l'homme nouveau, et de le transporter, purifié des souillures, d'ici-bas, dans le royaume céleste. Ainsi donc le puits, comme nous l'avons dit, désigne par sa ténébreuse profondeur, les peines et les erreurs de cette vie.
De plus, comme le vieil homme est extérieur et le nouveau intérieur, suivant cette parole de l'Apôtre: «Si l'homme extérieur se détruit en nous, l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour,» et que toutes les choses visibles auxquelles la morale chrétienne nous oblige à renoncer appartiennent à l'homme extérieur; c'est avec très-grande raison que le Seigneur est venu au puits à la sixième heure, c'est-à-dire au milieu du jour, quand le soleil visible commence à pencher vers son déclin; puisque le goût des choses visibles diminue pour nous en suite de l'appel du Christ, et que l'homme intérieur, réjoui par l'amour des choses invisibles, revient à la lumière intérieure qui ne s'éteint jamais et selon la doctrine de l'Apôtre: «Ne recherche point les choses qui se voient, mais celles qui né se voient pas; car les choses qui se voient sont passagères, mais celles qui ne se voient pas sont éternelles (1).»
3. Si Jésus est arrivé au puits accablé de fatigue, c'est l'emblème de l'infirmité de la chair; s'il s'est assis, c'est un signe d'humilité. En effet, il a revêtu pour nous l'infirmité de la chair et avec une humilité profonde s'est fait homme et a apparu aux hommes. De cette infirmité de la chair parlait ainsi le prophète: «Un homme couvert de plaies et sachant supporter l'infirmité (2).» Et l'Apôtre disait de cette humilité: «Il s'est abaissé en se faisant obéissant jusqu'à la mort (3).» Du reste, il se peul qu'en s'asseyant le Sauveur ait plutôt eu en vue la dignité du maître que le symbole de l'humilité, puisqu'en effet tes maîtres s'assoient pour enseigner.
4. Mais une question se présente: Pourquoi a-t-il demandé a boire à cette Samaritaine qui était venue pour remplir sa cruche, lui qui affirme bientôt après qu'il peut donner en abondance, à ceux qui l'en prient, les eaux de la fontaine spirituelle? C'est qu'il avait soif de la foi de cette femme parce qu'elle était Samaritaine, et que

1 2Co 4,16-18 - 2 Is 53,3 - 3 Ph 2,8

458

Samarie représentait l'idolâtrie. En effet, les Samaritains, séparés du peuple Juif, prostituaient leurs hommages à des simulacres d'animaux muets, c'est-à-dire à des veaux d'or. Or, Notre-Seigneur Jésus était venu pour appeler à la foi chrétienne, à une religion pure, la multitude des nations esclaves du cuite des idoles. «Ce ne sont pas, a-t il dit, ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades (1).» Il a donc soif de la foi de ceux pour qui il a versé son sang. Or Jésus dit à la femme: «Donne-moi à boire.» On va savoir de quoi le Seigneur avait, soif. Peu après arrivent ses disciples qui étaient allés à la ville acheter de quoi manger, et ils lui dirent. «Maitre, mangez. Mais il leur répondit: J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez point. Les disciples se disaient alors entre eux: Quelqu'un lui a-t il apporté à manger? Jésus ajouta: Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre.» Or la volonté du Père qui l'a envoyé et l'oeuvre qu'il se déclare chargé d'accomplir, est-elle autre chose que de nous convertir à sa foi, en nous arrachant aux pernicieuses erreurs du inonde? Donc telle. nourriture, telle boisson. Ainsi ce dont il avait soit' dans cette femme, c'était de faire en elle la volonté de son Père et d'accomplir son oeuvre.
Mais elle, n'ayant que le sens charnel, répondit: «Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire, à moi qui suis une femme Samaritaine? Car les Juifs n'ont point de commerce avec les Samaritains.» Notre-Seigneur répliqua: «Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire, peut-être lui aurais tu demandé toi-même et il l'aurait donné de l'eau vive.» Par là il veut lui indiquer que l'eau qu'il demande n'est pas ce qu'elle entend; mais comme il avait soif de sa foi, c'est le Saint-Esprit qu'il désirait donner à l'ardeur de sa soif. Car, c'est lui que nous entendons par l'eau vive, ou par le don de Dieu, comme Jésus le dit lui-même: «Si tu savais le don de Dieu;» et comme le même évangéliste Jean l'atteste en un autre endroit: «Jésus se tenait debout et s'écriait: Si quel qu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, comme dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vive couleront de son sein.» Voilà bien la conséquence nécessaire: «Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein;» car il faut d'abord croire pour mériter

1 Mt 9,12

ces dons. Donc ces fleuves d'eau vive que le Seigneur voulait donner à cette femme, étaient la récompense de la foi dont il avait soif en elle. Or l'Evangéliste interprète ainsi le sens de ce mot eau vive; «Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui; «car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié (1).» Aussi l'Esprit-Saint est précisément le don que le Christ a fait à l'Eglise après sa glorification, comme l'Ecriture le dit ailleurs: «En montant au ciel, «il a conduit une captivité captive, il a fait des dons aux hommes (2).»
5. Mais cette femme a encore le sens charnel, car elle répond: «Seigneur, vous n'avez pas de quoi puiser et le puits est profond; comment pourriez-vous donc me donner de l'eau vive? Êtes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui en a bu, lui ses a enfants et ses troupeaux?» Maintenant le Seigneur explique sa pensée. «Quiconque, dit-il, boit de cette eau, aura encore soif; au contraire, celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura soit jamais; mais l'eau que je lui donnerai deviendra une fontaine d'eau jaillissante jusques dans la vie éternelle.» Pourtant, la femme s'attache encore à la prudence de la chair. Que répond-elle, en effet? «Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. Jésus lui dit: Va, appelle ton mari et viens ici.» Comme il savait qu'elle n'avait point de mari, on demande pourquoi il lui parlé ainsi. Car après que la femme lui eut dit: «Je n'ai point de mari,» Jésus reprend: «Tu as eu raison de dire que tu n'as point de mari: car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari: en cela tu as dit vrai.» Mais il ne faut point prendre ces paroles dans le sens charnel, pour ne pas ressembler à cette Samaritaine. Si nous avons déjà goûté un peu ce don do Dieu, considérons tout cela sous le côté spirituel.
6. Par ces cinq maris, quelques-uns entendent les cinq livres de Moïse. Ils prétendent également qu'en disant: «Et celui que tu as maintenant n'est a pas ton mari;» le Christ a voulu parler de lui-même, en sorte que le sens serait: Tu as d'abord été attachée aux cinq livres de Moïse, comme à cinq maris, mais celui que tu as maintenant, c'est-à-dire que tu entends, qui te parle, n'est pas ton mari, parce que tu ne crois pas encore

1 Jn 7,37-39 - 2 Ps 67,19 Ep 4,8

en lui. Cependant puisque, ne croyant pas encore au Christ, elle était toujours liée aux cinq maris, c'est-à-dire au cinq livres, on peut demander pourquoi on lui dit: «Tu as eu cinq maris,» comme si elle ne les avait plus, bien qu'elle vécut encore dans leur dépendance. De plus, les cinq livres de Moïse n'annoncent pas autre chose que le Christ, ainsi que le Christ le dit lui-même Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c'est de moi - qu'il a écrit (1):» comment alors peut-on imaginer qu'un homme quitte les cinq livres pour passer au Christ, quand celui qui croit au Christ, bien loin d'abandonner les cinq livres, s'attache à eux avec plus d'ardeur, en les entendant dans le sens spirituel?
7. Il y a donc une autre explication: d'est que les cinq maris signifient les cinq sens dus corps l'ail qui nous est donné pour recevoir la lumière visible et distinguer les couleurs et les formes des corps; l'oreille, pour percevoir les voix et toutes les nuances des sons; les narines, pour respirer les odeurs agréables; le goût, pour sentir le doux et l'amer et juger de toutes les saveurs; et en cinquième lieu, le toucher qui, s'étendant à tout le corps, distingue le chaud et le froid, le mou et, le dur, l'uni et' l'âpre, en un mot tout ce qui tombe sous le tact. Or le premier âge de l'homme est sous l'empire de ces cinq sens charnels, en vertu de la loi de notre nature mortelle. Depuis le péché du premier père cette nature est ainsi constituée, que, n'ayant pas encore, recouvré la lumière de l'esprit, asservis parles sens corporels, nous vivons d'une vie toute charnelle sans aucune connaissance de la vérité. Tel est nécessairement l'enfant au -berceau, tel aussi l'enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de raison. Et comme ces sens qui dominent le premier âge, sont naturels et l'oeuvre de Dieu même; on leur donne à juste titre le nom de maris, parce qu'ils sont légitimes, et que ce n'est point l'erreur par son vice propre, mais la nature façonnée par Dieu, qui nous les a. procurés. Cependant tout homme parvenu à l'âge de raison cesse de les prendre pour guides, dès qu'il a pu comprendre la vérité; dès lors il a pour mari l'esprit raisonnable, auquel il assujettit les sens, en rendant son corps esclave; l'âme alors n'est plus asservie à cinq maris, c'est-à-dire aux cinq sens, mais elle possède son légitime époux, le Verbe divin, auquel elle s'unit et s'attache, puis

1 Jn 5,46

que l'esprit de l'homme s'attache au Christ, vu que le Christ est le chef de l'homme (1), et, dans cette union spirituelle, elle jouit de la vie éternelle sans plus craindre la séparation. En effet, qui pourra nous séparer de l'amour du Christ (2).
Mais comme cette femme partageait l'erreur d'un siècle livré aux vaines superstitions, après le temps des cinq sens charnels qui dominent, comme nous l'avons dit, le premier âge, le Verbe de Dieu ne l'avait point épousée, mais elle était unie au démon dans un commerce adultère. Voilà pourquoi le Seigneur, voyant qu'elle était charnelle c'est-à-dire qu'elle avait les goûts de la chair, lui dit: «Va, appelle ton mari et viens ici;» c'est-à-dire renonce â l'affection charnelle qui te domine maintenant et t'empêche de comprendre ce que je dis, «et appelle ton mari,» c'est-à-dire sois ici présente par l'esprit d'intelligence. En effet l'esprit de l'homme est en quelque sorte le mari de l'âme, puisqu'il gouverne l'affection charnelle comme une épouse. Ce n'est pas cet Esprit-Saint, qui vit immuable avec le Père et le Fils et se donne sans retour aux âmes pures, c'est l'esprit de l'homme dont l'Apôtre dit: «Personne ne sait ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme;» tandis que l'Esprit-Saint est l'Esprit de Dieu, dont le même Apôtre dit: «Personne ne sait ce qui est en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu (3).» Donc quand l'esprit de l'homme est présent, c'est-à-dire attentif, et qu'il se soumet pieusement à Dieu, l'homme comprend les choses qu'on lui dit dans l'ordre spirituel. Mais quand l'erreur diabolique domine l'âme, et que l'intelligence est, pour ainsi dire, absente, l'homme devient adultère. Ainsi appelle ton;mari,» veut dire fais appel à l'esprit qui est en toi, par lequel l'homme peut comprendre les choses spirituelles quand la lumière de la vérité l'éclaire; qu'il soit présent quand je te parle, afin que tu puisses recevoir l'eau spirituelle. Et comme elle répondait: «Je n'ai pas de mari,» le Sauveur reprend: «Tu as bien dit: car tu as eu cinq maris;» en d'autres termes, les cinq sens de la chair qui t'ont gouvernée dans le premier âge; et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari, parce que tu n'as pas l'Esprit qui comprend Dieu, et avec lequel tu peux avoir une union légitime; mais tu es sous l'empire de l'erreur du démon, qui te souille par un commerce adultère.
8. C'est peut-être aussi pour indiquer; à qui

1 1Co 11,3 - 2 Rm 8,36 - 3 1Co 2,11

460

sait comprendre, que les cinq maris désignent vraiment les cinq sens du corps, qu'après cinq réponses charnelles, cette femme nomme enfin le Christ dans une sixième réponse. En effet, elle a. d'abord répondu: «Comment vous, qui êtes Juif, me demandez-vous à boire?» Puis: «Seigneur, vous n'avez pas même de quoi puiser, et le puits est profond;» ensuite. «Seigneur, donne-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus puiser ici;» en quatrième lieu: «Je n'ai Point de mari,» et enfin: «Je vois que vous êtes un prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne.» Car cette dernière réponse est encore charnelle. En effet on avait donné aux hommes charnels un lieu terrestre pour y prier; mais le Seigneur dit que le hommes spirituels prieront en esprit et en vérité. Or après.qu'il a dit cela, la femme, dans sa sixième réponse, reconnaît que le Christ enseignera toutes ces choses; car elle dit: «Je sais que le Messie; c'est-à-dire le Christ, viendra; lors donc qu'il sera venu, il nous apprendra lui- même toutes choses.» Ici elle se trompe encore, parce qu'elle ne voit pas que celui dont elle attend la venue, est déjà arrivé. Mais la miséricorde du Seigneur dissipe cette erreur adultère. «Jésus lui dit en effet: Je le suis, moi qui te parle.» A ces mots elle ne répond rien; mais elle laisse aussitôt sa cruche, s'en va en hâte vers la ville, et non contente de croire, elle y prêche l'Évangile et l'arrivée du Seigneur. Elle laissa sa cruche: circonstance sur laquelle il ne faut pas passer légèrement. Peut-être cette cruche est-elle l'emblème de l'amour du siècle, c'est-à-dire de l'ardeur coupable avec laquelle les hommes cherchent le plaisir dans la profondeur des ténèbres figurée par le puits, ou, autrement, dans le commerce avec les choses terrestres; jouissances qui ne font qu'augmenter leur convoitise, comme cette eau dont il est dit: c Quiconque boit de cette eau, aura encore soif (1).» Or, dès que cette femme croyait au Christ, il fallait qu'elle renonçât au monde; qu'elle prouvât en laissant sa cruche, qu'elle disait adieu à l'ambition du siècle; non- seulement en croyant de coeur pour être justifiée, mais en confessant de bouche pour être sauvée, et en proclamant ce qu'elle croyait (2).

1 Jn 4,5-34 - 2 Rm 10,10 -

65. - De la résurrection de Lazare (Jn 11,1-44).

Jn 11,1-44

Nous croyons fermement, d'après le récit évangélique, que Lazare est ressuscité; cependant je ne doute pas que ce fait renferme aussi une allégorie.
Mais le sens allégorique d'un événement n'en détruit pas la certitude. Par exemple: saint Paul nous dit que les deux:ils d'Abraham représentent en allégorie les deux Testaments (1). Abraham en a-t-il moins existé pour cela, ou n'a-t-il pas eu deux fils?
Donc voyons en allégorie, dans Lazare enseveli, l'âme, c'est-à-dire le genre humain, accablé sous le poids du péché: ce que le Seigneur lui-même exprime ailleurs dans la parabole de la brebis perdue, pour laquelle il déclare être descendu en laissant les quatre-vingt-dix-neuf autres sur la montagne (2). Cette question: «Où l'avez-vous mis?» me semble avoir rapport â notre vocation qui se fait dans le secret; car notre prédestination à la vocation est mystérieuse, comme l'indique l'interrogation du Seigneur, qui semble l'ignorer parce que nous l'ignorons nous-mêmes, selon les termes de l'Apôtre: «Afin que je connaisse, comme je suis connu (3).» Ou bien encore cette question rappelle, comme le Seigneur le dit ailleurs, qu'il ne connaît pas les pécheurs: «Je ne vous connais pas (4).» Voilà ce que signifiait la sépulture de Lazare, car la doctrine et les commandements de Dieu ne contiennent pas de péchés. Telle est encore l'interrogation qu'on lit dans la Genèse: «Adam, où es-tu (5)?» Adam avait péché et s'était soustrait aux regards de Dieu. C'est ce que représente ici la sépulture: Lazare mort figure le pécheur; Lazare enseveli, c'est le pécheur se dérobant aria regards divins.
«Otez la pierre.» Ces paroles, je pense, font allusion à ceux qui voulaient imposer la circoncision aux païens convertis à l'Église, et contre lesquels l'Apôtre a écrit plus d'une fois (6); ou aux membres de l'Église dont la conduite est criminelle et qui scandalisent ceux qui seraient disposés à croire. «Marthe lui dit: Seigneur, «voici déjà le quatrième jour et il sent mauvais.» La terre est le dernier- des quatre éléments; elle est donc la figure de la puanteur des péchés, c'est-à-dire des passions charnelles. «Tu es terre,» a dit le Seigneur à Adam après son péché, «et tu retourneras en terre (7).» On ôta la pierre, et Lazare sortit du tombeau, lié aux pieds et aux mains, et le visage enveloppé d'un suaire. Cette sortie du tombeau est l'image de l'âme se détachant des vices de la chair. Si Lazare est lié, c'est que tout en renonçant aux

1 Ga 4,22-21 - 2 Lc 15,4 - 3 1Co 13,12 - 4 Mt 7,23 - 5. Gn 3,9 - 6 Ga 2 - 7. Gn 3,19

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passions charnelles et en obéissant par l'esprit à la loi de Dieu, nous ne pouvons cependant être exempts des inconvénients de la chair, tant que nous habiterons dans notre corps; aussi l'Apôtre nous dit: «J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché (1).» Quant au suaire qui enveloppait le visage du mort, il signifie que nous ne pouvons avoir en cette vie de connaissance parfaite, suivant le mot de l'Apôtre: «Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme; mais plus tard nous verrons face à face (2).» Puis Jésus dit: «Déliez-le et le laissez aller;» c'est-à-dire qu'après cette vie, tous les voiles seront écartés, afin que nous voyions face à face. Pour mesurer la distance qui sépare des autres hommes l'Homme que la Sagesse de Dieu animait, et par qui nous avons été sauvés, il suffit de comprendre que Lazare n'a été délié qu'au sortir du tombeau, c'est-à-dire que l'âme, même rendue a la vie, ne peut être dégagée de tout péché et de l'ignorance qu'après la dissolution de son corps; tant qu'elle ne voit le Seigneur qu'à travers un miroir et en énigme; tandis que les linges et le suaire de celui qui n'a point péché et n'a rien ignoré, ont été trouvés dans le sépulcre (3). Seul donc, non-seulement il n'a point senti dans sa chair le poids du. tombeau., comme s'il eût été trouvé coupable de quelque péché (4); mais il n'a point été embarrassé dans les bandelettes, comme s'il eût ignoré quelque chose ou qu'il eût pu être retardé dans sa marche.

1 Rm 7,25 - 2 1Co 13,12 - 3 Jn 20,7 - 4. Is 53,9 -


66. - Sur ce passage: «Ignorez-vous, mes frères, je parle à ceux qui connaissent la loi, «que la loi ne domine sur l' homme, que pendant le temps qu'il vit?»

Jusqu'à ce verset: «Il vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous (Rm 7,7-11).»

1. Il y a trois choses à considérer dans cette comparaison de l'Apôtre, où il parle de l'homme et dé là femme et dit que la femme est assujettie à la loi de l'homme: La femme, l'homme et la loi; la femme soumise à l'homme par le lien de la loi, lien qui ne se brise que par la mort de l'homme et rend à la femme la liberté d'épouser qui elle veut. Voici en effet les termes de l'Apôtre: «Car la femme qui est soumise à un mari, le mari vivant, est liée par la loi; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc, son mari vivant, elle sera appelée adultère, si elle s'unit à un autre homme; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari, de sorte qu'elle n'est point adultère, si elle s'unit à un autre homme.» Jusqu'ici c'est une comparaison.
Puis l'Apôtre passe à l'explication et à la preuve de la thèse, objet de cette comparaison. Ici trois choses sont aussi à considérer: l'homme, le péché, la loi. Il dit en effet que l'homme est sous l'empire de la loi, tant qu'il vit pour le péché comme la femme est sous la loi du mari, tant que le mari vit. Dr le péché dont il est question ici, est celui qui est venu à l'occasion de la loi péché que l'Apôtre déclare dépasser toute mesure, parce qu'on le commet pourtant, bien qu'il apparaisse dans sa nature de péché, et qu'on l'aggrave par la prévarication. «Car où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication (1).» Et c'est là le sens de ces paroles: «En sorte que le commandement a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché .» Quoique la Loi défende de pécher, l'Apôtre ne dit cependant pas qu'elle ait été donnée pour délivrer du péché, mais pour le faire paraître; et l'âme qui est sous son joug doit recourir à la grâce du libérateur, pour être affranchie du péché. «Car par la loi on a la connaissance du péché (2).» Et ailleurs: «Mais le péché, pour paraître péché, a, par ce qui est bon produit en moi la mort.» Donc là où n'est pas la grâce du libérateur, la défense du péché augmente le désir de pécher. Et cela même est un bien; car il faut que l'âme sente qu'elle ne peut, par elle-même se délivrer de l'esclavage du péché, et que, par là, dépouillant et étouffant tout sentiment d'orgueil, elle se soumette à son libérateur, en sorte que l'homme puisse dire avec vérité: «Mon âme s'est attachée à vous (3);» alors c'est être sous la loi de justice, et non plus sous celle du péché.
On appelle cette loi, loi de péché, non parce qu'elle est péché elle-même, mais parce qu'elle est imposée à des pécheurs. On l'appelle aussi loi de mort parce que la solde du péché est la mort (4);» parce que «l'aiguillon de la mort c'est le péché; et la force du péché, la loi (5).» En effet c'est par le péché que nous allons à la mort. A raison même de la défense de la loi, nos fautes, sont plus, graves que si cette défense n'existait pas. Mais, avec l'aide de 1a grâce, nous faisons volontiers, et sans peine ce qui nous était pénible

1 Rm 4,15 - 2 Rm 3,21 - 3 Ps 62,9 - 4 Rm 6,23 1Co 15,56

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et onéreux sous l'empire de la loi. Ainsi la loi de péché et de mort, c'est-à-dire imposée à des hommes pécheurs et sujets à la mort, nous défend seulement la convoitise, et pourtant nous nous y laissons aller. Mais la loi de l'esprit de vie, produit de la grâce, nous délivre de la loi de péché et de mort et fait que nous ne convoitons plus, que nous remplissons les préceptes de la loi, non plus comme des esclaves, poussés par la crainte, mais comme des amis mus par là charité et serviteurs de la justice, qui est la source même de la loi. Or ce n'est pas en esclave, mais d'un coeur généreux, c'est-à-dire par amour plutôt que par crainte, qu'il faut accomplir la justice. C'est donc avec une grande vérité que l'Apôtre a dit: «Détruisons-nous donc la Loi par la foi? Loin de là: car nous établissons la loi (1).» En effet c'est la foi qui accomplit ce que la loi commande. La loi est donc affermie par la foi. Hors de la foi, la loi se contente de commander, de déclarer coupables ceux qui ne lui obéissent pas, dans le but de les amener un jour, gémissants et impuissants, à la grâce du Libérateur.
2. Nous voyons donc trois choses dans la comparaison: la femme, l'homme et la loi; et dans le sujet qui amène la comparaison, trois choses encore: l'âme, le péché et la loi de péché. La seule différence est que, dans la comparaison, l'homme meurt et que la femme dégagée du lien qui l'unissait à lui, peut épouser qui elle veut, tandis qu'ici l'âme elle-même meurt au péché, pour s'unir au Christ. Or, en mourant au péché, elle meurt aussi à la loi du péché. «Ainsi mes frères, dit l'Apôtre, vous aussi vous êtes morts à la loi parle corps du Christ, pour être à un autre qui est ressuscité d'entre les morts, «afin que nous portions des fruits pour Dieu. «Car, ajoute-t-il, quand nous étions dans la chair,» c'est-à-dire esclaves des désirs charnels, «les passions des péchés qui étaient occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, en sorte qu'elles leur faisaient produire des fruits de mort.» La concupiscence, que la loi défend, augmentait là où la foi n'existait pas, et le crime de la rébellion s'ajoutait au péché et l'aggravait outre mesure; puisque «où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication.» Les passions dont il parlé sont les désirs occasionnés par la loi, et qui opéraient dans nos membres pour produire des fruits de mort.

1 Rm 3,31

Avant que la grâce n'arrivât par la foi, l'âme agissait sous l'empire de ces passions, comme une femme sous la domination de son mari. Donc celui qui observe en esprit la loi de Dieu, est mort à ces passions; bien qu'elles ne soient pas mortes elles-mêmes tant que l'homme est encore assujetti dans sa chair, à la loi du péché. Dans celui qui vit sous la grâce, il reste donc quelque chose qui ne le vaincra ni ne le captivera lui-même: et cela jusqu'à ce que soit entièrement détruit tout ce qui s'est fortifié en lui par les mauvaises habitudes et qui fait dire que, dés aujourd'hui, le corps est mort tant qu'il n'est pas parfaitement assujetti à l'esprit. Or il lui sera compté ment assujetti, quand ce corps mortel aura été lui-même vivifié.
3. Ceci nous fait comprendre qu'il y a dans le même homme quatre états différents et successifs, après lesquels viendra le repos de la vie éternelle. En effet il fallait en toute justice que notre nature, après sa chute, perdit la béatitude spirituelle, figurée par le paradis, et que nous virassions au monde avec une vie animale et charnelle. Le premier état a donc précédé la loi; puis est venue la loi, puis la grâce, et en quatrième lieu viendra la paix. Avant la loi, nous ignorons le péché et suivons les concupiscences charnelles. Sous la loi, on nous défend le péché; mais, entraînés par l'habitude, nous le commettons, parce que la foi ne nous aide pas encore. Dans la troisième époque, comme nous avons une foi pleine à notre Libérateur, que nous n'attribuons rien à--nos mérites, mais à sa miséricorde que nous aimons, nous ne sommes plus dominés par la mauvaise habitude quand elle s'efforce de nous entraîner au mal; cependant nous subissons encore ses assauts, mais sans y céder. Dans le quatrième état, il n'y a plus rien en. l'homme qui résiste à l'esprit; tout cirez lui est maintenu dans un accord parfait et dans une paix solide; et c'est ce qui aura lieu quand, ce corps mortel étant ressuscité, ce qu'il y a de corruptible en lui aura revêtu l'incorruptibilité, et ce qu'il y a de mortel, l'immortalité (1).
4. Pour prouver l'existence du premier état, voici les témoignages qui se présentent à nous . «Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché; ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché. Car le péché a été dans le monde

1 1Co 15,54-55

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de jusqu'à la loi; mais le péché n'était pas imputé, puisque la loi n'existait pas (1).» Et encore: Car, sans la loi, le péché est mort; or j'ai vécu quelque temps sans la loi.» L'Apôtre dit «que le péché est mort,» dans le sens où il disait plus haut qu'il n'était pas imputé,» c'est-à-dire qu'il restait caché; c'est ce qu'il explique lui-même dans ce qui suit: «Mais le péché pour paraître péché a, par une chose bonne, produit en moi la mort,» c'est-à-dire par la loi car la loi est bonne si on en use légitimement (2). Donc s'il dit ici, «pour paraître péché,» il est évident que, plus haut, en disant: «le péché est mort, le péché n'était pas imputé,» l'Apôtre a voulu dire que le péché ne paraissait pas avant que, par la défense, la loi le fit apercevoir.
5. Voici les témoignages qui se rapportent à la seconde époque: «Mais la loi est survenue, pour faire abonder le péché (3).» Car la prévarication, qui n'existait pas, est survenue ainsi. Puis cet autre texte déjà cité: «Quand nous étions dans la chair; les passions des péchés qui étaient occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, jusqu'à leur faire produire des fruits de mort.» Et cet autre: «Que dirons-nous donc? La loi est-elle péché?» Point du tout. «Mais je n'ai connu le péché que par la loi, car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras pas. Or, prenant occasion du commandement, le péché a excité en moi toute concupiscence.» Et un peu plus bas:» Quand est venu le commandement, le péché a revécu. Et moi je suis mort; et il s'est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie, a causé ma mort. Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m'a séduit et par lui m'a tué.» Par ces mots: «Je suis mort,» l'Apôtre veut dire: J'ai connu que j'étais mort: car celui-là devient prévaricateur qui sait, par la loi, ce qu'il ne doit pas faire et le fait néanmoins. Quant à ces paroles: «Le péché, en prenant occasion du commandement, m'a séduit,» elles signifient, ou que l'attrait au péché est plus grand, quand il y a une défense; ou que l'homme qui accomplit les ordres de la loi, s'il n'a pas encore la foi qui est le produit de la grâce, s'en attribue le mérite et pèche davantage par orgueil.
L'Apôtre continue et dit: «Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la

1 Rm 5,12-13 - 2 1Tm 1,8 - 3 Rm 5,20

mort? Loin delà: car le péché pour paraître péché, a, par une chose bonne; produit en moi la mort, de sorte que le commandement, a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché. Car nous savons que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel,» c'est-à-dire n'étant pas encore délivré par la grâce spirituelle (1), j'acquiesce à la chair, «vendu comme esclave au péché,» c'est-à-dire commettant le péché pour des voluptés temporelles. «Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas,» c'est-à-dire je ne le reconnais point comme conforme aux préceptes de la charité, où est la vraie science. C'est en ce sens que le Seigneur dit aux pécheurs: «Je ne vous connais pas.» Car rien ne lui échappe; mais comme les péchés n'ont point de place dans les prescriptions de la loi, fondées sur la vérité, celui qui est la Vérité même dit aux pécheurs: «Je ne vous connais pas.» En effet comme les yeux reconnaissent les ténèbres en ne les voyant pas, ainsi l'esprit sert les péchés sans les connaître. C'est pour cela, je pense, qu'il est écrit dans les psaumes: «Qui connaît les péchés (2)?»
«Car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je haïs. Or si je fais ce que ne je ne veux pas, j'acquiesce à la loi comme étant bonne. Ainsi ce n'est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair. En effet, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l'y trouve pas. Aussi le bien que je veux, je ne le fais point; mais le mal que je ne veux pas, je le fais. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n'est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Je trouve donc, quand je veux faire le bien, cette loi, que le mal réside en moi. Je me complais dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur; mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit, et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres.» Jusques-là c'est le langage d'un homme établi sous la loi, mais non encore sous la grâce; il est vaincu parle péché, malgré lui; car l'habitude de la chair a prévalu, ainsi que le lien naturel de la mortalité, qui nous rattache à Adam. Que celui qui se trouve en cet état implore donc du secours, et qu'il sache qu'il n'a en propre que la nature déchue, et non la nature restaurée. Une fois délivré, il

1 Rét. l. 1,ch. 26. - 2 Ps 18,13

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connaît la grâce de son libérateur et s'écrie: «Homme infortuné que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.»
6. Maintenant commence le langage de l'homme établi sous la grâce, dans le troisième état dont nous avons parlé, où la chair mortelle offre encore de la résistance, mais ne triomphe plus et ne force plus à consentir au péché. Voici ce que dit l'Apôtre. «Ainsi j'obéis moi-même par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché. Il n'y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, parce que la loi de l'esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort.. Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair;» c'est-à-dire par les désirs charnels car la loi n'était pas accomplie, parce que l'amour de la justice n'existait pas encore, cet amour qui contient l'âme, par la joie intérieure et ne permet pas qu'elle soit entraînée au péché par l'attrait des choses temporelles. La loi était donc affaiblie par la chair, c'est-à-dire ne rendait pas justes ceux qui étaient les esclaves de la chair. «Mais Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché.» Ce n'était point une chair de péché, car elle n'était point née de la délectation charnelle; cependant elle ressemblait à la chair du péché, parce qu'elle était mortelle, et qu'Adam n'a mérité la mort qu'en péchant. Mais qu'a fait le Seigneur? Il a condamné le péché dans la chair à cause du péché même,» c'est-à-dire, en revêtant la chair de l'homme pécheur et en nous apprenant à vivre, il a condamné le péché dans la chair même, afin que l'esprit enflammé de l'amour des choses éternelles ne se laissât plus entraîner par la passion.
«Afin, continue l'Apôtre, que la justification de la loi s'accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l'esprit.» Ainsi les préceptes de la loi, quine pouvaient s'accomplir par la crainte, s'accomplissent par l'amour. «En effet ceux qui sont selon la chair, goûtent les choses de la chair,» c'est-à-dire estiment les biens charnels comme le souverain bonheur. «Mais ceux qui sont selon l'esprit ont le sentiment des choses de l'esprit. Or la prudente de la chair est mort; mais la prudence de l'esprit est vie et paix. Parce que la prudente de la chair est ennemie de Dieu.» Il a lui-même expliqué le sens de ce mot ennemie, de peur qu'on ne supposât l'existence d'un autre principe. En effet il ajoute immédiatement: «Car elle n'est point soumise à la loi de Dieu, et elle ne le peut.» Ainsi agir contre la loi, c'est être ennemi de Dieu. Non que rien puisse nuire à Dieu; mais celui qui résiste à la volonté de Dieu se nuit à lui-même: il regimbe contre l'aiguillon, ainsi que la voix d'en haut le dit à l'apôtre Paul, quand il persécutait l'Église (1). «Car elle n'est point soumise à la loi de Dieu et elle ne le peut,» c'est à peu près comme si l'on disait: La neige n'échauffe pas, car elle ne le peut. En effet tant qu'elle est neige, elle n'échauffe pas; seulement elle peut se fondre et devenir brûlante, jusqu'à échauffer; mais alors, elle n'est plus neige. De même ce que l'Apôtre appelle prudence de la chair, c'est la convoitise l'âme pour les biens temporels auxquels elle attache un grand prix. Tant que l'âme est dominée par cette convoitise, elle ne peut être soumise à la loi de Dieu, c'est-à-dire elle ne peut accomplir ce que la loi commande. Mais dès qu'elle commence à désirer les biens spirituels et à mépriser les biens temporels, la prudence de la chair cesse et n'oppose plus de résistance à l'esprit. Ainsi la même âme est dite avoir la prudence de la chair, quand elle convoite les choses d'ici-bas, et la prudence de l'esprit, quand elle aspire aux choses d'en haut; non que la prudence de la chair soit une espèce de substance, dont l'âme se revête ou se dépouille; mais c'est une affection de l'âme elle-même et qui cesse aussitôt que l'âme se tourne vers les choses du ciel.
«Or, dit l'Apôtre, ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu,» c'est-à-dire ceux qui se livrent aux voluptés' de la chair. Car de peur qu'on n'entende ces paroles de ceux qui ne sont pas encore sortis de cette vie, il ajoute très à propos: «Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit.» Evidemment il parle à des hommes qui sont encore de ce monde. En effet ils étaient dans l'esprit, parce qu'ils se complaisaient dans la foi, l'espérance et l'amour des choses spirituelles. «Si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous. Or si quelqu'un n'a point l'Esprit du Christ, celui-là n'est point à lui. Mais si le Christ est en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l'esprit vit par l'effet de la justification.»

1 Ac 9,5

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Il appelle le corps mort, tant qu'il fatigue l'âme par le besoin des choses corporelles (1), et qu'il excite en elle des appétits terrestres par certains mouvements dont l'origine est dans ces besoins mêmes. Cependant, malgré ces mouvements, l'âme, une fois sous le joug de la loi de Dieu et sous l'empire de la grâce, ne consent point à faire le mal. C'est ce que l'Apôtre a exprimé plus haut, quand il a dit: «J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché.»L'homme ainsi dépeint sous l'action de la grâce n'a point encore la paix parfaite, qui s'établira à la résurrection et à la transformation du corps.
7. Il ne reste donc plus à l'Apôtre qu'à parler de cette paix, qui suit la résurrection du corps, c'est-à-dire du quatrième acte de l'humanité, s'il est permis de donner ce nom à ce qui sera le repos partait. Il continue en effet et dit: «Si donc l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous; celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous (1).» Voilà un témoignage très-clair de la résurrection des morts. Il est du reste assez certain que tant que nous sommes en cette vie nous ne pouvons être exempts des incommodités de la chair mortelle, ni. de certaines provocations aux voluptés sensuelles. En effet, bien que celui qui est établi sous la grâce et qui obéit par l'esprit à la loi de Dieu ne cède point à ces tentations, cependant, par la chair, il est assujetti à la loi du péché. L'homme montant, par ces degrés, à la perfection, il est sûr que le mal n'est point une substance, et que la loi n'est point mauvaise, elle qui fait voir à l'homme les liens dont le péché l'enchaîne, afin qu'en implorant avec foi le secours du libérateur, il mérite d'être délié, relevé et complètement raffermi.
Ainsi dans la première époque, qui précède la loi, il:n'y a point de lutte contre les plaisirs du siècle; dans la seconde, sous la loi, on combat mais on est vaincu; dans la troisième, nous combattons et nous triomphons; dans la quatrième, nous ne combattons plus, mais nous nous reposons dans une paix parfaite et éternelle. Alors nous dominons la partie inférieure de notre être, qui ne voulait plus se soumettre depuis que nous avions abandonné Dieu, notre Souverain maître.

1 Rm 7,8-11


Augustin, 83 questions - 62. - Sur ces paroles de l'Évangile: «Jésus baptisait plus que Jean quoique Jésus ne baptisât point, mais ses disciples (Jn 4,1-2).»