Augustin, des hérésies. - XLII. Les Origénistes,

XLII. Les Origénistes,

XLII. Les Origéniens, disciples d'un Origène, diffèrent de celui que presque tout le monde connaît. Qui était cet Origène? Je l'ignore: mais voici ce qu'Epiphane dit de lui et de ses sectateurs: «Les Origéniens, ainsi nommés d'Origène, leur maître, se livrent à des turpitudes et commettent des abominations: leurs corps sont de vrais instruments de corruption». Puis parlant d'autres Origéniens, il ajoute:

XLIII. D'autres Origénistes,

XLIII. «Il y a d'autres Origéniens, qui suivent la doctrine d'Adamand: ils nient la résurrection des morts, et disent que le Christ et le Saint-Esprit ont été créés: pour eux, le paradis, le ciel et bien d'autres objets de nos croyances ne doivent point être pris à la lettre». Voilà ce qu'Epiphane dit d'Origène. Ceux qui le défendent, soutiennent que d'après lui, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne forment qu'une seule et même substance, et que la résurrection des morts aura lieu. Ceux, au contraire, qui ont lu la plupart de ses écrits, persistent à l'attaquer, sous divers rapports, comme hérétique. Mais Origène a professé d'autres points de doctrine que l'Eglise rejette d'une manière absolue, dont elle le blâme à juste titre, et sur lesquels ses défenseurs ne peuvent donner aucune explication plausible; particulièrement en ce qui concerne la purification et la délivrance des damnés, et encore, pour les créatures raisonnables, leur retour aux mêmes épreuves après un laps de temps considérable. Quel catholique instruit ou ignorant pourrait, en effet, ne pas condamner ce qu'Origène dit de la purification des méchants dans l'enfer? Il prétend que les méchants, même ceux qui auront terminé leur existence au milieu des infamies, dans le crime, dans le sacrilège et l'impiété, qu'en dernier lieu le démon lui-même avec ses anges seront délivrés et purifiés après une infinité de siècles, et seront reçus dans le royaume et la lumière de Dieu enfin, qu'après bien des temps, tous ceux qui auront été délivrés, retomberont et retourneront dans les mêmes maux: que ces alternatives de bonheur et de misères ont toujours été et seront toujours la destinée de la créature raisonnable. Dans le livre de la Cité de Dieu, je me suis efforcé de détruire ce vain et impie système, adopté par les philosophes, et suivi par Origène (1).

1. Cité de Dieu, liv. XXI.

XLIV. Les Paulinianistes,

XLIV. Les Pauliniens, sectateurs de Paul de Samosate, soutiennent que le Christ n'a pas toujours existé, mais qu'il a commencé au moment où il est né de la Vierge Marie: ils ne voient donc en lui qu'un pur homme. Cette hérésie avait été précédemment professée par un certain Artimon: après avoir presque disparu, elle fut remise en scène par Paul de Samosate, et soutenue par Photin, au point que ses sectateurs furent bientôt plus connus sous le nom de Photiniens que sous celui de Pauliniens. Au Concile de Nicée, on décréta que ceux d'entre ces Pauliniens qui voudraient rentrer dans le giron de l'Eglise catholique, seraient baptisés: d'où il est permis de conclure qu'ils n'avaient point conservé la vraie manière de baptiser, à l'exemple de beaucoup d'autres hérétiques, qui, en se séparant de la véritable Eglise, ont néanmoins religieusement conservé ses rites, qu'ils observent encore aujourd'hui.

XLV. Les Photiniens,

XLV. Dans la liste des hérétiques dressée par Epiphane, Photin n'est placé ni à côté de;Paul de Samosate, ni après lui, mais entre eux se trouvent indiqués d'autres hérésiarques. Selon cet auteur, Photin professa certainement les mêmes erreurs que Paul, mais il s'en éloigna à certains égards: en quoi consista la divergence de leurs opinions? Epiphane ne le dit pas. Au contraire, dans la liste de Philastre, les noms de ces deux hérétiques se suivent immédiatement, désignés l'un et l'autre par un numéro d'ordre différent, (10) comme s'ils avaient professé des doctrines diverses: et pourtant Philastre déclare que le second a suivi en tout les errements du premier.

XLVI. Les Manichéens,

XLVI. Manès, originaire de Perse, fut le chef des Manichéens: cependant, après qu'il eut commencé à enseigner en Grèce sa doctrine insensée, ses disciples aimèrent mieux l'appeler Manichée que de lui donner un nom synonyme de celui de folie. Partant de là, quelques-uns d'entre eux, comme plus savants et, par là même, plus menteurs, doublèrent l'N, et prononcèrent Mannichée, c'est-à-dire, homme qui répand la manne. Manès imagina l'existence de deux principes, différents l'un de l'autre, opposés l'un à l'autre, éternels et coéternels, c'est-à-dire, ayant toujours existé; et, imitant en cela les anciens hérétiques, il admit deux natures et deux substances, celle du bien et celle du mal. Il serait trop long d'insérer, dans cet ouvrage, les rêveries dont il a enveloppé sa doctrine touchant l'opposition et le mélange du bien et du mal, la séparation complète du bien d'avec le mal, et la condamnation éternelle réservée au mal, comme au bien qui ne pourra être séparé du mal. En conséquence de ces rêveries ridicules et impies, les Manichéens sont forcés de reconnaître la même nature à Dieu et aux âmes bonnes, qui doivent être délivrées de leur mélange d'avec les âmes mauvaises, c'est-à-dire, des âmes douées de la nature opposée à celle du bien. C'est pourquoi, selon eux, la nature du bien, c'est-à-dire la nature divine, a fait le monde, il est vrai, mais elle l'a fait du mélange formé par le bien et le mal au moment où les deux natures ont lutté l'une contre l'autre. Cependant la séparation parfaite du bien d'avec le mal et sa délivrance, ce sont les vertus de Dieu qui l'effectuent par tout le monde et dans tous les éléments, comme elles forment leurs élus parles aliments dont ils se nourrissent. Ces aliments et le monde entier sont mélangés avec la substance divine, et cette substance est purifiée dans les élus des Manichéens par le genre de vie que ceux-ci ont adopté et que leurs auditeurs observent encore d'une manière plus sainte et plus excellente. J'ai prononcé les noms d'élus et d'auditeurs; deux classes de fidèles dont se compose leur Eglise. A les en croire, cette partie de la nature bonne et divine qui se trouve mélangée et emprisonnée dans les aliments, et dans la boisson, et, surtout, dans ceux qui engendrent, l'est encore d'une façon plus étroite et plus honteuse chez les autres hommes, et même chez leurs auditeurs. Quant aux portions de lumière purifiées, dont la réfraction a lieu de toutes parts, elles retournent à Dieu, comme à leur foyer naturel, transportées dans les airs par des vaisseaux, c'est-à-dire, par la lune et le soleil: ces vaisseaux sont faits de la pure substance de Dieu; et cette lumière corporelle, dont les rayons frappent ici-bas les regards de tous les êtres mortels animés, qui réside, non-seulement dans la lune et le soleil où elle est toute pure, mais encore dans tous les autres objets brillants au sein desquels elle se trouve mélangée, et doit être purifiée; cette lumière corporelle n'est autre que la nature divine. Les cinq éléments, c'est-à-dire, la fumée, les ténèbres, le feu, l'eau et le vent ont été formés par le peuple des ténèbres; ils ont, à leur tour, engendré des princes particuliers. Dans la fumée, sont nés les animaux bipèdes, et, par conséquent, les hommes; dans les ténèbres, les serpents; dans le feu, les quadrupèdes; dans l'eau, les poissons; dans le vent, les oiseaux. Pour détruire la puissance de ces mauvais éléments, cinq autres, émanés de la substance divine, sont sortis du royaume céleste, et, de leur lutte mutuelle, est résulté le mélange de l'air avec la fumée, de la lumière avec les ténèbres, du bon feu avec le mauvais, de la bonne eau avec la mauvaise, du vent mauvais avec le bon. Il y a, entre les deux vaisseaux, ou les deux grands luminaires du ciel, cette différence que la lune a été faite avec la bonne eau, et que le soleil a été fait avec le bon feu. En eux résident les saintes vertus: celles-ci se transforment en hommes pour attirer à eux les femmes du parti adverse, et puis, en femmes pour attirer les hommes de ce même parti, afin que leur concupiscence,'étant éveillée par de telles excitations, la lumière, contenue et mélangée dans leurs membres, s'en échappe, soit reçue par les anges de lumière pour être purifiée, et, après cette purification, soit chargée sur ces vaisseaux et reportée dans son propre royaume. A cette occasion, ou plutôt, par une conséquence nécessaire de leur abominable superstition, leurs élus doivent recevoir une sorte d'eucharistie, sur laquelle on a préalablement répandu de la semence humaine, pour que de là, comme de leurs aliments, la substance divine se trouve délivrée. Les Manichéens affirment que jamais (11) crime pareil n'a été commis parmi eux; ils en accusent je ne sais quels autres hérétiques auxquels ils donnent leur propre nom. Pourtant, tu le sais, au moment où tu étais diacre à Carthage, on les a convaincus dans une église de cette ville: car, après des poursuites dirigées contre eux par le tribun Ursus, préfet de la maison royale, quelques-uns d'entre eux y furent amenés. Alors une jeune fille, du nom de Marguerite, à peine âgée de douze ans, trahit leurs honteuses pratiques, et déclara qu'elle avait été violée pour l'accomplissement de leurs coupables mystères. On obtint assez facilement le même aveu d'une sorte de nonne Manichéenne, appelée Eusébie, qui avait souffert violence pour la même cause. De prime abord, elle avait soutenu qu'elle était vierge, et demandait à être visitée par une sage-femme: lorsqu'elle eut été examinée et qu'on sut à quoi s'en tenir sur son compte, elle fit connaître, comme Marguerite, qu'on avait interrogée à part et dont elle n'avait pu entendre la déposition, tous les détails des criminelles turpitudes des Manichéens: on faisait, disait-elle, coucher ensemble un homme et une femme, après avoir étendu sous eux de la farine destinée à recevoir de la semence humaine et à être mélangée avec elle. Les Actes épiscopaux que vous nous avez envoyés en font foi: tout récemment encore on trouva quelques Manichéens: conduits à l'église, ils y furent minutieusement interrogés, et découvrirent, non des mystères sacrés, mais d'exécrables secrets. L'un d'eux, nommé Viator, appelait Cathares ceux qui se rendaient coupables de pareils forfaits: il reconnaissait aussi, comme sectateurs de Manès, les Mattariens et surtout les Manichéens, avouant, toutefois malgré lui, qu'ils étaient tous les disciples du même maître, et de vrais Manichéens. Il est, en effet, certain et indubitable qu'ils ont tous, entre les mains, les livres manichéens où se trouve l'affreuse doctrine de la transformation des hommes en femmes, et des femmes en hommes, et dans lesquels on les excite à attirer et à détruire, par la concupiscence, les princes des ténèbres inhérents aux deux sexes, afin que la substance divine, jusqu'alors retenue captive en eux, soit délivrée et s'en éloigne: ils ont beau dire qu'on ne pratique point chez eux la doctrine contenue dans ces livres, toutes ces abominations en découlent comme de source. En agissant de la sorte, ils pensent imiter de leur mieux les vertus divines: par ce moyen, ils purifient cette portion de leur Dieu qui se trouve enfermée et toute souillée dans la semence humaine, comme dans tous les corps célestes et terrestres, et dans la semence de toutes choses. Ils doivent, par conséquent, la délivrer de la semence humaine en se nourrissant de celle-ci, comme ils la délivrent de toutes les autres semences contenues dans les aliments dont ils font usage. De là leur est venu le nom de Cathares ou purificateurs, car ils mettent à purifier la substance divine un tel soin, qu'ils ne reculent pas même devant l'infamie d'une pareille nourriture. Cependant ils ne mangent pas de viande, car, disent-ils, la substance divine est incompatible avec n'importe quel être mort ou tué, et le peu qu'il en reste dans ces corps, ne mérite pas d'être purifié dans l'estomac des élus. Les veufs n'entrent pas non plus dans leur alimentation, car le principe de la vie s'éteint en eux dès qu'on en brise l'enveloppe on ne peut se nourrir d'aucun corps mort, et ce qui vient de la chair est mort, à moins d'être mêlé à de la farine, parce que celle-ci lui conserve la vie. Les Manichéens ne se servent pas davantage de lait, quoiqu'on le suce ou qu'on le tire d'un corps animal vivant; non pas qu'à leurs yeux la substance divine ne s'y trouve point mêlée, mais parce que l'erreur ne se trouve pas toujours d'accord avec elle-même. Par la même anomalie, ils ne boivent pas de vin, parce que c'est le fiel du prince des ténèbres: ils mangent du raisin, et pourtant encore, ils n'usent pas même de vin doux, si nouveau qu'il soit. Suivant eux, les âmes des auditeurs retournent dans les élus, ou, par une plus heureuse coïncidence, dans les aliments des élus, en sorte qu'étant, là, bien purifiées, elles ne sont point obligées de transmigrer à nouveau dans un autre corps. mais toutes les autres âmes repassent dans les troupeaux et dans tout ce qui tient par racines à la terre, et s'en nourrit. Les herbes et les arbres vivent de telle façon qu'ils en ont le sentiment et qu'ils gémissent quand on les blesse: aussi, les Manichéens éprouvent-ils une sorte de torture, dès qu'ils voient cueillir une herbe ou couper un arbre en conséquence, il n'est point permis, chez eux, même de défricher un champ; on doit, ô folie! regarder comme entaché d'homicide, (12) l'art le plus innocent de tous, l'agriculture, et, s'il est permis aux auditeurs de cultiver la terre, c'est uniquement parce qu'ils trouvent, dans la culture des champs, le moyen de fournir des aliments aux élus, et que la substance divine, contenue dans ces aliments pour y être purifiée, demande grâce pour eux, lorsqu'elle est dégagée dans l'estomac des élus. C'est pourquoi ceux-ci ne travaillent jamais dans la campagne, rie cueillent pas de fruits, n'arrachent pas même une feuille, et attendent que les auditeurs leur apportent les différentes récoltes destinées à leur usage: ainsi, ils vivent d'une foule d'homicides, commis par les autres, imaginés par leur folle vanité. Si les auditeurs se nourrissent de viande, recommandation expresse leur est faite de ne pas tuer eux-mêmes les animaux dont elle provient, dans la crainte d'offenser les princes des ténèbres retenus captifs dans les régions célestes, car toute chair a été créée par eux. S'ils usent du mariage, ils doivent soigneusement éviter de concevoir et d'engendrer, de peur que la substance divine, introduite en eux par les aliments, ne se trouve enchaînée par des liens charnels dans leurs enfants. Ils se figurent, en effet, que toute chair reçoit une âme par l'intermédiaire de la nourriture et de la boisson: aussi parmi eux condamne-t-on positivement les noces, et les empêche-t-on le plus possible, puisqu'on ordonne d'éviter la génération, qui est cependant la fin légitime de l'union conjugale. A leur sens, Adam et Eve ont eu pour parents les princes de la fumée: leur naissance remonte à l'époque, où, après avoir dévoré tous les enfants de ses compagnons et absorbé ainsi la portion de substance divine qu'ils contenaient, Saclas, leur père, connut sa femme, et rendit de nouveau captive cette portion de divine substance en l'enfermant dans la chair de sa propre race, comme dans une étroite prison. Le Christ a existé: c'était le serpent de l'Ecriture, qui ouvrit les yeux de l'intelligence à nos premiers parents, et leur fit connaître le bien et le mal. Le Christ est revenu sur la terre en ces derniers temps pour sauver les âmes et non les corps: il n'a point réellement pris une chair mortelle, il ne s'est incarné qu'en apparence, et s'est ainsi joué des sens de l'homme. Il a paru mourir et ressusciter, et, dans sa mort comme dans sa résurrection, il n'y a eu que de l'illusion. Le Dieu qui a donné sa loi par le ministère de Moïse, qui a parlé par les Prophètes juifs, n'était pas le vrai Dieu, c'était un prince des ténèbres. Les Manichéens altèrent aussi les livres du Nouveau Testament, de manière à y prendre ce qui leur plaît, et à en rejeter ce qui ne leur convient pas: pour s'y autoriser, ils prétendent que le texte en a été précédemment corrompu; ils leur préfèrent des écritures apocryphes, qui, à les en croire, renferment toute la vérité. La promesse du Saint-Esprit, faite par Notre-Seigneur Jésus-Christ (1), s'est accomplie en la personne de Manichée, leur maître: de là vient que, dans toutes ses lettres, il prend le titre d'apôtre de Jésus-Christ, parce que le Sauveur avait promis de l'envoyer et lui avait donné l'Esprit-Saint. Voilà aussi pourquoi Manichée se choisit douze disciples à l'exemple de Notre-Seigneur. Le nombre douze est encore aujourd'hui respecté et conservé par ses sectateurs. Chez eux on choisit, d'entre les élus, douze hommes auxquels on donne le nom de maîtres, et à la tête desquels on en place un treizième en qualité de chef: il y a aussi soixante-douze évêques, ordonnés par les maîtres, et des prêtres ordonnés par les évêques: les évêques ont leurs diacres; les autres membres de la secte portent seulement le nom d'élus mais ceux d'entre eux qui paraissent capables, on les envoie pour soutenir et développer l'erreur là où elle est déjà établie, pour la semer là où elle n'existe pas encore. Ils n'attribuent au baptême d'eau aucune efficacité pour le salut, et pensent ne devoir le conférer à aucun de ceux qu'ils entraînent dans leur hérésie. Pendant le jour, ils se tournent, pour prier, vers le soleil, n'importe où il en soit de sa course: pendant la nuit, leur visage se dirige du côté de la lune, si on la voit, et quand on ne l'aperçoit pas, du côté de l'aquilon, par où le soleil revient du lieu de son coucher à celui de son lever. Suivant leur doctrine, le péché ne vient pas du libre choix de la volonté de l'homme; c'est la substance du parti contraire qui le produit. Partant de là, que la substance du principe mauvais est mêlée à tous les hommes, ils disent que toute chair a été formée, non par Dieu, mais par le mauvais esprit, qui, émané du principe contraire, est coéternel à Dieu. Si nous ressentons en nous la concupiscence de la chair, source des luttes du corps contre l'esprit, cette

1. Jn 16,7

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infirmité n'est point en nous le résultat de la corruption de la nature en Adam; c'est une substance contraire, tellement adhérente à notre être, que, quand nous en sommes délivrés et purifiés, elle s'en sépare pour vivre elle-Même éternellement dans sa propre nature. Entre ces deux âmes, ou ces deux esprits, l'un bon, l'autre mauvais, se livre, dans chaque homme, un combat, lorsque la chair lutte contre l'esprit, et l'esprit contre la chair (1). Cette infirmité n'a jamais été et ne sera jamais guérie en nous, de la manière dont on l'enseigne dans l'Eglise catholique; mais, séparée de nous et enfermée pour toujours dans un certain autre monde comme dans une prison, cette substance du mal sera éternellement victorieuse quand seront arrivés la fin des temps et le bouleversement de l'univers. A ce monde viendront continuellement se joindre et s'attacher à la manière d'un vêtement ou d'un manteau, les âmes qui, malgré leur bonté naturelle, n'auraient pu néanmoins se purifier de leur contact avec la nature mauvaise.

1. Ga 5,17

XLVII. Les Hiéracites,

XLVII. Les Hiéracites, disciples d'Hiéracas, nient la résurrection de la chair, ne reçoivent dans leur société, que des moines, des religieuses et des personnes libres des liens du mariage, et prétendent que les enfants morts avant l'âge de raison n'entrent pas dans le royaume des cieux, parce qu'ils n'ont mérité ce bonheur par aucun combat contre le vice.

XLVIII. Les Méléciens,

XLVIII. Les Méléciens, ainsi nommés de Mélèce, leur chef, sont devenus schismatiques en ne consentant pas à prier avec les convertis, c'est-à-dire, avec ceux qui, ayant renié la foi pendant la persécution, étaient revenus à résipiscence. On dit qu'ils sont maintenant réunis aux Ariens.

XLIX. Les Ariens,

XLIX. Arius a donné son nom aux Ariens tous connaissent parfaitement ces hérétiques et leur erreur. A les entendre, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas d'une seule et même nature, d'une seule et même substance, ou, pour parler plus clairement, n'ont pas la même essence, en grec,??s?a; le Fils est une créature, et le Saint-Esprit est une créature de créature, c'est-à-dire, formée par le Fils. En s'incarnant, le Christ a pris seulement un corps, sans s'unir en même temps à une âme. Toutefois, sur ce dernier point, on tonnait moins leur doctrine que sur les autres, et personne que je sache, n'a rien dit de certain à cet égard: il est néanmoins positif que telle est leur doctrine. Epiphane l'a reconnu; je m'en suis moi-même assuré en lisant certains de leurs écrits, en écoutant certains de leurs discours. Ils rebaptisent aussi les catholiques: en usent-ils de même avec les non-catholiques? Je l'ignore.

L. Les Vadianites ou Anthropomorphites,

L. Epiphane veut qu'on regarde comme schismatiques, et non comme hérétiques ceux qu'il appelle Vadiens et que d'autres nomment Anthropomorpbites, parce qu'ils adoptent des idées charnelles et représentent Dieu sous une figure humaine corruptible. Pour les épargner et ne point les faire considérer comme hérétiques, Epiphane attribue cette erreur à leur rusticité. Voici ce qu'il en dit: «Les Vadiens se sont séparés de notre communion, parce que les richesses des évêques les offusquaient, et qu'ils célébraient la pâque en même temps que les Juifs». Certains auteurs affirment pourtant qu'en Egypte ils sont en communion avec les Catholiques. - Epiphane place les Photiniens en cet endroit de sa liste: nous en avons déjà suffisamment parlé plus haut.

LI. Les Semi-Ariens,

LI. Au dire de cet écrivain, les Semi-Ariens reconnaissent, dans le Fils, une essence pareille à celle du Père, mais non la même: ils sont par conséquent des Ariens incomplets, puisque les vrais Ariens et les Eunomiens n'acceptent pas même la similitude de substance entre ces deux personnes.

LII. Les Macédoniens,

LII. Les Macédoniens, sectateurs de Macédonius, sont appelés, chez les Grecs, p?e? at? a???? (1), parce qu'ils élèvent des contestations au sujet du Saint-Esprit. En ce qui concerne le Père et le Fils, il n'y a rien à blâmer dans leur doctrine, puisqu'ils confessent une seule et même substance ou essence dans l'un et dans l'autre: mais ils ne veulent pas en croire autant du Saint-Esprit, qu'ils regardent comme une simple créature. Quelques-uns leur donnent, avec plus de raison, le nom de Semi-Ariens, parce qu'ils sont d'accord à demi avec les Ariens, et d'accord à demi avec nous. Néanmoins, d'autres pensent que, dans l'idée des Macédoniens, le Saint-Esprit n'est pas Dieu, qu'il n'a pas de substance à lui propre, mais qu'il est seulement la divinité du Père et du Fils.

1. Ce mot signifie: Ennemis de l'esprit.

LIII. Les Aériens,

LIII. Désolé de n'avoir pu devenir évêque, (14) le prêtre Aérius se jeta dans le parti des Ariens, fonda la secte des Aériens en ajoutant quelques erreurs 'à celles de l'arianisme. Ainsi, selon lui, on ne devait ni offrir le saint sacrifice pour les morts, ni établir ou observer des jeûnes solennels: chacun pouvait jeûner à son gré, afin de ne point paraître soumis à une loi: on né devait, non plus, voir aucune différence entre un évêque et un prêtre. Si l'on en croit certains auteurs, les Aériens, à l'exemple des Encratites ou Apotactites, ne reçoivent, dans leur communion, que les continents et ceux qui ont renoncé au monde au point de ne plus rien posséder en propre. Au dire d'Epiphane, ils mangent de la viande: Philastre, au contraire, assure qu'ils s'en abstiennent.

LIV. Les Aétiens ou Eunomiens,

LIV. Les Aétiens s'appellent ainsi d'Aétius, et Eunomiens d'Ennomius, son disciple: mais ils sont plus connus sous ce dernier nom. Dialecticien habile, mordant et renommé, Eunomius soutint, avec plus de succès que son maître, l'erreur d'après laquelle le Fils serait tout différent du Père et le Saint-Esprit tout différent du Fils. Les bonnes moeurs rencontrèrent aussi en lui un adversaire si effronté, qu'il promettait à tous les sectateurs fidèles de sa doctrine une impunité complète pour les crimes les plus abominables et la persévérance dans le mal.

LV. Les Apollinaristes,

LV. Marchant sur les traces d'Apollinaire, les Apollinaristes s'éloignèrent, comme lui, de la foi catholique touchant l'âme du Christ, et prétendirent, à l'exemple des Ariens, que le Dieu-Christ avait pris un corps sans âme. Confondus par les textes de l'Evangile opposés à leur enseignement, ils répondirent que, si le Sauveur avait pris une âme, elle était privée de l'entendement qui rend raisonnable l'âme humaine: défaut, ajoutaient-ils, suppléé par la présence du Verbe. Relativement au corps du Christ, ils ne s'accordaient pas davantage avec l'enseignement de l'Eglise. Dans leur opinion, le Verbe était une seule et même substance avec son corps: il s'était fait chair en ce sens qu'une portion du Verbe s'était convertie et changée en chair, mais son corps n'avait pas été formé de celui de Marie.

LVI. Les Antidicomarites,

LVI. Les Antidicomarites ne reconnaissent pas la virginité de Marie: ils soutiennent, au contraire, qu'après la naissance du Christ, elle a eu des rapports charnels avec son époux.

LVII. Les Massaliens ou Euchites,

LVII. La dernière hérésie dont Epiphane fasse mention, est celle des Massaliens, nom syrien que les Grecs rendent par celui d'Euchites (e???ta?) à cause de leur manière de prier. Le Seigneur avait dit: «Il faut prier a toujours et ne pas se lasser (1)». L'Apôtre avait dit aussi: «Priez sans cesse (2)». Ce qui signifie évidemment qu'il ne faut passer aucun jour sans consacrer à la prière quelques moments. Les Massaliens ont tellement pris à la lettre cette recommandation, qu'on a cru devoir, pour cela, les ranger parmi les hérétiques. Néanmoins, si l'on ajoute foi au dire de certains auteurs, ils racontaient, sur la purification des âmes, je ne sais quelle fable fantastique et ridicule: ainsi, par exemple, quand un homme est purifié, on lui voit sortir de la bouche une laie avec ses petits, et, aussitôt après, un globe de feu entre visiblement en lui, et ne le consume pas. Epiphane leur assimile et comprend dans la même secte les Euphémites, les Martyriens et les Sataniens. Les Euchites prétendent que les moines ne peuvent et ne doivent rièn faire, même pour subvenir aux nécessités de la vie, et qu'on ne se montre véritablement moine qu'en s'abstenant de tout travail.

1. Lc 18,1 - 2. 1Th 5,17

L'évêque de Chypre, dont il a été tout à l'heure question, termine ici son ouvrage sur les hérésies. Cet écrivain jouit d'une grande réputation parmi les Grecs; on le regarde généralement comme très-exact en fait de doctrine catholique. Dans la nomenclature des hérétiques et l'exposition de leurs erreurs, j'ai suivi l'ordre adopté par lui, mais non sa méthode; ajoutant ici, d'après d'autres, ce qu'il n'a pas dit, retranchant ailleurs ce dont il a fait mention, m'étendant sur un point, abrégeant sur un autre, imitant parfois sa brièveté, suivant, en tout, le plan que je m'étais tracé. Selon sa manière de voir, les hérésies sont au nombre de quatre-vingts: il en compte vingt avant la naissance du Sauveur et soixante depuis son Ascension. A ces dernières il a consacré cinq livres extrêmement courts, et pour toutes il a fait les six livres dont se compose son ouvrage tout entier. Pour moi, je me suis conformé à ta demande, et je t'ai rappelé toutes les hérésies qui se sont déclarées, même sous ombre de Christianisme, contre la doctrine de Jésus-Christ, depuis le jour où il a été glorifié. De toutes les hérésies citées par Epiphane, j'en (15) ai cité cinquante-sept, - de deux qui me semblaient pareilles, n'en faisant qu'une, et indiquant, sous des chiffres différents, celles qu'il avait réunies en une seule, mais qui me paraissaient soutenir des erreurs diverses. Il me reste maintenant à énumérer toutes les sectes indiquées par d'autres écrivains, ou dont j'ai moi-même souvenance. Voici celles que nomme Philastre, et qu'Epiphane n'a pas mentionnées.

LVIII. Les Métangismonites,

LVIII. Les Métangismonites, sectateurs du Métangismon, avaient, du Père et du Fils, des idées toutes charnelles, les considéraient presque comme deux corps, et disaient que le Fils est dans le Père, comme un vase est dans un autre vase, en sorte que le Fils entre dans son Père comme un vase plus petit pénètre dans un vase plus grand. De là on a donné à cette erreur le nom grec de eta???s ?s, parce que, dans la langue des Hellènes a??e???, signifie vase: on ne trouve pas, dans la langue latine, de mot qui puisse signifier, à lui seul, l'entrée d'un vase dans un autre, comme le mot grec eta???s ?s.

LIX. Les Séleuciens ou Hermiens,

LIX. Les Séleuciens et les Hermiens, disciples de Séleucus et d'Hermias, ont adopté un système d'après lequel la matière des éléments qui constituent le monde, n'a pas été faite par Dieu, mais lui est coéternelle. A les en croire, l'âme de l'homme n'a pas non plus Dieu pour auteur, mais les anges l'ont faite de feu et d'air subtil. Le mal puise son origine, tantôt en Dieu, tantôt dans la matière. Jésus-Christ n'est point corporellement assis à la droite de Dieu, mais, en remontant au ciel, il a quitté sa chair et l'a laissée dans le soleil, selon cette parole du Psalmiste: «Dans le soleil il a placé sa tente (1)». Il n'y aura pas de paradis visible, le baptême d'eau est inutile: la résurrection future est un mythe: elle a lieu, tous les jours, dans la procréation des enfants.

1. Ps 18,6

LX. Les Proclianites,

LX. La doctrine des Proclianites est la même que celle des Séleuciens; mais ils disent que le Christ, venant en ce monde, ne s'est pas incarné.

LXI. Les Patriciens,

LXI. Selon les Patriciens, disciples de Patricius, la substance du corps humain a été créée, non parDieu, mais par le diable: aussi en ont-ils un tel dégoût, une si vive horreur, que plusieurs d'entre eux se donnent la mort pour en être débarrassés.

LXII. Les Ascites,

LXII. Les Ascites tirent leur nom du grec as??s, qui, en latin, signifie outre, parce que, dans leurs fêtes, véritables bacchanales, ils dansent autour d'une outre gonflée et recouverte d'un voile, disant qu'ils sont les vases neufs remplis de vin nouveau, dont il est parlé dans l'Évangile.

LXIII. Les Passalorynchites,

LXIII. Les Passalorynchites s'étudient tellement au silence, que, pour ne pas le rompre, quand ils jugent à propos de le garder, ils mettent leur doigt dans le nez, et se ferment la bouche. Le mot passa??s veut dire pieu, et??????, nez. Comme tu le vois, ce nom de Passalorynchites est composé: mais pourquoi ces hérétiques ont-ils remplacé le mot doigt par le mot pieu? Je n'en sais rien. Le mot doigt se traduisant en grec par da?t????, ils auraient pu, avec plus d'à propos, s'appeler Dactylorynchites.

LXIV. Les Aquariens,

LXIV. Contrairement à l'usage de toute l'Église qui offre du vin au saint sacrifice, les Aquariens ne mettent que de l'eau dans le calice.

LXV. Les Coluthiens,

LXV. Les Coluthiens, sectateurs de Coluthus. Celui-ci enseigna que Dieu n'est pas l'auteur des maux qui nous affligent, contrairement à ce qui est écrit: «Je suis le Dieu qui crée les maux (1)».

LXVI. Les Floriniens,

LXVI. Les Floriniens, disciples d'un prêtre nommé Florin, qui rapportait à Dieu la création du mal, et se mettait ainsi en opposition avec ce passage de l'Écriture: «Dieu créa toutes choses, et voilà que tout était bon (2)». Tout en soutenant des doctrines opposées l'une à l'autre, ces deux sectes se mettaient en contradiction avec la parole de Dieu: car Dieu crée les maux en nous infligeant les peines que nous méritons justement: Coluthus ne le comprenait pas. Mais Dieu n'a pas créé des natures et des substances mauvaises, considérées comme telles: Florin s'y trompait.

LXVII. Ceux qui ne sont pas d'accord sur l'état du monde,

LXVII. Philastre parle d'une secte sans chef et sans nom, d'après laquelle le monde resterait toujours, même après la résurrection des morts, dans l'état où il se trouve aujourd'hui, sans subir aucun changement de la sorte, il n'y aurait ni ciel, ni eau, ni terre nouvelle, malgré les promesses de la sainte Écriture (3).

1. Is 45,7 - 2. Gn 1,31 - 3. Is 65,17 2P 3,13 Ap 21,1


Augustin, des hérésies. - XLII. Les Origénistes,