Augustin, des hérésies. - LXVIII. Ceux qui marchent nu-pieds,

LXVIII. Ceux qui marchent nu-pieds,

LXVIII. D'autres hérétiques marchent toujours nu-pieds, parce que le Seigneur a dit soit à Moïse soit à Josué: «Ote la chaussure de tes (16) pieds (1), et que le Prophète Isaïe a reçu l'ordre de marcher ainsi (2). Ces doctrinaires ne seraient point répréhensibles s'ils agissaient de la sorte dans l'intention de mortifier leur corps: mais ils le sont, parce qu'ils détournent de leur vrai sens les oracles divins.

1. Ex 3,5 Jos 5,16 - 2. Is 20,2

LXIX. Les Donatistes ou Donatiens,

LXIX. Les Donatiens ou Donatistes commencèrent par faire un schisme à cause de l'ordination de Cécilien, comme évêque de Carthage, ordination qui avait eu lieu contre leur gré. Ils l'accusaient de crimes qu'ils ne prouvaient pas, et prétendaient que ses consécrateurs étaient des traditeurs des saintes Ecritures. Après un examen contradictoire et qui mettait fin aux accusations, ils furent convaincus de mensonge: mais ils n'en persistèrent pas moins dans leur schisme: ils y ajoutèrent même l'hérésie, comme si les crimes réels de Cécilien, ou plutôt ses crimes reconnus supposés par. les juges, avaient fait disparaître l'Eglise d'un monde où appuyée sur les promesses de Jésus-Christ, elle doit subsister toujours: comme si, après avoir été détruite dans l'univers entier par son union avec les Cécilianistes, elle s'était réfugiée en Afrique pour ne plus subsister que dans le parti de Donat. Chez eux, on rebaptise les catholiques, et c'est bien en cela qu'ils font une plus formelle profession d'hérésie, puisque, du consentement de l'Eglise universelle, on ne réitère point le baptême donné par les hérétiques comme on le donne ordinairement.

Donat fut, dit-on, le chef de ce parti: il vint de Numidie, souleva une partie des fidèles, contre Cécilien, et ordonna Majorin évêque de Carthage, avec l'assistance des évêques de sa faction qu'il avait appelés autour de lui. A Majorin succéda, dans le même parti hérétique, un autre Donat, dont l'éloquence contribua puissamment à donner de l'importance aux Donatistes: peut-être leur nom vient-il plutôt de lui que du fondateur même de leur secte. Nous avons de lui des écrits où l'on voit qu'il professait aussi sur la Trinité des principes opposés à l'enseignement catholique. Bien qu'il reconnût la même substance dans les trois personnes divines, il supposait le Père plus grand que le Fils, et le Fils plus grand que le Saint-Esprit. La majorité des Donatistes n'embrassa pas néanmoins son erreur relative à la sainte Trinité, et il serait, je crois, difficile d'en trouver parmi eux un seul, pour savoir ce que Donat pensait à ce, égard. A Rome, on les appelle Montagnards leurs coréligionnaires d'Afrique leur envoient un évêque de leur parti, et parfois, quand ils le jugent à propos, leurs évêques africains viennent en cette ville pour-en ordonner un. On trouve encore en Afrique, comme sectateurs de Donat, les Circoncellions, hommes grossiers, d'une audace peu commune, célèbres par les crimes atroces qu'ils commettent contre les autres, follement cruels contre eux-mêmes. Ces malheureux se font eux-mêmes mourir de différentes manières, surtout en se jetant dans des précipices, dans l'eau ou dans le feu: et ceux qu'ils peuvent amener à leurs erreurs, ils les poussent, hommes et femmes, à se détruire, ou parfois, à se faire tuer par d'autres, les menaçant de mort, pour le cas où ils ne voudraient pas y consentir. Cependant les Circoncellions ne sont approuvés que d'un petit nombre de Donatistes; mais ceux-ci ne se regardent point comme souillés par leur union avec de tels hommes, eux qui reprochent follement à l'univers chrétien les accusations élevées contre quelques africains inconnus. Plusieurs schismes se sont déclarés parmi les Donatistes: les uns se sont séparés des autres pour former des sociétés particulières et différentes; mais la plus grande,partie de la secte est restée étrangère à ces divisions intestines. Une centaine d'évêques Donatistes ayant écarté Primien, ordonnèrent Maximien comme évêque de Carthage: les trois cent dix autres, auxquels s'en étaient joints douze, qui avaient assisté à cette ordination sans y donner leur consentement, le condamnèrent pour une faute abominable. Maximien les força à apprendre que même hors de l'Eglise, on peut conférer le baptême de Jésus-Christ, car ils reçurent dans leur communion quelques évêques de son parti avec ceux qu'ils avaient baptisés en dehors de leur secte, sans leur interdire l'exercice de leur dignité, sans réitérer le baptême à qui que ce fût: ils ne cessèrent point d'agir auprès de la puissance séculière, pour les amener à résipiscence, et ils ne craignirent point de se souiller en vivant en communion avec des hommes dont les crimes avaient été exagérés et flétris par leur propre concile.

LXX. Les Priscillianistes,

LXX. La secte des Priscillianistes, née en Espagne, a été fondée par Priscillien. Elle professe des erreurs diverses, empruntées surtout des Gnostiques et des Manichéens: cependant leur symbole est comme une sentine où sont venues converger, horriblement confondues ensemble, les abominations imaginées par les autres hérétiques. Pour mieux dérober aux regards des profanes leurs souillures et leurs turpitudes, ils ne craignent pas de dire à leurs disciples: «Jurez, parjurez-vous; mais ne dévoilez pas nos mystères». Les âmes, disent-ils encore, sont de même nature et de même substance que Dieu: pour venir subir ici-bas des épreuves volontaires, elles traversent sept cieux, et passent par sept principautés diverses: enfin, elles arrivent jusqu'au prince mauvais qui a créé le monde, et celui-ci les dissémine dans les différents corps animés. Certaines étoiles décident fatalement du sort des hommes, et les douze signes du ciel concourent à là formation de notre corps: ainsi l'imaginaient déjà ceux qu'on nomme vulgairement mathématiciens. Ils voient le bélier dans la tête de l'homme, le taureau dans son cerveau, les gémeaux, dans ses épaules, le cancer dans sa poitrine, d'autres signes dans les différentes parties de son corps, et enfin, dans ses pieds, les poissons,,dernier signé indiqué par les astrologues: de toutes ces fables ridicules et sacrilèges, et de beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, ces hérétiques ont fait un ensemble de doctrine. La viande ne fait point partie de leurs aliments, parce qu'ils la regardent comme une nourriture immonde, et, quand ils peuvent y parvenir, ils séparent les époux des épouses, les femmes de leurs maris, en dépit des résistances qu'y opposent les uns et les autres. Car, selon eux, ce n'est pas le Dieu bon et vrai qui crée la chair; ce sont les mauvais anges. Ces hérétiques doivent inspirer plus de défiance que les. Manichéens, parce qu'ils ne rejettent: en rien les Ecritures canoniques, et qu'ils accordent la même autorité aux livres apocryphes, interprétant et allégorisant à leur gré les passages des livres saints, propres à ruiner leur système. L'erreur des Sabelliens est la leur, puisqu'ils soutiennent que le Christ est une même personne, non-seulement avec le Fils, mais encore avec le Père et le Saint-Esprit.

LXXI.Ceux qui ne mangent pas en société,

LXXI. Philastre parle d'autres hérétiques qui ne prennent aucun repas avec leurs semblables. Cet auteur a-t-il voulu dire que ces sectaires évitent de manger, seulement avec ceux qui n'appartiennent pas à leur secte, ou qu'ils évitent de le faire, même avec leurs coreligionnaires? Je ne saurais l'affirmer, parce qu'il ne s'explique pas davantage à cet égard. Du reste, il ajoute que leur enseignement relatif au Père et au Fils est exact, mais qu'ils ne sont pas catholiques au sujet du Saint-Esprit, parce qu'ils le considèrent comme une simple créature.

LXXII. Les Rhétoriens,

LXXII. Un nommé Rhétorius a établi une doctrine d'une incroyable vanité: à l'entendre, tous les hérétiques suivent le chemin droit et enseignent la vérité; cela est si absurde, que je n'ose y croire.

LXXIII. Ceux qui disent qu'en Jésus-Christ la divinité a souffert,

LXXIII. Une autre secte prétend qu'en Jésus-Christ la divinité a souffert au moment où son corps était attaché à la croix.

LXXIV. Ceux qui reconnaissent trois formes en Dieu,

LXXIV. Une autre soutient que Dieu a trois figures, en ce sens, qu'une partie de la divinité est le Père, la seconde, le Fils, la troisième, le Saint-Esprit; en d'autres termes, il n'y a qu'un seul Dieu, mais en Dieu sont trois parties qui forment la sainte Trinité, et dont la réunion a pour résultat la perfection de la Divinité, car ni le Père,, ni le Fils, ni le Saint-Esprit, séparés l'un de l'autre, ne sont parfaits en eux-mêmes.

LXXV. Ceux qui disent l'eau coéternelle à Dieu,

LXXV. Urie autre voit, dans l'eau, une substance, non pas créée par Dieu, mais coéternelle à Dieu.

LXXVI. Ceux qui ne veulent pas voir dans l'âme l'image de Dieu,

LXXVI. Une autre soutient que le corps -de l'homme, non son âme, est l'image de Dieu.

LXXVII. Ceux qui pensent que les mondes sont innombrables,

LXXVII. Au dire d'une autre, comme au dire de certains philosophes païens, il y a un nombre incalculable de mondes.

LXXVIII. Ceux qui soutiennent que les âmes se changent en démons ou en animaux,

LXXVIII. Selon une autre, les âmes des méchants deviennent des démons et des animaux plus ou moins immondes, suivant qu'elles le méritent.

LXXIX. Ceux qui prétendent que, par sa descente aux enfers, le Christ a délivré toutes les âmes,

LXXIX. Une autre prétend, qu'au moment où Jésus-Christ est descendu aux enfers, les incrédules ont eu la foi, et que tous ont été délivrés.

LXXX. Ceux qui soutiennent que la génération divine du Christ a eu lieu dans le temps,

LXXX. D'autres sectaires ne comprennent point que le Fils ait été éternellement engendré; ils pensent qu'il a eu un commencement dans le temps: mais, voulant confesser qu'il est coéternel au Père, ils ajoutent qu'il a été dans le Père, avant de naître de lui: en un mot, il a toujours existé, mais il n'a pas toujours été le Fils; il n'a commencé à l'être, qu'au moment où il est né du Père.

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J'ai cru devoir rapporter, dans mon ouvrage, ces hérésies, dont Philastre a fait mention dans le sien. Cet écrivain cite encore d'autres sectes, mais il me, semble qu'on ne peut les regarder comme hérétiques: quoi qu'il en soit, toutes celles auxquelles je n'ai pas donné de nom, il ne les nomme pas lui-même.

LXXXI. Les Lucifériens,

LXXXI. Les Lucifériens. Ce nom devenu célèbre fut donné à ceux qui adhérèrent aux erreurs de Lucifer, évêque de Cagliari: ni Épiphane, ni Philastre ne les comptent parmi les hérétiques: si je ne me trompe, ils les croyaient plutôt fauteurs de schisme, qu'auteurs d'hérésie. Toutefois, dans un opuscule anonyme, j'ai vu les Lucifériens rangés au nombre des hérétiques, car j'y ai rencontré ce passage: «Quoiqu'attachés en tout à la foi catholique, les Lucifériens prétendent sottement que les âmes puisent leur origine dans la transfusion du sang, et qu'ainsi elles proviennent de la chair, et sont de même substance». L'auteur de cet opuscule a-t-il cru, et en cela a-t-il eu raison, qu'il devait ranger les Lucifériens parmi les hérétiques à cause de leur doctrine erronée sur l'âme, si toutefois c'était vraiment leur doctrine: ou parce que, abstraction faite d'une doctrine qui n'était ou n'est peut-être pas la leur, ils auraient soutenu, avec une opiniâtre animosité, le principe de leur schisme? C'est-là une question étrangère au but que je me propose je ne dois donc pas, ce me semble, la traiter ici.

LXXXII. Les Jovinianistes,

LXXXII. J'ai trouvé, dans le même ouvrage, le nom des Jovinianistes, que je connaissais déjà. Un moine, appelé Jovinien, a établi cette secte de notre temps, lorsque nous étions encore jeune. Comme les Stoïciens, il soutenait que tous les péchés sont égaux; que l'homme ne peut plus commettre de péchés après avoir été régénéré dans les eaux du baptême; que le jeûne et l'abstinence de certaines viandes ne sont d'aucune utilité. Il anéantissait la virginité de Marie, puisqu'il disait qu'elle avait été souillée par l'enfantement. La virginité religieuse et le célibat saintement observés n'ont pas plus de mérite devant Dieu pour ceux qui les embrassent, que l'état du mariage, lorsqu'on s'y conduit avec chasteté et fidélité. Aussi vit-on à Rome, où il prêchait cette doctrine, des vierges sacrées, déjà avancées en âge, renoncer à leur état pour se marier. Quant à Jovinien, il n'avait ni ne voulait avoir d'épouse, non qu'il prétendit en avoir plus tard devant Dieu un plus grand mérite pour la vie éternelle, mais parce que, à cause de la nécessité présente, le célibat évite à l'homme les embarras et les soucis du mariage,. Cependant cette hérésie fut étouffée et disparut bientôt, n'ayant pas même réussi à tromper quelques prêtres.

LXXXIII. Les Arabiques,

LXXXIII.J'ai scrupuleusement étudié l'histoire d'Eusèbe, traduite en latin par Rufin, et les deux livres que ce dernier y a joints pour la continuer jusqu'à son temps. On n'y trouve mentionnées que les hérésies citées par Epiphane et Philastre, à l'exception d'une qu'Eusèbe rapporte, dans son sixième livre, comme ayant existé en Arabie: l'auteur n'en est pas connu, aussi donnerons-nous à ses sectateurs le nom d'Arabiques. Ils enseignaient que l'âme meurt et tombe en dissolution avec le corps, et qu'elle ressuscitera avec lui à la fin des siècles. Eusèbe raconte (1), qu'ils furent bientôt désabusés de leurs erreurs par les raisonnements d'Origène, qui s'était transporté au milieu d'eux pour les réfuter.

Maintenant, il nous reste à parler des hérésies dont les différents auteurs précités n'ont pas fait mention, mais dont le nom est venu d'une manière quelconque à notre connaissance.

LXXXIV. Les Helvidiens,

LXXXIV. Les Helvidiens étaient disciples d'Hélvidius: ils soutenaient une opinion tout opposée à la virginité de Marie, car ils disaient qu'elle a eu plusieurs enfants de Joseph, son époux, après la naissance de Jésus-Christ. Epiphane admis de citer le nom d'Helvidius en parlant des Antidicomarites, mais je serais bien étonné s'il n'a pas voulu désigner les Helvidiens sous ce dernier titre.

LXXXV. Les Paterniens ou Vénustiens,

LXXXV. Les Paterniens, que quelques-uns nomment aussi Vénustiens, attribuent au diable, et non à Dieu, ta création des parties inférieures du corps humain, et, donnant à leurs sens dépravés toute liberté d'action, ils s'abandonnent aux dernières infamies de l'impudicité.

1. Liv. 6,ch. XXXVII.

LXXXVI. Les Tertullianistes,

LXXXVI. Les Tertullianistes, sectateurs de Tertullien, qui a écrit, avec une admirable éloquence un grand nombre d'opuscules. Leur secte s'est peu à peut affaiblie jusqu'à nos jours, et c'est dans la ville de Carthage qu'ont pu se conserver leurs derniers débris: lorsque j'y (19) demeurais, il y a quelques années, tu dois t'en souvenir, leur secte y a complètement disparu: le très-petit nombre d'adeptes qui en restaient, sont rentrés dans le giron de l'Eglise, et ont donné aux Catholiques leur basilique, encore si connue de nos jours. Comme ses livres l'indiquent, Tertullien croyait immortelle l'âme de l'homme, mais il enseignait que cette âme est un corps, et ce qu'il disait de l'âme, il le disait de Dieu. Cette manière de s'exprimer ne faisait pas de lui un hérétique, car on pourrait, jusqu'à un certain point, imaginer qu'il a donné le nom de corps à la nature ou substance divine, sans vouloir sous cette dénomination parler d'un corps pareil à ce que nous appelons ainsi, et dont on puisse, ou dont on doive supposer certaines parties plus grandes ou plus petites que les autres. A la vérité, il a eu de l'âme des idées trop matérielles, mais, comme j'en ai fait la remarque, on a pu penser, d'après son langage, que Dieu est un corps, en ce sens qu'il n'est ni un néant ni un vide, ni un corps humain, ni une âme d'homme, mais qu'il est tout entier partout, non partagé suivant les lieux, demeurant toujours et d'une manière immuable, dans sa nature et sa substance. La doctrine de Tertullien n'est donc pas hérétique sous ce rapport: il n'a cessé d'être catholique qu'au moment où il a embrassé le parti des Cataphryges, auparavant confondus par lui, et condamné les secondes noces comme un crime d'impudicité, malgré l'enseignement de l'Apôtre 1. Plus tard, d'ailleurs, il s'est séparé d'eux pour devenir lui-même chef de secte. On ne peut le nier, il croyait que les âmes des scélérats se changent en démons après la mort.

1. 1Tm 4,3.

LXXXVII. Les Abéloïtes,

LXXXVII. Nous avons, ou plutôt nous avons eu sur notre territoire d'Hippone une secte hérétique composée de paysans, peu à peu réduite à de faibles proportions; elle avait, tout entière, trouvé un refuge dans une petite ferme: les membres en étaient très-peu nombreux, et c'était là tout ce que la secte comptait d'adeptes. Dans la langue punique, qui a corrompu leur nom, ils s'appelaient Abéloniens: certains auteurs remontent jusqu'à Abel, fils d'Adam, pour trouver l'origine de ce nom: nous pouvons donc les désigner sous celui d'Abéliens ou d'Abéloïtes. Ils s'abstenaient de tout commerce conjugal avec leurs femmes, et pourtant, d'après l'enseignement de leurs docteurs, il ne leur était point permis de vivre dans le célibat. Aussi l'homme et la femme vivaient-ils sous le même toit, après avoir fait voeu de continence, et avoir, dans leur contrat de mariage, légué leur future succession à un jeune homme et à une jeune fille, qu'ils adoptaient alors: si la mort enlevait ces jeunes gens avant le décès de leurs parents adoptifs, ceux-ci leur en substituaient d'autres; l'essentiel était que deux personnes de sexe différent succédassent à deux autres pour continuer à former une société dans leur maison: car, l'un ou l'autre des parents adoptifs venant à décéder, ces jeunes gens prenaient soin du survivant, avec une piété toute filiale, jusqu'à la fin de ses jours; puis, ils adoptaient, à leur tour, un garçon et une fille. Au milieu de voisins à qui il était permis d'avoir des enfants, l'occasion d'en adopter ne fit jamais défaut aux Abéloites: les chefs de famille s'empressaient, au contraire, de leur donner les leurs, dans l'espoir de les voir recueillir, un jour, un riche héritage.

LXXXVIII. Les Pélagiens ou Célestiens.

LXXXVIII. Le moine Pélage fonda, il y a peu de temps, la dernière secte connue, celle des Pélagiens, qui se nomment aussi Célestiens, de Célestius, disciple de leur maître. C'est par la grâce de Dieu que nous avons été prédestinés pour devenir ses enfants adoptifs par Jésus-Christ (1): c'est elle qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, qui nous a fait croire en lui, et passer dans le royaume de son Fils bien-aimé (2). Voilà pourquoi, il dit en saint Jean (3): «Personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père». Par elle encore, l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs (4), afin que notre foi soit animée de la charité (5). Les Pélagiens se montrent à tel point ennemis de cette grâce, qu'à les entendre, l'homme peut, sans elle, observer tous les commandements de Dieu. S'il en était ainsi, le Seigneur aurait inutilement dit: «Vous ne pouvez rien faire sans moi (6)». Réprimandé par les frères de ce qu'il ne laissait rien à l'action delà grâce dans l'observation des commandements, Pélage céda à leurs remontrances, et admit cette grâce: mais, loin de lui donner la préférence, il lui attribuait, par une indigne subtilité, moins de puissance qu'au libre arbitre, car il disait Dieu donne sa grâce aux hommes pour leur rendre plus facile l'accomplissement de ce qui

1. Ep 1,5 - 2 Col 1,13 - 3. Jn 6,66 - 4. Rm 5,5 - 5. Ga 5,6 - 6. Jn 15,5

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est commandé à leur libre arbitre. Il est bien évident, qu'en s'exprimant ainsi, il entendait dire que, si l'observation des volontés divines était plus difficile, l'homme pourrait encore par lui même s'en acquitter. Cette grâce de pieu, sans laquelle nous ne pouvons rien faire de bon, n'est autre que le libre arbitre: le Seigneur nous l'a donnée d'une manière toute gratuite, et, par sa loi comme par sa doctrine, il nous aide seulement à apprendre ce que nous devons faire et espérer: mais il ne nous aide aucunement, par le don de son Esprit, à faire ce que nous avons appris. Il avoue donc que la science, par laquelle l'ignorance se dissipe, nous vient d'en haut: pour la charité qui nous fait vivre saintement, il le nie: en d'autres termes, Dieu nous. donne la science, qui enfle, si la charité ne l'accompagne, mais il ne nous donne pas la charité, qui empêche le science d'enfler, et qui édifie (1). Les Pélagiens nient aussi la nécessité de la prière. Pourquoi l'Eglise prie-t-elle pour les infidèles et ceux qui résistent à l'enseignement divin, afin qu'ils se convertissent au Seigneur, et pour les fidèles, afin qu'ils reçoivent l'accroissement de leur foi et persévèrent dans le bien? C'est inutile; l'homme ne reçoit point du ciel ces différents dons: il les trouve en lui-même, et, s'il est favorisé de la grâce qui éloigne de lui l'impiété, il ne la reçoit qu'en conséquence de ses propres mérites.

Dans la crainte de voir condamner cette doctrine par les évêques de Palestine réunis en concile, Pélage fut obligé de la désavouer lui-même; mais dans ses écrits postérieurs les mêmes erreurs se rencontrent. La vie des justes sur la terre, ose-t-il encore dire, s'écoule exempte de tout péché: c'est en eux que l'Eglise de Jésus-Christ acquiert ici-bas toute sa perfection, en sorte qu'elle y apparaît sans taches ni rides d'aucune sorte (2): comme si elle n'était pas cette Eglise de Jésus-Christ, qui, d'un bout du monde à l'autre, adresse à Dieu cette prière: «Remettez-nous nos dettes (3)» . Enfin, les enfants qui naissent selon la chair en Adam, ne contractent point, dans cette première naissance, le germe de la mort éternelle ils viennent au monde tout à fait purs du péché originel: il n'y a donc en eux rien de coupable, qui exige une seconde naissance: on les baptise pour leur procurer l'adoption divine, l'admission dans le royaume céleste, le passage d'un état bon à un état meilleur, mais non la délivrance d'un mal quelconque provenant de la chute du premier homme. S'ils ne sont point régénérés, ils n'entreront pas, à la vérité, dans le royaume de Dieu: néanmoins, une vie éternelle et heureuse sera leur partage. Lors même qu'Adam n'eût pas commis son péché, il serait mort: sa mort a été le résultat, non de sa faute, mais de l'infirmité de sa nature. On reproche aux Pélagiens beaucoup d'autres erreurs: mais, il est facile de le comprendre, toutes ou presque toutes découlent de celles dont je viens de parler.

1. 1Co 8,1 - 2. Ep 5,27 - 3. Mt 6,12

Voilà que j'ai énuméré un grand nombre d'hérésies, et pourtant je n'ai pas accompli ma tâche dans tout le sens de ta demande. Pour me servir de tes propres paroles: «Depuis l'origine de la religion chrétienne, héritage divin promis à nos pères», quelles hérésies ont paru? Comment aurais-je pu les citer toutes, moi qui n'ai pu les connaître toutes, à mon avis? Aucun des auteurs que j'ai consultés, ne les a nommées intégralement puisque j'ai trouvé, dans les livres de l'un, celles dont les autres ne font pas mention, et, dans les livres de ces derniers, celles dont le premier ne parle pas. Ma liste est beaucoup plus étendue que les leurs, parce que j'ai pris, dans l'ouvrage de chacun d'eux, ce que je ne rencontrais pas ailleurs, y ajoutant même des noms que ma mémoire me rappelait, mais qui n'étaient indiqués par aucun d'eux. Je n'ai pas été à même de lire tous les écrivains qui ont traité cette question; aucun de ceux que j'ai lus, n'a épuisé son sujet: d'où je conclus avec justice que mon travail lui-même ne doit pas être complet. Enfin, s'il est possible, malgré ma répugnance à le croire, que j'aie nommé tous les hérétiques, je ne puis sûrement affirmer que j'ai parlé de tous. Par conséquent, ce que tu me demandes de parachever par mes explications, je ne puis pas même parfaitement le comprendre, ni le savoir. J'ai entendu dire que saint Jérôme a fait un livre sur les hérésies, mais nous n'avons pas trouvé son opuscule dans notre bibliothèque, et nous ne savons, à vrai dire, par quel moyen nous le procurer. Si tu sais où il se trouve, prends-en connaissance; tu y rencontreras peut-être mieux qu'ici. A mon avis, cependant, et malgré l'étendue de ses connaissances, il lui a été impossible de tracer un tableau parfait de toutes les erreurs anticatholiques. (21) Ainsi, du moins je l'imagine, il n'a pas connu les Abéloïtes, hérétiques de notre pays, ni beaucoup d'autres peut-être, dont les erreurs circonscrites en des contrées retirées, ont échappé à ses investigations, à la faveur de l'obscurité dans laquelle elles ont vécu enveloppées.

Dans tes lettres tu me pries de t'indiquer les points de doctrine sur lesquels les hérétiques sont en désaccord avec le catholicisme. Lors même que je saurais tout, je ne pourrais le faire: comment donc le ferais-je, moi, qui ne puis tout savoir? Il faut l'avouer, certains hérétiques, entre autres les Macédoniens, les Photiniens, et tous ceux qui marchent sur leurs traces, n'attaquent la règle de notre foi que sur un point particulier, ou peu s'en faut. D'autres, à qui je donnerais volontiers le nom de bouffons, ont inventé des fables aussi ridicules que longues et difficiles à comprendre ceux-là soutiennent une telle multitude d'erreurs, qu'on ne pourrait que très-difficilement en indiquer le nombre. Les membres des sectes hérétiques saisissent, mieux que personne, le sens de leurs hérésies: voilà pourquoi j'avoue n'avoir ni connu ni énuméré tous leurs dogmes. Tu imagines aisément ce qu'une entreprise de ce genre exigerait de travail et de pages: mon livre mérite néanmoins d'être lu, car il est extrêmement important d'éviter les erreurs dont il fait mention. Tu as pensé que je dirais ce que l'Eglise catholique enseigne sur les points de foi attaqués par t'hérésie: ce serait là une recherche inutile: il suffit, pour cela, de savoir qu'elle professe des vérités opposées à l'enseignement des hérétiques, et qu'on ne peut suivre leurs erreurs comme articles de foi. Quant aux arguments à employer pour le soutien et la défense de la saine doctrine, les bornes de ce livre ne me permettent pas de les indiquer. Mais, pour un coeur fidèle, c'est beaucoup de connaître ce qu'il faut ne pas croire, lors même qu'on ignorerait la manière de raisonner pour réfuter l'erreur. Tout catholique doit donc ne pas croire ce qui est opposé à sa foi; mais, de ce qu'il n'admet pas ces erreurs comme articles de foi, il ne suit pas rigoureusement qu'il soit en droit de croire ou de se dire catholique. En effet, des erreurs, différentes de celles que j'ai énumérées dans cet ouvrage, peuvent exister maintenant ou plus tard, et quiconque adhérera à quelqu'une d'entre elles, tombera dans l'hérésie.

En quoi consiste l'hérésie? Voilà l'objet de nos investigations ultérieures: puissent ces recherches nous aider à éviter toujours, comme nous le faisons aujourd'hui par la grâce de Dieu, le venin des hérésies présentes ou futures, de celles que nous connaissons et de celles que nous ne connaissons pas! Je termine ici ce volume: j'ai pensé qu'il était expédient de vous l'envoyer avant d'achever entièrement mon ouvrage, afin que tous ceux d'entre vous qui le liront, m'accordent le secours de leurs prières pour m'aider à mener à bonne fin ce travail dont vous sentez l'importance.

Traduction de M. l'abbé AUBERT.


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