Augustin, contre les lettres de Pétilien.


CONTRE LES LETTRES DE PÉTILIEN





LIVRE PREMIER.


Augustin se trouvant de passage à Constantine, ville natale de Pétilien, se vit présenter par les habitants et par le clergé une lettre de cet évêque donatiste, avec prière de la réfuter. Augustin accueillit cette demande et écrivit sa réponse en forme de lettre pastorale, adressée aux frères bien-aimés confiés à sa garde. C'est cette lettre qui compose le premier livre d'Augustin contre la première partie de la lettre de Pétilien.

Augustin, à nos frères bien-aimés confiés à notre garde, salut en Notre-Seigneur.



CHAPITRE PREMIER. OBJET ET OCCASION DE CET OUVRAGE.


1. Vous savez que souvent nous avons voulu donner toute la publicité possible à l'erreur sacrilège des Donatistes hérétiques, et la réfuter plus encore par leur propre témoignage que par le nôtre. C'est dans ce but qu'il nous est parfois arrivé d'adresser à leurs évêques des lettres qui, sans être injurieuses, n'étaient pourtant pas de celles que l'on s'écrit entre évêques de la même communion, car, en se séparant de l'Eglise catholique, ils s'étaient rendus indignes d'en recevoir de semblables; et pourtant, je puis dire qu'elles étaient purement inspirées par l'amour de la paix. Nous voulions les amener à discuter avec nous les raisons qui les avaient déterminés à rompre toute communion avec l'univers entier; nous espérions les convertir en leur montrant la vérité. Nous étions donc bien éloigné de croire qu'ils mettraient une folle obstination à défendre la coupable perversité de leurs ancêtres; les ramener à la racine catholique pour leur faire produire en abondance les fruits de la charité, tel était notre seul désir.

Mais elle n'est que trop vraie, cette parole de l'Ecriture: «Ils haïssaient la paix, alors même qu'à leur égard je me montrais pacifique (1)»; aussi les vit-on mépriser mes lettres, comme ils haïssaient la paix à laquelle

1. CX9,7.

je les conviais instamment. Me trouvant donc de passage à Constantine, en présence d'Absentius et de Fortunat, évêque de cette ville, nos frères me présentèrent une lettre que Pétilien aurait adressée à ses prêtres schismatiques; c'est du moins ce qu'indiquait la suscription de cette lettre. En lisant cette pièce, je fus tout étonné de voir que, dès les premières lignes, il détruisait par sa base le monstrueux édifice du schisme auquel il appartient, et je me refusais à croire que cette lettre fût l'oeuvre d'un évêque dont la renommée faisait grand bruit, et qui tenait le premier rang parmi les siens par sa doctrine et par son éloquence. Mais j'avais pour témoins de cette lecture des hommes qui connaissaient parfaitement le génie et le style de Pétilien, et qui m'affirmèrent en toute certitude que cette pièce était bien l'oeuvre de celui dont elle portait la signature. De mon côté, et quel qu'en fut l'auteur, je résolus de réfuter cette lettre pour ne pas laisser à son auteur la satisfaction de croire qu'il avait pu ébranler les convictions des simples au sujet de l'Eglise catholique.


2. Dès le début de sa lettre, il nous reproche «de faire grand bruit contre eux d'un double baptême, nous qui, par un bain criminel, souillons nos âmes sous prétexte de les baptiser». Mais pourquoi relever toutes les injures qu'il lui plaît de lancer contre nous? Autre chose est de formuler une doctrine, autre chose est de repousser des outrages; qu'il nous suffise donc d'étudier les arguments sur lesquels il s'appuie pour (192) prouver que nous n'avons pas le baptême, et qu'en réitérant le baptême, il ne donne pas une seconde fois ce qui existait, mais il donne ce qui n'existait pas. Il s'écrie: «Il faut voir la conscience de celui qui baptise pour juger s'il peut purifier la conscience de celui qui est baptisé». Et si la conscience du ministre restait cachée et que par hasard elle fût souillée? Comment alors pourrait-il purifier la conscience du sujet, d'après ce principe «C'est d'après la conscience de celui qui baptise que l'on doit juger s'il peut purifier la conscience de celui qui est baptisé?» S'il disait que le sujet n'a pas à répondre des fautes secrètes du ministre, cette ignorance suffirait pour que la conscience du sujet ne fût pas souillée par les crimes du ministre. Pour le moment donc, qu'il nous suffise de savoir que le sujet ne saurait être souillé par les crimes du ministre, quand ces crimes lui sont parfaitement inconnus; mais enfin, cette conscience coupable peut-elle donc purifier?



CHAPITRE II. D'UN MINISTRE PERFIDE, RECOIT-ON LA FOI OU LA SOUILLURE DU PÉCHÉ?


3. En vertu de quel principe celui qui reçoit le baptême sera-t-il purifié, lorsque la conscience du ministre est souillée, mais souillée de crimes absolument secrets? En effet, Pétilien ne va-t-il pas jusqu'à dire: «Celui qui reçoit la foi par le ministère d'un homme perfide, ce qu'il reçoit, ce n'est point la foi, mais une véritable culpabilité?» Eh bien! voici un ministre perfide, mais celui qui se présente au baptême ignore cette perfidie; que pensez-vous donc qu'il va recevoir? Est-ce la foi? Est-ce une véritable culpabilité? Si vous vous prononcez pour la foi, vous admettez donc qu'on peut recevoir la foi par l'organe d'un ministre perfide, et alors, il est parfaitement faux de dire: «Celui qui reçoit la foi par le ministère d'un homme perfide, ce qu'il reçoit, ce n'est point la foi, mais une véritable culpabilité». Nous venons de voir, en effet, que l'on reçoit la foi par l'organe d'un homme perfide, pourvu qu'on ignore sa perfidie. L'auteur ne dit pas: Celui qui reçoit la foi par l'organe d'un homme manifestement perfide ou connu comme tel; mais simplement: «Celui qui reçoit la foi par l'organe d'un ministre perfide, ce qu'il reçoit, ce n'est point la foi, mais une véritable culpabilité»; proposition évidemment fausse quand cette perfidie du ministre est absolument inconnue. Mais si Pétilien répond qu'un ministre dont la perfidie est absolument inconnue communique, non pas la foi, mais le péché; ne met-il pas les Donatistes dans la nécessité de rebaptiser tous ceux qui ont reçu le baptême par l'organe de ces ministres dont les crimes étaient restés longtemps inconnus avant qu'ils ne tombassent dans le domaine de la publicité et ne fussent frappés d'une condamnation solennelle?



CHAPITRE 3. INCERTITUDE DU SALUT DANS LE SYSTÈME DES DONATISTES.

Tant que la culpabilité de ces ministres resta secrète, ils baptisèrent un grand nombre de catéchumènes auxquels ils ne purent conférer qu'une souillure et non pas la foi, car celui qui demande la foi à un ministre perfide, ce n'est pas la foi qu'il obtient, mais une nouvelle souillure. C'est donc uniquement aux bons que les catéchumènes doivent demander le baptême, s'ils veulent recevoir la foi et ne pas contracter une nouvelle souillure.


4. Mais si l'efficacité du baptême dépend de la sainteté du ministre, comment s'assurer de cette sainteté qui est avant tout une affaire de conscience, dans les replis de laquelle les yeux du corps ne sauraient pénétrer? Par conséquent, le salut spirituel ne repose plus, selon les Donatistes, que sur une basé purement hypothétique, ce qui est directement contraire à ces paroles de l'Ecriture: «Il est bon de mettre sa confiance dans le Seigneur, plutôt que dans l'homme (1)»; «maudit soit celui qui place dans l'homme toute son espérance (2)». Est-ce que les Donatistes n'arrachent pas au Seigneur l'espérance des catéchumènes pour la placer dans l'homme? D'où il suit que le salut n'est pas seulement incertain, mais encore essentiellement nul et impossible, car le salut nous vient du Seigneur (3)»; «le salut qui vient de l'homme n'est que vanité (4)». Ainsi donc, une véritable malédiction pèse sur quiconque place son espérance dans l'homme, le regardât-il comme juste et innocent. De là, ces reproches


1. Ps 117,8 - 2. Jr 17,5 - 3. Ps 3,9 - 4. Ps 59,13

193

adressés par l'Apôtre à ceux qui se disaient du parti de Paul: «Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? Ou bien, avez-vous donc été baptisés au none de Paul (1)?»



CHAPITRE IV. QUEL CHEF LES DONATISTES ATTRIBUENT A CELUI QU'ILS BAPTISENT.


5. Si donc ces premiers chrétiens qui se disaient être du parti de Paul, commettaient une grossière erreur, et s'exposaient à périr en ne changeant pas de dispositions, quelle espérance peut rester à ceux qui cherchent à être du parti de Donat? Selon leurs principes, le ministre du baptême devient l'origine, la souche et la tête de celui qui est baptisé. A ce prix, comme il est moralement impossible de savoir ce qu'est ce ministre, tout par là même est frappé d'une cruelle incertitude, l'origine, la souche, la tête, et par-dessus tout l'espérance. De plus, comme il peut arriver, sans que le sujet le sache, que la conscience du ministre soit souillée et criminelle, celui qui recevrait le baptême dans de telles conditions n'aurait plus à attendre qu'une origine criminelle, une souche criminelle, une tête criminelle, et par conséquent une espérance vaine et trompeuse. Pétilien n'a-t-il pas écrit lui-même: «Toute chose dépend de son origine et de sa souche; ce qui n'a pas de tête n'est rien?» D'un autre côté, le ministre, à ses yeux, est l'origine, la souche, et la tête de celui qui est baptisé; mais alors, à quoi sert-il à ce dernier d'ignorer la culpabilité de celui qui le baptise? Il ignore qu'il a un mauvais chef, ou plutôt qu'il n'en a pas. Et dès lors quelle espérance peut rester à celui qui sait ou qui ne sait pas qu'il a un chef mauvais, ou qu'il n'en a pas? Est-ce sa propre ignorance qui deviendra son chef, parce qu'il n'en a qu'un mauvais ou qu'il n'en a pas? Tenir un semblable langage, c'est prouver en effet que l'on est sans tête.



CHAPITRE V. JÉSUS-CHRIST EST LA TÊTE, L'ORIGINE ET LA RACINE DES CHRÉTIENS.


6. Rappelons ces paroles de Pétilien: «Celui qui demande la foi à un ministre perfide, ce n'est pas la foi qu'il reçoit, mais une véritable souillure; car toute chose dépend de


1. 1Co 1,13

son origine et de sa source, et ce qui n'a pas de chef n'est rien». Or, en présence de ces. paroles, nous demandons si c'est la foi ou une souillure que reçoit le catéchumène, lorsque la perfidie de son ministre est secrète; et si ce ministre n'est point pour lui sa véritable origine, sa source et son chef, nous demandons de qui il reçoit la foi? quelle est l'origine d'où il sort? quelle est la souche sur laquelle il germe? quel est le chef dont il dépend? Quand le sujet ignore la perfidie du ministre, est-ce Jésus-Christ qui donne la foi? est-ce Jésus-Christ qui devient l'origine, la souche et le chef? O témérité et orgueil de l'homme! Pourquoi donc n'admettez-vous pas bien plutôt que ce soit toujours Jésus-Christ qui donne la foi en faisant le chrétien? Pourquoi ne permettez-vous pas que Jésus-Christ soit toujours l'origine du chrétien, qu'il soit la racine sur laquelle il germe, et la tête dont il dépend? Quand la grâce spirituelle est départie aux croyants par un saint et fidèle ministre, ce n'est pas ce ministre qui donne la grâce, mais Celui-là seul dont il est dit qu' «il justifie l'impie (1)». Saint Paul est-il la tête et l'origine de ceux qu'il avait plantés; Apollo est-il la racine de ceux qu'il avait arrosés? N'est-ce pas plutôt celui qui leur avait donné la foi pour les amener à croire? N'est-ce point Paul qui s'écrie: «J'ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné l'accroissement; ainsi donc, celui qui plante n'est rien, celui qui arrose n'est rien, mais tout vient de Dieu qui donne l'accroissement (2)?» La véritable racine, ce n'était pas l'Apôtre, mais Celui qui a dit: «Je suis la vigne, et vous êtes les rameaux (3)». Le même Apôtre pouvait-il aspirer à être la tête des chrétiens qu'il avait formés, lui qui a si souvent répété que nous ne formons tous qu'un seul corps en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ est la tête de ce corps?



CHAPITRE VI. HORRIBLE CONTRADICTION DANS LAQUELLE TOMBENT LES DONATISTES.


7. Quel que soit le ministre, fidèle ou perfide, à qui l'on puisse s'adresser pour recevoir 1e baptême, que l'homme place toute son espérance en Jésus-Christ, s'il ne veut pas entendre formuler contre lui cette redoutable


1. Rm 4,5 - 2. 1Co 3,6-7 - 3. Jn 15,5

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parole: «Maudit soit celui qui met dans l'homme son espérance». Si vous admettez que le sujet ne reçoit la grâce spirituelle que dans la mesure dans laquelle le ministre la possède; si vous soutenez que tout ministre, dont la bonté présente toutes les garanties extérieures, donne la foi par lui-même et devient ainsi l'origine, la racine et la tête du chrétien qu'il régénère; enfin si vous affirmez que dans le cas assez fréquent où le ministre est lui-même perfide, mais d'une perfidie réellement occulte, c'est alors Jésus-Christ qui donne la foi, c'est de lui que le baptisé tire son origine, c'est sur lui qu'il est enraciné, c'est lui qu'il se glorifie d'avoir pour chef; n'ai je pas le droit de conclure que le sort le plus heureux pour les catéchumènes c'est de rencontrer comme ministres des hommes perfides, pourvu que leur perfidie reste entièrement ignorée? Donnez-moi des ministres aussi bons que vous voudrez, Jésus-Christ ne sera-t-il pas incomparablement meilleur? et c'est lui qui deviendra notre chef, si le baptême nous est conféré par un ministre perfide dont la perfidie soit occulte.



CHAPITRE VII. LANGAGE DU VÉRITABLE CHRÉTIEN.


8. Nous disons, nous, que toujours c'est Jésus-Christ qui justifie l'impie en le rendant chrétien; que c'est de Jésus-Christ que nous recevons la foi; que Jésus-Christ est la source de toute régénération et la tête de l'Eglise. Mais enfin, si l'opinion des Donatistes est le comble de la démence, quelle valeur attacher à toutes ces déclamations dont l'éclat séduit le lecteur léger qui ne sait pas pénétrer jusqu'au fond des choses? Prenons au contraire un homme sérieux qui soumette à un examen approfondi tout ce qu'il entend. Vous lui dites: «Ce qu'il faut considérer avant tout, c'est la conscience du ministre, quand il purifie le pécheur»; il vous répond: La conscience humaine m'est souvent inconnue, mais je suis assuré de la miséricorde de Jésus-Christ. Vous lui dites: «L'essentiel en toutes choses, c'est l'origine et la racine; et ce qui n'a point de tête n'est rien»; il vous répond: Jésus-Christ est mon origine, Jésus-Christ est ma racine, Jésus-Christ est mon chef. Vous lui dites: «Il n'y a de bonne régénération que celle qui est faite avec une bonne semence»; il vous répond: La semence qui me régénère, c'est la parole de Dieu, voilà pourquoi je suis averti de la recueillir avec attention, lors même que celui qui la prêche mettrait sa conduite en contradiction avec ses paroles; car toute hésitation de ma part disparaît devant ces paroles du Sauveur: «Faites ce qu'ils vous disent et ne faites pas ce qu'ils font; car ils disent et ne font pas (1)». Vous lui dites: «Ne serait-ce pas le comble de la perversité de soutenir que celui qui est souillé de ses propres crimes peut conférer l'innocence à un autre?» il vous répond: L'innocence ne m'est conférée que par celui qui est mort pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification. Je crois, non point dans le ministre qui me donne le baptême, mais en celui qui justifie l'impie, et c'est ainsi que ma foi m'est imputée à justice (2).



CHAPITRE VIII. L'ARBRE BON ET L'ARBRE MAUVAIS.


9. «L'arbre bon porte de bons fruits; l'arbre mauvais porte de mauvais fruits; cueille-t-on des raisins sur des épines (3)? Tout homme bon tire le bien du trésor de son coeur, et tout homme mauvais tire le mal du trésor de son coeur (4)». A ces paroles le chrétien répond: Ce qui est un bon fruit pour moi, c'est que je devienne un bon arbre, c'est-à-dire un homme bon, afin que je produise un bon fruit, c'est-à-dire des oeuvres bonnes. Or, ce précieux avantage n'est conféré, non point par celui qui plante et par celui qui arrose, mais par Dieu seul qui donne l'accroissement. En effet, si le bon arbre c'est le bon ministre, de telle sorte que celui qu'il baptise soit son bon fruit, quiconque est baptisé par un mauvais ministre dont le crime est occulte, ne peut donc être bon, puisqu'il est produit par un arbre mauvais. En effet, autre chose est l'arbre bon, autre chose est l'arbre mauvais, son vice fût-il occulte. Ou bien, quand l'arbre est secrètement mauvais, si celui qu'il baptise renaît non pas de cet arbre, mais de Jésus-Christ, j'en conclus encore qu'il est de tous points préférable d'être baptisé par des pécheurs occultes, plutôt que par des ministres d'une sainteté manifeste.


1. Mt 23,3 - 2. Rm 4,25 - 3. Mt 7,16-17 - 4. Mt 12,35

195



CHAPITRE IX. LE BAPTÊME CONFÉRÉ PAR UN PÊCHEUR.


10. A ces paroles: «Celui qui est lavé par un mort, quel fruit peut-il tirer de cette ablution (1)?» le chrétien répond: Jésus-Christ est vivant et il ne meurt plus, la mort ne sera plus désormais son partage (2); or, c'est de lui qu'il est dit: «Il baptise dans le Saint-Esprit (3)». Etre baptisé par des morts, c'est être baptisé dans les temples des idoles. Ceux qui reçoivent le baptême dans ces temples se flattent eux-mêmes d'attendre leur justification, non point de leurs prêtres, mais de leurs dieux; et comme ces dieux n'ont été que des hommes, soumis comme les autres à l'empire de la mort, arrachés de la terre et chassés du ciel, leur demander le baptême n'est-ce pas le demander à des morts? Du reste, ces paroles de la sainte Ecriture, envisagées sérieusement, peuvent recevoir différentes interprétations. Si par ce mort dont il est parlé vous entendez le pécheur conférant le baptême, j'en tirerai comme conséquence logique cette grossière absurdité soutenue par tous ceux qui prétendent que le baptême est radicalement inutile, quand il a été conféré par un pécheur occulte, car alors ce sacrement est donné par un mort. En effet, le texte sacré ne dit pas: Celui qui est baptisé par un ministre dont la mort est manifeste, mais simplement «par un mort». Ils regardent comme mort celui qu'ils savent pécheur, et comme vivant celui qui, tout criminel qu'il puisse être, a le talent de déguiser parfaitement ses crimes dans leur communion. Mais alors, par un orgueil déplorable, ne s'arrogent-ils pas un droit qu'ils ne craignent point de refuser à Dieu, puisqu'ils donnent le nom de mort à quiconque leur est connu comme pécheur, tandis qu'ils regardent comme vivant celui dont l'âme parait à Dieu toute couverte de crimes? Enfin, si tout pécheur, connu comme tel, doit être regardé comme mort, que diront-ils d'Optat dont ils ont connu les crimes longtemps avant de le condamner? Pourquoi ne pas dire que ceux qui ont été baptisés par lui, ont été baptisés par un mort? Parce qu'il avait la foi, dira-t-on qu'il était vivant? C'est là, en effet, l'étrange réponse qui fut faite par un de ses principaux collègues, au milieu des


1. Si 34,30 - 2. Rm 5,9 - 3. Jn 1,33

plus vifs applaudissements, comme s'ils avaient oublié que l'orgueilleux Goliath a dû périr sous les coups de son propre glaive (1).



CHAPITRE X. LES DONATISTES ET LES MAXIMIANISTES.


11. Peut-être que pour eux le mort dont parle l'Ecriture ce n'est ni le pécheur occulte, ni même le pécheur public, tant qu'ils né l'ont pas encore condamné, mais uniquement le pécheur public et condamné par eux; alors seulement ce ministre est mort, celui qu'il baptise est baptisé par un mort, et son baptême n'est pour lui d'aucune utilité. Soit, mais alors que diront-ils de ceux que «leur concile général, inspiré par la vérité même», a formellement condamnés en même temps que Maximien et les complices de son ordination? Je parle de Félicianus de Mustitanum et de Prétextat d'Assuritanum, qui étaient du nombre des douze ordonnateurs de Maximien, du nombre de ces malheureux qui élevèrent autel contre autel, et cela pour ainsi dire sous la présidence de Primianus? Ceux-là du moins seront comptés au nombre des morts. J'en ai pour témoin la sentence formelle du concile, sentence dont l'énoncé souleva parmi les assistants un tonnerre d'applaudissements, tandis qu'aujourd'hui il nous suffit de la leur répéter pour les voir aussitôt réduits à un honteux silence; pourquoi donc accueillaient-ils avec tant d'enthousiasme ce dont la publication devait leur arracher tant de larmes? Ecoutons ce qu'ils nous disent de ces Maximianistes déjà séparés de leur communion: «Portés sur une onde véridique, plusieurs d'entre eux, membres dispersés par la tempête et le naufrage, ont été se briser contre des rochers arides, et comme autrefois pour les Egyptiens, le rivage est chargé de cadavres; et pourtant ce qu'il y a de plus triste encore dans ce trépas, c'est que leur âme arrachée par des eaux vengeresses ne trouve même pas de sépulture». C'est ainsi qu'ils insultent leurs propres schismatiques, jusqu'à les regarder comme des cadavres restés sans sépulture. Pourtant, ne devaient-ils pas désirer pour eux la sépulture, dans la crainte que sortant du sein de ces cadavres jetés sur le rivage, et s'avançant à la tête d'une armée véritable, Optat le Gildonien,


1. 1S 17,51

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semblable à un fleuve impétueux, ne dévorât ensuite Félicianus et Prétextat?



CHAPITRE 11. CONTRADICTION MANIFESTE DE LA PART DES DONATISTES.


12. Je leur demande donc si en retournant en pleine mer ils sont revenus à la vie, ou s'ils y sont encore -à l'état de morts? S'ils ne sont toujours que des cadavres, de quelle utilité peut être le baptême pour ceux à qui ils le confèrent? S'ils sont ressuscités, de quelle utilité fut le baptême à ceux qu'ils baptisèrent dans le schisme, et pendant qu'ils étaient morts, en supposant toutefois que l'on doive suivre l'interprétation qu'ils donnent à ces paroles . «Celui qui est baptisé par un mort, quelle utilité peut-il retirer de cette ablution?» Prétextat et Félicianus, pendant qu'ils étaient en communion avec Maximien, ont fréquemment conféré le baptême; or, tous ceux qu'ils ont alors baptisés appartiennent aujourd'hui à la communion donatiste, aussi bien que Félicianus et Prétextat, et sans avoir reçu de nouveau le baptême. Si donc ils n'étaient point retenus par leur obstination criminelle, s'ils étaient véritablement désireux d'assurer leur salut éternel, un fait comme celui-là ne devrait-il pas leur ouvrir les yeux et les ramener à l'Eglise catholique? Si, déposant leur orgueil et mettant un frein à leur obstination Satanique, ils voulaient quelque peu réfléchir, ils comprendraient facilement qu'ils ne peuvent, sans commettre un horrible sacrilège, anathématiser le baptême conféré par ces églises primitives dont la formation nous est décrite dans les livres saints, tandis qu'ils ratifient le baptême conféré par ces Maximianistes qu'ils ont précédemment frappés d'une condamnation solennelle.



CHAPITRE XII. CE QU'ONT FAIT LES DONATISTES POUR LEUR UNITÉ SCHISMATIQUE.


13. Ceux de nos frères qui appartiennent à ces églises apostoliques n'ont jamais su, ne savent pas encore ce qui s'est passé en Afrique depuis de nombreuses années; par conséquent les crimes reprochés par les Donatistes aux Africains, fussent-ils véritables, ne peuvent souiller des étrangers qui n'en ont absolument aucune connaissance. Au contraire, voyez ces Donatistes publiquement engagés dans un schisme manifeste; après avoir assisté à l'ordination de Primianus, ils l'ont ensuite condamné, lui ont opposé un autre évêque créé par eux, ont rejeté son baptême, rebaptisé après lui, et enfin se sont réconciliés avec lui et avec tous ceux qu'il avait baptisés dans le schisme et dont ils ratifièrent le baptême. Si donc les Donatistes ne se croient nullement souillés par leur union avec les Maximianistes, comment des étrangers peuvent-ils porter la responsabilité d'accusations calomnieuses intentées contre les Africains? Si des lèvres qui se sont réciproquement condamnées peuvent ensuite se donner le baiser de paix sans se compromettre en aucune manière, comment peuvent-ils prétendre que toutes les églises, voire même les plus éloignées et perdues au-delà des mers, doivent traiter, non point en catholique, mais en païen et en impie quiconque s'est attiré les anathèmes des Donatistes? S'ils soutiennent que c'est uniquement en vue de l'unité qu'ils ont reçu les Maximianistes, je suis loin de leur en faire un reproche; seulement je leur fais observer qu'ils se condamnent eux-mêmes, puisqu'ils refusent de rentrer dans la véritable unité catholique, tandis que pour assurer l'unité de leur schisme, ils ne craignent pas de recueillir les tronçons qu'ils ont eux-mêmes dispersés.



CHAPITRE XIII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.


14. Pour assurer l'unité de leur schisme, les Donatistes ne réitèrent le baptême à aucun de ceux qui ont été baptisés dans leurs sectes nombreuses; tandis que l'on vit autrefois certains fauteurs de divisions, engloutis tout vivants dans les entrailles de la terre (1), les Donatistes n'ont aucun châtiment à infliger à ces grands criminels, et après les avoir, condamnés précédemment, ils les accueillent ensuite et leur rendent tous les privilèges dont ils étaient en possession. Mais quand il s'agit de cette unité catholique répandue sur toute la terre, et réalisant l'antique prophétie qui annonçait qu'elle régnerait d'une mer à une autre mer, et d'un fleuve jusqu'aux extrémités de l'univers (2), les choses changent


1. Nb 16,31-35 - 2. Ps 71,8

197

entièrement de face, et il n'est plus question de cette loi d'hérédité universelle annoncée dans nos saints livres: «Je vous donnerai les nations pour héritage et pour empire jusqu'aux confins de la terre (2)». Pour sauver leur propre unité, les Donatistes ne sont pas astreints à rappeler ce qu'ils ont dispersé, mais ils doivent obéir aux oracles de la sainte Ecriture. Pourquoi donc ne comprennent-ils pas que c'est par un effet spécial de la miséricorde de Dieu, qu'ils se sont vus condamnés à subir l'autorité d'Optat le Gildonien, et à s'unir à des malheureux dont ils avaient anathématisé les crimes et foudroyé la conduite «dans ces oracles véridiques de leur concile universel», eux qui accusaient l'Eglise de crimes mensongers, et prétendaient que la présence de ces crimes avait fait perdre à cette Eglise sa sainteté primitive? Quand donc se sentiront-ils écrasés sous le poids des crimes trop réels de leurs complices? quand cesseront-ils de calomnier leurs frères? Et puis, lors même que ces crimes dont ils nous accusent seraient véritables, ne devraient-ils pas comprendre qu'il faudrait les tolérer en faveur de la paix, et que si pour la paix du donatisme ils ont accueilli, ce qu'ils avaient condamné, la paix de Jésus-Christ exige qu'ils rentrent dans le sein de cette Eglise catholique qui n'a jamais condamné les coupables sans connaître leurs crimes?



CHAPITRE XIV. LES DONATISTES JUGÉS PAR EUX-MÊMES.


15. Pour confondre les Donatistes, nous ne saurions, mes frères, leur opposer d'argument plus décisif que leur propre conduite à l'égard des Maximianistes; nous n'allons point fouiller dans de poudreuses archives; nous ne demandons pas à l'antiquité ses secrets mystérieux, nous n'adressons pas notre plaidoyer à des contrées lointaines: Loin de là, nous renonçons même à tous les documents que nous ont laissés nos ancêtres, nous négligeons les précieux témoignages que nous pourrions recueillir sur tous les points, de l'univers.



CHAPITRE XV. TOUTES LES PIÈCES DU PROCÈS SONT ENCORE SOUS NOS YEUX.


16. Nous avons sous les yeux les cités de


1. Ps 2,8

Mustitanum et d'Assuritanum; la mort n'a encore frappé ni ceux qui se séparèrent ni ceux dont ils se séparèrent, ni ceux qui érigèrent autel contre autel, ni ceux qui condamnèrent, ni ceux qui furent condamnés, ni ceux qui reçurent, ni ceux qui furent reçus, ni ceux qui ont été baptisés dans le schisme; ni ceux qui ont été réintégrés sans recevoir de nouveau le baptême. Si donc cette manière d'agir, inspirée par l'amour de l'unité, ne laisse pas que de souiller, que ceux qui se trouvent souillés se condamnent à un profond silence; mais si nulle souillure n'est à craindre, que nos adversaires se corrigent et cessent leur honteuse querelle.



CHAPITRE XVI. CONTRADICTIONS DE PÉTILIANUS.


17. Quel mépris ne doit pas ressentir pour les propres termes de sa lettre celui qui l'a écrite et qui a osé dénaturer d'une manière aussi criminelle ce passage des Livres saints: «Celui qui est baptisé par un mort, à quoi peut lui servir cette ablution?» Qu'il nous prouve donc «qu'un traditeur doit être regardé comme n'ayant plus la vie». Il ajoute: «Celui-là est véritablement mort qui n'a pas mérité de naître dans le baptême véritable; il est mort également celui qui, après avoir «été engendré par le vrai baptême, a fait «alliance avec un traditeur n. Si donc les Maximianistes ne sont pas morts, pourquoi les Donatistes s'écrient-ils dans leur concile général que le rivage est couvert des cadavres de ceux qui périssent?» Et s'ils sont morts, quelle vie peut donner le baptême qu'ils confèrent? Et puis, si Maximien n'est pas mort, pourquoi donc baptiser après lui? Et s'il est mort, pourquoi son trépas n'est-il point partagé par son ordonnateur Féiicianus de Mustitanum, quand la mort d'un traditeur a entraîné celle de je ne sais lequel de ses collègues d'outre-mer? Ou bien, s'il est mort, comment se fait-il que ceux qu'il a baptisés dans cet état soient regardés par vous comme vivants, quoique le baptême ne leur ait pas été réitéré avant leur réintégration dans l'unité?



CHAPITRE XVII. LES COUPABLES CONDAMNÉS DE PART ET D'AUTRE.


18. Pétilianus ajoute: «Ni l'un ni l'autre (198) n'ont la vie du baptême, car celui-ci ne l'a jamais possédée et l'autre l'a perdue». Ainsi la vie ne fut jamais donnée à celui qui fut baptisé par le maximianiste Félicianus ou par Prétextat; et ces deux derniers l'ont perdue après l'avoir possédée. Mais quand les uns et les autres se voient réintégrés, qui donc donna aux uns ce qu'ils n'avaient jamais eu, et aux autres ce qu'ils avaient perdu? Direz-vous qu'ils avaient conservé la forme du baptême, mais qu'ils en avaient perdu la vertu par le fait même de leur schisme criminel? Mais alors, pourquoi donc invalidez-vous dans ces catholiques que vous n'avez pas entendus, cette même forme qui partout et toujours est essentiellement sainte, tandis que vous en reconnaissez la validité dans ces Maximianistes que vous aviez frappés d'anathème?


19. Quant au réquisitoire qu'il dresse complaisamment contre le traître Judas, de quelle importance peut-il être pour nous, puisqu'ils ne peuvent nous convaincre du crime de tradition, et que d'ailleurs, en supposant que tel catholique depuis longtemps décédé se fût rendu coupable de ce crime, nous ne serions nullement responsables d'une faute que nous désapprouvons et que nous condamnons? Les Donatistes proclament qu'ils ne peuvent être souillés par leur contact avec des crimes qu'ils ont d'abord condamnés et ensuite accueillis; combien moins pouvons-nous l'être par des crimes que nous n'avons connus que par la renommée et que nous avons toujours réprouvés? Quelle que soit donc -la véhémence avec laquelle il incrimine les traditeurs, qu'il sache que je les condamne plus sévèrement encore. Toutefois je dois établir une distinction à mes, yeux essentielle; car il m'oppose un coupable, mort depuis longtemps et dont je n'ai pu vérifier la culpabilité; pour moi, au contraire, je lui cite un criminel qui lui est étroitement uni, qu'il a lui-même condamné, dont il a réprouvé le schisme sacrilège, et qu'il a par la suite réintégré dans tous ses privilèges et toutes ses dignités.



CHAPITRE XVIII. DE QUEL CÔTÉ SE TROUVENT LES PERSÉCUTEURS.


20. «Non content», dit Pétilianus, «de vous être souillé du crime de tradition, vous vous êtes fait notre persécuteur et notre bourreau, parce que vous nous voyiez rester fidèles à l'observation de la loi». Si les Maximianistes, après s'être séparés de vous, ont observé la loi, vous aussi soyez l'observateur de la loi, maintenant que vous êtes séparé de cette église dont les rameaux s'étendent jusqu'aux extrémités de l'univers. Quant aux persécutions, je réponds immédiatement: Si vous avez subi quelque traitement injuste, vous ne pouvez en rendre responsables ceux qui, tout en condamnant ces coupables excès, se croient cependant obligés de les tolérer pour le bien de l'unité. Il ne nous appartient pas de reprocher au froment de supporter la présence de la paille jusqu'au jour de la purification dernière; ce froment, du reste, vous ne l'auriez pas quitté, si devenu vous-même une paille légère vous n'aviez pris votre essor sous le vent de la tentation et avant l'arrivée du divin Purificateur. Quoi qu'il en soit, j'insiste sur cet exemple si propre à les corriger, s'ils sont capables de réfléchir, et à les confondre, s'ils s'obstinent dans leur perversité. Direz-vous que ceux qui souffrent persécution sont plus justes que ceux qui l'inspirent? Mais alors proclamez donc la justice de ces Maximianistes dont les basiliques furent entièrement détruites, dont les assemblées furent dispersées par les soldats d'Optat, et qui furent chassés de leurs sièges par les ordres du proconsul et à la demande des Primianistes. Si donc ces derniers, dont les empereurs détestaient la secte, purent assouvir jusqu'à ce point leur haine contre les Maximianistes, que ne feraient-ils pas s'ils sentaient dans leur communion ces empereurs eux-mêmes? Dira-t-on qu'ils n'avaient d'autre but que de corriger des coupables et de les ramener dans la bonne voie? Mais alors pourquoi s'étonner de voir des empereurs catholiques déployer leur puissance pour punir et corriger des sectaires qui n'aspirent à rien moins qu'à rebaptiser l'univers, et ne peuvent donner de leur schisme aucune justification sérieuse? Pourtant nous voyons ordinairement ces sectaires user de tolérance à l'égard des pécheurs convaincus de crime, et, en vue de conserver la paix, réintégrer dans leur première dignité ceux qu'ils avaient d'abord condamnés et qui auraient été baptisés dans le schisme. Que les Donatistes veuillent donc se demander un instant ce que peuvent mériter, aux yeux des puissances chrétiennes, ces ennemis de l'unité (199) catholique répandue sur toute la terre. Que si le châtiment se fait attendre, que du moins la honte s'empresse d'accourir; autrement je ne comprendrais plus qu'en lisant ce qu'ils écrivent, ces auteurs ne se sentent point vaincus par un fou rire, en s'apercevant qu'ils ne reconnaissent pas en eux-mêmes ce qu'ils veulent voir dans les autres, ou ce dont ils veulent accuser leurs adversaires.




Augustin, contre les lettres de Pétilien.