Augustin, contre les lettres de Pétilien.



LIVRE TROISIÈME.

LA RÉPONSE DE PÉTILIEN.


Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Saint Augustin y réfute une seconde lettre de Pétilien, écrite par ce dernier en réponse aux livres précédents. L'évêque d'Hippone prouve que son adversaire s'écarte du sujet débattu parce que toute réponse lui est impossible.



CHAPITRE PREMIER. BUT DE CE LIVRE.


1. Le plus tôt qu'il m'a été possible, j'ai lu, Pétiller, votre dernière lettre, et cette lecture m'a prouvé que vous n'avez rien de sérieux à alléguer contre l'Eglise catholique en faveur du Donatisme, et cependant qu'il vous est impossible de vous renfermer dans un prudent silence. Quel courroux vous a saisi, quelle tempête s'est déchaînée dans votre coeur lorsque vous est parvenue la réponse aussi claire que succincte que j'ai faite à la partie de votre lettre que j'avais entre les mains! En effet, la vérité que nous défendons et à laquelle nous adhérons de toute notre âme vous a paru appuyée sur des fondements si solides, entourée d'un éclat si éblouissant, qu'il vous était désormais impossible de trouver le moindre argument à y opposer. Vous avez compris également que les nombreux lecteurs avaient les yeux fixés sur vous et se demandaient ce que vous alliez dire, ce que vous alliez faire, quel moyen vous alliez prendre pour vous soustraire aux terribles angoisses dans lesquelles vous jetait nécessairement l'évidence des oracles divins. Or, vous qui deviez; méprisant l'opinion des esprits légers, prendre en main généreusement la seule doctrine véritable et sûre, vous n'avez pas craint de réaliser dans votre personne cette parole de l'Ecriture: «Vous avez préféré la méchanceté à la bonté, et l'iniquité à la justice (1)». De mon côté, si je voulais répondre aux injures par des injures, nous ne serions plus que deux grossiers interlocuteurs, de telle sorte que, parmi ceux qui liraient nos écrits, les uns, plus graves, les repousseraient avec mépris, les autres y chercheraient une pâture à leur besoin de scandales et de malveillance. Lorsque je réponds à quelqu'un par parole ou par écrit, lors même que je me verrais chargé d'accusations calomnieuses, je demande d'abord à Dieu la grâce d'étouffer en moi tout sentiment de rancune et d'indignation; et, m'inspirant des désirs légitimes de l'auditeur ou du lecteur, je m'attache, non pas à terrasser mon adversaire sous le poids d'injures plus grandes, mais à réfuter l'erreur et à montrer la vérité.


2. J'en appelle d'abord au bon sens de ceux qui ont lu vos lettres. Dans une question où il s'agit entre nous de la communion catholique ou de la secte de Donat, quel résultat pensez-vous atteindre en laissant de côté le sujet principal, pour vous répandre en outrages de toute sorte contre la vie privée de votre adversaire, comme si cet adversaire formait à lui seul tout le sujet de la discussion? Avez-vous des idées si mauvaises, je ne dis pas des chrétiens, mais du genre humain lui-même, que vous ne croiriez pas possible de remettre votre ouvrage entre les mains d'hommes prudents, qui, jetant de côté toute question de personnes et de conduite personnelle, chercheraient uniquement ce qui peut être dit pour la vérité ou contre l'erreur? Vous auriez dû tenir compte du jugement de ces hommes et vous épargner leur blâme, si vous ne vouliez pas leur faire trouver dans vos injures une raison de conclure que votre cause est mauvaise et ne peut se défendre. Toutefois, à côté de ces hommes sages, il en est d'autres qui courent après le bruit et la chicane, et sont beaucoup plus touchés de l'habileté de vos injures que de la vérité de votre impuissance et de votre défaite.

Vous saviez sans doute un autre but encore, celui de m'occuper du soin de défendre ma propre personne et de négliger complètement le sujet en question. Par ce moyen, la vérité que vous craignez de mettre dans tout son jour serait restée profondément ensevelie dans les ténèbres, car toute l'attention se serait portée non pas sur les raisonnements en eux-mêmes, mais sur les injures que les combattants se seraient renvoyées. Dans une telle situation, je n'hésite pas à négliger ma propre


1. 51,5.

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défense pour concentrer mes efforts sur le sujet principal à l'étude duquel toutes les injures possibles ne pourront m'arracher. J'élèverai la voix en faveur de la maison de mon Dieu, dont j'ai aimé la beauté; et, pour moi, je me tiendrai dans ma bassesse et dans mon néant. Car j'ai mieux aimé être humilié dans la maison de mon Dieu que d'habiter sous les tentes des hérétiques (1). Ce n'est donc pas précisément de vous, Pétilien, que je m'occuperai dans cette réplique, mais de ceux que vous croyiez effrayer par vos injures pour les jeter dans le schisme, comme si vraiment je n'avais eu d'autre but que de me faire des adeptes, au lieu de travailler à conduire les hommes à Dieu et moi-même avec eux.



CHAPITRE II. QUE PERSONNE N'ESPÈRE OU SE GLORIFIE DANS L'HOMME.


3. Vous donc qui avez entendu toutes ces injures lancées contre moi par Pétilien, avec plus de colère que de prudence, veuillez vous montrer attentifs à mes paroles. Et d'abord j'emprunte à l'Apôtre ces paroles dont la vérité est assurément indépendante de ma propre personne, quelle qu'elle soit. Que les hommes nous regardent comme les ministres de Jésus-Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. Or, ce qui est à désirer dans les dispensateurs, c'est qu'ils soient trouvés fidèles. Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit; et pourtant je ne me juge pas moi-même». Quant aux paroles suivantes: «Ma conscience ne me reproche rien», je n'ose, sans doute, me les appliquer, et cependant je puis attester devant Dieu, que depuis mon baptême en Jésus-Christ, je n'ai à me reprocher aucun des crimes dont Pétilien accuse ma vie tout entière. «Pourtant je ne me crois pas en cela pleinement justifié. Mais c'est le Seigneur qui est mon Juge. C'est pourquoi ne jugez point avant le temps, jusqu'à ce que le Seigneur vienne, car il exposera à la lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et il fera voir les pensées les plus secrètes des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due. Au reste, mes frères, j'ai proposé ces choses en ma personne et en celle d'Apollo à cause de vous, afin que vous apprissiez, par notre


1. Ps 83,11

exemple, à n'avoir pas de vous d'autres sentiments que ceux que je viens de marquer, prenant garde de vous enfler d'orgueil les uns contre les autres pour autrui (1). Que personne donc ne mette sa gloire dans l'homme. Car toutes choses sont à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Chrit est à Dieu (2)». Je répète: «Que personne ne mette sa gloire dans l'homme»; je redis encore: «Que personne ne mette sa gloire dans l'homme». Si vous remarquez en nous quelque chose de louable, rapportez-en la gloire à celui de qui nous vient tout don parfait, tout don excellent; car ce don nous est venu du Père des lumières en qui ne se trouve ni changement ni ombre de vicissitude (3). En effet, qu'avons-nous que nous ne l'ayons reçu; et si nous l'avons reçu, pourquoi nous en glorifier comme si nous ne l'avions pas reçu (4)? Dans tout ce que vous voyez de bien en nous, soyez nos imitateurs comme nous le sommes de Jésus-Christ (5); mais si vous y soupçonnez, si vous y croyez, ou si vous apercevez quelque mal, n'oubliez pas cette recommandation du Sauveur, et gardez-vous de quitter l'Eglise à cause du mal qui peut s'y trouver: Faites ce que nous enseignons et ne faites pas ce que vous pensez ou ce que vous savez que nous faisons (6).

D'ailleurs je n'ai pas ici à me justifier à vos yeux, puisque sans m'occuper de ma propre personne j'ai entrepris d'aider puissamment à votre salut, en vous prouvant que personne ne doit se glorifier dans l'homme. En effet, malheur à celui qui place son espérance dans l'homme (7)! Pourvu que nous observions ce précepte du Seigneur et des Apôtres, dussé-je faillir à la cause que je défends, comme le prétend mon adversaire, cette cause sera infailliblement victorieuse. En effet, restez inébranlablement attachés à l'avis que je vous donne, à l'exhortation que je vous adresse, en un mot à cette grande parole: Maudit soit celui qui place son espérance dans l'homme! que personne ne mette sa gloire dans l'homme; et alors vous ne quitterez jamais l'aire du Seigneur, à cause de cette paille qui s'y trouve et qui disparaît sous le souffle de l'orgueil, ou sera rejetée à la purification suprême (8); vous ne fuirez pas la grande maison, à cause des vases qui y sont devenus des vases d'ignominie (9);


1. 1Co 4,1-6 - 2. 1Co 3,21-23 - 3. Jc 1,17 - 4. 1Co 4,7 - 5. 1Co 4,16 - . Mt 23,3 - 6. Jr 17,5 - 7. Mt 3,12 - 8. 2Tm 2,20

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vous ne sortirez pas des filets à cause des mauvais poissons dont la séparation se fera sur le rivage (1); vous n'abandonnerez pas les gras pâturages de l'unité, à cause des boucs que le souverain pasteur repoussera à sa gauche (2); vous ne commettrez pas le crime de vous séparer du bon grain, parce que vous y voyez mêlée de la zizanie; ce bon grain a pour chef le grain qui a été mortifié et multiplié et qui croîtra sur toute la face du monde jusqu'à la moisson. Le champ dont il est parlé, c'est le monde tout entier, et non pas seulement l'Afrique; la moisson, c'est la fin du monde (3), et non pas l'époque pendant laquelle a vécu Donat.



CHAPITRE 3. LES DONATISTES JUGÉS PAR LE FAIT MÊME DE LEUR SCHISME.


4. Vous reconnaissez assurément toutes ces comparaisons établies par l'Evangile pour nous prouver que personne ne doit placer sa gloire dans l'homme, que tous doivent s'abstenir de s'enfler d'orgueil pour l'un contre l'autre, de manière à établir une véritable séparation et à dire: «Pour moi j'appartiens à Paul». Ce n'est pas Paul qui a été crucifié pour nous, ce n'est pas au nom de Paul et bien moins.encore au nom de Cécilianus ou de tout autre que vous avez été baptisés (4). Ainsi donc, tant que la paille est foulée avec le froment, tant que les mauvais poissons sont renfermés avec les bons dans les filets du Seigneur, sachez qu'avant l'époque de la purification suprême vous devez tolérer le mélange des méchants à cause des bons, plutôt que de violer la charité des bons à cause des méchants. Ce mélange, en effet, n'est point éternel, mais passager; il n'est point le mélange des esprits, mais le mélange des corps. Au moment de la séparation les anges ne se tromperont pas, quand il leur faudra séparer les méchants du milieu des justes, et les jeter .dans la fournaise ardente. Car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui. Si donc celui qui invoque le nom du Seigneur ne peut pas pour un temps se séparer corporellement des pécheurs, qu'il s'en sépare spirituellement, c'est-à-dire par sa haine pour l'iniquité (5).

En effet, il est permis et même commandé de se séparer des pécheurs, dès cette vie, par


1. Mt 13,47-48 - 2. Mt 25,32-33 - 3. Mt 13,34-40 - 4. 1Co 1,12-13 - 5. 2Tm 2,19

la conduite, les moeurs, le coeur et la volonté; il faut que cette séparation soit toujours observée. Quant à la séparation corporelle, attendons-la pour la fin du monde, avec confiance, force et résignation. C'est en vue de cette attente qu'il a été dit: «Attendez le Seigneur, agissez courageusement; que votre coeur s'affermisse, et attendez le Seigneur (1)». Le suprême degré de la tolérance, au milieu des faux frères qui cherchent leurs propres intérêts et non ceux de Jésus-Christ, consiste à ne troubler par aucune dissension tumultueuse et téméraire la charité de ceux qui cherchent non pas leur propre gloire, mais la gloire de Jésus-Christ; il consiste à ne porter aucune atteinte orgueilleuse et criminelle à l'unité du filet du Seigneur, tant qu'il est employé à réunir des poissons de tout genre pour les conduire au rivage, c'est-à-dire à la fin du monde. Cette tolérance est d'autant plus méritoire que naturellement chacun se flatte d'être quelque chose, tandis qu'il n'est rien, et s'attribue le droit de prononcer lui-même sur la séparation à établir entre les différentes classes de chrétiens, ne consultant pour cela que son propre jugement ou le jugement de ceux qui affirment connaître très-pertinemment tels ou tels mauvais chrétiens comme indignes de participer aux sacrements de la religion. Et puis, s'il nous arrive de mettre ces personnages si bien renseignés en demeure de prouver juridiquement leurs accusations, ils restent sans preuve capable de convaincre l'Eglise répandue sur toute la terre, selon la promesse qui en a été faite.

Quand donc ils se séparent de ces prétendus criminels, ils ne font autre chose que renoncer à l'unité de cette Eglise. Au contraire, s'ils possédaient cette charité qui supporte tout, ne devraient-ils pas tolérer dans un peuple les fautes qu'ils connaissent, plutôt que de se séparer des justes répandus en grand nombre dans toutes les nations et nécessairement étrangers aux crimes qui peuvent se commettre sur telle ou telle partie de l'univers? Voilà pourquoi, avant toute discussion préalable d'une cause dans laquelle les documents les plus graves se réunissent pour les convaincre de calomnies à l'égard des innocents, il nous paraît- très-probable qu'ils ont pu imaginer ces crimes de traditeurs, puisqu'ils n'ont pas craint de pousser l'impiété jusqu'à se jeter


1. Ps 26,14

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dans un schisme sacrilège. En effet, supposez que tout ce qu'ils disent des traditeurs fût réel, toujours est-il que, même alors, ils n'auraient pas dû rompre toute relation avec les chrétiens répandus sur toute la terre et devant nécessairement ignorer ce qu'à la rigueur ces Donatistes pouvaient connaître.



CHAPITRE IV. ON DOIT RÉPRIMER LE MAL SANS ROMPRE L'UNITÉ.


5. Pourtant je suis loin de dire que l'on doive négliger la discipline ecclésiastique et permettre à chacun d'agir à son gré, sans avoir à craindre aucune répression, aucune vengeance médicinale, aucune douceur terrible, aucune sévérité charitable. Que deviendrait alors ce précepte de l'Apôtre: «Reprenez ceux qui sont déréglés, consolez ceux qui ont l'esprit abattu, supportez les faibles, soyez patients envers tous. Prenez garde que nul ne rende à un autre le mal pour le mal (1)?» Par ces dernières paroles: «Prenez a garde que nul ne rende à un autre le mal pour le mal», l'Apôtre prouve clairement que ce n'est pas rendre le mal pour le mal que de reprendre ceux qui sont déréglés, quoique leur dérèglement soit puni par la répression. Donc cette correction n'est pas un mal, tandis que la faute est un mal. Le fer employé pour sonder une plaie n'est pas le fer d'un ennemi, mais le fer d'un médecin dévoué. C'est là ce qui se fait dans l'Église; l'esprit de douceur intérieure s'enflamme du zèle de Dieu, pour empêcher que la vierge chaste, devenue l'épouse de Jésus-Christ, ne se laisse séduire, comme Eve, par l'astuce du serpent, et ne laisse dans quelques-uns de ses membres porter atteinte à cette chasteté dont Jésus-Christ est la source (2).

Toutefois les serviteurs du père de famille se gardent bien d'oublier le précepte de leur Maître, de s'enflammer d'une trop vive indignation contre la grande quantité de zizanie, de crainte qu'en voulant l'arracher avant la moisson, ils n'arrachent en même temps le bon grain. Tel serait le crime de ces Donatistes, lors même qu'ils parviendraient à prouver l'existence des crimes qu'ils ne cessent de reprocher aux traditeurs. En effet, non contents de rompre toute relation avec les pécheurs, ils se sont en même temps séparés


1. 1Th 5,14-15 - 2. 2Co 11,2-3

des bons chrétiens, répandus sur toute la terre et ignorant absolument l'existence de ces crimes allégués, sans aucune preuve, par nos adversaires. Présomption coupable et impie, sous l'influence de laquelle ils n'ont pas craint d'abuser de l'autorité qu'ils pouvaient avoir sur quelques-uns et de l'ignorance des autres, pour les entraîner tous dans leur schisme et les empêcher de comprendre que les crimes de tels ou tels chrétiens ne sont pas une raison de rompre l'unité de l'Église répandue sur toute la terre. En supposant donc qu'ils aient été certains de la réalité des crimes qui leur servaient de prétexte, toujours est-il qu'ils entraînaient dans une perte certaine ces ignorants pour lesquels Jésus-Christ est mort (1), et qui, se trouvant scandalisés par les péchés d'autrui, renonçaient pour eux-mêmes à ce bien de la paix qu'ils partageaient avec les justes. De leur côté, ces justes, soit parce qu'ils n'avaient aucune connaissance de ces crimes, soit parce qu'avant d'y croire ils exigeaient des preuves authentiques et formelles, soit parce qu'ils s'en rapportaient humblement à la décision des juges ecclésiastiques d'outre-mer devant lesquels la cause était pendante, ces justes, disons-nous, protestaient par leur conduite contre ces coupables insinuations du schisme et de l'hérésie.



CHAPITRE V. ON NE DOIT SUIVRE PERSONNE CONTRE L'UNITÉ DE JÉSUS-CHRIST.


6. Vous donc, semence sacrée de notre unique mère l'Église catholique, restez soumis à Dieu, et, avec toute la vigilance possible, mettez-vous en garde contre la contagion du crime et de l'erreur. Quel que soit l'éclat de sa doctrine et de sa réputation, dût-il se flatter d'être une pierre précieuse, quiconque entreprend de vous entraîner à sa suite, doit soulever par cela même toutes vos défiances. Souvenez-vous alors que la femme forte, dont il nous est parlé dans les Proverbes, et dont toute l'ambition était de plaire à son époux, est de beaucoup plus précieuse que tous les diamants les plus riches. Que personne ne dise: Je suivrai celui-là, parce qu'il m'a fait chrétien; ou cet autre, parce qu'il m'a baptisé. Celui qui est quelque chose, ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose, mais


1. 1Co 8,11

282

celui qui donne l'accroissement, c'est-à-dire Dieu seul (1). Or, Dieu est charité, et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu demeure en lui (2). Par conséquent, on ne doit suivre contre l'unité de Jésus-Christ, ni celui qui prêche le nom de Jésus-Christ, ni celui qui administre le sacrement de Jésus-Christ. Que chacun éprouve ses propres oeuvres, et il cherchera sa gloire en lui-même et non pas dans les hommes; car chacun portera son propre fardeau (3), c'est-à-dire le fardeau du compte qu'il aura à rendre à Dieu, puisque nous n'aurons à rendre compte que de nous-mêmes. Gardons-nous donc de nous juger désormais les uns les autres (4). En effet, quant à ce qui regarde le fardeau d'une charité mutuelle, portez réciproquement votre fardeau en vous aidant les uns les autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi de Jésus-Christ. Car celui qui se flatte d'être quelque chose, tandis qu'il n'est rien, se trompe lui-même (5). Supportons-nous donc réciproquement dans la charité, nous appliquant à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (6). Quiconque recueille en dehors de cette unité ne recueille pas avec Jésus-Christ; et quiconque ne recueille pas avec Jésus-Christ dissipe (7).


CHAPITRE VI. LES INJURES NE SAURAIENT TROUBLER LA PAIX D'UN CHRÉTIEN.


7. Soit donc qu'il s'agisse de Jésus-Christ, ou de son Eglise, ou de tout ce qui concerne directement votre foi ou votre conduite, nous pouvons vous répéter ces paroles de l'Apôtre

«Quand un ange du ciel vous annoncerait un Evangile différent de celui qui est renfermé dans les saintes Ecritures, qu'il soit anathème». J'omets à dessein la première partie du texte: «Quand nous vous annoncerions nous-mêmes», car il est loin de notre›usée d'oser nous comparer à ce grand Apôtre (8). Avec tous ceux que nous désirons gagner à Jésus-Christ, nous n'engageons de discussion que sur l'Evangile ou sur la sainte Eglise, si visiblement promise dans les saintes Lettres, et réalisant d'une manière si évidente, au milieu des dations, les promesses qui la concernent. Et pourtant, de la part de ceux que


1. 1Co 3,7 - 2. - 3. Ga 6,4-5 - 4. Rm 12,12-13 - 5. Ga 6,2-3 - 6. Ep 4,2 - 7. Mt 12,30 - 8. Ga 1,8

nous désirons attirer sur le sein pacifique de l'Eglise, la seule récompense que nous obtenions, c'est la haine ta plus déclarée. On dirait vraiment que c'est nous qui les avons enchaînés à la secte dont la justification leur est devenue impossible; on dirait que c'est nous qui avons ordonné aux Prophètes et aux Apôtres de ne placer dans leurs livres aucun témoignage que les Donatistes pussent invoquer pour prouver qu'ils sont la véritable Eglise de Jésus-Christ. Pour nous, frères bien-aimés, malgré les accusations calomnieuses lancées contre nous par ceux que nous offensons en leur déroulant les oracles de la vérité, et en leur prouvant la vanité des principes sur lesquels ils appuient leur erreur, nous jouissons, vous le savez, de la consolation la plus douce et la plus abondante. En effet, dans tous les points sur lesquels ils m'accusent, si ma conscience ne rend pas témoignage contre moi devant ce Dieu qui reste inaccessible à tout regard humain, non-seulement je ne dois pas m'attrister, mais je dois bien plutôt surabonder de joie, parce qu'une grande récompense m'est réservée dans les cieux. Ce que je dois considérer, ce n'est point l'amertume, mais la fausseté de ce que j'entends; c'est la véracité de Celui au nom de qui je suis calomnié, et à la gloire duquel je répète: «Votre nom est pour moi un parfum d'une agréable odeur (1)». Et en effet, ce parfum, que nos adversaires voudraient renfermer dans un petit coin de l'Afrique, n'exhale-t-il pas son agréable odeur au sein de toutes les nations? Pourquoi donc nous indigner en face des calomnies dont nous couvrent des hérétiques, quand nous voyons ces mêmes hérétiques s'attaquer à Jésus-Christ lui-même, porter atteinte à sa gloire et dénaturer indignement la prophétie relative à son ascension et à la diffusion du parfum exhalé par son nom: «O Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre (2)?»



CHAPITRE VII. BONHEUR DE SOUFFRIR POUR LA JUSTICE.


8. Parce que nous ne cessons d'opposer les oracles divins aux vaines accusations de nos adversaires, ces ennemis de la gloire de Jésus-Christ ne cessent de nous charger d'opprobres. Qu'importent leurs outrages, puisque


1. Ct 1,2 - 2. Ps 106,12

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c'est à nous que s'adressent ces paroles: «Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. Vous serez bienheureux lorsqu'ils vous persécuteront, qu'ils vous maudiront et que, par d'indignes mensonges, ils diront toute sorte de mal contre vous, à cause de moi». Ces mots: «Pour la justice», et ces autres: «A cause de moi», ont absolument le même sens; car Jésus-Christ s'est fait notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon la parole de l'Ecriture, «celui qui se glorifie, cherche uniquement sa gloire dans le Seigneur (1)». Le Sauveur nous dit

«Réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux (2)»; par conséquent, si je puis me rendre le témoignage que je suis persécuté «pour la justice et pour Jésus-Christ», quiconque s'attaque volontairement à ma réputation, ne fait malgré lui qu'ajouter un nouveau fleuron à ma couronne. Cette leçon que Jésus-Christ m'a donnée, il l'a confirmée par ses exemples. Recueillez les enseignements de la sainte Ecriture, et vous trouverez que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, qu'il est monté au ciel et qu'il est assis à la droite du Père. Recueillez ensuite les accusations de ses ennemis, et ils essaieront de vous faire croire que ses disciples sont venus au sépulcre et ont enlevé son corps. Si c'est ainsi que le Maître a été traité, nous, ses disciples, qui défendons sa maison, que pouvons-nous attendre de la part de ses ennemis? «S'ils donnent au père de famille le nom de Béelzébub, que ne diront-ils pas de ses Serviteurs (3)?» Si donc nous souffrons avec Jésus-Christ, nous régnerons avec lui. Si l'oreille seule se trouve offensée par les accents de colère d'un calomniateur, tandis que la conscience même est déchirée par le remords d'un crime véritable, que m'importe donc que le monde tout entier me comble de louanges. Tous les concerts de louanges ne sauraient guérir une conscience mauvaise; de même les calomnies les plus atroces ne sauraient blesser une conscience bonne. Par cela même que vous avez placé toute votre espérance dans le Seigneur, cette espérance ne saurait être confondue, lors même que nous serions secrètement aussi criminels que notre


1. 1Co 1,31 - 2. Mt 5,10-12 - 3. Mt 10,25

ennemi voudrait le faire croire; et cela parce que ce n'est pas en nous que vous avez placé cette espérance, et que jamais nous ne vous avons demandé ce sacrifice. Quelque coupables que nous puissions être, vous êtes toujours en pleine sécurité, car vous avez appris à dire: «Espérant en Dieu je ne serai pas ébranlé (1)», «j'espérerai dans le Seigneur et ne craindrai pas ce que l'homme pourrait me faire (2)». Quant à ceux qui s'efforcent de vous séduire en faisant ressortir à vos yeux les grandeurs terrestres de certains hommes orgueilleux, vous savez leur répondre Toute ma confiance est dans le Seigneur; «comment donc dites-vous à mon âme: Retirez-vous sur la montagne comme le passereau (3)?»



CHAPITRE VIII. LE SALUT NE NOUS VIENT QUE DE JÉSUS-CHRIST.


9. Vous donc qui vous plaisez à reconnaître en nous la vérité de Jésus-Christ, telle que nous la prêchons en tous temps et en tous lieux; vous qui aimez à entendre cette vérité malgré la faiblesse et l'impuissance de celui qui vous l'annonce; vous enfin qui nous entourez de respect et de bienveillance, vous goûtez une sécurité entière, sans vous préoccuper aucunement de ce que nous pouvons être, car toute votre espérance repose sur Celui que nous vous prêchons, par un effet de sa grande miséricorde. Bien plus, tous ceux d'entre vous qui ont reçu de nos mains le sacrement du saint baptême, goûtent la même joie et la même sécurité, car ce n'est pas en nous, mais en Jésus-Christ qu'ils ont été baptisés. Ce n'est donc pas nous, mais Jésus-Christ que vous avez revêtu; je ne vous ai pas demandé si c'était à moi, mais au Dieu vivant que vous vouliez vous convertir; si c'était en moi que vous croyiez, mais au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Si votre réponse a été franche et sincère, vous avez reçu le salut, non point en dépouillant les souillures de la chair, mais en manifestant la sainteté de votre conscience (4). Celui qui vous a sauvés, ce n'est point votre frère, mais votre -Seigneur; ce n'est point votre- prédicateur, mais votre Juge. En effet, je ne puis trop protester contre l'erreur et la témérité de ces paroles de Pétilien: «C'est de la conscience du ministre»; ou encore: «C'est de la conscience de celui qui


1. Ps 25,1 - 2. Ps 55,12 - 3. Ps 10,2 - 4. 1P 3,21

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administre saintement, que dépend la purification de la conscience du sujet». C'est Dieu seul qui est l'auteur de ce que nous donnons, voilà pourquoi le sacrement est toujours saint, lors même qu'il serait conféré par une conscience souillée. Que cette conscience soit sainte ou criminelle, ce n'est pas sur elle que le sujet doit fixer ses regards, mais uniquement sur le sacrement qu'il reçoit, sacrement toujours saint, et que l'on peut toujours recevoir en toute sécurité, quel que soit le ministre qui le confère. Si toutes les paroles sorties de la chaire de Moïse n'étaient pas toujours saintes, la Vérité nous dirait-elle: «Faites ce qu'ils vous disent?» Et si tous ceux qui annonçaient cette vérité, eussent tous été des saints, le Sauveur aurait-il ajouté: «Gardez-vous de faire ce qu'ils font, car ils disent et ne font pas (1)?» Ce n'est pas sur les épines que l'on recueille le raisin, parce que le raisin ne sort jamais des racines des épines; mais s'il arrive à la vigne de suspendre ses rameaux à des épines, on est loin de repousser avec horreur le raisin qui s'y forme; on se met en garde contre l'épine, mais on cueille le raisin.



CHAPITRE IX. QUELS QUE SOIENT LES MINISTRES, LES FIDÈLES DOIVENT RESTER EN SÉCURITÉ.


10. Je répète ce principe et je tiens à le graver profondément dans vos esprits: quels que puissent être vos ministres, restez dans une entière sécurité, vous qui avez Dieu pour Père, et pour mère la sainte Eglise. Ici-bas les boucs paissent avec les brebis, mais ils ne se tiendront pas à la droite du souverain Juge. Ici-bas la paille est foulée avec le froment, mais elle n'entrera pas sur les greniers du Père de famille. Les mauvais poissons nagent avec les bons dans les filets du Seigneur, mais ils seront rejetés sur le rivage. Que personne ne se glorifie dans l'homme, cet homme fût-il bon; et que personne ne rejette les bienfaits de Dieu, ces bienfaits fussent-ils distribués par un pécheur.



CHAPITRE X. QUELLE QU'AIT ÉTÉ MA VIE, ELLE N'EST POINT ICI EN QUESTION.


11. Frères bien-aimés et enfants dévoués

1. Mt 23,3

de l'Eglise catholique, ces quelques réflexions pourraient suffire à la question qui nous occupe. Pourvu que vous en conserviez le souvenir avec une charité catholique, et que vous restiez un seul troupeau sous la direction d'un seul Pasteur, vous jouirez d'une entière sécurité, et je m'inquiète peu des outrages que l'ennemi peut lancer contre moi, qui préside vos assemblées et suis constitué le gardien du troupeau. L'unique faveur que j'implore, c'est d'avoir à élever la voix, non point pour ma propre défense, mais pour la défense de mon peuple. Pourtant si ma propre justification était nécessaire à la cause que je défends, je pourrais la présenter en quelques mots, c'est-à-dire que je retrancherais de ma vie toutes les années qui ont précédé min baptême; je tairais ces passions et ces erreurs que je désapprouve et condamne avec l'Eglise tout entière; car je ne voudrais pas qu'en cherchant à me justifier pendant cette époque, je puisse paraître plus désireux de procurer ma propre gloire, que la gloire de Celui qui par sa grâce m'a délivré de cet abîme de péché. Quand donc j'entends déverser le blâme sur cette première période de mon existence, quelque soit le sentiment qui dicte ces reproches, je ne suis pas assez ingrat pour m'en plaindre. Plus nos adversaires font ressortir la honte de ma conduite, plus je loue la munificence de mon médecin.

Pourquoi donc m'appliquerais-je à excuser tous ces maux passés et pardonnés, à l'occasion desquels Pétilien a émis plusieurs faussetés et passé sous silence plusieurs vérités? Quant aux années écoulées depuis mon baptême, puisque vous me connaissez, il serait superflu de vous parler de ce que savent tous les hommes; pour ceux qui ne me connaissent pas, je ne dois pas les supposer assez injustes pour donner à Pétilien la préférence sur vous dans tout ce qui peut concerner ma personne. En effet, si l'on ne doit pas croire aux louanges d'un ami, on ne doit pas croire davantage aux détractions d'un ennemi. Restent donc les oeuvres cachées et secrètes, qui ont pour unique témoin la conscience, ce sanctuaire toujours fermé aux regards scrutateurs de vos frères. Pétilien s'attaquant à une conscience qui lui est absolument inconnue, ne craint pas de m'accuser de manichéisme; pour moi, parlant de ma propre conscience, je proteste contre une telle (285) accusation. Voyez donc auquel des deux vous devez croire. Toutefois je répète que ma justification personnelle, toute courte et toute facile qu'elle puisse être, n'est nullement nécessaire dans une question qui roule, non point sur le mérite de tel ou tel homme, mais sur la vérité de la sainte Eglise. Pour vous, qui appartenez à la secte de Donat, j'aurais besoin de réfuter plus longuement les calomnies que vous avez lues à mon adresse dans les ouvrages de Pétilien, et que je ne me serais pas attirées, si votre malheureux état m'avait trouvé plein d'indifférence et de mépris; mais alors j'eusse prouvé que j'étais entièrement privé des entrailles de la charité chrétienne.




Augustin, contre les lettres de Pétilien.