Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE 11. HONTEUSE PARTIALITÉ DES DONATISTES DANS LES DISCUSSIONS.

CHAPITRE 11. HONTEUSE PARTIALITÉ DES DONATISTES DANS LES DISCUSSIONS.


12. Pourquoi donc nous étonner, lorsque je ramène avec la terre et la paille le grain chassé de l'aire du Seigneur, si j'ai à subir les injures d'une poussière en révolte? Ou bien, lorsque je recherche avec tant de sollicitude les brebis égarées du troupeau du Seigneur, pourquoi nous étonner si je me vois déchiré par les épines de ces langues aiguës? Je vous en prie, dépouillez-vous un instant des préventions des partis, et prononcez équitablement entre Pétilien et moi. Je veux vous faire connaître la cause de l'Église; Pétilien ne veut s'attacher qu'à la mienne. Dans quel but, si ce n'est parce que son audace ne va pas encore jusqu'à vous défendre de croire aux témoins que je ne cesse d'invoquer en faveur de l'Église, les Prophètes, les Apôtres et surtout Jésus-Christ, le Maître souverain des Prophètes et des Apôtres, et qu'au sujet des inculpations qu'il peut lancer contre moi, vous croyez facilement à la parole d'un homme contre son semblable; à la parole de votre évêque contre un évêque que vous ne connaissez pas? Supposé que je produise des témoins de ma vie, serais-je surpris si je l'entendais s'écrier qu'ils ne méritent aucune confiance? serais-je surpris de vous voir embrasser son avis? Du moment que tel homme élèverait la voix en ma faveur, ne le regarderiez-vous pas comme un ennemi du parti de Donat, et par la même comme votre propre ennemi? Tel est l'empire que Pétilien exerce sur vous; dès qu'il lance contre moi quelque calomnie, vous l'acclamez, vous applaudissez. La cause que je défends, il la trouvera caduque et fragile; mais c'est votre jugement qu'il invoque; pas n'est besoin pour lui de témoin ou de preuve; la seule preuve que vous lui demandez, c'est de couvrir d'outrages celui que vous poursuivez vous-mêmes de toute votre haine. En présence des témoignages aussi nombreux qu'évidents empruntés à la sainte Écriture en faveur de l'Église catholique, il a compris que son silence obligé vous plongeait dates la tristesse; force lui fut donc de choisir un thème sur lequel chacune de ses paroles fût couverte de vos applaudissements, et à l'aide duquel il pût changer le rôle de vaincu en celui de vainqueur; il lui suffisait pour cela de formuler contre moi les accusations les plus atroces. Quoi qu'il en soit, dans la cause que je soutiens, il suffit que la victoire reste à l'Église que je défends, n'importe d'ailleurs ce que je puisse être dans mon humble personne.



CHAPITRE XII. LES ARMES POUR COMBATTRE LES COMBATS DU SEIGNEUR.


13. J'appartiens à l'aire de Jésus-Christ, à titre de paille, si je suis pécheur, et à titre de bon grain, si je suis innocent. La langue de Pétilien n'a nullement pour fonction de purifier cette aire; par conséquent, toutes les accusations qu'il peut lancer contre cette paille, fussent-elles légitimes, ne sauraient porter aucun préjudice à la qualité des froments. D'un autre côté, toutes ses malédictions et toutes ses calomnies contre le froment ne servent qu'à éprouver sur la terre la foi de ce froment, et à rendre plus belle sa récompense dans le ciel. Les saints du Seigneur, ceux qui combattent saintement pour Dieu, n'ont pas à lutter précisément contre Pétilien, ni contre sa chair et son sang, mais contre les principautés, les puissances et les princes des ténèbres (1), comme sont tous les adversaires de la vérité, auxquels nous voudrions pouvoir dire: «Autrefois vous avez été ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (2)». Quand donc les serviteurs de Dieu réfutent toutes les injustes accusations lancées contre eux par leurs ennemis et destinées à leur faire une réputation mauvaise dans


1. Ep 6,12 - 2. Ep 5,12

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l'esprit de tous les hommes malveillants et témérairement crédules, c'est bien la lutte qu'ils soutiennent, mais les armes dont ils se servent ne sont que les armes de gauche, suffisantes toutefois pour triompher du démon. En effet, lorsque dans la bonne réputation nous prouvons que nous ne cédons pas aux suggestions de l'orgueil, et lorsque dans la mauvaise renommée, nous prouvons que nous aimons réellement nos ennemis et nos calomniateurs, il est vrai de dire alors que nous triomphons du démon par les armes de la justice en combattant à droite et à gauche. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre: «Par les armes de la justice, en combattant à droite et à gauche», car pour expliquer sa pensée il ajoute aussitôt: «Par la gloire et par l'ignominie, par l'infamie et par la bonne réputation (1)»; parmi les armes de droite il place la gloire et la bonne réputation, et parmi les armes de gauche il énumère l'ignominie et l'infamie ou mauvaise réputation.



CHAPITRE XIII. L'AMOUR DES ENNEMIS.


14. Si donc je suis le serviteur de Dieu et son soldat non réprouvé, quelque habileté que déploie Pétilien à me couvrir d'injures, dois-je me plaindre et murmurer, puisqu'il devient pour moi l'artisan très-habile des armes de gauche, avec lesquelles je remporterai la victoire? A l'aide de ces armes, et m'appuyant sur le secours de Dieu, je dois combattre et frapper cet adversaire contre lequel je lutte invisiblement, et qui, dans sa ruse et sa perversité, voudrait me faire haïr Pétilien et me rendre impossible l'accomplissement de ce précepte du Sauveur: «Aimez vos ennemis (2)». Que ce malheur me soit épargné par la miséricorde de Celui qui m'a aimé, qui s'est livré pour moi, et qui, du haut de la croix, s'est écrié. «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3)». Puisse le divin Sauveur m'apprendre à dire toujours, en parlant de Pétilien et de tous mes autres adversaires: Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils disent!


1. 2Co 6,7-8 - 2. Lc 6,35 - 3. Lc 23,31



CHAPITRE XIV. PÉTILIEN CONVAINCU DE NE POUVOIR RÉPONDRE.


15. Veuillez donc, c'est la seule grâce que je vous demande, vous dépouiller de tout parti pris, et vous montrer juges équitables entre Pétilien et moi. Alors je vous prouverai qu'il n'a pas réfuté mes arguments, et vous comprendrez que, se sentant dans l'erreur, il a dû sortir du sujet et, se retournant contre celui qui l'avait jeté dans l'impuissance de répondre, le couvrir d'outrages et d'injures. Supposé même que vous conserviez contre moi votre haine et votre parti pris, je n'hésite pas à dire que si vous daignez seulement lire avec quelque attention mes écrits et les siens, vous resterez tellement frappés de l'évidence des témoignages sur lesquels je m'appuie, que dans votre coeur vous reconnaîtrez la vérité de la cause que je défends.


16. Répondant à la première partie de sa lettre, la seule que j'eusse alors entre les mains, et passant sous silence des injures comme celles-ci: «Ils nous reprochent de baptiser deux fois, eux qui, dans un bain criminel, souillent leurs âmes au lieu de les baptiser», je me suis attaché à réfuter cette proposition: «Il faut voir la conscience de celui qui baptise, pour juger s'il peut purifier la conscience de celui qui est baptisé». J'ai demandé qu'il me dise par qui le néophyte se trouve purifié, lorsque le ministre est un pécheur, mais un pécheur secret (4).



CHAPITRE XV. DE QUI NOUS VIENT LA PURIFICATION OPÉRÉE DANS LE BAPTÊME.


17. Lisez maintenant la longue suite des injures qu'il m'adresse, pour épancher, sans doute, son orgueil et sa colère. Voyez s'il m'a répondu lorsque je lui demande de nous dire par qui le néophyte sera purifié lorsque, sans le savoir, il s'adressera pour le baptême à un ministre secrètement pécheur. Cherchez attentivement dans ses livres, parcourez toutes les pages, énumérez tous les paragraphes, étudiez tous les mots, nombrez toutes les syllabes. Veuillez me dire alors si vous avez trouvé qu'il ait répondu à ma question lorsque je le somme de nous dire par qui le néophyte sera purifié, quand, sans le savoir, il s'adresse pour le baptême à un ministre pécheur.


18. Il me reproche d'avoir retranché un mot à son texte et prétend qu'il a écrit: «Il faut voir la conscience de celui qui baptise


1. Livre I ch. I.

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saintement, pour juger s'il peut purifier la «conscience de celui qui est baptisé». Cette observation, fût-elle méritée, et vous savez qu'elle ne l'est pas, serait encore parfaitement inutile, car elle ne répond nullement à ma question, et n'excuse nullement son silence. Je reprends donc ses propres paroles: «C'est d'après la conscience de celui qui baptise saintement que l'on peut voir si le sujet est purifié», et je lui demande de nous dire par qui le néophyte sera purifié, lorsque, sans le savoir, il s'adressera pour le baptême à un ministre pécheur? Je vous demande, à vous, s'il a répondu à cette question. Pressez-le donc d'y répondre; ne permettez pas qu'un tel sujet puisse rester sans éclaircissement: «Si c'est d'après la conscience de celui qui baptise saintement»; vous voyez que je ne dis pas seulement: «De celui qui baptise», mais: «De celui qui baptise saintement»; si donc «c'est d'après la conscience de celui qui baptise saintement que l'on voit si le sujet peut être purifié», par qui le néophyte sera-t-il purifié, lorsque, sans le savoir, il s'adresse pour le baptême à un ministre pécheur?



CHAPITRE XVI. HONTEUX PROCÉDÉS EMPLOYÉS PAR PÉTILIEN.


19. Qu'il vienne maintenant, la poitrine haletante et la gorge gonflée, m'accuser de n'être qu'un dialecticien; qu'il cite à la barre du peuple la dialectique elle-même comme n'étant que l'art de mentir, et qu'il déclame contre elle avec tout le vacarme et l'impétuosité d'un tribun. Qu'il jette tout ce qu'il veut à la face du pauvre peuple, pour étourdir les savants et tromper les ignorants. Qu'il me jette, comme un terme de mépris, le titre de rhéteur, à la façon de l'orateur Tertullus qui accusa saint Paul (1); qu'il conserve pour lui le titre d'avocat; qu'il vante ses anciens triomphes dans le barreau, qu'il s'attribue le nom de Paraclet, et qu'il pousse le délire jusqu'à soutenir, non pas qu'il est présentement, mais qu'il a été l'homonyme du Saint-Esprit. Qu'il exagère à son gré les hontes du manichéisme pour se procurer le plaisir de les faire retomber sur moi. Qu'il déroule la suite des fautes commises par des condamnés que je ne connais pas ou que je connais;


1. Ac 11,1

qu'il n'oublie pas surtout que l'un de mes amis a cru devoir un jour invoquer mon nom pour sa propre défense, ce qui prouve, aux yeux de Pétilien, en vertu de je ne sais quel droit nouveau, que je devais être moi-même le complice des crimes de cet ami. Qu'il lise, en tête de mes lettres, les titres que lui ou les siens ont cru devoir y placer, et qu'il se flatte ensuite d'y trouver matière suffisante à ma condamnation; qu'il suffise à ses yeux d'avouer que l'on a donné simplement, et comme témoignage d'affection, des eulogies de pain, pour qu'aussitôt, avec un ridicule inouï, il lance l'anathème contre de telles turpitudes, tandis qu'il a de votre coeur des idées assez tristes pour croire qu'il lui est permis de donner à une femme des sortilèges d'amour, et cela aux grands applaudissements de son mari. Qu'il lui plaise d'invoquer contre moi ce que le futur consécrateur de mon épiscopat (1) avait écrit dans un accès de colère, quand je n'étais encore que simple prêtre, tandis qu'il me refuse tout droit d'invoquer en ma faveur le pardon qu'il demanda à tout un saint concile de ce qu'il avait fait contre moi; c'est là de sa part toute la preuve qu'il puisse nous donner de sa mansuétude chrétienne; c'est à ce point qu'il ignore ou qu'il oublie le précepte de l'Evangile, jusqu'à faire un crime à quelqu'un d'avoir pardonné généreusement tel ou tel de ses frères qui implorait humblement sa grâce.



CHAPITRE XVII. MÊME SUJET.


20. Qu'il continue ses déclamations aussi nombreuses que futiles sur des matières qu'il ignore entièrement, ou sur lesquelles il abuse indignement de l'ignorance du plus grand nombre. S'appuyant sur la confession de je ne sais quelle femme, qui se disait catéchumène des Manichéens, et qui avait été religieuse dans l'Eglise catholique, qu'il dise, qu'il écrive tout ce qui peut lui plaire sur le baptême de ces Manichéens, ne sachant pas ou feignant d'ignorer que l'on peut porter le nom de catéchumène parmi les Manichéens, sans avoir pour cela aucun droit au saint baptême. En effet, ne donnent-ils pas le nom de catéchumènes, et même d'auditeurs à ceux qui ne peuvent observer ces préceptes plus élevés et plus par


1. Mégallus de Calame.

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parfaits qui forment le privilège spécial de ceux qu'ils honorent du titre d'élus? Sans m'arrêter pour savoir s'il est trompeur ou trompé, qu'il donne un libre cours à cette étonnante témérité q ui voudrait me faire passer pour un prêtre manichéen. Quant aux paroles du troisième livre de mes confessions, paroles si claires par elles-mêmes et d'une intelligence si facile aux lecteurs, je lui donne toute liberté de les interpréter à sa fantaisie.Enfin, qu'il m'accuse de piller ses paroles, parce qu'il m'est arrivé de retrancher deux mots de sa lettre, comme si vraiment la réintégration de ces deux mots devait lui assurer une victoire éclatante.



CHAPITRE XVIII. LES INJURES NE SONT PAS UNE RÉPONSE.


21. Dans toutes ces circonstances, comme vous avez pu vous en convaincre par la simple lecture; il a laissé sa langue obéir aveuglément à l'impétuosité de son ambition; toutefois jamais il ne nous a dit par qui la conscience du néophyte peut être purifiée, lorsque, pour le baptême, il s'est adressé sans le savoir à un ministre pécheur. Pour moi, pendant et après ce grand tumulte, après ce terrible fracas de paroles, donnant à ma voix l'accent le plus lent et le plus doux, je lui demande de nouveau si c'est d'après la conscience de celui qui baptise saintement que l'on voit si le sujet peut être purifié, qu'il veuille bien nous dire par qui le néophyte sera purifié lorsqu'il s'est adressé, sans le savoir, à un ministre pécheur? Dans toute sa lettre je ne trouve pas un seul mot de réponse à cette question.



CHAPITRE XIX. QUESTION PRINCIPALE DANS TOUTE CETTE DISCUSSION.


22. Quelqu'un d'entre vous me dira peut-être: Dans toutes ces accusations qu'il lançait contre vous, Pétilien voulait vous couvrir de mépris, vous et ceux avec qui vous êtes en communion, afin que désormais vous perdiez tout ascendant auprès de ces derniers et auprès de tous ceux que vous tenteriez de ramener à votre communion. D'ailleurs, puisqu'il a cité les paroles de votre lettre, ne doit-on pas se demander s'il n'a pas alors répondu à votre question? - Livrons-nous donc à cet examen, et voyons ce qu'il a pu écrire sur le passage discuté. Je passe sous silence le prélude dans lequel je voulais préparer l'esprit, du lecteur, sans citer les paroles plutôt injurieuses que sensées écrites tout d'abord par Pétilien; voici comme je m'exprimais: «Il soutient que c'est d'après la conscience de celui qui baptise que l'on peut juger si la conscience du sujet a été purifiée. Qu'arriverait-il donc si la conscience du ministre restait cachée, et que par hasard elle fût souillée? Comment alors le ministre pourrait-il purifier la conscience du sujet, si, comme l'affirme Pétilien, c'est d'après la conscience du ministre que l'on doit.juger de la purification du sujet? S'il disait que le sujet n'a pas à répondre des fautes secrètes du ministre, cette ignorance suffirait pour que la conscience du sujet ne fût pas souillée par les crimes du ministre. Pour le moment donc, qu'il nous suffise de savoir que le sujet ne saurait être souillé par les crimes du ministre, lorsque ces crimes lui sont entièrement inconnus; mais enfin, cette conscience coupable peut-elle purifier? Par qui donc le néophyte sera-t-il purifié lorsque, pour le baptême, il s'adresse sans le savoir à un ministre secrètement pécheur? Je suis d'autant plus indécis sur ce point, que Pétilien n'a pas craint de dire: «Celui qui demande la foi à un homme perfide, ce n'est point la foi qu'il reçoit, mais une véritable culpabilité (1)».



CHAPITRE XX. PÉTILIEN RESTE SANS RÉPONDRE.


23. Pétilien a cité toutes ces paroles de ma lettre en promettant de les réfuter; voyons s'il l'a fait, voyons -s'il a répondu. Tout d'abord je, m'empresse d'ajouter les deux mots qu'il m'accuse d'avoir retranchés: cette répétition, du reste, ne peut qu'abréger la discussion et la rendre de beaucoup plus facile. «Si c'est la conscience de celui qui administre saintement qui purifie la conscience du sujet»; et: «Si celui qui demande sciemment la foi à un ministre perfide en reçoit, non point la foi, mais une véritable culpabilité», qu'on nous dise ce qui purifie la conscience du sujet, lorsque ce dernier ignore les souillures de la conscience du


1. Ci-dessus, livre 1,ch. 1,n. 2,3.

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ministre, ou que, sans le savoir, il demande la foi à un perfide? Je le demande de nouveau, d'où peut donc lui venir sa purification? Que Pétilien nous donne une réponse catégorique, sans s'écarter d'un côté ou de l'autre, et sans prétendre illusionner les simples. Après ces longs détours et ces nombreuses équivoques, au sein desquels il voulait nous égarer, qu'il nous dise enfin ce qui purifie la conscience du sujet, lorsque les souillures des ministres sont absolument secrètes, si «c'est par la conscience de celui qui administre saintement, que le sujet reçoit la purification, et si celui qui demande la foi à un ministre perfide reçoit de lui non point la foi, mais une véritable culpabilité». En effet, malgré son ignorance, c'est bien à un homme perfide qu'il s'adresse, à un ministre qui, loin d'être saint, a la conscience souillée de crimes secrets; d'où peut-il donc tirer sa purification? d'où peut-il recevoir la foi? S'il n'y a ni purification ni réception de la foi, lorsque le ministre est un pécheur occulte; pourquoi ne pas réitérer le baptême pour conférer la purification et la foi, dès que la conviction se trouve établie sur la culpabilité du ministre primitif? Mais si, malgré la perfidie et la culpabilité de ce ministre, il y a purification et réception de la foi, de qui donc peut venir cette purification, de qui cette foi, lorsque d'ailleurs le ministre ne peut présenter cette sainteté de conscience, seule capable, selon lui, de produire la purification du sujet? Qu'il nous dise d'où viennent au sujet la purification et la foi, «si c'est la conscience du «saint ministre qui purifie la conscience du sujet»; or, cela peut-il avoir lieu lorsque le ministre est souillé et perfide? Toutes ces questions sont restées absolument sans réponse.



CHAPITRE XXI. PÉTILIEN SE JETTE DANS LES DIGRESSIONS LES PLUS ÉTRANGES.


24. Etreint de tous côtés par les difficultés de la cause qu'il défend, il tente contre moi un nébuleux et inutile effort, afin de couvrir de nuages le ciel pur de la vérité. En proie à la disette la plus profonde, il devient tout à coup riche, non pas en ce sens qu'il dise la vérité, mais parce que les outrages abondent sous sa plume sans qu'il ait besoin de les acheter. Mais ayez toujours devant les veux la question à laquelle il doit répondre en nous disant par qui la conscience du sujet peut être purifiée, lorsque celle du ministre est souillée secrètement; prenez garde que la tempête qu'il soulève m'arrache de vos mains cette question; prenez garde de vous laisser emporter vous-mêmes par la violence et l'obscurité de l'orage provoqué par ses paroles, de telle sorte que vous en arriviez à ignorer entièrement toute issue pour sortir ou toute porte pour rentrer. Contemplez cet homme errant à l'aventure, parce qu'il ne peut se fixer au sujet qu'il avait entrepris de traiter. Entendez quel flux de paroles, au moment même où il n'a rien à dire. Il m'accuse «de tomber dans le piège et d'y rester; il me reproche de ne vouloir ni détruire, ni confirmer les objections qu'il oppose; de prendre l'incertain pour le certain, de ne pas permettre aux lecteurs de croire ce qui est vrai, et d'être cause que les mystères les plus profonds se trouvent de plus en plus ébranlés par des doutes et des soupçons de toute sorte». Il m'accuse «d'avoir le génie damnable de l'académicien Carnéade». Il essaie même de nous rappeler les diverses opinions des Académiciens sur la fausseté des jugements du sens humain; et, sur ce point encore, il ignore absolument ce dont il parle, Il affirme que ces philosophes «assurent que la neige est noire quand elle est blanche; que l'argent est noir, qu'une tour paraît ronde ou cylindrique tandis qu'elle est carrée, qu'une rame est brisée dans l'eau tan«dis qu'elle est parfaitement droite». Et ce qui provoque de sa part toutes ces excentricités, c'est parce qu'il a dit: «C'est d'après la conscience de celui qui administre sainte«ment que l'on peut juger de la purification du sujet»; tandis que moi, je lui pose cette question: «Qu'adviendra-t-il, si la conscience du ministre se trouve souillée et entourée du secret le plus absolu?» Telle est cette neige noire, cet argent noir, cette tour carrée paraissant ronde, cette rame droite et paraissant brisée dans l'eau! En effet, n'ai-je pas dit une chose que l'on pourrait croire, et qui cependant pourrait ne pas être; c'est que la conscience d'un ministre soit souillée et inconnue du sujet?


25. Et lui de s'écrier aussitôt: «Des si, des peut-être, qu'est-ce que cela? sinon cette hésitation incertaine et inconstante de tout (290) homme qui doute et dont votre poète a dit: Et si je reviens maintenant à ceux qui disent: Quoi donc, si le ciel tombait (1)?» Ainsi donc, en disant: «Qu'arriverait-il, si la conscience du ministre n'était pas connue et qu'elle fût souillée?» c'est absolument comme si j'avais dit: «Qu'arriverait-il, si le ciel tombait?» Ne peut-il pas arriver que cette conscience soit inconnue, ou qu'elle soit dévoilée; quand le sujet du sacrement ignore les pensées ou les désirs d e cette conscience, n'est-elle pas absolument inconnue? mais quand son péché est connu, la conscience elle-même n'est-elle point dévoilée? Je me suis servi de ces expressions: «Et si peut-être elle était souillée», car il peut arriver qu'une conscience soit en même temps inconnue et pure, comme aussi il peut se faire qu'elle soit inconnue et souillée. De là ces expressions: «Qu'arriverait-il si, peut-être?» Est-ce que cela revient à dire: «Qu'arriverait-il, si le ciel tombait?» Combien de fois des ministres n'ont-ils pas été contraints d'avouer que leur conscience était criminellement souillée, au moment même où ils conféraient le baptême à des néophytes de bonne foi? Plus tard, leurs crimes se dévoilèrent, ces indignes ministres furent dégradés, et cependant le ciel ne tomba pas! Que viennent faire ici Pilus et Furius, qui prirent parti pour l'injustice contre la justice? Que fait ici l'athée Diagoras, qui nia l'existence de Dieu et accomplit ainsi dans sa personne cette parole du Prophète: «L'insensé a dit dans son coeur: «Il n'y a point de Dieu (2)» Que font ici tous ces personnages? Si Pétilien les nomme, n'estce point pour qu'ils interviennent en faveur d'un malheureux qui n'a rien à dire? En parlant sans aucun motif de ces personnages, il voudrait nous faire croire qu'il discute la question principale et qu'il a répondu, quand absolument il n'a donné aucune réponse.



CHAPITRE XXII. CHICANES DE MOTS SOULEVÉES PAR PÉTILIEN.


26. Enfin, si ces quelques paroles: «Qu'arriverait-il si, peut-être», sont tellement intolérables, que, pour elles, il fallût réveiller de leur sommeil les Académiciens, et Carnéade, et Pilus, et Furius, et Diagoras; qu'il fallût invoquer la neige noire, la chute. du ciel et beaucoup d'autres absurdités


1. Térence, Heaut, act. 4, scène 3,v. 41. - 2. Ps 12,1

semblables; il est bien plus simple et plus facile de les effacer entièrement. Ne croyez pas, en effet, que ces paroles nous soient absolument indispensables pour formuler notre pensée. Il suffit pour cela de cette petite phrase relevée dans ma lettre par Pétilien lui-même «Par qui le néophyte peut-il être purifié, lorsque, sans le savoir, il demande le baptême à un ministre dont la conscience est souillée (1)?» Il n'y a là ni si, ni peut-être. Qui peut donc l'empêcher de répondre? Voyons si, dans les paroles suivantes, nous pourrions trouver cette réponse: «Malgré vos hésitations», dit-il, «je vous mets dans l'absolue nécessité de croire et dans l'impossibilité de vous échapper. Pourquoi recourir à de sots arguments pour jeter votre vie dans l'erreur? Pourquoi troubler la raison de la foi en lui opposant des choses déraisonnables? Ce seul mot me suffit pour vous enchaîner et vous convaincre». Ces paroles ne sont pas de moi, mais de Pétilien; elles sont empruntées à sa lettre, à celle-là même à laquelle il m'accuse d'avoir retranché deux mots; j'ai replacé immédiatement ces deux mots, et ma proposition n'en est devenue que plus claire et plus facile, sauf à rester sans réponse. Voici ces deux mots: Saintement et sciemment; il s'agit donc de la conscience de celui qui administre saintement, et de celui non pas qui demande, mais qui demande sciemment la foi à un perfide. Assurément je n'avais pas retranché ces deux mots, car l'exemplaire que j'avais reçu ne les portait pas. Il est possible que cet exemplaire ait été altéré, mais, surtout, je ne serais pas étonné qu'à l'occasion de ce mot: exemplaire altéré, il soulevât contre moi les susceptibilités de l'Académie et prétendît qu'exemplaire altéré et neige noire sont à peu près des expressions synonymes. Ne pourrais-je pas lui répliquer à mon tour que ce n'est que par la suite qu'il a introduit ces deux mots dans son texte, afin de laisser croire que je les avais retranchés? Est-ce que, sans aucune intervention criminelle de ma part, ce manuscrit ne pouvait pas subir une aussi légère altération?



CHAPITRE XXIII. NOUS NE DEMANDONS A PÉTILIEN QU'UNE SEULE RÉPONSE.


27. Et d'abord, lors même qu'il s'agirait


1. Ci-dessus, livre 1,chap. 2,n. 3.

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d'un ministre qui confère saintement le baptême, j'aurais encore le droit de poser cette question qui le jette dans une cruelle perplexité; je pourrais lui dire: Si «c'est d'après la conscience de celui qui donne, ou de celui qui donne saintement, que l'on peut juger de la purification conférée au sujet», par qui donc le néophyte sera-t-il purifié, lorsque, sans le savoir, il s'adresse pour le baptême à un ministre pécheur? Quant à cette expression: «sciemment», qu'il veut ajouter au second texte, de manière que ces paroles: «Celui qui a demandé la foi à un ministre perfide», soient l'équivalent de celles-ci: «Celui qui sciemment a demandé la foi à un ministre perfide, ce n'est point la foi qu'il reçoit, mais une véritable culpabilité»; j'avoue que si je n'avais pas cru à l'absence de cette expression dans le texte, je me serais abstenu de certaines observations, qui, par le fait de cette parole, deviennent inutiles et auxquelles je renonce volontiers, car au lieu de m'aider elles entravaient plutôt le cours de l'évidence de mes raisonnements. Maintenant, libre de toute entrave, je pose cette simple et courte question: «Si c'est d'après la conscience de celui qui donne saintement que l'on peut juger de la purification conférée au sujet», et «si l'on reçoit non point la foi, mais une véritable culpabilité lorsque l'on demande là foi à un ministre perfide», par qui donc peut être purifié celui qui s'adresse à un ministre dont les souillures de la conscience lui sont inconnues; et de qui reçoit la véritable foi celui qui sans le savoir est baptisé par un ministre perfide? Qu'il nous le dise, et la réponse à cette question éclaircira toutes les difficultés qu'il soulève à l'occasion du baptême; qu'il nous le dise enfin, au lieu de consumer son temps à inventer contre nous toute sorte de calomnies.



CHAPITRE XXIV. PÉTILIEN ME JUSTIFIE EN CROYANT ME CONDAMNER.


28. Soit donc qu'il me calomnie en m'accusant d'avoir retranché ces deux mots, soit qu'il triomphe de leur addition dans son texte, vous comprenez qu'il me reste toujours le droit évident de lui poser ma question. Ne sachant pas comment y répondre, et ne pouvant se renfermer dans son silence, il se jette avec acharnement contre ma propre personne; supposé donc qu'il eût véritablement embrassé là cause qui nous occupe, je dirais encore qu'en parlant de ma personne il néglige son sujet. Comme s'il s'agissait de moi, et non pas de la vérité de l'Eglise ou du baptême, il soutient «que j'ai établi mon argumentation sur la disparition de ces deux mots, comme si le seul moyen de tranquilliser ma conscience était l'ignorance même où j'étais des crimes de celui qui m'a souillé en me baptisant». S'il en était ainsi, l'addition du mot «sciemment» me procurerait un avantage que je ne trouvais pas dans sa disparition. En effet, si pour me défendre il me suffisait d'alléguer que la conscience du ministre de mon baptême m'était inconnue, je regarderais Pétilien comme mon meilleur avocat, car il ne dit pas: «Celui qui demandé la foi à un ministre perfide», mais: «Celui qui sciemment demande la foi à un ministre perfide, ce n'est pas la foi qu'il reçoit, mais une véritable culpabilité». Il suivrait de là que j'ai dû recevoir non point la culpabilité, mais la foi, puisque je dirais: En demandant la foi à un ministre perfide je ne l'ai pas fait sciemment, car j'ignorais entièrement que sa conscience fût souillée. Voyez donc et comptez, si vous le pouvez, toutes les superfluités qu'il entasse autour de ce seul mot: «Je ne savais pas», mot qu'il voudrait me prêter, quand il est certain que je ne l'ai pas prononcé. Et pourquoi donc l'aurais-je dit, ce mot, puisqu'il ne s'agissait nullement de ma personne; et puisque rien n'indiquait extérieurement que celui qui m'a baptisé fût coupable, et par conséquent, je n'avais nul besoin, pour ma défense, de soutenir que sa conscience m'était absolument inconnue?



CHAPITRE XXV. CALOMNIES DONT PÉTILIEN SE FAIT L'INVENTEUR OU L'INTERPRÈTE.


29. Toutefois, pour se dispenser de répondre à ce que j'ai dit, Pétilien me prête des paroles que je n'ai pas prononcées; il se livre à des digressions de tout genre pour amuser ses lecteurs et leur faire oublier la question à laquelle ils pourraient le sommer de répondre. Sans cesse, il m'apostrophe en ces termes: «J'ai ignoré, dites-vous»; il ne manque pas de répondre aussitôt: «Mais si vous ignoriez»; (292) et en même temps il veut me prouver que je n'avais pas le droit de dire: «J'ignorais». Il cite Mensurius, Cécilianus, Macarius, Taurinus, Romanus, prétendant qu'ils ont commis contre l'Eglise des crimes que je ne puis ignorer, puisque je suis Africain et que je touche à la vieillesse. Or, j'apprends que Mensurius est mort dans l'unité catholique avant la formation de la secte des Donatistes. Quant à Cécilianus, traduit par eux au tribunal de Constantin, et jugé par des évêques délégués à cet effet par le même empereur, j'ai lu ce procès et j'ai trouvé qu'après une première et une seconde instance, Cécilianus a toujours entendu proclamer son innocence. Quant à Macarius, Taurinus et Romanus, tous les moyens judiciaires ou exécutifs employés par eux en faveur de l'unité et contre la fureur des Donatistes, ont toujours été parfaitement conformes à la teneur des lois, tandis que ces mêmes lois se sont retournées contre les Donatistes dans toutes les instances provoquées par eux au tribunal de l'empereur contre Cécilianus.


30. Parmi les futilités qu'il émet relativement à la cause qui nous occupe, nous trouvons celle-ci, d'après laquelle «j'aurais été frappé par sentence du proconsul Messianus et obligé de m'exiler de l'Afrique». Cette calomnie qu'il a inventée lui-même ou qu'il a criminellement acceptée des lèvres de quelque autre inventeur malveillant, lui a fourni matière à une multitude d'autres mensonges qu'il a eu la témérité de débiter et d'écrire. Au contraire, je fus présenté à Milan au consul Bauton; et, en ma qualité de professeur d'éloquence, je lus en face d'une immense assemblée un discours que j'avais composé à la louange de ce consul, à l'occasion des calendes de.janvier. Après la mort du tyran Maxime, je terminai mon voyage et revins en Afrique. Or, ce n'est qu'après le consulat de Bauton, que le proconsul Messianus prêta l'oreille aux plaintes des Manichéens, comme le prouve la date même des Actes, mentionnée par Pétilien lui-même. S'il était besoin de dissiper les doutes ou l'opposition que ces faits peuvent laisser dans certains esprits, je pourrais invoquer le témoignage des hommes les plus distingués, contemporains de cette époque de ma vie.




Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE 11. HONTEUSE PARTIALITÉ DES DONATISTES DANS LES DISCUSSIONS.