Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE LVIII. UN DILEMME ÉCRASANT.

CHAPITRE LVIII. UN DILEMME ÉCRASANT.


70. Pétilien avait cru pouvoir nous opposer ces paroles du Sauveur: «Ils viendront à vous sous l'extérieur de brebis, quand intérieurement ils ne sont que des loups ravisseurs; vous les reconnaîtrez à leurs fruits». Je répondais: «Considérons ces fruits», et j'ajoutais: «Vous nous opposez le crime des traditeurs; mais bien plutôt, c'est à nous de vous l'opposer à vous-mêmes. Sans m'arrêter à de nombreux détails, il me suffira de vous rappeler que, dans la ville même de Constantine et dès le début de votre schisme, vos ancêtres n'ont pas rougi de donner à Sylvain la consécration épiscopale. Or, les actes municipaux nous attestent que, n'étant encore que sous-diacre, Sylvain livra les manuscrits sacrés. En supposant donc que vous ayez quelques documents sérieux à nous fournir contre nos prédécesseurs, il y aura égalité parfaite de part et d'autre, et nous en conclurons, ou bien que tout est vrai, ou bien que tout est faux. Si tout est vrai des deux côtés, il est hors de doute que vous êtes coupables de schisme, puisque vous vous êtes séparés de la communion universelle, sous prétexte de protester contre des crimes dont votre secte elle-même s'est rendue coupable. Si tout est faux des deux côtés, il est également certain que vous êtes coupables de schisme, puisque, sous la fausse inculpation du crime de tradition, vous vous êtes souillés de l'horrible crime de séparation. Enfin, si nous avons des preuves et que vous n'en ayez aucune, ou si les nôtres, sont véridiques et les vôtres fausses, il n'y a plus à discuter, et le seul parti que vous ayez à prendre, c'est de vous renfermer dans un honteux silence.

Et si la sainte et véritable Eglise de Jésus-Christ venait à vous convaincre d'erreur, indépendamment de tous documents relatifs au crime de tradition, le seul parti possible pour vous ne serait-il pas d'aimer la paix, si toutefois vous en aviez la volonté; et si cette volonté vous manque, de vous condamner de nouveau au plus profond silence? Quelques preuves que vous puissiez apporter, je vous dirais toujours en tolite liberté et en toute vérité: Faites-les valoir aux yeux de l'Eglise catholique répandue sur toute la terre, car c'est là le seul moyen de montrer que vous appartenez à l'unité, et d'obtenir l'expulsion de ceux qui seront reconnus réellement coupables. Supposé que vous ayez tenté cet effort suprême, je suis parfaitement convaincu qu'il est resté sans résultat. C'est alors qu'ajoutant le crime à la honte de votre défaite, vous vous êtes sacrilègement séparés de ces innocents, qui ne pouvaient condamner des coupables sans être assurés de leur culpabilité. Et si vous n'avez pas même tenté cet effort, jugez alors par quel aveuglement horrible vous vous êtes séparés de ces froments de Jésus-Christ, doués sur toute la terre d'une miraculeuse fécondité, et sur lesquels vous avez obstinément fermé les yeux, pour les ouvrir uniquement sur le scandale que vous causaient quelques rares zizanies perdues sur le sol de l'Afrique (1)». A ce raisonnement que j'emprunte à ma première lettre, Pétilien ne fit absolument aucune réponse. Pourtant, vous voyez vous-mêmes que ces quelques lignes renferment toute la cause débattue entre nous. Et qu'est-ce donc qu'il aurait pu dire, puisqu'il était vaincu d'avance, quelque parti qu'il eût pris?


71. En effet, admettons un instant que nous produisons des documents contre vos traditeurs, et que vous-mêmes vous en produisez contre les nôtres. Quant à ce dernier point, je ne sais s'il est possible, car jusqu'aujourd'hui


1. Liv. 1,ch. 21,XXI1,n. 23, 24.

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nous ignorons que vous ayez produit un seul de ces documents; d'ailleurs, Pétilien n'aurait pas manqué de les mentionner dans ses lettres, lui qui s'est empressé de rappeler et de citer contre moi toutes les parties de ces actes qui ont quelque rapport au sujet que nous traitons. Quoi qu'il en soit, admettons que vous et moi nous produisons des documents ignorés jusqu'à ce jour. Ou bien, des deux côtés, ces documents sont vrais, ou bien ils sont faux, ou bien les nôtres sont vrais et les vôtres sont faux, ou les nôtres sont faux et les vôtres sont faux; je crois que ce sont là toutes les hypothèses possibles.



CHAPITRE LIX. CONCLUSION.

Quelle que soit celle de ces quatre suppositions que l'on embrasse, la vérité reste du côté de l'Eglise catholique. En effet, supposé que tous ces documents soient vrais, il est certain qu'à l'occasion de certains traditeurs, tels qu'il s'en trouvait jusque dans vos rangs, vous ne deviez pas quitter la communion de l'Eglise universelle. Si tous ces documents sont faux, pouviez-vous, sans aucun crime de tradition, vous souiller de l'horrible crime du schisme? Si nos documents sont vrais et les vôtres faux, vous n'avez plus rien à répondre. Si les vôtres sont vrais et les nôtres faux, nous avons pu nous tromper avec l'univers sur l'iniquité de certains hommes, mais non pas sur la vérité de la foi. La race d'Abraham dispersée dans toutes les nations, n'a pas dû s'arrêter à de simples allégations de votre part; elle avait le droit d'exiger des preuves juridiques. Comment pouvons-nous savoir ce qu'ont fait ces hommes que vos ancêtres ont poursuivis de leurs accusations, dussent ces accusations être bien fondées, puisque ces accusations ont toujours été regardées comme calomnieuses, soit par les juges eux-mêmes, soit surtout par l'Eglise universelle, qui ne devait s'en rapporter qu'à la sentence des juges? Sans doute les crimes que les hommes comme tels ne peuvent connaître, n'en sont pas moins des crimes devant Dieu; cependant je n'admettrai jamais que l'on puisse condamner comme coupable un homme contre lequel on ne peut asseoir une conviction de culpabilité.

En quoi donc l'univers est-il coupable, s'il n'a pu connaître le crime de quelques africains, ce crime fût-il réel? Or, il n'a pu connaître ce crime, soit parce que personne ne le lui a démontré; soit surtout parce qu'en cas de délation, c'est à la prudence des juges qu'il devait s'en rapporter et lion point aux murmures d'adversaires furieux de leur défaite. Il faut donc savoir gré à Pétilien d'avoir su garder le silence sur une matière où nécessairement il se voyait vaincu. Je n'en dirai pas autant de beaucoup d'autres matières qui étaient pour lui également compromettantes, et sur lesquelles cependant il s'est plu à amonceler des nuages, à entasser des obscurités. Je ne le louerai pas surtout de m'avoir mis en cause, quand lui-même était hors de cause. Ce qu'il a dit de moi était ou absolument faux, ou n'était digne d'aucun reproche de sa part, ou ne s'appliquait nullement à ma personne.

Quoi qu'il en soit, je n'oublie pas que je vous ai établis juges entre Pétilien et moi; je vous demande donc si vous savez discerner entre le vrai et le faux, entre l'enflure et la réalité, entre le trouble et la tranquillité, entre la maladie et la santé, entre les oracles divins et les prétentions humaines, entre les preuves et les calomnies, entre des documents et des suppositions, entre l'étude d'une cause et le rejet de cette cause? Si vous avez ce discernement, c'est bien; si vous ne l'avez pas, je le regrette, et pourtant je ne me repentirai jamais d'avoir pris en main vos propres intérêts, car si votre coeur ne veut point de la paix que nous vous offrons, cette paix nous reviendra.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Augustin, contre les lettres de Pétilien. - CHAPITRE LVIII. UN DILEMME ÉCRASANT.