Pie XII 1958 - X. L'INTÉRÊT DE LA SCIENCE ET L'IMPORTANCE DE LA PSYCHOLOGIE

2. LE CONSENTEMENT DU SUJET

Le deuxième principe en discussion est celui des droits de la personne, qui se prête aux expériences ou au traitement psychologiques. En soi, le contenu du psychisme appartient exclusivement à la personne (ici, au sujet des expériences et du traitement) et reste connu d'elle seule. Celle-ci pourtant en manifeste déjà quelque chose par le simple fait de son comportement. Lorsque le psychologue s'occupe de ce qui est ainsi révélé, il ne viole point le psychisme intime du sujet. Il peut aussi agir en toute liberté, lorsque l'individu en exprime consciemment une partie et signifie dans ce cas qu'il n'attache aucune importance au secret. Mais il est une large part de son monde intérieur, que la personne ne découvre qu'à peu de confidents et défend contre l'intrusion d'autrui. Certaines choses seront même gardées secrètes à tout prix et à l'égard de n'importe qui. Il y en a d'autres enfin qu'elle ne saurait considérer. La psychologie montre en outre qu'il existe une région du psychisme intime — en particulier des tendances et des dispositions — si cachée que l'individu n'arrivera jamais à la connaître ni même à la soupçonner. Et de même qu'il est illicite de s'approprier les biens d'autrui ou d'attenter à son intégrité corporelle sans son consentement, il n'est pas permis d'entrer, contre sa volonté, dans son domaine intérieur, quelles que soient les techniques et les méthodes employées.

Mais on peut en outre se demander, si le consentement de l'intéressé suffit à ouvrir sans réserve au psychologue l'accès de son psychisme.

Si ce consentement est extorqué injustement, toute action du psychologue sera illicite ; s'il est vicié par un manque de liberté (dû à l'ignorance, à l'erreur ou à la tromperie), toute tentative de pénétrer dans les profondeurs de l'âme sera immorale.

Par contre, s'il est donné librement, le psychologue peut dans la plupart des cas, mais pas toujours, agir selon les principes de sa science sans contrevenir aux normes morales. Il faut voir, si l'intéressé n'a point dépassé les limites de sa compétence et sa capacité à donner un consentement valable. L'homme, en effet, ne dispose pas d'un pouvoir illimité sur lui-même. Souvent dans vos travaux, on allègue (sans toutefois en citer la formule) le principe juridique : volenti non fit iniuria : « si la personne consent, on ne lui cause aucune injustice ». Remarquons d'abord que l'intervention du psychologue pourrait très bien léser les droits d'un tiers, par exemple, en révélant des secrets (d'Etat, d'office, de famille, de confession), ou simplement le droit d'individus ou de communautés à leur réputation. Il ne suffit pas que le psychologue lui-même ou ses assistants soient tenus au secret, ni qu'on puisse parfois, pour des raisons graves, confier un secret à une personne prudente. Car, comme Nous l'avons déjà signalé dans Notre allocution du 13 avril 1953 sur la psychothérapie et la psychologie, certains secrets ne peuvent absolument pas être dévoilés, même à une seule personne prudente.

Quant au principe volenti non fit iniuria, il ne lève devant le psychologue qu'un seul obstacle, à savoir le droit de la personne à protéger son monde intérieur. Mais d'autres obstacles peuvent subsister en vertu d'obligations morales, que le sujet ne peut supprimer à son gré, par exemple, la religiosité, l'estime de soi, la pudeur, la décence. En ce cas, bien qu'il ne viole aucun droit, le psychologue manque à la morale. Il importe donc d'examiner pour chaque cas particulier, si l'un de ces motifs d'ordre moral ne viendrait pas s'opposer à son intervention et d'en apprécier exactement la portée.


3. L'ALTRUISME HÉROÏQUE

Que faut-il penser du motif de l'altruisme héroïque, allégué pour justifier l'application inconditionnée des techniques d'exploration et de traitement psychologiques ?

La valeur morale de l'action humaine dépend, en premier lieu, de son objet. Si celui-ci est immoral, l'action l'est aussi ; il ne sert à rien d'invoquer le motif qui l'inspire ou le but qu'elle poursuit. Si l'objet est indifférent ou bon, on peut alors s'interroger sur les motifs ou la fin, qui confèrent à l'action de nouvelles valeurs morales. Mais un motif, aussi noble soit-il, ne suffit jamais à rendre bonne une action mauvaise. Ainsi une intervention quelconque du psychologue doit être examinée d'abord dans son objet à la lumière des indications données. Si cet objet n'est pas conforme au droit ou à la morale, le motif d'un altruisme héroïque ne le rend pas acceptable ; si l'objet est licite, l'action pourra recevoir en outre du motif invoqué une valeur morale plus haute. Les personnes qui, mues par ce motif, s'offrent aux expériences les plus pénibles pour aider les autres et leur être utiles, sont dignes d'admiration et d'imitation. Mais il faut se garder de confondre le motif ou le but de l'action avec son objet et de transférer à celui-ci une valeur morale, qui ne lui revient pas.


L'INTÉRÊT GÉNÉRAL ET L'INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS


L'intérêt général et l'intervention des pouvoirs publics peuvent-ils autoriser le psychologue à employer n'importe quelle méthode ?

Que l'autorité publique puisse, à l'égard des particuliers, mettre à profit, pour de justes motifs, les acquisitions et les méthodes éprouvées de la psychologie, personne ne le contestera. Mais la question porte ici sur le choix de certaines techniques et méthodes. C'est le trait caractéristique des Etats totalitaires, qu'ils ne regardent point aux moyens, mais utilisent sans distinction tout ce qui sert à la fin poursuivie, sans égard pour les exigences de la loi morale. Nous avons déjà énoncé, dans Notre discours du 3 octobre 1933 au VIe Congrès international de Droit pénal, les aberrations, dont le vingtième siècle donne encore de tristes exemples, en acceptant la torture et les moyens violents dans la procédure judiciaire.

Le fait que des procédés immoraux soient imposés par l'autorité publique, ne les rend nullement licites. Aussi, quand les pouvoirs publics créent des offices d'expérience ou de consultation, les principes que Nous avons exposés s'appliquent à toutes les mesures d'ordre psychologique, qu'ils sont appelés à prendre.

Pour les recherches libres et les initiatives de ces offices, on appliquera les principes, qui valent pour la recherche libre et les initiatives des particuliers et, en général, pour l'utilisation de la psychologie théorique et appliquée.

En ce qui concerne la compétence de l'autorité publique à imposer des examens psychologiques, on appliquera les principes généraux des limites de la compétence de l'autorité publique. Nous avons exposé dans Nos allocutions du 13 septembre 1952, sur les limites morales de la recherche et du traitement médical5, et du 30 septembre 1954 à la « Sodalitas medicorum universalis » 6, les principes qui règlent les relations du médecin aux personnes qu'il traite, et avec les pouvoirs publics, en particulier la possibilité pour les pouvoirs publics de concéder à certains médecins et psychologues des droits, qui dépassent ceux qu'un médecin possède d'habitude à l'égard de son client.

5. Cf. Documents Pontificaux 1952, pp. 460 et suiv.
6. Cf. Documents Pontificaux 1954, pp. 388 et suiv.

Les dispositions de l'autorité publique enjoignant de soumettre les enfants et les jeunes gens à certains examens — à supposer que l'objet de ces examens soit licite — doivent tenir compte, pour être conformes à la morale, des éducateurs, qui ont sur eux une autorité plus immédiate que celle de l'Etat, c'est-à-dire, la famille et l'Eglise. Ni l'une ni l'autre d'ailleurs ne s'opposeront à des mesures prises dans l'intérêt des enfants ; mais elles ne permettront pas que l'Etat agisse en ce domaine sans tenir compte de leur droit propre, comme Notre prédécesseur Pie XI l'affirmait dans l'encyclique Divini illius Magistri du 31 décembre 1929, et comme Nous-même en diverses occasions l'avons souligné.




III

LES PRINCIPES MORAUX FONDAMENTAUX CONCERNANT LA PERSONNALITÉ HUMAINE EN PSYCHOLOGIE

Les réponses, que Nous vous avons données jusqu'à présent, appellent encore comme complément l'énoncé des principes de base, dont elles sont déduites, et grâce auxquels vous pourrez, dans chaque cas particulier, vous former un jugement personnel pleinement justifié. Nous ne parlerons que des principes d'ordre moral, qui intéressent tant la personnalité de celui qui pratique la psychologie, que celle du patient, dans la mesure où celui-ci intervient par une démarche libre et responsable.

Certaines actions sont contraires à la morale, parce qu'elles violent seulement les normes d'une loi positive ; d'autres portent en elles-mêmes leur caractère d'immoralité ; parmi celles-ci — les seules dont Nous Nous occuperons — d'aucunes ne seront jamais morales ; d'autres deviendront immorales en fonction de circonstances déterminées. Ainsi, par exemple, il est immoral de pénétrer dans la conscience de quelqu'un ; mais cet acte devient moral, si l'intéressé y apporte son consentement valable. Il peut se faire aussi que certaines actions exposent au danger de violer la loi morale : ainsi, par exemple, l'emploi de tests risque en certains cas d'exciter des impressions immorales, mais il devient moral, quand des motifs proportionnés justifient le danger couru. On peut donc distinguer trois espèces d'actions immorales, qu'il est possible de juger telles par référence à trois principes de base, selon qu'elles sont immorales, soit en elles-mêmes, soit par défaut de droit chez celui qui les pose, soit à cause des dangers qu'elles provoquent sans motif suffisant.

Les actions immorales en elles-mêmes sont celles, dont les éléments constitutifs sont inconciliables avec l'ordre moral, c'est-à-dire avec la saine raison. L'action consciente et libre est alors contraire, soit aux principes essentiels de la nature humaine, soit aux relations essentielles qu'elle a avec le Créateur et avec les autres hommes, soit aux règles présidant à l'usage des choses matérielles, en ce sens que l'homme ne peut jamais s'en faire l'esclave, mais doit en rester le maître. Il est donc contraire à l'ordre moral que l'homme, librement et consciemment, soumette ses facultés rationnelles aux instincts inférieurs. Lorsque l'application des tests ou de la psychanalyse ou de toute autre méthode en arrive là, elle devient immorale et doit être refusée sans discussion. Naturellement il appartient à votre conscience de déterminer, dans les cas particuliers, quels comportements sont ainsi à rejeter.

Les actions immorales par défaut de droit chez celui qui les pose ne contiennent en elles-mêmes aucun élément essentiel qui soit immoral, mais, pour être posées licitement, elles supposent un droit soit explicite soit implicite, comme ce sera le cas la plupart du temps pour le médecin et le psychologue. Comme un droit ne peut pas être présupposé, il faut d'abord l'établir par une preuve positive à charge de qui se l'arrogé et basée sur un titre juridique. Aussi longtemps que le droit n'est pas acquis, l'action est immorale. Mais si, à un moment donné, une action apparaît telle, il ne s'ensuit pas encore qu'elle le restera toujours, car il peut arriver qu'on acquière ultérieurement le droit qui faisait défaut. Toutefois on ne peut jamais présumer le droit en question. Comme Nous l'avons dit plus haut, il vous appartient, ici encore, de décider dans les cas concrets, dont on trouve maints exemples dans les ouvrages de votre spécialité, si telle ou telle action tombe sous l'application de ce principe.

En troisième lieu, certaines actions sont immorales à cause du danger, auquel elles exposent sans motif proportionné. Nous parlons évidemment de danger moral, pour l'individu ou la communauté, soit à l'égard des biens personnels, du corps, de la vie, de la réputation, des moeurs, soit à l'égard de biens matériels. Il est évidemment impossible d'éviter absolument le danger et une telle exigence paralyserait toute entreprise et nuirait gravement aux intérêts de chacun ; aussi la morale permet-elle ce risque à condition qu'il soit justifié par un motif proportionné à l'importance des biens menacés et à la proximité du danger qui les menace. Vous relevez plusieurs fois dans vos travaux le danger que font courir certaines techniques, certains procédés utilisés en psychologie appliquée. Le principe, que Nous venons d'énoncer, vous aidera à résoudre pour chaque cas les difficultés qui se poseraient.

Les normes, que Nous avons formulées, sont avant tout d'ordre moral. Lorsque la psychologie discute théoriquement d'une méthode ou de l'efficacité d'une technique, elle ne considère que son aptitude à procurer la fin propre qu'elle poursuit, et ne touche pas le plan moral. Dans l'application pratique, il importe de tenir compte, en outre, des valeurs spirituelles en cause tant chez le psychologue que chez son patient, et d'unir au point de vue scientifique ou médical celui de la personnalité humaine dans son ensemble. Ces normes fondamentales sont obligatoires, parce qu'elles résultent de la nature des choses et appartiennent à l'ordre essentiel de l'action humaine, dont le principe suprême et immédiatement évident est qu'il faut faire le bien et éviter le mal.

Au début de cette allocution, Nous avons défini la personnalité comme « l'unité psycho-somatique de l'homme, en tant que déterminée et gouvernée par l'âme », et Nous avons précisé le sens de cette définition. Puis Nous avons tenté d'apporter une réponse aux questions, que vous aviez posées, sur l'emploi de certaines méthodes psychologiques et sur les principes généraux, qui déterminent la responsabilité morale du psychologue. Chez celui-ci on attend non seulement une connaissance théorique de normes abstraites, mais un sens moral profond, réfléchi, longuement formé par une fidélité constante à sa conscience. Le psychologue vraiment désireux de ne chercher que le bien de son patient, se montrera d'autant plus soucieux de respecter les limites fixées à son action par la morale, qu'il tient, pour ainsi dire, en main les facultés psychiques d'un homme, sa capacité d'agir librement, de réaliser les valeurs les plus hautes que comporte sa destinée personnelle et sa vocation sociale.

Nous souhaitons de tout cceur que vos travaux pénètrent toujours davantage dans la complexité de la personnalité humaine, l'aident à remédier à ses défaillances et à répondre plus fidèlement aux desseins sublimes que Dieu, son Créateur et son Rédempteur, forme à son égard et lui propose comme idéal.

En appelant sur vous, sur vos collaborateurs et sur vos familles les plus abondantes faveurs célestes, Nous vous en donnons pour gage Notre Bénédiction apostolique.




PRIÈRE POUR LES PRISONNIERS

(10 avril 1958) 1


Voici la traduction française d'une prière composée en italien, par le Saint-Père, à l'intention des prisonniers :


O divin Prisonnier du sanctuaire, vous avez voulu par amour pour nous et pour notre salut, vous enfermer dans les étroites limites de la nature humaine et vous cacher sous les voiles des espèces sacramentelles, mais aussi vivre continuellement dans la cellule des tabernacles : écoutez la prière que, de l'intérieur de ces barreaux et de ces murs, nous faisons parvenir jusqu'à vous désirant ardemment vous exprimer toute notre affection, mais aussi notre douleur et le vif besoin que nous éprouvons de vous dans nos tribulations, et, surtout, dans la privation de la liberté qui nous afflige tant.

Peut-être une voix dit-elle à certains d'entre nous, au fond de la conscience, que nous ne sommes pas coupables, que c'est seulement une funeste erreur judiciaire qui nous a conduits dans cette prison ; notre réconfort sera alors de nous rappeler que vous aussi, la plus auguste des victimes, vous avez été condamné parfaitement innocent.

Ou peut-être devons-nous, au contraire, baisser les yeux, cacher la rougeur de notre visage et nous frapper la poitrine ; mais alors il nous reste un remède : nous jeter dans vos bras, avec la certitude que vous savez comprendre toutes les erreurs, pardonner tous les péchés et restituer généreusement votre grâce à celui qui revient repenti vers vous.

Enfin, il y a parfois dans la vie terrestre tant de rechutes dans la faute, que même les meilleurs parmi les hommes finissent par se méfier de nous, et nous ne savons pour ainsi dire pas nous-mêmes où commencer le nouveau chemin de la régénération ; mais, malgré tout, au fond de notre âme, se fait entendre le murmure d'une parole de confiance et d'encouragement, votre parole, qui nous promet, si nous voulons revenir au bien, l'aide de votre lumière et de votre grâce.

Faites, ô Seigneur, que nous n'oubliions jamais que le jour de l'épreuve est l'occasion la plus propice pour purifier les esprits, pratiquer les plus hautes vertus et acquérir les plus grands mérites ; faites que ne pénètrent pas dans nos coeurs douloureux le dégoût qui flétrit tout, la méfiance qui ne laisse pas place au sentiment de fraternité, la rancoeur qui prépare le chemin aux mauvais conseils. Que nous nous rappelions toujours qu'en nous enlevant la liberté du corps, personne n'a pu nous priver de celle de l'esprit ; celui-ci peut, dans les longues heures de notre solitude, s'élever jusqu'à vous pour mieux vous connaître et pour vous aimer chaque jour davantage.

Donnez, ô Rédempteur divin, l'aide et la résignation à nos êtres chers qui pleurent notre absence ; donnez la paix et la tranquillité à ce monde qui nous repousse, mais que nous aimons et auquel nous promettons pour l'avenir notre collaboration de bons citoyens ; et faites que nos douleurs soient pour de nombreuses âmes un exemple salutaire, les préservant ainsi de suivre les mêmes voies que nous. Mais, surtout, accordez-nous la grâce de croire fermement en vous, d'espérer finalement en vous et de toujours vous aimer vous qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vivez et régnez pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il !2.

2 Sa Sainteté le Pape Pie XII a daigné accorder une indulgence partielle de trois ans aux fidèles enfermés en prison qui réciteront cette prière avec piété et d'un coeur contrit.



DISCOURS AU CONGRÈS INTERNATIONAL D'ÉTUDES SUR LE MONACHISME ORIENTAL

(il avril 1.958) 1


Recevant en audience, le vendredi 11 avril, les membres du Congrès international d'études sur le Monachisme oriental, le Saint-Père prononça en français le discours suivant :


Nous sommes heureux de vous accueillir en ce joyeux temps de Pâques, chers fils, et de vous adresser Nos félicitations pour le bon succès du Congrès, qui vous a réunis en vue d'étudier ensemble divers aspects du Monachisme Oriental. Dans le programme qui Nous a été présenté, Nous remarquons d'abord une partie historique concernant le monachisme slave, byzantin, syrien, arménien, géorgien, copte, éthiopien ; puis une partie juridique illustrant le Motu proprio Postquam Apostolicis Litteris, que Nous avons publié en 1952 ; enfin, des vues synthétiques sur le rôle important du monachisme dans l'Eglise d'Orient et sur la spiritualité monacale et l'unité chrétienne. Ces quelques aperçus montrent suffisamment l'intérêt de vos travaux et l'ampleur des questions qui vous occupent.

Grâce à Dieu, les progrès des sciences historiques et des méthodes d'investigation facilitent grandement un salutaire retour aux sources, en ce domaine comme en beaucoup d'autres, et si les événements dramatiques, qui se sont succédé en Orient depuis les origines du monachisme, ont fait subir à celui-ci de terribles épreuves, et parfois des déviations regrettables, il faut se réjouir de tout ce qui peut apporter lumière et réconfort aux généreuses initiatives destinées à lui redonner splendeur et fécondité.



Les premiers moines.

« Dès le début du christianisme, disions-Nous dans le Motu proprio Postquam Apostolicis Litteris, les moines ont brillé dans le jardin de l'Eglise, comme des fleurs fraîchement écloses. Fidèles aux inspirations de la grâce, domptant les concupiscences qui font obstacle à la vie spirituelle, enflammés de l'amour de Dieu et des hommes, ils s'appliquaient à la conquête de la perfection évangélique. Anachorètes et cénobites, dans la prière et la contemplation, dans les mortifications corporelles et les autres exercices des vertus, ils gravissaient joyeusement la montagne de Dieu 2. »

On s'est plu à remarquer que l'efflorescence du monachisme correspond à l'expansion rapide du christianisme, qui suivit la fin des persécutions, et les documents de l'époque montrent en effet l'élan des âmes généreuses vers cette nouvelle forme de perfection, sorte de martyre volontaire destiné à remplacer le martyre sanglant, dont l'espoir disparaissait. Il convient cependant de noter que, même avant la paix constantinienne, des chrétiens fervents fuyaient déjà le monde et se livraient dans la vie privée aux pratiques de l'ascèse, tandis que d'autres recherchaient au désert le renoncement total aux délices d'une civilisation corrompue. L'exemple surnaturel de quelques grandes figures, comme saint Paul ermite et saint Antoine, entraîna dans les solitudes de la Thébaïde, ou dans les laures de la Palestine et de la Syrie, des troupes toujours plus nombreuses d'imitateurs, qui devinrent les fils spirituels de ces premiers Pères du désert.

2 A. A. S., XXXXIV, 1952, p. 65


Parmi les conseils du divin Maître à ses disciples, celui de la chasteté parfaite, consacré par sa naissance virginale, trouva dès les premières générations chrétiennes un fervent écho dans les âmes pures. La continence y fleurit comme un fruit de l'Esprit-Saint et constitua l'un des signes les plus évidents de la transformation profonde, que le christianisme opérait dans le monde ; mais elle suscitait aussi chez ceux qui voulaient la conserver un redoutable combat spirituel. Pour demeurer chaste, ne fallait-il pas absolument fuir le monde ? L'Evangile suggérait des moyens d'une grande énergie pour éviter le péché, surtout le péché de la chair : « Quiconque regarde une femme pour la désirer, a déjà, dans son coeur, commis l'adultère avec elle. Si ton oeil droit est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi » (Mt 5,28-29). Et comment pratiquer plus parfaitement la pauvreté béatifiante de l'Evangile que dans la solitude, où il n'y a rien que Dieu seul ? L'Ancien Testament et le Nouveau ne donnaient-ils pas d'ailleurs plusieurs exemples de retraite volontaire pour trouver le Créateur dans le silence ? C'est donc à la suite de Moïse et d'Elie, de Jean-Baptiste, de Jésus lui-même, et de saint Paul après sa conversion, que les amis de Dieu le chercheront au désert. Mais l'audace de ces chrétiens héroïques fut d'y fixer leur demeure à jamais, et d'y attendre dans la prière et la pénitence le jour de la délivrance et la rencontre définitive avec le Seigneur tant désiré.

Le mouvement spontané, qui porta les chrétiens épris d'absolu à la suite des premiers anachorètes dans les solitudes, fit de ceux-ci les guides obligés de leur généreuse entreprise. Tous n'étaient pas prudents, tous n'avaient pas les qualités physiques et morales nécessaires au moine. Et s'il est vrai qu'on entend Dieu plus facilement dans le silence et la solitude, le démon lui aussi s'y trouve à l'affût. L'Evangile ne dit-il pas que « Jésus fut conduit au désert par l'Esprit, pour y être tenté par le diable » (Mt 4,1) ? C'est ainsi qu'il échut aux Pères de diriger dans les voies de l'ascèse et de la prière des âmes situées à des degrés très divers de la vie spirituelle. Ils durent s'adapter et s'ingénier à faire comprendre à chacun comment gouverner son âme et la soumettre toute à Dieu, et beaucoup d'entre eux devinrent des maîtres dans l'art de discerner les esprits, de guérir les scrupules, de dissiper les illusions, d'éclairer et d'encourager leurs confrères novices ou plus avancés. Rien d'abstrait ou de systématique encore dans cette formation, mais une sagesse familière et concrète, des exemples, des formules improvisées sous l'inspiration de l'expérience et avec le secours de l'Esprit-Saint. Les mémoires fidèles des disciples conservèrent et transmirent ces anecdotes et apophtegmes, qui formèrent plus tard des recueils savoureux, tels que les « Cent chapitres » de Diadoque de Photicé, ou le « Pré spirituel » de Jean Moschus, et tant d'autres, dont la substance, communiquée dès le sixième siècle à l'Occident par Jean Cassien, est devenue le patrimoine des « traités de la perfection ».

Du monachisme au cénobitisme : nécessité de l'obéissance à une règle pour atteindre la perfection.

Malgré la diversité des temps et des lieux, un même esprit animait les anachorètes du IIIe et du IVe siècles, et un peu partout la même expérience suscita une évolution naturelle vers le cénobitisme. Les premiers Pères en effet n'étaient pour leurs disciples que des guides bénévoles, dont les exemples et les conversations soutenaient la générosité et éclairaient les esprits. Mais la direction individuelle, si utile fût-elle pour avancer dans les voies de la perfection, ne suffisait pas toujours à garantir les ermites contre les erreurs et les illusions du sens propre. L'histoire des Pères du désert en fournit des exemples nombreux, souvent pittoresques, parfois dramatiques. Des hommes, qui prétendaient d'abord ne pratiquer que l'abnégation et le recueillement à toutes choses, se laissèrent aller parfois à l'orgueil et à l'obstination.

C'est que manquaient le cadre social et ce minimum de dépendance juridique nécessaires pour atteindre la perfection en quelque domaine que ce soit. L'expérience du désert fit comprendre aux meilleurs esprits que l'autorité du Père spirituel devait se trouver sanctionnée par un accord, au moins tacite, et une promesse d'obéissance, qui lui permit de soumettre chacun de ses fils à un contrôle efficace, et de pourvoir au bien commun, lequel demande une abnégation plus profonde, le renoncement au jugement et à la volonté propres, derniers refuges de l'égoïsme, derniers obstacles à l'amour de Dieu et du prochain ; ainsi se complétait 1'« état de perfection » dans ses lignes essentielles, et c'est l'Orient chrétien qui l'inaugura dans l'Eglise.


L'influence universelle du monachisme oriental sur tous les grands Ordres religieux.

Le monachisme oriental en effet, bien qu'ayant conservé de précieux caractères spécifiques, est à l'origine des autres formes de monachisme chrétien, et son influence, ainsi que Nous le notions à l'instant, se retrouve plus ou moins dans tous les grands ordres religieux. Ce qu'on a pu appeler la spiritualité du désert, cette forme d'esprit comtemplatif qui cherche Dieu dans le silence et le dénuement, est un mouvement profond de l'Esprit, qui ne cessera jamais, tant qu'il y aura des coeurs pour écouter sa voix. Ce n'est pas la peur, ni le repentir, ni la seule prudence, qui peuplent les solitudes des monastères. C'est l'amour de Dieu. Qu'il y ait au milieu des grandes cités modernes, dans les pays les plus riches, comme aussi dans les plaines du Gange ou les forêts d'Afrique, des âmes capables de se contenter toute leur vie, de l'adoration et de la louange, qui se consacrent volontairement à l'action de grâces et à l'intercession, qui se constituent librement les garants de l'humanité près du Créateur, les protecteurs et les avocats de leurs frères près du Père des cieux, quelle victoire du Tout-Puissant, quelle gloire pour le Sauveur ! Et le monachisme n'est pas autre chose, dans son essence.

3 A. A. S., XXXXIV, 1952, pp. 67-68, can. 2 et 6 ; Codex I. Can, can. CIS 487.


On comprend à cette pensée que le droit canon, aussi bien oriental qu'occidental, présente l'état religieux, et spécialement celui des moines, comme digne d'un honneur particulier : Status religiosus... ab omnibus in honore habendus est3. Aussi est-ce pour Nous une grande consolation et un très doux motif d'espérance de constater que les origines et les principaux caractères du monachisme sont de jour en jour mieux connus et mieux illustrés. Ainsi que Nous le notions dans le Motu proprio déjà cité, les fils des saints Antoine, Pachôme, Aphraate, Hilarion, Basile le Grand, pratiquèrent toutes les formes de la charité apostolique ; ils cultivèrent les connaissances humaines de leur temps. Presque tous les grands noms du monachisme oriental se sont distingués dans la défense de la foi. Hélas, cette culture et ce zèle ont peu à peu en certaines régions décliné ou même disparu. De sages réformateurs, soutenus par les soins maternels de l'Eglise, ont cependant, à diverses époques et jusqu'au siècle présent, fait refleurir la vigueur première du monachisme. Vos travaux et vos prières contribueront à ce renouveau, Nous le demandons à Dieu, et c'est pour vous témoigner Notre sollicitude paternelle et vous obtenir cette faveur, que Nous vous accordons du fond du cceur Notre Bénédiction apostolique.




DISCOURS A DES DÉLÉGATIONS DE L'AFRIQUE FRANÇAISE

(13 avril 1953) 1



Recevant en audience spéciale un groupe important de représentants d'Etat du gouvernement français et des gouvernements locaux d'Afrique française, ainsi que des représentants du Centre de documentation et de diffusion des industries minérales et énergétiques d'outre-mer, le Souverain Pontife prononça le discours suivant en français :


C'est une joie pour Nous, Messieurs, de recevoir en ce temps de Pâques le groupe de personnalités si distinguées, ministres, secrétaires d'Etat, parlementaires, directeurs d'organismes publics et de grandes entreprises privées, actuellement réuni devant Nous. Nous accueillons volontiers cette visite, et Nous saluons particulièrement les nombreux représentants des territoires de l'Afrique et de Madagascar, pour qui le Centre de documentation et de diffusion des industries minérales et énergétiques d'outre-mer a organisé cette tournée d'information.

Nous sommes heureux d'apprendre que des industriels italiens participent maintenant à la mise en valeur de leurs pays, et Nous espérons les meilleurs fruits de cette fraternelle collaboration internationale.

Il Nous est agréable en effet de voir se multiplier les échanges entre l'Europe et l'Afrique, qu'unissent tant de liens géographiques et historiques. Dans la commune exploitation des richesses considérables que le Créateur a mises à la disposition de l'industrie humaine sur le sol et dans le sous-sol du continent africain, il s'opère un rapprochement plus efficace que des protestations d'amitié. Travailler ensemble a toujours été un moyen providentiel de se connaître et de s'estimer. Si les divergences

d'intérêt immédiat peuvent susciter des conflits temporaires, un raisonnable souci du bien général, la hauteur de vue inspirée par une prudence clairvoyante et des sentiments de confiance mutuelle feront chercher et trouver le loyal accord, où seront respectés les droits et les aspirations légitimes de chacun.

L'apport des capitaux et des techniques de l'Europe est un service irremplaçable, qui hâtera le développement économique des pays d'Afrique. Ce développement est urgent, chacun le sait, car dans le monde moderne l'interdépendance économique est devenue telle qu'un pays sous-développé ne peut jouir d'une entière liberté. L'inégalable répartition des dons et des richesses de la nature, fait aux hommes une obligation morale de s'aider les uns les autres, chacun selon les lumières et les forces qu'il a reçues. Cette obligation prend des proportions sans cesse grandissantes à mesure que le groupe social ou national dispose de plus de puissance. Nul ne peut nier aujourd'hui que les nations plus privilégiées n'en soient conscientes et ne cherchent à la remplir, malgré les oppositions internes et les difficultés matérielles considérables qu'elles rencontrent nécessairement. Il faut se réjouir de tous les efforts, qui tendent à réaliser ce que les voix conjuguées de la conscience et d'un intérêt largement compris invitent à entreprendre sans plus tarder.

Aussi formons-Nous des voeux sincères pour qu'une fraternelle intelligence et une bienveillance accueillante favorisent de part et d'autre vos tractations et assurent une collaboration profonde et durable entre vos divers pays pour le plus grand bien de tous.

Que le Seigneur du ciel et de la terre vous aide et vous éclaire. C'est la grâce que Nous lui demandons pour chacun de vous, pour vos familles et vos pays ; en gage de quoi Nous vous donnons Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1958 - X. L'INTÉRÊT DE LA SCIENCE ET L'IMPORTANCE DE LA PSYCHOLOGIE