Pie XII 1958 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT POUR LE Ille CONGRÈS NATIONAL ITALIEN DES GENS DE MAISON


ALLOCUTION AUX CONGRÉGATIONS MARIALES FÉMININES D'ITALIE

(26 avril 1958) 1




Les participantes au IVe Congrès national de la Fédération des Congrégations mariales féminines d'Italie furent reçues en audience par le Saint-Père, qui leur adressa un discours en italien, dont voici la traduction :

Votre IVe Congrès fédéral national vous trouve réunies à Rome, chères filles, déléguées des congrégations mariales d'Italie, pour étudier et méditer ce que doivent être votre sentiment et votre oeuvre dans le cadre de la mission de l'Eglise. Vous êtes une des associations auxquelles il semblerait qu'il n'y ait en quelque sorte plus rien à dire ; Nous avons parlé de vous et écrit tant de fois à votre sujet ; et Nous vous avons aussi adressé, en diverses occasions, tant d'éloges et de conseils.

On ne peut nier que l'Eglise s'est engagée pour vous et avec vous jusqu'à susciter la surprise de certains, qui ne connaissent pas votre glorieuse histoire et, surtout, ignorent la volonté résolue de la congréganiste mariale exemplaire de tout oser afin que rien ne soit omis de ce qui apparaît utile à la plus grande gloire de Dieu, à la sanctification personnelle et au salut des âmes. Nos paroles seront donc brèves, chères filles : il ne s'agit pas d'ailleurs de chercher de nouveaux principes, de vous indiquer de nouveaux buts, de vous dicter des normes nouvelles ; et il est superflu de répéter avec combien d'espérance et avec combien de confiance Nous regardons les congrégations mariales comme une des forces vives qui, silencieusement le plus souvent, mais efficacement, travaillent dans la vigne du Seigneur.

Quand Nous disions que vous êtes une « Action Catholique » pleno jure, Nous voulions, certes, donner à vos règles et à vos oeuvres la reconnaissance qu'elles méritent ; mais Nous entendions surtout vous engager à une action généreuse et organique en étroite union avec la hiérarchie sacrée.

Si Nous disions que vous avez faiblement répondu à Notre volonté, Nous ne serions pas juste ; mais Nous ne Nous estimons pas pour autant dispensé de vous exhorter à continuer dans la voie que vous avez prise, c'est-à-dire à faire tous les efforts pour être de parfaites congréganistes de Marie, telles que vos règles veulent que vous soyez : des âmes qui regardent Marie comme un modèle de vie et comme un modèle d'action : de vie dans l'Eglise, d'action pour l'Eglise.



ie, modèle de vie dans l'Eglise.

1. — Avant tout, regardez Marie comme un modèle de vie dans l'Eglise.

On a coutume de dire que l'essence de la dévotion pour Marie consiste, en premier lieu, dans le sentiment de respect et de vénération correspondant à sa dignité de Mère de Dieu ; puis dans un sentiment de confiance en son pouvoir et en sa bonté et, enfin, en un sentiment d'amour filial qui cherche à répondre en quelque manière à son amour de Mère. Mais la vénération ne serait pas sincère, la confiance ne serait pas vraiment profonde et l'amour n'irait pas au-delà du sentiment et des paroles, si l'âme qui se dit vraiment dévouée à Marie ne s'appliquait pas à en imiter les vertus, à en reproduire en elle-même la vie.

Nous savons bien que certaines de ses qualités ne peuvent que faire l'objet de notre émerveillement et de notre admiration extasiée : ainsi sa conception immaculée, sa plénitude de grâce, sa maternité divine de vierge. Fille souverainement privilégiée du Père, elle est en effet, après Jésus, le rayon le plus lumineux de sa gloire, le reflet le plus merveilleux de son image, l'oeuvre la plus belle de ses mains. Aussi tout effort serait-il vain pour reproduire en nous le chef-d'oeuvre qu'elle est : chef-d'oeuvre de Dieu, même si, comme la lune, elle est belle d'une beauté reflétée : pulchra ut luna (Ct 6,9).

Mais cela ne doit certainement pas vous empêcher de regarder Marie et, encore moins, vous empêcher de lui demander de vous aider dans l'effort continu que vous ferez assurément afin d'être touchées au moins par quelque rayon de sa beauté surhumaine.



Apprenez donc d'elle à voir avec droiture et complètement ; apprenez à vivre de foi. Proclamez, à son imitation, qu'il n'y a rien dans le ciel pour vous en dehors de Dieu ; que vous ne voulez rien sur la terre en dehors de lui. Affirmez que votre unique bien est pour vous d'être unies à Dieu, de mettre votre espérance en Dieu (Ps., lxxii, 28).

Ce sentiment, cette volonté de votre part seront suivis de votre activité : elle aussi entièrement consacrée à Dieu, comme fut entièrement consacrée à Dieu l'activité de Marie. Cette joyeuse obéissance à la volonté de Dieu fut une de ses prérogatives. Nous voudrions, chères filles, que cette attitude, cette prérogative devinssent votre attitude, votre prérogative. Soyez donc prêtes non seulement à n'importe quel ordre, à n'importe quel appel spécial de Dieu ; mais à toute suggestion de sa part, même à peine murmurée dans l'intimité de vos âmes. Et il ne doit pas vous importer que Dieu vous offre la joie ou, au contraire, vous appelle à la douleur ; préparez-vous à conserver toujours l'attitude serviable de Marie ; préparez-vous à dire son Tiat. Et bienheureuses serez-vous si, choisies par le Seigneur pour souffrir avec lui, pour être crucifiées avec lui, vous n'en réussissez pas moins à prononcer le Magnificat. De grandes choses seront faites également à vous par Celui qui est puissant : qui potens est (Lc 1,49).

Marie, modèle d'action pour l'Eglise.

2. — Et, en second lieu, regardez Marie comme un modèle d'action pour l'Eglise.

Vous devez bien savoir combien et comment Marie a intimement participé, dès le début, à la vie de l'Eglise. C'est avec Marie Mère de Jésus : cum Maria matre Jesu (Ac 1,1), que les apôtres étaient réunis, persévérant unanimement dans la prière, perseverantes unanimiter in oratione (ibid.), quand le cénacle fut ébranlé par un vent impétueux et que la minuscule communauté des fidèles fut subjuguée par l'Esprit-Saint qui les remplit de tous ses dons (Ac 11,1-4). Peu après, Marie put assister à la première semence et à la première récolte miraculeuse des moissons chrétiennes. Pierre parla à la foule et, par son discours entendu par chacun dans sa propre langue, provoqua le premier développement de l'Eglise.

Depuis ce jour de bénédiction pour la jeune communauté de Jérusalem, Marie ne cessa jamais de veiller, comme une très douce Mère, sur l'Eglise du Christ. Aucune circonstance, spécialement aucune heure d'inquiétude et de douleur, ne passa pour l'Eglise — nous pouvons bien le penser — sans que se fît sentir l'assistance maternelle de Marie. Chaque fois que la nuit semblait devoir descendre sur le monde, on vit apparaître dans le ciel Marie, l'étoile du matin. Quand la sueur d'immenses fatigues perla sur le front de l'Eglise, quand ses yeux furent baignés de larmes, quand ses chairs furent tourmentées comme les chairs de Jésus et même transpercées sur la croix, l'Eglise eut toujours auprès d'elle Marie, Mère douloureuse. Et de même que c'est à elle qu'est due la persévérance de ses fils, fidèles, ce fut toujours elle, aussi, qui encouragea le retour de ses fils égarés et les accueillit avec une tendresse infinie. Par son intervention, la protection ne manqua jamais à l'Eglise, quand elle fut l'objet de violents assauts ou de sournoises embûches. C'est ainsi que l'histoire des triomphes de l'Eglise est l'histoire des triomphes de Marie.

Regardez donc Marie, chères filles. En sentant avec l'Eglise, comme le prescrit votre règle (Reg. 33), vous faites vôtres ses anxiétés, ses douleurs, ses espérances, ses joies. Aucune de vous ne pensera que l'on puisse être une congréganiste parfaite, en se bornant à assister à la sainte Messe dans une chapelle, en se recueillant au milieu de chants et de prières ; peut-être même avec une exhortation spirituelle spéciale. Mais il n'est pas permis non plus de penser que l'on puisse être de vraies congréga-nistes en s'employant seulement à obtenir pour soi-même le plus haut degré de perfection, sans se préoccuper des autres.

Vous n'êtes pas ainsi, chères filles. Dans le champ de Dieu, qu'est le monde, il y a tant de terre à labourer, tant de sillons à ensemencer, tant de plantes à cultiver, tant de moissons à récolter. Le travail de tous est donc nécessaire et vous, congré-ganistes, vous serez actives partout où l'Eglise naît, où elle croît et se développe, en souffrant et gémissant ; où elle lutte intrépide, où elle vainc et triomphe.

A cette action individuelle, action de toutes, accomplie toujours et partout par l'exemple, par la parole et par l'action, doit s'ajouter l'action collective des congrégations, de la fédération nationale, de toute la Congrégation mondiale. Une action coordonnée et organique de toutes est indispensable devant le nombre, l'ampleur et la complexité des problèmes, qui tiennent les hommes dans l'anxiété et agitent le monde. Un avertissement paternel viendra à propos ici, au sujet de la nécessité de vous entendre, avec un amour fraternel et une compréhension absolue, avec les autres associations, qui doivent être prêtes avec vous à former comme une acies ordinata.

Le monde moderne et le Corps mystique du Christ.

3. — Mais il y a quelque chose aujourd'hui qui, par son importance, devrait vous engager sans épargner vos énergies ni votre temps. L'Eglise a en effet une mission particulière dans cette époque tourmentée de l'histoire humaine. S'il est vrai, en effet, que toute vérité a son moment, on peut dire que c'est l'heure de l'Eglise considérée comme Corps mystique du Christ. Si vous devez donc étudier les congrégations mariales dans le cadre de la mission de l'Eglise, efforcez-vous d'approfondir, autant que possible, cette merveilleuse vérité énoncée et traitée avec une clarté lumineuse par l'apôtre saint Paul.

D'autre part, notre siècle est en train d'assister à un développement organique de plus en plus grand de l'idée d'une humanité, dont les parties distinctes devront, dans la mesure qu'il est possible de prévoir, passer du concept d'alliance à celui de communauté — dans son sens authentique — vivante et agissante. Il n'y a pas de mouvement politique et social qui ne pose, à la base de toute sa structure, ce concept pour ainsi dire « communautaire » de l'Etat et du monde. De son côté, l'individu se sent chaque jour davantage une partie vitale d'une réalité unique et prend conscience de ses devoirs envers tout l'organisme social. Et comme cette notion est en train de se diffuser dans le monde, Nous avons plusieurs fois démontré et Nous voulons le répéter également à vous, chères filles, que les hommes tendent en ce moment à écouter, avec un intérêt renouvelé, la doctrine qui considère l'humanité en quelque sorte comme un seul corps et invite les hommes à ne faire qu'un seul cceur et une seule âme.

La mission de l'Eglise, aujourd'hui, est de prouver que seule la doctrine du Christ se présente aux hommes comme propre à sauver et à ranimer un monde qui se trouve dans le cauchemar d'une inquiétude perpétuelle et d'un tumulte artificiel. Faites-en donc votre mission, parce que vous êtes, vous aussi, de l'Eglise et que vous devez vivre en elle et travailler pour elle, sans répit ni aucun retard.

Que pour votre vie dans l'Eglise, pour votre action dans l'Eglise, Marie soit votre modèle, elle qui est Mère et Reine très aimante. Ainsi soit-il !




DISCOURS A DES PÈLERINS ESPAGNOLS

(28 avril 1958) 1






De nombreux pèlerins espagnols s'étaient rendus à Rome pour la érémonie de béatification de la Mère Teresa de Jésus Jornet e Ibars, ondatrice de l'Institut des Petites Soeurs des vieillards abandonnés. Le endemain de la cérémonie, le lundi 28 avril, ils furent reçus en audience par le Saint-Père, qui leur adressa un discours en espagnol, dont voici la traduction :

La sagesse suprême, qui « atteint avec force d'un bout à l'autre du monde et dispose tout avec douceur » (Sg 8,1), ne manque jamais, en permettant souvent le mal et la maladie, d'assurer simultanément le remède et la médecine, de telle sorte que sa bonté paternelle n'est jamais démentie, aussi bien dans la vie des hommes que dans la marche des peuples.

Si donc elle permit, dans l'Espagne de la seconde moitié du siècle dernier, les convulsions sociales et politiques qui eurent des répercussions si profondes dans le domaine ecclésiastique et religieux, elle suscita généreusement aussi tant d'âmes d'élite afin que, comme le levain évangélique, elles préparent la masse pour une fermentation favorable (Mt 13,33). Certaines d'entre elles sont déjà un objet de vénération sur les autels ou pourront l'être bientôt ; d'autres, comme votre très chère Mère et fondatrice, Thérèse de Jésus Jornet e Ibars, arrivent maintenant à ce si grand honneur, et Nous proclamons Notre intime satisfaction d'avoir pu le lui accorder, tandis que Nous proposons son exemple à tous et spécialement à vous, ses filles et à ceux qui lui sont dévots.

Ame grande et, en même temps, humainement affable et simple, comme son homonyme, l'insigne réformatrice d'Avila ;

humble jusqu'à s'ignorer elle-même, mais capable d'imposer sa personnalité et de mener à bout une oeuvre imposante ; malade de corps, mais robuste d'esprit avec une admirable vigueur ; « religieuse entreprenante » elle aussi, mais toujours étroitement unie à son Seigneur ; très maîtresse d'elle-même, mais douée d'une spontanéité et d'un charme si attirants ; amie de toute vertu, mais principalement de la reine de celles-ci, la charité, exercée auprès de ces vieillards, qui exigent la patience et la bonté, dont parle l'Apôtre (1Co 13,4).

Dans ce splendide ensemble, Nous désirons choisir seulement trois caractéristiques suaves pour Nous entretenir paternellement avec vous, après vous avoir souhaité la plus cordiale bienvenue.



La place de la Sainte Vierge dans la vie et l'oeuvre de Mère Thérèse.

1. — Et, avant tout, en ces temps de splendeurs mariales et en cette année du centenaire des apparitions de Lourdes, Nous Nous plaisons à considérer la grande part que la Sainte Vierge a voulu prendre dans la vie et dans l'oeuvre de Thérèse de Jésus.

Née au son de l'angélus en cette heureuse journée des débuts de 1843 et s'étant toujours distinguée durant son édifiante jeunesse par une tendre et filiale affection pour la Reine des cieux, elle eut de nombreuses heures solennelles de sa vie qui coïncidèrent providentiellement avec une fête mariale : l'arrivée à l'inoubliable « Pueyo » de Barbastro en la veille du Pilar de 1872 ; l'ouverture de la Maison Mère à l'ombre même du Sanctuaire, où la « Mère de Dieu » polarise les coeurs de toute la verte plaine de Valence ; la fondation de Saragosse précisément le jour consacré au culte de la Reine du monde hispanique. C'est « à la gloire de Marie et à l'honneur de saint Joseph » qu'elle voulut vouer toute son oeuvre ; et, s'envolant vers le ciel, en cette date de 1897, elle désira laisser toutes les maisons de son Institut sous la protection affectueuse de Notre-Dame des abandonnés, qui occupe dans ses chapelles une place de premier plan.



Sa charité envers les pauvres et les malheureux.

2. — Mais il est clair — Nous l'avons déjà dit — que chez la nouvelle bienheureuse une des notes les plus caractéristiques




MÈRE THÉRÈSE DE JÉSUS JORNET E IBARS



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est la charité, la tendance irrésistible à assurer l'assistance des délaissés et, spécialement, des pauvres vieillards abandonnés, que les tragédies de l'époque jetaient au ruisseau, sans soutien ni protection.

La fillette qui, encore dans son Aytona natale, était capable de quitter sa maison sans pain afin que personne ne souffrît de la faim ; la jeune fille qui, à Fraga et à Argensola, à Lérida et à Briviesco, ne sentit jamais qu'elle avait trouvé sa voie définitive, s'oriente résolument quand quelques bonnes âmes, envoyées, par le Seigneur, lui montrent l'idéal de l'assistance des vieillards abandonnés. Quelle activité, quelle vigueur, quel effort surhumain, d'un bout à l'autre de toute la géographie espagnole, de sa Catalogne natale jusqu'à l'ample et riante Andalousie, de l'accueillante Valence jusqu'aux embouchures vertes et brumeuses de l'aimable Galice, sans qu'aucun obstacle pût jamais l'arrêter, sans que ses douleurs elles-mêmes pussent la freiner parce que la charité du Christ l'aiguillonnait (2Co 5,14), et partout ses vieillards l'attendaient, peut-être seuls et mourants de froid, à la recherche d'un coin, d'un plat et d'un peu d'affection ! Et quel tact plein de douceur, quelle délicatesse maternelle dans les instructions qu'elle vous a laissées à vous, ses filles, sur la façon de les assister ; quels soins avait-elle quand elle se trouvait avec ses vieillards, quelles tendresses capables d'évoquer les fameux « Fioretti » qui ont reçu le nom du « Poverello » d'Assise ! Car si elle apprit du Carmel la dévotion pour la très Sainte Vierge, nous pouvons penser qu'elle reçut des filles de saint François l'amour de la pauvreté et des pauvres, auxquels elle consacra sa vie !

abandon aux desseins cachés de la Providence.

3. — Enfin une juste cause d'admiration pour ceux qui considèrent la figure de la nouvelle bienheureuse est cette façon simple et sûre avec laquelle elle traversait les vicissitudes si agitées et diverses ; cette suavité et cette spontanéité avec lesquelles elle s'abandonna aux desseins secrets de la Providence ; ou, dirons-Nous plutôt, cette manière parfaite et exemplaire avec laquelle elle sut faire abstraction d'elle-même et de sa volonté pour s'identifier complètement avec la très sainte volonté de Dieu.

Elle quitta sa famille quand elle pensa que c'était le moment ; elle étudia quand il lui parut qu'elle devait le faire ; elle s'engagea sur des sentiers fort différents en estimant que son Seigneur le voulait ainsi, en les abandonnant ensuite avec la même sérénité imperturbable ; les événements les plus graves et même les sanglants semblaient passer autour d'elle sans l'atteindre ; bien plus, elle fit souvent de ces difficultés mêmes un tremplin pour arriver plus sûrement à ce que Dieu lui demandait. Si les moyens naturels lui faisaient défaut, elle disait en souriant : « plus on est pauvre, plus on est bienheureux » ; lorsqu'elle devait voyager constamment, elle s'imposait comme règle « les yeux au sol et le cceur au ciel » ; lorsqu'elle se risquait à s'engager dans l'infinité de choses que lui imposaient ses fonctions, elle simplifiait ses soucis en concluant : « Dieu dans le cceur, l'éternité dans la tête et le monde sous les pieds » ; et si quelqu'un lui suggérait que certaine de ces choses n'était qu'une bagatelle dont il ne valait pas la peine de s'occuper, elle répliquait : « Il n'y a rien de petit quand il s'agit de la gloire de Dieu ».

C'est en cela, précisément en cela, qu'elle reçut du Carmel la dévotion pour la Vierge Marie et qu'elle apprit des filles de saint François l'amour pour les pauvres ; dans son ardeur à identifier constamment « tout son sentiment et toute sa volonté » avec la volonté divine, elle démontre combien elle assimila l'esprit de l'auteur du Livre des Exercices.

C'est là votre insigne Mère, très chères filles, petites Soeurs des vieillards abandonnés, et ces leçons pourraient être celles qu'elle nous donne en une occasion aussi solennelle que celle d'aujourd'hui. Apportez-les à toutes les maisons de l'Institut, ici et au-delà des mers, avec la meilleure de Nos bénédictions.

Le Vicaire du Christ — bien avancé Lui aussi dans la course des années — vous confie un message spécial pour vos chers vieillards, dont Nous voyons un groupe ici présent, comme une chose qui Lui est très chère, pour que vous les assistiez et en preniez soin purement et simplement comme votre bonne Mère le voulait. Apportez-leur à tous Nos paroles, Notre souvenir, Notre encouragement et Notre Bénédiction toute spéciale, pour que dans les longs loisirs de leur paisible vieillesse, ils prient pour Nous et pour Nos intentions.

Une Bénédiction enfin pour vos patries respectives, vos familles, vos désirs et pour tout votre florissant Institut qui Nous est très cher.


DISCOURS A UNE OEUVRE D'ORPHELINS

(29 avril 1958) 1






Recevant en audience les dirigeants de l'Institution nationale d'as-istance aux orphelins des travailleurs italiens (E.N.A.O.L.I.), le Souve-ain Pontife prononça un discours en italien, dont voici la traduction :

De grand cceur, Nous vous souhaitons la bienvenue, Messieurs les dirigeants et chers jeunes gens du « Comité national pour l'assistance aux orphelins des travailleurs italiens », réunis auprès de Nous pour Nous faire participer à votre joie en cette date heureuse du dixième anniversaire de la fondation de votre providentiel Institut. Parmi les nobles expressions par lesquelles le distingué président manifestait votre unanime et fervent désir de Nous rendre visite, Nous avons noté avec une satisfaction particulière celle par laquelle il Nous assure que tous, dirigeants, éducateurs et jeunes gens, vous vous considérez comme « une grande famille ». Notre présence parmi vous Nous a paru alors encore plus opportune parce qu'il Nous semble que la prérogative de Père, qui Nous vient de la charge de Vicaire du Christ, doit s'étendre de façon particulière aux enfants prématurément privés de leur père terrestre. Oui, chers garçons et fillettes, sur la tête de qui ne se posera plus la main caressante d'un père ou d'une mère, vous serez toujours les favoris du Pape. Dans sa puissance spirituelle et dans l'universalité de son affection, il représente sur la terre, bien qu'indignement, le « Père qui est dans les cieux », et se considère tout spécialement comme votre Père, conformément à la tradition de l'Eglise, qui a toujours consacré aux orphelins ses sollicitudes maternelles. Vous pouvez donc comprendre combien votre visite Nous est agréable et avec quelle satisfaction intime, après avoir accompli

Notre part également dans ce domaine, Nous suivons tout ce qui est réalisé par des comités publics ou privés en faveur des « Orphelins des travailleurs », spécialement de ceux qui, avec la perte de leurs parents, sont restés privés de tout secours. Nous désirons donc, avant de vous bénir au seuil de la seconde décade de votre comité, vous exposer brièvement quelques-unes de Nos pensées, afin de contribuer, comme Nous le pouvons, à la pleine réalisation des buts élevés que la nation se propose au moyen de votre Institut.



Les progrès dans la protection de l'orphelin, en Italie...

L'assistance des orphelins des travailleurs, telle qu'elle est organisée aujourd'hui en Italie, avec un comité spécial de droit public, est un des signes les plus éloquents du progrès civil de votre patrie. La solidité des fondements juridiques de l'E. N. A. O. L. L, sa structure, la disponibilité de moyens financiers, la préparation et le dévouement des personnes appelées à diriger et à éduquer, la multiplicité des oeuvres et le nombre imposant des sièges, en un mot la bienfaisante activité accomplie au cours des dix années écoulées par la compagnie renouvelée de l'Institut, font honneur à la communauté nationale, qui peut s'en vanter comme d'une des conquêtes les plus providentielles en faveur de la classe ouvrière. En effet — comme Nous l'avons noté dans les rapports qui Nous ont été courtoisement envoyés — le Comité est en mesure d'étendre son assistance à plusieurs dizaines de milliers d'enfants nécessiteux, en leur assurant les services bienfaisants que, sans cela, les familles dans le besoin ne pourraient pas fournir, tels que secours en argent, vêtements, écoles de formation professionnelle et, surtout, lorsque le besoin s'en fait sentir, éducation accomplie dans des collèges et demi-pensionnats spéciaux. Dans les internats, qui représentent la plus grande activité du Comité et atteignent le chiffre d'environ 400, plus de vingt mille garçons et fillettes sont éduqués, en grande partie par des religieux.



. . . réalisés à la lumière de l'Evangile...

Votre Comité veut réaliser pleinement les finalités d'une assistance digne d'une nation hautement civilisée, comme la vôtre, et répondant aux nobles sentiments qui animent les personnes qui s'y consacrent. Actuellement l'assistance des enfants



des travailleurs doit être inscrite parmi les réalisations les plus modernes et les plus avancées du progrès social en Italie. A ce sujet, on pose souvent une question qui n'est pas inutile si elle est discutée sans animosité ni partialité : laquelle des deux idéologies, chrétienne ou matérialiste, peut revendiquer le mérite d'une institution aussi bienfaisante. On pourra avoir une réponse inspirée par la vérité, si l'on sait distinguer les faits occasionnels des faits essentiels et décisifs et tenir compte de l'intolérance d'une grande partie de la société du XIXe siècle à l'égard du christianisme, intolérance devenue hostilité déclarée précisément au moment crucial de la transformation du monde du travail. Or le fait qui a développé et suscité au fond des esprits la soif de justice sociale — particulièrement en faveur des travailleurs opprimés par la nouvelle économie — ce fut le profond sens chrétien dont avaient été longuement nourris la société et les hommes pris individuellement, bien que l'on ne voulût pas en reconnaître la source. D'où ces hommes auraient-ils donc tiré les concepts de justice, de respect pour la personne, de pitié envers les humbles, sans la lumière de l'Evangile, perpétué dans le monde par les enseignements de l'Eglise ? Certainement, ces enseignements et ces concepts ne dérivent pas de la pseudoscience matérialiste ni des postulats de l'individualisme qui constituaient alors l'enseignement officiel et l'usage courant de la société. Comme cela s'était produit souvent dans le passé, chaque fois que les valeurs humaines traversèrent une crise grave, les adversaires de l'Eglise ou les agnostiques « redécouvrirent », comme on a l'habitude de dire, ce qui fut toujours une vérité éclatante et un usage traditionnel du christianisme : la fraternité des hommes et le devoir de justice et d'amour entre eux. On ne nie pas, toutefois, par là, les contributions secondaires apportées par d'autres courants non chrétiens, en grande partie de nature technique et avec des effets stimulants. A juste titre, on peut attribuer au christianisme, comme idée, sentiment et aussi empressement à l'action, le mérite de cause déterminante du progrès social, mais surtout celui d'avoir contenu la soif de justice sociale dans le cadre des droits naturels, en la préservant des excès et de renversements de front également injustes. Quant aux formes concrètes d'application des principes chrétiens aussi bien sociaux que d'autre nature, personne ne peut raisonnablement s'étonner ni élever des reproches si les institutions précédentes ont été moins parfaites que les suivantes, parce que tout l'organisme social est en constante évolution, semble-t-il, vers de meilleures réalités. Du reste, dans les récentes décades, aussi bien en Italie qu'ailleurs, la réalisation de la justice sociale, entreprise sous l'égide de l'inspiration chrétienne et par des hommes nourris de christianisme, non seulement a sans cesse avancé sans provoquer de secousses nuisibles à tout l'édifice ; mais a démontré en de multiples oeuvres combien ces principes sont féconds. Une de ces oeuvres est sans aucun doute votre Comité.



... doivent viser à une charité toujours plus concrète et affectueuse.

Mais, Nous le disions il y a un instant, l'assistance des enfants des travailleurs n'atteindrait pas les buts que la Patrie se propose et que Dieu, Père des orphelins, veut lui-même, si ceux qui en sont chargés n'étaient pas poussés et animés par un intense sentiment de charité, par cette ardeur humaine et chrétienne de bienveillance, de dévouement et de sacrifice, qui vient de Dieu et est destinée à Ses préférés. Ce n'est qu'en vertu de cette charité inspiratrice de votre volonté et de tous vos actes, que l'organisme juridique et administratif du Comité se transforme, comme vous le désirez, en une « grande famille ». Plus encore que de nourriture et de vêtement, l'orphelin éprouve le besoin de la chaleur d'une bonté intime et, en même temps, de la certitude que se lèvera pour lui un lendemain plus serein que le présent assombri par le malheur. Parmi les formes multiples d'assistance exercées par le Comité, celle qui doit le plus être remplie de l'ardeur de la charité, est l'oeuvre éducative dans les collèges et dans les demi-pensionnats. A leurs petits hôtes, séparés par une dure nécessité des foyers familiaux, le Comité doit pouvoir dire avec vérité, au moins temporairement : je serai ton père, ta mère, tes frères ; tu peux compter sur moi. Avec une vive satisfaction, Nous avons lu dans les écrits qui Nous ont été envoyés combien cet esprit de bonté est largement répandu non seulement dans les nombreux instituts dirigés par des religieux et religieuses, mais aussi dans ceux gérés directement par le Comité ; Nous avons appris que votre volonté est de traiter les enfants qui vous sont confiés comme des « élèves » et des « enfants », en abandonnant des termes, et, encore plus, des conceptions exprimant comme une froideur et un affront ; et que l'on a réussi depuis longtemps à créer dans beaucoup de pensionnats et d'écoles l'atmosphère souhaitée de famille, dont les effets bienfaisants durent encore après la période du pensionnat, entretenus par la fréquente correspondance épistolaire entre éducateurs et jeunes gens. Cette charité réalise toujours les buts éclairés assignés par les règles intérieures du Comité à ses Instituts : l'éducation morale, civile et professionnelle des élèves et leur destination et installation parmi les forces actives de la nation. Il n'est pas nécessaire d'utiliser beaucoup de paroles avec vous, qui en êtes intimement persuadés, pour indiquer sur quelles bases on peut obtenir cette éducation parfaite, à laquelle visent les statuts du Comité : les principes et les méthodes du christianisme, jamais périmés, jamais dépassés, jamais insuffisants pour n'importe quelle circonstance de la vie. Dirigeants et éducateurs, aimez donc les enfants que Dieu, les familles et la patrie vous ont confiés. Aimez-les en reconnaissance du sacrifice de leurs parents offert à la nation, avec le désir de transformer leur infortune en une source de félicité, avec la volonté de les rendre à leurs familles comme des soutiens efficaces et à la patrie comme des citoyens utiles. Aimez-les avec ce sentiment religieux enseigné dès les premiers jours de l'Eglise par l'apôtre saint Jacques, qui indiquait l'assistance des orphelins comme une importante partie de l'essence du christianisme : « La religion pure et sans tache aux yeux de Dieu le Père consiste à visiter les orphelins, les veuves et les affligés et à se garder soi-même pur du monde » (Jc 1,27). Aimez-les enfin parce que l'Eglise les aime beaucoup, et elle vous sera reconnaissante de cet amour.

C'est le souhait que Nous adressons à votre providentiel et actif Comité, au seuil d'une seconde décade d'activité. En élevant Nos prières au Dieu tout-puissant pour qu'il daigne féconder des faveurs célestes votre activité, Nous vous donnons de tout cceur Notre paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS A L ACADÉMIE DE FRANCE, A ROME

(30 avril 1958) 1






Recevant en audience un groupe d'élèves de la Villa Medicis (Académie de France, à Rome), conduits par leur directeur, M. Jacques lbert, le Souverain Pontife prononça en français le bref discours suivant :

Nous accueillons toujours volontiers les pensionnaires de l'Académie de France à Rome. Ils constituent désormais une des illustrations de la Ville éternelle, qui en compte tant dans le domaine des Beaux-Arts, et qui fournit aux artistes de tous les pays et de tous les siècles une source de renouvellement perpétuel.

Une recherche commune de la beauté sous toutes ses formes, harmonies, couleurs, lignes, masses, proportions, vous réunit dans le cadre si noble de la Villa Medicis, et il Nous semble que vous poursuivez là-bas tous ensemble, mais chacun dans sa propre direction, une même méditation sur les rapports mystérieux de l'esprit et de la matière, cherchant parallèlement à exprimer vos âmes et le monde entier dans le registre de l'art que vous cultivez.

Nous savons les fraternelles rivalités, qui opposent depuis toujours les arts et les écoles ; les discussions inépuisables, mais fécondes, que suscitent les théories et les oeuvres ; et vous n'ignorez pas de votre côté combien l'Eglise s'est toujours montrée accueillante pour l'art et pour les artistes. Si elle pose à leur talent et à leur goût des conditions bien précises, imposées par la nature du service qu'on attend d'eux dans l'exaltation du culte et le déploiement de la liturgie, l'histoire est là pour montrer que les plus grands y ont trouvé une salutaire discipline et un sujet d'inspiration supérieure.


ACADÉMIE DE FRANCE À ROME



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Aussi souhaitons-Nous que pour beaucoup d'entre vous se présente l'occasion de consacrer les talents, que Dieu leur a donnés, à l'honorer de façon particulière. Il est toujours difficile aux hommes de passer du sensible au spirituel, de s'élever d'une beauté imparfaite à la Beauté par excellence. Ceux que Dieu a favorisés sur ce point essentiel doivent l'en remercier et tâcher d'aider leurs frères en humanité à trouver le Créateur dans ses créatures.

Tel est le vceu que Nous formons à votre intention ; et pour qu'il se réalise avec la grâce d'En-Haut, Nous vous accordons de grand cceur, ainsi qu'à vos enfants ici présents, à vos familles et à tous ceux que vous désirez recommander à Nos prières, Notre Bénédiction apostolique.


Pie XII 1958 - LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT POUR LE Ille CONGRÈS NATIONAL ITALIEN DES GENS DE MAISON