Pie XII 1958 - ACADÉMIE DE FRANCE À ROME


DISCOURS A DES OUVRIERS ITALIENS MEMBRES DES A.C.L.I.

(ier mai 1958) 1






Le 1er mai, en la fête de saint Joseph artisan, le Souverain Pontife accorda une audience spéciale dans la Basilique vaticane à plus de 20.000 ouvriers italiens, membres des A.C.L.I. (Associazioni Cristiane Lavoratori Italiam). Voici la traduction française du discours italien, que le Pape prononça en cette circonstance :

1 D'après le texte italien des A. A. S., 50, 1958, p. 365 ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 9 mai 1958.

2 Cf. Documents Pontificaux 1955, p. 122.




Nous vous souhaitons de grand coeur la bienvenue, chers travailleurs et travailleuses catholiques, réunis encore une fois en Notre présence sous les drapeaux des ACLI, en l'heureuse date du premier mai chrétien, guidés par votre patron et modèle céleste saint Joseph, pour faire participer à votre allégresse et à vos bonnes résolutions Celui que vous avez appris à reconnaître comme votre guide, défenseur et Père : le Vicaire du Christ2. En regardant vos groupes serrés, en pensant à tous ceux, encore plus nombreux, que vous représentez et qui sont unis à vous par le même esprit, et en écoutant dans la ferveur de vos voix le frémissement unanime d'affection et de confiance des milliers de travailleurs chrétiens, Nous ne pouvons manquer de penser, — avec une reconnaissance émue envers Dieu, auteur et inspirateur de tout progrès bienfaisant —, aux heureux changements qui se sont accomplis durant les cent dernières années au sein du monde du travail, pour l'avantage évident des travailleurs mêmes et de toute la société. Qui donc aurait osé imaginer, il y a un siècle, qu'on verrait autant de nations qu'aujourd'hui, où la juste égalité de droits et de dignité par rapport aux autres classes serait reconnue au monde ouvrier et sanctionnée par les constitutions et par les lois ? Lorsque, il y a environ soixante-dix ans, la journée des travailleurs fut instituée le premier mai, comme un appel d'encouragement à l'action entreprise, qui donc aurait eu la hardiesse de penser que, bientôt, elle prendrait une signification de fête et de victoire, à l'allégresse desquelles s'associeraient les nations ; et que l'Eglise, ayant contribué à préparer cette victoire par une oeuvre constante et éclairée, la déclarerait comme propre aux travailleurs chrétiens ? Ceux qui s'estimaient alors les arbitres exclusifs du monde ouvrier et qui, en même temps, solidaires avec leurs propres adversaires, tentaient par tous les moyens de soustraire celui-ci à la lumière du Christ et de l'Eglise, en retardant de la sorte son avance vers la justice et la paix sociale, ceux-là auraient-ils donc cru vraisemblable l'avènement d'un jour — de ce jour — où le Vicaire du Christ trouverait les foules de travailleurs rassemblées pour célébrer chrétiennement la fête du travail ?



L'Eglise et le progrès social.

3 Cf. ib. n. 34.




Quel immense réconfort réjouirait le coeur magnanime et prévoyant de Notre prédécesseur Léon XIII, si cet immortel pionnier de l'ordre social, — après avoir souhaité et suscité dans son encyclique Rerum novarum la formation parmi les ouvriers chrétiens de leurs propres sociétés, capables d'unir leurs forces pour soustraire toute la catégorie aux conditions bien souvent injustes et inhumaines de cette époque3, — pouvait admirer aujourd'hui en vous l'imposante réalisation de son désir, comme cela Nous est permis par la grâce divine, et écouter, comme Nous venons de l'entendre, les expressions simples mais sincères de votre hymne ! Que s'élève donc de vos coeurs vaillants l'hymne d'action de grâces au Tout-Puissant, dont la volonté et la faveur ont permis des changements si substantiels dans votre condition de vie et de travail. Et qu'il soit honnêtement admis par tous, même par ceux qui continuent à nourrir des pensées et des sentiments appartenant à une époque désormais passée, qu'un heureux progrès a été accompli sur les voies de la justice par les sociétés modernes. Surtout que l'on reconnaisse — com-



me vous venez aussi de le chanter — qu'« un guide sûr, vers le lumineux idéal de paix et de travail, est le Christ Rédempteur ! » 4.

* Hymne des travailleurs chrétiens.




En ce qui concerne le passé, il n'est pas douteux que les principes chrétiens démontrèrent qu'ils sont ce « guide sûr ». Ne l'oubliez pas, chers travailleurs, et n'écoutez pas ceux qui, ne respectant aucune vérité de l'histoire comme du présent, s'efforcent d'atténuer la valeur décisive de l'intervention chrétienne dans la question sociale. Si votre catégorie peut se vanter aujourd'hui de légitimes et justes conquêtes ; si beaucoup d'équivoques dans les rapports entre travailleurs et employeurs, qui semblaient insurmontables, ont été au contraire éclaircies à la satisfaction des deux parties ; si à présent dans les lois ou, au moins, dans les intentions des législateurs, règne la justice impartiale envers toutes les classes ; si le chemin vers la paix sociale n'a pas été recherché dans votre patrie — comme ce fut malheureusement le cas ailleurs, sans que l'on atteigne au but — à travers des flots de sang fratricide ; si l'espérance de nouveaux perfectionnements dans les structures sociales vous sourit : tout cela est dû entre autres à l'intervention opportune, éclairée, modérée et sincère de vaillants catholiques du siècle dernier, maîtres et apôtres, qui, se laissant docilement guider et soutenir par les enseignements lumineux de l'Eglise, livrèrent pour vos pères et pour vous une bataille quotidienne. Là où, au contraire, on a voulu construire la concorde sociale sans le Christ ou contre le Christ, toute garantie a fait défaut aux droits authentiques et, avec elle, la véritable liberté au travailleur et la sécurité de son avenir. De toute façon, dans les solutions dérivant de principes matérialistes, plus ou moins ouvertement athées, on ne réalise rien de complet, parce que l'on néglige la partie la meilleure et la plus précieuse du travailleur, c'est-à-dire la dignité et les exigences de l'âme et de son destin éternel. Vous, sans aucun doute, vous adhérez fermement à la solution chrétienne, comme à celle qui, dans une harmonie de vérité, de bien commun, de liberté authentique, accorde droits et devoirs, individu et société, exigences matérielles et destin surnaturel. Confirmez donc votre entière confiance dans le Christ et dans l'Eglise pour ce qu'il reste encore à conquérir et à perfectionner.

Le rôle bienfaisant des Associations de travailleurs chrétiens...

Mais en quoi donc devra consister pratiquement la confirmation de cette confiance à l'heure actuelle, si ce n'est en vous unissant toujours plus étroitement et activement à vos florissantes associations de travailleurs chrétiens, les ACLI ? Vous savez combien elles sont chères à Notre cceur et quelle lumineuse espérance Nous en tirons. Mais comme Nous avons déjà eu plusieurs fois l'occasion d'illustrer la nature et les buts des ACLI, sans cependant négliger de mettre en garde leurs dirigeants et adhérents contre des dangers et erreurs possibles, Nous ne vous répéterons pas Nos pensées, d'autant plus que Nous savons avec quelle fidélité vous les avez faites vôtres, jusqu'à en faire un objet de promesse particulière à Dieu, que vous avez renouvelée publiquement ce matin devant le saint autel. Mais Nous vous recommandons, en cette circonstance, de redoubler d'estime et d'amour envers votre association, qui entend être pour vous un bouclier, un bouclier et une force de votre catégorie, de telle sorte que le travailleur chrétien qui en devient membre y trouve toute la possibilité de se perfectionner comme homme, comme travailleur et comme chrétien.



. . . dans la formation chrétienne de l'ouvrier...

Les ACLI sont avant tout une école de formation chrétienne et d'apostolat. Cela est exigé par les présentes conditions spirituelles des lieux de travail, dont certains sont, encore, malheureusement, influencés par des préjugés surannés — souvent entretenus à dessein — sur la prétendue incompatibilité entre religion et progrès ou sur le christianisme comme « idéologie » dépassée par le marxisme, ou de cet autre préjugé encore plus délétère qui voudrait indiquer l'Eglise comme l'adversaire des travailleurs. Eclairez, lorsque vous le pouvez, avec une douceur fraternelle ceux qui pensent encore selon ces thèmes vieillis et usés, qui ne font pas honneur à un peuple de haute civilisation et de vive intelligence, comme le vôtre. Que votre oeuvre de persuasion soit entreprise avec des faits plus qu'avec des paroles, c'est-à-dire avec le témoignage vivant de votre conduite, en faisant preuve de sérieux et de sérénité, aussi bien en accomplissant vos devoirs qu'en défendant les droits des travailleurs, avec la connaissance approfondie des problèmes communs et avec le constant intérêt pour leur solution ; en apportant la contribution de jugements équitables au sujet des événements et des personnes, mais surtout en vivant honnêtement selon les préceptes et les enseignements de Celui qui vous précéda dans la dure vie du travail : le Fils de Dieu fait homme, Jésus-Christ notre Seigneur.



. . . dans le rayonnement de la charité fraternelle entre travailleurs...

Les ACLI seront aussi, comme le veulent leurs statuts, un bouclier défenseur et une aide pour le travailleur, chaque fois que des circonstances anormales, comme la maladie, le chômage et d'autres nécessités contingentes, le mettent dans l'embarras et l'épreuve. L'activité d'assistance assignée aux ACLI en faveur des travailleurs — adhérents ou non — ne réalise pas toute sa finalité, qui, comme vous le savez, est bien plus ample ; mais il convient de se demander : serait-il donc possible d'imaginer une association de chrétiens, où ne fleurisse pas et ne fructifie pas la plante et la plus belle et la plus caractéristique du christianisme, la charité ? Laissez donc d'autres associations d'ouvriers déclarer : « à nous la justice nous suffit ! », comme si les deux vertus fussent ennemies l'une de l'autre. C'est exactement le contraire qui est vrai. Car il n'existe point de justice authentique qui ne soit précédée et préparée par le souffle de la charité. Avez-vous jamais vu des hommes au coeur endurci rendre la justice de bon coeur, avec sincérité et complètement ? Certainement pas, car l'égoïsme est comme la glace, qui empêche toute bonne semence de germer et de fleurir. Vous avez du reste devant les yeux l'exemple du Christ, notre Dieu et Rédempteur. Il rendit justice pour nous au Père, parce qu'il aimait d'un seul élan infini et le Père et les hommes. Aimez donc, vous aussi, de la même façon vos frères de travail et tous les autres que la patrie unique embrasse comme une seule famille. Amenez les autres à aimer et efforcez-vous spécialement de rééduquer à l'amour vos frères qui, sous l'assaut d'une propagande quotidienne de haine et de violence, risquent de perdre le sens de la pitié humaine et la conception même de famille humaine. Il faut que ceux-là aussi viennent retrouver la chaleur du bercail du Christ.

. dans l'évolution pacifique de la classe ouvrière.

Les ACLI seront enfin la force pacifique et animatrice de votre catégorie, source de son progrès vers de meilleures conditions de vie. Elles le seront, si vous le voulez ; si votre unité d'esprit et d'intentions ne se laisse entamer ni par les flatteries extérieures et ennemies ni par les discordes intérieures. Existe-t-il en dehors de votre association d'autres forces bonnes et honnêtes ? Appliquez-vous à les attirer à la vôtre, quand il le faut et pour toute juste cause, et il en résultera un ensemble de plus grande valeur. Veillez toutefois afin que votre force se distingue de toutes les autres : c'est une force chrétienne, c'est-à-dire pacifique, modérée par la prudence, exempte d'arrogance, prévoyante et généreuse, hostile à adopter des moyens illicites et des résolutions précipitées.

Vous avez devant vous votre avenir et celui de vos enfants, l'avenir de votre patrie. Le travailleur chrétien ne peut se dispenser d'en tenir compte, et de s'employer afin que cet avenir soit meilleur que le présent, plus efficace et plus sûr. A la différence de vos pères, vous avez à présent entre vos mains les moyens efficaces pour préparer cet avenir plus heureux. Employez-les avec cette maturité professionnelle et civique, à laquelle vous êtes parvenus, et dans la vision complète de la vie et du monde que le Christ et l'Eglise ont ouverte devant vos regards.

Afin que s'accomplisse ce désir, qui est à la fois le Nôtre et le vôtre, élevons de ferventes prières au Tout-Puissant, tandis que Nous vous donnons paternellement, à vous ainsi qu'à vos oeuvres, à vos familles et à tout ce qui vous tient à coeur, Notre Bénédiction apostolique.


ALLOCUTION A DES INDUSTRIELS ALLEMANDS

(2 mai 195SJ 1






Recevant en audience un groupe d'industriels catholiques d'Allemagne, membres de l'association « Rupert Mayer », le Saint-Père prononça un bref discours en allemand, dont voici la traduction :

Nous vous souhaitons la bienvenue, honorés Messieurs, et vous remercions de votre digne témoignage écrit de dévouement ainsi que de vos précieux présents.

Le nom de votre Association « Rupert Mayer » fait revivre en Nous de consolants souvenirs. Lui, l'apôtre de Munich, Nous l'avons personnellement connu ainsi que son oeuvre. Nous savons aussi avec quelle grande confiance les fidèles sollicitent son intercession.

Dans votre Association règne le principe de choix. Vous exigez de vos membres habileté professionnelle et caractère catholique, garants d'une production visiblement chrétienne. Gardez fermement ce principe. Mais aussi soyez les uns aux autres, dans une communauté de sentiments et d'action, communauté cimentée par une profonde foi et un amour fraternel sincère.

1 D'après le texte allemand de Discorsi e radiomessaggi, XX ; traduction française de l'Osservatore Romano, du 16 mai 1958.

2 A. A. S., XXXXVIII, 1956, p. 626 ; cf. Documents Pontificaux ig;6, p. 489.




Votre corporation et votre association se sont créées au sein d'une économie en pleine expansion et d'un mouvement spirituel bien vivant. Vous venez vous-mêmes du bastion central de l'industrie allemande. Dans Notre allocution au Katholikentag de Cologne en 1956, Nous avons fait la recommandation suivante : « Vous êtes les catholiques d'un pays largement industrialisé. Vous avez le devoir de donner à ce nouveau monde de l'industrie, à vos ateliers et bureaux, à vos établissements et à l'ensemble de vos affaires un aspect et une allure chrétiens » 2.


INDUSTRIELS ALLEMANDS



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Cette recommandation qui vaut pour chacun, vaut également pour votre Association.

C'est là pour vous un noble but à atteindre. Vous savez par expérience que l'entreprise n'est pas facile. Il y faut une volonté ferme, jointe à la discrétion et au tact. Il y faut faire preuve d'intelligence, mais aussi de circonspection et de considération. S'il convient de parler, il faut aussi savoir se taire, au moment opportun. Il importe de saisir l'occasion, mais également il faut savoir attendre patiemment. Puissiez-vous travailler dans ce sens avec une volonté toujours accrue !

Nous louons vos sentiments généreux. Nous reconnaissons le bien précieux déjà accompli par vous et dont Nous avons eu connaissance. Que Dieu rende féconds vos desseins et votre action par l'effet de Sa grâce toute-puissante, en gage de laquelle Nous vous donnons, avec une paternelle bienveillance, la Bénédiction apostolique.


LETTRE DE LA SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT

AU Ve CONGRÈS DE L'INSTITUT DES SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES
(3 mai 1958) 1






Le cinquième Congrès de l'Institut international des sciences sociales et politiques s'est déroulé au mois de mai, à Madrid. A cette occasion, par l'entremise de S. Exc. Mgr Dell'Aequa, Substitut de la Secrétairerie d'Etat, le Souverain Pontife fit parvenir ses directives au R. P. Utz, O.P., professeur à l'Université de Fribourg, et directeur de cet Institut. Voici ce document pontifical, rédigé en français :

Le Ve Congrès de l'Institut international des sicences sociales et politiques, que vous dirigez à l'Université catholique de Fribourg, s'ouvrira prochainement à Madrid et sera consacré au problème des Classes moyennes dans l'ordre économique contemporain. Le Saint-Père, qui se souvient d'avoir accueilli à Rome, en 1950, les membres du précédent Congrès 2, me charge de vous transmettre l'expression de ses voeux paternels et de vous assurer de l'intérêt particulier qu'il porte au thème choisi pour vos discussions.

1 D'après le texte français de la Documentation Catholique, t. LV, col. 774 et suiv.

2 Cf. Documents Pontificaux 1050, discours du 3 juin, pp. 195 et suiv.

3 Cf. Documents Pontificaux 1951, document du 2 mai, pp. 112 et 113.

4 Cf. Documents Pontificaux 1956, pp. 621-627 et pp. 656-657.




Cet intérêt, d'ailleurs, Sa Sainteté le manifestait déjà dans la Lettre qu'elle faisait parvenir à la XIe Semaine sociale d'Espagne, tenue en 1951 sur le même sujet3, et surtout elle en donnait deux éloquents témoignages par les discours qu'elle adressait, les 8 et 25 octobre 1956, à des Associations de petites et moyennes entreprises et à l'Institut international des classes moyennes4. En ces deux dernières circonstances, le Chef de

l'Eglise donnait à ses auditeurs des directives opportunes, qui complètent et précisent, sur la question qui vous occupe, les enseignements de la doctrine sociale catholique.



Les classes moyennes doivent s'insérer dans la vie économique contemporaine

Il a plu néanmoins au Souverain Pontife de me confier le soin d'attirer votre attention et celle des personnalités présentes au Congrès sur quelques points particuliers. Et c'est en premier lieu sur le devoir qui incombe aux représentants de ces groupes sociaux — commerce, artisanat, petite et moyenne industrie — de s'insérer avec objectivité et avec courage dans la vie économique contemporaine. On a observé souvent la situation nouvelle, et parfois menacée, de ces classes moyennes par rapport à la puissance croissante du grand capitalisme industriel ; on a souligné également leur fonction irremplaçable, dans l'ordre économique et social, pour un juste équilibre de la société. Si donc les rapports sont nouveaux, mais la fonction toujours nécessaire, qu'on ne s'attarde pas aux regrets stériles, aux routines du métier, ni aux rivalités d'influence, mais que, à tous les échelons de la profession, l'esprit d'initiative et de libre collaboration préside à la mise en place progressive de structures permettant à ces forces vives de l'économie d'un pays de jouer pleinement leur rôle au service du bien général. Il convient, disait à ce sujet le Saint-Père, de « réunir en faisceau solide les éléments disparates d'un potentiel économique considérable, mais que son fractionnement prive d'une efficacité proportionnée à sa valeur réelle » 5.



L'Etat se doit, pour sauvegarder l'équilibre social, de protéger les petites et moyennes entreprises

Le service du bien général, qui stimule légitimement les efforts actuels des classes moyennes pour tenir leur place dans la nation, justifie aussi le soutien compréhensif qu'elles attendent des pouvoirs publics. « L'Etat, qui possède en vous un important facteur d'équilibre, déclarait le Souverain Pontife aux représentants des petites et moyennes entreprises, ne doit pas vous refuser l'appui sur lequel vous comptez, surtout dans



5 Discours du 8 octobre 1956 ; Documents Pontificaux 1956, p. 627.



le domaine du crédit et du système fiscal. » 8 Ce point est important, certes ; mais il ne faudrait pas que l'aide ainsi escomptée compromette des valeurs propres aux professions groupées sous le vocable de classes moyennes. Car le bien commun qu'elles veulent servir exige qu'elles sauvegardent, en s'organi-sant, les qualités de liberté et de mesure, ainsi que les possibilités de relations humaines qui les caractérisent traditionnellement. Un souci trop absolu d'efficacité et de puissance ne pourrait-il pas les porter aux excès qui ont produit tant de désordres et de malentendus dans d'autres secteurs de la vie économique ? « La part de responsabilité personnelle que vous avez normalement dans vos activités, observait Sa Sainteté à propos de ces classes moyennes, l'échelle le plus souvent familiale de vos entreprises, entretiennent et développent chez vous un sens du travail bien fait, de l'épargne et de la prévoyance, heureux fruits de l'autonomie relative dont vous considérez à juste titre qu'elle fait partie essentielle de votre condition sociale... Ce rôle social vous caractérise et vous devez le remplir avec un sens élevé du bien général. » 7

8 Ibid. p. 626.

7 Cf. Documents Pontificaux 1956, allocution du 25 octobre, p. 658.




Ces quelques réflexions ne font que souligner l'ampleur et l'importance du thème d'études que s'est fixé le Congrès de Madrid. Elles en marquent aussi l'actualité ; et à peine est-il besoin de rappeler quelle lumière les préceptes de l'Evangile peuvent projeter sur la solution juste et pacifique de ces problèmes humains. Aussi est-ce de grand cceur que le Saint-Père appelle l'effusion des grâces divines sur vos travaux et vous accorde, ainsi qu'à tous les membres de cette réunion, une très paternelle Bénédiction apostolique.


DISCOURS A DES OUVRIERS ITALIENS

(4 mai 1958) 1






Recevant en audience 2.000 ouvriers des Etablissements ILVA, de Bagnoli, le Saint-Père prononça un discours en italien, dont voici la traduction :

Nous vous souhaitons paternellement une affectueuse bienvenue, chers fils des Etablissements ILVA de Bagnoli. Quand on Nous fit connaître que vous aviez demandé à vous rencontrer avec votre Père et Pasteur, Nous n'avons pu Nous dispenser d'accueillir votre désir. Vous venez en effet d'une région qui Nous est particulièrement chère, non seulement parce que des aides matérielles lui sont nécessaires pour être soutenue dans l'effort quotidien et généreux tendant à l'amélioration de ses conditions générales, mais, surtout, parce qu'elle a besoin d'aides morales, d'aides spirituelles, étant particulièrement exposée aux embûches des forces du mal.

Malheureusement la rencontre sera brève à cause du peu de temps dont Nous pouvons disposer à présent ; mais elle servira tout de même à vous redire avec combien d'affection Nous suivons votre sort, Nous réjouissant de vos joies, ressentant vos anxiétés et souffrant de vos douleurs. Nos simples paroles veulent être avant tout une expression de félicitations pour le chemin parcouru dans le développement de votre travail ; et ensuite d'exhortation pour vos âmes.



L'importance pour l'Italie des Etablissements ILVA.

X, — La sidérurgie — ou métallurgie du fer — commença à être pratiquée dès les temps les plus reculés, mais ce n'est que les cent dernières années que l'on a pu assister aux plus rapides et plus grands progrès que déterminèrent, entre autres, l'extension accrue des emplois du fer et l'augmentation imposante de la production ; puis, dans des temps récents, s'est ajoutée la large utilisation des sous-produits.

Comme Nous avons pu le noter d'après le matériel qui Nous a été courtoisement envoyé, votre centre industriel est le plus grand d'Italie dans ce secteur et occupe un poste de primauté nationale par l'activité continue de ses quinze Etablissements, tous affectés non seulement aux productions fondamentales et typiques de la sidérurgie, mais aussi à une série multiple et variée de productions successives. La tendance originelle a été celle de la production de l'acier ; mais, dans l'après-guerre, elle a donné de plus en plus la préférence au procédé dit « à cycle intégral », qui part directement du minerai, plutôt qu'à celui « de la charge solide », dans lequel la ferraille a une grande part. C'est à cette tendance accrue, que 1TLVA et sa production doivent d'avoir reçu l'appréciation de la Haute Autorité de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier dans le cadre de sa politique concernant les buts généraux de la production sidérurgique.

Votre cadre économique est sain, comme le démontre également l'augmentation croissante de l'exportation, due à l'intelligence et à la ténacité, avec lesquelles vous avez surmonté les difficultés et atteint un degré encourageant d'efficience. Cette condition vous permet de regarder aujourd'hui avec une confiance sereine, l'avenir des entreprises et du personnel.

A Bagnoli, au bord de la mer, sur la plage de Coroglio, fonctionne activement le plus grand Etablissement de 1TLVA, l'unique centre sidérurgique italien qui produise de l'acier Thomas. Le travail est basé sur un cycle sidérurgique intégral, qui va du minerai à la fonte liquide et à l'acier, et tout fait prévoir que le potentiel de production augmentera notablement de degré par suite de nouveaux travaux d'agrandissement et de développement.

Comme le veulent les justes critères naturels et plus encore les normes chrétiennes, des efforts considérables n'ont pas manqué, visant à la sécurité physique des travailleurs, à la création et à l'établissement de relations humaines entre supérieurs et employés, à la juste rétribution des prestations, ainsi qu'à la garantie d'assurances à l'égard des accidentés, des invalides et de ceux qui quittent l'entreprise atteints par la limite d'âge.



La technique ne doit pas s'opposer au développement de la vie divine, chez l'ouvrier.

2. — Mais l'important progrès accompli et, en conséquence, les améliorations économiques obtenues pour vous et pour vos familles ne seraient certainement ni complets ni authentiques, s'ils ne s'accompagnaient de la conservation nécessaire et du développement convenable de la vie divine dans vos âmes. Comme nous l'avons dit en d'autres occasions, Notre intention n'est pas d'entrer ici dans les détails « techniques » des problèmes concernant le traitement humain et chrétien des travailleurs ; mais, aujourd'hui encore, tout en Nous gardant de vous indiquer des buts irréalisables qui pourraient engendrer tout d'abord l'illusion, puis inévitablement, la désillusion, Nous avons le devoir d'avertir que rien ne doit être omis dans le but de rendre sûr et serein votre travail, plus d'une fois particulièrement malaisé et dangereux.

Le Pape — vous le savez — représente le Verbe de Dieu incarné sur la terre. Ses pensées doivent donc être les pensées de Jésus ; ses volontés les volontés de Jésus ; ses actions les actions de Jésus. Or, Jésus est venu sur la terre, afin que les âmes aient la vie divine et l'aient en abondance : ut vitam habeant et abundantius habeant (Jn 10, io). Nous devons Nous aussi, chers fils, consacrer Notre vie à la réalisation de cette fin ; Nous devons Nous en occuper, Nous devons être dans l'anxiété à ce sujet ; Nous devons parfois élever la voix pour cela. Nous éprouvons ces sollicitudes pour tous les fidèles de toute catégorie et de toute condition : tous sont Nos fils bien-aimés, parce que tous sont rachetés par le sang du Christ, tous exposés aux embûches de Satan, ennemi du Christ et des hommes. Mais vous n'ignorez pas que vous êtes l'objet d'une ténacité particulière. Le monde du travail dans son chemin ardu vers de justes buts, est malheureusement l'objet d'embûches continuelles de la part de ceux qui disent qu'ils veulent votre bien, mais en réalité vous mettent dans le cceur une agitation inconsidérée, de la haine envers vos semblables, ainsi que le désir de la subversion et du bouleversement. On cherche en particulier à rendre toujours moins consistantes, toujours moins évidentes à votre pensée la réalité de votre esprit, ses exigences et ses aspirations. Il y en a qui nient la lumière de l'Evangile ; d'autres qui, sans nier la lumière, ferment les yeux devant elle et excluent son influence dans leur vie pratique.

Nous ne savons pas, chers fils, si parmi vous ici présents il y a quelqu'un à qui manquent malheureusement la lumière et la vie de Dieu ; s'il en était ainsi, et spécialement parce que nous sommes en temps pascal, Nous voudrions l'inciter avec une sollicitude affectueuse à s'adresser à Jésus ressuscité. Qu'il dise ainsi : « O Seigneur, qui êtes vraiment ressuscité d'entre les morts, faites que mon âme revienne elle aussi à la vie. O Jésus, qui une fois ressuscité n'êtes plus sujet au pouvoir de la mort, faites que moi aussi, ayant retrouvé la vie divine, je ne doive plus jamais la perdre. O Jésus, qui avez rendu manifeste à beaucoup votre résurrection, faites que moi aussi, ressuscité dans l'esprit, j'apparaisse tel à tous ceux qui me connaissent et qui m'aiment ; faites que je puisse contribuer à les ébranler, à les entraîner sur la voie du bien ».

A ceux au contraire, et ils sont certainement tant parmi vous, qui se trouvent déjà sur la bonne voie, Nous adressons une exhortation chaleureuse afin que, non contents de la vie qu'ils possèdent, ils cherchent par tous les moyens à l'accroître et à la donner à d'autres, en la multipliant autant que possible.

Il Nous semble que la prière de l'Eglise dans la liturgie d'aujourd'hui se présente avec opportunité.

« O Dieu — ainsi avons-Nous prié à la Sainte Messe — accordez à votre peuple d'aimer ce que vous commandez et de désirer ce que vous promettez ; afin qu'au milieu de la fluctuation des choses mondaines nos coeurs demeurent fixés là où se trouvent les vraies joies 2. »

2 Oraison de la messe du IVe dimanche après Pâques.


Heureux ceux qui marchent selon la loi du Seigneur !


a) Que le Seigneur vous accorde avant tout d'aimer ce qu'il commande. Parfois il vous semblera qu'il veuille pour ainsi dire vous contraindre par ses lois, comme par autant de liens, capables seulement de vous empêcher la marche et tout autre mouvement. Il n'en est pas ainsi, chers fils. La loi de Dieu est la voie, sur laquelle, comme sur une route débarrassée d'obstacles, vous pourrez avancer rapides et heureux. « Heureux — chante le Psalmiste — ceux dont la vie est irréprochable, qui marchent suivant la loi du Seigneur ! » (Ps 118,1).

b) Cette loi de Dieu sera plus facilement aimée, sera même encore plus profondément gravée dans vos coeurs lex tua... in praecordiis meis (Ps 39,9), si vous savez regarder le ciel et, entrevoyant dans la mesure où c'est possible à des créatures humaines éclairées par la foi ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (1Co 2,9), si vous entretenez le vif désir de ce qui fait l'objet final de notre espérance : la vie dans la lumière éternelle, dans l'amour éternel, dans la joie éternelle. Parce que cette vie de lumière, d'amour et de joie vous attend seulement à l'extrémité de la route sur laquelle vous marcherez « irréprochables » (Ps 118,1), c'est-à-dire en aimant et en suivant les lois du Seigneur.

En marchant, vous trébucherez peut-être et vous pourrez même tomber : mais alors vous devrez vous relever aussitôt et reprendre toujours le chemin ; soyez soutenus par la confiance qu'il y aura pour vous, après les sacrifices et les privations, la récompense d'un Paradis de délices. En effet, il n'y a pas de proportion entre ce que l'on doit souffrir dans le temps présent et la joie future dans l'éternité (Rm 8,18). N'écoutez donc pas ceux qui, niant ces espérances immortelles, assimilent leur sort, votre sort, à celui des animaux sans âme, en proclamant que pour l'homme aussi tout finit ici-bas.

Chers fils, levez les yeux vers le ciel. Certainement pas pour oublier la terre, ni pour négliger la vie, ni pour renoncer à l'action : regardez l'éternité pour donner au temps son exacte valeur ; considérez l'esprit pour évaluer justement la matière ; méditez sur la fin pour apprendre le juste usage des moyens. L'éternel, l'esprit, la fin suprême, la vraie joie, la félicité ne sont pas soumis à des changements faciles. Il est nécessaire d'y tenir vos pensées fixées, d'y attacher vos coeurs.

Alors votre travail, votre pénible travail, vous apparaîtra sous une nouvelle lumière. Il vous apparaîtra comme un acte d'obéissance à Dieu, comme un service de Dieu, comme un amour envers lui, comme une prière. Il vous apparaîtra comme un service du prochain, comme un amour du prochain. Travailler ainsi sera pour vous une marche sur la terre pour arriver au ciel.


Pie XII 1958 - ACADÉMIE DE FRANCE À ROME