Catéchèses Paul VI 17018

17 janvier 1968 : FRATERNITE CHRETIENNE ET SOLIDARITE HUMAINE DANS L'EPREUVE

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Le 16 janvier un violent séisme ravageait toute une partie de la Sicile Occidentale. Le Saint-Père évoque cet événement et les réactions chrétiennes qu'il doit inspirer à chacun.



Chers Fils et Chères Filles,


Nous Nous devons, aujourd'hui, d'évoquer le tremblement de terre qui a dévasté une partie importante de la Sicile, y faisant des centaines de victimes, des milliers de blessés, des dizaines de milliers de sans-abri, bouleversant la vie d'agglomérations tout entières et répandant l'épouvante, la compassion, la douleur, non seulement dans l'île, mais dans toute la nation italienne. Nous partageons Nous aussi la peine de tous, devant un si grand désastre. Nous sommes avec tous ceux qui souffrent, avec ceux qui apportent leur secours et leur réconfort et Nous y sommes de tout Notre coeur. Le coeur du pape est comme un sismographe qui enregistre les épreuves du monde ; il souffre avec tous, pour tous ; et il se doit encore davantage à ces chers et pauvres gens, proches de lui géographiquement et spirituellement. Les paroles de l'Apôtre résonnent dans Notre coeur : « Qui est souffrant sans que je souffre aussi » (
2Co 2,29).


Solidarité ecclésiale dans l'épreuve


Mais pourquoi vous dire cela, Chers visiteurs ? Parce que vous êtes venus Nous voir pour Nous connaître un peu de près, pour regarder dans Notre coeur et lire dans Nos sentiments les sentiments de l'Eglise. Eh bien, en s'exprimant ainsi, l'Eglise manifeste un aspect fondamental de sa Constitution, celui qui la définit comme une « communion » ; c'est-à-dire une société semblable à un corps, dans laquelle — toujours selon saint Paul — « si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » (1Co 12,26). Ainsi est l'Eglise, une société dont la charité est le principe vital, la loi de ses sentiments et de ses actes ; et il ne doit pas vous déplaire qu'une vérité si grande, si originale, et si chrétienne vous soit rappelée ici.

Et Nous vous parlons encore ainsi pour trouver un réconfort dans ce malheur, en constatant que les manifestations de bonté et de fraternité se sont multipliées, tout de suite et de la part de tous, autour de ces populations affligées: de la part des autorités civiles d'abord, et puis de tous ceux qui ont la possibilité d'apporter quelque secours. Nous les en félicitons Nous-même qui, malgré la limite de Nos moyens, n'avons pas voulu Nous abstenir d'accomplir un devoir que les proportions mêmes du désastre rendent commun à tous. Cette grande affliction Nous a confirmé, par de nouveaux signes, la sensibilité humaine et chrétienne d'un peuple qui, dans les grandes épreuves, manifeste plus que jamais son unité spirituelle et sa prompte générosité ; et Nous ne doutons pas que, vous aussi, avec la compassion des âmes nobles, vous ne vouliez faire quelque chose pour soulager généreusement ceux qui souffrent et pleurent.


Souffrance transcendée et féconde


Et Nous avons ainsi l'occasion de vous rappeler que l'incompréhensible fatalité de semblables catastrophes ne doit pas être un motif de rébellion intérieure contre la conception d'un ordre bon et sage qui survit à notre vie éphémère et fragile. De tels événements doivent, au contraire, nous inciter à toujours bien employer cette vie, et à découvrir dans la souffrance une source de grandeur supérieure et de rédemption transcendante. Pour le chrétien tout peut servir au bien. Affirmer ce mystérieux optimisme ne veut pas dire que nous soyons artificiellement insensibles ou sottement stoïques devant la tragédie de certaines situations angoissantes de l'existence humaine, mais que notre coeur s'ouvre pour comprendre cette tragédie, la partager et la consoler. Notre enseignement nous vient de la croix.

Ainsi, en ayant une pensée affectueuse et une prière fraternelle pour les victimes du tremblement de terre de Sicile, mortes ou vivantes, et pour tous ceux qui, dans le monde entier, souffrent et meurent, notre coeur s'enrichira d'un sentiment chrétien, lourd de bonté et de grandeur, que Nous voulons encourager et valoriser par Notre Bénédiction Apostolique.


Salutations:


Nous voudrions maintenant dire un mot de spéciale bienvenue au groupe de pèlerins du Vietnam, de passage à Rome avant de se rendre aux sanctuaires de Lourdes et de Fatima.

Chers fils et filles de l’archidiocèse de Saigon, vous savez combien votre noble patrie est proche de Notre coeur, combien de fois aussi, surtout au moment où Nous avons célébré la venue sur terre du «Prince de la Paix», Nous avons exprimé l’espoir que la paix tant désirée soit enfin rendue à votre pays. C’est en renouvelant cet espoir et en exhortant encore une fois tous ceux qui président aux destinées des parties en conflit de mettre un terme aux horreurs de la guerre, que Nous vous bénissons de grand coeur et étendons cette faveur à tous les vôtres, à vos compatriotes et à toutes les populations éprouvées du Vietnam.



24 janvier 1968 : LA RENCONTRE OECUMENIQUE SE FERA DANS ET PAR LA CHARITE

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A l'occasion de la Semaine de prières pour l'Unité, le Saint-Père développe l'indispensable rôle de la Charité dans la rencontre et le dialogue oecuméniques.



Chers Fils et Chères Filles,


Nous aussi, en cette semaine consacrée à la réflexion et à la prière pour l'union des chrétiens dans l'unique Eglise du Christ, Nous vous dirons un mot, simple et bref, sur ce problème de l'oecuménisme qui a pris d'immenses proportions dans les études, les paroles, l'activité des catholiques et des autres frères un mot jailli de l'intimité de Notre vie spirituelle personnelle ; une confidence de père à ses fils que vous êtes, vous qui venez à Notre audience hebdomadaire.


L'oecuménisme, aliment de charité


Nous vous dirons que ce mouvement oecuménique a été pour Nous un stimulant très fort et — Nous l'espérons — très bienfaisant pour la charité, cette vertu qui est la reine de tout le système moral chrétien, qui résume aussi la mission pastorale envers toute l'Eglise et toute l'humanité, selon le charisme et selon le mandat confiés par le Christ à Pierre, et donc à Nous aussi, son indigne mais authentique successeur.

Qu'on ne croie pas que parler d'un accroissement de charité dans le coeur du Pape soit une formule banale de rhétorique ou que cela porte tort à cette plénitude de charité présupposée et requise par son office même de « presidens in charitate », reconnu à l'Eglise de Rome, dès le début du second siècle, par saint Ignace d'Antioche. Nous avons toujours médité sur le fait que le Christ a demandé (dans le célèbre passage du dernier chapitre de l'Evangile de saint Jean) à Simon-Pierre — non pas une fois mais trois fois — s'il l'aimait, si même il l'aimait plus que les autres disciples (
Jn 21,15 et s.), comme pour indiquer la possibilité et la nécessité d'un progrès dans l'amour que lui devait l'Apôtre qui avait été choisi pour paître le troupeau du Seigneur. Personne ne peut dire qu'il aime assez Jésus-Christ, et moins que quiconque celui que par un mystérieux dessein il invite et stimule à l'aimer, plus que tout autre.


Une séparation longue et douloureuse


Voilà pourquoi Nous croyons louer le Seigneur en disant qu'il Nous a semblé que Nous grandissions dans la charité en étudiant et en expérimentant l'oecuménisme tel que le récent Concile nous l'a enseigné. Chacun sait que notre oecuménisme est d'abord une question de charité : de charité envers ces frères qui portent déjà le nom de chrétiens et nous sont unis par la régénération commune d'un même baptême et par la profession de certaines vérités fondamentales de la foi, mais qui sont cependant différents de nous parce que nous ne nous identifions pas complètement dans l'intégrité d'une même foi comme cela serait nécessaire, et que, en conséquence, nous ne participons pas d'une façon unitaire et parfaite à la communion de l'unique Eglise.

Les origines de ces déchirements et de ces séparations, les controverses doctrinales et pratiques qui en découlèrent, la crainte que l'accoutumance à parler et à vivre ensemble n'engendrât la confusion des idées et n'aboutît à l'indifférence religieuse, ainsi que tant d'autres raisons, accrurent tellement la méfiance et la polémique, de part et d'autre, que la charité était devenue impossible, sinon dans le coeur et dans le désir, du moins dans sa manifestation pratique sous forme d'un effort de réconciliation collective. Les positions respectives des catholiques et des frères séparés ont été pendant longtemps étudiées plus pour se défendre et s'affirmer différents que pour se rapprocher et se rejoindre. La charité manquait.

Et la charité manquait aussi parce qu'on était convaincu qu'elle ne suffisait pas pour produire cette union complète qui doit avoir pour fondement une foi égale et une adhésion concrète à cette communauté visible et organique, méritant pleinement d'être appelée Eglise du Christ. Nécessaire, insuffisante à elle seule pour rétablir l'union, la charité reste encore timide et incertaine dans ses expressions oecuméniques envers les frères séparés, avec lesquels nous voudrions sincèrement rétablir des rapports de pleine unité. Mais elle est nécessaire, primordiale et essentielle pour se mettre sur la bonne voie conduisant vers la solution, toujours complexe et difficile, du problème oecuménique, dans le sens que nous estimons unique et nécessaire.

Et c'est la raison pour laquelle nous voulons faire de l'oecuménisme conciliaire un exercice nouveau, original et généreux de charité. En réalité un tel exercice exige humilité, générosité, mortification de l'égoïsme personnel, renoncement au prestige propre, amour vigoureux ; et tout cela à quel degré ! Nous le disons pour Nous, et Nous le disons également pour tous ceux, pasteurs et fidèles, qui ont à coeur le rapprochement avec ces frères séparés que nous avons fini par appeler nos frères très chers. Ces paroles de saint Paul résonnent sans cesse dans nos coeurs : « La charité est patiente ; la charité est serviable ; elle est sans envie ; la charité est sans jactance et ne se fait pas valoir ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal, etc. » (1Co 13). Paroles belles mais fortes qui exigent un changement dans notre psychologie et un renouvellement de notre énergie morale.


L'heure de la charité ?


Il Nous faut dire maintenant que Nous commençons à éprouver la joie que la charité porte en elle. Quelle joie pour Nous de lever le regard vers les champs des Eglises et Communautés chrétiennes séparées de Nous, de pouvoir les contempler, aujourd'hui plus que jamais, avec amour, avec le nouvel amour que l'Esprit-Saint répand sur l'humanité qui adhère au Christ, de pouvoir dire enfin à tous ces frères que Nous, oui Nous, le Pape de Rome, Nous les aimons, Nous les estimons et les bénissons ; et quelle joie de voir que de ces champs « qui déjà blondissent pour la moisson » (Jn 4,35), de toute part Nous parviennent des messages d'amitié, de bonté, d'espérance, qui font battre Notre coeur d'émotion et de reconnaissance.

Charité, charité! Serait-ce ton heure ? Fils très chers, faisons tous en sorte d'être dignes d'en préparer les voies. Prions, aimons, travaillons pour que la charité soit dans nos coeurs et puisse opérer le prodige de son triomphe ! Apportons à l'oecuménisme catholique l'attention et l'adhésion qu'il mérite ; relisons et méditons le dernier article du décret conciliaire sur l'oecuménisme (UR 24) et faisons nôtre son programme. Que le Seigneur nous bénisse tous !





31 janvier 1968 : L'AME DE TOUT APOSTOLAT

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Chers Fils et Chères Filles,


Nous sommes obligés de Nous répéter ; Notre pensée, suivant un fil conducteur, peut sembler parcourir un chemin monotone, même si elle progresse.

Permettez-Nous donc de revenir, une fois encore, sur cette affirmation de principe, confirmée par le Concile, selon laquelle tout chrétien doit être apôtre ; tout fidèle doit être membre actif de l'Eglise ; tout laïc catholique a le droit et le devoir de rendre témoignage du royaume de Dieu et de travailler à son extension.


Devoir du témoignage pour tout chrétien


Personne, aujourd'hui, ne peut contester ce critère de la vie chrétienne. En ce moment historique précisément, où le sentiment religieux s'affaiblit et s'éteint dans de larges couches de la population, où la sécularisation, le laïcisme, la négation de Dieu, sans références ultérieures ou supérieures, semblent choses acquises dans la mentalité moderne, l'Eglise non seulement se présente au monde dans la plénitude de sa conscience religieuse, dans la ferveur du renouveau de sa foi religieuse, de son authenticité évangélique, de sa structuration hiérarchique et communautaire, mais encore elle exige que chacun de ses fils lui soit uni dans la totalité d'une nouvelle fidélité, celle du rayonnement apostolique. Cette mobilisation générale des forces chrétiennes, à laquelle l'Eglise du Concile a donné une forme officielle, pourrait apparaître comme une réaction paradoxale, presque illusoire ou téméraire. Et il en est bien ainsi, en réalité. L'Eglise s'est mise « en état de mission », pour employer une expression utilisée par le cardinal Suenens, dans un livre paru peu avant le Concile. C'est bien ce qui apparaît à l'observateur de la vie apostolique, animant les membres de l'Eglise depuis plus d'un siècle ; c'est bien ce qui apparaît à celui qui accepte la voix du Concile et voit en elle l'épilogue de l'expérience spirituelle et de l'histoire vécues par l'Eglise en notre temps, et — dans le même moment — le début d'une nouvelle période spirituelle et historique du catholicisme, celle du siècle prochain ; c'est bien ce qui apparaît à qui est attentif aux signes des temps et écoute « ce que l'Esprit dit aux Eglises » (
Ap 2,6).

Ici, deux questions se posent. A la première, chacun répondra dans le silence de sa conscience : si nous considérons la réalité concrète de notre vie, dans quelle mesure cette doctrine théorique et pratique nous influence-t-elle personnellement ? C'est-à-dire : comment répondons-nous effectivement à la vocation à l'apostolat qu'aujourd'hui l'Eglise adresse à chacun de ses fils, à tout laïc qui veut lui être fidèle ?


L'obstacle de la timidité


Et voici la seconde question : quelles sont les racines intérieures de l'apostolat ? Cette question n'est pas nouvelle, mais elle est toujours d'actualité. L'apostolat exige une psychologie et une formation. Ce ne sont pas là des réalités faciles, pouvant se réduire à une attitude extérieure ou à un conformisme, cédant à une mode sociale. L'apostolat est difficile, intérieurement plus encore qu'extérieurement. Le premier et grand obstacle auquel il se heurte est la timidité, l'inexpérience, le légitime respect humain qui retient de parler de ce que l'on ne connaît pas bien ou que les autres connaissent mieux que nous, qui pousse à prendre devant autrui des attitudes qui ne seraient pas naturelles ou opportunes, de sorte qu'au lieu d'être édifiés et convaincus, ils pourraient rire d'un zèle maladroit ou intempestif.

Certains, comme par instinct, aiment s'exposer en public. L'art d'exposer ses propres idées est devenu assez commun dans le milieu sociologique moderne. Les vocations aux professions, dites des communications sociales, où l'on s'adresse au public, se multiplient. Mais abstraction faite du danger que cette facilité de s'adresser au public devienne un métier, et qu'on la mette au service d'une cause qui ne mérite pas un véritable dévouement, et tout en accordant l'estime qui lui est due à cette facilité d'exprimer sa pensée, soit par la parole soit par l'écriture, nous devons reconnaître qu'elle n'est pas le privilège de tout le monde. Souvent il s'agit plus d'un don naturel que d'une qualité acquise, même s'il est toujours vrai que « l'on naît poète mais on devient orateur ». Et la question qui nous intéresse, en ce moment, est précisément de savoir comment on devient orateur et, dans notre cas, comment on devient apôtre.

Les réponses sont diverses et intéressantes. L'histoire de l'Eglise est remplie de magnifiques exemples, où des âmes peu douées, timides et réticentes au dynamisme de l'apostolat, se sont métamorphosées au point de devenir des ouvriers de l'Evangile courageux, perspicaces, persévérants et intrépides. N'en voyons-nous pas un exemple caractéristique chez les premiers apôtres, que Jésus avait appelés à prêcher son Royaume et à répandre son Eglise dans le monde ? Et ne trouvons-nous pas dans l'hagiographie catholique de multiples confirmations de cette prodigieuse possibilité, qui, par la vertu divine, fera que les pierres mêmes crieront la royauté messianique du Christ ? (cf. Lc 19,40).


L'âme de tout apostolat


La réponse à Notre question : « comment devient-on apôtre ? » est du reste déjà donnée par une abondante littérature ascétique. Rappelons-nous seulement l'ouvrage célèbre de Dom Chautard : l'Ame de tout apostolat, encore actuel dans ses affirmations fondamentales qui nous portent à rechercher les racines intérieures de l'apostolat extérieur. L'apostolat est un phénomène de débordement spirituel et personnel : par l'exemple, la parole, l'action, on déborde de soi-même sur le monde extérieur et le milieu social. On ne peut pas être vraiment apôtre si l'on n'a pas une vie intérieure personnelle, profonde et ardente.

Le Concile nous le dit (cf. Ap. Act. AA 4, etc.). Ici, Nous pourrions faire de longues considérations. Nous Nous bornerons à certains points très brefs. Pour être apôtres, comme l'Eglise veut qu'aujourd'hui nous le soyons tous, laïcs y compris, il faut aimer passionnément Jésus-Christ, l'aimer personnellement, en vérité et en plénitude. L'apostolat est un amour qui déborde, qui éclate, qui se répand en témoignages et en actions. Comment cela se réalise-t-il ? Par l'action, l'impulsion et la grâce du Saint-Esprit qui jaillit de l'intimité de la parole de Dieu, écoutée, méditée et vécue. Et enfin l'apostolat découle de la force mystérieuse du « mandat » de l'Eglise. On ne peut pas être apôtre de son propre mouvement, si l'on n'a pas reçu, sous une forme quelconque, mandat de l'autorité de l'Eglise, mandat qui oblige et rassure.

Lorsque ces conditions se réalisent dans une âme, l'apostolat devient facile et victorieux. Elles sont les racines où il trouve son origine et puise sa force.

Nous vous le rappelons, bien que vous le sachiez déjà ; Nous vous le recommandons, afin que chacun, selon vos possibilités, vous soyez vraiment des apôtres du Christ dans l'Eglise de Dieu et dans le monde moderne, avec Notre Bénédiction Apostolique.






7 février 1968 : L'APOSTOLAT COLLECTIF : MEILLEURE FORME DU TEMOIGNAGE

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Chers Fils et Chères Filles,



Une des lumières que le Concile projette sur l'Eglise, Nous l'avons déjà répété, c'est la vocation de tout fils fidèle de l'Eglise à répandre sa foi, sa vitalité chrétienne, sa plénitude intérieure qui lui vient de son insertion dans le Corps Mystique du Christ ; c'est sa vocation à l'amour du Royaume de Dieu, à ce témoignage religieux et moral qui dépasse sa personnalité, à ce besoin de communiquer aux autres le trésor de vérité et de grâce qu'il possède. Et cette vocation, nous l'appelons aujourd'hui communément : apostolat. Le laïc, quelle que soit sa condition, est appelé lui aussi à cette prise de conscience, à cette activité. Il convient d'insister sur ce principe parce que c'est de lui que découle, en grande partie, le renouveau, le progrès que le Concile a voulu apporter à l'Eglise. L'apostolat n'est pas seulement une manifestation extérieure ou sociologique. C'est une exigence intérieure, spirituelle, qui tire sa raison d'être du mystère même de l'Eglise à laquelle le chrétien appartient. Mais comment cette exigence s'exprime-t-elle et se réalise-t-elle ? Sous deux formes fondamentales, comme nous l'avons déjà dit : l'une individuelle, l'autre organisée (cf. Ap. Act. n.
AA 15 s.).

Nous vous invitons à fixer un peu votre attention, aujourd'hui, sur cette seconde forme d'apostolat : l'apostolat organisé.


Les objections faites à l'apostolat organisé



Ce qualificatif suscite ordinairement un sentiment de défiance, de répulsion, et parfois même d'ennui. Entrer dans une organisation ne plaît pas à tous. Beaucoup préfèrent demeurer libres. Se mettre en cercle ou en file, avec d'autres pour faire de l'apostolat, déplaît facilement. Si cependant on accepte de le faire ou de le subir au nom d'un idéal, on éprouve assez communément l'impression que cet idéal devient prosaïque, qu'il perd de son élan, tourne au formalisme ou à la contrainte, se dilue dans des formes conventionnelles, pédantes et pesantes ; on a l'impression que l'on crée de la bureaucratie, des hiérarchies, de l'extériorité, toutes choses qui, bien souvent, ne plaisent pas. L'apostolat organisé apparaît comme un appareil encombrant, sans spontanéité ni génie, qui parfois s'intéresse davantage à l'organisation en elle-même qu'à ses fins essentiellement apostoliques, recherchant le nombre, la puissance, sans paraître répondre au goût de notre temps. Voilà ce que l'on dit. Et en retournant ces objections dans leur esprit, beaucoup refusent de s'inscrire, d'adhérer à des formes d'apostolat tant religieux que caritatif, moral et social, en disant qu'ils préfèrent le bien qui ne fait pas de bruit, mais qui, en réalité, ne comporte ni peine ni discipline, ni engagement ni ennui.

Un tel état d'esprit présente des aspects dignes de respect et de considération, soit parce qu'il revendique la légitimité de l'apostolat individuel, soit parce qu'il refuse les défauts que l'apostolat collectif peut engendrer...

Mais soyons sincères, n'est-ce pas sous la forme organisée que toute activité naturelle se développe et s'affirme ? « L'homme est sociable par nature », rappelle le Concile (ibid. n. AA 18). Mais ce qui compte le plus pour nous, c'est le fait que, « l'apostolat organisé correspond bien à la condition de la nature humaine et chrétienne des fidèles ; il présente en même temps le signe de la communion et de l'unité de l'Eglise dans le Christ qui a dit: « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 18,20). C'est pourquoi les chrétiens exerceront leur apostolat en s'accordant sur un même but. Qu'ils soient apôtres, tant dans leurs communautés familiales que dans les diocèses qui expriment, en tant que tels, le caractère communautaire de l'apostolat ; qu'ils le soient aussi dans les groupements libres, au sein desquels ils auront choisi de se réunir. L'apostolat organisé est aussi très important parce que souvent, soit dans les communautés ecclésiales, soit dans les divers milieux de vie, l'apostolat requiert une action d'ensemble » (Ibid. n. AA 18).



L'amitié dans l'apostolat


Nous estimons qu'il n'est pas nécessaire d'en dire davantage sur ce point, parce que, au fond, tout le monde est convaincu que pour accomplir un apostolat qui ne soit pas purement occasionnel et privé, il faut se grouper avec d'autres personnes ayant les mêmes sentiments. Voilà pourquoi l'amitié, entendue comme une façon de faire le bien, peut être un excellent apostolat ; notamment parce que l'amitié se fonde sur des affinités spirituelles spontanées qui procurent agrément et ferveur, excitent l'imagination et facilitent les tentatives d'apostolat que, peut-être, de soi, personne n'oserait entreprendre. Cet apostolat par l'amitié, Nous le recommandons comme une méthode, comme une formation à la charité conquérante et doublement bienfaisante, pour qui l'exerce et en reçoit les fruits; Nous le recommandons aussi comme une interprétation authentique de cette charité.

Combien de bonnes oeuvres sont nées ainsi ! Les Conférences de Saint-Vincent de Paul, par exemple, n'ont-elles pas eu cette origine ? Et combien de familles religieuses qui ont vu le jour, à partir d'un petit groupe d'amis ! Nous en avons un exemple remarquable avec la Compagnie de Jésus. Et combien d'Instituts religieux et séculiers modernes ont une origine analogue ! Certaines institutions, aujourd'hui célèbres et en plein essor, ne retournent-elles pas à l'inspiration première de leur fondation, c'est-à-dire à de petits groupes associés dans la charité et le désir de servir la cause du Christ ? Leurs vertus communautaires ont fait leur force et leur succès, elles ont donné à l'apostolat catholique une fécondité surprenante. Nous les observons avec satisfaction, Nous les encourageons et Nous les bénissons.


La tentation de fractionner l'Eglise


La multiplicité de ces institutions révèle combien est grande la liberté d'initiative au sein de l'Eglise et quelle richesse de choix s'offre au fidèle de bonne volonté, désireux d'exercer son apostolat sous une forme qui lui plaise, en compagnie de frères qui lui sont proches à divers titres : esprit, goût, langue, méthode, connaissance personnelle, expérience. Ce particularisme, ces préférences comportent un pluralisme que l'Eglise permet et protège (cf. ibid. n. AA 19). Ils ne doivent pas cependant se traduire en égoïsme spirituel, ils ne doivent pas conduire à regarder d'en haut les autres groupes ou l'ensemble des fidèles, mais ils doivent être éclairés et guidés par le « sens de l'Eglise », par l'amour envers tous les frères, par le devoir de l'unité hiérarchique et communautaire propre à l'Eglise catholique. La tentation de fractionner l'Eglise en partis, en cénacles clos, en groupes antagonistes, en sociétés secrètes, en factions autonomes, est aussi ancienne que le christianisme. Celui-ci est toujours menacé d'altérer, et même d'oublier ce qui le constitue, c'est-à-dire l'association dans la même foi et dans la même charité. Saint Paul ne l'écrivait-il pas aux Corinthiens dès les premières années de l'Eglise naissante (EN 57) ? : « Je vous en prie, frères..., qu'il n'y ait point parmi vous de divisions ; soyez étroitement unis dans le même esprit et dans la même pensée ... Chacun de vous dit : « Moi, je suis à Paul » — « Et moi à Apollo » — « Et moi à Céphas » — Et moi, conclut Saint Paul, au Christ » (1Co 1,10-12).

Et, en vous rappelant ces paroles, Nous vous bénissons tous cordialement.






14 février 1968 : ACTION CATHOLIQUE ET HIERARCHIE

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Chers Fils et Chères filles,



Parlons de l'apostolat, de l'apostolat des laïcs, de cette vocation qu'aujourd'hui l'Eglise veut éveiller dans la conscience de chaque fidèle, de chacun de ses fils, et notamment de ceux qui n'ont pas été appelés au sacerdoce ou à la vie religieuse, mais simplement à être de bons chrétiens, vivant dans le monde, de ces chrétiens que nous appelons « laïcs ». A ces fils, l'Eglise adresse un appel qui est conforme tant à leur caractère laïc qu'à leur caractère chrétien : l'appel à témoigner, à militer en qualité de baptisés et de confirmés, à servir la cause de Dieu, à collaborer à la mission apostolique qui est propre à la hiérarchie de l'Eglise. Avez-vous entendu cet appel, très chers fils ? Il ne comporte pas seulement des devoirs, mais aussi des droits, une dignité, des fonctions. Il confère à la personnalité du chrétien, également au laïc, une plénitude d'adhésion qui a une double vertu : d'abord parfaire, sanctifier, et ensuite transmettre aux autres, aux frères proches ou lointains, tel ou tel don du Royaume de Dieu, comme l'attrait du bien, l'amour de l'Eglise, une foi vivante, la compréhension des besoins des autres et le désir d'y subvenir.



L'apostolat non organisé


Les formules selon lesquelles s'exprime cet appel sont nombreuses, et, en conséquence, nombreuses aussi les formes selon lesquelles on peut y répondre. Nous l'avons déjà dit, ces formes se multiplient, de nos jours. Un peu partout, on voit apparaître des groupes, qui se disent non organisés, c'est-à-dire sans lien précis d'association, réunis par des affinités tenant au milieu de vie et par une volonté spontanée d'agir sur le plan chrétien. Leurs résultats sont souvent très beaux et très généreux, mais ils restent indépendants de la communauté ecclésiale ; parfois ils éprouvent quelque réticence à s'associer à des structures présidées par l'autorité de l'Eglise. A ces mouvements libres qui se consacrent au bien, à la culture, à l'apostolat, on doit reconnaître des mérites particuliers, entre autres celui de favoriser l'expression innée de certaines catégories ; d'apprendre spécialement aux jeunes à s'affirmer sur le plan moral et spirituel, en dépassant les limites souvent étroites, confortables et attrayantes de l'égoïsme, de l'Esprit grégaire, de l'indifférence à l'égard de la grande et suprême cause du Royaume de Dieu. Si l'esprit de critique envers les frères et envers les pasteurs de la communauté ecclésiale n'isole, n'annihile ou ne déforme ces groupes, ils peuvent, eux aussi, servir la cause catholique. C'est dans cette confiance et en formant ce voeu, que Nous leur exprimons Notre affectueuse sympathie et que Nous les bénissons.



Actualité renouvelée de l'Action Catholique


Mais Nous ne pouvons pas ne pas dire que le degré d'authenticité et d'efficacité de l'apostolat des laïcs (Nous parlons, en ce moment de la forme que revêt cet apostolat, non de la qualité des personnes qui l'exercent) se mesure aujourd'hui dans l'Eglise d'une façon précise par son lien avec la hiérarchie de l'Eglise, cette hiérarchie à qui revient la responsabilité première et suprême de l'apostolat, la fonction pastorale première et suprême, en vertu de laquelle un frère est constitué guide et maître de ses frères, celui qui leur dispense les mystères sacrés. Dans le plan du salut, l'instrument premier et qualifié de l'apostolat qui reçoit du Christ son autorité et ses charismes, c'est l'évêque : il est l'apôtre par excellence, parce qu'il est successeur, héritier et représentant des apôtres. Aussi celui qui reçoit de l'évêque statut, mandat et directives pour l'exercice de l'apostolat, participe-t-il à la mission de salut de l'Eglise — dans la collaboration et la dépendance — au degré le plus haut et sous la forme la meilleure ; et il se trouve inséré dans cette magnifique organisation qu'est l'Action Catholique.

Ce thème de l'Action Catholique mériterait un long développement. Mais, au cours de ces dernières décennies, les Papes, les évêques, des hommes éminents et sages en ont si abondamment parlé que Nous pouvons abréger et conclure.

Nous dirons seulement que l'apostolat de l'Action Catholique est plus que jamais d'actualité. Qu'on lise ce qu'en dit le Concile (Christus Dom.
CD 17 ; Ap. Act. AA 20). Les pasteurs savent bien que si les laïcs sont libres d'y appartenir (l'Action Catholique est un mouvement de volontaires), ils ont cependant l'obligation de la conserver et de la promouvoir. Elle n'est pas un phénomène caduc qui a fait son temps, comme disent certains. Elle est un organe qui fait maintenant partie intégrante de la structure de l'Eglise. Et elle est tellement importante dans la situation historique actuelle qu'on se tromperait en la tenant en médiocre considération (cf. Ap. Act. AA 2). Nous ajouterons que certains des aspects v qui valent à l'Action Catholique des critiques ou des réserves, de la part de ceux qui lui sont étrangers ou ne voient pas ses charges et ses difficultés, constituent justement ses mérites les meilleurs : elle est un grand mouvement de laïcs très fidèles ; elle est organisée et permanente; elle est prompte à subvenir non pas à tel ou tel besoin de l'Eglise, mais à tous ; elle est, dans sa totalité, solidaire avec la hiérarchie, dont elle reçoit des instructions qu'elle applique et parfait avec son génie propre ; elle est unitaire et nationale ; elle est essentiellement et profondément religieuse. Elle reflète à sa façon les caractéristiques de l'Eglise : unité, sainteté, catholicité, apostolicité. Elle fait donc participer les laïcs qui ont l'intelligence et la générosité de lui appartenir au mystère d'union et de charité qui est propre à l'Eglise du Christ.

Ce qui revient à dire à chacun de vous : très chers fils, examinez si vous aussi vous êtes appelés à servir dans les rangs de cette pacifique armée. Si vous avez déjà cet honneur et cette chance, remerciez-en le Seigneur et efforcez-vous d'être dignes de cet appel.

Que Notre Bénédiction Apostolique féconde ces brèves pensées.







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