Catéchèses Paul VI 15109

15 octobre 1969: « UN EFFORT DE SERENITE, UN ACCROISSEMENT DE PRIERE, SONT NECESSAIRES PENDANT LE SYNODE »

15109

Première audience publique depuis l'ouverture du Synode des évêques, l'audience du mercredi 15 octobre a comporté seulement une brève allocution du Saint-Père. Celui-ci en a donné Lui-même, la raison : un souci de discrétion vis-à-vis des Pères réunis.



Chers Fils et Filles,



Comme vous le savez, ces jours-ci le Synode des évêques est réuni. Nous ne voulons pas être soupçonné de vouloir interférer dans les discussions du Synode lui-même. Nous ne ferons donc pas aujourd'hui le discours familier que nous avons l'habitude d'adresser à nos visiteurs au cours de l'audience générale. Nous renonçons aussi à vous exposer les raisons, que l'on, connaît d'ailleurs, pour lesquelles cette assemblée des évêques a été convoquée, et à vous décrire une réunion aussi particulière qui, plus que par son aspect extérieur forcément spectaculaire, apparaît comme étant très intéressante par ses aspects intérieurs : par les problèmes qui sont traités et par ce qu'on peut y capter du visage mystérieux et merveilleux de l'Eglise une et catholique, sainte et apostolique, corps mystique du Christ, qui continue dans le temps et répand dans le monde la présence et la mission salvifique du Christ.

Mais Nous ne renonçons pas à vous demander à vous, Fils très chers, deux choses par rapport à cet événement qui nous concerne tous et qui peut décider sur tant de questions dans l'Eglise et dans le monde. La première est la sérénité de jugement quant à tout ce qui regarde cet événement. Il ne doit pas diviser les esprits mais les unir. Il ne doit pas diminuer la confiance dans les personnes et les institutions de l'Eglise, mais plutôt nous éduquer pour en voir les mérites et les tendances positives. Il ne doit pas éveiller en nous la psychologie, comme on dit, des « supporters », qui dramatisent les choses en faisant recours à des expressions superficielles et conventionnelles, mais il doit davantage nous porter à considérer, les questions à l'étude, selon la vérité, selon le dessein de Dieu, et non selon la psychologie envahissante et parfois hostile de l'opinion publique. Il vous faudra peut-être faire un effort de sérénité et de sérieux. Même ceux qui sont spectateurs de ce moment historique de l'histoire de l'Eglise, et Nous pensons que tous ses fils fidèles le sont, doivent l'entourer d'amour.

Et alors Nous vous demandons une seconde chose en cette occasion : la prière, une prière plus intense et filiale pour notre « Mère l'Eglise ». De graves problèmes qui la concernent sont à l'étude, comme la spécification de certains de ses éléments constitutionnels, dont peut dépendre sa tranquillité et son efficacité. Voici un moment où on sent combien l'action humaine — même si elle est bien intentionnée et pleine de bonne volonté — est par elle-même insuffisante pour atteindre les fins qu'elle se propose ou qu'elle doit se proposer; l'aide divine est nécessaire, l'intercession des saints est nécessaire. Et de notre part, comme le Seigneur l'a dit une fois à ses disciples, qui n'étaient pas parvenus à réaliser un exorcisme miraculeux : il faut, dans ce cas, prier et jeûner (cf.
Mc 9,28), nous devons invoquer cette intervention transcendante, une effusion de l'Esprit Saint en intensifiant l'invocation adressée à Lui, le Paraclet, à Lui, lumière des coeurs, à Lui, maître de toute la vérité, à Lui vivifiant, à Lui animateur de l'Eglise. Ayons recours aux grands saints, à la Très Sainte Vierge spécialement. Une formule de prière très ancienne pour l'Eglise dit : « Pour la sainte Eglise catholique et apostolique, répandue d'une extrémité du monde à l'autre, prions ; afin que le Seigneur la conserve ferme et à l'abri des flots et la défende jusqu'à la fin des siècles, elle qui est fondée sur la prière » (Const. Apost. VIII, 10 ; 4; funk, 489).

Prions ainsi ; et que Notre Bénédiction soit avec vous.





22 octobre 1969: L'EGLISE : UNE FOI L'ENGENDRE, UNE AUTORITE LA DIRIGE, UN ESPRIT LA VIVIFIE

22109



Chers Fils et Filles,



L'attention de l'Eglise et du monde, la vôtre aussi certainement, est tournée ces jours-ci vers le Synode extraordinaire des évêques qui est réuni à Rome, et qui étudie les relations du Pape avec les évêques regroupés dans les conférences épiscopales entre elles. Le point central des discussions est cet organe de la hiérarchie ecclésiastique qu'est la Conférence épiscopale dans une nation ou un territoire déterminé. C'est une expression relativement nouvelle dans l'organisation de l'Eglise, rendue nécessaire par la pratique (réalités ethniques et géographiques) et destinée à décentraliser par rapport au Siège Apostolique l'exercice du pouvoir hiérarchique et à le concentrer, ou le coordonner, localement et régionalement. C'est un signe d'unité de l'Eglise, manifestée dans les formes légitimes et diverses de sa catholicité ; et c'est donc un thème important et complexe. Comme nous le disions déjà dans l'audience générale, la semaine passée, nous n'en parlerons pas en public pour permettre une plus complète liberté aux discussions synodales.


Devoir de confiance


Mais, considérant en spectateurs cet événement très important dans la vie présente de l'Eglise, Nous pouvons répondre à l'appel, à la confiance qui lui est due. Nous devons avoir confiance dans l'Eglise ; oui, en cette Eglise du Christ, fondée réellement par Lui sur la pierre, et, selon l'image que nous en donne l'histoire, semblable à la barque de Pierre en proie à la tempête. Confiance en l'Eglise telle qu'elle est. Ce n'est pas de l'immobilisme; c'est du réalisme et de la fidélité. L'Eglise nous donne un témoignage de vitalité; un charisme d'indéfectible survivance s'y manifeste et le prouve à l'évidence. Elle nous donne un témoignage d'authenticité : sa fidélité cohérente dans la doctrine, la morale, les institutions fondamentales, le développement historique, en même temps que le désir constant de se réformer, de se renouveler, de se sanctifier nous en donnent une réconfortante assurance. Elle est solide et dynamique. Elle nous donne un témoignage d'actualité : sa présence aujourd'hui le déclare, et laisse même transparaître une sollicitude extrêmement vigilante à interpréter les signes des temps, à accueillir les expériences du progrès, à parler le langage des hommes d'aujourd'hui, à répondre aux besoins anciens et nouveaux de l'humanité. Elle croit, elle espère, elle aime. Le Christ est avec elle. Elle mérite notre confiance, aujourd'hui comme hier, aujourd'hui plus qu'hier. Le fait même du Synode qui se déroule actuellement l'atteste et renforce notre confiance.

Nous avons besoin de cette confiance. Parce que la crise, qui se manifeste dans certains secteurs de l'Eglise et de l'opinion publique — si on doit parler de crise plutôt que d'un travail laborieux — nous semble être due à un manque de confiance. De confiance en l'Eglise telle qu'elle est. Peut-être cette parole magique d'« aggiornamento » a poussé certains trop loin. Un besoin hâtif de révision, honnête et légitime, s'est transformé en une autocritique corrosive, et même en autodestruction qui a fait perdre à certains le sens et le goût de l'apostolat chrétien, de l'apostolat catholique. Ce sont les « structures » de l'Eglise officielle — a-t-on dit — qu'il faut changer, bien plus que les idées erronées et les moeurs décadentes de notre époque ; si bien que la trame qui fait de l'Eglise une communion organique et responsable, le tissu de la charité ecclésiale et de l'obéissance hiérarchique, s'est usé ici et là.

Nous avons besoin de confiance, de confiance mutuelle.


Volonté de dialogue


L'Eglise, se demandent quelques-uns, saura-t-elle comprendre les aspirations, les inquiétudes, les attentes, qui sont dans les esprits dans notre génération ? Saura-t-elle écouter ? Il Nous semble que oui ; elle saura dialoguer, comme on dit aujourd'hui ; elle saura également répondre aux attentes. Les faits et les intentions le disent déjà. Tel est son désir. Mais il faut tout de suite faire attention. Si ceux dont les plans particuliers et personnels de réforme de l'Eglise ne sont pas acceptés en éprouvent un sentiment de frustration, ce sentiment ne serait pas justifié, surtout si leurs plans s'écartent délibérément de la norme commune établie. Aujourd'hui il est facile de se soustraire par l'imagination, dans la fantaisie et l'étude, à la règle en vigueur, moyennant un rêve de réforme idéale ; du rêve on passe à l'hypothèse concrète, de l'hypothèse à l'exigence, de l'exigence parfois à la déception, ou encore à la protestation ou à la désobéissance. L'Eglise est une communion d'hommes, libres oui, mais vivant dans une harmonie acquise par une humble soumission. On ne peut faire dépendre l'adhésion à l'Eglise de la réalisation d'un désir personnel. L'Eglise aujourd'hui est prête à considérer les données psychologiques et sociologiques de la communauté (par exemple celle résultant des enquêtes) ; mais elle doit être conduite par d'autres critères plus importants ; ceux de Dieu, de l'Evangile, ceux du Christ, d'où elle tire sa raison d'être et sur lesquels elle doit modeler les règles de sa mission qui est pastorale, c'est-à-dire guide, éducation, élévation à la voie étroite du salut. L'Eglise n'est pas un phénomène historique et social quelconque qui peut se modifier selon le bon plaisir de chacun. C'est un fait spirituel et religieux ; une foi l'engendre, une autorité la dirige, un esprit la vivifie. Elle mérite notre confiance, notre fidélité, notre service, notre amour, l'Eglise. C'est ce que vous dit l'humble successeur de Pierre avec sa Bénédiction.


****

Fonctionnaires danois:

Nous saluons d’une façon particulière les Fonctionnaires du Ministère des Finances du Danemark, qui sont venus à Rome pour un échange culturel avec leurs collègues d’Italie. Nous sommes touché de la visite qu’ils ont tenu à Nous faire, et Nous souhaitons que ce séjour dans la Ville Eternelle soit pour eux un véritable enrichissement humain et spirituel.

De tout coeur, Nous invoquons sur eux et sur leurs familles l’abondance des divines bénédictions.




29 octobre 1969: RENOVATION DE L'EGLISE ET VIE D'UNION PERSONNELLE AU CHRIST

29109



Chers Fils et Filles,



Vous savez tous que vient d'être célébré le Synode extraordinaire des Evêques. Dans quel but ? Pour étudier comment donner une meilleure forme à l'ordre hiérarchique dans l'Eglise, après que le Concile a mis en relief l'aspect collégial de l'Episcopat ayant à sa tête le Pape, et pour réaliser ainsi, dans le ministère pastoral du peuple chrétien également, une communion plus étroite, plus consciente et plus active. Il faut ainsi reconnaître amplement le caractère universel de l'Eglise, avec ses particularités locales secondaires ; et il faut promouvoir son caractère unitaire et organique, de manière qu'elle soit et qu'elle apparaisse toujours plus, selon le désir du Christ, un corps solidaire et ordonné, graduellement coresponsable dans la diversité des fonctions hiérarchiques et des dons spirituels. Pour dire mieux, il s'agit de donner à la charité qui anime l'Eglise une activité plus intense, plus ordonnée, plus active. Nous espérons ; et nous prions afin que le Seigneur lui-même nous aide à progresser dans cette évolution de la charité ecclésiale. Cet événement, typiquement postconciliaire, ne concerne pas seulement l'ordre épiscopal, il concerne à sa manière tout l'ensemble du peuple catholique.

Après bien des siècles, nous pouvons encore faire nôtre pour vous la parole de saint Paul : « Votre foi est en grand progrès (souvenons-nous-en : la foi est la condition première, la racine de tout) et l'amour de chacun pour les autres s'accroît parmi vous tous » (
2Th 1,3). La vie de l'Eglise est ainsi faite ; elle refleurit toujours sous de nouvelles formes, puisant sa sève dans la fécondité de ses principes divins : après la foi, le principe à souligner est celui de la charité.


Approfondir le « sens de l'Eglise »


La charité, dans cette application générique et cet aspect moderne contingent, prend le nom de communion. C'est une parole que nous ferions bien de méditer. Elle dit plus que communauté, qui est un fait social extérieur, elle dit plus que congrégation, association, fraternité, assemblée, société, famille, plus que n'importe quelle forme de solidarité de collectivité humaine. Elle indique l'Eglise, c'est-à-dire l'humanité animée par un même principe intérieur ; et ce principe est non seulement sentimental, idéal ou culturel, mais mystique et réel, animé par un Esprit vivifiant, l'esprit du Christ, sa grâce, sa charité, avec le double effet de marquer celui qui vit ce principe sanctifiant d'un style original de pensée et de moeurs que nous appelons chrétien, et de l'encadrer dans un corps social, visible et ordonné, que nous appelons justement l'Eglise.

Tout cela est bien connu, mais acquiert aujourd'hui une signification très forte et très importante. Tout cela doit devenir conscient et conformer davantage notre spiritualité et notre comportement social. Il faut approfondir le « sens de l'Eglise » et se laisser former par lui.


Communion dans le Christ


Avant même de nous rendre compte des effets extérieurs qu'il est destiné à produire dans les structures et dans la vie pratique de l'Eglise, Nous voudrions arrêter un instant aujourd'hui notre attention sur la première signification du mot mystérieux de communion. C'est-à-dire sur sa signification de communion avec le Christ.

Réfléchissons-y bien, parce que l'autre signification de communion ecclésiale devrait dépendre de cette première signification individuelle, intérieure, invisible, même si elle a ses caractéristiques théologiques.

Nous dirons donc maintenant : il faut être en communion vitale avec le Christ. Dans cette communion c'est l'aspect personnel qui est souligné. Il faut même dire, l'aspect intime, spirituel, qui se vérifie dans la profondeur de notre être, là où notre conscience n'arrive que par la foi ou grâce à quelques expériences rares et imparfaites. Les mystiques sont dans ce domaine les plus grands maîtres. Mais chacun de nous devrait pouvoir dire : « Ce n'est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Ce sens de communion intérieure avec le Christ, de vie personnelle avec le Christ, de vie personnelle avec lui, de sa présence dans nos âmes (cf. Ep 3,17) devrait briller toujours comme une lumière en nous, et devrait modifier beaucoup cette conscience de nous-mêmes que nous appelons notre personnalité, sans pour autant étouffer notre spontanéité, ni s'exprimer dans la bigoterie.

Le Seigneur tient beaucoup à notre communion avec Lui ; il le dit dans une de ses dernières paroles très douces, à écouter dans un silence attentif, la voici : « Demeurez en mon amour ». Ce verbe « demeurer » devait être fréquent sur les lèvres du Seigneur, puisque nous le trouvons tant de fois dans les écrits de saint Jean (67 fois, nous disent les exégètes, dont 40 fois dans son Evangile), avec des significations diverses, parmi lesquelles prévaut le sens spirituel, mystique même, qui nous paraît exprimé pleinement dans la brève phrase : « Demeurez en mon amour » (Jn 15,9 cf. pecorrara, De verbo « manere » apud Ioannem, dans Divus Thomas, Jn 1937, pp. Jn 159-171).

Il faut comprendre ces paroles douces et profondes dans le contexte du discours du Seigneur prononcé après la dernière Cène ; elles manifestent l'intensité de cette heure nocturne, prélude de la Passion et toute empreinte de la gravité pathétique et de l'émotion contenue du suprême salut de Jésus à ses disciples, appelés amis, ce soir-là (Jn 15,14-15) et rendus dépositaires de ses dernières confidences, de ses dernières volontés : « Demeurez en mon amour ».

Que voulait dire le Seigneur par cette recommandation pleine de tendresse et de force ? Que les disciples devaient persévérer dans le souvenir aimant de sa personne comme, peu auparavant, à l'institution de l'Eucharistie, il avait dit « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19) ? Ou bien voulait-il dire que les disciples devaient conserver en eux l'amour que le Christ avait eu pour eux ? Ou plutôt Jésus désirait-il que cet amour réciproque perdure intensément ? Peut-être. Mais, dans une mesure intégrale, au-delà des sentiments, et vitale. Saint Jean encore, dans sa première épître, s'exprime ainsi : « Celui qui demeure dans l'amour, demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1Jn 4,16). La réalité est la suivante : Jésus pensait à une union mystique à réaliser dans la profondeur de l'âme entre lui et chacun des siens; il pensait à son amour pour ses disciples et à son amour en ses disciples, en même temps à l'amour des disciples pour lui ; il pensait au mystère de la grâce, c'est-à-dire de la charité qui est « une certaine amitié de l'homme avec Dieu » (S. thomas, II-II 23,5). Il pensait que ce rapport surnaturel devait demeurer toujours, même après la disparition du Christ, mort et ressuscité, de la scène du monde.

La pensée du Seigneur, sous cet aspect, est très claire : Jésus établit un lien stable entre lui et les siens, un lien que sa mort et sa résurrection n'interrompraient pas ; lien permanent de sa part, il le voulait ainsi, même s'il est libre et personnel de la part des siens.

Concluons. Si nous voulons renouveler la vie de l'Eglise comme communion, nous devons avoir le plus grand soin d'établir en nous-mêmes cette communion personnelle et surnaturelle avec le Christ, en alimentant un amour vivant, soutenu par la grâce et la conversation intérieure avec lui, présent en nous. Ce n'est pas pour rien que la piété catholique appelle « communion » la réception de l'Eucharistie, et consacre à cette rencontre, si simple et ineffable, un moment de silence, de recueillement, d'écoute intérieure, d'incomparable consolation. Beaucoup aujourd'hui négligent cette très précieuse halte. Nous vous exhortons à ne pas la négliger. Avec Notre Bénédiction Apostolique.





5 novembre 1969: LA COMMUNION ECCLESIALE EST AUSSI COMMUNION AVEC LES SIECLES QUI ONT FAIT L'EGLISE

51169


Chers Fils et Filles,



La réflexion de l'opinion publique dans l'Eglise se porte aujourd'hui sur le caractère communautaire de l'Eglise elle-même. L'Eglise est le corps mystique du Christ, a-t-on dit ; l'Eglise est le peuple de Dieu ; l'Eglise est une communion, communion vitale, par l'intermédiaire de l'Esprit-Saint, âme de l'Eglise, avec le Christ et avec la communauté des fidèles. C'est une réflexion théologique fondamentale. Il est bon de nous y arrêter. Elle répond, en l'anticipant et en l'intégrant, à la mentalité moderne, si empreinte de sociologie et, sur le plan religieux, elle nous montre encore une fois la supériorité et la valeur de la foi, même dans le domaine social, tandis que sur les plans moral, pédagogique et pratique, cette méditation sur la solidarité, qui constitue les vrais chrétiens en « un seul coeur et une seule âme » (
Ac 4,32), présente des devoirs plus urgents, spécialement dans l'exercice de cette vertu fondamentale qu'est la charité ; ces devoirs tendent à beaucoup modifier nos façons de penser, toujours orientées vers l'égoïsme, et notre comportement ecclésial et social.

Cette vie dans la prière, dans le sentiment communautaire, dans le dialogue avec nos semblables, dans l'intérêt porté aux nécessités d'autrui et au bien commun, cette vie commune spirituelle, cette « societas spiritus », communion dans l'esprit (Ph 2,1), comme dit S. Paul, est très belle mais elle n'est pas facile. Elle trouve même dans les courants d'idées de notre temps, d'autres conceptions, elles aussi importantes, qui la contredisent et que seule la sagesse de notre système chrétien (appelons-le ainsi) réussit à harmoniser, comme le culte de la liberté, la réhabilitation de la personnalité et de la dignité humaines, la primauté relative de la conscience, la préférence donnée à l'expérience religieuse sur l'observance des règles canoniques, et finalement — peut-être la première — la conception révolutionnaire, appliquée à toute sorte de progrès, de réforme, de renouveau, d'aggiornamento : le terme « révolution » a désormais libre cours dans l'échange d'idées génératrices d'ordre et de paix.

Deux formes, plus accentuées que les autres, de cet esprit d'indépendance et même de rébellion, qui a beaucoup pénétré aussi dans les milieux de vie ecclésiale, semblent exiger une mention particulière, parce qu'elles sont plus en opposition avec cet esprit de communion, que la réalité actuelle de l'Eglise présente à notre conscience comme le souffle vivifiant et actuel de la parole de Dieu : la rupture avec la tradition et la disparition de l'obéissance (mais Nous ne parlerons pas de celle-ci maintenant).


Une injuste mise en cause de la tradition


La tradition ! Elle ne dit plus rien aux innovateurs, même bons, de notre époque. Les jeunes, malheureusement (et pour une part Nous le comprenons, justement parce qu'ils sont jeunes) prennent en grippe tout ce qui précède l'actualité, leur vie d'aujourd'hui et leur course vers la nouveauté et vers l'avenir. Mais il ne s'agit pas seulement des jeunes ; les sages aussi parlent de rupture avec le passé, avec les générations précédentes, avec les formes conventionnelles, avec l'héritage des anciens. Une phraséologie superficielle et très imprudente est entrée aussi dans le langage habituel de l'Eglise ; on parle d'ère constantinienne pour disqualifier toute l'histoire séculaire de l'Eglise jusqu'à nos jours ; ou même de mentalité préconciliaire pour dévaluer arbitrairement un patrimoine catholique de pensée et de moeurs, qui aurait tant de valeurs dignes d'être appréciées ; on en arrive à des expressions et à des comportements parfois si négatifs qu'ils engendrent la confusion et la désagrégation au sein de la communauté ecclésiale, et tels qu'ils font croire que les normes en vigueur et les habitudes pacifiques ne tiennent plus. Ce discours pourrait malheureusement continuer ; mais chacun peut le faire pour son compte. Il devient difficile là où l'on doit distinguer ce à quoi il ne faut pas renoncer dans le vaste héritage de la tradition de ce qui est précieux, mais en soi non nécessaire à la consistance constitutionnelle de l'Eglise et à sa vitalité authentique ; et de ce qui est habitude, mais de valeur discutable, et enfin de ce qui provient du passé et est vieux, superflu, nuisible, et donc digne d'être abandonné ou soumis à une réforme courageuse. Cet inventaire de l'héritage ancien exige compétence et autorité ; dans une communauté telle que l'Eglise, aucun particulier ne peut le faire publiquement ou pratiquement par lui-même ; et il peut encore moins, une fois l'inventaire fait, établir seul le choix à faire de ce qui doit rester et de ce qui peut être laissé de côté. L'Eglise, dans ses organismes autorisés, après le Concile, est en train de faire cet inventaire ; et qui lui est fidèle ne doit pas s'arroger le droit d'en anticiper ou d'en contredire le jugement. Rien dans l'Eglise ne doit être arbitraire, téméraire, tumultueux. L'Eglise est comme une symphonie : aucun des instruments, même les plus importants, ne peut jouer dans un orchestre ce qu'il lui plaît et comme il lui plaît.


Valeur et richesse de l'héritage ecclésial


Nous voudrions maintenant plutôt recommander aux fils conscients et fidèles de revoir leur instinctive antipathie pour la tradition ecclésiastique. Avant tout, elle est le véhicule de la doctrine et de la succession apostolique ; le Christ ne peut être présent aujourd'hui sans la reconnaissance du canal historique et humain qui nous conduit à la source de son apparition évangélique. En outre, la tradition est la richesse, l'honneur, la force de notre maison, l'Eglise catholique. La tradition, dans son contexte historique, contient, bien sûr, beaucoup d'éléments caducs et même répréhensibles ; mais le jugement droit, à donner sur ces éléments discutables ou négatifs, devra justement être « historique », c'est-à-dire évalué en vue des circonstances des temps et des expériences contemporaines et successives des événements, en se souvenant que l'Eglise, sainte dans son institution et dans sa vertu sanctificatrice, de parole, de grâce, de ministère, est composée de la même pâte qu'Adam, et que ses descendants, faibles, trompeurs et pécheurs.

Une connaissance intelligente, une critique juste, une évaluation sagace de la tradition ne seront pas un frein mais un guide pour ceux qui veulent le renouveau ecclésial souhaité pour notre temps ; elles leur insuffleront cette sympathie aimante, presque une sympathie de famille pour les événements du passé de l'Eglise et pour ce qui nous est transmis par ce courant. Nous acquerrons, ce faisant, un enrichissement et une sécurité pour le colloque apostolique avec notre génération, privée par les révolutions actuelles d'une culture éprouvée par les siècles et inébranlable dans les tempêtes de l'histoire, comme celle que la tradition nous donne gratuitement. Nous rappelons que la communion ecclésiale, dont notre spiritualité actuelle veut vivre, comporte une solidarité avec nos frères qui nous ont précédés dans le signe de la foi et dorment du sommeil de la paix. C'est pour eux que nous vivons et que nous sommes ici, pèlerins nous-mêmes vers le Christ à venir. Au nom duquel Nous vous bénissons tous.





12 novembre 1969: LIBRES, SANS ETRE SEULS NI AUTONOMES MAIS INSERES DANS UN ORDRE COMMUNAUTAIRE ET HIERARCHIQUE

12119



Chers Fils et Filles,


Nous dirons encore un mot sur le concept fondamental qui est aujourd'hui dans l'esprit de tous à propos de l'essence de l'Eglise : cette Eglise qui est communion (cf. hamer, L'Eglise est une communion, Cerf 1962) ; une société animée par un seul principe vital mystérieux, la grâce de l'Esprit Saint ; d'où jaillissent plusieurs principes très simples et merveilleux, comme celui de l'égalité entre tous ceux qui composent l'Eglise: « omnes autem vos fratres estis », vous êtes tous frères entre vous (
Mt 23,8) ; comme celui de la distinction du reste de l'humanité non chrétienne, appelée monde, encore que dans le monde l'Eglise soit disséminée (cf. Jn 8,23 Jn 15,19 Jn 17,14, etc.) ; comme celui, aujourd'hui oublié par beaucoup, de l'originalité morale et caractéristique de la vie chrétienne par rapport à la vie profane et païenne (cf. Rm 12,2) ; celui de la sainteté, conçue comme une exigence de la conscience personnelle, dérivant de la présence mystérieuse de l'Esprit de Dieu dans chaque âme participant vitalement à la communion ecclésiale (cf. 1Co 3,16). Mais pour s'en tenir au caractère social de l'Eglise, nous répéterons avec le Concile que l'Eglise est un Peuple, le Peuple de Dieu (Lumen gentium, LG 9 etc.), définition qui doit être reliée (congar, L'Eglise que j'aime, p. 37) à celle du Corps mystique du Christ, c'est-à-dire, d'une société vivante en vertu d'un même principe unificateur et animateur, mais d'une société organique, dans laquelle les charismes sont différents, comme les fonctions et les responsabilités (cf. 1Co 12,4). A partir de ce principe, la communion s'épanouit en collégialité dans le corps épiscopal ; vous avez dû en entendre parler à l'occasion du récent synode extraordinaire.

Or, si l'Eglise est cette communion spirituelle et visible, ce que le progrès religieux de notre temps semble avoir acquis comme une conquête doctrinale et sociale, nous devons en tirer une conséquence, qui semble être au contraire compromise, pour une partie en théorie et bien davantage en pratique. Cette conséquence est le rapport de cohésion, de solidarité, de concorde et d'harmonie, en un mot de charité, qui doit exister entre chaque membre et chaque groupe appartenant à l'Eglise ; ce rapport s'est fait plus évident, donc plus contraignant, plus étroit, plus familier et plus amical; il devrait être plus fidèle et plus facile. En est-il ainsi en réalité ?


L'autorité est pour le service, non au service


Le rapport constitutif, établi par l'Evangile bien avant que par le Droit canon, entre pouvoir et obéissance, est victime lui aussi de la mode actuelle de la contestation sociologique ; et on veut le changer, le minimiser. On ne peut le nier tant son origine divine est claire ; on peut le changer, c'est-à-dire le corriger, oui, le perfectionner. C'est à ce perfectionnement, selon le souhait du Concile, que le responsable dans l'Eglise, celui qui exerce une autorité quelconque, de direction, de magistère, de pédagogie, d'administration, d'apostolat, se déclare prêt et est déjà sur le chemin d'une exécution loyale. Mais « est modus in rebus » ! On doit se garder de quelques fausses conceptions dans ce domaine. Par exemple, on dit que l'autorité est service. Très juste ; le Seigneur nous le rappelle lui-même à la dernière Cène : « Que celui qui dirige soit comme celui qui sert » (Lc 22,26). C'est un écho pour nous que cette parole souvent répétée et si sage de Manzoni faisant le portrait de l'évêque idéal, Frédéric Borromée : « Il n'y a pas de juste supériorité d'un homme sur les autres, sinon à leur service » (Promessi Sposi, chap. 22). Saint Grégoire le Grand Nous a laissé de lui-même, comme chef de l'Eglise et pasteur des pasteurs, la définition que Nous, gardons encore aujourd'hui dans notre titre : « Serviteur des serviteurs de Dieu ». Mais cette formulation exacte et prophétique n'annule pas le pouvoir du Pape, comme toute autre formule, du même genre qui se réfère à une autorité légitime : l'autorité dans l'Eglise est pour le service des frères, elle n'est pas à leur service ; c'est-à-dire, le but de l'autorité est le bien des autres ; non que les autres soient la source de l'autorité elle-même ; l'Eglise, dans l'exercice de l'autorité, pour employer un mot courant, est démocratique dans son but, non dans sa raison d'être, non dans son origine, ne faisant pas dériver son pouvoir de ce qu'on appelle la « base », mais du Christ, mais de Dieu, devant lequel seul elle est responsable.

Cela comporte une autre précision importante en ce que le pouvoir dans l'Eglise ne peut pas revêtir les formes historiquement variables qu'il présente dans le gouvernement de la société civile, alors que celui qui y préside a seulement le rôle de rendre légal ce que la communauté a élaboré et décrété ; le pouvoir dans l'Eglise conserve la liberté et l'initiative que le Seigneur a données aux apôtres, à la hiérarchie, non seulement comme garantie de l'ordre extérieur, mais pour le bien de chaque fidèle comme de la communauté ; ce bien qui met au premier plan la dignité, la liberté, la responsabilité et la sanctification de tous et de chacun de ceux qui composent le corps de l'Eglise.

C'est pourquoi, quand on dit, aujourd'hui que l'on ne conteste pas dans l'Eglise l'autorité en tant que telle, mais qu'on critique son mode d'exercice, on parle bien, à condition que la recherche de cette manière de faire idéale n'autorise pas l'affranchissement, c'est-à-dire la désobéissance, du mode réel et légitime avec lequel l'autorité accomplit son mandat.


Le dialogue ne doit pas être paralysie du responsable


Ainsi en est-il du dialogue qui aujourd'hui fait les frais de tant de discussions, non seulement entre l'Eglise et ceux qui l'entourent du dehors, mais entre ceux qui, dans l'Eglise, ont des positions et des fonctions différentes. C'est une excellente chose que le dialogue, entendu comme respect et promotion de la personne ou du groupe de la part de celui qui doit prendre une décision dans l'Eglise ou former les consciences et les habitudes conformes au dessein ou à l'esprit du Christ. Eduquer à l'intelligence et à l'amour du commandement est un progrès pédagogique qui exigera une grande patience et un art consommé ; mais ce n'est pas pour cela que le dialogue doit paralyser l'exercice normal d'une direction responsable, ni remplacer normalement le jugement du pasteur ou du maître par le libre examen de chaque fidèle, ni exiger un partage de l'autorité qui la rende lâche et irresponsable.

Nous comprenons que le sujet est délicat, complexe et de grande actualité. Nous n'en dirons pas plus maintenant. Les enseignements du (Concile sont clairs et nombreux sur ce point (cf. Lumen gentium, LG 27 LG 32 LG 37, etc.). Bien des maîtres en parlent (cf. d'avack, in L'Osservatore Romano, 8 nov. 1969 ; T. goffi, Obbedienza e autonomia personale, Ancora 1965 ; C. colombo, De auctoritate et obedientia in Ecclesia ; L. lochet, Autorité et obéissance, Colloque d'Ephrem, Paris 1966 ; rosmini, La società teocratica, Morcelliana, 1963 ; etc.).


Vivre le mystère de la communion hiérarchique


Il sera bon, pour chacun, de consacrer à ce problème capital une réflexion attentive et honnête. Mais pour ce qui est de Nous, en ce moment, Nous insistons sur la vision de l'Eglise qui est la vision de notre vie dans la pensée de Dieu, s'actualisant dans notre histoire, sur la vision de l'Eglise — disons-Nous — comme communion, comme communion hiérarchique, comme « science de l'harmonie », consonantia disciplinae, pour employer une expression d'un docteur ancien (origène, Hom. 26).

Dans la formation de la nouvelle mentalité ecclésiale, appelons-la même postconciliaire, nous devons développer le sens de la communion, dans laquelle, comme membres de l'Eglise, nous sommes insérés. Même si la conscience de notre liberté et de notre personnalité doit être vivante, nous ne devons pas oublier que nous ne sommes ni seuls ni autonomes ; et nous devons d'autant plus nous sentir des unités indépendantes, se déterminant elles-mêmes, responsables, qu'en même temps nous nous rendons compte que nous sommes placés dans un ordre communautaire et hiérarchique : les deux prises de conscience se développent ensemble, avec un stimulus mutuel. Cela veut dire être catholiques : uniques et universels. Et c'est dans cette plénitude acquise de notre personnalité par l'adhésion à l'ordre, qui la reconnaît et la transcende objectivement (c'est-à-dire l'obéissance à la volonté de Dieu, et spécialement quand elle est manifestée par un frère autorisé à s'en faire l'interprète), que nous vivons le mystère de la communion hiérarchique, c'est-à-dire que nous vivons l'Eglise et que nous réfléchissons en nous-mêmes le mystère du Christ dont l'apparition comme homme fut tout entière dominée par une adhésion consciente et héroïque à la volonté du Père : factus oboediens usque ad mortem il s'est fait obéissant jusqu'à la mort (Ph 2,5-8 Jn 6,38 Jn 8,29 etc.). On peut relire le chapitre : « Jésus et la vie » dans : adam, Le Christ, notre Frère.

Il en est, de nos jours, qui attendent du progrès de la conscience que l'Eglise a acquise aujourd'hui d'elle-même comme le souhait de la dissolution de ses rapports et de ses liens juridiques, qui la constituent comme un corps mystique, visible et organisé du Christ dans la réalité historique du monde. Il en est aussi qui considèrent ce processus doctrinal comme la disparition des pouvoirs par lesquels l'Eglise se dirige et remplit sa mission au profit des degrés inférieurs par rapport aux degrés supérieurs dans le peuple de Dieu. Nous regarderons plutôt l'Eglise comme une solidarité profonde et organique ; comme cette société, cette communion, « coinonia » dit la parole désormais célèbre de l'Apôtre Jean, communion qui nous fait participants de la vie même de Dieu (2P 1,4) et qui nous rend tous frères dans le Christ (cf. 1Jn 1,6-7). Que vous aide dans cette étude aimante notre Bénédiction Apostolique.


* * *

C’est avec joie que Nous saluons parmi vous le groupe des pèlerins qui viennent de suivre les célèbres itinéraires apostoliques de Saint-Paul, avant de rejoindre ici le lieu de son martyre et de celui de l’apôtre Pierre. Dans le sillage de ces deux grands témoins, Nous vous souhaitons, chers Fils, de devenir toujours davantage le ferment dont l’Eglise d’aujourd’hui a tant besoin, pour témoigner à votre tour de la Bonne Nouvelle du Sauveur, avec un grand souci de fidélité et d’unité. Et Nous savons avec quel zèle «le Pèlerin du 20ème siècle», qui a organisé votre voyage, veut contribuer, pour sa part, à vous faire aimer l’Eglise et sa vivante Tradition. De tout coeur, Nous en remercions les promoteurs, et, tout d’abord le Directeur, le cher Père Guicharxan.

Nous voulons aussi assurer de Nos paternels encouragements les Veuves, Mères et Filles d’officiers de carrière qui, de retour du Mont Cassin, si chargé de souvenirs, ont tenu à Nous offrir leur filial hommage. Nous sommes sensible à l’idéal courageux qui vous anime, chères Filles, à votre souci de fidélité dans la foi chrétienne, de soutien mutuel dans l’adversité, la solitude ou les adaptations difficiles. Nous recommandons au Seigneur vos intentions, et notamment vos époux, enfants ou parents qui ont généreusement consacré leur vie au service de leur patrie.

A vous tous, chers Fils et chères Filles, Nous donnons de grand coeur Notre paternelle Bénédiction Apostolique.




Catéchèses Paul VI 15109