Catéchèses Paul VI 27181

27 janvier 1971: LE SAINT-PÈRE A LA TELEVISION FRANÇAISE

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Et maintenant, c’est aux téléspectateurs de la deuxième chaîne de la télévision française que Nous Nous adressons, heureux de cette occasion de vous saluer, de vous dire toute notre affection, et de vous adresser quelques mots dans le cadre de l’émission sur le respect de la vie.

Frères et Amis qui m’écoutez,

Vous le savez : il y a des valeurs qui sont comme la pierre de touche d’une civilisation ; si l’on y porte atteinte, c’est l’homme lui-même qui est menacé. Ainsi, attenter à la vie humaine, sous quelque prétexte que ce soit et sous quelque forme qu’on l’envisage, c’est méconnaître l’une de ces valeurs essentielles à notre civilisation. Au plus profond de nos consciences — chacun de nous peut l’éprouver —, s’affirme comme un principe incontestable et sacré le respect de toute vie humaine, de celle qui s’éveille, de celle qui ne demande qu’à s’épanouir, de celle qui s’achemine vers son dénouement, de celle surtout qui est faible, démunie, sans défense, à la merci des autres.

Le Concile l’a récemment rappelé avec force : toute vie est sacrée. A l’exception de la légitime défense, rien n’autorise jamais un homme à disposer de la vie d’un autre, pas plus que de la sienne propre. A contre-courant, s’il le faut, de ce qu’on pense et de ce qu’on dit parfois autour de nous, répétons-le sans nous lasser : toute vie humaine doit être absolument respectée ; de même que l’avortement, l’euthanasie est un homicide.

Frères et Amis qui m’écoutez, cette vie qui est la vôtre, celle de vos parents, celle de vos enfants, celle de tous les hommes, cette vie fragile et si vite écoulée, demeure, en dépit des épreuves qui la traversent, notre bien le plus précieux. C’est une conviction de foi pour ceux d’entre nous qui croient au Christ et auxquels l’évangile enseigne que notre mort terrestre est un passage vers la vie éternelle.





3 février 1971: JESUS : QUEL MESSIE, POUR QUEL ROYAUME ?

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Chers Fils et Filles,



Il nous suffirait de voir Jésus-Christ pour en avoir une idée réelle, bien à nous, déclarent nombre d’hommes de notre temps. Habitués à tout connaître et à tout résumer en formules brèves, pratiques et frappantes, nous voudrions avoir la satisfaction de le connaître directement afin de pouvoir, avec une confiance secrète et téméraire, le juger, le mesurer, le définir et enfin décider si nous l’acceptons ou non. Nous serions ainsi à même de déterminer notre position à son égard. Cette attitude, avons-nous dit, a été celle des contemporains de Jésus; cet homme qui fait problème, qui est-il ? Un homme comme les autres ? (cf.
Lc 4,22), un prophète ? (Mt 16,14 Mt 21,11), un séducteur ? (Mt 27,63), le fils de David ? (Mt 21,9). Tous voulaient découvrir son identité sur son visage. Vous souvenez-vous de cet épisode où, Jésus, au commencement de sa vie publique, retourna à la synagogue de Nazareth et lut à tous la prophétie d’Isaïe sur le Messie ? « Tous, dit St. Luc, avaient les yeux fixés sur Lui » (Lc 4,20), tous d’abord émerveillés, puis indignés, enfin méprisants, lorsque Jésus s’exclama : « Cette Ecriture s’est accomplie devant vous ».


Ni riche, ni dominateur, ni agitateur


Quant à nous, il nous est impossible de le voir, mais d’après ce que nous savons de Lui, quels traits, quels aspects caractéristiques nous permettent de nous l’imaginer vivant ? Qui était-il et comment était-il, nous demandons-nous encore ? Commençons par éliminer les aspects qui, en général, caractérisent les hommes extraordinaires. Il n’était pas un riche. Le Seigneur dit de lui-même : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids. Le fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer sa tête » (Mt 8,20). Ce n’était pas un homme de culture. Ses compatriotes s’étonnaient de tant de sagesse et d’éloquence : « N’est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie ? » (Mt 6,3 Mt 1,27). Ce n’était pas un homme politique, un démagogue, un agitateur. Jésus repousse la tentation du démon qui lui offre, en échange d’un acte d’adoration servile, les royaumes du monde avec leur gloire (Mt 4,8) ; il s’enfuit après la multiplication des pains, car il se rend compte que la foule enthousiaste veut le faire roi (Jn 6,15). Ce n’était pas un soldat, un condottiere, un homme de guerre ainsi que beaucoup s’imaginaient le Messie, vengeur et libérateur de la nation hébraïque ; ce n’était même pas un zélote, un révolutionnaire, un contestateur du pouvoir romain régnant dans le pays. Il répondra à ceux qui lui demandaient insidieusement s’il était permis de payer le tribut à César : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21 cf. O. cullmann, Jésus et les révolutionnaires de son temps, p. 47 ss.). Qui est donc Jésus ? ou du moins : comment apparaît-il ? Quel est son profil, son visage ? Quelle est l’activité qui nous le fait connaître ?


Prophète, porteur d’un message


A cette question qui nous conduit à l’Evangile, il semble qu’on puisse répondre : Jésus apparaissait comme un prophète (cf. Mt 13,57 Mt 21,11 Lc 7,16 Lc 7,39 Jn 4,19 Jn 6,14 Jn 9,17 etc.). Vous imaginez-vous un prophète ? C’est un homme qui prononce des oracles sages et mystérieux, des paroles sur les destins cachés ; mais c’est surtout un homme qui écoute et qui annonce des messages divins. Il possède la clé des secrets de Dieu. C’est le héraut d’une Parole qui dépasse sa personne (Jn 7,16). Penser à Jésus, l’homme de la Parole de Dieu, nous fait pénétrer au sein du mystère de sa Personne : c’est là que devrait s’arrêter notre recherche.

Mais une autre question plus simple affleure : quelle est l’annonce du prophète Jésus ? Il faut en revenir au début de sa prédication qui se rattache à celle du précurseur, Jean-Baptiste ; l’une et l’autre ont le même thème prophétique. « Faites pénitence, s’exclame Jean, car le royaume des cieux est proche » (Mt 3,2). « Faites pénitence, prêche aussitôt Jésus, car le royaume des cieux est proche » (Mt 4,17). Là, nous devrions examiner cette coïncidence de mots et faire une comparaison entre Jean et Jésus. Mais, maintenant, un autre thème nous attire: celui du royaume des cieux ou royaume de Dieu ; thème qui constitue le noyau central de la prédication du Christ. Peut-être n’y avons-nous pas pensé suffisamment.


Quel royaume annonce-t-il ?


Ce n’est certes pas dans ces brefs exposés que nous pourrons donner une idée du « royaume » annoncé par Jésus. L’étude de ce thème nous aiderait pourtant, à comprendre un peu l’histoire d’Israël et de la tension qui animait le peuple hébreu dans l’attente ardente et impatiente de l’instauration de ce royaume qui, d’après lui, devait consister en une libération politique puissante et glorieuse, réalisée par un personnage prodigieux, 1’« oint de Dieu », le Messie triomphateur. Royaume et Messie devraient représenter les deux points à étudier pour pénétrer dans le drame de l’Evangile. C’est vous qui devez le faire. Pour le moment, limitons-nous à remarquer que Jésus accepte le mot consacré « royaume » et le fait sien ; (comme roi des Juifs, il sera condamné à la croix) (cf. Jn 19,19) ; mais il en change profondément le sens. Le royaume des cieux que Jésus annonce, inaugure et personnifie, c’est le merveilleux dessein de Dieu, c’est la nouvelle idée religieuse, c’est le « mystère caché depuis des siècles et des générations », comme dit St. Paul et qui maintenant « vient d’être manifesté » (Col 1,26) ; c’est le plan de miséricorde et de grâce que le Christ présente aux hommes qui croient en Lui, c’est l’Eglise, signe et instrument du Règne à venir, c’est le début d’une promesse qui portera l’humanité rachetée et élue sur la voie de la rencontre finale avec Dieu dans la vie éternelle. Oh! combien il y aurait à méditer sur cette expression, le Royaume à la fois simple et riche, si proche de la conception humaine, si fécond et innovateur, si important pour l’histoire du monde et pour chaque conscience, si marqué dans les paroles et l’image du Christ ! Oui, Jésus est le prophète du royaume de Dieu. Il est venu et le royaume est proche. Il est cette personne qui possède, annonce et donne la formule véritable, universelle et incomparable à l’humanité. Il est le Maître. Il est le Pasteur. Il est le Sauveur.

Ne vous êtes-vous jamais aperçus que les hommes, plus ils sont évolués, plus ils vont fanatiquement à la recherche de l’homme qui renferme en lui l’idéal de l’humanité qui incarne une manière de vivre, les valeurs que l’on estime, l’espérance de nouveaux destins ? Notre histoire même le prouve ; hélas ! mais avec tant de folles exaltations, d’humiliations, de déceptions tantôt tragiques, tantôt désespérées ! Le vieux rêve continue : je cherche l’homme.

Si nous savons fixer notre esprit sur Jésus, avec une pensée honnête, une foi simple, un amour naissant, son image nous apparaîtra grave et lumineuse, libératrice et engageante. Et, aujourd’hui encore, pour nous qui sommes les enfants de ce siècle, à la fois exaltant et déprimant, se répétera la grande découverte des deux premiers disciples : « Nous avons trouvé le Messie, c’est-à-dire le Christ » (Jn 1,41).

C’est le souhait que Nous formulons pour chacun d’entre vous : trouver le Christ.

Avec notre Bénédiction Apostolique.





10 février 1971: CONNAÎTRE LE CHRIST PAR L’EVANGILE

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Chers Fils et Filles,



Depuis Noël, au cours de ces conversations hebdomadaires, nous nous sommes promis de réfléchir longuement — non par souci scientifique, mais pour le connaître — sur Jésus, son aspect extérieur et humain, son profil moral. Mais tout devrait encore être dit ; c’est déjà bon signe que nous nous en rendions compte et que nous reconnaissions le profond intérêt de ce thème. C’est pourquoi, nous tenons à vous proposer de revenir, d’une manière plus synthétique sur ce sujet, en exhortant chacun de vous à rechercher dans sa conscience chrétienne, formée à l’école de notre foi catholique, une réponse à ces deux questions : Qui était Jésus ? Qu’a-t-il fait ? Personnalité et oeuvres : ce sont là des thèmes de très vaste dimension, au-delà de notre mesure, et qui devraient nous attirer au lieu de nous tourmenter. Arrêtons-nous cette fois, à la première des deux questions : qui était réellement Jésus ?


Comment ses contemporains l’ont-ils connu ?


Observons tout d’abord que cette question nous place au coeur de l’Evangile. On peut même dire que l’histoire racontée par l’Evangile est construite autour de ce problème : identifier la réalité de Jésus : qui était Jésus ? « N’est-il pas le fils du charpentier ? » (
Mt 13,55). C’est ainsi que le classe l’opinion publique. « N’est-il pas le fils de Marie ? » (Mt 6,3). Les gens les mieux informés savaient quelque chose de sa famille. Dès l’apparition de Jésus sur la scène publique, Jean le Baptiste le voit venir vers le Jourdain et s’exclame : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1,29) ; une appellation étrange qui fait entrevoir en Jésus une victime prédestinée à un sacrifice rédempteur.

L’Evangéliste raconte la suite du témoignage du précurseur qui, dès lors, conclut : « Celui-ci est le fils de Dieu » (Jn 1,34). Jean s’exclamera à nouveau le lendemain : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1,36). Et un des disciples, André, en en donnant la nouvelle à son frère, Simon Pierre, traduira cette exclamation en déclarant : « Nous avons rencontré le Messie » (Jn 1,41). Désormais, un secret plane autour de Jésus : Mais enfin qui est-il, ce jeune et mystérieux prophète ? De sa prison, Jean lui-même — pour éclairer ses disciples et sans doute les céder au nouveau Maître — les envoie enquêter auprès de Jésus : «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,3). La curiosité s’étend, elle devient inquiétude. Jésus la reprend à son compte ; vous rappelez-vous la célèbre conversation de Jésus avec ses disciples dans la région de Césarée de Philippe ? C’est Jésus qui les interroge, non certes pour s’informer, mais pour les amener à définir l’idée qu’ils se font de lui en vertu de la nouvelle science, la foi, que Dieu leur a donnée en sa personnalité mystérieuse : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » (c’est ainsi que Jésus lui-même se nommait) ; et puis, ayant écouté les réponses diverses, selon les bruits qui couraient sur lui, il pose la grande question : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » question suivie immédiatement par la réponse spontanée de Pierre, inspirée par Dieu le Père : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,13-16). Cette merveilleuse définition, joie des croyants, problème pour les exégètes, tourment et cible des incrédules, prend un relief souverain grâce à deux confirmations successives. La première, sceau éternel de la découverte de la vérité, donnée par Jésus lui-même : « Tu es heureux, Simon, Fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la Chair et du Sang (c’est-à-dire la voie naturelle de la connaissance) mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis, tu es Pierre » (Mt 16,17-18). Qu’il est beau le commentaire de St. Léon le Grand lorsqu’il fait dire à Jésus : « De même que mon Père t’a manifesté ma dignité, je te fais connaître ta grande valeur » (cf. Serm. 4, 2 ; PL 54, 150). La seconde confirmation des paroles de Pierre nous est donnée lors de la transfiguration nocturne de Jésus, six jours plus tard, sur la montagne, tandis que d’une nuée lumineuse une voix résonne : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le » (Mt 17,5 cf. 2P 1,16 ss.). Ce thème évangélique nous conduit à St. Jean, historien tout comme les autres évangélistes, mais avec un but doctrinal et spirituel. Le problème de la définition de la personne et de l’action de Jésus domine tout son récit.


Les titres donnés à Jésus


A ce propos, il serait très intéressant de faire une liste des titres de Jésus dans les Evangiles. Chacun pourrait être l’objet d’une étude et surtout d’une profonde méditation. Jésus, le Maître, le Fils de David, est appelé l’eau qui seule désaltère (Jn 4,10), le Pain du ciel (Jn 6,41), la Lumière du monde (Jn 8,12), la Porte du Salut (Jn 19,9), le Bon Pasteur (Jn 10,11), la Résurrection et la Vie (Jn 11,25), la Voie, la Vérité, la Vie (Jn 14,6), etc. (cf. L. de grandmaison, Gesù Cristo, IV : La persona di Gesù ; L. sabourin, Les noms et les titres de Jésus, Desclée de Brouwer ; O. cullmann, Christologie du N. T., 1955).


Homme et Dieu


Et nous arrivons ainsi à l’épilogue de la vie temporelle de Jésus et précisément à l’instant décisif de son procès religieux : Jésus est condamné à mort (Mt 26,66) après avoir répondu « Tu l’as bien dit » à la question du Grand Prêtre Juif qui l’adjure par le Dieu vivant de dire « qu’il est le Christ, fils de Dieu » (Mt 26,63).

Il faudrait recueillir bien d’autres affirmations (cf. Mt 11,27 Jn 8,52-58 Jn 17,1-6) et de témoignages (cf. Mt 27,43 Mt 27,54 Jn 20,28) si un fait dominant, la résurrection, ne les contenait pas tous et les confirmait, en donnant à l’Eglise naissante et à la tradition qui a suivi, la foi en la divinité du Christ. La foi dans l’adhésion rigoureuse au fait historique, mais animée par la clairvoyance de l’esprit et le courage de l’amour, réussira finalement à donner une réponse définitive à la question implacable : « Qui est Jésus ? » Ecoutons encore une fois une des voix les plus autorisées du N.T., celle de Jean : « Au commencement était le Verbe... et le Verbe était Dieu... et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,1 ss.). Il est Dieu, le Fils de Dieu, avec nous. Ecoutons St. Paul : « Il est l’image du Dieu invisible » (Col 1,15). Et dans la joie d’avoir atteint le sommet de la définition du Christ, nous éprouverons une sorte de vertige comme si nous étions aveuglés et que nous ne comprenions plus rien : n’est-ce pas Jésus que nous acceptons comme le Christ, et que nous confessons comme Fils de Dieu, Dieu comme le Père, qui nous a donné les preuves de son infériorité déconcertante ? Oui, car c’est lui qui a dit : « Le Père est plus grand que moi » (Jn 14,28). Ne rencontrons-nous pas continuellement dans l’Evangile, Jésus qui prie (cf. Lc 6,42), n’écoutons-nous pas, angoissés, son gémissement sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu ; pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46) et ne le voyons-nous pas mort, oui, mort comme tout autre mortel ? C’est-à-dire, ne voyons-nous pas en Lui un Etre qui réunit en Lui divinité et humanité ? Oui ; il en est ainsi. La définition du Christ, à laquelle ont abouti les conciles de l’Eglise primitive, Nicée, Ephèse et Chalcédoine, nous donnera la formule dogmatique infaillible ; une seule Personne, un seul « Moi », vivant et agissant dans une double nature, divine et humaine (DENZ.-SCHON., DS 290 ss.). Est-ce là une formulation difficile ? Oui. Disons plutôt ineffable, adaptée à notre capacité de recevoir par de simples mots et des concepts analogiques, c’est-à-dire, exacts mais toujours inférieurs à la réalité qu’ils expriment, le mystère enivrant de l’Incarnation.

Heureux, pleins de courage, liés à la vérité, arrêtons ici notre discours ; l’Eglise et le Siège de Pierre que nous, indignes, occupons, jouissent du charisme infaillible de cette vérité. Engageons-nous à vivre le mystère de l’Incarnation, dans lequel le Baptême et la Foi nous ont déjà insérés, à le vivre en croyant, en priant, en agissant, en espérant, en aimant et en déclarant : « Pour moi, la vie, c’est le Christ » (Ph 1,21) prêts à explorer, prêts à expérimenter, avec la grâce de Dieu, l’autre mystère du Christ qui nous concerne totalement : la Rédemption.


Recherches sur le Christ dans la prudence


Impassibles, laissons se déchaîner contre notre foi catholique la tempête des christologies opposées, du siècle passé surtout et d’aujourd’hui, de ce siècle à la fois lumière et ténèbres. Nous admirerons l’effort de grande érudition que la culture moderne a fait porter sur le Christ, sa personne, son histoire, tout ce qui le concerne ; nous apprendrons nous aussi à y réfléchir davantage. Mais nous serons prudents et même méfiants en voyant les explications se succéder, en constatant que dans l’érudition de tant de maîtres, s’insinuent habituellement une hypothèse, un préjugé, une philosophie discutable, qui, combinés avec le trésor scientifique accumulé, portent souvent leurs conclusions au naufrage dans le doute invincible ou la négation radicale et irrationnelle (cf. M. joseph lagrange, Le sens du Christianisme ; G. ricciotti, Vita di G. Cristo, par. 104-224 ; L. de grandmaison, Gesù Cristo ; S. zedda, I vangeli e la critica oggi, Treviso 1965 ; et pour les récentes théories négatives G. de rosa, La secolarizzazione del cristianesimo, « Civiltà Cattolica » 1970, 2877-78).

Prudents et confiants : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » (Rm 8,35). Chantons notre Credo ! Avec notre Bénédiction Apostolique.





17 février 1971: TOUTE LA VIE DU CHRIST POUR LE SALUT DES HOMMES

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Chers Fils et Filles,



Depuis les fêtes de Noël (que suivront bientôt le temps de Carême et les fêtes de Pâques), nous nous interrogeons sur notre connaissance du Christ, nous limitant à arrêter notre attention sur certains aspects extérieurs de sa personnalité très complexe. Aujourd’hui, au terme de cette recherche élémentaire, nous voulons essayer de répondre — en n’utilisant que des notions à la portée de tous — à une question importante : Quel a été le but de la vie de Jésus ? Cette vie a-t-elle été dirigée vers un objectif, un dessein spécial ? Qu’a fait Jésus, Fils de Dieu et de Marie, par sa venue et son action dans le monde ? Ce problème revêt des proportions immenses et mystérieuses si nous avons une certaine connaissance de l’Etre de Jésus, si nous savons ce qu’il était. La question surgit dans toute sa spontanéité : Pourquoi ?


L’annonce de la parole


Si nous jetons un regard d’ensemble sur l’histoire du Seigneur, nous sommes à même de répondre ceci : La raison de la vie du Christ, la première et la plus évidente, est l’annonce de sa Parole. Il est venu pour prêcher l’Evangile. La présence du Christ dans le monde est caractérisée par la vérité qu’il proclame. Sa vie est la Parole de Dieu à l’Humanité. Cette Parole fonde sa vérité sur les miracles accomplis par le Christ; elle demeure et se répand au cours des siècles, grâce au choix des Apôtres, chargés de guider et d’instruire les disciples du Christ, de constituer l’Eglise, développement humain et historique, nouveau Peuple de Dieu.

Est-ce assez ? Avons-nous bien regardé ? Avons-nous bien écouté ?


Jésus prévoyait sa mort


Tout d’abord, nous ne pouvons oublier la fin tragique de la vie terrestre du Christ, le drame de sa mort sur la croix ; nous ne pouvons non plus oublier un fait extraordinaire qui donne à ce drame une signification exceptionnelle: Jésus savait qu’il devait mourir ainsi. Aucun héros ne peut prévoir le sort qui l’attend. Aucun mortel ne peut connaître la date de sa mort ni les souffrances qu’il devra endurer. Mais Jésus, lui, savait. Pouvons-nous imaginer l’état d’âme d’un homme qui prévoit parfaitement un martyre moral et physique semblable à celui qu’a subi Jésus ? Sa conscience voit clairement et il prédit maintes fois sa passion à ses disciples ; les récits évangéliques renferment beaucoup de ces confidences prophétiques qui mettent en relief la prescience déchirante de Jésus, quant au destin qui l’attendait (cf.
Mc 8,31 Mc 9,31 Mc 10,33 ss.). Il connaissait « son heure » ; une méditation à ce propos nous aiderait sans doute à pénétrer quelque peu dans l’âme du Christ ; St. Jean y consacre de précieuses indications (cf. Jn 2,4 Jn 7,30 Jn 12,23 Jn 13,1 Jn 17,1) ; le Christ a sans cesse devant lui le déroulement du futur comme celui du présent selon les cycles mystérieux des événements vus par Dieu ; les prophéties du passé et de l’avenir sont un livre ouvert à son regard divin (cf. l'Evangile selon Saint Matthieu; Jn 13,18 Jn 15,25 Lc 24,25 etc.).


Il acceptait sa mort


Jésus voulait. Il a voulu sa passion, nombre de témoignages évangéliques le prouvent. Lorsqu’il annonce à ses disciples qu’il faut aller à Jérusalem pour souffrir et y mourir, Pierre proteste et veut l’en détourner. Jésus lui adresse alors de sévères reproches (Mt 16,21-23) et lui redit son mécontentement à Gethsémani, lorsque Pierre essaiera encore de le protéger avec le glaive : « Mets ton glaive dans le fourreau ; la coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (Jn 18,11 He 9,14). Rappelons encore les paroles de St. Marc : « Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45 Is 53,10 ss.).

Si nous réfléchissons à cette vocation de Jésus, une vocation de douleur et de sacrifice, nous pouvons nous imaginer quelques traits de son visage. Un apocryphe devina peut-être : Jésus n’a jamais ri dit-il (cf. Lettre de Lentulus). Il a quelquefois pleuré (cf. Jn 11,35 Lc 19,4) ; et c’est avec joie que nous le voyons sourire aux enfants (Mc 9,36 Mc 10,16). Mais la scène de Gethsémani nous laisse entrevoir les souffrances profondes que Jésus porta dans son coeur tout au long de sa vie, attendant sereinement sa passion (Lc 22,43) ; il n’était pourtant ni stoïque, ni triste ; il était en communion totale avec le Père (cf. Jn 12,27-28).

Nous pouvons par là connaître un peu son aspect moral, ses sentiments : Jésus était bon, d’une bonté divine (cf. Mc 10,17-19).


« L’homme pour les autres »


Il comprenait la douleur et les angoisses d’autrui (Mt 11,28) ; il savait pardonner et relever ; ses entretiens avec les pécheurs nous sont bien connus. Jésus a été admirablement compris dans la Christologie contemporaine qui le définit : « l’homme pour les autres ».

Oui, et St. Paul, c’est-à-dire toute la théologie du Nouveau Testament et la Tradition Catholique, comprend le secret de la vie terrestre de Jésus, la raison, le but de son incarnation et nous apprend jusqu’à quel point il a vécu pour les autres : « Le Christ est mort pour nos péchés, d’après les Ecritures » (1Co 15,3).

Jésus est venu au monde pour nous et pour notre salut. Jésus nous a sauvés. Il s’appelait en effet ainsi, Jésus, qui veut dire Sauveur. Et il nous a sauvés en s’immolant pour notre rédemption : mystère de la soumission de l’homme-Jésus, uni à celui de la sublimation de l’homme-Jésus qui est l’Incarnation et qui prend place dans les vérités les plus importantes du système théologique chrétien, pour faire connaître l’amour de Dieu pour nous, dans le dessein éternel que seulement le Christ nous a révélé, dans le dogme obscur mais indispensable (pascal, Pensées, 434) — car sans lui, nous ne pouvions rien savoir de nous-mêmes —, dans la valeur sacrificielle de la passion du Seigneur, pour tous, en remplacement d’une expiation pour nous nécessaire mais impossible à nos forces.

Nous arrivons à la dernière action du Christ : la Rédemption qui permet à chacun d’entre nous, de parvenir librement à un dialogue souhaitable avec Notre Seigneur Jésus-Christ : « Il nous a aimés, proclame St. Paul, et il s’est immolé pour moi » (Ep 5,2 Ga 2,20). Pour moi : c’est ici, Chers Frères, que commence pour chacun de nous, la vie Chrétienne, vie d’amour, qui nous apporte la lumière, le feu, le sang du Christ, dans l’Esprit : Amour qui, avec toutes nos forces, va vers le Christ, à la recherche des frères dans l’Esprit-Saint, toujours.

Ainsi soit-il !

Amen !





24 février 1971: LE CAREME : TEMPS POUR LA PÉNITENCE

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Chers Fils et Filles,



Nous devons accepter cette invitation, grave et salutaire que l’Eglise, cette éducatrice, nous adresse en ce début de Carême. Nous pouvons le considérer à bon droit, comme le chemin classique de notre salut, célébration du mystère de la Rédemption effectuée par le Christ crucifié et ressuscité.

Quelle est cette invitation ? C’est le « mémento » rappelé à chacun de nous par le rite impressionnant de l’imposition des cendres sur nos têtes.


« Mémento »


Un « mémento » ! L’invitation, c’est clair, veut attirer notre attention et nous amener à formuler un jugement sur nous-mêmes. Nous sommes suffisamment habitués à des actes de réflexion, à des examens de conscience, à des retours sur notre vie intérieure : la grande et éternelle leçon de l’ascétique dans l’Eglise est ainsi confirmée par le développement des études psychologiques et des analyses introspectives sur les phénomènes de la conscience instinctive ou rationnelle qui nous habitue à cette rétrospection et nous demande de dialoguer silencieusement avec nous-mêmes.

Mais il est rare que ce dialogue, ou plutôt ce soliloque, prenne en considération toute notre existence et s’aventure dans les profondeurs ambiguës de nos destins existentiels. En général, nous sommes enclins à ignorer notre vraie nature ; nous ne savons pas qui nous sommes, sinon grâce à quelque événement phénoménal ou à quelque indication extérieure. Et quand, difficilement, nous nous interrogeons sur notre être, sans la lumière d’une sagesse supérieure, nous sommes déconcertés.

Nous feuilletons par la pensée le livre de nos souvenirs et immédiatement nous en découvrons le vide ; souvenirs inscrits dans le temps que le temps même condamne. Que reste-t-il de leur réalité ? La mémoire, leur histoire, mais quelle valeur a pour nous, pour notre être une telle constatation ? Quelle valeur ? La vie humaine saisit l’insuffisance de ces trésors de la mémoire, l’oubli les ronge, le regret, tout en nous les rendant doux et instructifs, dénonce la perte de ce qu’ils renferment, la nullité de leur contenu. Quelle expérience amère que le bilan de nos souvenirs ! Plus amère et désespérée si cette enquête s’adresse à tout ce qui nous entoure, personnes et choses ; elle fait ressortir cette froide solitude de notre être.

Le lien qui nous unit avec ce qui est en dehors de nous, dévoile son inexorable précarité ; il est inutile et peut-être même insensé, de nous accrocher à ce que nous possédons, à ce que nous connaissons, à ce que nous aimons et que nous appelons nôtre (cf.
Lc 12,15). Que nous reste-t-il ? Notre âme, c’est-à-dire notre personne, notre vie intime ? Oui, mais même à ce propos, quelle obscurité ! Que sommes-nous, que reste-t-il de nous ? Qu’est-ce que la mort ? Le vide, l’océan du néant, ou la mystérieuse survie du noyau central de notre être, l’âme ?


Double prospective de la vie humaine


C’est à ce propos que nous revient à l’esprit la parole du Seigneur : « Que servira donc à l’homme de gagner le monde entier s’il ruine sa propre vie ? Ou que pourra donner l’homme en échange de sa propre vie ? » (Mt 16,26). Ces paroles nous font méditer longuement sur la dévaluation de toutes choses, dans le jugement chrétien sur notre propre vie ; une réflexion qui remplit les pages de l’Evangile, les sermons et les traités de spiritualité, les vies des Saints, les exercices spirituels ? etc., au point que celui qui considère le christianisme sous certains aspects particuliers, peut l’accuser d’être l’ennemi des valeurs temporelles et d’être incapable d’apprécier la vie présente. Le Concile a corrigé cette vision restreinte et a reconnu les aspects qui rendent dignes les biens de la création, de la nature, de l’oeuvre humaine de l’époque actuelle (cf. Apostolicam Actuositatem, AA 7 Gaudium et Spes, GS 6-9 Lumen Gentium, LG 36).

Le christianisme n’est pas pessimiste. L’oeuvre de Dieu et celle de l’homme, à un niveau bien inférieur, sont l’objet d’un très grand intérêt dans l’évaluation chrétienne ; mais quand la vie de l’homme est vue dans sa double prospective finale, c’est-à-dire mesurée par le temps et par un critère moral, alors, d’un côté, elle est réduite en cendres, destinée à la mort, et de l’autre, elle est surévaluée dans son être spirituel et dans son destin immortel, c’est-à-dire, engagée à décider de son avenir d’outre-tombe.

Cette conception de la vie humaine n’est certes pas à la mode. Tout aujourd’hui s’efforce de la faire oublier. On vit avec une mentalité toute tournée vers le moment actuel, comme si celui-ci était permanent et non-irrémédiablement bouleversé par le moment à venir ; mentalité qui souvent tente de se soustraire à la responsabilité d’un critère moral et d’un jugement dernier. Nous vivons ainsi, plongés dans une double illusion, comme si nous étions les maîtres du temps et comme si nous pouvions vivre dans un indifférentisme moral, sans aucun devoir fondé sur une norme extérieure à notre jugement et à notre conscience libre. Nous connaissons certains effets pratiques et sociaux de cette manière de vivre aveugle, comme si nous étions exemptés du dessein réel et moral dans lequel est insérée inexorablement notre vie. Et comme nous sommes habituellement poussés à accorder une importance souveraine aux biens temporels dans lesquels se déroule notre existence terrestre et dont elle tire sa vie, voici que l’Eglise nous rappelle à la réalité : Souvenez-vous. Faites attention. Soyez attentifs, vigilants ! Vérifiez la direction de votre route. L’Eglise nous le dit, par ce rite des cendres, rite sérieux, austère mais salutaire et au fond optimiste, car il nous place devant notre condition misérable d’êtres mortels, d’êtres pécheurs, d’êtres en état de mort par rapport à la vraie vie ; cette vie qui dépend de notre communion avec Dieu, unique, dernier, miséricordieux principe de vie. L’Eglise nous avertit ainsi, que nous avons besoin de salut, pour nous dire immédiatement que nous ne le trouverons que dans le Christ.


Le "tempus acceptabile"


Et voici qu’alors, ce temps devient plus précieux ; et c’est justement ce temps que nous allons commencer à vivre ; c’est le « tempus acceptabile », le temps propice (2Co 6,2). Pourquoi ? pour une nouvelle réflexion, pour le repentir, la pénitence. C’est à la pénitence que nous invite la liturgie de l’Eglise par ce rite austère des cendres, très antique, aux origines bibliques et évangéliques (cf. 1M 4,39 Mt 11,21) et qui est inséré dans l’histoire de la liturgie depuis les origines du christianisme (cf. DACL 2, 2 ; cabrol, 2134 ss. ; 3040 ss.).

Nous devons nous convaincre que ce rite, accompli avec un sentiment sincère et conforme, à la vénérable tradition de l’Eglise, aura encore pour nous, la même efficacité qu’il a eu pour nombre de générations de chrétiens : faire surgir des cendres de la pénitence, symbole de notre mortalité et de la condamnation de nos péchés, la nouvelle étincelle de l’espérance et de la vie que le Christ Pascal renouvelle dans le monde.

Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 27181