Catéchèses Paul VI 50375

5 mars 1975: LE SACREMENT DE LA PÉNITENCE

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Chers Fils et Filles,



Nous continuons à développer les éléments principaux de notre catéchisme, bien simples, mais si nécessaires à notre salut. Dans l’esprit du Carême et de l’Année Sainte, nous réfléchissons au sacrement de pénitence qui constitue un point marquant de notre conversion.

Face aux controverses actuelles, il n’est pas superflu d’en rappeler quelques aspects. Mercredi dernier, nous avons déjà dit un mot de l’essentiel : ce pardon est une oeuvre prodigieuse de la grâce du Seigneur, qui ressuscite en nous la vie divine. Mais cette miséricorde débordante du Seigneur requiert quelques conditions de la part de celui qui en bénéficie : l’effet du sacrement de pénitence n’est pas automatique, de l’ordre magique; il s’agit d’une rencontre qui suppose une disponibilité, une collaboration humaine.

En simplifiant la vaste étude psychologique, morale et religieuse qui prendrait place ici sur ce sujet difficile, soulignons seulement deux points essentiels : la contrition et l’accusation. Pour la contrition, le Concile de Trente l’exprime bien : « Tenant la première place dans les actes du pénitent, elle est une douleur de l’âme, une réprobation de la faute commise avec la résolution de ne plus pécher » (Denz.-Sch.
DS 1676). Pour éprouver ces sentiments, il faut avoir la conscience du péché, et donc la foi dans les relations réelles entre notre vie et la loi de Dieu. Trop souvent aujourd’hui, l’ambiance sécularisée, parfois plus que païenne, étouffe la conscience morale. L’activité humaine ne se réfère plus alors à la loi ni à la bonté de Dieu, mais plutôt à l’utilité, à l’intérêt, au plaisir, au succès, à l’autonomie absolue de la volonté ou de la passion. On peut parler d’une véritable ankylose morale. Et pourtant, quelle efficacité admirable peut avoir la contrition, surtout lorsqu’elle est, comme on dit, « parfaite », c’est-à-dire qu’elle est motivée par l’offense faite à l’amour de Dieu et par le mal, la déchéance qu’apporte en nous le péché : elle est déjà la cause du pardon de Dieu, du moment qu’elle comprend aussi le désir de recourir au sacrement de pénitence dès que possible. Nous aimons le rappeler, comme on nous l’a demandé, pour le réconfort de ceux qui se trouvent en danger de mort sans pouvoir bénéficier de la présence d’un prêtre.

Précisément, l’autre point est la confession, c’est-à-dire l’accusation des fautes à un ministre autorisé à les entendre et à les absoudre. Cette démarche apparaît bien dure à certains ; mais elle est acceptée et comprise de ceux qui ont fait l’expérience de l’humilité, qui ont eu la joie de retrouver ainsi la vérité et la justice du coeur, et d’éprouver la libération qui vient de Dieu par l’absolution sacramentelle. Oui, beaucoup peuvent en témoigner, les confessions sacramentelles, vraiment sincères, comptent parmi les moments les plus réconfortants et les plus décisifs de l’existence.

C’est comme un point de passage obligé sur le chemin de notre salut. Ici, reviennent à notre esprit les célèbres paroles de Saint Augustin : « Celui qui t’a crée sans toi, ne te justifiera pas sans toi » (Serm 169, XI ; PL 38, 923). Avec notre Bénédiction Apostolique.





12 mars 1975: LE SACREMENT DE LA RÉCONCILIATION

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Chers Fils et Filles,



Le Carême que nous célébrons actuellement en préparation au jour de Pâques et l’imminence de cette fête sainte et dramatique nous oblige à compléter notre sommaire catéchèse par un rappel à l’esprit de pénitence ; ne sauraient en effet en manquer ceux qui considèrent Pâques comme un événement central de notre observance religieuse et comme un encouragement à pénétrer dans le mystère du salut en y participant personnellement et de manière intense (cf. Const. Ap. Paenitemini, 27, novembre 1966, IX, 2).

Par sa logique intrinsèque, l’esprit da pénitence impose une certaine pratique pénitentielle ; autrefois extrêmement exigeante pour tout le peuple fidèle, celle-ci est aujourd’hui infiniment plus souple, moins sévère dans ses obligations (le jeûne, par exemple, n’est plus prescrit que pour deux jours : le mercredi des Cendres et le Vendredi Saint) : mais il n’empêche que trois pratiques pénitentielles : la prière, les mortifications et les oeuvres de charité restent tout particulièrement recommandées à la bonne volonté de chaque fidèle.

Mais un acte sacramentel, classique et obligatoire, continue à qualifier et enrichir cette période de conversion et d’expiation : c’est, comme tout le monde le sait, la confession, ou pénitence, par antonomase, au sujet de laquelle la récente réforme liturgique a promulgué d’excellentes règles et instructions. Nous pensons que celles-ci également sont connues ; mieux nous recommandons aux Pasteurs et aux Maîtres dans l’Eglise de Dieu de les propager, aux communautés ecclésiales et aux fidèles en particulier de les étudier et de les méditer.

Dans notre allocution d’aujourd’hui nous appelons cette fois votre attention sur l’aspect ministériel de ce sacrement de la Pénitence. Il existe à présent une tendance aberrante qui voudrait s’affranchir de la discipline rituelle et ecclésiale que ce sacrement comporte nécessairement, en faisant couramment l’apologie — excellente, mais insuffisante — du caractère intérieur et tout personnel que la pénitence authentique exige et produit dans l’âme de celui qui en a compris la nécessité et la nature : conversion du coeur à Dieu et nouveau rattachement à la vie divine de la vie humaine tombée dans le péché et donc dans la mort.

Notez que cet aspect intérieur, intime et profond, de la réconciliation d’une âme pécheresse avec Dieu, non seulement est conservé, mais encore réclamé aujourd’hui et même aujourd’hui plus que jamais, étant donné le degré de maturité de la conscience de l’homme moderne et la simplification de l’ascèse publique et privée requise par les normes ecclésiales en vigueur. Mais si cette réconciliation personnelle du pécheur avec Dieu est toujours possible et, en cas de nécessité, suffisante pour obtenir, moyennant un acte de contrition parfaite, le pardon qui redonne la grâce (c’est l’enseignement du catéchisme), encore faut-il rappeler que cet acte doit inclure, au moins implicitement, l’intention de recourir, dès que possible, au ministère qualifié du prêtre : car c’est lui qui est revêtu du prodigieux pouvoir de remettre les péchés et de réconcilier le frère infidèle avec Dieu et avec la communauté vivante de l’Eglise.

Il importe maintenant d’observer que le péché, s’il est grave, ne brise pas seulement le lien vital du pécheur avec Dieu, mais produit un autre effet négatif auquel l’Eglise — spécialement et publiquement, dans les premiers siècles — a toujours donné une grande importance : la rupture du lien social et spirituel avec la communauté de l’Eglise. Le péché n’est pas seulement offense à Dieu et ruine pour celui qui le commet : il blesse tout autant la communion ecclésiale (cf. Ordo Paenitentiae, n. 5). C’est si vrai que pour certains péchés graves bien déterminés le Code de Droit Canon prévoit (« latae sententiae », comme disent les canonistes), l’excommunication, c’est-à-dire l’exclusion ipso facto du fils infidèle de la participation aux bienfaits de la charité ecclésiale.

Le péché nuit également à l’Eglise ; et ce dommage fait à la communauté ecclésiale se retourne contre l’auteur de cette offense : il se fait que le pécheur interrompt lui-même, pourrait-on dire, le flux vital qui l’unissait à l’arbre vital de l’Eglise, même si celle-ci n’intervient pas par un acte explicite de rejet, par une excommunication prononcée canoniquement.

Rappelons-nous cette triste possibilité, pour confirmer la nécessité du ministère sacerdotal : il est humain, c’est vrai, dans ses formes et dans ses limites, mais surhumain dans son pouvoir de réaliser la parole divine dont le prêtre est le ministre autorisé. « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez ; ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez » (
Jn 20,23).

Sublime Evangile ! Evangile des plus lumineux, des plus riches en consolations. Evangile qui oblige, Evangile transfusé et opérant dans la discipline de la sainte Eglise de Dieu. Cet Evangile nous suggère une double recommandation.

Aux prêtres va la première, et elle mériterait un ample et bien intéressant développement : Frères prêtres, habituez-vous sérieusement à ce ministère de salut, spécialisez-vous ; c’est un ministère délicat et onéreux ; mais il est merveilleux : c’est un véhicule immédiat de grâce, une véritable médecine des âmes, une source de lumière et de sagesse, un exercice inépuisable de bonté, et, pour le ministre lui-même, une école d’expérience et d’humilité. Ne le négligez pas, ne vous en acquittez pas à la hâte et, surtout, ne le profanez jamais ! Faites-en l’exercice patient et sage de votre charité sacerdotale.

La seconde recommandation s’adresse aux fidèles, à tous les fidèles : ayez confiance dans la confession sacramentelle, moment caractéristique — d’abord difficile mais ensuite très consolant — de l’expérience de la miséricorde divine. Comme vous choisissez avec soin un bon médecin pour la santé physique, ou un psychanalyste averti pour la cure de l’esprit sachez choisir aussi, si vous le pouvez, le médecin de l’âme : discret, mais sage, bon vrai dispensateur de réconfort, de conseil, d’avertissement, de grâce ; la grâce de la résurrection, la grâce pascale !

Avec notre Bénédiction Apostolique.





26 mars 1975: LE MYSTÈRE PASCAL DONT LE CHRIST EST LE PROTAGONISTE S’APPELLE « RÉDEMPTION »

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Chers Fils et Filles,



La célébration liturgique de la Semaine Sainte exige de nos fidèles (nous pourrions dire, d’ailleurs : de toute personne intelligente) une réflexion préparatoire au sujet du sens objectif de l’événement qu’une telle célébration entend non seulement évoquer et représenter, mais, en un certain sens, revivre.

C’est là le premier aspect de l’acte liturgique qui s’impose à notre attention ; un aspect souverainement intéressant que la mentalité religieuse, éduquée au sens transcendant et extra-temporel des rapports avec Dieu, trouve évident et attrayant : c’est le propre de la religion de conférer une virtualité permanente aux faits religieux, caractérisés par une présence divine, mieux, par un dessein divin. « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde ; il ne faut pas dormir pendant ce temps » a dit Pascal (cf. Le mystère de Jésus). Le mystère pascal se perpétue mystiquement dans le temps ; il s’accomplit aujourd’hui.

C’est pourquoi, il ne nous est pas seulement concédé d’assister aux cérémonies célébratives de la Liturgie, mais il nous est aussi permis, et même recommandé, d’y prendre part. La participation à la Liturgie, enseignée de tout temps par l’Eglise, est devenue un programme favorisé par le récent Concile. Certes, nous pouvons assister en spectateurs au déroulement liturgique ; mais si nous avons réellement compris sa signification et ses finalités nous devons en être, d’une certaine manière, les acteurs, ou, tout au moins, nous mettre en syntonie avec l’action commémorative et reporter notre psychologie religieuse au moment et à la scène où elle a son origine. Et nous devrons ainsi nous considérer comme commensaux de la dernière Cène, être présents sur le Chemin de la Croix, foudroyés par les mystérieuses apparitions de Jésus ressuscité. Le langage liturgique entend être un diaphragme transparent qui permet à notre actuelle et physique humanité de s’associer aux événements et aux sentiments auxquels elle se réfère. Et ainsi, aujourd’hui, nous nous sentons pris d’une sorte d’enchantement auquel l’incessant envahissement du spectacle moderne, théâtral autant que cinématographique, nous habitue, avec cette différence essentielle, par rapport à la représentation liturgique : que le spectacle profane, nous le savons, nous divertit, nous absorbe peut-être même, mais ne parvient pas à nous tromper sur son caractère substantiellement extérieur, et, le plus souvent d’une irréalité gratuite ; il touche les sens, envahit l’imagination, émeut peut-être l’esprit ; mais nous avons conscience qu’en réalité il ne nous concerne pas ; le spectateur y reste passif, toujours libre de se soustraire au charme de ce « divertissement », au sens étymologique de diversion, de détachement de la réalité concrète que nous vivons (cf. encore Pascal, 11 ; cf. également Bossuet, Sur la Comédie, Oeuvres 11, 237). Par contre, la représentation liturgique, ne se borne pas à évoquer le souvenir des gestes et des paroles du Christ : elle rend opérante son action salvatrice (cf. St Th
III 56,1-3 ; Vagaggini, Il senso teologico della liturgia - le sens théologique de la liturgie, p. 98 et ss.). Tout comme l’évocation d’une grande figure, si digne soit-elle (par ex. celle de Socrate) est bien différente du souvenir humain-divin du Christ, en ce sens qu’il est, Lui, le principe toujours agissant de notre salut ; un tel souvenir ravive en effet ses caractères propres, tant exemplatifs que réels (cf. Enc. Mediator Dei, n. 163) qui confèrent à la liturgie un caractère tout personnel, une dignité incomparable ; c’est une représentation sui generis, qui s’insère dans l’actualité, dans la vie vécue. Si bien que le sentiment de distance et de caractère extérieur n’ont pas place chez le fidèle qui participe à la liturgie. Et alors, en célébrant la fête de Pâques, le fidèle se sent envahi, et même écrasé par la qualité dramatique de l’heure) vécue par le Christ « Mon heure » comme Il l’appelle (cf. Jn 2,4 Jn 12,23 Jn 17,1, etc.). Et alors le caractère dramatique, vraiment extraordinaire et unique, de l’invocation liturgique explose dans toute son incomparable violence. Qu’est-ce qu’un drame ? se demande un auteur moderne, maître en la matière (le regretté et sagace Silvio D’Amico). « Le Drame, on pourrait le définir ainsi : « représentation scénique d’un conflit » (Storia del Teatro dramm., 1, 23). Et si le conflit marque le heurt sanglant de forces transcendantes et immanentes, ne serait-ce pas de la tragédie ? et la tragédie n’enregistre-t-elle pas des gradations qui classent leur violence, leur grandeur, leur fatalité, leur mystère ? : « Ne saurait être un personnage tragique », constate un critique clairvoyant et indiscuté (le regretté Renato Simoni), celui qui ne participe pas pleinement... à la douleur humaine. C’est pour cela que sont tragiques la prière du Christ : Père, si c’est possible, éloigne de moi ce calice amer ! et ce « Consummatum est » qui, avec l’angoisse la plus héroïque, résume la plus grande des catastrophes » ib. 11-12). Que dirons-nous alors, quand nous savons (oh ! bien plus dans les paroles, dans les textes théologiques que dans l’incommensurable réalité spirituelle, ontologique, cosmique) que la tragédie dont le Christ a été le protagoniste s’appelle rédemption, le mystère que la doctrine catholique qualifie comme le plus difficile de tous ! là où le duel de la mort et la vie se combat de la manière la plus stupéfiante (cf. la séquence pascale : mors et vita duello conflixere mirando), où la profondeur abyssale du mal, le péché dans sa totalité négatrice et meurtrière, se mesure avec la profondeur suave de l’Amour, dans sa toute-puissance vivifiante et ressuscitante ?

Il y aurait vraiment de quoi rester atterrés, quasi paralysés, si, dans le déroulement de cet ineffable événement, nous ne savions que Jésus est mort et ressuscité avec nous, pour nous, en nous (cf. L. Bouyer, Le mystère pascal, 11-12 ; G. Bevilacqua, L’uomo che conosce il soffrire ; St Augustin, ad Galatas, 28 ; etc.).

Concluons : coupables, responsables, spectateurs, participants, sauvés par le mystère pascal, que la célébration de ce mystère en cette année de grâce, ne soit pas inutile pour nous.

Avec notre Bénédiction Apostolique !





2 avril 1975: LA DIMENSION DE LA JOIE DANS LA FOI CHRÉTIENNE

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Chers Fils et Filles,



Pâques est une fête si importante qu’il faut non seulement la célébrer, mais encore la méditer et puis la vivre. Elle exige prolongement spirituel en raison de la préparation qui l’a précédée et qui a enrichi les âmes des fidèles — des néophytes principalement — d’un trésor d’enseignements qui n’avaient pas un caractère simplement transitoire mais avaient pour but d’initier les chrétiens et surtout les néo-chrétiens, à une manière nouvelle et caractéristique de penser et de vivre ; cette pédagogie n’est nullement éphémère ; au contraire, elle se perpétue avec la célébration de la grande journée pascale. De plus, le mystère pascal introduit dans les âmes tant de motifs de réflexion, tant de vérités à croire et à appliquer à la vie vécue que cela impose cette continuité spirituelle et morale qui vaut au fidèle sa qualification la plus marquante de chrétien.

Quels sont les aspects de cette réflexion nouvelle ? Ils sont nombreux. Le premier devrait être le silence intérieur. Si nombreuses sont les voix qui ont frappé et ému nos esprits qu’il sera sage d’en écouter à nouveau les échos intérieurs, d’en méditer la signification, d’en goûter encore les saintes émotions. Il ne s’agit pas maintenant de ce silence qui étouffe les voix entendues et tombe dans l’inertie et le sommeil ; mais bien de ce silence dans lequel l’esprit, soustrait aux stimulants des sons extérieurs, s’écoute lui-même, évoque à nouveau les voix et les impressions enregistrées par la conscience, les médite, les rumine, les absorbe, les confie à la mémoire et à la volonté ; et ceci pour nous faire apprécier ce silence mystique qui est déjà colloque avec Dieu et déjà réponse tacite au colloque avec le langage ineffable de l’Esprit Saint ; car l’Esprit Saint lui-même, interprète de la parole du Christ et converti en maître intérieur, nous exprime, et par nous exprime à Dieu, une manière inexprimable de prier (cf.
Rm 8,26-27).

Peut-être ne sera-t-il pas facile à chacun de rentrer tout de suite après Pâques dans cette cellule intérieure de grand silence où celui qui est entraîné à l’art de la prière peut intercepter les accents mystérieux du mystère pascal. Plus facile, plus commun, et parfaitement légitime est au contraire une autre manière de repenser un si grand mystère pascal, spécialement si sa célébration a été préparée, si l’on y a participé ; c’est l’expérience d’une onde immense d’exultation ; c’est l’expérience non seulement passive, mais autant que possible, provoquée, de l’âme elle-même, consciente de la dimension (le terme semble ici parfaitement approprié) de l’amour du Christ : « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur » comme le note Saint Paul (Ep 3,18-19) : comment ne pas chanter ? comment ne pas proclamer « Magnalia Dei » (cf. Ac 2,11) les grandes choses de Dieu, comme la Vierge dans son « Magnificat » ? comment ne pas épancher la plénitude des sentiments accumulés durant le laborieux apprentissage du Carême et la dramatique liturgie du triduum pascal ?

Mais arrivés à ce point, c’est-à-dire à celui d’une réflexion immédiate et globale au sujet de Pâques, triomphe de la vie nouvelle, déjà parfaite dans le Christ, pour nous aussi déjà commencée, et, pour l’avenir, promise dans une plénitude proportionnée, comment pouvons-nous trouver des expressions adéquates ? L’Eglise qui sait bien à quelle cime ineffable peut s’élever le sentiment religieux, a trouvé une solution : celle de condenser le jubilé, l’émotion, l’amour, en une seule parole, un une seule exclamation : alleluia! Voilà le cri pascal : c’est un cri biblique des plus antiques nous le trouvons dans l’Ancien Testament (voir Ps 135,3), et il a pénétré profondément la liturgie du Nouveau Testament. Il signifie : Louez le Seigneur ! Puis, il a été utilisé spécialement pour donner à la joie spirituelle sa note spontanée et explosive qui dit tout et voudrait en dire plus ; le chant sacré y a trouvé un thème pour ses mélodiques divagations enchantées et enchanteresses, comme la voix y a trouvé de puissantes acclamations collectives ; mais alléluia ! sert surtout pour exprimer une joie exubérante jaillissant du coeur débordant de foi et d’amour (cf. Ap 19,1-7).

Alléluia! restons-en à ce cri pascal ! Pour le faire nôtre, avec la liturgie de l’Eglise. Puis pour inscrire dans le code de notre mentalité catholique cette règle fondamentale : notre foi, notre vie religieuse sont foncièrement optimistes. Mieux, elles sont faites pour la béatitude. Dramatique, douloureuse et même terrible en certains de ses accents et en certains de ses dogmes les plus graves, l’adhésion au Christ et à son Eglise est orientée vers la joie, vers la félicité. Le chrétien, le fidèle, le saint, ne peuvent qu’être heureux. Toujours, même dans les tribulations (cf. 2Co 7,4). « Et personne, a dit Jésus, ne pourra vous enlever votre joie » chrétienne (Jn 16,22). Alléluia, donc ! Avec notre Bénédiction Apostolique.





9 avril 1975: DANS LE SACREMENT DE LA PÉNITENCE LE DON DE LA PAIX INTÉRIEURE

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Frères et Fils bien-aimés.



Ces jours qui suivent Pâques, la fête du mystère suprême concernant Jésus-Christ, notre Seigneur (cf. R. Guardini, Il Signore, VI, 2) et concernant notre salut (cf.
1Co 15,20), nous devons les vivre dans la méditation et dans l’exploration de cette extraordinaire nouveauté de la Résurrection qui se greffe, d’un côté, dans l’histoire évangélique et dans l’expérience de la vie naturelle (cf. Jn 20,27) et d’un autre, la dépasse et la transcende, nous obligeant et nous invitant à apprécier un premier avant-goût — à notre portée — de la vie que nous devons appeler surnaturelle. Bien que cette super-expérience de l’existence chrétienne dans le royaume de la Résurrection soit assez limitée — l’Evangile lui-même le reconnaît (cf. Jn 21,25) — elle ne peut cependant pas manquer d’attirer et d’enchanter notre curiosité spirituelle et, si nous le voulons, d’alimenter une méditation inépuisable d’où jaillit alors une inextinguible aspiration, ascétique autant que mystique (cf. S. Aug. De civ. Del, 19, 27). Il nous suffit des toutes premières impressions provoquées par le Christ ressuscité pour embraser notre foi et susciter notre admiration.

Fixons maintenant notre attention sur le salut inattendu, trois fois répété dans le même contexte évangélique, de Jésus ressuscité, apparaissant à ses disciples, rassemblés et enfermés dans le Cénacle, par crainte des Juifs ; le salut devait à l’époque être habituel, mais dans les circonstances où il fut prononcé, il acquiert une plénitude stupéfiante ; vous vous en souvenez, c’est celui-ci « Paix à vous ! ». Un salut qui avait vibré dans le cantique de Noël (Lc 2,14) : « Paix sur la terre » ; un salut biblique, déjà annoncé comme promesse effective du royaume messianique (Jn 14,27), mais à ce moment-là communiqué comme une réalité qui prend corps dans ce premier noyau d’Eglise naissante : la paix la paix du Christ victorieux de la mort et des causes proches et lointaines de ses effets terribles et inconnus.

Jésus ressuscité annonce, mieux, il fonde la paix dans les âmes égarées de ses disciples. Nous ne parlerons pas en ce moment de la paix et de ses multiples significations ; nous nous bornerons à vous inviter à une méditation attentive au sujet de la paix du Seigneur entendue dans sa signification première, la signification personnelle, intérieure, celle, morale et psychologique, qui se confond avec la félicité, celle que Saint Paul inscrivait parmi les fruits de l’Esprit, après la charité et la joie, se fondant presque avec celles-ci (Ga 5,22). Cette heureuse fusion n’est pas étrangère à quelque commune expérience spirituelle de notre part; elle est pour ainsi dire la meilleure réponse à notre question sur l’état de notre conscience quand on peut dire à juste titre : ma conscience est en paix.

Qu’y a-t-il de mieux pour un homme conscient et honnête ? La paix de la conscience n’est-elle pas le meilleur réconfort que nous puissions trouver en nous-mêmes ? Et un tel réconfort ne surpasse-t-il pas toute autre consolation, tout autre apport tranquillisant qui pourrait nous venir de l’extérieur ? Celui qui veut vivre avec le témoignage intérieur d’une propre vérité, d’une propre justice, ne doit-il pas le chercher au fond de sa propre conscience, de son propre coeur ? Et n’est-ce pas le premier malheur de l’homme, celui d’être accusé par sa propre conscience ? Et n’y a-t-il pas une dégradation de l’homme lui-même dans la tentative — hélas ! souvent habituelle et orchestrée par des manoeuvres mensongères — d’étouffer le malaise insistant de sa propre conscience pour revêtir une respectable dignité extérieure ou pour neutraliser sa propre sensibilité morale par des audaces permissives dénuées de scrupules ?

La paix de la conscience est la première félicité authentique. Elle aide à être fort dans l’adversité ; elle maintient la noblesse et la liberté de la personne humaine même dans les plus graves situations où elle peut se trouver ; la paix de la conscience demeure en outre la bouée de sauvetage, c’est-à-dire l’espérance de récupération de sa propre réhabilitation, de sa propre estime, de sa propre renaissance morale, alors que le désespoir devrait avoir le dessus dans le jugement de soi. Mais est-il possible d’avoir, est-il possible de récupérer une véritable — et non illusoire — paix de la conscience, grâce uniquement à nos propres ressources morales ? Qui, dans le meilleur des cas, soldera les débits, c’est-à-dire les remords du passé ? Qui garantira une sécurité certaine pour l’avenir ?

Il est beau de noter, précisément dans le cadre de l’Evangile que nous sommes en train de méditer, celui de l’incomparable don de la paix intérieure, le premier don fait aux siens par le Christ ressuscité, il est beau, dirons-nous, de noter, comment Jésus a tout aussitôt institué le talisman, c’est-à-dire le sacrement qui peut donner la paix, la paix à la conscience : le sacrement du pardon, un pardon ressuscitant, celui de la pénitence sacramentelle, qui a le pouvoir d’effacer nos débits sur le livre de Dieu (Jn 20,23), et, par conséquent rendre innocence et vie nouvelle aux âmes, de les rendre à leur véritable et essentielle condition, de les rendre plus réelles et plus désireuses d’une thérapie miraculeuse qui ne soit pas notre propre conscience, miroir parfois imparfait de notre être devant l’oeil pénétrant et infaillible de Dieu.

Paix à vous ! quel salut vivifiant quelle définition première de celui qui a la chance — et tous peuvent l’avoir — de participer de manière vitale, fut-elle même encore mesurée, à la vie du Christ ressuscité ! N’est-il pas toujours calme, heureux, bon, exemplaire, celui qui a vraiment la paix du Christ dans le coeur ? Paix à vous, donc ! ce salut est plus qu’un souhait : il est une invitation, il est un principe, que la liturgie et la conversation chrétienne ont adopté et que nous, aujourd’hui, nous vous renouvelons, avec notre Bénédiction Apostolique.





16 avril 1975: APPRENONS À VOIR LE RAPPORT ENTRE RELIGION ET VIE

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Pâques, très chers Fils, la fête de Pâques récemment célébrée doit encore nourrir nos pensées, doit encore être l’objet de notre vie spirituelle. Et parmi les divers motifs pascals il en est un qui doit nous intéresser personnellement de manière particulière : ce motif est la nouveauté, le renouvellement ; il est aussi un des thèmes dont la spiritualité de l’Année Sainte doit tirer son inspiration caractéristique et déterminante.

Une question simple, mais fondamentale : notre vie, telle qu’elle était avant que le mystère pascal nous soit communiqué, est-elle restée la même après qu’un tel mystère non seulement nous a été annoncé, mais nous a été communiqué, nous a été donné en partage ? Si le baptême fait de l’homme un chrétien, comme nous le savons, quel fait, quel élément a été introduit dans sa vie ? Un simple phénomène extérieur, tel que l’inscription du baptisé dans le registre des membres de cette société, de cette institution sociale qui s’appelle l’Eglise ? Ou vraiment, quelque réalité nouvelle, existentielle, surnaturelle est-elle entrée dans la vie profonde, dans l’essence intime, dans le destin décisif du baptisé lui-même ? La demande est assez grave ; elle peut soulever quelque doute du fait que, de prime abord aucun signe extérieur, sensible, opérant de lui-même, ne distingue l’existence naturelle de l’homme, de celle surnaturelle, du baptisé. Nous centrons notre enquête sur le baptême parce que celui-ci est le premier des sacrements, qu’il est la porte de la religion chrétienne ; parce qu’il est l’insertion dans ce merveilleux dessein du salut qui nous rend, grâce à une parenté nouvelle et ineffable, fils adoptas de Dieu, participant dans une certaine mesure à sa nature même (cf.
2P 1,4). Le baptême nous rend frères du Christ, et membre de cette humanité destinée à faire partie de son Corps mystique et universel qui s’appelle l’Eglise (cf. Col 1,24), et qui est animé d’un nouveau flux vital, la grâce, c’est-à-dire l’action vivifiante et sanctifiante de l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ, envoyé par le Père (cf. Ga 4,6). Cette extraordinaire élévation de l’être humain à ce sommet de la vie divinisée ne s’arrête pas au baptême, nous le savons ; grâce aux autres sacrements (cf. St Th. III 73,3 ad 3), et avec les charismes et les vertus chrétiennes, celle-ci se développe, évolue, s’amalgame avec l’expérience de la vie naturelle, et celle-ci subit une sorte de métamorphose, de symbiose entre l’existence commune, profane, et l’existence extraordinaire de la grâce ; c’est ce renouvellement qu’il faut maintenant considérer.

Disons-le en bref : dans l’intention salvatrice de Dieu le mystère pascal ne se restreint pas au drame personnel du Christ mais il se communique ; la rédemption opérée par le Christ s’adresse et s’étend merveilleusement à toute l’humanité qui l’accepte, qui la fait sienne. Par quelle voie ? Par deux voies principales : la voie de la grâce, qui suppose la foi, et la voie des moeurs chrétiennes.

Or cette seconde voie engage spécialement notre vie spirituelle avant et après la célébration liturgique. Le renouvellement moral est une mise en condition préalable, il prépare la rencontre avec les mystères de la croix et de la résurrection du Seigneur; et il est une conséquence féconde pour celui qui a été associé à de tels mystères. Rappelons ces paroles de Saint Paul, qui synthétisent ce programme rénovateur : « Par le baptême nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle... (Rm 6,4). Le mystère transcendant de la rédemption devient pour nous, encore pèlerins dans le temps, le fil conducteur de la vie nouvelle, de la vie chrétienne. Citons encore Saint Paul : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu ; c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre esprit... » (Rm 12,1-2).

Que de choses nous pouvons tirer de ces très brefs rappels doctrinaux ! Nous pouvons apprendre la transcendance de l’enseignement chrétien : celui qui, par incrédulité ou par esprit laïque radical, rejette cette sagesse supérieure, éteint la lumière du Christ sur sa vie ; cela semble nous libérer de dogmes difficiles, étrangers, coercitifs, alors que nous nous privons de la foi et de la véritable science de la vie. Nous nous privons de la lumière d’en-haut, projetée librement et amoureusement sur nos pas, nos pauvres pas désorientés et bientôt déroutés par l’obscurité ou par l’insuffisant éclairage de la pensée profane. Nous devons apprendre à voir le rapport salutaire entre religion et vie et comprendre que celle-ci ne peut que gagner dans un tel rapport : sens, noblesse, énergie, espérance, joie de vivre, joie d’être ainsi interprétée, libérée sauvée. Nous pouvons apprendre à quel point la participation aux célébrations liturgiques est source pure et inépuisable de ce renouvellement mental et moral que nous sommes en train de rechercher. Voilà ce que nous vous recommandons, avec notre Bénédiction Apostolique (cf. la toujours belle et lyrique exaltation de la doctrine de l’Eglise dans Saint Augustin, De moribus Eccl. cath., P.L. 32, 1336-1337).






Catéchèses Paul VI 50375