Catéchèses Paul VI 13122

13 décembre 1972: LA PROPHETIE MESSIANIQUE POUR NOTRE TEMPS

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Chers Fils et Filles,



La période liturgique dans laquelle nous nous trouvons, l’Avent, offre à la réflexion de tous l’éternelle question : la recherche de Dieu, le problème religieux. Avant même qu’il ne soit inscrit au calendrier ecclésiastique, ce problème est inscrit dans l’homme, dans sa nature, dans sa pensée, dans son orientation, qu’il ait ou non sa solution que nous, nous croyons vraie et heureuse.

En observant les issues de ce problème dans la réalité historique, psychologique et sociologique de nos jours, pouvons-nous nous dire que ce problème religieux a eu des solutions positives ? “ Grosso modo”, c’est-à-dire dans l’ensemble de la culture profané moderne, dans la mentalité de nos contemporains, nous devons malheureusement reconnaître que la courbe de la religiosité s’incline vers la négation. Nous l’avons dit d’autres fois : l’indifférence, le doute, le refus, l’hostilité envers la religion marquent une augmentation dans le sens négatif, au moins dans les conclusions spéculatives et pratiques : tout tend à exclure Dieu de la pensée et des habitudes, la vie devient toujours plus profane, laïque, sécularisée. L’homme d’aujourd’hui s’affirme, sûr de se suffire à lui-même et de pouvoir laisser de côté la reconnaissance du nom de Dieu et la célébration de sa gloire. La légitime délimitation profane des divers domaines du savoir et de l’action tend à avoir le dessus complet et à exclure Dieu de tout domaine de la vie humaine.

Mais faisons attention. Cette exclusion, qu’elle soit spontanée ou forcée, laisse un grand vide. Les principes suprêmes de la pensée et de l’action viennent à manquer. On essaie de mettre l’homme à la place de Dieu. Mais l’humanisme révèle tout de suite sa nature : c’est-à-dire qu’il ne peut pas ne pas être une aspiration à la vie, à l’être, un désir idéal, une insuffisance, une faim, un effort, et par conséquent souvent, à la fin, un désespoir, c’est-à-dire l’abîme de l’absurde. Nous pourrions citer une quantité de témoignages douloureux (cf. par exemple celui de Klaus Mann dans Ponte, pp. 1451-1464).

Concluons, en ce qui nous intéresse pour le moment : notre époque, dans sa tentative de supprimer le recours à Dieu, c’est-à-dire la religion qualifiée comme inutile et même nuisible au progrès de l’homme, exaspère jusqu’à l’idolâtrie, c’est-à-dire jusqu’à l’exaltation absolue, l’aspiration de l’homme, jusqu’à la déception anarchique et nihiliste (cf. Marcuse, etc.). L’homme moderne est obligé à se déclarer pauvre, un pauvre des désirs exaspérés, utopistes et déçus. Il reste encore aujourd’hui, selon la définition biblique : Vir desideriorum, l’homme des désirs ou des prédilections (Dante 9, 23). Par conséquent le processus de notre recherche continue. Dans le désert ? Sur un autre plan. Le plan de l’histoire. Combien n’a-t-on pas parlé de l’histoire dans le monde contemporain ! “ C’est-à-dire de révolution, du devenir, du progrès, de la philosophie de l’esprit, comme si c’était une révélation dans cette voie continuelle du développement à satisfaire et même à stimuler la soif insatiable de l’homme. Nous pourrons recourir à une autre définition biblique de l’homme qui se reflète dans l’homme moderne : Filius accrescens un jeune en voie de croissance (
Gn 49,22). Une belle définition si elle n’était pas fondée, elle aussi, sur un faux destin : le temps, Saturne qui dévore ses enfants. Le temps, oui, est l’atmosphère de notre vie qui devient et qui, par conséquent, est pèlerine de sa nature, en recherche, toujours en recherche vers l’avenir, vers une espérance... La mort ? Même cet aspect essentiel de nôtre vie est condamné à une défaite finale.

L’espérance ! dans le temps, dans l’événement secret et décisif, même dans le personnage qui peut donner le salut. A ce point, le prodige se manifeste. Dans le temps, dans l’histoire, dans la tension universelle de l’espérance humaine, il se produit un fait surnaturel, c’est-à-dire nouveau, gratuit, miraculeux, il se produit la venue de Dieu lui-même dans la filière des événements humains, il se produit l’Incarnation, il se produit l’arrivée de Jésus-Christ ; et nous savons qui est Jésus-Christ, le Fils de Dieu, le Verbe éternel de Dieu, qui s’insère dans l’histoire de l’humanité, assumant dans sa propre divine et personnelle Existence une nature humaine dans laquelle il puisse vivre humainement, parler, agir en homme, souffrir et mourir en homme et, homme par vertu divine, ressusciter et vivre pour toujours.

C’est le mystère chrétien.

Etait-il attendu ce mystère ? était-il prévu ?

La réponse est assez délicate et complexe ; mais nous pouvons dire oui (cf. DENZ.-SCH. DS 1522 ; fornari, Vita di Cristo, vol. I, 1).

Ici, il faudrait parler, entre autres, du messianisme, cherchant à nous rendre compte du chemin historique et spirituel que l’apparition du Christ a parcouru avant d’arriver au moment de son accomplissement effectif et temporel. Qu’il suffise de relire le prologue de l’Epître aux Hébreux : “ Dieu, après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis à nos pères par les prophètes, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles ” (He 1,1-2). Tout l’Ancien Testament est envahi par une perspective qui a sa trajectoire orientée vers une ère messianique et vers un Personnage, fils de David, considéré comme l’expression historique de la royauté du Peuple de Dieu, de sa liberté, de sa constitution civile et religieuse et considéré, ensuite, comme le symbole d’un futur Roi idéal, le Messie, dans lequel les destins d’Israël atteindraient leur plénitude. Chants et Prophéties tiennent en éveil cette espérance dans le Peuple hébraïque avec une d’autant plus grande et lyrique certitude que le développement de son histoire politique était plus malheureux (cf. Ps 2 Ps 45 Ps 110 ; Is 48 ss. ; etc.).

Visions lointaines, dira-t-on. Comment un citoyen du monde peut-il s’intéresser à ces choses ? C’est vrai : ce sont des visions qui semblent se dissiper dans les horizons de l’antiquité et n’avoir plus aucune relation avec la psychologie des contemporains, ni avec les faits de notre civilisation...

En est-il vraiment ainsi ? Levez un instant la tête et regardez autour de vous, Que désire, aujourd’hui, l’humanité ? Et vers où est orienté son irréversible chemin ? Oh ! combien il y aurait à dire et à méditer !

Aujourd’hui, est-ce que le monde n’aspire pas à l’unité ? à la justice, à la paix ? Ne parle-t-on pas, peut-être avec une intention équivoque, mais avec un langage ouvert de libération ? Et n’est-ce pas, peut-être ce ferment continuel de nouveauté et de progrès une tension vers un lendemain lumineux et régénérateur ? Et la fatigue, l’inquiétude, le pessimisme qui envahissent aujourd’hui la jeune génération, que nous disent-ils ? N’est-ce pas un vent messianique qui souffle ? Nous voulons dire : est-ce que notre heure n’est pas, plus que celles qui sont passées, prédisposées bien que, peut-être, pas encore formée, à une mentalité messianique ? Et d’autre part : quel message vient au monde du Christ de Bethléem, sinon celui qui justement anticipe sur les aspirations les plus hautes de notre siècle ? Unité et universalité, paix et fraternité, noblesse et salut de l’homme, amour et libération pour tout homme malheureux ? C’est l’Avent : et cette comparaison entre notre monde et la prophétie messianique du Christ, historiquement continuée dans son Eglise, nous oblige à de hautes, nouvelles et confiantes pensées.

Qu’elles puissent nous préparer à un Noël nouveau et heureux !

Avec notre Bénédiction Apostolique.





20 décembre 1972: LA PLÉNITUDE DE LA VIE DANS LA RENCONTRE AVEC DIEU

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Chers Fils et Filles,



Dans les Audiences précédentes nous parlions de l’Avent, presque obligé par la présente période liturgique à considérer avec la mentalité commune des gens de notre temps (non avec celle qui est proprement théologique, ni avec celle du fidèle qui fréquente les célébrations sacrées) le grand, l’éternel, le fondamental problème du rapport de l’homme avec Dieu, le rapport religieux. Nous disions ainsi une parole à propos du premier aspect de ce problème, celui de la recherche, qui semble descendre vers une conclusion négative : inutile de chercher Dieu, on ne le trouve pas, parce que aussi, si Dieu est véritablement l’objet de la recherche, Il est introuvable, impossible à repérer : Dieu est transcendant, Dieu est indicible. Et nous parlions ensuite d’une voie singulière et nouvelle de trouver Dieu, celle qui nous Le fait rencontrer dans la révélation, dans l’histoire, dans la réalité et dans la promesse de sa merveilleuse intervention dans le monde, dans le temps, dans notre réalité historique ; d’où un second aspect du problème religieux, celui de l’attente de Dieu, l’aspect prophétique, messianique et, pour nous, eschatologique. Il y a un troisième aspect du même problème, l’aspect le plus beau, le plus intéressant : celui de la rencontre avec Dieu ; une rencontre qui peut prendre les formes les plus variées et es plus imprévues ; Dieu est libre de se présenter à nous comme son inépuisable volonté créatrice le décide ; et l’hypothèse de sa présence trouve notre esprit ou incapable de la percevoir ou craintif d’en avoir quelque expérience (cf.
Lc 5,8), ou bien extraordinairement heureux de l’exubérante bonté, beauté, intimité et communicabilité avec lesquelles, de fait, Dieu a voulu se manifester.

Tel est, Fils très chers, le vrai, le grand, le bienheureux message de notre religion : Dieu est notre bonheur. Dieu est la joie, Dieu est la béatitude, Dieu est la plénitude de la vie, non seulement en Lui-même, mais pour nous. Dieu s’est révélé dans l’amour, Il s’est proportionné à nos aspirations extrêmes ; Dieu a eu un coeur pour chaque déficience, pour chacune de nos méchancetés, pour chacun de nos péchés. Dieu s’est offert à nous comme miséricorde, comme grâce, comme salut, comme surprise joyeuse et glorieuse (cf. Rm 9,23 Col 1,27 1Co 2,9). Nous devons répéter l’annoncé angélique de Noël : “ N’ayez pas peur, car voici que je vous annonce une grande joie qui sera celle de tout le peuple ” (Lc 2,10). Oui, notre religion est une religion de salut, une religion de joie. N’entendons-nous pas peut-être, au-dedans de nous, comme des cloches de fête, l’écho des exhortations de l’Apôtre aux Philippiens : “ Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le répète, réjouissez-vous ” (Ph 4,4) ?

C’est là la vraie religion, notre religion, notre spiritualité: la joie de Dieu. Tel est le cadeau que nous porte le Christ naissant au monde : la joie de Dieu.

Maintenant, voici la question pour aujourd’hui : réussirons-nous à faire comprendre aux hommes de notre temps ce message religieux? Dieu est-Il la joie, notre joie ? Qui nous écoute ? qui nous croit vraiment ? (cf. Rm 10,15-16). Nous ne réussirons peut-être pas. Ils ne nous croient pas les hommes de pensée, enfoncés dans les problèmes du doute ; ils ne nous croient pas les hommes d’action, fascinés pas l’effort de conquérir la terre ; ni ceux de la vie commune, ne supportant pas les méditations intérieures... C’est le sort de l’Evangile dans l’humanité (mot qui veut justement signifier: heureuse nouvelle). Dieu restera problème, restera négation pour beaucoup bien qu’il retentisse de près pour eux ; l’indifférence, l’apathie, la surdité, l’hostilité étouffent la voix béatifiante. Il y en aura qui iront jusqu’à la réfuter justement parce que béatifiante : n’est-elle pas peut-être, diront-ils, l’opium du peuple ? le remplaçant des vrais remèdes dont ils ont besoin ? Nous aurons, nous, par réaction, à répéter notre annonce : Dieu est la joie.

Il reste, cependant, la nouvelle acquise par l’histoire religieuse de l’humanité : le christianisme a offert comme premier et dernier don, ce dogme, cette théologie, cette spiritualité : la béatitude, que l’homme peut atteindre en Dieu, grâce au Christ, dans l’Esprit-Saint. Il reste cette certitude impavide : Dieu est la vraie, la suprême félicité de l’homme. Il reste cette superbe pédagogie pour enseigner à nos enfants, à nos jeunes élèves notre catéchisme : oui, la foi est un mystère, le Christ porte la croix, la vie est un devoir, mais surtout Dieu est la joie. Il reste pour vous, les pauvres, pour vous, les affligés, pour vous, les affamés de justice et de paix, pour vous tous qui souffrez et pleurez : le règne de Dieu est pour vous, et c’est le règne du bonheur qui réconforte, qui récompense, qui donne la vérité à l’espérance. Il reste pour vous, électeurs spirituels du Christ : Il vous parle dans le coeur de béatitude et de paix ; et avec ce don ineffable, il n’apaise pas votre recherche en cette vie présente, ni votre soif immense ; aujourd’hui, votre bonheur n’est qu’un aperçu, une avance, un gage, une initiation ; la plénitude de la vie viendra demain, après cette journée terrestre, mais elle viendra, lorsque le bonheur même de Dieu sera ouvert à ceux qui, aujourd’hui, l’ont cherché et goûté d’avance. Dieu est la joie !

Cet exposé, qui résume notre attente de Noël, n’est pas en contradiction avec notre douloureuse émotion pour la reprise soudaine des rudes et lourdes opérations de guerre au Vietnam, alors que tout le monde dans l’univers pensait comme imminente une solution initiale et pacifique du long conflit, justement en coïncidence avec les fêtes de Noël. Il réaffirme plutôt notre voeu, accompagné de notre plus vive prière au Dieu de la paix et de la joie pour que la douloureuse situation ait bientôt son heureux épilogue non dans de nouvelles opérations de guerre mais dans des tractations conduites avec une longanimité et une loyauté réciproques.

Et, avec ce voeu, nous donnons à tous notre Bénédiction Apostolique.





27 décembre 1972: LA PEDAGOGIE DE NOËL

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Chers Fils et Filles,



Noël est passé.

Et nous allons maintenant retourner, un peu fatigués, un peu hâtivement, aux quotidiennes occupations qui pour nous, fils de notre époque, sont habituellement fébriles, absorbantes et orientées vers le monde extérieur. Généralement, nous vivons dans le champ des intérêts extérieurs. Nos pensées, notre activité sont marquées d’extraversion. Nous n’avons pas le temps, nous n’avons pas les moyens de penser à nous-mêmes ; nous voulons dire que nous ne savons pas réfléchir, pas créer un peu de silence, de solitude, un peu de tranquillité en nous-mêmes. Et pareillement, quand notre activité se fait personnelle, c’est-à-dire quand nous pensons, quand nous lisons, quand nous étudions, notre attention se trouve engagée au-delà d’un acte de conscience objective. Tout cela est bien connu. Et même, cela est voulu. C’est une des caractéristiques de notre programme de vie, cette intensité des opérations extérieures qui occupent notre temps, avec des horaires fixes et rigoureux ; caractéristique est également le travail accompli sous une pression tellement exténuante que, dès qu’il nous laisse quelque répit, de jour ou de nuit, nous avons besoin de “ nous distraire ”, c’est-à-dire de sortir encore — avec un rythme et un but différents — de notre cénacle intérieur, du colloque que nous voudrions pleut-être avoir avec nous-mêmes ; mais nous avons peur de nous sentir seuls, dans le vide et dans l’ennui. Nous avons peur de découvrir la vanité des choses (cf. le livre de l’Ecclésiaste, désigné dans la Bible par le vocable hébreu de Qohèlet ; et les Pensées de Pascal, 166 et sv.). Mais non ! Si la célébration de la fête a eu vraiment pour nous quelque importance spirituelle, elle doit — d’une manière ou d’une autre — demeurer, non pas seulement dans nos souvenirs qui pâlissent aussitôt et se perdent dans le fouillis des réminiscences de temps écoulés, mais surtout dans les motifs permanents de notre pensée et dans les stimulants de notre comportement. Demeurer, c’est-à-dire être absorbée dans notre psychologie et marquer de son empreinte notre face spirituelle. Elle doit demeurer aussi bien dans le don de grâce que la Noël aura apporté avec elle que dans l’efficacité pédagogique que la participation à la liturgie va développer graduellement chez celui qui attend d’elle, comme d’une école éternelle, l’enseignement de la perfection chrétienne.

Demeurer ; soyons pratiques, qu’est-ce que cela comporte ?

Cela comporte un acte extrêmement simple, mais de grande importance, exactement comme celle d’un grain qui, tombé dans la bonne terre, y enfonce des racines, développe une végétation et finalement produit un fruit (cf.
Mt 13,3, sv.) ; cela comporte la nécessité d’y penser, d’y réfléchir ; cela comporte un essai d’approfondissement — tant spéculatif qu’affectif —, une méditation théologique ou même purement spirituelle. Le Noël du Christ est un fait d’une telle importance, un mystère d’une telle richesse, qu’il mérite ce second moment de considération.

Nous avons à ce propos un exemple qui nous a toujours paru de grand intérêt. C’est celui de Marie, la Mère de Jésus. Vous vous rappelez comment Saint Luc, nous indiquant presqu’ainsi la source de son récit enchanteur de la nuit de Bethléem, nous offre, en conclusion ce précieux témoignage : “ Puis, Marie gardait (en elle) toutes ces choses méditant sur elles dans son coeur ” (Lc 2,19). C’est une confidence délicate, stupéfiante. Elle nous révèle la vie, intérieure de la Vierge, une seconde manière de faire sien l’événement extérieur de la naissance de Jésus, dont elle a été, Elle, la bienheureuse, la protagoniste, la Mère. Elle méditait, elle revivait. Elle-même, elle cherchait à mieux comprendre, à se rendre compte, à traduire en termes de pensée et d’amour (et quelle pensée, et quel amour en cet être immaculé !) ce qui en elle et par elle s’était accompli en termes d’événement, d’histoire concrète, dans les circonstances extérieures que nous qualifions de réels. Elle cherchait la réalité supérieure et totale d’un tel événement, dans son sens prophétique, c’est-à-dire dans la pensée divine dont il était l’expression ; elle cherchait à pénétrer, à saisir le mystère, autant qu’il, était possible, et à en jouir. Et, comme nous l’enseigne le Concile, elle progressait dans la foi (Lumen Gentium, LG 61-65). Il doit en être ainsi — supposons-nous — pour chaque mère qui régénère dans son coeur son propre fils engendré dans ses entrailles ; ce doit être ainsi que se forme le coeur maternel. Mais quel a dû être ce processus spirituel en Marie, participant comme nulle autre à l’économie divine de l’Incarnation, si nous trouvons de nouveau dans l’Evangile de Saint Luc, cette attitude contemplative définie avec les mêmes mots en conclusion du récit de l’épisode survenu 12 années plus tard, lorsque l’Enfant-Jésus fut perdu et retrouvé dans le temple de Jérusalem ? L’Evangile répète en effet les mêmes mots : “ Sa Mère gardait toutes ces choses dans son coeur ” (Lc 2,51). La dévotion et l’imitation des dévots de Marie trouvent dans cette minuscule ouverture sur Sa vie intérieure un stimulant délicieux et sage. Puisse cet exemple sublime nous parler, à nous aussi ! Nous disons “ à nous ”, hommes pauvres de vie intérieure, parce que nous sommes si riches de vie extérieure. Ne serait-ce pas beau que Noël fasse naître au dedans de nous le Christ intérieur ? c’est-à-dire une certaine habitude de la méditation, d’un souvenir vivant du grand mystère que nous avons commémoré solennellement ? d’une persuasion de foi, désormais acquise et reconfirmée : il faut que nous vivions notre vie en union avec la vie du Christ ?

Repenser le Noël : Dieu qui se fait homme pour se tenir parmi nous (Jn 1,14), pour converser avec nous (cf. Ba 3,38), pour être notre compagnon de voyage, notre ami, notre maître et pour nous, image du Dieu invisible (Jn 1,18 Jn 14,9), Sauveur, en un mot (Lc 2,11) ; Noël : une lumière qui ne doit pas s’éteindre ; la lumière de la vie intérieure, de la nôtre, personnelle, qui ne pourra pas être solitaire et désolée, mais qui, insensiblement, se fera dialogue, se fera prière. Expérience neuve, humble, facile, magnifique.

Essayez, très chers fils.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

***

Nous saluons avec joie Monseigneur Bernard Yago, Archevêque d’Abidjan. De tout coeur, Frère bien aimé, Nous nous associons aux voeux de vos diocésains, de vos compatriotes de Cote d’Ivoire et des Pères des Missions Africaines, en ce vingt-cinquième anniversaire de votre ordination sacerdotale. Nous prions le Seigneur de faire fructifier votre ministère épiscopal, afin que la Lumière du Sauveur Jésus, celle venue de Bethléem et apportée ici à Rome par les Apôtres Pierre et Paul, resplendisse toujours davantage dans votre propre pays, répandant dans les coeurs la paix, la joie, l’amour fraternel, l’espérance: «A tous ceux qui l’ont reçu il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Jn 1,12). Que tette Bonne Nouvelle vous encourage, chers Fils, sur le chemin de votre pèlerinage terrestre! Et Nous, Nous vous donnons, à vous tous, à vos familles, à vos amis, avec votre Evêque, notre Bénédiction Apostolique.





AVANT-PROPOS 1973

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Le volume de « L’Enseignement de Paul VI » pour l’Année se présente, suivant une tradition maintenant établie, en deux parties : d’abord, l’ensemble des allocutions prononcées par le Saint-Père au cours des audiences générales hebdomadaires, ensuite une sélection des discours ou allocutions prononcées dans le courant de l’année, à l’occasion de cérémonies traditionnelles ou d’événements particuliers.

Dans la première partie, nous voudrions signaler l’importance que Paul VI a voulu donner à la présentation de l’Année Sainte, qu’il annonça le 9 mai, ainsi qu’à sa signification.

Ce ne sont pas moins de 17 allocutions qui sont consacrées à ce thème, allocutions dans lesquelles on trouvera, au delà de l’aspect extérieur de la célébration jubilaire, l’exposé de la spiritualité dont le Saint-Père voudrait que s’imprègne le peuple chrétien à l’occasion de ce grand moment de la vie de l’Eglise.

Dans la seconde partie, on pourra découvrir l’éclairage précis et rayonnant que le Pape projette sur les événements que l’actualité’ l’invite ou l’oblige à partager.

Est-il utile de souligner la persévérance avec laquelle, en toutes occasions, Paul VI rappelle, aux hommes comme aux nations, le grand devoir de la Paix, toujours avec un courage tranquille qui n’hésite pas à risquer l’incompréhension de quelques-uns soit que la démarche du Pape soit jugée trop audacieuse, soit qu’elle soit estimée trop timide.

Le présent volume, tel qu’il est, constitue un nouveau témoignage de la sollicitude pastorale du Pape, à l’égard de toute l’Eglise, et de la fermeté, en même temps que de la bienveillance charitable, avec lesquelles il poursuit inlassablement sa mission de confirmer ses frères dans la Foi.




10 janvier 1973: LA VOCATION CHRETIENNE : CONTINUITE ET COHERENCE

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Chers Fils et Filles,



Notre Méditation prend aujourd’hui son élan à partir d’un seul mot, le mot « après ». Après quoi ? Après ce qui constitue la base de notre vie chrétienne. Quelle base ? L’immense patrimoine de foi et de grâce que nous avons reçu et qui fait de nous des chrétiens, un patrimoine tant historique que personnel. Nous vivons dans l’Eglise, dans le courant de sa tradition, dans le milieu de sa communion, au coeur des problèmes de son expérience : si nous ne voulons être infidèles et indignes, notre existence ne peut pas, ne doit pas faire abstraction de ce qui nous précède dans le temps et qui nous est confié comme un trésor inestimable. Dès l’instant où nous devenons conscients que nous sommes héritiers d’une forme religieuse de concevoir la vie, nous pourrons adopter une attitude critique, non pour renier à priori, mais pour évaluer en nous basant sur une opinion personnelle et active et pour décider de notre choix en toute liberté. Mais nous devrons nous sentir responsables. Méditer sur le fait que nous, nous venons « après », que nous sommes engagés, au moins de fait, dans une étroite solidarité avec ce qui nous précède en matière de conception religieuse de la vie et du monde, revêt une importance énorme, créant des moments intérieurs peut-être dramatiques et des conséquences d’orientation peut-être fatales.

On peut considérer cette alternative ultérieure en se référant à l’opinion générale au sujet de notre époque : le choix entre le modernisme, le renouvellement, l’attitude de rupture révolutionnaire et au contraire, le progrès constructif, la logique sociale, l’activité morale, etc., sont-ils décidés après avoir dressé un bilan analytique ou au moins sommaire de ce qui nous a précédé au point de vue de nos conditions d’existence ? Cette alternative peut également être envisagée par rapport à des choses plus proches de notre expérience, comme il arrive après la célébration de quelqu’événement ou de quelque cérémonie religieuse. Par nous, par exemple, — et maintenant c’est cela qui nous intéresse ici — que s’est-il passé après le Concile qui avait l’objectif et la faculté de renouveler, mais non de troubler notre adhésion à la vie de l’Eglise ? Quelles conséquences avons-nous admises comme légitimes et salutaires, et, au contraire, quelles sont celles que nous avons tenues pour destructrices et perturbatrices ? Notre question au sujet de l’« après », ramenons-la à des jours de Noël que nous venons de célébrer. Maintenant que sont éteints les flambeaux des belles cérémonies spirituelles ou profanes, n’y a-t-il rien qui subsiste ? tout est-il redevenu ce qu’il était avant, peut-être même moins bien qu’avant ? Nous devons rappeler que la célébration religieuse, la célébration liturgique en particulier, tend à produire quelqu’effet durable ; elle fait partie de la pédagogie toujours réformatrice et toujours perfective par laquelle l’Eglise, « Mère et Maîtresse », éduque ses fils fidèles en vue d’une plus parfaite compréhension et d’une meilleure pratique de notre vocation chrétienne : le calendrier religieux ne tourne pas en rond dans le temps, glissant perpétuellement sur la même orbite, mais il tend à monter en spirale et à mener vers une progressive sanctification le cours de notre pèlerinage temporel.

Nous devrions, comme le font les bons commerçants au terme d’un exercice comptable, faire nos comptes et évaluer ce que nous avons gagné en participant aux fêtes religieuses : impressions spirituelles, approfondissement de quelque Parole de Dieu ou de quelque mystère de grâce, projets formés ou renouvelés quant à l’observance pratique des normes chrétiennes, et ainsi de suite.

C’est le cas de repenser à l’Evangile pour nous rendre compte à quel point notre manière de correspondre trouve un écho dans la bonté du Christ et, d’une manière générale, dans la propre économie de miséricorde de notre religion. Ce qui vient « après » l’abondance des dons divins fait l’objet d’une évaluation très attentive dans la pensée divine. Evaluation positive pour celui qui a bien accueilli et bien utilisé de tels dons : rappelez-vous la récompense que promet le Seigneur à celui qui aura su faire fructifier les « talents » qu’il a reçus ; rappelez-vous ces paroles singulières : « à celui qui a, il sera donné et il sera dans l’abondance, et à celui qui n’a pas, même ce qu’il a, lui sera enlevé » (
Mt 13,12) ; rappelez-vous la curieuse parabole : « un homme avait deux fils, et s’approchant du premier, il lui dit : fils, va travailler aujourd’hui dans ma vigne ; et celui-ci répondit : non, je ne veux pas ; mais ensuite, se repentant, il y alla. Et (le père) s’approchant du second, il lui dit la même chose. Et celui-ci répondit : j’y vais, seigneur ! Mais il n’y alla point. Lequel des deux a-t-il accompli la volonté du père ? » (Mt 21,28-31). Voilà des paroles qui nous mettent en garde à propos du sérieux obligatoire de nos rapports avec Dieu, et qui rappellent ces autres paroles de Jésus : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux ! » (Mt 7,21). Et ne disons rien du terrible discours de Jésus, qui reprochait aux cités favorisées par tant de signes de sa bonté et de sa puissance et qui demeuraient sourdes à son appel d’effectives conversions (cf. Mt 11,20 ss.).

La vocation chrétienne est une grande grâce, mais elle exige zèle et cohérence.

Peut-être pouvons-nous accuser la vie chrétienne d’une faute fondamentale : l’incohérence. Aux prémisses, aux promesses, les faits ne correspondent pas toujours ; nous ne sommes pas logiques envers le Seigneur, nous ne sommes pas fidèles. Nous sommes souvent velléitaires, mais pas réalistes, pas positifs. Il nous manque trop souvent la connexion entre la pensée et l’action. Le témoignage de nos jugements sur autrui, parfois graves et sévères, ne trouve aucune confirmation dans notre conduite personnelle. Notre « après » contredit notre « avant ». Souvent, ce sont ceux d’entre nous qui sont engagés avec le plus grand zèle dans une profession chrétienne déterminée, qui étalent malheureusement devant leurs frères le scandale de leur infidélité sur le plan pratique.

L’analyse de ce douloureux phénomène, qui affaiblit l’énergie de notre christianisme contemporain, pourrait être approfondie. Elle nous porterait à individualiser les causes de cette incapacité, assez diffuse, de mettre en harmonie foi et conduite, principes et applications de ces principes tant au point de vue logique, que pratique et social. Ces causes, nous les trouverions principalement dans l’inconsistance même de notre manière de penser, vidée de la force et de l’art de la rationalité sûre et normale de notre « philosophie éternelle » ; cette philosophie est remplacée ou amollie par certaines formes de pensée qui ont envahi la mentalité à la mode, mais qui sont dépourvues de tout fondement gnostique et métaphysique, auquel puise une pensée religieuse valide. Ces causes nous les trouverions également dans la dissolution de l’obligation morale objective, d’où la confusion entre licence, instinct, intérêt subjectif et liberté, conscience transcendante du devoir et du bien. Analyses longues et difficiles, mais de grande actualité...

Il nous suffit pour l’instant de rechercher l’harmonie entre l’« avant» et l’« après » de notre conduite chrétienne !

Avec notre Bénédiction Apostolique !


***


Nous Nous Tournons maintenant avec affection vers les Frères de l'Instruction chrétienne de Ploërmel, réunis depuis six semaines à Rome pour une session consacrée à la pastorale des vocations. Venus de nombreux pays, vous avez cherché ensemble, à la lumière du récent Concile, les moyens de faire face aux graves problèmes et aux espérances de votre apostolat. Vous savez quelles sont les difficultés actuelles, naissant d’un milieu souvent imperméable au spirituel, ou surgissant au sein même des communautés chrétiennes ou religieuses, suscitées par le découragement, le doute, parfois, aussi le désir de nouveauté à tout prix.

Nous voulons, chers Fils, vous exhorter à poursuivre votre oeuvre avec une confiance renouvelée. Comment votre Congrégation, entièrement vouée à l’éducation chrétienne de la jeunesse, pourrait-elle renoncer, si peu que ce soit, à la tâche, délicate mais exaltante, d’éveiller et de former les vocations? Elle est essentielle: les vocations de jeunes sont possibles, elles existent. Croyez donc à la valeur propre de vos institutions de formation, juvénats et noviciats. Pour leur adaptation judicieuse aux nécessités actuelles, vous avez l’enseignement explicite du Concile, les orientations précises de notre Congrégation pour l’Education Catholique, les claires directives de vos Supérieurs.

Suivez-les avec confiance et générosité: le Seigneur, Nous en sommes sûr, bénira vos efforts et le développement de votre Institut contribuera, pour sa part, au progrès de toute l'Eglise. A vous-mêmes, à votre Congrégation et aux jeunes dont elle a la charge, à tous ceux qui vous sont chers, Nous donnons de grand coe ur notre paternelle Bénédiction Apostolique.





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