Catéchèses Paul VI 25473

25 avril 1973: DIEU SOIT LOUE !

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Chers Fils et Filles,


Comment allons-nous accueillir votre visite, chers pèlerins, disons aussi chers touristes venus à Rome à l’occasion de la fête de Pâques, et par quel salut ? Notre salut sera l’Alléluia ! Frères et Fils qui nous rendez visite, à vous notre Alléluia !

L’Alléluia est une acclamation traditionnelle qui remonte à la plus haute antiquité, et nous la trouvons déjà dans l’ancien Testament (cf.
Tb 13,22) ; elle signifie « Dieu soit loué ! ». Il est probable que cette acclamation ait eu sa place également parmi les chants de la cène pascale rituelle des Hébreux ; Jésus lui-même termina la dernière Cène en disant « Alléluia ! » (cf. Mt 26,30 Mc 14,26). Cette exclamation est passée dans la liturgie chrétienne comme une expression de joie, de sérénité, de force ; elle est réservée spécialement à la période pascale pour caractériser la joie de célébrer la Résurrection du Seigneur. Dans ses commentaires des Psaumes, Saint Augustin nous la rappelle en faisant noter qu’elle n’est pas dépourvue d’un certain enseignement sous-jacent : si nous devons, en effet, chanter l’Alléluia pendant une période déterminée, il ne faut pas négliger toutefois de l’avoir chaque jour dans le coeur (Enar. in ps. 106 PL 37,1419).

Ce cri de louange à Dieu, qui nous sert, à nous, de cri de joie, nous offre un thème digne de profonde méditation et celle-ci va nous mener aux sources de notre pensée religieuse, qui nous enseigne que la gloire de Dieu est notre joie, à nous. Rappelez-vous la merveilleuse exclamation qui se trouve dans l’hymne de la Sainte Messe, les jours de fêtes, le « Gloria », qui exprime cette si belle doctrine : «Nous te rendons grâce (ô Dieu !), à cause de ta grande gloire » : gratiam agimus Tibi, propter magnam gloriam Tuam. Et pourquoi cela ? Comment se peut-il que la grandeur, infinie et mystérieuse, de Dieu soit en même temps la source de notre reconnaissance et de notre félicité ? Eh bien, oui ! Parce que Dieu est tout pour nous. Dieu est la Vie, Dieu est la Puissance, Dieu est la Vérité, Dieu est la Bonté, Dieu est la Beauté ; oui ! En fin de compte, Dieu est notre bonheur. Alléluia !

Quelle belle manière de surpasser toute autre conception mineure de la religion qui, si souvent, est présentée sous l’aspect d’une chose éloignée de nous, obscure, qui fait peur, qui est terrible ! Et combien souvent n’avons-nous pas négligé d’étudier, de pratiquer la religion pour n’avoir pas compris, pour n’avoir pas assez apprécié le fait que Dieu est notre béatitude, que Dieu est notre félicité ! Et peut-être aussi n’avons-nous pas compris l’originalité de notre foi qui nous offre cette perspective : Dieu est grand, parce qu’il est bon ! Dieu mérite d’être exalté dans son immense transcendance, dans sa transcendance sans limite, et parce que celle-ci nous est révélée dans son Essence qui est Amour; Amour en Lui, Amour pour nous. Dieu est la Vie ! Notre Vie, répétons-le !

Pâques nous a permis de saisir le mystère, par le moyen du Christ mort et ressuscité, non seulement pour Lui, mais pour nous, créatures vivantes mais mortelles, susceptibles, toutefois, d’être impliquées par Lui, le Christ, dans la vie nouvelle inaugurée le matin de Pâques.

Dieu est la joie ! Souvenez-vous de cette nouvelle comme d’une heureuse découverte ! Une découverte à redécouvrir toujours et dont il faut toujours jouir. C’est là ce que nous vous souhaitons, et à ce voeu, nous associons nos salutations, notre cri de Pâques : Alléluia ! (cf. St. augustin, Confess. 10, 22-23 ; PL 32, 793 — cf. l’épisode du lecteur qui, chantant l’Alléluia pascal, tombe frappé d’une flèche à la gorge ; cf. victor vitensis, De Persecutione vandalica ; PL 58, 197).

Avec notre Bénédiction Apostolique.





1er mai 1973: HONORER LE TRAVAIL

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Chers Fils et Filles,



Aujourd’hui, en cette fête du travail à laquelle notre vénéré Prédécesseur a voulu attribuer un caractère religieux, pour sublimer en quelque sorte son caractère économico-social, il y aurait tant et tant de choses à rappeler au cours de notre rencontre présente ; pourrions-nous, en effet, oublier le motif dominant de la fête — c’est-à-dire le travail — et ne pas tenter d’en encadrer l’idée dans le dessein spirituel et religieux de la vie chrétienne ?

La trop brève durée de cette conversation familière nous impose de faire une synthèse. Nous allons donc fixer nos pensées sur un point capital : Honorer le travail.

1. Oui, honorons d’abord et avant tout le travail, considéré sous son aspect subjectif, comme une exigence naturelle de l’être humain. L’homme est un être virtuel, implicite, qui a besoin de développement, de perfectionnement. Il n’est pas possible d’obtenir automatiquement ce développement, ce perfectionnement, dans la forme voulue et d’une manière satisfaisante, comme par croissance végétative ; ils ne peuvent se réaliser que moyennant l’activité de l’homme, une activité rationnelle, ordonnée, qui mette en mouvement les forces et les facultés humaines : cet exercice, c’est le travail; c’est l’activité débordante, c’est l’école, c’est la gymnastique, c’est l’effort soutenu. Sans le travail, l’homme ne peut rejoindre sa dimension véritable : pour chacun de nous, le travail est une loi grave et bénéfique. Malheur à l’oisiveté, à la paresse, au gaspillage de temps, à l’emploi vain et superflu des capacités personnelles. Tout homme a le devoir d’être un travailleur intelligent et plein de bonne volonté et c’est précisément cela que nous honorons dans le travail, le devoir, le devoir qui lui confère sa grandeur, sa noblesse, son mérite. Et dans le travail nous reconnaissons aussi un programme immanquable, inaliénable de notre vie : c’est-à-dire le droit au travail (cf.
Gn 2,15 Mt 20,6 Gaudium et Spes, GS 33-37).

2. Dans le travail nous devons aussi reconnaître en toute sincérité ce qu’on pourrait appeler son aspect « punitif », « pénal ». De fait, le travail n’est pas toujours agréable. Il existe dans la nature même du travail un élément peu sympathique ; la peine, l’effort, la fatigue. Et le fait que le travail est un devoir, une obligation, qu’il est obéissance, qu’il est nécessité nous oblige à nous souvenir que l’activité humaine porte en elle un châtiment résultant d’une faute antique, le péché originel, dont nous supportons encore la pénible hérédité : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » dit Dieu le Créateur à Adam le pécheur; vous-en souvient-il ? (Gn 3,17-19). Si bien que Saint Paul, établissant un principe éternel de déontologie et d’économie sociale, a pu écrire, de manière claire et formelle, dans une de ses premières lettres, l’Epître aux Thessaloniciens : « Si quelqu’un refuse de travailler, il n’a pas le droit de manger » (2Th 3,10). Oui, le travail est pesant, souvent pénible, parfois dangereux. Rendons honneur au travailleur qui souffre. Honorons le travailleur exténué, souvent humilié, exploité. Et cherchons à essuyer son visage inondé de sueur, essayons d’alléger son fardeau, de l’épargner ; apportons-lui notre réconfort, car sa peine est la marque d’une plus grande dignité humaine et un signe non pas superficiel de ressemblance avec le Christ souffrant.

3. Honorons aussi le travail sous son aspect économique. C’est-à-dire comme facteur de domination sur la nature, de transformation des choses en biens utiles à l’homme. Le phénomène est universel, il est gigantesque. Aujourd’hui, l’homme qui pense est venu au secours de l’homme qui s’épuise au travail ; pour lui, il a inventé, et lui a donné des instruments qui ont le merveilleux avantage d’alléger la fatigue physique presqu’au point de la supprimer, et d’en multiplier, presque de manière démesurée, l’efficience. C’est le prodige qui caractérise notre époque, la civilisation moderne : l’alliance de la science et de la technique qui se traduit en résultats cyclopéens de l’industrie et en découvertes merveilleuses de notre culture. C’est là un fait glorieux que nous devons spirituellement reconnaître et exalter. Désormais, la vie de notre société en dépend : et ensuite, l’oeuvre de l’homme resplendit d’un tel éclat que nous devons honorer en lui cette ressemblance divine que Dieu, en créant l’âme, y a inscrite. Oui, nous devons exalter et bénir ce phénomène extrêmement complexe, fécond, puissant, et toujours nouveau, de l’activité organisée, instrumentalisée de l’industrie et de la technique, non pas comme une apostasie naturaliste de l’homme qui se fait adorateur de la terre, mais comme un effort de l’homme qui, grâce à son intelligence, qui est un reflet de la sagesse céleste, extrait de la terre, les dons qu’y a enfouis la Pensée créatrice (Voyez la belle pierre murée dans la digue du Tyrsée, en Sar-daigne).

4. Il est beau, donc, le travail triomphateur qui caractérise notre époque ? Il y a un autre aspect, et c’est le plus important que nous ayons à considérer dans le travail : il s’agit de son aspect social. Celui est plus que n’importe quel autre digne d’être mis à l’honneur, car il concerne la valeur prioritaire relative au travail, c’est-à-dire l’homme. L’homme travailleur, par antonomase : l’homme qui par le moyen du développement industriel a multiplié au-delà de toute attente les membres de la société, les a divisés en classes et, comme nous le savons tous, qui a fait de la société non pas une grande famille, mais un inévitable champ de lutte et pour cette raison, il n’y a trop souvent ni concorde, ni paix, ni amour. Les grandes valeurs du progrès, le pain, la liberté, la joie de vivre sont devenus un sujet de perpétuelle contestation, parce que le grand torrent de la richesse qui jaillit du nouveau travail conquérant et producteur est détourné au profit d’un double égoïsme : celui qui place dans les biens temporels la principale, sinon la seule fin de l’homme, ou qui, pour mieux dire, fait de l’homme lui-même sa fin suprême, une erreur idéologique, matérialiste ; et ensuite l’égoïsme qui établit comme programme constitutif même de la vie communautaire la lutte radicale, exclusiviste, des diverses classes entre elles pour s’assurer le monopole de la richesse, une erreur sociale et économique. Mais de toute manière, cet aspect social du travail mérite notre considération et notre intérêt ; entre autres parce que nous estimons qu’un devoir chrétien, à la mesure des besoins, exige dans le monde du travail, notre engagement de sagesse et de charité, notre témoignage de fraternité et d’expérience historique et psychologique. Nous croyons que les remèdes aux tensions sociales actuelles existent ; et c’est avec espoir que nous voyons s’ouvrir quelques voies de solutions heureuses, auxquelles, tout particulièrement aujourd’hui, nous souhaitons le plus complet succès.

5. Et une de ces voies nous est offerte par le dernier aspect à considérer dans le travail; l’aspect religieux. Il fut un temps où il constituait la formule personnelle et collective des habitudes laborieuses humaines : ora et labora ; prie et travaille. Cette formule a l’avantage de considérer notre activité dans toute son extension possible, et de lui conférer une dignité, une honnêteté, une rationalité, une force et une paix, que le travail, qui, de par sa propre nature, est orienté vers le royaume temporel, ne saurait à lui seul rejoindre, et qui, illuminé, soutenu, intégré par la prière, peut facilement devenir une source de joie.

Nous laissons à votre méditation le soin d’explorer ces vastes régions de la pensée et de l’expérience ; et au nom du Christ, le divin travailleur, nous vous donnons, à tous, notre Bénédiction.


***


Chers Fils du Centre Hospitalier de Saint-Brieuc,

Nous savons que depuis deux années vous prépariez votre pèlerinage: dans la joie de venir, pour la première fois, tout près du Successeur de l’Apôtre Pierre; mais aussi dans la générosité, car vous avez voulu assumer une part de votre voyage par des économies patiemment répétées; surtout, vous avez laissé grandir dans vos coeurs chrétiens l’amour de l’Eglise du Christ! Si en ce moment vous etes comblés de bonheur spirituel, croyez bien que notre joie est à la mesure de la votre.

A la suite de Jésus, l’Eglise veut donner son cceur et ses activités, en priorité aux souffrants. Et le Rape, autant qu’il le peut, ouvre largement sa maison à ceux qui ont mystérieusement recu la Croix du Christ en partage. Puissiez-vous, avec l’aide certaine du Seigneur, retourner vers votre maison de Saint-Brieuc avec une espérance toute nouvelle, une espérance puisée au cceur de l’.Eglise et qui rayonnera sur votre vie, camme les phares si indispensables aux jolies cotes de votre Bretagne! Chers fils, votre présence dans l’Eglise mais aussi dans la société, est sacrée. Votre présence est un appel à la solidarité, au courage, à la foi! Votre présence est porteuse de simplicité, de paix, de joie meme! Nous ne craignons pas de vous le dire, la sainteté chrétienne est possible pour vous aussi. Et nous rendons un hommage très particulier aux responsables, aux aumoniers, aux religieuses qui sont à votre service, et vous aident, jour après jour, à développer vos possibilités humaines, à etre de vrais disciples de Jésus. En vous, le Christ nous donne des signes émouvants du dépassement de la souffrance humaine. En vous, le Christ déploie la force de sa résurrection.

Avant de passer au milieu de vous, à l’exemple du Sauveur, Nous appelons sur vos personnes, sur ceux qui vous entourent avec une délicatesse remarquable, sur tous ceux que vous aimez ou que vous représentez ici, la Bénédiction du Seigneur.



9 mai 1973: PAUL VI ANNONCE L’ANNEE SAINTE 1975

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Nous voulons aujourd’hui vous donner une nouvelle que Nous croyons importante pour la vie spirituelle de l’Eglise. La voici. Après avoir prié et réfléchi, Nous avons décidé de célébrer en 1975 l’Année Sainte, selon le rythme des vingt-cinq ans fixé par notre prédécesseur Paul II, par la Bulle Ineffabilis Providentia du 17 avril 1470. L’Année Sainte, que l’on appelle Jubilé dans le langage canonique, consistait, dans la tradition biblique de l’Ancien Testament, en une année dont la vie publique était particulière : on s’y abstenait de travail normal, on reprenait la distribution originelle de la propriété terrienne, on remettait les dettes en cours et on libérait les esclaves hébreux (cf.
Lv 25,8 ss.). Dans l’histoire de l’Eglise, on le sait, le Jubilé fut institué par Boniface VIII, mais avec des buts purement spirituels, en 1300 ; et il consistait en un pèlerinage de pénitence aux tombes des Apôtres Pierre et Paul. Dante lui-même y participa : il décrit à ce sujet la multitude de gens qui circulent dans Rome (cf. Inf. 18, 28-33). Puis, au Jubilé de l’an 1500, on ajouta l’ouverture des Portes Saintes des Basiliques à visiter, non seulement pour faciliter l’entrée des nombreux pénitents, mais aussi pour symboliser leur accès plus facile à la miséricorde divine grâce à l’acquisition de l’indulgence jubilaire.

Nous nous sommes demandé si une telle tradition méritait d’être maintenue à notre époque : celle-ci diffère tellement des époques passées ; elle est si conditionnée, d’un côté par le style religieux imprimé par le récent Concile à la vie ecclésiale, de l’autre par le fait qu’une si grande partie du monde contemporain se désintéresse pratiquement des expressions rituelles des siècles passés. Mais Nous nous sommes aussitôt convaincu que la célébration de l’Année Sainte peut se rattacher de façon cohérente à la ligne spirituelle du Concile lui-même, à laquelle Nous tenons à donner fidèlement la suite qui convient ; et par ailleurs, une telle célébration peut très bien correspondre et contribuer à l’effort inlassable que l’Eglise, dans son amour, entreprend au regard des besoins moraux de notre époque, en interprétant ses profondes aspirations, et même en tenant compte de façon légitime de certaines formes préférées de ses expressions extérieures.

Dans ce multiple but, il est nécessaire de mettre en évidence la conception essentielle de l’Année Sainte qui est le renouvellement intérieur de l’homme : de l’homme qui pense et qui, dans son effort de pensée, a perdu la certitude de la Vérité; de l’homme qui travaille et qui, dans son travail, a ressenti qu’il était tellement tourné vers l’extérieur qu’il ne possédait plus suffisamment sa propre vie intérieure ; de l’homme qui jouit et se divertit en utilisant tellement les moyens excitant chez lui une expérience de plaisir qu’il en ressent bien vite l’ennui et la désillusion. Il faut refaire l’homme du dedans. Voilà ce que l’Evangile appelle conversion, pénitence, « metanoia ». C’est un processus de renaissance à soi-même, simple comme une prise de conscience lucide et courageuse, et complexe comme un long apprentissage pédagogique et réformateur. C’est un temps de grâce qui, habituellement, ne s’obtient qu’en courbant la tête. Et Nous pensons ne pas Nous tromper en découvrant dans l’homme d’aujourd’hui une profonde insatisfaction, une satiété jointe à une insuffisance, un sentiment de malheur exaspéré par les fausses recettes de bonheur dont il est intoxiqué, l’étonnement de ne pas savoir jouir des mille jouissances que la civilisation lui offre en abondance. Autrement dit, il a besoin d’un renouveau intérieur, comme le Concile l’a souhaité.

Or c’est précisément à ce renouveau personnel, intérieur, et aussi, sous certains aspects, extérieur, que tend l’Année Sainte, cette thérapeutique à la fois facile et exceptionnelle qui devrait apporter le bien-être spirituel à chaque conscience et, par contrecoup — au moins dans une certaine mesure —, à la mentalité sociale. Tel est le thème général de la prochaine Année Sainte, qui se concrétisera en un thème central plus particulier : la réconciliation.

Le mot « réconciliation » rappelle le concept opposé de rupture. Quelle rupture devrons-nous opérer pour atteindre cette réconciliation qui est une condition du renouveau jubilaire souhaité ? Quelle rupture ? Mais ne suffit-il pas de présenter ce leitmotiv de la réconciliation pour nous apercevoir que notre vie est troublée par trop de ruptures, trop de désaccords, trop de désordres pour pouvoir jouir des dons de la vie personnelle et collective conformément à leur fin idéale ? Nous avons besoin avant tout de rétablir des rapports authentiques, vitaux et heureux avec Dieu, d’être réconciliés, dans l’humilité et dans l’amour, avec Lui, afin que de cette harmonie première et essentielle tout l’ensemble de notre expérience exprime une exigence et acquière une force de réconciliation, dans la charité et la justice, avec les hommes, auxquels nous reconnaissons aussitôt le titre rénovateur de frères. Et ainsi de suite : la réconciliation s’opère sur d’autres plans fort vastes et très réels ; la communauté ecclésiale elle-même, la société, la politique, l’oecuménisme, la paix... L’Année Sainte, si Dieu nous permet de la célébrer, devra nous faire comprendre bien des choses à ce sujet.

Limitons-nous pour le moment à annoncer un point important concernant l’organisation de la prochaine Année Sainte, laquelle, selon la coutume séculaire, a son foyer principal à Rome. Elle l’aura encore, mais avec la nouveauté suivante. Les conditions prescrites pour l’acquisition des fruits spirituels particuliers seront, cette fois-ci, anticipées et accordées aux Eglises locales, afin que l’Eglise entière répandue sur la terre puisse commencer tout de suite à profiter de cette grande occasion de renouveau et de réconciliation, et en préparer ainsi la phase culminante et la conclusion qui seront célébrées à Rome en 1975 et qui donneront au pèlerinage classique aux tombeaux des Apôtres, pour ceux qui peuvent et veulent l’accomplir, sa signification habituelle. Cet important et salutaire mouvement spirituel et pénitentiel, qui concerne toute l’Eglise et sera accompagné de la concession d’indulgences spéciales, commencera à la prochaine fête de la Pentecôte, le 10 juin. Jusqu’à maintenant, l’extension de l’Année Sainte avait lieu après les célébrations romaines ; cette fois-ci, au contraire, elle les précédera. Tous pourront comprendre que cette innovation manifeste l’intention d’honorer, en une communion plus évidente et efficiente, les Eglises locales, membres vivants de l’Eglise du Christ, unique et universelle.

Cela, suffit pour le moment. Mais, si Dieu le veut, Nous aurons beaucoup d’autres choses à dire à ce sujet. Que notre Bénédiction Apostolique vous accompagne.





16 mai 1973: « L’ANNEE SAINTE : MOMENT PRIVILEGIE POUR MESURER NOTRE ADHESION AU CHRIST »

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Chers Fils et Filles,



La semaine dernière, nous avons annoncé à nos visiteurs que l’Année Sainte serait célébrée en 1975, mais que, dès la prochaine fête de Pentecôte, c’est-à-dire dès le 10 juin prochain, elle serait ouverte dans les Eglises locales et, par conséquent, dans les différents diocèses, et donc dans chaque paroisse et dans toutes les communautés religieuses, afin que les fidèles du monde entier aient le temps et l’occasion de participer à ce grandiose exercice de renouvellement religieux avant même sa célébration à Rome au cours de l’année convenue; les fidèles pourront ainsi obtenir les bénéfices spirituels du Jubilé, même s’ils n’ont pas l’heureuse faculté de se rendre en pèlerinage près des tombeaux des Apôtres en la Ville Eternelle.

L’annonce du Jubilé a soulevé un grand écho dans le monde, comme celui d’un événement qui, à cause de son extension, intéresse de diverses manières la terre tout entière ; elle a eu, comme c’est normal, une grande résonance dans l’Eglise Catholique, comme celle d’un événement qui la concerne dans chacun de ses membres, qui renouvelle à son égard les vibrations spirituelles des années et des siècles de son histoire passée, qui lui ramène le flot rénovateur du dernier Concile et qui lui offre motif et force pour son éternelle discussion évangélisatrice avec la société humaine, une société qui, de nos jours, est aux prises avec des transformations assez mouvementées et profondes.

Ce premier accueil fait au son des trompettes jubilaires (le mot même « jubilé » se réfère aux trompettes qui sonnaient chez les anciens Hébreux pour leur annoncer la septième année, l’année sabbatique, ainsi que le début de l’année cinquantième), nous fait un immense plaisir et nous donne de grands espoirs quant aux conclusions positives de cette initiative ecclésiale périodique. Au milieu de tant d’autres, nous devons distinguer, comme hautement significative et autorisée, la voix du Cardinal Marty, Archevêque de Paris qui, en son nom personnel et au nom de tous les Evêques de France, accueille avec joie notre décision, la fait proprement sienne, et ce, d’autant plus volontiers qu’elle coïncide admirablement avec ses propres sollicitudes pastorales. Et c’est de tout coeur également que nous remercions la Conférence Episcopale Italienne qui, avec son adhésion riche de ferveur et de promesse, a fait immédiatement écho à notre invitation.

Ceci, nous vous le confions à vous, très chers Frères et Fils, et bien chers Visiteurs, et en même temps qu’à vous à tous ceux qui recevront la nouvelle de nos commentaires au sujet de l’annonce que nous avons donnée de la prochaine Année Sainte, pour vous exhorter tous à accorder à une telle annonce l’importance qui lui est due. Il est vraiment nécessaire de la prendre au sérieux. Elle ne concerne pas un moment fugitif de notre course dans le temps ; elle conditionne l’orientation de la vie moderne au cours des dernières années du XX° siècle ; elle ne se réfère pas à un aspect particulier de notre attitude mentale, ou morale, mais elle envahit notre façon de vivre et de penser tout entière.

En d’autres termes, il s’agit d’un examen complet de notre mentalité au sujet de deux réalités principales : au sujet de la religion que nous professons et au sujet du monde dans lequel nous vivons. Religion et monde ; foi et expérience profane ; conception chrétienne de la vie et conception privée de lumière, de principes, de devoirs et d’espérances transcendantes à l’égard de notre démarche dans le temps qui conduit inexorablement à la mort temporelle.

Le moment est venu de mesurer notre adhésion au Christ dans le conflit qu’elle subit quand on accepte les formes de pensées qui font abstraction de son Evangile et de son salut. L’heure est venue d’un examen de conscience total à propos des valeurs suprêmes et des valeurs secondaires ; l’heure est venue de faire un choix, non seulement pratique et de simple soumission, mais surtout un choix réfléchi et qui nous engage quant à l’orientation générale que nous voulons donner à notre existence : une vie chrétienne ou non ? Une vie qui, en fin de compte, ait vraiment le sens de vie humaine, de caractère humain, ou non ? Nous pourrons multiplier ces interrogations, et proposer tant d’autres alternatives ; disons mieux : tant d’autres antithèses comme, par exemple : voulons-nous être d’authentiques disciples du Christ, ou nous contenter simplement d’être répertoriés dans la liste des gens baptisés, n’être que des pharisiens mis sous accusation par les principes et les obligations que nous prétendons professer nous-mêmes ? Voulons-nous faire de Dieu et du Christ le centre qui conditionne et harmonise notre vie, avec son drame de la rédemption et avec son inéluctable félicité présente et future, ou voulons-nous installer en nous-mêmes, dans notre égoïsme absorbant et fallacieux, le pivot de tous nos mouvements ? Voulons-nous nous développer dans l’amour solidaire à l’égard de nos frères, proches ou lointains, ou voulons-nous restreindre le cercle de notre vision sociale aux dimensions de notre minuscule intérêt, nous murant dans un amer égoïsme, individuel ou collectif, et, de ce fait, armé de haine et plein d’esprit de lutte, incapable du véritable amour ? Et ainsi de suite...

Nous désirons que cette formule de l’Année Sainte constitue le bilan général de nos idées, de notre manière de concevoir nos devoirs, supérieurs et nos véritables intérêts, et qu’elle nous aide à faire la synthèse de notre foi, antique et vivante et nécessaire, avec le programme impérieux de la vie moderne, non pas tellement dans le compromis servile, mais bien plutôt dans l’intelligente harmonie chrétienne, qui exige, certes, certains renoncements et certaines austérités, mais qui est féconde en sincère humanité, en authentique bonheur.

C’est, en somme, la philosophie de la vie qui se trouve en jeu, celle qui reconnaît, avec Bergson, que plus s’étend le développement scientifique, technique, économique et social, plus l’homme a besoin d’un « supplément spirituel », afin de ne pas finir par être victime de ses propres conquêtes.

C’est la théologie de la vie, telle que le Concile l’a définie, et qui, à dix années de sa conclusion, interroge notre fidélité à ses paroles de rénovation ; et notre capacité à replacer notre conscience personnelle et notre co-existence sociale sur le plan de la justice et de la paix.

Et maintenant, remercions le Seigneur qui souffle sur le monde, sur l’Eglise, sur nos âmes ces pensées majestueuses, et nous Le prions afin qu’elles soient, pour vous, pour tous, selon son Esprit, illuminantes et vivifiantes.

Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Avec une affection particulière, Nous saluons les Pères des Missions Africaines, réunis en ce moment en chapitre, et Nous assurons leur nouveau Supérieur Général de nos voeux fervents. Chers Fils, Nous félicitons votre Société du labeur missionnaire, opiniâtre, qu’elle a réalisé depuis plus de cent ans, dans le sillage de son intrépide fondateur, Monseigneur Melchior de Marion Brésillac. C’est une magnifique page de l’histoire missionnaire que vous avez écrite, dès que s’ouvrait devant vous un champ libre pour l’annonce de l’Evangile. Et vous continuez de l’écrire, en pasteurs très proches des populations et soucieux d’éducation. Les communautés chrétiennes que vous avez suscitées en tant de pays d’Afrique, les nombreux prêtres et évêques que vous y avez préparés à leur ministère, témoignent de la valeur de votre oeuvre missionnaire.

Aujourd’hui, sous une forme adaptée, de telles Eglises ont un besoin intense de votre collaboration. La moisson est grande, disions-Nous dimanche dernier. Nous encourageons tous les Pères et Frères que vous représentez à poursuivre, dans la joie, ce beau service de l’Evangile, inspiré par l’amour. Et Nous les bénissons de grand coeur avec vous.

***

Nous voudrions aussi adresser un mot de bienvenue à l’Association générale des Hygiénistes et Techniciens municipaux. Chers Messieurs, vous accomplissez au service de nos cités urbaines ou rurales une activité de la plus haute importance, qui mérite notre estime, notre approbation, nos encouragements. Avec le problème de l’organisation du travail, c’est une des questions que notre civilisation doit s’acharner à résoudre, sans retard et sans trève, sous peine d’aboutir à des impasses catastrophiques. Le phénomène de la pollution se dresse déjà comme un spectre pour nos contemporains. L’alimentation en eau, l’environnement, la voirie, les espaces verts, autant de questions essentielles, difficiles, mais non pas insolubles. C’est une tâche gigantesque qui vous échoit, à la mesure des concentrations urbaines. Elle requiert une compétence technique très poussée et une concertation efficace dans les décisions. Cette concertation n’est possible que si l’on envisage d’abord, au-dessus de tous les intérêts économiques, le service de l’homme, son épanouissement, son hygiène physique et mentale, ses exigences de détente et de relations. Oui, chers Messieurs, en un sens, la civilisation marche avec vous. Et Nous nous réjouissons de cette coopération franco-italienne qui vous réunit ici. C’est un problème européen. C’est un problème mondial: les hommes sauront-ils rendre viables les cités tentaculaires qu’ils s’ingénient à construire? convertir ce développement en un progrès humains? Sur tous ceux qui oeuvrent en ce domaine, Nous implorons l’assistance du Seigneur.



23 mai 1973: LE SOUFFLE DE L’ESPRIT-SAINT SUR LES CELEBRATIONS JUBILAIRES

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Chers Fils et Filles,



Une fois encore, nous vous prions de bien vouloir considérer l’annonce que nous avons faite à l’Eglise et au monde de la prochaine célébration de l’Année Sainte, comme une voix inspirée par l’Esprit-Saint, selon la promesse de Jésus-Christ aux Apôtres dans sa prophétie après la Dernière Cène : « Quand Il sera venu, l’Esprit de vérité vous enseignera toute la vérité... Il me glorifiera, car il prend ce qui est à moi pour vous le faire connaître » (
Jn 16,13-14) ; et de bien vouloir la considérer comme l’ouverture d’une période nouvelle de la vie religieuse et spirituelle dans le monde, non pas comme s’il ne s’agissait que d’un événement qui prend place parmi tous les autres, si nombreux, de notre histoire — un événement presque isolé — mais comme un début, comme un germe prometteur de vie, une conséquence du Concile destinée à caractériser une rénovation intérieure et morale dans la conscience des hommes ; et encore, de la considérer comme une grande occasion favorable, « un moment propice, un jour de salut » (cf. 2Co 6,2) ; de considérer aussi que c’est pour nous un privilège béni, si nous savons l’accueillir comme il se doit : ce serait par contre, une grave responsabilité si par stupide distraction ou opposition maligne nous laissions passer ce privilège.

Il faut que tous nous nous mettions sous le vent du souffle mystérieux que nous pouvons toutefois, maintenant, identifier : c’est le souffle de l’Esprit-Saint. Il n’est pas dépourvu de signification, le fait que c’est précisément le jour de la Pentecôte que l’Année Sainte hisse ses voiles dans les diverses Eglises locales, afin qu’une nouvelle navigation, nous voulons dire, un nouveau mouvement, véritablement « pneumatique », c’est-à-dire charismatique, emporte vers une seule direction et dans une émulation concordante, l’humanité croyante pour les nouvelles étapes de l’histoire chrétienne, vers son port eschatologique.

Nous n’ignorons pas que le moment psychologique et sociologique de notre monde n’est pas le meilleur pour cette audacieuse aventure. Des tempêtes, des écueils, des oppositions formidables se dressent contre notre navigation sereine et sûre. Nous sentons siffler à nos oreilles les rafales de vents contraires violents, envahissants. Il n’est pas nécessaire d’en faire la description ; elle est devenue un fait d’expérience commune aujourd’hui, cette irréligiosité qui s’est emparée de si nombreuses nations, de si nombreuses écoles de la pensée, imprégnant tant de phénomènes sociaux de l’homme moderne. Dieu n’est plus à la mode. Notre vision de la réalité demeure éblouie devant la splendeur et l’intérêt de la science ; et son application pratique donne, certes, des résultats stupéfiants, mais elle écrase la vie sous des richesses incalculables et très disputées, au point que les hommes se heurtent dans une lutte sans fin, dans un désir violent de libération ; il n’y a plus la tranquillité d’esprit qui permet de comparer notre expérience aux principes établis et supérieurs, sub specie aeternitatis, et tout se réduit aux dimensions du temps, c’est-à-dire de la relativité contingente et changeante de notre histoire, qui, comme le Saturne mythique dévore ses fils. Dans cette situation, don cosmique de la terre et de l’homme comme « royaume de Dieu » en devenir (adveniat regnum tuum) rencontre cent terribles difficultés que l’homme religieux expérimente non comme des stimulants à son ascension — ce qu’ils sont en réalité —mais comme des obstacles qui semblent insurmontables.

Pour se rencontrer avec ce monde agité et hostile, l’homme d’Eglise, le « fidèle », aurait besoin, au moins, d’idées claires et sûres, c’est-à-dire d’une rationalité naturelle authentique et opérante, d’une pensée philosophique, d’un sens commun capable de vérités de bases et de règles d’actions véritablement logiques et normales, dont il ne se sent plus maître aujourd’hui, drogué comme il l’est par des doutes de tous genres que seules les études scientifiques d’une part et les raisonnements instinctifs du bon sens, empirique et utilitaire, d’autre part, réussissent à calmer.

Nous devons souhaiter que la force de la raison soit rétablie dans sa totale intégrité ; ceci est un des grands besoins de la culture véritablement humaniste. Mais qu’il nous suffise en ce moment d’en exprimer le souhait. Disons plutôt, en vue du but qui nous intéresse, qu’il existe une autre source de connaissance, en dehors de la source purement rationnelle, trop faible et trop vulnérable pour résoudre tous les problèmes de l’existence humaine ; une autre source, non pas pour mortifier, mais pour fortifier la pensée rationnelle, source extrinsèque quant à son origine, intrinsèque quant à son opération ; et c’est l’Esprit-Saint ; c’est « la foi qui opère au moyen de la charité » (Ga 5,6 Ph 2,13 1Co 12,11). De cette infusion de la capacité de comprendre la Vérité, dans son expression surnaturelle et vitale, propre de l’économie chrétienne (cf. Jn 1,4-5), de cette illumination intérieure, héritage des humbles et des simples (cf. Mt 11,25-26), de ce don des sept rayons de l’Esprit-Saint, nous avons vraiment besoin pour affronter la grande expérience de l’Année Sainte, si nous voulons qu’elle soit vrai renouvellement et réconciliation. Souvenons-nous-en.

Il n’est personne qui ignore encore comme le Concile a rempli les pages de ses sublimes et très actuels enseignements de mentions continuelles du Saint Esprit. On en a compté 258. Faisons nôtre l’exhortation du Concile et inscrivons, en préface de notre Année Sainte, l’invocation si souvent répétée et toujours neuve : « Viens, ô Esprit Saint, ô Esprit Créateur; viens, ô Esprit Consolateur ! » ; Nous ne l’aurons pas invoqué en vain (cf. Lc 11,13). Avec notre Bénédiction Apostolique.

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Et maintenant Nous saluons de tout coeur les membres de la Fraternité Catholique Amicitia de Blois, conduite par leur dévoué aumônier. Nous savons que vous aimez l’Eglise du Christ et ceux qui sont chargés de la guider. Déjà un groupe d’handicapés de votre fraternité était venu nous rendre visite à Castelgandolfo, en septembre 1969! Nous vous félicitons d'avoir repris le chemin de Rome qui est le rond-point de l’unité chrétienne. Nous souhaitons profondément que ce pèlerinage vous procure d’abondantes grâces de paix et de joie dans le Christ qui vous a mystérieusement confié des fragments de sa croix rédemptrice.

Chaque jour, et avec plus de ferveur en ce mois traditionnellement consacré à Marie, Nous prions ia Mère du Seigneur pour tous ceux qui sont dans l’épreuve. Elle a si bien participé aux souffrances de Jésus. Aujourd’hui encore, elle aide efficacement ceux qui lui font confiance. EIle les conduit à son Fils qui transfigure et sanctifie les souffrances humaines. Vous avez pu être témoins et bénéficiaires de ce rayonnement de la Mère du Christ et de l’Eglise, à Lourdes, mais aussi à Notre-Dame de la Trinité de Blois et en d’autres sanctuaires mariaux du Blésois.

C’est dans ces sentiments que Nous invoquons sur vous et sur tous ceux qui vous sont chers la Bénédiction du Seigneur.





Catéchèses Paul VI 25473