Catéchèses Paul VI 19123

19 décembre 1973: LA TRAGEDIE DE FIUMICINO

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Vénérables Frères et Fils très chers,



Les événements tragiques et odieux qui viennent de se dérouler sous forme de crimes barbares et selon une violence qui tient du terrorisme, sur les terrains d’aviation pourtant modernes et pacifiques de Fiumicino et d’autres pays, même s’ils ont eu une conclusion moins pénible qu’on ne le craignait, ont tellement rempli de douleur, d’indignation, d’angoissants problèmes l’ambiance locale et mondiale, qu’ils troublent également l’atmosphère tranquille caractérisant nos audiences générales hebdomadaires.

C’est pourquoi nous renonçons aujourd’hui à notre habituel entretien familier consacré, en cette période de préparation à Noël, à la recherche des voies spirituelles qui peuvent guider les hommes de notre génération vers la reprise loyale des rapports religieux avec Dieu.

L’irruption dans tous les esprits des véhémentes impressions provoquées par cette retentissante affaire, l’inquiétude qu’elle suscite au fond de chacun, nous rendant anxieux de connaître les faits et leurs commentaires, la terrible incertitude qui se répercute sur la situation internationale juste à la veille des signes avant-coureurs, si attendus, d’une paix équitable au Moyen-Orient, nous empêchent de vous adresser notre allocution habituelle : ce doit être en effet pour nous tous l’occasion d’une profonde réflexion. L’histoire vivante devient le livre dont nous tirons notre enseignement sur la fragilité toujours menaçante des équilibres humains ; sur le facteur décisif de la libre intervention de l’homme, de sa responsabilité, parfois fatale, dans le mécanisme si perfectionné et complexe des services techniques de notre civilisation ; sur la nécessité évidente de fortifier le sens moral dans la conscience humaine ; et sur la nécessité, bien évidente elle aussi, d’invoquer et de mériter l’assistance de la divine Bonté sur notre progrès moderne merveilleusement développé mais, sous certains aspects, ambigu, voire dangereux.

Nous ferons bien de penser à ces épisodes déments et cruels de notre chronique contemporaine, non pas pour entretenir en nous une amertume sans espoir, encore moins de sombres projets de vengeance, mais plutôt pour fortifier en nous-mêmes un optimisme invincible, toujours tourné vers l’affermissement de la justice et de la paix, et aussi pour retrouver la capacité de recourir à une prière humble et confiante, dans la foi et dans l’amour.

Noël est proche. Que l’humble fait et le grand mystère de la venue dans le monde du Christ, notre Sauveur et notre paix, nous permette sans difficulté d’y puiser la force de l’espérance et la puissance de l’amour. Dans ce but, nous vous donnons notre Bénédiction Apostolique.







AVANT-PROPOS Audiences 1974





7 Une doctrine pour notre temps. C’est ainsi me semble-t-il que peut se résumer l’ensemble des textes du Saint-Père qui constituent ce nouveau volume de « L’enseignement de Paul VI ».

Il suffit de parcourir les têtes de chapitre pour se rendre compte comment, semaine après semaine, le Successeur de Pierre, chargé de confirmer ses Frères dans la foi, affronte avec clarté et fermeté les points de l’enseignement de l’Eglise que la conjoncture lui inspire de rappeler, de préciser ou d’expliciter.

L’Année Sainte que nous vivons, à Rome, en ces jours, démontre, s’il en était besoin, combien le peuple chrétien attend du Pape cette parole hebdomadaire qui rassemble et montre la voie.

Elle démontre encore, cette Année Sainte, combien l’appel du Pape peut être mobilisateur d’énergies, catalyseur de générosité ; combien aussi reste vivant au coeur du peuple de Dieu ce sentiment de l’unité, de la catholicité et de l’apostolicité de l’Eglise qui nulle part ailleurs, mieux qu’autour du Père Commun ne peut se manifester de la façon la plus authentique.

Au long de ces pages, le lecteur vivra avec le Pape ses soucis, comme ses espérances, de toute année, à travers allocutions et discours que son souci pastoral de tous les instants l’a poussé a adresser aux pèlerins d’un jour, et au delà de leurs personnes aux fidèles de toute l’Eglise.





2 janvier 1974: LA RENCONTRE AVEC LE PÈRE

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Chers Fils et Filles,



Celui qui a célébré la Noël en découvrant dans l’humble fait de la naissance de Jésus le mystère de l’Incarnation, et par conséquent de la venue du Christ dans le monde, c’est-à-dire du Sauveur, du Messie, du Verbe éternel de Dieu fait homme, se trouve engagé dans une découverte successive ; celle-ci nous ouvre le point focal de toute la religion, le secret de la vie de Dieu et en même temps le secret de la vie de l’homme. Noël ne nous révèle pas seulement le Christ, mais par son entremise, grâce à la manifestation, l’épiphanie, qui Le montre Fils de Dieu et Fils de l’homme, elle nous ouvre la vision éblouissante et captivante de la Paternité de Dieu et, avec elle, le mystère de la vie même de Dieu, le mystère de la Très Sainte Trinité : Dieu est Père engendrant éternellement en Lui-même le Fils, sa propre Pensée vivante, son Verbe identique dans sa nature, c’est-à-dire dans l’Etre, au Dieu unique Principe absolu, et, en même temps, dans l’identité de substance du Père et du Fils, exhalant l’Amour, l’Esprit-Saint. Unique, l’Etre divin, mais existant en trois Personnes égales, distinctes et coéternelles (cf. denz.-sch.
DS 800) ; vérité qui dépasse nos facultés d’entendement ; elle concerne la vie de Dieu en soi ; elle est donc ineffable, mais elle n’en, exerce pas moins une influence, infime sans doute mais merveilleuse, sur notre psychologie innée, spirituelle ; elle a fourni à Saint Augustin un thème pour ses spéculations théologiques. « Je dis trois choses, écrit-il : être, connaître, vouloir, ‘esse, nosse, velle’. Je suis en effet, je connais et je veux... La vie est tellement inséparable en ces trois choses... sans qu’il soit possible d’opérer une sélection... comprenne qui peut... » (Confessions XIII, 11 ; PL 32, 849). En ce moment nous n’allons pas nous attarder à la contemplation de spéculations aussi élevées et tellement impénétrables. Nous n’en tirerons qu’une déduction qui doit nous rendre heureux, et qui doit être le pivot de notre foi et par conséquent de notre vie religieuse.

Maintenant, nous savons que Dieu est Père. Père en vertu même de sa nature divine, en Lui-même et dans la génération du Verbe, de son Fils Unique ; aussi est-il le Père de ce Jésus, le Christ qui s’est fait homme ; qui s’est fait homme comme nous, homme pour nous ; notre semblable, notre frère. Et par conséquent, à un titre bien divers mais analogiquement essentiel, Dieu est également notre Père.

Il est notre Père, parce qu’il est le Créateur ; il est le Père parce qu’il nous a été révélé, parce qu’il nous à été donné par adoption.

Ce fut là une des fins principales de l’Incarnation, un des buts qui a dominé la vie du Christ : Lui, le Christ, Il est le révélateur du Père. Et c’est Lui qui nous le dit dans sa dernière prière, adressée précisément au Père céleste et qui résume en des termes d’une extrême élévation et d’une grande densité le sens de sa venue dans le monde : « J’ai manifesté Ton nom aux hommes... » (Jn 17,6). Cela, Jésus l’avait déjà dit, en termes non moins élevés et non moins denses mais simples et presque familiers ; aux disciples qui demandaient que le Maître leur apprenne à prier Jésus répondit, comme chacun le sait : « C’est ainsi que vous devrez prier : Notre Père qui êtes aux cieux... » (Mt 6,9 Lc 11,1).

Et lorsqu’on l’entend ainsi, cette prière semble la formule la plus évidente. Oui, car c’est Jésus qui nous l’a enseignée. Dans l’Ancien Testament, déjà, nous trouvons qu’à Dieu il est attribué le titre de Père du Peuple élu ; peuple élu tant à cause de son élection par Dieu qu’en vertu de l’intime rapport religieux que Dieu a voulu établir avec lui (cf. Is 45,10 Dt 32,6 etc. ; cf. aussi A. hesghel, Dieu en quête de l’homme, éd. du Seuil, Paris EN 1968) ; mais dans l’Evangile cette appellation de Père rapportée à Dieu, par la voix du Christ, devient une habitude normale et elle acquiert une plénitude en laquelle se concrétise non seulement toute la théologie, mais également toute la spiritualité de la vraie religion.

Il faudrait que nous concevions cette révélation de la vérité ontologique suprême comme la clé de voûte de toute notre pensée et comme la source sanctifiante de toute notre vie spirituelle. Dieu, le Père ! Nous sommes un peu confus maintenant de ne pouvoir y faire allusion que d’une manière si brève et si superficielle, alors que l’importance primordiale d’un thème semblable et sa signification inépuisable devraient fixer ici et pour toujours notre discours. Dieu le Père ! L’Etre premier, nécessaire, absolu, infini, éternel, Dieu, se qualifie Père et il l’est, par la génération du Fils Unique, Dieu issu de Dieu, et par la génération que, par l’intermédiaire du Christ et dans l’Esprit-Saint, il a étendue à nous par voie adoptive (Jc 1,18). C’est ici qu’est notre foi, ici notre religion, ici notre baptême, ici notre capacité. C’est d’ici que nous prenons l’envol vers le mystère de la vie divine, c’est d’ici que naissent les racines de notre fraternité humaine et d’ici que jaillissent les facultés qui nous font saisir la signification de notre oeuvre présente, comprendre le besoin que nous avons de l’aide et du pardon divins et percevoir notre destin eschatologique. Mais, sur le plan pratique, dans la perspective de la pédagogie évangélique que nous voulons infuser dans la psychologie apathique ou errante de la génération moderne, il y a, nous semble-t-il, une note qu’il importe de relever avant toute autre ; Dieu est notre Père, donc il nous aime. Et alors : quelle doit être notre attitude fondamentale à son égard ? Notre religion ne peut être en conséquence que bienheureuse, confiante, sereine, optimiste, pleine d’énergie et dominée par une seule parole filiale : oui, Père oui ! Tout notre bonheur se trouve dans cette réponse.

Cela signifie, Frères et Fils bien-aimés, que dorénavant notre piété, notre fidélité devront se nourrir de la prière que Jésus lui-même nous a enseignée et que, comme nous le déclarons à la Messe : « nous osons dire : notre Père qui êtes aux cieux... ».

Avec notre Bénédiction Apostolique (Cf. R. graf, Si, Padre, Morcelliana ; J. carmignac, Recherches sur le « Notre Père », Letousey 1969 ; voir aussi: ste thérèse, Chemin de Perfection ; G. M. curgi, Lezioni..., 1, 552 et ss. ; et de même les commentaires de G. Salvadori, P. Chiminelli, Carnelutti, etc.).





9 janvier 1974: INVITATION À LA PRIÈRE INTÉRIEURE

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Chers Fils et Filles,



La Noël est passée. Du moins, en tant qu’elle commémore la naissance de Jésus le Sauveur, le mystère qu’elle nous révèle, c’est-à-dire l’Incarnation du Verbe de Dieu ; en tant qu’elle nous révèle encore la nouveauté introduite dans le rapport entre l’homme et le Christ, c’est-à-dire Son voisinage avec le monde et Sa coexistence avec et parmi les hommes (souvenez-vous : « Il s’est fait chair et a vécu parmi nous »,
Jn 1,14). Mais en raison de la répercussion spirituelle que la célébration d’une telle fête tend intentionnellement à avoir dans les âmes de ceux qui y ont participé, la Noël, disons-nous, ne peut pas passer complètement : elle tend à se prolonger, et non seulement liturgiquement, mais aussi spirituellement, moralement et même socialement (tous les gestes de bonté et de charité que Noël a fait jaillir ne tendaient-ils pas à exprimer et à engendrer un sentiment humain, une attitude pratique, de caractère permanent, dans la coexistence familiale, amicale et civile qui nous environne ?) ; la Noël prétend rester et exige un « après-Noël ». Mais lequel ? Et comment ?

Retournons un instant au récit évangélique et détachons-en ce fragment qui vaut tout un programme. Le voici, ce fragment qui nous instruit au sujet de cet « après-Noël » ; il se présente comme ceci et il est merveilleux : « Marie conservait toutes ces choses et les méditait dans son coeur » (Lc 2,19). Oui, combien de beauté humaine dans ce détail personnel, combien de richesse spirituelle dans cette pure confidence. Celle-ci est fort probablement la source pure et directe de l’Evangéliste qui écrit; c’est Luc, et il enregistre un détail des plus naturels : comment une mère, et une telle mère, aurait pu ne pas revivre en pensée le si grand, si personnel événement qu’elle avait vécu dans la réalité de l’expérience vitale ? Jésus était né ainsi, dans des circonstances que nous connaissons tous si bien ; comment aurait pu ne pas renaître, dans la réflexion d’une mère heureuse et seule à savoir, le prodige aux divers aspects de cette naissance humano-divine ? La mémoire d’abord, la conscience ensuite, puis la compréhension, l’émerveillement, la contemplation enfin, ne sont-ils pas les phases de la vie spirituelle de la Vierge, élevée, également sous cet aspect, au rang d’exemple, au titre de modèle du processus intérieur qui devrait s’accomplir en tout disciple du Christ ?

La connaissance du Christ, quelle qu’elle soit, immédiate, sensible, expérimentale, comme elle le fut pour les Apôtres et pour la génération contemporaine du Christ et coexistant avec Lui (cf. 1Jn 1,1-2) : « ... ce que nous avons vu de nos yeux et contemplé, ce que nous avons touché de nos mains... nous vous l’annonçons... », ou bien indirecte, par l’annonce ou le témoignage (cf. Ac 2 discours de Pierre) prend une grande place, une position dominante dans la vie de celui qui a eu la fortune de se rencontrer avec Lui. Jésus fut, est et sera toujours présent; destiné à l’être toujours, en tous ; mais par quelle voie ? Sous quelle forme ?

De simple connaissance historique, ou scientifique ? de pure mémoire, celle qui est réservée aux personnages qui ont réalisé de grandes entreprises, ou qui ont écrit des ouvrages ou, par leurs actions, influencé le cours des événements humains ? Non, pas seulement ainsi. La question de la présence du Christ dans le monde extérieur des faits et des institutions, et dans celui intérieur des coeurs des hommes est au centre de notre religion ; et le mystère de Noël, récemment célébré, concourt à la présenter dans son importance capitale, et à suggérer quelques principes relatifs à sa solution positive. Nous nous demandons encore : comment Jésus-Christ dont nous avons commémoré la naissance, survenue à Bethléem au temps de César Auguste, est-il encore présent parmi nous ? Limitons-nous à chercher sa présence intérieure, dans nos âmes, et, repensant à Marie, nous répondons : Jésus est présent, par-dessus tout, par la foi, au-dedans de nous. Une parole de Saint Paul dit tout à cet égard : « Le Christ habite dans vos coeurs par la foi » (cf. Ep 3,17). De cette affirmation (qui sera ensuite complétée par un autre élément : la grâce, et par un autre coefficient instrumental : l’Eglise) découle toute la vie spirituelle de notre religion. Nous pouvons dire, en simplifiant : la Noël persiste en nous si le Christ naît et vit en nous grâce à la foi, laquelle n’est pas une simple notion du Christ, son image, presque sa photographie qui remplace sa figure sensible, mais une forme mystérieuse et vitale qui le porte à vivre en nous. C’est encore Saint Paul qui nous le dit : le chrétien, c’est-à-dire le juste au sens biblique, vit de foi (cf. Rm 1,17 Rm 3,26) ; et ici la foi est attribuée non pas au simple témoignage humain, mais à la Parole de Dieu.

Ces choses, nous les connaissons sans aucun doute ; mais nous nous rendons compte à quel point elles sont étrangères à la mentalité moderne, tellement extravertie, tellement réticente à la connaissance par la foi, aussi incapable de méditation dans le sanctuaire religieux de la conscience et aussi peu préparée au langage de la prière mentale.

Eh bien, nous, par contre, nous vous engageons à réapprendre ce langage. Sans lui nous ne pouvons avoir de colloque avec Dieu, nous ne pouvons même pas écouter sa voix ; Il daignait intervenir dans ce dialogue silencieux. Mais il fait partie de ce renouvellement spirituel auquel l’Année Sainte doit nous conduire : savoir prier, et pour prier vraiment, savoir méditer. Grands et innombrables sont les maîtres. Accueillez leur invitation ; avec notre Bénédiction Apostolique (Cf. Cardinal G. lercaro, l’orazione mentale, 1947 ; P. pourrai, La spiritualité chrétienne, III, 1927 ; et parmi les classiques : sainte thérèse, La voie de perfection et Château intérieur, saint françois de sales, Teotimo, livre VI ; etc.).





16 janvier 1974: CONSCIENCE DE SOI ET REPENTIR, PREMIÈRE PRIÈRE DE L’HOMME MODERNE

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Chers Fils et Filles,



Nous avons célébré la Noël. Et ce fait religieux qui se répète chaque année, nous ne pouvons le considérer, nous, que comme une rencontre avec Jésus-Christ. Il est venu, il est descendu jusqu’à nous (cf.
Ph 2,7) et il a vécu avec nous (Jn 1,14) ; remontant jusqu’aux privilégiés contemporains du Christ, nous pouvons presque dire, nous aussi : « nous avons mangé et bu avec Lui... » (Ac 10,41). Nous ne devrions plus oublier, sous son aspect spirituel, cette réalité de notre religion : la rencontre personnelle avec le Seigneur. Le fait sacramentel de notre baptême nous oblige à cet état d’esprit, à cette spiritualité, celle d’un voisinage personnel, d’une amitié, d’une confidence qui, dans l’Eucharistie, va au-delà de toute limite imaginable : elle va jusqu’à la communion, jusqu’à la fusion de la vie humano-divine de Jésus-Christ avec notre vie personnelle, si humble, si insignifiante qu’elle soit : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jn 6,56).

Donnons l’importance qu’il mérite à ce point d’arrivée de notre démarche religieuse. Nous arrivons réellement à Dieu fait homme. Combien grande est la distance qui a été franchie, annulée ! Nous sommes admis à entrer en conversation directe et parfaite avec le Christ, le médiateur, le « pont » comme l’appelait Sainte Catherine de Sienne. C’est ici que commence notre authentique religiosité catholique.

Mais prenons bien garde. Elle aussi, cette religiosité, admet, ou plutôt exige une gradation, un développement moral et spirituel qu’il serait téméraire de négliger (cf. Mt 22,12).

Nous, nous voulons dire nous les fils de notre siècle, nous avons dans le coeur et peut-être sur les lèvres, lorsque nous nous trouvons sur le seuil du monde religieux, la prière de l’aveugle de Jéricho : Seigneur, fais que je voie ! Nous voudrions traduire en expérience sensible cette vérité religieuse, cette Réalité mystérieuse à laquelle, par curiosité capricieuse, ou par inquiétude intérieure, ou à cause de la circonstance imprévue de quelque fait extérieur, ou d’une expérience urgente de la vie, ou encore à la suite d’une pressante conclusion logique, ou surtout grâce à l’initiation sacramentelle, ou peut-être aussi par l’effet d’une impulsion secrète ultérieure du Paraclet, cette Réalité mystérieuse, disons-nous, à laquelle nous sommes de quelque manière arrivés.

N’est-ce pas ainsi, du reste, que nous sommes invités par l’épiphanie de l’art qui, dans la religion catholique, n’est pas mis au ban par des iconoclastes puritains, mais qui traduit en de splendides et innombrables signes extérieurs le langage sacramentel et cultuel ? La liturgie n’opère-t-elle pas avec le ministère des sens dans le royaume invisible de la grâce et de la communion mystique avec le Christ et avec Dieu ? Et de plus, toute la pédagogie moderne ne cherche-t-elle pas à substituer à l’effort mnémonique et mental les moyens audiovisuels ? A l’exemple de Thomas le Didyme, combien ne répètent-ils pas ces propres paroles devant les exigences de la Foi : « Si je ne vois pas... je ne croirai pas » ? (Jn 20,25).

Eh bien, cette attitude est ignorante et sotte. A tous aussi le Seigneur pourrait dire : « Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous demandez ! » (Mt 20,22). Parce qu’une expérience sensible d’une entité religieuse est de par soi, directement, impossible et, de plus, infructueuse (cf. Col 5,16). Que si vraiment nos sens étaient touchés par quelque rayon de visibilité divine, quelle serait notre réaction normale ? L’épouvante (cf. Ex 33,20 Rm 6,19-20).La présence de Dieu traduite en termes sensibles est terrible, elle est fulgurante. Même dans l’Evangile qui est, tout entier, un cadre dans lequel Dieu fait homme se prête à nos conversations (cf. Ba 3,38), le Christ a des moments pendant lesquels sa manifestation provoque une grande frayeur (cf. Mt 17,6) et suscite des sentiments et des paroles que l’Eglise répétera éternellement : « Seigneur, je ne suis pas digne... » (Mt 8,8). Est vraiment caractéristique l’exclamation de Simon Pierre au moment de la première pêche miraculeuse ; lui-même, dans la barque, il se jette à genoux devant Jésus et dit « Eloignez-vous de moi Seigneur, je ne suis qu’un pécheur » (Lc 5,8). Et puis, que dire de cette rencontre du regard éperdu de Pierre — encore lui — avec le regard de Jésus lorsqu’il eut renié le Maître au moment du procès nocturne : « Alors, note Luc, le Seigneur se retourna pour regarder Pierre, et Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite: "avant le chant du coq, aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois". Et il sortit dehors en pleurant amèrement » (Lc 22,61-62).

Tout ceci nous fait penser que notre premier contact, sensible ou spirituel, avec Dieu n’est pas destiné, normalement, à produire une impression de surprise agréable ni même de joie paisible ; et cela nous prévient que, si nous voulons entrer dans le cercle religieux, nous devons passer à travers des émotions, des sentiments, qui produisent de profonds bouleversements intérieurs. On ne va pas à Dieu comme à un spectacle divertissant, ou à une rencontre familièrement indifférente. Ici également on peut utilement faire une comparaison élémentaire. Dieu est la lumière ; si l’un de nous se présente devant lui, quel premier effet en résulte ? Le premier effet est que nous, avant de regarder Dieu, nous nous regardons nous-mêmes ; et tout aussitôt, nous sommes envahis de confusion et de malaise, parce que, tandis que nous avons l’intuition de la majesté transcendante de sa présence, nous voyons notre bassesse ; (la Vierge elle-même a fait l’expérience de cette humilité métaphysique ; vous rappelez-vous son Magnificat où Marie proclame sa propre petitesse en présence de la grandeur de Dieu ? — (Lc 1,48) ; de plus, nous découvrons, avec une humble évidence, notre indignité (cf. Mt 22,12).

Cette attitude morale-spirituelle qualifie un genre de prière qui, avant même de nous concéder un colloque sanctifiant avec Dieu, nous donne, à nous-mêmes, la conscience de nous-mêmes. Nous pourrions l’appeler prière d’autoconscience, prière réfléchie sur notre propre être, et spécialement sur nos propres conditions morales. La première tentative d’établir un rapport avec Dieu implique l’aveu de notre incapacité d’atteindre un tel objectif sans sa miraculeuse intervention de bonté et de miséricorde. Rappelez-vous le retour, c’est-à-dire la conversion du fils prodigue de l’Evangile : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je rie suis plus digne d’être appelé ton fils ! » (Lc 15,18-19 cf. guardini, Il Dio vivente ; sur le repentir).

Cette phase et cette forme de vie religieuse sont, comme chacun le sait, extrêmement importantes et constituent pour la mentalité de l’homme moderne les obstacles les plus grands à sa restitution au royaume de Dieu, à la vie chrétienne. Surmonter ces obstacles ne signifie pas seulement admettre, en quelque sorte, l’existence de Dieu et par conséquent l’insertion d’un problème religieux dans notre vie; cela signifie réhabiliter en nous le sens rationnel de l’obligation morale, c’est-à-dire de l’inéluctable relation avec Dieu que comporte notre conduite ; cela signifie avoir conscience de notre responsabilité transcendante, donner à notre conscience la lumière et la force pour guider nos actions, en fonction d’un paramètre objectif et sacré, décisif pour notre destin présent et notre destin futur.

Il faudra, par conséquent, que nous prenions l’habitude de nous examiner à la lumière de la présence de Dieu et à celle de la loi divine et des impératifs de notre devoir. Difficile, mais non impossible. Et même ici, il se peut que l’homme moderne soit en fait d’autant plus disposé à prier de cette prière du repentir que plus grande est sa répulsion instinctive ; et ceci se passe dès qu’il a conscience d’une présence divine et qu’il se rend compte, par conséquent, de son propre besoin de miséricorde.

Mais nous avons célébré la Noël, la présence de Dieu parmi nous.

Aussi, est-ce le moment propice pour les faire nôtres, ces pensées : le Seigneur est venu ! Qui voudrait ne pas le rencontrer ?

Avec notre Bénédiction Apostolique.





23 janvier 1974: LA PRIÈRE PERSONNELLE ET LA RELIGIOSITÉ INTÉRIEURE

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Chers Fils et Filles,



Nous avons célébré la Noël. Nous considérons Noël comme la rencontre religieuse de l’humanité avec le Christ, c’est-à-dire avec le Verbe de Dieu fait homme. Cette rencontre nous regarde personnellement. C’est sur cet aspect du mystère célébré que nous allons fixer maintenant notre attention. C’est-à-dire que nous devons nous rendre capables de converser avec le Christ, et, par son intermédiaire, avec Dieu ; avec ce Christ-Dieu qui, pour se rencontrer avec nous, a parcouru un si long chemin : il est descendu du ciel. Cette conversation marque une nouvelle et très grande étape de lai vie religieuse chrétienne. En simplifiant, nous dirons : nous devons apprendre à parler avec le Seigneur, à parler au Seigneur. Un colloque direct, personnel, sincère avec le Seigneur constitue un genre de prière tout particulier : la prière personnelle.

Surgit la question : sommes-nous capables de prière personnelle ? Nous pourrons certainement répondre de manière affirmative si, par prière personnelle, nous entendons la récitation de quelques formules de prières habituelles, que nous connaissons tous et dont nous voulons croire qu’elles donnent une voix à notre habituelle observance religieuse : qui, donc, ne récite pas un Pater Noster ? Un Ave Maria ? Et parmi vous, ne sont-ils pas nombreux ceux qui, chaque jour, récitent quelque prière au début et à la fin de la journée ? Et de plus, nombreuses également sont les personnes qui disent chaque jour le Rosaire et d’autres prières habituelles entrées dans le programme quotidien du bon chrétien. Et cela, c’est bien, c’est vraiment bien ; conservons ces pratiques religieuses élémentaires comme prise de conscience quotidienne de notre caractère chrétien; comme expression de notre fidélité à la conception chrétienne de la vie ; comme signe de notre respect religieux envers Dieu par le moyen duquel nous voudrions satisfaire au premier, au plus grand et synthétique commandement religieux et moral: celui de l’amour ; comme invocation de l’aide divine, sans laquelle demeure insuffisante toute notre vertu spéculative et opérative ; et enfin comme soutien de nos laborieux efforts quotidiens pour l’accomplissement de nos devoirs. C’est très bien, nous le répétons, de conserver, ponctuelle et sérieuse, l’habitude de réciter la prière quotidienne, avec cette simplicité enfantine que nous aimerions voir orner et caractériser toutes les périodes de notre vie.

Mais suffit-il de ce petit nombre de formules toujours pareilles, plus souvent vocales que spirituelles, pour donner à notre existence sa profonde signification religieuse ? Son authentique et actuel cachet spirituel ? Son colloque personnel et original avec le mystère divin ? Celui qui professe avec sincérité ses propres sentiments religieux se rend compte qu’il manque quelque chose à cette brève oraison conventionnelle ; elle devient facilement un acte purement extérieur; un rendez-vous entre deux absents : Dieu et le coeur. Et que dirons-nous de ceux qui cessent de se souvenir encore de ce rendez-vous ? Qui s’habituent à l’oublier ? Et, devenus, comme on dit, plus « mûrs », ceux-là n’en éprouvent même plus le devoir ou le besoin. Une simple enquête sur les habitudes religieuses des gens de notre époque nous documenterait tristement sur la totale, ou quasi-totale, absence de prière personnelle chez de très nombreuses personnes, devenues étrangères ou hostiles à toute expression de religiosité intérieure : âmes éteintes, lèvres muettes, coeurs fermés à l’amour, à la foi, aux sollicitations ou aux impératifs de l’esprit ! Et combien sont-elles ? Il y a des gens qui soutiennent que l’homme moderne est et doit être ainsi: sans prière personnelle. Ici, il y a une confusion de termes entre homme moderne et homme authentique. L’homme authentique, l’homme vrai: et nous ajoutons : s’il est vraiment moderne, c’est-à-dire conscient de la valeur de sa grande expérience culturelle, active, sociale, cet homme demeure radicalement religieux, c’est-à-dire essentiellement orienté vers une recherche et vers un rapport avec Dieu, et par conséquent avide et capable de prière personnelle.

Nous négligeons le grand thème de la piété religieuse, de la dévotion (cf. St. TH .,
II-II 101,0-102 ; st françois de sales, Introduction à la vie dévote ; L. de Grand-Maison, La religion personnelle, etc.). Nous nous limitons à poser le problème, si important dans le domaine pastoral et psychologique, si délicat dans le domaine pédagogique et spirituel : comment est-il possible de remettre dans les âmes du monde profane, irréligieux et même athée, l’impulsion, la capacité, l’expression correcte d’une parole adressée à Dieu, au Christ, à la Vierge ? Nous vous laissons ainsi qu’aux experts et aux pasteurs, l’étude de ce problème et de la réponse à lui donner, observant seulement combien il est actuel, spécialement au point de vue du renouvellement religieux et moral que l’Année Sainte voudrait produire dans le peuple comme dans les milieux déjà éduqués à la vie spirituelle ; et en affirmant encore une fois que cela ne doit pas être un problème insoluble : la preuve en est une certaine sensibilité intérieure, et même religieuse, que l’on rencontre dans certaines des couches les plus sérieuses et réfléchies de la jeunesse actuelle.

Cela nous permet plutôt de souligner l’expression réduite et momentanée de la conversation de notre esprit avec Dieu, la « prière-étincelle », l’invocation quasi-explosive qui peut s’évader d’une âme ; jaculatoire, la définiront les gens pieux ; invocation, plainte, cri, elle peut jaillir également d’un esprit non entraîné au colloque religieux ; et ce genre de prière forme une phénoménologie des plus intéressantes dans l’histoire du royaume de Dieu, à commencer par l’histoire du « bon larron » qui, d’une seule imploration, a arraché au Christ, avec lui crucifié et mourant, son propre salut : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras rentré dans ton royaume ! ». Et Jésus lui répondit : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis ! » (Lc 23,42-43) ; pour conclure avec le singulier témoignage d’André Frossard, vivant, qui l’intitule : « Dieu existe, je l’ai rencontré » (Fayard 1969).

Oui, il faut rappeler qu’à ce rendez-vous dont nous avons parlé, nous sommes deux à être en cause : nous, probablement paresseux, tardifs et rétifs interlocuteurs, et Dieu, qui nous devance et nous aime, et qui, le premier, est à notre recherche (1Jn 4,10) et qui nous atteint de son rayon mystérieux.

Une surprise : la grâce est exactement cela ! Que Dieu veuille que, dans notre intention d’établir avec lui notre colloque régulier et filial, mais souvent lent et réticent, une telle surprise, celle de sa présence agissante, nous soit également réservée.

Avec notre Bénédiction Apostolique !





30 janvier 1974: LA PRIÈRE CHRÉTIENNE

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Chers Fils et Filles,



Comme la lumière de la comète que nous avons pu admirer ces dernières nuits dans le ciel, la lumière de Noël continue, même si le cycle de ses célébrations est clos, à illuminer notre réflexion sur le renouvellement de notre vie spirituelle. L’illumine comment ? Au moyen d’un raisonnement, d’une théologie, qui englobe tout notre système religieux, tout spécialement en se référant à cet acte religieux par excellence que nous appelons prière et qui nous tient à coeur, à nous comme à tous ceux qui entendent encourager un tel renouvellement (dont l’Année Sainte a fait un de ses fondements), qui nous tient donc fortement à coeur soit comme expression individuelle, soit comme voix collective de peuple.

Voyons ! La Noël a inauguré et établi un rapport nouveau, plein, direct, filial avec Dieu, moyennant l’incarnation, c’est-à-dire la venue parmi nous du Verbe de Dieu qui s’est fait homme. Cette présence humaine de Dieu parmi nous, réalisée en Jésus-Christ, produit deux effets primordiaux, propres à une coexistence et à la conversation qui en dérive : premièrement, celui d’écouter; Jésus est messager de la Bonne Nouvelle, de l’Evangile, de la Parole de Dieu exprimée en langage humain ; un fait d’une incalculable, d’une inépuisable importance et que nous classons sous le grand mot de foi. La foi est une écoute de la Parole de Dieu. Deuxièmement, celui de parler, et que nous appelons prière. Nous ne pouvons rester muets et inertes après avoir écouté la voix du Christ ; nous devrions, au moins, faire nôtre le commentaire évangélique de quelqu’un qui avait entendu sa parole : « Jamais personne ne nous a parlé comme cet Homme ! » (
Jn 7,46) ; ou nous exclamer, plein d’enthousiasme, comme cette femme inconnue de l’Evangile : « Bienheureux le sein qui t’a porté et les mamelles qui t’ont allaité ! » (Lc 11,27). Ou encore, nous devrions oser, comme les Apôtres interrompre le discours du Seigneur pour demander quelques explications (cf. Mt 13,36) ; ou, finalement pour demander au Maître : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a également enseigné à ses disciples » (Lc 11,1).

La prière est le premier dialogue que l’homme puisse ambitionner d’avoir avec Dieu. Dès que l’on admet l’existence d’un rapport avec Dieu, c’est-à-dire d’une religion, le besoin naît — d’abord spontané, puis pressant — de lui adresser notre parole. Celle-ci jaillit, moins du sentiment, ou de l’ignorance ou de l’intérêt, comme on le prétend souvent, que d’un acte fondamental d’intelligence, quasi-instinctif, quasi-intuitif : si Dieu, existe, si Dieu m’est accessible, moi je lui dois une parole, je dois lui adresser une expression qui soit mienne ; c’est une nécessité spirituelle et morale (cf. St. TH ., II-II 83,2) ; c’est un comportement normal et habituel qui dérive du rapport métaphysique de mon caractère de créature avec Celui qui est le Principe suprême et nécessaire, et qui correspond au précepte évangélique : « Il faut prier toujours et ne cesser jamais » (Lc 18,1). Du reste, les deux formes essentielles dans lesquelles s’exprime la prière, justifient cette habituelle exigence — à tout le moins potentielle — de prière : la louange et la demande. Dieu peut être l’objet de notre louange, de notre « élévation de l’esprit » vers lui, une élévation qui, en soi, ne devrait jamais faiblir ; elle fait partie de notre conception de la vie, de notre conscience de créature, de notre sentiment d’être toujours suspendus à la toute puissante et gratuite action génératrice de la Cause première. C’est ainsi que Dieu peut être l’objet de notre imploration de secours adressé à la divine Providence.

Chaque religion, d’une manière ou à un degré divers, s’exprime ainsi.

Notre religion, qu’y ajoute-t-elle d’original ?

Ici, il faudrait un volumineux traité pour donner la réponse. Ne considérons en ce moment que l’attitude fondamentale de la prière chrétienne, cette manière d’être qui dérive du fait, que nous avons rappelé, de la Noël, de l’Incarnation, du rapport unique et très heureux que le Christ a établi entre Dieu et l’humanité.

Procédons par points. Premier point : le fait de la prière doit être mis en évidence dans notre vie chrétienne. Notons à ce propos deux faits capitaux, qui pénètrent dans notre vie moderne ; l’un est négatif : on ne veut plus prier, on ne sait plus prier ; et, malheureusement, beaucoup de personnes ne prient plus, pour des raisons importantes mais fausses. Nous nous rendons compte de la gravité de cette affirmation, qui remonte à la grande polémique avec l’athéisme pratique et avec l’athéisme théorique de notre époque. L’absence de prière, l’allergie à n’importe quel acte religieux, l’illusion de se suffire à soi-même, l’infatuation du progrès scientifique et technique tout comme si en découlait la vanité de la conception religieuse de l’univers et de la vie (alors qu’au contraire ce progrès ne fait que l’expliciter et la postuler), l’asservissement à certaines mentalités politiques et sociales dominantes, et ainsi de suite, semblent justifier la soi-disant : « mort de Dieu » ; mais à y regarder de plus près, il s’agit plutôt de la mort de l’idée de Dieu dans l’homme et, par conséquent, de tout ce qui donne à l’homme fondement et richesse de vérité, de dignité, d’espérance. Discours long et dramatique mais pour l’instant il suffit d’en avoir une fois de plus défini l’erreur. L’autre fait, de dimension diverse mais d’importance énorme : dans le coeur de la génération actuelle est en train de renaître un besoin, une orientation, une sympathie vers quelque forme de prière. Sans doute ne sommes-nous encore qu’à l’aube d’une aspiration spirituelle, étrange peut-être, mais très humaine ; et, chez ceux qui ont posé leurs premiers pas sur le sentier de l’authentique spiritualité chrétienne, l’aube resplendit déjà de lumière matinale et printanière : comme c’est beau, comme c’est vrai, comme c’est sage de prier !

Et alors voici le second point : la caractéristique intrinsèque de la prière chrétienne est la confiance. Expliquons cela : si le rapport entre l’homme et Dieu est celui qui a été inauguré et établi par le Christ, la prière n’est plus un monologue, elle n’est plus une voix dans l’obscurité, elle n’est plus un effort qui se dilue en un poème sans espoir ; mais elle est un véritable dialogue, elle est un recours non pas seulement à un précepte divin, mais aussi à une promesse divine : « priez et vous serez exaucés... » (Mt 7,7). L’idée d’une Bonté, qui nous écoute, qui nous aime, qui est prête à nous satisfaire, devient dominante dans l’esprit chrétien: «Y a-t-il quelqu’un parmi vous, — enseigne le Seigneur — quand son fils lui demande du pain, qui lui donne une pierre ? » (Mt 7,9).

Quelle douces paroles ! Voilà l’Evangile ! Voilà le fondement de notre prière !

Certes, nous nous trouvons ici encore devant un péril possible pour notre étroite psychologie terrestre : celui de prétendre que la prière est le remède facile pour chacun de nos besoins temporels. Si l’on conçoit la religion comme purement utilitaire, notre prière peut se dégrader facilement en fantaisie, en superstition, en simonie. Mais si, tout en exprimant à Dieu nos maux et nos besoins terrestres et bons, la prière se maintient au niveau d’une authentique conversation avec Dieu, elle ne perdra rien de sa confiance caractéristique, et même si elle n’obtient pas automatiquement la grâce qu’elle implore, elle reconfirmera son optimisme en découvrant que « toutes les choses tournent en bien pour celui qui aime Dieu » (Rm 8,28). Même la douleur ; et Saint Augustin ajoute : même nos péchés !

Aussi, est-ce à ceci que nous voulions arriver : créer en nous, dans notre peuple, une mentalité confiante envers la prière et envers l’espérance.

Que ce binôme de prière et espérance soit notre programme !

Avec notre Bénédiction Apostolique.






Catéchèses Paul VI 19123