Catéchèses Paul VI 11124

11 décembre 1974: CONNAÎTRE LE CHRIST

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Chers Fils et Filles,



Lorsque Noël reparaît sur les pages de notre calendrier, une question se présente à l’esprit de l’humanité : mais qui était Jésus ? Notre foi exulte et clame : c’est Lui, c’est Lui, le Fils de Dieu fait homme ; Il est le Messie que nous attendions ; Il est le Sauveur du Monde, et finalement, Il est le Maître de notre vie, le Pasteur qui mène les hommes vers ses pâturages en ce temps, vers ses destinées de l’au-delà du temps ; Il est l’image du Dieu invisible (
Col 1,15) ; Il est la voie, la vérité et la vie (Jn 14,6) ; Il est l’Ami intérieur (Jn 15,14-15) ; Celui qui nous connaît même de loin (cf. Jn 1,48) ; qui connaît nos pensées (Lc 9,8 Jn 2,25) ; Il est Celui qui peut pardonner (Mt 9,2), consoler (Jn 20,13), guérir (Lc 6,19), et même ressusciter (Lc 7,14 Mt 9,25 Jn 11,43) ; Il est Celui qui reviendra, Juge de tous et de chacun (Mt 25,31), dans la plénitude de sa gloire (ibid. Mt 25,31) et de notre félicité éternelle. On pourrait continuer cette litanie, véritable chant cosmique, sans fin et sans limite (cf. Col 2).

Mais suffit-il que la joie de notre âme ait éclaté dans cet hymne de gloire et de foi pour nous dire entièrement satisfaits ? ou bien, au fond de notre esprit, ne reste-t-il pas un besoin de connaître mieux, d’en dire plus ? Certainement, car Jésus-Christ est mystère, c’est-à-dire un être qui dépasse notre capacité de comprendre et d’exprimer ; Il nous enchante et nous enivre et c’est précisément ainsi qu’il nous instruit au sujet de nos limites et de la nécessité d’étudier encore, d’approfondir le plus possible, de mieux explorer « la largeur, la longueur et la hauteur de son mystère » (Ep 3,18).

Voilà l’invitation que chaque année la Noël propose aux fidèles initiés à la science de la divine révélation, invitation qui ne nous distrait pas de la vision et de la jouissance du cadre délicieux et ingénu de nos crèches, ni de la sereine et joyeuse conversation des fêtes familiales. Qu’y a-t-il de plus humain, de plus beau, de plus authentique qu’une célébration de Noël où, pour les fidèles qui ont l’intelligence de la foi, humana et divina junguntur, les réalités humaines et les réalités divines se touchent et se fondent intimement ?

Proposons-nous donc de donner à la Noël le sens d’une nouvelle initiation à la compréhension — dans la mesure du possible — de la doctrine sur le Christ, dans sa double question fondamentale : « Qui est vraiment Jésus ? » (ceci pour la christologie) ; et, seconde question : « Que signifie sa venue parmi nous ? Jésus, qu’a-t-il fait ? » (pour la sotériologie, c’est-à-dire la doctrine du salut qu’il a opéré).

Dans l’hypothèse où aucune vaine opinion, aucune fausse théorie ne soit venue troubler notre foi en Jésus-Christ, notre Sauveur, nous éprouverons encore plus le désir et la plénitude — avec la joie spirituelle qui en découle — de faire retentir dans nos âmes les définitions, graves, précises et solennelles que l’Eglise a formulées, laborieusement et avec un immense et unique amour de vérité, pour notre pensée, pour notre prière et pour notre conduite fidèle à ces principes. Relisons une de ces formules qui est un simple commentaire de la sentence évangélique : « Et le Verbe s’est fait chair et il est demeuré parmi nous » (Jn 1,14) ; voici cette phrase : « Jésus-Christ... est vrai Dieu et vrai homme » (DENZ.-SCH. DS 301-302). C’est la véritable définition de Jésus et, pour nous, la vraie théologie. Rester ancrés à cette interprétation du Christ, voilà notre foi, voilà notre sécurité. Elle ne double pas la figure de Jésus — comme si le Jésus de l’Evangile était différent du Jésus de l’authentique doctrine théologique — mais elle défend jalousement le trésor mystérieux de vérité qui est en Lui et nous permet d’en pénétrer la profondeur ; elle n’épuise pas notre avidité de rechercher et de savoir, mais lui fraye le chemin et la guide ; elle ne stérilise pas le langage du coeur et de la poésie, mais le provoque et l’enflamme ; elle n’enorgueillit pas notre pensée, mais plutôt, l’élève humblement au plan de la communion avec nos frères, dans une harmonie unique de foi et de charité.

Toutefois nous savons qu’aujourd’hui malheureusement — et probablement plus que jamais —Jésus, tel que l’Eglise le confesse, l’exalte, le défend et l’aime, est encore « objet de contradiction » : signum cui contradicetur, comme le dit le vieux Siméon à Marie lors de la Présentation de Jésus au Temple. Toute une littérature érudite et parfois artistique, s’est acharnée à faire depuis le siècle dernier, la vivisection de l’Evangile pour mettre en doute Jésus et son existence même : « Personne n’aurait jamais l’idée de se demander si le Christ a existé ou pas si la raison, souhaitant secrètement que le Christ n’existât pas, n’amenait l’homme à se poser une question pareille » (cf. D. merezkovskii, Gesù Sconosciuto, 8). Et cette observation radicale nous donne la clé qui permet d’évaluer une grande partie de la littérature en question, moderne y comprise. Elle part de prémisses subjectives auxquelles elle prétend plier le témoignage de l’Evangile qui est évident et objectif. L’hypothèse, l’opinion, l’artifice littéraire, l’ambiguïté scientifique, la sournoise louange humaniste, la superficialité sentimentale, la trouvaille exégétique, herméneutique, ou quelqu’autre astuce — caractéristiques de ceux qui substituent un libre examen à la réflexion profonde, inspirée du Magistère préposé par le Christ lui-même, à la divulgation de son Evangile — conduisent le lecteur, transformé inconsciemment en disciple, à fermer les yeux sur cette sorte de brume (pourtant rayonnante de lumière et de signes) dont Jésus a voulu entourer sa présence dans le monde, afin que la vision véritable et pénétrante de Lui se maintienne dans l’économie de la liberté et de la grâce, si bien que videntes non vident et audientes non audiunt ; ceux qui regardent ne voient pas, et ceux qui écoutent n’entendent pas (cf. Mt 13,13 et ss. ; Jn 12,40).

Chers Fils et Frères, nous disons ceci en souhaitant que Noël soit pour vous tous l’épiphanie du Seigneur, c’est-à-dire, une manifestation authentique de Qui il est et de ce qu’il a fait pour nous, réveillant dans nos âmes le désir, le besoin, le devoir de mieux le connaître, « dans l’Esprit et dans la Vérité » (Jn 4,23).

Avec notre Bénédiction Apostolique.





18 décembre 1974: NOËL : CENTRE DU MYSTÈRE CHRÉTIEN

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Chers Fils et Filles,



Cette fois encore nous allons parler de la Noël toute proche. Il y a mille manières de parler de cet événement dans l’histoire de l’humanité, de cette fête dans le cycle de la liturgie, de ce mystère dans la réflexion spirituelle. Le thème de la Noël est tellement important que celui qui le nie, le passe sous silence ou le considère avec indifférence, prive sa conception du monde de sa lumière centrale, se châtie lui-même par l’ignorance d’un élément qui lui donne la clé de sa propre vie et de l’univers ; il recouvre d’un voile de mystère opaque toute chose que le mystère de Noël illumine au contraire de lueurs fascinantes. Essayons de fixer notre esprit sur ce fait que nous appelons Noël ; et considérons un moment, ne serait-ce qu’un tout petit moment, l’état d’âme, l’effet psychologique en nous-mêmes dont nous avons, en premier lieu, conscience. C’est comme si l’on ouvrait la fenêtre d’une chambre fermée où nous passons notre existence habituelle et que s’offre à nos yeux le spectacle de certaines nuits limpides d’été, constellées d’étoiles innombrables, de mondes et d’espaces incommensurables : l’univers, la réalité immense et silencieuse dans laquelle nous sommes immergés, dont nous constituons une infime, mais cependant véritable partie. Pascal s’épouvantait devant l’immensité silencieuse des espaces (Pensées, 206). Nous, quelle émotion subite, quelle secousse intérieure, quel sentiment éprouvons-nous en contemplant la réalité, la profondeur de la Noël qui signifie venue du Christ dans le monde, c’est-à-dire le fait de l’Incarnation du Verbe de Dieu, tel que l’Evangile nous la présente, tel que la foi nous permet, d’une manière ou de l’autre, de la comprendre ? Il nous semble que le sentiment spontané et dominant que suscite l’annonce de Noël, une annonce concernant une réalité dont l’histoire et la foi nous rendent certains, est et doit être, l’émerveillement, c’est-à-dire la surprise, qui tout aussitôt se transforme en admiration, une admiration d’ordre esthétique, exaltante, illimitée, intarissable : Dieu parmi nous ? Dieu comme nous ? Dieu pour nous ? et là, dans ce cadre humain que nous appelons une crèche ? et dans cet état d’humilité qui, plus que tout autre aspect, enchantait St Augustin : cum esset altus humilis venit ? (En. in Ps. 31,18 Sermo 30,7 PL 38,191 etc.).

Que l’émerveillement ait à constituer l’atmosphère de toute la vie chrétienne, cela ne doit pas nous sembler une tension artificielle de notre spiritualité puisqu’elle se déroule en partie dans un ordre surnaturel. Le dessein de la religion chrétienne s’accomplit tout entier sur un plan supérieur à celui de nôtre existence naturelle et nous offre sans cesse des vérités, des modèles, des expériences qui vont au-delà du niveau normal de notre vie. Nous sommes malheureusement induits à nous habituer à toute manifestation du mystère divin en présence duquel, et à la fréquentation duquel nous avons été admis; et, de plus, nous nous méfions justement de notre sensibilité aux mythes, c’est-à-dire de notre propension à insérer notre fantaisie créatrice dans la conception idéale de notre monde. Mais ici, dans le milieu authentique de notre foi, nous pourrions peut-être trouver un appoint en revêtant de quelqu’analogie, de quelque parabole, de quelqu’image artistique les vérités divines qui dépassent nos capacités intellectuelles directes. Et si, d’autre part, les paroles grâce auxquelles la révélation nous énonce ces vérités sont elles-mêmes hyperboliques, nous devons nous imposer un effort mental pour nous élever à ce « royaume des cieux » dont nous ne pouvons nous approcher sans être envahis de stupeur, d’émerveillement, d’admiration. Citons, en passant, quelques expressions, tirées des Ecritures, qui semblent destinées à alimenter en nous un tel état d’âme psychologique et qu’ensuite nous définirons simplement, dans le langage chrétien, dévotion, ferveur, jubilation, ivresse spirituelle (cf. l’hymne de St Ambroise : laeti bibamus sobriam ebrietatem spiritus), et dont St François de Sales, avec sa célèbre Introduction à la vie dévote reste pour nous un maître (cf. également St. TH. ,
II-II 82,3-4). Saint Paul, par exemple, ne dit-il pas que : « ... alors que nous étions encore pécheurs... et ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu ? » (Rm 5,8-10) ; et que « nous étions des enfants de colère... et Dieu, riche en miséricorde, poussé par la grande charité dont il nous a aimés, même morts que nous étions des suites de nos péchés... nous a rendu la vie en même temps qu’au Christ » ? (Ep 2,3-5). Il nous parle de cet amour de Dieu pour nous, le qualifiant d’amour qui surpasse toute conception (Ep 3,19) ; et Jean l’Evangéliste nous dira : « Dieu, le premier, nous a aimés et il a envoyé son Fils dans le monde comme victime propitiatoire pour nos péchés » (1Jn 4,10).

Nous pourrions continuer, mais ces passages des Ecritures nous orientent vers le point focal du mystère chrétien qui, dans la célébration de la Noël, devra illuminer toute effusion religieuse et humaine qui en dérive : elle est un mystère d’amour de Dieu, dans le Christ, pour nous. Celui qui ne ressent pas cette explosion de l’amour de Dieu dans la Noël qui précède et prépare Pâques, est comme un aveugle devant le soleil. Voilà la révélation chrétienne. Il faut faire également nôtre, cette parole, qu’a dite encore Saint Jean « Et nous, en connaissance de cause, nous croyons à l’amour que Dieu a pour nous » (ibid., 1Jn 4,16). Et c’est là la réponse que Saint Anselme, en même temps que toute la théologie catholique, donne à la question qu’il s’est posée : Cur Deus homo ? — pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? (cf. PL 158, p. 539 ss. ; et lire sa belle prière, p. 769). Avec notre Bénédiction Apostolique.









Audiences 1975

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L’année 1975 a marqué un moment de plénitude dans le magistère pontifical. Le ministère de la parole a pris une large place dans l’action pastorale de Paul VI durant les mois du Jubilé. Et, parmi les fruits de celui-ci, on peut signaler le fait que le Peuple de Dieu se sent plus près du Pape, plus à l’écoute de son enseignement et de ses orientations.

Les audiences générales du mercredi ont été le centre de cet apostolat du Pasteur qui confirme ses frères dans la foi. C’est la raison pour laquelle nous désirons maintenant, offrir en un volume, la catéchèse hebdomadaire du Pape, qu’il a lui-même appelée « ses méditations » sur l’Année Sainte. Méditations qui constituent la première partie de ce volume. La seconde partie recueille les homélies et discours prononcés par Paul VI au cours des principales célébrations de l’Année Sainte, et en diverses circonstances. Dans cette seconde partie nous voudrions signaler les deux exhortations Apostoliques écrites par le Saint Père au cours de l’Année Jubilaire : « Gaudemus in Domino », sur la joie chrétienne (9 mai) et « Evangelii Nuntiandi », sur l’Evangélisation dans le monde contemporain (8 décembre).

Nous offrons ainsi au Peuple de Dieu un nouveau Tome de Paul VI, qui correspond à l’année 1975.

Pour clôturer l’Année du Renouvellement et de la Réconciliation, en ce dixième anniversaire de la conclusion du Concile Vatican II, année après le Synode des Evêques, consacré à l’Evangélisation, Paul VI a publié l’Exhortation « Evangelii nuntiandi » dont nous extrayons les pensées suivantes (n° 67) qui illustrent d’une façon merveilleuse la volonté qui anime Paul VI dans sa mission d’évangélisation par le ministère de la parole ; elles peuvent également servir de prologue à ce dernier volume. « Le successeur de Pierre est ainsi, par la volonté du Christ, chargé du ministère prééminent d’enseigner la vérité révélée. Le Nouveau Testament montre souvent Pierre rempli de l’Esprit Saint prenant la parole au nom de tous (AC 4,8 cf. AC 2,14 AC 3,12). C’est bien pour cela que Saint Léon le Grand parle de Pierre comme de celui qui a mérité la primauté de l’Apostolat. C’est pourquoi aussi la voix de l’Eglise montre le Pape au sommet le plus haut — in apice, in specula de l’apostolat ». Le Concile Vatican II a voulu le réaffirmer en déclarant que « le mandat du Christ de prêcher l’Evangile à toute créature (cf. MC 16,15) regarde avant tout et immédiatement les Evêques. avec Pierre et sous la conduite de Pierre ».

Le pouvoir plénier, suprême et universel que le Christ confie à son Vicaire pour le gouvernement pastoral de son Eglise c’est donc spécialement en prêchant et en faisant prêcher la Bonne Nouvelle du salut que le Pape l’exerce ».


Cité du Vatican, le 1er janvier 1976











4 janvier 1975: LA VOCATION : DON DE L’ESPRIT

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Vénérables Frères et Fils bien-aimés,


Réunis ici à Rome pour le 3ème Congrès National des « animateurs de vocation » organisé par le Centre National des Vocations vous avez désiré vous rencontrer avec nous pour nous manifester les sentiments de votre filiale dévotion.

Nous avons bien volontiers répondu à votre désir, et en vous adressant notre affectueux et cordial salut, nous entendons exprimer notre profonde reconnaissance, à vous et à tous ceux qui collaborent avec vous dans un domaine qui, comme celui des vocations, se trouve en ce moment au centre des plus vives préoccupations et de la sollicitude de l’Eglise.

Nous trouvons une très grande consolation dans le fait qu’à ce congrès soient intervenus un nombre aussi élevé d’évêques, de prêtres, de religieux et d’experts. On peut dire que tous ceux qui forment le peuple de Dieu en Italie y sont présents avec leur témoignage de foi, de doctrine, de vie. Tout cela mérite de notre part des éloges et des encouragements non seulement parce que cela révèle votre engagement d’offrir en cette Année Sainte une contribution plus directe à la solution de ce problème tellement grave et tellement urgent, mais parce que cela signifie également un pas en avant dans la sensibilisation de toute la communauté ecclésiale à ce problème même, selon les directives et les indications du Concile Vatican II (cf. Décret Optatam totius,
OT 2).

Les vocations en effet, — qu’elles soient sacerdotales ou simplement religieuses — tout en étant radicalement un don de l’Esprit qui s’adresse à l’individu, n’en ont pas moins leur lieu privilégié de développement dans la communauté ecclésiale.

C’est un appel divin qui suppose la réponse de l’homme ; mais c’est au sein de la communauté qu’il trouve le milieu le plus favorable pour être entendu. En réalité la communauté intervient comme soutien de l’individu dont elle respecte la liberté, l’option, la nature particulière de la réponse et ses charismes. Loin d’être une interférence abusive, l’action de la communauté s’exprime sous forme de collaboration. Et c’est, avec la prière, un apport humain qui est sollicité par le Seigneur lui-même et qui implique la responsabilité de la communauté tout entière. Les exigences de l’équité, de la justice, de la charité et de l’insertion dans la mission de salut spécifieront la nature et le mode de l’apport de chacun ; mais il est inéluctable que chacun se sente impliqué dans la solidarité d’assurer à l’Eglise et par conséquent à l’humanité la présence et le prolongement du ministère apostolique.

Mais si la vocation est un germe déposé par Dieu dans le coeur de l’homme choisi d’avance, la communauté chrétienne doit se rendre compte qu’il ne suffit pas que celui-ci soit recueilli. Il faut encore tout un ensemble d’attentions, de soins pour que le grain puisse germer et croître. La réponse de l’individu, même si elle est déterminante, n’est pas suffisante pour que la vocation parvienne à maturité, et surtout pour qu’elle soit fructueuse et persévérante. La vocation sacerdotale ou religieuse est un don qui se conquiert jour après jour jusqu’à la phase finale, un don qui exige donc de celui qui le reçoit et de ceux au service desquels il se développe un effort incessant de fécondation d’accroissement et de défense. Tout cela est d’autant plus nécessaire que le climat d’hédonisme et de matérialisme de notre époque menace de tellement près la vie spirituelle des croyants et, qu’en affaiblissant le sens religieux, il affaiblit également la perception du caractère sacré, noble, plein de valeur du sacerdoce et de la vie religieuse et consacrée.

De tout ceci ressort l’importance du thème de votre congrès : « Evangélisation et vocation », aussi opportunément en syntonie avec le thème du récent Synode épiscopal. Il faut en effet former une mentalité de foi vigoureuse et consciente, il faut stimuler les consciences aux valeurs spirituelles et surnaturelles, afin que le don de la vocation soit compris et apprécié dans toute sa beauté, grandeur et responsabilité. Certainement, tout ceci exige renoncement, sacrifice et dévouement de la part de ceux qui entendent suivre le Christ. Mais nous ne devons pas oublier que la jeunesse saine éprouve un attrait particulier pour les choses ardues, absorbantes, difficiles. Aussi estimons-nous qu’une évangélisation spécifique et judicieusement adaptée, qui fasse resplendir le don de la vocation dans la richesse de ses contenus est encore en mesure de mobiliser de nombreuses âmes jeunes, capables d’embrasser avec grandeur d’âme et fidélité l’idéal d’une existence toute consacrée au Christ et aux âmes — jusqu’à l’héroïsme.

Vénérables frères et fils bien-aimés, nous vous exprimons toute notre profonde et sincère gratitude pour votre précieuse contribution en ce sens au bénéfice de l’Eglise d’Italie. Poursuivez courageusement sur cette voie. Multipliez vos contacts et l’échange de vos expériences avec cet esprit d’authentique et fraternelle collaboration qui a toujours distingué vos rencontres, sans vous laisser abattre par les multiples et graves difficultés que vous avez à rencontrer. Ayez au contraire une grande confiance en Dieu, parce que les vocations, avant d’être oeuvre de l’homme, sont principalement oeuvre de Dieu, et nous ne pouvons jamais supposer que Dieu refuse de pourvoir aux besoins de son Eglise à laquelle il a promis son assistance jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28,20). Mais surtout restez toujours en étroit contact avec le maître de la moisson par le moyen irremplaçable et fondamental de la prière, car la vocation est un don de l’Esprit qu’il faut implorer, comme nous l’a enseigné Notre Seigneur Jésus-Christ (cf. Jn 4,35 Mt 9,38). Que vous réconforte l’abondance des grâces divines que nous invoquons pour vous tous; et en gage desquelles nous vous donnons de tout coeur la Bénédiction Apostolique.





8 janvier 1975: AVONS - NOUS UNE MENTALITÉ CHRÉTIENNE ?

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Chers Fils et Filles,



Un des thèmes généraux proposés à la célébration de l’Année Sainte est celui du renouvellement spirituel. Le choix de ce thème semble motivé par une nécessité évidente à priori : la vie chrétienne a toujours besoin d’être invitée à se renouveler, car elle aussi, comme toute chose humaine, se trouve exposée à la régression, au vieillissement ; le temps consume plus vite et plus vivement les énergies spirituelles que les énergies physiques, et spécialement dans les expressions morales et religieuses des moeurs qui, souvent, continuent à se manifester dans leurs formes extérieures et traditionnelles mais se vident de conscience et de force dans leurs principes originaires. C’est pour cela que le renouvellement est une exigence de la vie; il l’est à cause du fatal épuisement provoqué par l’écoulement du temps ; il l’est également pour un autre motif positif, celui du progrès dont l’homme est susceptible et, avec lui, ses institutions. Régression et progrès déterminent un mouvement vital dans l’histoire et dans l’aventure humaines, et ce mouvement se produit également .dans la vie chrétienne : nous l’appelons renouvellement. Un troisième principe, extérieur, celui-ci, mais souvent prédominant et déterminant, requiert le renouvellement : la confrontation de la propre manière de penser et de vivre avec l’ambiance culturelle et sociale du moment, laquelle suggère, et impose presque, une conformité et même pour certains, un conformisme auxquels les hommes et les institutions ne se plient que trop facilement : c’est « la mode » — non seulement celle des vêtements — mais la mode de la culture générale qui réclame une modification, un remaniement et, dans le bon sens, un « aggiornamento », c’est-à-dire un perfectionnement qui tienne compte de la maturation de circonstances nouvelles.

Observons tout de suite que ce phénomène n’est pas, en soi, contraire à un autre phénomène qui semble le contredire ; c’est-à-dire la tradition, soit en ce qui concerne les valeurs permanentes de la vérité et de la vie, soit pour la synthèse qu’une tradition cohérente peut produire parmi de telles valeurs et leur expression en combinaison avec de nouvelles formes d’expérience humaine.

L’analyse de ce sujet nous mènerait très loin. Nous fixerons en ce moment notre attention sur ce qui concerne le renouvellement réclamé par l’Année Sainte. Nous voudrions avant tout faire observer qu’il ne s’agit pas d’un thème artificiel ou particulier, mais d’un thème suggéré par la similitude de notre programme de renouvellement général du monde et de la civilisation ; et ensuite, que le Concile oecuménique lui-même, ce grand événement dans l’histoire de l’Eglise a prévu et imposé un renouvellement non pas certes dans les vérités de la foi comme certains l’ont imprudemment supposé, et pas davantage dans les principes constitutionnels de l’Eglise même, et moins encore dans les normes fondamentales de la vie morale.

Il vaut la peine de remonter aux origines et à l’essence de la vie chrétienne pour se rendre compte de la vraie nature du renouvellement que nous souhaitons et que nous sommes en train de promouvoir. A cet effet, nous nous reporterons aux paroles de Saint Paul qui, écrivant aux Ephésiens, nous offre une formule que nous ferions bien de mettre à la base de notre renouvellement : « Je vous prie donc et vous adjure dans le Seigneur de ne plus vous comporter à la manière des gentils qui suivent toutes leurs vaines pensées, l’esprit plongé dans les ténèbres, éloignés de la vie divine par leur ignorance... Pour vous, ce n’est pas ce qui vous a été enseigné du Christ... et s’il vous a appris — selon la vérité qu’il possède — à vous dépouiller, dans votre ancienne façon de vivre, du vieil l’homme qui était en train de se dissoudre sous la poussée de convoitises séduisantes, à vous renouveler au plus intime de votre esprit, et à vous revêtir de l’homme nouveau, créé à l’image de Dieu dans la justice et la sainteté véritables » (
Ep 4,17-21). Voilà la formule : il faut une mentalité nouvelle, une authentique mentalité chrétienne. C’est là, la première réforme, la plus personnelle, la plus importante, mais aussi la plus difficile.

Nous pouvons nous interroger nous mêmes, demander à notre conscience : est-ce que je pense en chrétien ? Ma mentalité dérive-t-elle de la vérité que le Christ nous a enseignée ? Ou plutôt ne sommes-nous pas facilement disposés à placer notre mentalité personnelle au commandement de nos pensées, de nos jugements, et par conséquent de nos actions, à un niveau d’autonomie qui souvent n’admet ni suggestion ni confrontation ? « C’est ainsi que je le pense », affirme chacun et en cette « auto-opinion » chacun trouve la justification de tout comportement de sa personnalité. Pouvons-nous avoir la certitude que cette mentalité subjective et personnelle est conforme à celle que doit avoir un chrétien ? avons-nous, de nous-mêmes, l’intuition du vrai et du juste, au point de pouvoir revendiquer, face à tout rappel du magistère catholique, une légitime autonomie ? Et jaloux comme nous le sommes de notre indépendance, de notre liberté, pouvons-nous vraiment soutenir que notre mentalité est libre ? Ou au contraire, ne devons-nous pas admettre qu’à former cette mentalité, se conjuguent en masse d’autres facteurs que notre propre jugement conscient ? Qui ne voit pas que notre mode de penser, et par conséquent de vivre, est soumis à d’écrasantes influences du milieu, de l’opinion publique, des moyens de communication sociale et souvent d’intérêts personnels, tout autres que facteurs favorisant notre véritable liberté ?

Certes nous ne pourrons pas nous soustraire à de telles influences, mais nous devrons cependant maintenir un jugement critique à leur sujet et, faisant preuve de vigoureuse liberté intérieure, nous devrons nous demander à nous-mêmes : tout ceci est-il chrétien ? et ma mentalité à moi, est-elle demeurée chrétienne ?

Cette question est tellement importante qu’elle exigera de nous quelques autres considérations. Qu’il nous suffise pour l’instant de réaffirmer ce que nous disons sous les auspices de l’Apôtre : si nous voulons que le Concile, et à présent l’Année Sainte, ne constituent pas de vains épisodes de notre vie, nous devons introduire dans notre vie une mentalité nouvelle ou renouvelée : la mentalité chrétienne.

Avec notre Bénédiction Apostolique (cf. également : 2Co 4,16 Col 3,10 Tt 3,5 etc.).





15 janvier 1975: APPRENONS À VIVRE SELON LE CHRISTIANISME

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Chers Fils et Filles,



Il faut que nous nous refassions une mentalité chrétienne ; cela, nous l’avons déjà dit au sujet du renouvellement de notre vie en général, mais spécialement de notre vie chrétienne, de notre vie catholique. Or, pour retrouver une telle mentalité, pour lui donner splendeur idéale et sécurité logique, pour lui conférer fécondité d’action et énergie de moeurs, l’avènement de l’Année Sainte peut se révéler salutaire pour chacun.

Que l’invitation est permanente, qu’elle naît du contexte originel de la catéchèse des Saintes Ecritures, qu’elle constitue le point d’appui de la pédagogie baptismale, de la renaissance de l’homme sous une forme existentielle différente, paradoxale, supérieure, nouvelle (qu’on se rappelle le dialogue nocturne de Jésus avec Nicodème :
Jn 3,3 et ss. ; qu’on se rappelle la confrontation, l’antithèse, la métamorphose du « vieil homme », l’homme de ce monde naturel et « l’homme nouveau » vivifié par un principe surnaturel, dont Saint Paul ne fait que parler : cf. Ep 4,2 1Co 3,1 2Co 5,17 etc.), tout cela, nous le savons parfaitement ; ou, plus exactement, nous devons le savoir parfaitement, si notre conscience a gardé vraiment l’effective mémoire de notre vocation terrestre. Le chrétien est un être nouveau, un être original, un être heureux. Pascal a dit très justement : « personne n’est aussi heureux qu’un vrai chrétien, ni (autant que lui) raisonnable, ni vertueux, ni aimable » (Pensées, 541). Or, nous, modernes, même si nous déclarons en communion avec la religion chrétienne (une communion souvent gardée secrète, minimisée, sécularisée), nous n’avons que rarement ou de manière incomplète, le sens de cette nouveauté de notre style de vie ; et bien souvent nous jouons à l’homme conformiste et à l’esprit fort par pur respect humain, par crainte de paraître ce que nous sommes : des chrétiens, des gens qui ont donc une propre manière de vivre, libre et supérieure, même si elle est logique et austère.

C’est pourquoi l’Eglise nous rappelle à l’ordre, nous lance un avertissement : chrétien, sois conscient ; chrétien, sois cohérent ; chrétien, sois fidèle ; chrétien, sois fort ; en un mot : chrétien, sois chrétien.

Et, à ce point-là, il serait utile d’examiner les obstacles qui nous empêchent d’imprimer à notre vie un aspect chrétien. Le diagnostic de ces obstacles, extérieurs ou à l’intérieur de nos âmes, constituerait un traité de pathologie spirituelle difficile à condenser en de brèves pages ; et il faudrait s’y référer à tout moment de notre redressement religieux et moral. Pour l’instant nous pouvons nous limiter à indiquer un facteur indispensable de ce renouvellement chrétien auquel nous aspirons ; il n’est pas difficile à détecter, même s’il n’est pas toujours facile d’y avoir recours : ce facteur est la grâce ; il est l’action du Saint-Esprit ; il est le supplément de lumière et de force, que seul peut nous procurer le contact avec la source divine de notre régénération spirituelle. Ceci ressort clairement de la parole de Saint Paul que nous avons choisie comme modèle du renouvellement que nous recherchons. Il dit : « renovamini Spiritu mentis vestrae », renouvelez-vous au plus profond de votre esprit (Ep 4-23).

Selon les maîtres de l’exégèse, « Spiritu »« pneumati » dans le texte original — doit se référer à la grâce, c’est-à-dire à l’Esprit Saint (cf. J. Knabenbauer, Comm... ad Eph., page 132).

C’est l’efficacité qui nous découle de la passion du Christ, de son oeuvre de rédemption qui, ainsi que nous l’enseigne Saint Thomas, se transmet à nous par deux voies principales : la foi et les sacrements, moyennant un acte intérieur de notre âme, la foi, et un acte extérieur : le recours aux sacrements (St Th., III 62,6).

Et voici que devant nous se précise alors la praxis religieuse de l’Année Sainte — qui n’est d’ailleurs pas une exclusivité de cette célébration — mais qui, à cette occasion, est mise en pratique avec un engagement tout particulier et avec l’assistance intentionnelle du ministère ecclésiastique : une profession de foi, un recours à l’action sacramentelle.

Nous voici confrontés ainsi avec un autre obstacle caractéristique qui se dresse devant le renouvellement désiré ; c’est un état d’âme qui s’est récemment diffusé et aggravé : la méfiance à l’égard de l’Eglise dite institutionnelle, de l’Eglise réelle, de l’Eglise humaine, de l’Eglise-ministre, gardienne et dispensatrice des mystères divins (cf. 1Co 4,1). Rappelons-nous la grande affirmation d’un célèbre penseur catholique allemand, Jean Adam Moelher, précurseur du mouvement oecuménique (1796-1843), sur la nécessité de la médiation de l’Eglise pour connaître le Christ et vivre de sa vie (cf. L’Unité de l’Eglise, 1, 7).

Si bien que notre renouvellement chrétien idéal et vital ne pourra négliger une redécouverte de notre insertion dans le corps mystique et social du Christ qu’est précisément l’Eglise catholique ; et pourra plus faire abstraction d’une libération — malheureusement trop à la mode aujourd’hui — d’une tentative de séparer le Christ de l’Eglise, comme si, en contestant celle-ci et en concédant à notre interprétation de la vérité religieuse toute critique arbitraire à l’égard de l’Eglise, on pouvait jouir d’une communion plus authentique et plus vitale avec Notre-Seigneur Jésus qui est la source de notre salut par l’intermédiaire de son Eglise.

Aussi dirons-nous avec Saint Ignace d’Antioche « discamus secundum christianismum vivere », apprenons à vivre selon le christianisme (ad Magnesios, X).

Voilà le renouvellement du Concile, voilà le renouvellement de l’Année Sainte ! Que celui qui a des oreilles, entende (Mt 13,9) !

Avec notre Bénédiction Apostolique.






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